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mercredi 24 avril 2013

René Depestre, poète Haïtien : Il n'y a pas de salut pour l'homme...


La poésie engagée aux XIX et XXème siècles

René Depestre est un poète et écrivain haïtien né en  1926.  Engagé dans la vie politique de son pays, il participe à la révolte populaire et au renversement du président Haïtien, Elie Lescot en 1946. Incarcéré, il doit s'exiler en France puis à Cuba. il y exerce pendant près de vingt ans d'importantes fonctions aux côtés de Fidel Castro et  Che Guevarra. Il quitte Cuba en 1970 pour s'installer en France.

Il publie son premier recueil de poésies en 1945 : Etincelles suivi de Gerbe de sang, Minerai noir, Poète à Cuba, un arc-en-ciel pour L'Occident chrétien, Au matin de la négritude.... 
 Son roman Hadriana dans tous mes rêves à recu trois prix dont le prix Renaudot en 1988. En avril 2007, il fut le lauréat du Prix Robert Ganzo de poésie pour son livre La rage de vivre édité aux éditions Seghers.

Il n'y a de salut pour l'homme

Que dans un grand éblouissement

De l'homme par l'homme je l'affirme

Moi un nègre inconnu dans la foule

Moi un brin d'herbe solitaire

Et sauvage je le crie à mon siècle

Il n'y aura de joie pour l'homme

Que dans un pur rayonnement

De l'homme par l'homme un fier

Élan de l'homme vers son destin

Qui est de briller très haut

Avec l'étoile de tous les hommes

Je le crie moi que la calomnie

Au bec de lièvre a placé

Au dernier rang des bêtes de proie

Moi vers qui toujours le mensonge

Braque ses griffes empoisonnées

Moi que la médiocrité poursuit

Nuit et jour à pas de sanglier

Moi que la haine dans les rues

Du monde montre souvent du doigt

J'avance berger de mes révoltes

J'avance à grands pas de diamant

Je serre sur mon cœur blessé

Une foi si humaine que souvent

La nuit ses cris me réveillent

Comme un nouveau-né à qui il faut

Donner du lait et des chansons

Et tendrement la nuit je berce

Mon Hélène ma foi douce ma vie tombe

En eaux de printemps sur son corps

Je berce la dignité humaine

Et lui donne le rythme des pluies

Qui tombaient dans mes nuits d'enfant

J'avance porteur d'une foi

Insulaire et barbue bêcheur

D'une foi indomptable indomptée

Non un grand poème à genoux

Sur la dalle de la douleur

Mais une petite lampe haïtienne

Qui essuie en riant ses larmes

Et d'un seul coup d'ailes s'élève

Pour être à tout jamais un homme

Jusqu'aux confins du ciel debout

Et libre dans la verte innocence

De tous les hommes!


Occident chrétien mon frère terrible

Mon signe de croix le voici :

Au nom de la révolte

Et de la justice

Et de la tendresse

Ainsi soit-il!



La Havane, décembre 1964 - juin 1965 Un arc-en-ciel pour l'Occident chrétien

lundi 22 avril 2013

Victor Hugo, Les Châtiments : Caves de Lille ...

La poésie engagée aux XIX et XX ème siècles

Victor Hugo rédigeant Histoire d'une crime (caricature)



Pour Victor Hugo Le poète est le guide, le berger :

Peuples, écoutez le poète!
Ecoutez le rêveur sacré!
Dans votre nuit sans lui complète,
 Lui seul à le front éclairé

 Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs
Il est l'homme des Utopies
Les pieds ici, les yeux ailleurs.


   La fonction du poète Les Rayons et les Ombres

Après le coup d'état de Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851, Victor Hugo part en exil.  Il publie alors Les Châtiments en 1853, un recueil de poèmes qui lui sert d'arme dans sa lutte contre le tyran qu'il appelle Napoléon le Petit. Il accuse Napoléon III d'être parjure au serment de fidélité qu'il a prêté à la République,  d'être coupable de la terrible répression qui a suivi le coup d'état et responsable  des crimes qui ont été commis en son nom,  coupable aussi d'avoir assassiné la Liberté et de maintenir le peuple dans la misère et l'oppression. Dans une lettre à son l'éditeur  en Septembre 1852 où il annonce  la rédaction des Châtiments, Victor Hugo écrit : J'ai pensé qu'il m'était impossible de publier en ce moment un volume de poésie pure. Cela ferait l'effet d'un désarmement, et je suis plus armé et plus combattant que jamais. Il ne retournera en France qu'à la chute de l'Empire en 1870. Le poète est donc bien le mage qui guide le peuple et sa parole aura, en effet, un pouvoir incontestable.

Un jour je descendis dans les caves de Lille

Je vis ce morne enfer.

Des fantômes sont là sous terre dans des chambres,

Blêmes, courbés, ployés ; le rachis tord leurs membres

Dans son poignet de fer.

Sous ces voûtes on souffre, et l’air semble un toxique

L’aveugle en tâtonnant donne à boire au phtisique

L’eau coule à longs ruisseaux ;

Presque enfant à vingt ans, déjà vieillard à trente,

Le vivant chaque jour sent la mort pénétrante

S’infiltrer dans ses os.
Jamais de feu ; la pluie inonde la lucarne ;

L’œil en ces souterrains où le malheur s’acharne

Sur vous, ô travailleurs,

Près du rouet qui tourne et du fil qu’on dévide,

Voit des larves errer dans la lueur livide

Du soupirail en pleurs.
Là frissonnent, plus bas que les égouts des rues,

Familles de la vie et du jour disparues,

Des groupes grelottants ;

Là, quand j’entrai, farouche, aux méduses pareille,

Une petite fille à figure vieille

Me dit : J’ai dix-huit ans !

