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vendredi 10 juin 2011

Le bonheur selon Montaigne



J'ai un dictionnaire tout à part moi : je passe le temps, quand il est mauvais et incommode ; quand il est bon, je ne le veux pas passer, je le retâte, je m'y tiens. Il faut courir le mauvais et se rasseoir au bon. Cette phrase ordinaire de passe-temps et de passer le temps représente l'usage de ces prudentes gens, qui ne pensent point avoir meilleur compte de leur vie que de la couler et échapper, de la passer, gauchir, et, autant qu'il est en eux, ignorer et fuir, comme chose de qualité ennuyeuse et dédaignable.
Principalement à cette heure que j'aperçois la mienne si brève en temps, je la veux étendre en poids; je veux arrêter la promptitude de sa fuite par la promptitude de ma saisie, et par la vigueur de l'usage compenser la rapidité de son écoulement; à mesure que la possession de vivre est plus courte, il me la faut rendre plus profonde et plus pleine.
                                                                                           Livre III chapitre 13
56270471_p.1283356242.gif par Chiffonnette.

Montaigne, les blogueuses et la critique



Il paraît que les blogueuses qui tiennent des blogs littéraires sont plus nombreuses que les blogueurs.  Il paraît aussi qu'elles ne devraient pas se parer d'un mot aussi noble : littéraire! Quelle outrecuidance, en effet! De là à les renvoyer à leur vaisselle ou à leur repassage, il n'y a qu'un pas... vite franchi.  Et oui! Surtout lorsqu'elles osent écrire qu'elles n'aiment pas le livre de ces messieurs (les  écrivains, du moins ceux qui sont mal embouchés!) et qu'elles semblent faire ombrage aux critiques de profession.
Vous ne me croyez pas? Et bien allez voir le blog de Cynthia et ses contes défaits ( ici    et là  ) qui a eu le malheur de ne pas apprécier un roman publié aux éditions Alphée!!
Pourtant ces blogueuses ne prétendent à rien d'autre que ce que dit Montaigne dans son blog * :

Chapitre X : Les livres
Je ne fais point de doute qu'il ne m'advienne souvent de parler de choses qui sont mieux traitées chez les maîtres du métier, et plus véritablement. C'est ici purement l'essai de mes facultés naturelles et nullement des acquises; et qui me surprendra d'ignorance, il ne fera rien contre moi, car à peine répondrai-je à autrui de mes discours, qui ne m'en réponds point à moi; ni n'en suis satisfait. Qui sera en cherche de science, si la pêche où elle se loge: il n'est rien de quoi je fasse moins de profession. Ce sont ici mes fantaisies, par lesquelles je ne tâche point de donner à connaître les choses, mais moi..."
 Je dis librement mon avis de toutes choses, voire et de celles qui surpassent à l'aventure ma suffisance, et que je ne tiens être aucunément de ma juridiction. Ce que j'en opine, c'est aussi pour déclarer la mesure de ma vue, non la mesure des choses.

*appelé : Les Essais

Car Michel de Montaigne aurait été blogueur, bien sûr! D'abord parce qu'il était ouvert à toutes les nouveautés, parce qu'il se plaisait à échanger des idées à tel point, disait-il, qu'il aurait préféré être aveugle plutôt que sourd ou muet. Ensuite, parce qu'il aimait lire et que, pour  subvenir un peu à la trahison de "sa" mémoire, il annotait ses livres et écrivait un petit résumé de ses idées à la fin de chacun, enfin parce que son écriture à sauts et à gambades aurait pu se déployer librement sur le web.
Librement?

Montaigne : encore une nouvelle "traduction" des Essais


Une nouvelle "traduction" des Essais en français contemporain vient de paraître. Il s'agit d'un livre intitulé Vivre à propos traduit du japonais par Pascal Hervieu aux éditions Flammarion, préfacé par Michel Onfray.
Oui, vous avez bien lu : "traduit du japonais" : accéder à Montaigne par le biais d'une traduction, voilà qui a de quoi surprendre! mais après tout pourquoi pas? Je suis d'avis que tout est bon pour connaître Montaigne : "et que le japonais y arrive si le français n'y peut aller"!*
N'ayant pas lu  cette traduction je serais bien en mal de vous dire ce que j'en pense mais je vous livre ici des extraits de l'article que Dominique consacre à cette traduction dans son blog  littéraire A sauts et à gambades dont le titre est un hommage à notre grand Montaigne, blog  que vous aurez ainsi le plaisir de découvrir :
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Michel Onfray (...) est lui aussi un grand admirateur de Montaigne, les heures qu’il lui a consacrées et que l’on peut retrouver dans sa Contre-Histoire de la philosophie sont là pour en témoigner.
Que nous propose-t-il ici ?  A première vue une idée folle et saugrenue, accéder à Montaigne par le détour d’une traduction.
Montaigne est difficile d’accès certes, mais qu’en font les américains, les hongrois, les japonais ? Ils lisent et admirent Montaigne en n’ayant pas accès à la langue d’origine.
Le pari fou tenté et à mon sens réussi c’est celui de la traduction d’une traduction de deux des chapitres majeurs des Essais. Pascal Hervieu à partir de la traduction en japonais
Pascal Hervieu a utilisé les traductions des trois plus grands écrivains japonais traducteurs de Montaigne, Pour Sekine Hideo, ce fut l’oeuvre de toute une vie. Il a traduit à l’aveugle, sans se référer au texte français, une année lui fut nécessaire pour traduire ces deux essais. des Essais, à fait un nouveau travail de traduction vers le français, un français actuel.

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Qui perd et qui gagne dans l’aventure ?
Le gain évident le lecteur se sent moins intimidé, la lisibilité est plus grande, il y a un accès immédiat à l’idée sans le détour d’un vocabulaire parfois rare, sans tournures de phrases inusitées aujourd’hui, c’est à mon avis un accès intéressant pour une première lecture de Montaigne, pour une approche simple, sans barrière.
Ai-je l’impression d’une perte? oui, ma réponse eut été très différente quelques années en arrière, après des lectures multiples et aidées par des accompagnateurs (Marcel Conche,Jean Starobinsky, Michel Onfray etc.) je trouve aujourd’hui belle, voire familière, la langue de Montaigne, s’en priver est dommage.
Mais... car il y a un mais, si la langue doit faire barrage, faut-il se passer de la lecture ou faut-il adapter la langue sans la trahir, je suis résolument pour la seconde solution et c’est en cela que j’applaudis le travail de Pascal Hervieu. Le texte n’est en rien dénaturé, il y gagne parfois beaucoup en clarté, des choix ont été fait par le traducteur, la pensée de Montaigne est préservée me semble-t-il.
* "Et que le gascon y arrive si le français n'y peut aller"

