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lundi 27 mai 2013

Les mystères d' Udolphe de Ann Radcliffe et Northanger abbey de Jane Austen



Depuis ma lecture de Northanger Abbey de Jane Austen où il est souvent question du livre d'Ann Radcliffe, Les mystères d'Udolphe, qui fait les délices de l'héroïne Catherine Morland, j'ai eu envie de lire ce roman gothique.

 Mais vous, ma douce Catherine, qu’avez-vous fait ce matin ? Avez-vous beaucoup lu dans Udolphe ? — Beaucoup… J’en suis au voile noir. — Déjà !… Quelle charmante lecture !… pour le monde entier, je ne vous dirais pas ce qui est derrière ce voile. Vous avez bien envie de le savoir ? — Oh oui ! j’en suis bien impatiente. Qu’est-ce que cela peut être ? Mais ne me le dites pas. Je n’aime pas à savoir les choses d’avance. Il me semble que ce doit être un squelette : je suis sûre que c’est celui de Laurencia. J’aime ce roman à la folie : je pourrais passer ma vie entière à le lire : je vous assure que si ce n’eût été pour venir avec vous, rien au monde ne me l’aurait fait quitter.

 Et voilà , c'est chose faite, bien des années après ma découverte du livre de Jane Austen. Et je dois dire que ce livre m'a surprise car il est très différent de ce que j'attendais; j'expliquerai pourquoi à la fin de ce billet. Sa lecture m'a été agréable bien que je n'aie plus l'âge de Catherine depuis longtemps et que, je dois le dire, je n'ai pas eu aussi peur qu'elle ! De plus le roman a un côté un peu désuet que j'adore!


Le récit
Emily Saint-Aubert vit avec ses parents dans le sud-est de la France en 1584. A la mort de sa mère, elle entreprend un voyage avec son père au cours duquel les voyageurs rencontrent le chevalier Valancourt, un jeune homme plein de sensibilité et d'honnêteté. Monsieur de Saint-Aubert meurt pendant leur périple et demande à être inhumé près du tombeau de la Marquise de Villeroi. Mais qui est cette femme et quels sont les liens qui l'unissent au père d'Emilie?  
Saint-Aubert a confié la tutelle de sa fille à sa soeur, Madame Chéron, veuve arrogante et fière qui n'est intéressée que par la fortune et le rang. Elle s'oppose au mariage d'Emilie avec Valancourt  et après avoir épousé un noble italien, le Signor Montoni, qu'elle croit fortuné et influent, elle amène sa nièce à Venise. Hélas! cet homme se révèle sans fortune, il n'a épousé la tante que par cupidité et veut marier de force Emilie au comte Morano. 
Il amène les deux femmes au château d'Udolphe où il vit avec une bande de pillards dans cette forteresse isolée que l'on dit hantée. Les pires rumeurs courent sur la disparition de la comtesse, ancienne propriétaire, dont a hérité Montoni.. Manifestations surnaturelles, mystères, meurtres, exactions.. Désormais, Emily est prisonnière de ce dangereux personnage. Comment échappera-t-elle à tous ces dangers? Retrouvera-t-elle Valancourt? Tous les mystères seront-ils résolus?


Les caractères gothiques du roman


 Le tableau de Fuesli intitulé Cauchemar qui  a servi d'image pour la première de couverture de l'édition de Archipoche rend bien l'atmosphère gothique du roman

Les mystères d'Udolphe d'Ann Radcliffe paraît en 1794 et est traduit en France en 1797. C'est un roman gothique, style littéraire qui a été à la mode à la fin du XVIII siècle en Angleterre et qui exercera une grande influence sur la littérature française et sur le romantisme français au début du XIX siècle.  Il présente, en effet, toutes les caractéristiques du roman gothique dit aussi "roman noir" :  le récit est complexe et long, entrecoupé d'évènements effrayants, de meurtres, de mystères, d'irruption du surnaturel,  d'histoires d'amour contrariées.