Là, n’ayant pas de lit, la mère malheureuse

Met ses petits enfants dans un trou qu’elle creuse,

Tremblants comme l’oiseau ;

Hélas ! ces innocents aux regards de colombe

Trouvent en arrivant sur la terre une tombe

En place d’un berceau !
(…)


Caves de Lille ! on meurt sous vos plafonds de pierre !

J’ai vu, vu de ces yeux pleurant sous ma paupière,

Râler l’aïeul flétri,

La fille aux yeux hagards de ses cheveux vêtue,

Et l’enfant spectre au sein de la mère statue !

Ô Dante Alighieri !


C’est de ces douleurs-là que sortent vos richesses,
Princes ! 
ces dénûments nourrissent vos largesses,

Ô vainqueurs ! conquérants !

Votre budget ruisselle et suinte à larges gouttes

Des murs de ces caveaux, des pierres de ces voûtes,

Du cœur de ces mourants.





dimanche 21 avril 2013

Claude Roy, Jamais je ne pourrai ...

 La poésie engagée aux XIX et XXème siècles  

 

La muse et le poète, le Douanier Rousseau

Le XXI siècle serait-il un siècle sans poésie? Certes, il y encore des poètes de notre temps mais ils sont peu lus et ils n'ont pas une voix prépondérante dans notre société comme ils l'avaient au XIXème et au XXème siècle... mais quelle est la conception du poète dans ces  époques où  ceux-ci avaient une grande influence sur leurs contemporains et dans la vie politique et sociale?
Pendant ces deux siècles se sont opposés deux conceptions de la poésie. Ceux qui refusent d'être dans leur temps et s'enferment dans leur tour d'ivoire selon l'expression de Sainte Beuve à propos d'Alfred de Vigny.
Ainsi Théophile Gautier, partisan de l'art pour l'art, pour qui "tout ce qui est utile est laid" et pour qui "l'art doit être indépendant de la morale et de la politique" (Préface de mademoiselle de Maupin)
ou Baudelaire  :
L'émeute tempêtant vainement à ma vitre
ne fera pas lever mon front de mon pupitre 
(Paysage)
 Mallarmé 
Ce n'est pas avec des idées que l'on fait un poème mais avec des mots

Mais c'est à ceux qui se disent "engagés " dans leur temps que je vais m'intéresser. J'ai réuni dans plusieurs billets qui paraîtront cette semaine quelques poésies ou des citations qui nous disent comment les poètes eux-mêmes concevaient leur rôle dans la société et comment la poésie s'élevait alors contre l'horreur, l'injustice, l'inégalité, la privation des libertés mais comment aussi elle réclamait le droit au rêve et à l'amour.


Aujourd'hui, c'est Claude Roy qui vous dit :


Jamais je ne pourrai...
Jamais jamais je ne pourrai dormir tranquille aussi longtemps
que d'autres n'auront pas le sommeil et l'abri
ni jamais vivre de bon cœur tant qu'il faudra que d'autres
meurent qui ne savent pas pourquoi
J'ai mal au cœur mal à la terre mal au présent
Le poète n'est pas celui qui dit Je n'y suis pour personne
Le poète dit J'y suis pour tout le monde
Ne frappez pas avant d'entrer
Vous êtes déjà là
Qui vous frappe me frappe
J'en vois de toutes les couleurs
J'y suis pour tout le monde
Pour ceux qui meurent parce que les juifs il faut les tuer
pour ceux qui meurent parce que les jaunes cette race-là c'estfait pour être exterminé
pour ceux qui saignent parce que ces gens-là ça ne comprend que la trique
pour ceux qui triment parce que les pauvres c'est fait pour travailler
pour ceux qui pleurent parce que s'ils ont des yeux eh bien c'est pour pleurer
pour ceux qui meurent parce que les rouges ne sont pas de bons Français
pour ceux qui paient les pots cassés du Profit et du mépris des hommes

Mon amour ma clarté ma mouette mon long cours
Depuis dix ans je t’aime et par toi recommence
Me change et me défais et me libère
Mon amour mon pensif et mon rieur ombrage
En t’aimant j’ouvre grand les portes de la vie
Et parce que je t’aime je dis 

Il ne s’agit plus de comprendre le monde
Il faut le transformer

 Je te tiens par la main
La main de tous les hommes.


Claude Roy, Les circonstances 1970





vendredi 19 avril 2013

L'Attente : jeu, les plumes d'Asphodèle


L'Attente de Paul Delvaux


Aujourd'hui , Asphodèle dans son jeu Les plumes... nous a donné une double contrainte :

 D'une part employer les termes imposés : Départ – salle – téléphone – heure – désir – impatience – minute – frustration – déçu – enfant – pandémonium – liste – angoisse – patience* – espoir – stupeur – galop – gifle – gigantesque.

D'autre part,  rédiger le texte d'une quatrième de couverture fictive en vantant les qualités d'une oeuvre de manière à donner envie de la lire... ou pas! Pourquoi pas un recueil de poésies intitulé l'Attente?   


Quatrième de couverture : Recueil de poésies  Attente 

Chant 1

Désir, Impatience,
Frustration
Pandémonium de mon âme
Sarabande de la patience déçue
Enfant qui ajoute à sa liste
la longue litanie des minutes enfuies

Désir, impatience,
Frustration
Mènent le galop de l'angoisse dans la salve du départ
Vers l'ailleurs,
Et la stupeur sans espoir
tire, s'étire, télé-phone
sa plainte amère

Et les Heures coulent, s'écoulent
Gifles gigantesques
qui nous mènent, nous amènent,
Se démènent,
      nous surmènent
dans le flux toujours renouvelé
De l'Absence.
                