De Montaigne à Cees Nooteboom : Les raisons de mes voyages

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Je pars en Espagne : Madrid, Galice, Asturies.. Et voilà que je me projette déjà dans l'avenir, que j'imagine avec une hâte impatience mes retrouvailles avec Madrid et la découverte de régions nouvelles. Comment expliquer que le voyager soit un tel besoin?
Comme toujours, dans toutes circonstances de ma vie, je feuillette Les Essais et c'est bien sûr là qu'est la réponse :
Dans le chapitre IX  du livre III, Montaigne explique, à propos du voyage, qu'il cherche à fuir le gouvernement de sa maison qui est un plaisir trop uniforme et languissant ainsi que les pensements fâcheux concernant le monde qui l'entoure. Mais lorsqu'on lui demande pourquoi il voyage, il a cette réponse lucide :
Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent la raison de mes voyages, que je sais bien ce que je fuis, mais non pas ce que je cherche.
Pourtant malgré cette réponse, il trouve de nombreuses raison de voyager :
Si on me dit que parmi les étrangers, il peut y avoir aussi peu de santé, et que leurs moeurs ne valent pas mieux que les nôtres, je réponds, premièrement qu'il est malaisé "tant le crime s'est multiplié parmi nous!" (Virgile) et secondement, que c'est toujours gain de changer un mauvais état à un état incertain, et que les maux d'autrui ne nous doivent point poindre comme les nôtres.
J'estime tous les hommes mes compatriotes, et embrasse un Polonais comme un Français, postposant cette liaison nationale à l'universelle et commune.
Outre ces raisons, le voyager me semble être un exercice profitable. L'âme y a une continuelle exercitation à remarquer des choses inconnues et nouvelles. Et je ne sache point meilleure école à façonner la vie que de lui proposer incessamment la diversité de tant d'autres vies, fantaisies et usances et lui faire goûter une si perpétuelle variété de formes de notre nature.
Quant à sa manière de voyager :
Nulle saison m'est ennemie, que le chaud âpre d'un soleil poignant... J'aime les pluies et les crottes comme les canes.
S'il fait laid à droite, je prends à gauche; si je me trouve mal propre à monter à cheval, je m'arrête... Ai-je laissé quelque chose à voir derrière moi, j'y retourne; c'est toujours mon chemin. Je ne trace aucune ligne certaine, ni droite, ni courbe,
... je pérégine très saoul de nos façons, non pour chercher des Gascons en Sicile, j'en ai assez laissé au logis; je cherche des grecs plutôt ou des persans; j'accointe ceux-là, je les considère; c'est là où je me prête et je m'emploie. Et qui plus est, il me semble que je n'ai rencontré guère de manières qui ne vaillent les nôtres.
Cependant, si je consulte Montaigne avant de partir, c'est avec Cees Nooteboom que je voyagerai cette fois-ci, en Espagne, dans les régions que je vais découvrir : Le labyrinthe du pèlerin ou Mes chemins de Compostelle
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Je rencontre chez l'auteur néerlandais des désirs d'Espagne qui font écho à ceux de Montaigne :
Alors, je ne suis plus là, d’autres lois régissent ma vie : le voyage, la sensation grisante de dépaysement, le besoin de collectionner ce qui est autre.
Ou encore la même façon d'éviter la ligne droite, de retourner sur ses pas, de se fier au hasard. Pour Cees Nooteboom, en effet, les chemins se divisent comme les fils d'une corde...
Mes flèches ne peuvent voler en ligne droite, toujours s'interpose quelque chose qui m'écarte de l'itinéraire prévu, lequel apparaîtra plus tard comme un seul long voyage, le détour comme parcours".
... et forment un labyrinthe!
Mon voyage est devenu un détour fait d'une d’une multiplicité de détours dont je trouve toujours le moyen de m'écarter.
Pourtant que de différences entre le Gascon si "expert" en "véritable amitié" et le Néerlandais austère et solitaire !
Si Montaigne au cours de ses périgrinations ne souhaitent pas s'encombrer d'une compagnie importune, ennuyeuse, il n'est jamais aussi heureux que de rencontrer un honnête Homme, d'entendement ferme, et de moeurs conformes aux vôtres,qui aime à vous suivre.
Nul plaisir n'a saveur pour moi sans communication; Il ne me vient pas seulement une gaillarde pensée à l'âme, qu'il ne me fâche de l'avoir produite seul, et n'ayant à qui l'offrir.
Très loin donc du désir de Cees Nooteboom à la recherche du silence, du vide, du temps suspendu, d'une Espagne qui ne se laisse pas facilement approcher :
L’Espagne, surtout dans ces régions, demande que l’on se donne du mal. Il faut la conquérir, parcourir de longues distances. Le caractère espagnol a quelque chose de monacal, même leurs grands rois sont un peu des anachorètes : Philippe II et Charles Quint firent construire des couvents pour eux-mêmes et vécurent très longtemps le dos tourné au monde qu’ils devaient gouverner.
Cees Nooteboom mène donc une quête spirituelle sans Dieu, à la recherche de lui-même :
Non pas en pèlerinage vers l’apôtre, comme le firent les autres, mais plutôt pour retrouver l’ombre de ce que je fus, pour revenir sur les traces d’un voyage passé. En quête de quoi ? L’une des rares constantes de ma vie, c’est mon amour – il n’existe pas d’autre mot – pour l’Espagne. Femmes et amis ont disparu de mon existence, mais un pays ne s’en va pas.
Je parcours ce pays depuis trente ans et je ne vois jamais la fin du voyage .

Quoi de neuf Montaigne?


Je lis dans Le Monde du 28 Février 2009 un article sur Montaigne  de Vincent Roy annonçant la traduction des Essais de Montaigne en français moderne*

Lecteur neuf, ce livre de bonne foi est pour toi : voilà Montaigne adapté, "traduit" en français moderne ! Tu t'y trouveras de plain-pied avec le caracolant auteur des Essais. Finis, comme l'écrivait Marc Fumaroli ("Le Monde des Livres" du 15 juin 2007), "l'orthographe escogriffe" et les "Himalayas de notes" des éditions savantes, dont on ne déniera sûrement pas l'intérêt scientifique. Mais il y a du profit au change. (...)

"Quoi de neuf ? Montaigne. Voilà le message secret du philologue, dialectologue et médiéviste André Lanly, disparu en 2007, qui, pendant quinze ans, adapta en français moderne et non en français modernisé, Les Essais. Lanly, et c'est le tour de force, n'a pas touché à la structure de la phrase de Montaigne. Il a restauré des mots, non parce qu'ils manquaient, mais parce que leur couleur n'était plus visible pour l'oeil d'aujourd'hui, parce que leur intensité n'était plus perceptible. Alors il s'est attaché à leur donner un éclat nouveau ; il a restitué leur radiation, leur rayonnement.
*Adaptation d'André Lanly, Gallimard, "Quarto", 1 354 p., 29,50 €.
Je vous invite à lire l'article complet de Vincent Roy : Quoi de neuf?