Les caractères romantiques du roman


Caspar Friedrich

Dans Les mystères d'Udolphe, le sentiment de la nature est très vif et préfigure l'engouement du romantisme pour la montagne, les paysages grandioses, majestueux ou torturés, déserts, précipices, à-pics qui frappent l'imagination, donnent le vertige. Il y a de très belles descriptions du Languedoc et de la Gascogne, de la  riche vallée de la Garonne qui promenait ses flots majestueux.., des Pyrénées, puis plus tard des Alpes, de l'Italie. Ces passages témoignent du goût du voyage et de la nature que l'on retrouvera dans les romans, les relations de voyage, les lettres des écrivains mais aussi les tableaux de nombreux peintres romantiques :


Karl Blechen : Le pont du Diable

 La route passait, tantôt le long d'affreux précipices, tantôt le long de sites les plus gracieux. (...) Il fit claquer son fouet et sans égard ni pour la difficulté du chemin ni pour la vie de ses pauvres mules, il les mit au grand galop, au bord d'un précipice dont l'aspect faisait frissonner; l'effroi  d'Emilie  la priva presque de ses sens.(…)
Tout y était solitaire et stérile; on y voyait aucune créature vivante que le bouquetin des montagnes qui, parfois, se montrait tout à coup sur la pointe élancée de quelque roche inaccessible.
  
 Caspar David Friedrich : ruines en hiver

Les ruines, les abbayes ou les châteaux sont aussi des lieux privilégiés pour nourrir le mystère.
Voilà Udolphe dit Montoni, qui parlait pour la première fois depuis des heures.
Emilie regarda le château avec une sorte d'effroi.. Quoiqu'éclairé  par le soleils couchant, la gothique grandeur de son architecture, ses antiques murailles de pierre grise, en faisait un objet imposant et sinistre.


 Carl Philipp Forth : paysage romantique italien

 Enfin l'Italie, avec ses paysages ensoleillés et ses villes artistiquement riches et florissantes constituera aussi un engouement pour le romantisme, par amour des contrastes vifs, de l'ombre et de la lumière, de l'austérité à la richesse, de la sévérité à la douceur.
Mais qui pourrait décrire le ravissement d'Emilie, lorsqu'en sortant d'une mer de vapeurs, elle découvrit, pour la première fois, l'Italie! Du bord d'un de ces précipices affreux et menaçants du Mont-Cénis, qui gardent l'entrée de ce pays enchanteur, elle promena ses regards à travers les nuages qui flottent encore à ses pieds. Elle vit les riches vallées du Piémont, les plaines de la Lombardie se perdre dans un lointain confus.

Divergences avec le romantisme

Le roman s'oppose  pourtant aux idées qui seront celles du romantisme qui chante la passion et l'amour fou, pour faire l'éloge de la raison, la patience et la vertu.
Valancourt, après avoir quitté la voie de la sagesse revient dans le droit chemin. Avec Emilie qui a toujours observé les enseignements de son père sur la supériorité de la raison, il va enfin pouvoir goûter un bonheur bien mérité :
… tendant sans cesse à la perfection de l'intelligence, ils jouirent des douceurs d'une société éclairée, des plaisirs d'une bienfaisance active, et comment les bosquets de la Vallée redevinrent le séjour de la sagesse et le temple de la félicité domestique!
On croirait entendre des accents voltairiens, la fin de Candide par exemple! Par cet aspect de son oeuvre, Ann Radcliffe est plus proche du XVIII siècle que du romantisme, tout comme Jane Austen d'ailleurs.

Jane Austen et Ann Radcliffe

En lisant le roman de Jane Austen, Northanger abbey qui parlait de Les mystères d'Udolphe, je m'étais fait une idée de ce roman très différente de la réalité.