Voici le premier chant qui ouvre le recueil de poésies dédiée à l'Attente où le plus grand poète de notre temps chante avec un rien d'ésotérisme mais une sensibilité extrême le néant de la vie et l'éternelle insatisfaction de l'âme.




dimanche 14 avril 2013

Nathaniel Hawthorne : La lettre écarlate



 
Résultat de l'énigme n°63
Les vainqueurs du jour sont : Aaliz, Asphodèle, Dasola, Dominique, Eeguab, Keisha, Miriam, Pierrot Bâton, Somaja, Syl ...  Et merci à tous!

le roman: La lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne
                    
Le film : La lettre écarlate de Wim Wenders (1973)




L'auteur  
Nathaniel Hawthorne (1804-1864) est né à Salem (Massachussetts) dans une famille calviniste, puritaine qui émigra d'Angleterre. Il est marqué par l'idée du péché et de la prédestination. L'un de ses ancêtres avait été un juge sévère et impitoyable au procès des sorcières de Salem, ce qui a engendré chez l'écrivain un sentiment de culpabilité dont il n'a jamais pu se défaire. Il a même changé son nom qui était à l'origine : Hathorne. La lettre écarlate qui traite du péché d'adultère témoigne des contradictions de Hawthorne. 
Un livre contre le puritanisme?
Alors que Hawthorne est marqué par son éducation religieuse qui ne permet pas de croire au pardon des fautes et à la rédemption,  la femme adultère, Hester Prynne, qui est coupable et incarne le péché se sauve par sa dignité, sa force de caractère, sa générosité et son altruisme. Il dresse d'elle un très beau portrait.  Ce sont les autres, les notables qui ont le pouvoir et la richesse, qui se rendent coupables de violence psychologique envers elle. Mais dans leur certitude d'être meilleurs qu'elle, ils étalent égoïsme, suffisance et intolérance. Hester Prynne est une femme libre alors que son mari qui est à l'origine l'offensé se damne parce qu'il ne sait pas pardonner. L'écrivain se distingue donc de sa famille religieuse en dénonçant l'intolérance du puritanisme et son hypocrisie et en prenant le parti de la liberté individuelle.
Hester Prynne et sa lettre écarlate (film de Victor Sjöström)

Le roman
La lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne paru en 1850 est un des plus grands romans américains. Henri James affirmait même que c'était l'oeuvre la plus remarquable et la plus authentiquement américaine. Le sujet qu'il traite est, en effet, résume bien la société américaine toujours déchirée entre puritanisme et scandale.

Dans ce que lui-même appelait une histoire de « la fragilité et du chagrin humains... véritablement embrasée par les feux de l'enfer », Hawthorne évoque les tragédies de la conscience malheureuse dans la colonie puritaine de la Nouvelle-Angleterre au XVII siècle. L'intrigue est simple et semble relever du triangle amoureux. Un vieil érudit anglais a envoyé à Boston sa jeune épouse, Hester Prynne, pour qu'elle s'y installe avant lui. Quand il vient la rejoindre deux ans plus tard, il la trouve exposée au pilori, Pearl, sa fillette illégitime, dans les bras. En effet, Hester a refusé de révéler le nom de son amant. Elle est désormais condamnée à porter sur tous ses vêtements une lettre écarlate, un A majuscule, symbole de l'adultère.
 Mais ce qui attirait tous les regards et transfigurait en quelque sorte la femme ainsi vêtue, si bien qu'hommes et femmes de son ancien entourage étaient à présent frappés comme s'ils la voyaient pour la première fois, c'était la LETTRE ÉCARLATE si fantastiquement brodée sur son sein. Elle faisait l'effet d'un charme qui aurait écarté Hester Prynne de tous rapports ordinaires avec l'humanité et l'aurait enfermée dans une sphère pour elle seule.
 Son mari, lui, décide de se faire passer pour le docteur Roger Chillingworth afin de mieux parvenir à démasquer le coupable..... (source  encyclopédie Universalis pour le résumé)
 
La beauté du style
Le livre de Hawthorne m'a touchée par la beauté  du style. Je pourrais citer des passages entiers. C'est un roman magnifique tant par les personnages qui l'habitent que par sa poésie.
La nature
La nature sauvage y occupe une grande place face à la ville des colons. Elle est peuplée par les indiens mais aussi selon les croyances de l'époque par le diable et les sorcières. La forêt touffue et secrète permet aux amants de se retrouver et d'imaginer une vie où ils seraient libres d'aimer. Enfin la nature a une vie propre, elle est animée, vivante, douée de sentiments, d'émotions..  
Au centre, un ruisseau courait, nimbé d’une vapeur légère. Les arbres qui se penchaient au-dessus avaient laissé tomber dans ses eaux de grosses branches. Elles engorgeaient le courant, produisant, çà et là, des tourbillons et des profondeurs noires tandis que sous le passage libre du flot on voyait briller comme un chemin de cailloux et de sable brun. Si l’on suivait le ruisseau des yeux, on pouvait apercevoir ses eaux miroiter à quelque distance, mais on en perdait bien vite toute trace dans l’enchevêtrement des troncs d’arbres, des buissons, des rocs couverts de lichens. Tous ces arbres géants et ces blocs de granit semblaient s’appliquer à rendre mystérieux le cours de ce petit ruisseau. Peut-être craignaient-ils que, de sa voix infatigable, il allât murmurer sur son passage les secrets du cœur de la vieille forêt ? ou refléter des révélations sur le miroir lisse d’une de ses anses ? Sans cesse, en tout cas, le petit ruisseau poursuivait son murmure gentil, tranquille, apaisant mais mélancolique comme la voix d’un enfant qui passerait son enfance sans amusement et ne saurait comment être gai au milieu d’un entourage morne et d’événements sombres.