Montaigne : De la conscience




Dans le chapitre V du livre II intitulé : De La conscience le propos de Michel de Montaigne est clair : il analyse le rôle de la conscience morale qui nous fait souffrir quand nous nous sentons coupable :
La méchanceté fabrique des tourments contre soi : comme la mouche guêpe pique et offense autrui, mais plus soi-même, car elle y perd son aiguillon et sa force pour jamais..
conscience qui, au contraire, nous donne assurance et confiance quand nous nous sentons innocent :
Et je puis dire avoir marché en plusieurs hasards d'un pas bien plus ferme, en considération de la secrète science que j'avais de ma volonté et innocence de mes desseins.
Cette considération l'amène à peser la question de la légitimité de la torture (les géhennes) en usage à cette époque pour déterminer l'innocence ou la culpabilité d'une personne, pratique qui est fondée sur l'idée que l'innocent qui a sa conscience pour lui est plus fort pour résister à la souffrance que celui qui se sent coupable!
Pour dire vrai, c'est un moyen plein d'incertitude et de danger. Que ne dirait-on, que ne ferait-on pour fuir à de si grièves douleurs  conclut Montaigne.
Et il ajoute cette phrase  qui a presque une résonnance à la Voltaire :
Car il advient que celui que le juge a géhenné pour ne le faire mourir innocent, il le fasse mourir innocent et géhenné.
Pourtant au-delà de ces considérations philosophiques,  le récit qui ouvre ce chapitre retient particulièrement mon attention :
Voyageant un jour, mon frère sieur de la Brousse et moi, durant nos guerres civiles, nous rencontrâmes un  honnête gentilhomme et de bonne façon. Il était du parti contraire au nôtre, mais je n'en savais rien, car il contrefaisait autre. Et le pis de ces guerres, c'est que les cartes sont si mêlées, votre ennemi n'étant distingué d'avec vous de aucune marque apparente, ni de langage, ni de port, ni de façon, nourri en mêmes lois, moeurs et même foyer, qu'il est malaisé d'y éviter confusion et désordre. Cela me faisait craindre à moi-même de rencontrer nos troupes en lieu où je ne fusse connu, pour n'être en peine de dire mon nom, et de pis à l'adventure, comme il m'était autrefois advenu ; car en un tel mécompte je perdis et hommes et chevaux, et m'y tua lon misérablement entre autres un page, gentilhomme italien, que je nourrissais soigneusement; et fut éteinte en lui une très belle enfance et pleine de grande espérance. Mais, cettui-ci* en avait une frayeur si éperdue, et je le voyais si mort à chaque rencontre d'hommes à cheval et passages de villes qui tenaient pour le roi, que je devinai enfin que c'étaient alarmes que sa conscience lui donnait. Il semblait à ce pauvre homme qu'au travers de son masque et des croix de sa casaque on irait lire juques dans son coeur ses secrètes intentions  tant est si merveilleux l'effort de la conscience. Elle nous fait trahir, accuser et combattre nous-même, et, à faute de témoin étranger, elle nous produit contre nous "nous servant elle-même de bourreau et nous frappant d'un fouet invisible".**
J'aime ces récits pleins de vie qui interviennent très souvent dans les Essais pour illustrer une idée philosophique et qui nous font pénétrer de plein pied dans l'Histoire de ce  XVIème siècle, qui nous font vivre comme si nous y étions l'époque terrible de ces guerres de religion, guerres civiles où rien ne distingue l'ami de l'ennemi, miroir qui nous renvoie l'image de notre monde actuel déchiré par les mêmes haines, les mêmes fanastismes.
Pour comprendre ce récit il faut se souvenir qu'il n'y eut pas moins de huit guerres de religion en France dans la seconde moitié du XVIème siècle opposant protestants et catholiques. Les idées nouvelles de la Réforme surgissent dès les années 1520  et sont suivies de persécution. Les querelles religieuses se doublent d'un conflit politique, certaines grandes familles de la noblesse - le prince de Condé, l'amiral de Coligny- épousant la cause de la Réforme pour lutter contre le pouvoir royal.
La première guerre de religion débute en 1562 et finit avec le siège de Rouen en 1563.  La deuxième a lieu de 1567 à 1568, la troisième de 1568 à 1570, la quatrième guerre, de 1572 à 1573...
Montaigne s'est retiré dans sa librairie en 1571, période de réflexion et de travail qui durera  jusqu'en 1580 date à laquelle aura lieu la première publication des Essais. Mais de 1572 à 1574 il rejoint l'armée du duc de Montpensier qui l'envoie en mission auprès du parlement de Bordeaux.
Il semble que Montaigne ait rédigé l'essentiel du premier livre et les six premiers chapitres du livre II des Essais (dont celui de la Conscience) de 1572 à 1574. Tout porte à croire, donc, que les deux évènements dont parle l'auteur dans ce passage aient eu lieu entre la première ou deuxième guerre pour la mort du page et  la troisième pour la rencontre avec la protestant? La quatrième guerre est trop récente pour justifier les termes : Voyageant un jour... Mais je ne suis pas historienne et je ne puis l'affirmer!
Ce qui me plaît surtout ce sont les questions que je me pose à propos du texte et qui ne recevront jamais de réponse.
Nous voyons une action qui se déroule devant nous mais qui s'arrête car le propos de Montaigne n'est pas de nous raconter sa vie mais de réfléchir à partir de l'anecdote qu'il nous rapporte. Pourtant, l'histoire a eu une suite, une fin, une sorte de hors champ temporel qui lui donne une autre dimension, un prolongement muet.
Il y a tout qui n'est pas dit dans le texte, frustration à laquelle notre imagination va suppléer de sorte que ce texte pourrait devenir le sujet d'un roman ou d'une enquête : Que faisait ce gentilhomme protestant en pays catholique? Qui était-il? D'où venait-il? Qui essayait-il de rejoindre? Comment a-t-il eu l'idée de se joindre à la suite de Montaigne? Est-ce qu'il a été protégé jusqu'au bout? Montaigne l'a- t-il dénoncé? Comment a réagi le frère de Montaigne? Son entourage? Comment s'en est-il sorti?
Et il y a aussi ce que cela révèle du caractère de l'auteur : Michel de Montaigne est, en effet, catholique, fidèle à son roi, il a été courtisan, a prêté  le serment en 1562- sans y avoir obligation- d'adhérer au formulaire catholique présenté par la Sorbonne.  Catholique donc! et il entend le rester moins par conviction que par refus de la nouveauté; il est plus facile de rester dans le parti où l'on est né, dit-il, que d'en changer! Conservatisme, diront les uns. Moi, j'y vois surtout le refus du fanatisme.
Et ce récit en est la preuve! Car le voici découvrant dans cet homme qui voyage avec lui, un protestant! Nous sommes  en plein milieu de guerres fratricides qui ont entraîné massacres et violences.  Il serait normal que la haine attise la haine. Pourtant ce que Montaigne éprouve envers cet homme, c'est de la pitié et même de l'empathie : Il semblait à ce pauvre homme... Ce qu'il éprouve c'est de l'incompréhension, de la tristesse, face à l'absurdité de la guerre qui doit nous amener à haïr notre voisin sous prétexte qu'il est du parti contraire au nôtre et ceci même si on le tient pour un  honnête gentilhomme et de bonne façon.
Ce qu'il tire de cette histoire c'est une leçon de philosopohie qui l'amène à cette prise de position courageuse contre la torture et à la critique de la justice qu'il est le seul à avoir osé présenter lors d'une visite royale.
Je me donne alors le plaisir d'avoir au moins une réponse à une de mes questions : Non! Montaigne n'a pas livré ce gentilhomme protestant aux soldats du roi!
* cettui-ci : le gentilhomme protestant ; **Juvénal

Montaigne : la guerre pour témoignage de notre imbécillité



Les hommes et les animaux ont beaucoup en commun.  C'est ce que constate Michel de Montaigne dans L'Apologie de Raymond de Sebond ... Mais les animaux sont-ils inférieurs ou supérieurs aux hommes?
 Tout d'abord, si l'homme veut se prévaloir de son intelligence, il doit savoir que celle-ci n'est pas moindre chez les animaux :

"En la manière de vivre des thons, on y remarque une singulière science  des trois parties de  la Mathémathique.(...) Quant à la Géométrie et l'Arithmétique, ils font toujours leur bande de figure cubique,  carrée en tout sens, et en dressent un corps de bataillon solide, clos et environné tout à l'entour, à six faces toutes égales.."

