Dans un quartier violent de Mexico, Unidad
Modelo, Juan Guillermo qui vit dans une famille aimante, est en admiration devant son brillant frère aîné, Carlos, trafiquant de drogues. Lorsque celui-ci est assassiné par « les bons garçons » un groupe de fanatiques religieux, appuyé par le commandant de police Zurita, il jure de le venger. Sa grand-mère, ses parents, minés par le chagrin, vont mourir à leur tour, le laissant seul à l’âge de 17 ans.
Parallèlement se déroule l’histoire d’Amaruq, un trappeur inuit qui poursuit un loup à travers les forêts du Yukon.
Comment rendre compte d’un livre comme Le sauvage de l'écrivain mexicain Guillermo Arriaga ? Un roman fleuve touffu (700 pages) qui coule impétueusement pour ne pas dire sauvagement (et oui, le titre du roman !) emportant tout sur son passage, un roman qui dépose, comme des alluvions, des pensées philosophiques, de Confucius à Jim Hendrix, des considérations mythologiques, étymologiques, ethnologiques, englobant toutes les civilisations, de la Grèce à Rome, en passant par l’Afrique ou la Chine et les peuples amérindiens, les aztèques du Mexique, un récit qui enchevêtre savamment deux histoires, sans aucun ordre, et surtout pas chronologique :
Celle du jeune Juan Guillermo dans un quartier populaire de Mexico
et celle d’Amaruq, un trappeur inuit, qui traque un loup géant dans les forêts enneigées du Yukon, loup qui n’est autre que son double.
A priori, rien de commun entre ces deux histoires si ce n’est que le lecteur se doute bien qu’elles se rejoindront un jour, ce qui n’empêche pas l’effet de surprise lorsque cela arrive.
Mais le lecteur va voir bien vite que le fil directeur de ces deux récits est le loup. Le loup sauvage et libre que traque Amaruq, mais aussi la bête sauvage et muselée, enlevée à sa forêt, enchaînée, que l’homme n’est pas parvenu à domestiquer. C’est celle qu’affronte Juan Guillermo, solitaire, dans sa maison dévastée, un combat qui oppose l’adolescent de 17 ans qui a perdu toute sa famille à l’animal indompté que lui ont donné ses voisins. La ressemblance entre les deux, la bête et le jeune homme est frappante.
Et puis il y a l’homme, un loup lui aussi, celui qui torture et assassine au nom de Dieu. Ainsi, les« Bons garçons », groupuscule de droite catholique, fanatisé, armé par l’église, protégé par le gouvernement, qui font la chasse aux communistes, aux athées, aux juifs, aux homosexuels, aux prostituées … Bref ! à tous ceux qui, à leurs yeux, offensent la morale. Ceux qui ont laissé le frère de Juan, Carlos, mourir noyé dans la citerne où il s’était caché.
Et enfin la police, en la personne de Zurita, partisan de la justice expéditive, complice de tous les crimes y compris du trafic de drogues pourvu que l’on sache l’acheter ! Zurita qui monte en grade, toujours plus puissant, récompensé par le gouvernement pour ses bons et loyaux services chaque fois qu’il accomplit un travail « d’épuration ». Car tout est pourri au Mexique, tout est corrompu, du plus bas de l’échelle au plus haut. La Justice n’existe pas, c’est celui qui a le plus d’argent qui l’emporte. La corruption règne. Pas étonnant, alors, que Juan décide de venger son frère par ses propres moyens en tuant de ses mains Humberto, le chef des Bons garçons.
La Vengeance, l'un des thèmes importants du roman, avec la corruption, et ses questionnements : la vengeance est-elle légitime ? Peut-elle laisser indemne ? Celui qui se venge ne descend-il pas au niveau de de celui qui a commis le crime ? Que va-t-il arriver à Juan quand sa vengeance sera assouvie ? Sera-t-il toujours le même homme ? Vengeance étroitement liée à notion de culpabilité et de responsabilité. Aux yeux de l’adolescent, son grand frère Carlos si beau, si intelligent, si cultivé (il adore la lecture), si plein d’humour, est auréolé d’innocence. Il n’est pas coupable de vendre de la drogue puisque les gens sont libres d’en consommer ou pas. Ce sont les drogués qui sont responsables de leurs vices mais pas Carlos. La question se reposera quand Juan récupèrera l’argent de la drogue après la mort de son frère.
Tout n’est pas au même niveau dans ce livre. Il y a des moments si forts, si prenants, qu’ils vous retiennent prisonniers, puis des passages, non de la lassitude mais de relâchement, où vous sentez que vous n’êtes pas aussi impliqués. La mort de Carlos dans la citerne orchestrée par les coups de poing qu’il donne dans les parois, résonnant comme un glas, est hallucinante; celle du combat féroce entre le loup et Juan l’est tout autant. Et que dire, de la vision hallucinante d’Humberto, le fanatique, au pied du cercueil de sa mère, dans le logement empuanti par l’odeur du cadavre ! Les nuits redoutables d’Amaruq dans la forêt du Yukon, hantées par les esprits des morts, cernées par les loups, sont aussi très impressionnantes. Ces scènes présentent une forme de grandeur par rapport à la violence des villes. Là, c’est une confrontation entre la Nature et l’Homme et la manifestation de la toute puissance de la Nature par rapport à la fragilité humaine. Pourtant l’Homme lui oppose la force de sa volonté. Et ce n’est pas rien ! Ainsi en est-il de la marche forcée d’Amaruq dans la neige pour sauver son loup, et de la chasse de la dernière chance qu’il mène pour se procurer à manger, au bord d’une falaise verglacée, à la poursuite d’une chèvre. C’est de la grandeur de l’homme qu’il s’agit malgré sa faiblesse. C’est aussi de liberté. Tout ce qui manque à Juan Guillermo dans la jungle de Mexico.
Le roman se termine par une note d’espoir dans lequel Juan, aidé en cela par son amour, Chelo, va peut-être retrouver, avec la liberté, le goût de vivre ?
Guillermo Arriaga
Guillermo Arriaga Jordán est un acteur, réalisateur, scénariste et producteur mexicain pour le cinéma, et un écrivain. Il est né et a grandi dans le quartier populaire Unidad Modelo, l'un des plus violents de la ville de Mexico. À l'âge de 13 ans, il perd le sens de l'odorat à la suite d'une bagarre de rue. Il se servira à plusieurs reprises de cette expérience dans ses scénarios. Arriaga est diplômé d'une licence en sciences de la communication et d'une maîtrise d'histoire de l'université ibéro-américaine. Il fut un temps professeur dans cette université, où il rencontre Alejandro González Iñárritu, puis à l'Institut de technologie et d'études supérieures de Monterrey.
Son premier livre traduit en français "Un doux parfum de mort" est paru chez Phébus en 2003. Il est l’auteur des scénarios de 21 Grammes, Amours Chiennes et Babel d’Alejandro González Iñárritu.
Il a également écrit le scénario et a joué dans le premier long-métrage
réalisé par Tommy Lee Jones, Trois Enterrements, pour lequel il a
remporté le Prix du scénario au Festival de Cannes 2005. Il a depuis
écrit le scénario de El Bufalo De La Noche, qu’il a également produit. (Babelio)