– Ô ruisseau ! Sot et fatigant petit ruisseau ! s’écria Pearl après l’avoir écouté un instant. Pourquoi es-tu si triste ? Prends un peu courage et ne sois pas tout le temps à soupirer !


Mais, au cours de sa petite vie parmi les arbres de la forêt, le ruisseau avait traversé tant de graves aventures qu’il ne pouvait s’empêcher d’en parler et paraissait n’avoir rien d’autre à dire. Pearl lui ressemblait en ceci que sa vie à elle provenait aussi d’une source mystérieuse et se déroulait dans un décor aussi mélancoliquement assombri. Mais à l’inverse du petit ruisseau, elle bondissait, étincelait et babillait légèrement dans sa course.


– Que dit ce petit ruisseau triste, Mère ? demanda-t-elle.


– Si tu avais un chagrin à toi, le ruisseau t’en parlerait comme il me parle du mien, lui répondit sa mère.

 L'enfance
  L'enfance quand elle est sauvage, coupée de la civilisation, est proche de la nature.  C'est le cas de  Pearl,  la petite fille de Hester Prynne, enfant illégitime, que le péché de sa mère a éloigné du contact des autres, et qui a gardé une sensibilité, une pureté non altérée qui lui permet de deviser avec les éléments naturels et de les comprendre.  Elle n'est pas capable de ressentir de la tristesse, de l'émotion et si cela lui donne quelque chose d'inhumain, elle a par contre la liberté, la vivacité et la force première qui est celle propre à la Nature. Elle échappe ainsi à la marque du christianisme, le sens du péché, et apparaît un peu comme un esprit païen; Hawthorne la nomme l'enfant-lutin.
Hester dit à la petite Pearl de courir s’amuser avec les algues et les coquillages pendant qu’elle parlerait avec l’homme qui là-bas ramassait des herbes. L’enfant s’envola comme un oiseau, dénuda ses petits pieds blancs et se mit à trottiner au long du bord humide de la mer. De temps à autre, elle s’arrêtait net et regardait curieusement dans une flaque – miroir que la mer avait laissé en se retirant pour que la petite Pearl pût y voir son visage. Il la regardait du bord de la flaque, entouré de boucles brunes, avec un sourire de lutin dans les yeux – image d’une petite fille à qui Pearl, n’ayant d’autre compagne de jeux, faisait signe de venir courir avec elle la main dans la main. Mais la petite fille faisait de son côté le même signe comme pour dire : « On est mieux ici ! Viens, toi ! » Et Pearl, enfonçant dans la flaque jusqu’à mi-jambes, n’apercevait plus au fond que ses petits pieds blancs, tandis que de profondeurs plus lointaines, la lueur d’une sorte de morceau de sourire montait et flottait çà et là sur les eaux agitées.
 L'ombre et la lumière
Le roman est bâti sur une antithèse entre le bien et le mal, symbolisé par l'ombre et la lumière. Il y a des personnages sombres comme celui du mari d'Hester, d'autres lumineux comme Pearl, la fille d'Hester. 

– Mère, dit la petite Pearl, le soleil ne vous aime pas. Il court se cacher parce qu’il y a sur votre poitrine quelque chose qui lui fait peur. Tenez, le voilà qui brille au bout du chemin. Restez là et je vais courir l’attraper. Je ne suis qu’une petite fille. Il ne se sauvera pas devant moi puisque je ne porte encore rien sur ma poitrine.
– Ni ne porteras jamais rien, j’espère, mon enfant, dit Hester.
– Et pourquoi non, Mère ? demanda Pearl en s’arrêtant net à l’instant de prendre sa course. Est-ce que ça ne viendra pas tout seul quand je serai devenue grande ?
– Dépêche-toi de courir attraper ce rayon de soleil, dit la mère, il va être bientôt parti.
Pearl s’élança à toutes jambes et Hester sourit en voyant l’enfant atteindre bel et bien l’endroit où brillait le soleil et s’y tenir en riant, animée par sa course et toute rayonnante. La lumière s’attardait autour de la petite fille comme si elle était heureuse d’avoir trouvé pareille compagne de jeu. Hester cependant avançait et fut bientôt sur le point d’entrer à son tour dans le cercle magique.
– Il va s’en aller, à présent, dit Pearl en secouant la tête.
– Regarde ! répondit Hester en souriant, j’étends la main et je le touche.
Comme elle étendait, en effet, la main, le rayon de soleil disparut

Si Hester Prynne est un personnage que le soleil fuit à cause de sa marque d'infamie, c'est pourtant et paradoxalement, cette marque qui lui apporte couleur et lumière, la lettre écarlate que, par défi et fierté, elle a brodé elle-même, et qu'elle a voulu non pas discrète mais somptueuse, brillamment colorée.  La jeune femme par sa dignité et sa bonté va effacer le signe de sa honte en s'élevant sur le plan moral au-dessus de ceux qui l'ont jugée et condamnée.



Au cinéma le livre a été adapté trois fois : En 1926, par Victor Sjöström, un film que je ne connais pas mais que j'aimerais voir car j'aime le réalisateur. 
En 1973 par Wim Wenders qui juge son film avec une extrême sévérité (et il a bien raison!!) : Voir chez Wens
 Et une troisième fois en 1995 par Roland Joffé.


samedi 13 avril 2013

Un livre/Un film : Enigme N° 63





Pour les nouveaux venus : De quoi s'agit-il?