D'autres arguments font pencher la balance en faveur de l'infériorité de l'homme  mais il sont parfois un peu surprenants :

La beauté :
"Celles (les bêtes) qui nous retirent* le plus, ce sont les plus laides et les plus abjectes de toute la bande : car, pour l'apparence extérieure et forme du visage, ce sont les magots et le singe (...) Pour le dedans et parties vitales, c'est le pourceau. Certes, quand j'imagine l'homme tout nu (Ouï en ce sexe qui semble avoir plus de part pour la beauté), ses tares, sa sujétion naturelle et ses imperfections, je trouve que nous avons eu plus de raison que nul autre animal de nous couvrir. Nous avons été excusables d'emprunter ceux que  nature avait favorisés en cela plus qu'à nous, pour nous parer de leur beauté et nous cacher sous leur dépouille, laine, plume, poil, soie."

* retirer = ressembler  *Ouï  en ce sexe... = à l'exception de ce sexe (féminin)

La génération : l'action d'engendrer
"La génération est la principale des actions naturelles :  Nous avons quelque disposition des membres qui nous est plus propre à cela; toutefois ils (les médecins) nous ordonnent de nous ranger à l'assiette et disposition brutale*, comme plus  effectuelle*. Et rejettent comme nuisibles ces mouvements indiscrets et insolents que les femmes y ont mêlé de leur cru, le ramenant  à l'exemple et usages des bêtes  de leur sexe, plus modeste et plus rassis : "Car la femme s'empêche de concevoir si, lascive, elle stimule l'amour de l'homme par ses déhanchements et fait jaillir de son corps disloqué les flots de sa liqueur; elle écarte ainsi le soc de la ligne droite du sillon et détourne de son but le jet de la semence" * 
* disposition brutale =  la manière de s'accoupler des bêtes           *effectuelle = efficace     * citation de Lucrèce 
Mais  c'est l'argument suivant, prouvant définitivement la sottise de l'homme, qui me paraît le plus  convaincant. Jugez plutôt!

La guerre :
"Quant à la guerre, qui est la plus grande et pompeuse des actions humaines, je saurais volontiers si nous  nous en voulons servir pour argument de quelque prérogative, ou, à rebours, pour témoignage de notre imbécillité et imperfection; comme de vrai la science de nous entredéfaire et entre-tuer, de ruiner et perdre notre propre espèce, il semble qu'elle n'a pas beaucoup de quoi se faire désirer aux bêtes qui ne l'ont pas."

Finalement la balance ne penche pas en faveur des hommes...
.. nous avons pour notre part l'inconstance, l'irrésolution, l'incertitude,  le deuil, la superstition, la sollicitude des choses à venir*, voire, après notre vie,  l'ambition, l'avarice; la jalousie, les appétits déréglés, forcenés et indomptables, la guerre, le mensonge, la déloyauté, la détraction et la curiosité. Certes, nous avons étrangement surpayé ce beau discours* de quoi nous nous glorifions, et cette capacité de juger et de connaître, si nous l'avons achetée au prix de ce nombre infini de passions auxquelles nous sommes incessamment en prise.
* la sollicitude des choses à venir = la crainte de l'avenir    *ce beau discours = la raison

Montaigne : chacun appelle barbarie


Ce qu'il y a de passionnant chez Michel de Montaigne, c'est que ses Essais vont toujours retentissant de tout ce qui se passe autour de lui, non seulement dans le royaume de France, mais aussi loin qu'il puisse aller à son époque dans l'espace terrestre, dans ce monde que l'on dit Nouveau, livré à la concupiscence et la cruauté de ses Conquérants. Or ces interrogations sur les peuples de ces contrées lointaines, pour qui il éprouve curiosité et bienveillance, sont autant d'occasions pour lui de mettre en lumière les barbaries et les atrocités de son propre pays. N'oublions pas que le massacre de la Saint Barthélémy vient d'avoir lieu (1572), que les guerres de religion font rage, que le génocide des  premières nations américaines a commencé, que l'obscurantisme religieux et l'intolérance règnent autour de lui... Comme dans un jeu de miroirs, sa pensée se réfléchit dans l'Espace au-dessus de l'océan, du Monde Nouveau à l'Ancien, mais aussi à l'infini, et cette fois-ci dans le temps, de son époque à la nôtre... comme si la voix de Montaigne n'avait jamais cessé de résonner.
Or je trouve, pour en revenir à mon propos qu'il n'y a rien de barbare et de sauvage en ce peuple, à ce qu'on m'en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas conforme à son usage; à vrai dire, il semble que nous n'ayons d'autre critère de la vérité et de la raison que l'exemple et l'idée des opinions et des usages du pays où nous sommes.
Montaigne cherche à comprendre ces peuples à travers leurs représentants qui ont été été amenés en France, "ignorant  combien coûtera un jour à leur repos et leur bonheur la connaissance des corruptions de notre monde..". Et ce faisant, il nous montre la relativité des moeurs et des coutumes pour mieux nous inciter à la Tolérance. On verra comment la critique s'adresse à son temps et par certains aspects au nôtre. Voici un exemple parmi tant d'autres :
Le roi (Charles IX) leur parla longtemps; on leur fit voir notre façon d'être, notre pompe, l'aspect d'une belle ville. Après cela quelqu'un demanda leur avis à tout cela et voulut savoir d'eux ce qu'ils avaient trouvé de plus surprenant; ils répondirent trois choses, dont j'ai oublié la troisième, et je le regrette bien; mais j'ai encore deux en mémoire. Ils dirent qu'ils trouvaient en premier lieu étrange que tant d'hommes grands, portant la barbe, forts et armés, qui étaient autour du roi (il est vraisemblable qu'ils parlaient des Suisses de la garde) acceptent d'obéir à un enfant, et qu'on ne choisisse pas plus tôt l'un d'entre eux pour commander; secondement (ils ont une façon de parler telle qu'ils nomment les hommes "moitié" les uns des autres) qu'ils avaient remarqué qu'il y avait parmi nous des hommes pleins et gorgés de toutes sortes de privilèges, et que leurs moitiés mendiaient à leurs portes, décharnés de faim et de pauvreté; et ils trouvaient étrange la façon dont ces moitiés nécessiteuses pouvaient supporter une telle injustice, sans prendre les autres à la gorge ou mettre le feu à leurs maisons.
Pas si bêtes, ces "sauvages"! C'est ce que nous dit Montaigne qui termine son essai par cette pointe aussi ironique que  brillante :
Tout cela ne va pas trop mal: mais quoi, ils ne portent point de hauts-de-chausses!