Je pensais que le roman d'Ann Radcliffe se déroulait en Angleterre, dans un château perdu au milieu du brouillard et des landes désertes, semblable aux paysages d'Emily Brontë. Or, le récit se déroule en France, dans la région du sud-est, puis à Venise et au nord de l'Italie où se trouve le château d'Udolfo. Preuve que j'avais oublié l'enthousiasme de Catherine qui s'exclame  à propos des lieux :
Voilà midi vingt minutes, et le temps ne change pas, dit Catherine en soupirant. Que nous serions heureux si nous avions ici le climat de l’Italie ou du midi de la France ! Là il fait toujours si beau, suivant les charmantes descriptions du roman d’Udolphe : quel superbe temps il faisait la nuit de la mort du pauvre Saint-Aubin.
Quand je me promène sur le bord de la rivière, je ne vois jamais ce lieu sans penser au midi de la France, dit Catherine.
— Vous avez été en France ! reprit Henri avec surprise.
— Oh ! non : je ne la connais que par ce que j’en ai lu. J’ai toujours présent à l’imagination le voyage que, dans les Mystères d’Udolphe, Emilie fit en France avec son père…

 Jane Austen se moque gentiment de son héroïne Catherine qui cherche à revivre dans la confortable abbaye de Northanger les mêmes aventures que celles d'Emilie, prisonnière de brigands sanguinaires, dans le château Udolphe.  j'en avais déduit que Les mystères d'Udolphe était peuplé d'apparitions fantasmagoriques, effroyables, que l'irrationnel y régnait en maître or toutes les péripéties extraordinaires qui surviennent dans le récit sont expliquées par la suite d'une manière très réaliste.



Enfin, il me semblait, dans mon souvenir lointain, que Jane Austen, rationnelle elle-même, anti-romantique ne devait pas aimer Ann Radcliffe. Il n'en est rien.
Jane Austen, en tant que romancière, prend la défense du roman en général à plusieurs reprises :
Pourtant quelle branche de littérature est plus vaste et plus agréable ? Laquelle procure plus de plaisir ? Quel mortel, sachant lire, n’a parcouru quelquefois, souvent même, avec intérêt ces ouvrages qui charment la pente qui nous entraîne vers le merveilleux ?… et n’a lu avec délices ceux qui retracent si bien tous les secrets du cœur et les divers évènements de la vie… Nous ne rencontrons partout que des ennemis ; nous ne recueillons que le blâme, et nos ouvrages sont dans toutes les mains ! Et c’est dans nos productions que ces ennemis eux-mêmes viennent chercher quelques idées agréables, quelques souvenirs de bonheur, quelques moments de distraction.

Et la défense de Ann Radcliffe en particulier!  La preuve c'est qu'elle met dans la bouche de Thorpe, un personnage peu sympathique, la critique négative de ce roman (que par ailleurs il n'a pas lu) :
Avez-vous lu Udolphe, dit-elle, M. Thorpe ? — Udolphe ! Ma foi, non : je ne lis jamais de romans ; j’ai bien autre chose à faire. Catherine humiliée et honteuse allait justifier sa question, quand il la prévint. — Les romans, ajouta-t-il, sont tous pleins de sottises et d’invraisemblances ; il n’y en a pas un seul de supportable ; depuis Tom Jones, excepté le Moine, que j’ai lu l’autre jour, tous les autres sont les plus stupides productions du monde. — Je crois que vous aimeriez Udolphe, si vous le lisiez ; il est si intéressant ! — Non, ma foi : si j’en lis jamais, ce ne sera que les romans de Mistriss Radcliff ; ceux-là sont assez amusants ; il s’y trouve de la gaieté, du naturel. — Mais Udolphe est de Mistriss Radcliff, dit Catherine avec un peu d’embarras causé par la crainte de mortifier.

Par contre l'éloge du roman est fait par le sympathique et charmant Tilney dont Catherine est amoureuse  :
Je suis sûre que vous ne lisez jamais de romans ?
— Pourquoi n’en lirais-je pas ?
— Parce que ce ne sont pas des livres assez savants pour vous. Les hommes en lisent de meilleurs que les romans.
— Ce serait pour un savant comme pour une jeune dame faire preuve de peu d’esprit que de ne pas se plaire à la lecture d’un bon roman. J’ai lu tous les ouvrages de Miss Radcliff ; il en est plusieurs qui m’ont causé un grand plaisir. Pour Udolphe, quand je tenais le livre, je ne pouvais le quitter ; je me souviens de l’avoir lu tout entier en deux jours. Depuis le commencement jusqu’à la fin, je sentais mes cheveux se dresser sur ma tête.