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.
Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
Pendant les vacances, nous arrêtons le jeu Un livre/ Un film.
Pas d'énigme les samedis 20 et 27 Avril pendant les vacances 

 Enigme n° 63

Ce roman  devenu  grand classique de la littérature américaine a été publié en 1850. Il raconte l'histoire d'une jeune femme et de sa fille vivant dans une communauté puritaine dans la première moitié du XVII ème siècle. L'auteur dénonce l'hypocrisie et le rigorisme d'une société intolérante et violente. Quels sont le titre et le nom de l'écrivain?
Échange cette vie fausse que tu mènes contre une vie sincère. Sois, si ton esprit t’appelle à pareille mission, le guide et l’apôtre des Peaux-Rouges. Ou, s’il est davantage dans ta nature, sois un savant, un sage parmi les sages, l’homme le plus en renom du monde civilisé. Prêche ! Écris ! Agis ! Fais n’importe quoi hormis te laisser tomber et mourir ! Abandonne le nom d’Arthur Dimmesdale et fais-t’en un autre que tu puisses porter sans crainte ni honte. Pourquoi t’attarderais-tu, ne fût-ce qu’un jour, dans les tourments qui ont ravagé ta vie ? – qui t’ont rendu faible devant l’action ? qui finiront par t’enlever jusqu’à la force du repentir ? Lève-toi et pars ! 

vendredi 12 avril 2013

Printemps





Printemps

Dans sa fastueuse débauche de blancheur
L'hiver n'en finissait pas de mourir
Et l'enfance du printemps, dans le doute,
S'abstenait de paraître,
Accusé dans sa pureté première, dans l'angélique
Naïveté de ses premières fleurs,
Dans le mensonge du temps incertain,
Dans
 les flaques
                 des dernières pluies
Accusé, disais-je, de fredonner en vain
Une chanson d'amour qui ne voulait plus naître
De ses lèvres bleuies,
De sa bouche de diablotin pervers,
Puis par la froide lueur de ses yeux amandins,
De retenir, dans son égoïste splendeur,
Les perles étoilées de l'amandier en fleurs




Dans le cadre du jeu d'Asphodèle voici un poème composé avec les mots imposés  :
Blancheur – doute – débauche – enfance – pureté – accuser – angélique – temps – diablotin – naïveté – mensonge – fredonner – fastueux – flaque.

mercredi 10 avril 2013

Joël Dicker : La vérité sur l'affaire Harry Quebert Editions de Fallois




Quatrième de  couverture
À New York, au printemps 2008, alors que l’Amérique bruisse des prémices de l’élection présidentielle, Marcus Goldman, jeune écrivain à succès, est dans la tourmente : il est incapable d’écrire le nouveau roman qu’il doit remettre à son éditeur d’ici quelques mois. Le délai est près d’expirer quand soudain tout bascule pour lui : son ami et ancien professeur d’université, Harry Quebert, l’un des écrivains les plus respectés du pays, est rattrapé par son passé et se retrouve accusé d’avoir assassiné, en 1975, Nola Kellergan, une jeune fille de 15 ans, avec qui il aurait eu une liaison. Convaincu de l'innocence de Harry, Marcus abandonne tout pour se rendre dans le New Hampshire et mener son enquête. Il est rapidement dépassé par les événements : l’enquête s’enfonce et il fait l’objet de menaces. Pour innocenter Harry et sauver sa carrière d’écrivain, il doit absolument répondre à trois questions : Qui a tué Nola Kellergan ? Que s’est-il passé dans le New Hampshire à l’été 1975 ? Et comment écrit-on un roman à succès ? Sous ses airs de thriller à l’américaine, La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert est une réflexion sur l’Amérique, sur les travers de la société moderne, sur la littérature, sur la justice et sur les médias.

Je suis restée assez dubitative après la lecture de ce roman La vérité sur l'affaire Harry Quebert, deuxième roman de Joël Dicker, jeune écrivain suisse. Pas vraiment conquise par ce roman couronné de deux prix et qui présente des qualités mais….
L'enquête policière

Certes la lecture en est agréable et l'enquête policière est bien menée avec des rebondissements, des fausses pistes à foison, ce qui permet de dire qu'il s'agit d'un bon Thriller. Joël Dicker s'y entend à  maintenir le suspense. j'avoue que cette fois, je me suis laissée mener par le bout du nez et suis partie dans une fausse direction. Bref! le coupable que je soupçonnais n'était pas le bon! Pas si élémentaire, mon chez Watson! De même, le romancier fausse notre jugement sur les personnages, nous en donnant à voir des facettes différentes selon la variation du point de vue, ce qui nous oblige à revenir sur l'interprétation des faits. Il s'agit donc d'un écrivain qui maîtrise l'art de conter mais aussi de tirer les ficelles de ses personnages comme un habile montreur de marionnettes, induisant ainsi le lecteur en erreur.  D'autre part, la construction du roman qui n'obéit pas à la chronologie est complexe et demande une réel talent.

Le roman d'amour
 
Mais le roman n'est pas seulement une histoire policière. Il se veut aussi un grand roman d'amour, une sorte de Roméo et Juliette de notre époque, une réflexion sur la littérature et une dénonciation des milieux de l'édition transformée en show business du livre! Et c'est là que je ne marche plus!