Essai des Cannibales Livre 1 chapitre 31

Montaigne : J’accuse toute violence..




"J'accuse toute violence en l'éducation d'une âme tendre, qu'on dresse pour l'honneur et pour la liberté."*
Telle est la conception que Montaigne se fait de l'éducation. Elle doit s'adresser à l'âme de l'enfant, pas seulement à son esprit ou à sa mémoire, et ceci quand il est tout jeune c'est à dire à l'âge tendre. Montaigne joue sur la polysémie du mot tendre qui évoque aussi une matière malléable, qui n'a pas encore pris sa forme, une cire prête à subir une empreinte définitive ou encore une argile que l'on façonnera à son gré. De là, la fragilité de l'enfance car si cette âme peut-être modelée pour le  bien, elle peut l'être aussi pour le mal. "Dresser" n'a pas ici un sens péjoratif  et ne renvoie pas à l'idée de "dressage" d'un animal, par la contrainte, sans appel à l'intelligence et la réflexion. Au contraire, il fait référence à l'étymologie latine directus : droit  que l'on peut retrouver dans droiture ou le droit chemin. Il s'agit d'amener  le jeune  enfant à respecter l'honneur et la liberté, à le rendre "droit". Le mot violence encore renforcé par le verbe "j'accuse" et l'adjectif indéfini "toute" est donc mis en antithèse avec les  deux termes "honneur et liberté" présentés comme le but de l'éducation.  L'une ne peut conduire aux deux autres. Le mot éducation retrouve son sens premier : éduquer,  "conduire",  amener en douceur vers l'honneur et la liberté, valeurs humanistes dont le sens est toujours d'actualité...
 "Il y a je ne sais quoi de servile en la rigueur et la contrainte, et tiens que ce qui peut se faire par la raison, et par prudence et adresse, ne se fait jamais par la force."*
Bien sûr, il s'agit d'un idéal chevaleresque, celui d'un noble hobereau qui entend transmettre ses valeurs aux enfants de son lignage et il ne saurait concerner le peuple à l'époque de Montaigne. Il faudra bien des siècles pour que cette maxime fasse force de loi et que les châtiments corporels soient interdits dans les familles comme à l'école, tout au moins dans notre pays...
Comment Montaigne s'est-il comporté avec ses propres enfants?  Ne serait-il comme Jean- Jacques Rousseau qui écrit  un fort beau traité d'éducation, L'Emile, et met ses propres enfants à l'assistance publique?
Au XVIème siècle, les nobles envoyaient leurs enfants en nourrrice jusqu'à l'âge de raison, c'est à dire sept ans. Montaigne considérait effectivement que "les enfants à peine encore nés, n'ayant ni mouvement en âme,ni forme reconnaissable au corps, par où ils se puissent rendre aimables" étaient peu intéressants. Pour lui, s'amuser comme on le fait "aux jeux et niaiseries de nos enfants" quand ils sont en bas âge, c'est les aimer "pour notre passe-temps, comme des guenons, non comme des hommes". Cette conception de l'enfance était  souvent encore celle de la société jusqu'au XIXème siècle.
Michel de Montaigne eut quatre filles mortes en nourrice. Seule Léonor, née 1571, survécut.
"... mais une seule fille qui eschappée à cette infortune a atteint six ans et plus, sans qu'on ait employé à sa conduite et pour le châtiment de ses fautes puériles, l'indulgence de sa mère s'y appliquant aisément, autre chose que paroles, et bien douces."
Montaigne, lui-même fut élevé par un père tendre et bon qui a cherché dit-il à "élever mon âme en toute douceur et liberté, sans rigueur et sans contrainte."** C'est de cette manière qu'il a appris le latin et le grec et qu'il était réveillé en musique, le matin, par des parents soucieux de ne pas le troubler en l'arrachant brusquement au sommeil. Vision du petit garçon, Montaigne, ouvrant les yeux au son de l'épinette ou la viole de gambe ...
* Montaigne dans le chapitre VIII Livre II De l'Affection des pères aux enfants.
** Chap XXVI Livre I De l'institution des enfants

Montaigne : Notre monde vient d’en trouver un autre…

 Michel de Montaigne


"Notre monde vient d'en trouver un autre..." écrit Montaigne dans son essai intitulé Des coches.
La simplicité, la pureté de l'énoncé ainsi que le passé proche "vient de trouver" nous frappent comme s'il s'agissait d'une nouvelle apprise la veille que cet homme du XVIème siècle nous  transmettait dans la première surprise de la découverte.
J'ai toujours été touchée par la beauté de ces quelques mots détachés d'une longue phrase. Ils résonnent comme un vers  de dix syllabes:
Notre monde vient d'en trouver un autre...
Et ce vers présente une belle symétrie: Notre monde en balance avec un autrecomme posés sur deux plateaux mais pourtant en déséquilibre. L'un pèse plus lourd, 3 syllabes prolongé par le e muet de monde, l'autre plus léger, 2 syllabes avec l'écho menu du e muet de l'autr(e), écho plein de promesses. L'un est appuyé par l'adjectif possessif "notre" qui lui donne le poids des choses connues et anciennes, l'autre est introduit par un article indéfini "un" car il est inconnu, nouveau.. et c'est peut-être pour cela qu'il exerce un tel attrait. Il évoque de grands espaces, il fait naître des images de paysages vierges, de peuples vivant dans la nature. Il donne un élan, un espoir.
Un espoir vite mis à mal. "C'était un monde enfant" dit Montaigne et ce passé sonne comme le glas du Nouveau Monde.
"Nous nous sommes servis de leur ignorance et de leur inexpérience pour les plier plus facilement vers la trahison, la luxure, l'avarice et vers toute sorte d'inhumanité et de cruauté, à l'exemple et sur le patron de nos moeurs. Qui fit jamais payer un tel prix pour les profits du commerce et du trafic? Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples passés au fil de l'épée, et la plus riche et la plus belle partie du monde bouleversée pour la négociation des perles et du poivre! brutales victoires."
Il me paraît toujours étonnant d'entendre, par delà les siècles, cette prise de position de Montaigne si véhémente et passionnée contre le colonialisme et l'exploitation des peuples par d'autres et de penser que cette belle voix n'a jamais et ne sera jamais écoutée.

Le marchand de Venise : Thèmes et citations (3)

William Shakespeare

Le Marchand de Venise, comme beaucoup de pièces de Shakespeare, offre de nombreuses pensées formulées avec brio sur des thèmes chers à l'auteur. Certaines phrases passées dans le langage courant sont devenues proverbes et l'on s'étonne parfois, à l'occasion d'une relecture, de les redécouvrir dans l'oeuvre du dramaturge. Elles sont tellement nôtres que l'on avait oublié - tout simplement- de les attribuer à Shakespeare!

Sur le thème de l'Apparence trompeuse :

Cette phrase, réponse à Maroc, le roi qui a choisi le coffret d'or :
Tout ce qui brille n'est pas or : All that glisters is not gold (II;7)
Beau sépulcre a vers pour trésor : Gilded tombs do worms infold (II;7)

Aragon refuse le coffret d'or :
Oh! si les fonctions, les rangs, les charges
nétaient obtenus par corruption  et que l'honneur clair
Fut acquis au mérite du porteur,
Combien alors seraient couverts qui sont nu-tête!
Combien seraient commandés qui commandent!  (II;9)

Bassanio (III;2)
Ainsi peuvent les apparences n'être rien -
Le monde est toujours égaré par l'ornement : The worl is still deceived by ornement
Il n'est pas si total vice qu'il ne porte quelque empreinte de la vertu sur son extérieur.(III;2)

Sur le thème du monde comme un théâtre

Antonio (I,1)Le Monde n'est pour moi, Gratiano, que le monde- un théâtre où chacun a son rôle à tenir, le Mien en est un triste :
I hold the world but as the world, Gratiano - A stage, every man must play a part,
And mine a sad one.

Sur le thème du bonheur

Nerissa à Portia :  (I;2 )
On souffre autant d'indigestion  avec trop que de famine avec rien.  I see, they are as sick that surfeit with too much as they starve with nothing

Ce n'est donc pas un bonheur moyen qu'une condition moyenne, car le superflu a vite les cheveux blanchis et  la simple aisance vit plus longtemps.

Sur la difficulté de suivre un  sage conseil

Portia :( I;2)
S'il était aussi facile de faire que de savoir ce qu'il faut faire, les chapelles seraient des églises et les chaumières des palais.

C'est un bon  prêtre que celui qui observe ses sermons. It's a good divine that follows his own instructions.

Sur l'amour
Bassanio à Portia
Belle dame, avec votre bon vouloir,
Je viens, cet ordre en main, offrir et recevoir.( III.2)

Sur la clémence
La vertu de la la clémence est de n'être forcée
Et le pouvoir terrestre est plus semblable à Dieu
Quand la clémence adoucit la justice.

Sur la force du Bien sur le Mal
Cette lumière qu'on voit brûle dans ma salle.
Que ce petit flambeau lance loin ses rayons
ainsi luit un bon acte en un monde méchant (V; 1)
Haw far that little candle throws his beams!
So shine o good deed in a naughty world. (V; 1)



Challenge initié par Maggie et claudialucia

Shakespeare : Le marchand de Venise ou l'antisémitisme? (2)



Edmund Kean interprète de Shylock (vers 1800)

Bien sûr, lire Le Marchand de Venise à Venise s'imposait pour moi! Pourtant, en le lisant, ce n'est pas dans cette ville que je me suis retrouvée mais en Angleterre sous le règne d'Elizabeth avec comme principale question : quels sont les rapports de la société anglaise avec les juifs au siècle de Shakespeare? Car, ce qui frappe d'abord dans cette pièce, c'est la figure du Juif, Shylock, usurier, avare, fourbe et cruel. Reflet de la haine du juif liée à son époque? Fanatisme religieux hérité du Moyen-âge d'où l'impression de malaise que j'ai ressentie en lisant la pièce?
Comme toujours dans l'oeuvre de Shakespeare la réponse n'est pas aussi simple et la complexité des personnages fait que, face à Shylock, le juif, les chrétiens ne s'en tirent pas à si bon compte!

L'intrigue :

Bassanio, gentilhomme vénitien, léger et insouciant, a dilapidé sa fortune. Ruiné par une vie de plaisirs, accablé de dettes, il  demande à Antonio,  son ami,  riche marchand vénitien, de lui prêter une somme d’argent importante afin de séduire une riche héritière, Portia. Celle-ci a reçu l’ordre de son père défunt de n'accepter pour époux que celui qui saura choisir, entre trois coffres -  d’or, d’argent et de plomb- celui qui contient le portrait de la jeune fille. Antonio, atteint d'une grave mélancolie, veut obliger son ami dont l'amitié est le seul sentiment qui le maintient en vie. Mais  toute sa fortune est engagée sur plusieurs navires en mer, aussi il se rend chez le Juif Shylock pour emprunter trois mille ducats contre intérêt. Shylock qui  hait  Antonio, ce dernier ne cessant d'insulter les Juifs parce qu'ils prêtent avec usure, voit l’occasion de se venger d'Antonio. Il lui propose de signer un billet qui stipule que si Antonio ne peut rendre l’argent prêté dans un laps de temps de trois mois, Shylock pourra se dédommager en nature en prélevant une livre de chair sur le corps d'Antonio. A la date du remboursement, les navires du marchand ne sont pas revenus, perdus vraisemblablement dans des  naufrages, et Shylock réclame son dû. Il faudra toute l'habileté de Portia et de sa suivante Nerissa pour sauver Antonio des griffes de Shylock au cours d'un procès où les deux jeunes femmes mènent le jeu. Notons que parallèlement au couple Portia-Bassanio, se forment deux autres couples déclinant les jeux de l'amour, celui de Nerissa-Gratiano (ami de Bassanio) et celui Jessica, la fille de Shylock, qui se convertit au christianisme pour épouser Lorenzo.

Les lieux :

Venise : la première rencontre se déroule sur un quai à Venise, un autre dans une rue devant la maison de Shylock, donc dans le ghetto. La ville est évoquée par le biais de son économie essentiellement basée sur le commerce maritime. Antonio est un riche marchand qui  possède plusieurs navires; par sa cour de justice où siège le duc de Venise qui représente le pouvoir et la loi. Venise apparaît comme la ville de la fête, du déguisement, de la mascarade.
Belmont est le domaine de Portia. C'est un palais magique  à l'écart de la haine et du bruit du moins en apparence car les personnages peuvent passer d'un lieu à l'autre. Le Merveilleux intervient dans ce monde du conte de fées où les princes viennent, selon leur mérite, gagner ou perdre leur princesse en choisissant le bon coffret. En quittant Venise pour Belmont, les personnages acceptent de vivre dans l'harmonie : douceur de la nature, musique "des âmes immortelles", amour et fidélité.



Al Pacino dans le rôle de Shylock

Le juif et le chrétien

Shylock, usurier, avare, a une vénération pour l'argent. Il vit dans l'indigence, affame ses serviteurs. Il est dur envers sa propre fille dont il déplore la perte lorsqu'elle s'enfuit avec Lorenzo mais plus encore celle des diamants et de l'argent qu'elle a emportés avec elle. Jusqu'ici nous avons le portrait de l'avare classique qui ressemble comme un frère à l'Harpagon de Molière déplorant le vol de sa cassette comme s'il s'agissait d'une amante mais avec une différence : Shylock est juif, Harpagon ne l'est pas. Et cette différence est de taille puisqu'elle pose la question de l'antisémitisme de Shakespeare.