Je n'adhère pas à l'histoire d'amour de cet homme ayant atteint la trentaine, follement amoureux d'une jeune fille de quinze ans (et réciproquement) qui restera fidèle toute sa vie à l'image de son amour. Joël Dicker n'a ni le talent de  Shakespeare, ni celui de Nabokovv! Enfin, passe encore sur cette version affadie et romantique (au mauvais sens du terme) de Lolita, mais lorsque le personnage du grand écrivain Harry Quebert, auteur d'un des plus grands livres de la littérature américaine, roman étudié dans toutes les universités des Etats-Unis, éminent professeur d'université lui-même, écrit  à Nola :

Mon merveilleux ange,
Un jour, nous danserons. Je vous le promets. Un jour viendra où l'amour vaincra et où nous pourrons aimer au grand jour. Et nous danserons, nous danserons sur les plages…

Ou encore : 
Vous ne devez jamais mourir. Vous êtes un ange. Les anges ne meurent jamais.
…. je me suis demandée s'il n'avait pas lui aussi quinze ans! 
Vous avouerez que le style est léger et frise le ridicule! A aucun moment, Harry Quebert n'apparaît comme un homme de culture et de livres et surtout pas comme un grand écrivain! Ce qui explique que les leçons d'écriture qu'il donne à son plus brillant étudiant, Marcus, sonnent creux et pourtant j'aimais bien cette idée de réflexions mises en exergue devant chaque chapitre..

La satire du monde de l'édition

D'autre part, le roman met en scène un personnage caricatural (trop?), l'odieux Barnasky, l'éditeur, préoccupé uniquement par l'argent et qui n'a aucun intérêt pour le livre, objet commercial comme un autre. Le succès de cette maison d'édition est donc fondé seulement sur le scandale, le battage  médiatique, les campagnes publicitaires, nonobstant la valeur du livre et au mépris de toute déontologie. Il est bon de dénoncer une telle dérive! A première vue, c'est ce que s'emploie à faire l'écrivain… semble-t-il? Mais en même temps, il entretient lui aussi (à moins que ce ne soit son personnage?) une confusion entre la grande littérature et celle qui rapporte de l'argent. Marcus ne veut pas savoir comment on écrit un grand roman mais un roman à succès, la distinction n'est jamais établie et l'écrivain entretient la confusion! Et, alors que Marcus critique l'éditeur, il accepte toutes les malhonnêtes de celui-ci et il se lance dans un livre dont la réussite ne dépendra que de l'intérêt passager porté à une affaire criminelle. Le fait qu'il réussisse à écrire un "grand" (?) roman et devienne riche ne me paraît pas être une démonstration convaincante du message contenu dans ce roman! On ne sait pas trop où Joël Dicker veut en venir!

En résumé, l'écrivain a du savoir faire, du métier, ce qui est prometteur à un si jeune âge, il sait mener une intrigue mais son livre est un peu trop ambitieux et ne tient pas ses promesses! Ce qui est sûr, c'est que lui a écrit un roman à succès, en attendant un grand roman!


mardi 9 avril 2013

Lectures communes : si vous voulez nous rejoindre?

Aristide Maillol : femme lisant

Le 27 Mai avec Shelbylee




Les mystères d'Udolphe d'Anne Radcliffe

 Allons! Soyons fous! Depuis le temps que j'ai envie de lire un roman gothique anglais. Et puis c'est le livre que lit la jeune Catherine de Northanger Abbey de Jane Austen, vous savez le roman qui lui fait si peur!

Participantes : pour l'instant..

 Shelbylee
                                   Nathalie
                                   Claudialucia
                                   Aaliz
                                   La Lyre

Ce livre entrera dans le cadre du challenge de Lou et Hilde (voir ICI) et du challenge romantique de Claudialucia


 Le 1er Juin avec le blogoclub de Lisa et Sylire  Voir ICI

sur le thème des amours contrariés le titre suivant a été choisi :  Expiation de McEwan. Comme je l'ai déjà lu, je me propose de redécouvrir :




Les fiancés de Alessandro Manzini

Participantes : pour l'instant..
Miriam
Claudialucia






qui entrera dans le cadre du challenge romantique et du challenge italien Il Viaggio de Nathalie Voir ICI


Le 30 août avec Aifelle




L'homme qui rit de Victor Hugo

Aifelle
Miriam
Claudialucia
Rosemond






qui entrera dans le cadre du Challenge romantique


Et peut-être aussi une lecture commune sur Alexandre Dumas en Juillet(?) avec Céline et Maggie? Mais ce n'est pas encore fixé!

lundi 8 avril 2013

Ernest Renan : Souvenirs d'enfance et de jeunesse



Quand j'ai lu Souvenirs d'Enfance et de jeunesse d'Ernest Renan (1823-1892), je me suis attendue à des mémoires sur l'enfance, à la manière de Chateaubriand dans les premiers tomes des Mémoires d'Outre-Tombe, des souvenirs pleins de vie, de légèreté,  d'humour et permettant  de recréer  et de faire vivre une période historique, une époque, une région, un milieu social, une mentalité. C'est bien le cas pour ces dernières caractéristiques sauf pour l'humour et la légèreté. Renan, à l'exception de quelques passages où il évoque son amie d'enfance, la petite Noémi, les histoires racontées par sa vieille mère comme celle de la fille du broyeur de lin, du Bonhomme Système, personnages pittoresques de la ville de Tréguier au XIX siècle… Renan, disais-je, est assez austère.
Il se lie difficilement avec autrui et  son amitié est peu démonstrative. Dès sa jeunesse, il se destine à être prêtre, étudie avec les curés de sa ville natale, Tréguier, puis est pris au séminaire de Saint Nicolas du Chardonnet et enfin à celui  de Saint-Sulpice. Ses études occupent une grande place dans une vie entièrement consacrée à l'esprit, l'intelligence et Dieu jusqu'au moment où il va perdre la foi non pas en Dieu mais dans le fondement de l'Eglise et la vérité des croyances chrétiennes. C'est parce qu'il a fait l'analyse et l'exégèse des textes saints originaux et en a découvert les contre-vérités et les faiblesses qu'il a  renoncé à la prêtrise.
J'essayerai de montrer comment l'étude directe du Christianisme, entreprise dans l'esprit le plus sérieux, ne me laissa plus assez de foi pour être un prêtre sincère, et m'inspire, d'un autre côté, trop de respect pour que je pusse me résigner à jouer avec les croyances les plus respectables, une odieuse comédie.