David Warfield dans Shylock (Vers 1900)

Et certes à la première lecture on ne peut que répondre que cet antisémitisme existe. La pièce s'adresse manifestement à un public imprégné des croyances héritées du Moyen-âge et marquées par la haine du juif. En effet, Shylock, en tant que juif,  est un créancier sanguinaire  (III; 3) qui refuse le quadruple de la somme qu'on lui offre pour racheter Antonio. Il est incapable d'accorder son pardon et Antonio pour montrer qu'il est vain de vouloir faire appel à la bonté de Shylock s'écrie :
Songez que vous parlez à un juif
Vous pouvez aussi bien vous postez sur la plage
et dire à la marée de changer de niveau.." (IV ;1
)
De plus, Shylock est un mauvais père qui va jusqu'à souhaiter la mort de sa  fille :
Je voudrais que ma fille soit morte à mes pieds avec les joyaux aux oreilles. Que n'est-elle ensevelie à mes pieds et avec les ducats dans son cercueil..
Nul doute, donc, que le spectateur élizabéthain se réjouissait de voir Shylock puni, Antonio sauvé, Jessica convertie et les amoureux triompher. Pourtant, nous dit Shakespeare, la haine n'est pas unilatérale:
je le hais de ce qu'il est chrétien (I;3)  déclare Shylock à propos d'Antonio et lorsque Bassanio l'invite à dîner, il rétorque :
 oui, pour renifler du porc..  je veux acheter avec vous, vendre avec vous, parler avec vous, marcher avec vous et ainsi de suite : mais je ne veux pas manger avec vous, boire avec vous, ni prier avec vous (I;3)
Preuve que cette fracture entre les deux religions était réciproque et les deux communautés, irréconciliables. D'autre part, Shakespeare  n'oppose pas le juif au chrétien dans un manichéisme sans faille. Au contraire! Le personnage de Shylock est complexe et Skakespeare s'est bien gardé d'en faire une caricature. C'est un être humain avec ses bassesses, ses faiblesses mais aussi ses blessures, sa recherche d'une dignité qu'on lui refuse. Notons que le "bon" Antonio qui prête sans intérêt est un homme plein de contradictions. Il méprise Shylock, l'usurier, mais dès qu'il a besoin d'argent, il s'empresse d'aller le voir et de solliciter ses services. On ne peut dire qu'il soit ferme sur  ses principes !  C'est ce qui lui fait remarquer Shylock :
Vous m'appelez mécréant et chien d'étrangleur
Et crachez sur ma casaque de juif (...)
Or, il paraît que vous avez besoin de moi
Voilà que vous venez à moi et dites :
"Shylock, il nous faut de l'argent", ainsi vous dites,
Vous qui vidiez vos crachats sur ma barbe
Et me bottiez comme on chasse un roquet intrus
Ne devrais-je pas dire
"Est-ce qu'un chien a de l'argent? Est-il possible
Au roquet de prêter trois mille ducats? (I; 3)
L'attitude d'Antonio par rapport à Shylock est d'une telle violence que l'on  peut considérer Shylock comme une victime, du moins dans cette scène. N'est-ce pas la haine d'Antonio, ses propos injurieux qui provoquent celle de Shylock. Le désir de vengeance du vieil homme humilié n'est-il pas ainsi justifié? Et ceci d'autant plus qu'Antonio, même en solliciteur, ne cesse pas d'avoir l'injure à la bouche
Je suis encor capable de te nommer ainsi
D'encor cracher sur toi (I; 3)
C'est pourquoi la fameuse tirade de Shylock où Shakespeare parle de l'humanité des juifs retentit comme un plaidoyer contre l'antisémitisme, contre la haine raciale et religieuse et pour l'égalité de tous au nom de la nature humaine. Si le spectateur moderne est ému par ces mots qui peuvent toucher aussi bien un chrétien qu'un juif, je pense (sans oser l'affirmer) que le spectateur de Shakespeare devait être amené à ressentir de même :
 Un Juif n'a-t-il pas des yeux ? Un Juif n'a-t-il pas des mains, des organes, des dimensions, des sens, de l'affection, de la passion ; nourri avec la même nourriture, blessé par les mêmes armes, exposé aux mêmes maladies, soigné de la même façon, dans la chaleur et le froid du même hiver et du même été que les Chrétiens ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ?Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez,ne mourrons-nous pas ? Et si vous nous bafouez, ne nous vengerons-nous pas ? »III 1
Ainsi dans cette haine que se vouent les deux communautés, les torts sont partagés et  même l'on peut dire que la violence est induite et dans tous les cas exacerbée par le comportement des chrétiens.
Quant aux autres personnages qui reprochent à Shylock son amour de l'argent, que font-ils? Bassanio, l'amoureux de Portia, a "délabré" sa fortune :
en montrant quelque peu plus grande allure
Que ne saurait le maintenir  mon peu de bien
Que pense-t-il faire pour payer ses dettes? Epouser une riche héritière! Le mariage conçu comme un opération financière destiné à renflouer ses finances!  Heureusement, Bassanio se révèlera capable aussi bien de donner que de recevoir et s 'il est attiré par la richesse et la grâce de la jeune fille, il admire aussi sa beauté intérieure : et mieux encor que belle, d'étonnante vertu. Jessica, quant à elle, trahit son père en s'enfuyant avec son amoureux. Mais elle n'oublie pas dans sa fuite d'emporter une fortune en bijoux et en écus que les deux amants iront dilapider au cours d'un voyage à Gênes. Seule la sincérité de leur amour permet de ne pas les juger totalement antipathiques. Il n'y a donc pas dans la pièce un seul personnage qui n'ait un rapport désintéressé à l'argent mais ce qui sauve, la plupart d'entre eux, c'est leur capacité à aimer. Finalement, c'est peut-être en cela - et non parce qu'il est juif ou qu'il aime l'argent- que Shylock mérite de perdre, semble nous dire Shakespeare, parce qu'il est incapable  d'éprouver de l'amour, incapable, au cours du procès, de se laisser fléchir, de ressentir de la pitié.
On le voit tous ces personnages ambigus ne sont ni blancs ni noirs qu'ils soient juifs ou chrétiens! Je serais donc tentée de dire que William Shakespeare n'est pas antisémite même si la société dans laquelle il vit et ses personnages le sont! Enfin, comme d'habitude dans l'oeuvre du grand dramaturge,  il n'y a pas une réponse unique mais une diversité de possibilités qui tient compte de la complexité de l'âme humaine.



Challenge Shakespeare par Maggie de 1001 classiques et Claudialucia Ma Librairie

mercredi 8 juin 2011

Shakespeare, le marchand de Venise : les trois coffrets (1)


Il est des gens qui n'embrassent que des ombres ; ceux-là n'ont que l'ombre du bonheur.  
                                                                  Le marchand de Venise
Acte II scène 9 (vers 66-67) Aragon choisit le coffret de plomb :
Some there be that shadow kiss
Such have but a shadow kiss

Soit trois  coffrets, l'un d'or, l'autre d'argent, le troisième de plomb.
Le père de Portia lui a fait promettre en mourant de n'épouser que le jeune homme qui, parmi ses prétendants, saura choisir parmi ces trois coffrets celui qui contient le portrait de la jeune fille.
Maroc, le prince noir, prend le coffret d'or : Qui me choisit aura ce que beaucoup désirent mais celui-ci contient l'image de la Mort. Tout ce qui brille n'est pas or; il ne faut pas se fier aux apparences nous dit Shakespeare.
Aragon choisit le coffret d'argent: Qui me choisit obtiendra selon son mérite . Au lieu du portrait de Portia, il découvre celui d'un sot qui lui renvoie son image. Il n'a pas eu le courage de choisir le portrait de plomb qui disait : Qui me prend doit donner, hasarder tout son bien. Il n'a pas voulu donner pour recevoir. Son choix a été guidé par la vanité et l'amour propre non par l'amour et le don de soi.  Il a préféré l'ombre à l'amour, au bonheur, à la vie.
C'est Bassanio qui en prenant le risque de tout perdre gagnera l'amour de Portia. (voir mon billet sur Le marchand de Venise)

Challenge de Maggie et de Claudialucia



Le Jeudi, c'est citation initié par Chiffonnette


Michel Quint : Les joyeuses



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En choisissant Les Joyeuses de Michel Quint chez BOB, je pensais me faire un double plaisir :  d'abord lire un livre de cet auteur dont j'ai beaucoup apprécié Effroyables jardins, à la lecture comme au théâtre (voir ici), ensuite aborder une pièce de Shakespeare  in situ, pendant le laps de temps nécessaire à son éclosion théâtrale sur les planches. Je savais, en effet, qu'il y était question d'une troupe de comédiens travaillant sur la mise en scène de : Les joyeuses commères de Windsor. Autant vous le dire tout de suite, je n'ai pas aimé ce roman qui ne manque pourtant pas d'ambition pour des raisons que je vais expliquer.
L'intrigue plein de rebondissements se déroule en Vaucluse, à Sablet, près de Gigondas, en plein coeur des vignobles. Ce détail une importance capitale puisque le vin qui coule à flots va être le Maître des divertissements orgiaques de ces nuits d'été shakespeariennes et ceci aussi bien dans la vie qu'au théâtre. En effet, Edwige, la soixantaine bien conservée, propriétaire d'un grand domaine viticole, a invité son ancien amant, Jean-Pierre Barnier, metteur en scène et acteur, à monter la pièce de Shakespeare. La troupe est composée de comédiens professionnels et l'on emploiera pour les seconds rôles les bonnes volontés locales. Simone, la fille d'Edwige, ne voit pas d'un très bon oeil cet homme dont sa mère semble toujours amoureuse et qu'elle lui présente de plus comme étant son père.
Le jeune narrateur Federico Peres, au cours de cet été enflammé va oublier le bégaiement qui l'a toujours handicapé pour faire ses premiers essais sur la scène et s'initier aux jeux de l'amour. C'est lui qui observe et décrit, en même temps que ses premiers émois, les différents personnages autour desquels plane un drame passé dont personne ne veut parler clairement. Qui est, en effet, le père de Simone? Quel est la véritable personnalité du père de Federico, David Peres? Quel chagrin secret ronge la belle Béatrice, médecin de Sablet?
Le thème du théâtre domine, bien sûr, dans le roman. Les joyeuses commères de Windsor ou Les gaillardes épouses de Windsor est une farce cocasse, assez simple, vraisemblablement une oeuvre de commande de la Reine Elizabeth, pièce que Shakespeare a un peu bâclée. Le metteur en scène inspiré par le décor du vignoble a décidé de le monter comme une farce dionysiaque, consacré aux vins, aux plaisirs de la chair, à la sensualité grossière et débordante. Lui-même, Jean-Pierre Barnier n'est-il pas un Falstaff, énorme, truculent, hommes à femmes en train de perdre son pouvoir de séduction et plus proche de la mort qu'il ne le voudrait? Les Fées deviennent donc des Bacchantes, la leçon donnée à Falstaff, une lapidation, une boucherie au sens propre : la mort de Falstaff  et celle de Barnier se répondant comme un écho. Pourquoi pas? L'idée est bonne.
Là où je ne le suis plus, c'est lorsque les personnages gagnés par la contagion finissent par se conduire dans la vie comme sur scène. Je sais bien que c'est un des grands thèmes de Shakespeare - le monde est une scène-  mais le roman n'est pas théâtre et la transposition passe mal. Les orgies paraissent sans grand intérêt et finalement on ne parvient pas à s'intéresser à ces gens, à leurs beuveries répétitives, aux coucheries de même. Du coup j'ai ressenti une impatience devant cette histoire ou la grande préoccupation semble être de se procurer des Joyeuses (les bouteilles! je vous laisse le soin de découvrir le champ sémantique du mot) et de lutiner, ou plus si affinités, sa voisine. J'ai trouvé aussi peu vraisemblable l'histoire elle-même.
D'autre part, où est passé le style de Michel Quint, celui qui assurait le succès de Effroyables jardins? Le jeune narrateur parle dans un style familier prétendument incorrect mais évidemment très travaillé. Emploi de l'adjectif  là où l'on attend un adverbe, verbes pronominaux doublement transitifs et autres recherches stylistiques qui me détournent de ma lecture! La phrase est nerveuse, incontinente et charrie un flot de mots qui se bousculent, rivalisent entre eux. Comme si, parce que l'on était dans le Midi, l'on ne pouvait parler sobrement.
Pourtant le début partait bien: Longtemps les mots ont roulé au fond de moi comme des cailloux au lit d'un torrent. Et puis, changement de ton :
Elles sont enchantées, sourient féroce, s'évaluent mutuellement les élégances, les rondeurs bandantes et l'outrage des ans, se guettent la ride véloce et la pesante graisse, et puis rien, t'es toute nue sous ton pull, jolie môme.. Et moi j'en pétille de partout, couillon de petit roi lion qui croit voir deux femelles montrer les crocs pour être sa favorite.
Certes, c'est bien écrit, c'est réussi dans le genre. Mais voilà, je n'aime pas. Pour moi, cela sonne faux, une fausse faconde méridionale, une fausse bonhomie, non pas du Marcel Pagnol mais une Pagnolade.

logotwitter2.1294593887.jpgMerci à BOB et aux éditions Gallimard

shakespeare2_p1291970470.1294594141.jpg Cet article participe aussi au challenge Shakespeare initié par Maggie et Claudialucia

Voilà comment Jean-Pierre Barnier  présente sa vision de la pièce Les Joyeuses commères de Windsor à ses acteurs dans le roman de Michel Quint :
Alors on jouera une bacchanale, une fable païenne dont les personnages sont pétris d'une terre où coule le vin! Falstaff est possédé de l'esprit de Bacchus et les ménades qu'il poursuit de son désir primitif, le bouffent à la fin dans un banquet dionysiaque! Bref résumé : Falstafff, vieux chevalier sans le sou, veut séduire deux bourgeoises  de Windsor, madame Ford et madame Page qui découragent ses avances à l'insu de leurs maris et finissent, au moment de ce que l'on traite généralement en mascarade féerique où la petite Anne Page va duper ses parents et se livrer en cachette à un coquin, par se révéler prêtresses de Dinysos et détruire complètement ce brave homme dans un dernier piège, l'humilier, le battre  le brûler dans une cérémonie au dieu de la force virile et de la boisson, alors qu'il est déguisé en bête.