L'homme ne m'est pas entièrement sympathique (un peu trop "empesé" ) et présente bien des contrastes, bien des dualités, parfois conservateur mais ouvert sur l'avenir, idéaliste par goût, réaliste par pessimisme, cérébral mais enthousiaste sur le progrès et les sciences, froid mais parlant de ses maîtres avec sympathie.. Il est aussi intelligent, rationnel, érudit, juste dans son appréciation des autres, modéré dans ses assertions qui se fondent toujours sur la raison et des études savantes et approfondies.  On sent une intelligence hors du commun et en cela il impressionne.  Et puis il y a le style, beau et  généralement maîtrisé car il tient la bride à ses  sentiments, se laissant rarement aller au lyrisme et encore moins à l'emphase romantique que l'on retrouve chez certains écrivains romantiques.

Tout me prédestinait donc bien réellement au romantisme non de la forme (je compris assez vite que le romantisme de la forme est une erreur, que, s'il y a deux manières de sentir et de penser, il n'y a qu'une seule forme pour exprimer ce que qu'on pense et ce qu'on sent), mais au romantisme de l'âme et de l'imagination.

Bien que j'aie trouvé certains passages longs et ennuyeux, je me suis accrochée à ma lecture et j'ai aimé des passages descriptifs et certaines réflexions et pensées philosophiques ou politiques. En voici quelques unes :

La Bretagne : Son amour pour son pays d'origine, la Bretagne et sa ville natale Tréguier, s'exprime dans de belles pages pleines de sensibilité qui ouvrent la porte à l'imagination.  Il nous explique l'Histoire de Bretagne, analyse le caractère breton et  les croyances celtes, parle des saints bretons et de leurs particularités fantaisistes, parfois cocasses.

Une des légendes les plus répandues en Bretagne est celle d'une prétendue ville d'Is, qui, à une époque inconnue, aurait été engloutie par la mer. On montre, à divers endroits de la côte, l'emplacement de cette cité fabuleuse, et les pêcheurs vous en font d'étranges récits. Les jours de tempête, assurent-ils, on voit, dans le creux des vagues, le sommet des flèches de ses églises ; les jours de calme, on entend monter de l'abîme le son de ses cloches, modulant l'hymne du jour. Il me semble souvent que j'ai au fond du coeur une ville d'Is qui sonne encore des cloches obstinées à convoquer aux offices sacrés des fidèles qui n'entendent plus. Parfois je m'arrête pour prêter  l'oreille à ces tremblantes vibrations qui me paraissent venir de profondeurs infinies, comme des voix d'un autre monde. Aux approches de la vieillesse surtout, j'ai pris plaisir, pendant le repos de l'été, à recueillir ces bruits lointains d'une Atlantide disparue.

Dès lors j'étais aimé des fées, et je les aimais. Ne riez pas de nous autres, Celtes. Nous ne ferons pas le Parthénon, le marbre nous manque; mais nous savons prendre à poignée le coeur et l'âme; nous avons des coups de stylet qui n'appartiennent qu'à nous; nous plongeons les mains dans les entrailles de l'homme, et, comme les sorcières de Macbeth, nous les en retirons pleines de secrets infinis. Cette race a au coeur une éternelle source de folie. Le "royaume de la féerie", le plus beau qui soit en terre, est son domaine.


La liberté :

Le but du monde est le développement de l'esprit, et la première condition du développement de l'esprit c'est la liberté. Le plus mauvais état social, c'est l'état théocratique, comme l'islamisme et l'ancien Etat pontifical, où le dogme règne directement d'une manière absolue. Les pays à religion d'Etat comme l'Espagne ne valent pas beaucoup mieux. Les pays reconnaissant une religion de la majorité ont aussi de graves inconvénients. Au nom des croyances réelles ou prétendues du grand nombre, l'Etat se croit obligé d'imposer à la pensée des exigences qu'elle ne peut accepter. La croyance ou l'opinion des uns ne saurait être une chaîne pour les autres.

La foi en l'avenir
J'aime le passé, mais je porte envie à l'avenir. Il y aura eu de l'avantage à passer sur cette planète le plus tard possible. Descartes serait transporté de joie s'il pouvait lire quelque chétif traité de physique et de cosmographie écrit de nos jours. Le plus simple écolier sait maintenant des vérités pour lesquelles Archimède eût sacrifié sa vie. Que ne donnerions-nous pas pour qu'il fût possible de jeter un coup d'exil furtif sut tel livre qui servira aux écoles primaires dans cent ans?

Il ne faut pas pour nos goût personnels, peut-être pour nos préjugés, nous mettre en travers de ce que fait notre temps. Il le fait sans nous, et probablement il a raison.

L'éducation

L'essentiel, en effet, ce n'est pas la doctrine enseignée, c'est l'éveil.

La religion

Et qui reste juge en dernier lieu des titres de la foi, si ce n'est la raison?

La mort 

 Je serais désolé de traverser une de ces périodes d’affaiblissement ou l’homme qui a eu de la force et de la vertu n’est plus que l’ombre ou la ruine de lui-même et souvent à la grande joie des sots, s’occupe à détruire la vie qu’il avait laborieusement édifié. Une telle vieillesse est le pire don que les dieux puissent faire à l’homme. Si un tel sort m’était réservé, je proteste d’avance contre les faiblesses qu’un cerveau ramolli pourrait me faire dire ou signer. C’est Renan sain d’esprit et de cœur comme je le suis aujourd’hui, ce n’est pas Renan à moitié détruit par la mort et n’étant plus lui-même, comme je le serai si je me décompose lentement, que je veux qu’on croie et qu’on écoute.

Lecture commune avec Nathalie de Mark et Marcel ICI




dimanche 7 avril 2013

Simenon : Le chat dans Le Monde de Simenon présenté par Pierre Assouline





Résultat de l'énigme n°62
Les vainqueurs du jour sont : Dasola, Dominique, Eeguab, K'gire, Keisha, Miriam, Pierrot Bâton, Syl ...  Et merci à tous !

le roman: le chat de Simenon
                    
Le film : Le chat de Pierre Granier-Deferre Interprètes: Simone Signoret et Jean Gabin et... le chat!


 Le chat de Simenon

Simenon ne croyait guère au mariage, reflet d'une morale hypocrite chrétienne et bourgeoise. Dans Le Chat, deux veufs se sont remariés pour meubler leur solitude, mais leur vie de couple vire très vite à l'enfer. Tout les oppose à commencer par leur origine sociale. Emile est un ouvrier, retraité du bâtiment, qui a perdu sa femme d'origine modeste qu'il aimait. Il s'attarde volontiers au café pour boire un verre de rouge, fumer des cigares qui empestent et par dessus tout il adore son chat que sa nouvelle épouse, Marguerite, déteste. Marguerite est d'une autre milieu social, fille d'une bourgeoisie industrielle en partie ruinée, elle a reçu une bonne éducation chrétienne, elle a appris le piano et l'équitation. Elle vénère son défunt mari, premier violon à l'Opéra de Paris. De fait, elle méprise Emile et ses habitudes. Pourquoi ces deux êtres dissemblables se sont-ils mariés ? Certainement pas par attirance physique, entre les deux personnages, il n'y a aucune relation sexuelle mais par peur de finir sa vie seul, malade et abandonné. Pour Marguerite, avare, Emile représentait la possibilité d'avoir un homme à tout faire sous la main, corvéable, sans avoir à débourser. Peu à peu la cohabitation se transforme en haine. Marguerite empoisonne le chat,  Emile se venge sur le perroquet de sa femme. Les deux époux décident de ne plus s'adresser la parole, ils communiquent rarement et uniquement par écrit. Emile et Marguerit ne peuvent divorcer parce qu'ils sont chrétiens. Il leur est impossible de se séparer parce que  la souffrance, la perversité, la haine permettent de combler le vide de leur existence. 
"C’était devenu leur vie. Il leur était aussi naturel, aussi nécessaire, de s’envoyer des billets venimeux, qu’à d’autres échanger des politesses ou des baisers".

Le chat de Pierre Granier- Deferre.


L'adaptation de Granier-Deferre et de Pascal Jardin a gardé du roman le cadre décrit par Simenon : un modeste pavillon situé dans une impasse, dans une banlieue en reconstruction. Mais le scénario ne s'attarde pas sur l'aspect social, il  s'attache à  montrer l'usure d'un vieux couple, Julien et Clémence, marié depuis plus de 25 ans. Lui était typographe, fier de son travail. Elle était trapéziste mais une chute l'a obligée à quitter le cirque. Depuis elle traîne la jambe et se laisse aller à boire un peu trop. Le couple a vécu des jours heureux mais le temps a fait son oeuvre, les sentiments se sont désagrégés, la lassitude et l'ennui ont remplacé peu à peu à l'amour. Toute l 'affection de Julien va se porter sur  un chat errant qu'il adopte. Clémence devient jalouse de l'animal et dans une crise de folie elle l'abat. Julien décide de ne plus adresser la parole à son épouse. Les deux êtres vont vivre l'un à côté de l'autre, menant une guerre silencieuse. Ils restent ensemble pas uniquement par habitude, la haine qui s'exprime n'a pas tué complètement l'amour qui a existé comme l'indique le dénouement. Le film, le meilleur réalisé par Granier-Deferre, bénéficie de la présence de deux monstres sacrés du cinéma français : Simone Signoret et Jean Gabin. Les deux acteurs ont reçu conjointement, L'Ours d'argent du festival de Berlin pour leur remarquable interprétation.
Tout en conservant la trame du roman et jusqu'à certains détails, Granier-Deferre a réalisé un film personnel, s'intéressant à l'érosion de l'amour dans un vieux couple, mais aussi à la lassitude qui guette la vieillesse, émousse les sentiments et enlève le goût de vivre. Marguerite aime encore son mari, elle souffre qu'il ne l'aime plus et elle est encore plus malheureuse de ne pas comprendre pourquoi il n'a plus d'amour pour elle, plus le goût de manifester un semblant d'intérêt pour elle. Lui n'a rien à répondre. Il est fini, incapable de ressentir un sentiment sauf envers ce vieux chat qu'il a pris sous sa protection. Le film est très dur parce que le couple se déchire, les paroles amères, haineuses, fusent et pourtant ils ne sont rien l'un sans l'autre. Contrairement à Granier-Deferre, Simenon règle ses comptes à une société dont il fait partie et qu'il n'aime pas. Il crie sa haine du mariage (bien qu'il se soit marié trois fois!) et d'une classe sociale, la bourgeoisie, dont il hait les mesquineries et l'hypocrisie. Mais s'il n'y a pas d'amour au départ dans le roman comme dans le film, le sentiment de haine est bien là et l'enfer du couple est décrit d'une main de maître.
Dans les deux oeuvres, roman et film, le décor, cette rue pavillonnaire, avec ses maisons tranquilles et ses jardins est en train de disparaître, éventrée par les engins d'un chantier, symbole d'un monde qui s'écroule, remplacé par un autre qui, on le pressent, ne sera pas forcément meilleur.
Texte commun : Wens/ Claudialucia