Le cousinage entre Radcliffe et Austen 



Enfin, il est certain que l'auteur de Raison et Sentiment  devait se sentir très proche des paroles que Ann Radcliffe attribue à monsieur Saint-Aubert  : Je me suis efforcé lui dit-il de vous donner dès vos premières années, un véritable empire sur vous-même, je vous en ai représenté l'importance dans toute la conduite de la vie; c'est cette qualité qui nous soutient contre les plus dangereuses tentations du vice, et nous rappelle la vertu; c'est lui qui modère l'excès des émotions les plus vertueuses.
 Je ne voudrais pas étouffer votre sensibilité mon enfant, je ne voudrais qu'en modérer l'intensité. 


Lecture commune de : Aaliz,  Nathalie,  Shelbylee,  Claudialucia

Voir aussi Cléanthe







Les mystères d'Udolphe Folio Gallimard 
ou Les mystères d'Udolphe Archipoche 

dimanche 26 mai 2013

Le grand sommeil de Raymond Chandler


J'ai un aveu à vous faire (que Eeguab et Wens et tous les autres admirateurs de Howard Hawks et de son film-culte me pardonnent ), chaque fois que je regarde Le grand sommeil … je m'endors! Certes, je connais par coeur les premières scènes  que j'ai d'ailleurs retrouvées, très fidèles au roman de Chandler :  celle, absolument étourdissante de la rencontre de Marlowe-Boggie avec Miss Carmen Sternwood, jeune nymphomane qui lui saute dessus et la célèbre réplique cynique: Vous devriez la sevrer. Elle doit avoir l'âge.


Le non moins célèbre passage où Boggie siffle le cognac du vieux général Sternwood dans une serre tropicale :

 et le moment encore où Boggie affronte Bacall (Vivian Sternwood), dans un duel verbal au fleuret! 


Enfin dans une librairie plus que douteuse, l'affrontement inénarrable entre la libraire de livres pornographiques et notre Marlowe…


 et quand j'arrive là, plus rien; je dors!  Sommeil... mais pas le Grand Sommeil, bien heureusement, celui dont parle Philippe Marlowe, personnage désabusé, revenu de tout :

Qu'est-ce que ça peut faire où on vous met quand vous êtes mort ? Dans un puisard dégueulasse ou dans un mausolée de marbre au sommet d'une grande colline ? Vous êtes mort, vous dormez du grand sommeil... vous vous en foutez de ces choses-là... le pétrole et l'eau, c'est de l'air et du vent pour vous. .. Vous dormez, vous dormez du grand sommeil, tant pis si vous avez eu une mort tellement moche... peu importe où vous êtes tombé... Moi, je faisais partie des choses moches, maintenant.

Mais grâce au roman de Chandler, paru en 1939, traduit par Boris Vian, j'ai pu enfin avoir une idée complète de l'histoire,  moins complexe peut-être que celle du film. Le style qui a un charme fou fait revivre une époque bien particulière, celle des années trente, après la fin de la prohibition en Californie. L'ironie mordante et décalée de Chandler, sa critique sans concession des riches milliardaires et des hommes de pouvoir corrompus confèrent à ce roman policier une force qui a exercé une grande influence sur ce genre littéraire! C'est la première fois qu'apparaît le détective Philippe Marlowe, héros récurrent des romans de Chandler, qui va devenir un type. Beau gosse, grand et athlétique, intelligent, habile négociateur, intuitif et patient, alcoolo à ses heures, macho mais il faut dire que les femmes qu'il rencontre ne sont pas des modèles féminins très engageants malgré leur beauté, homophobe à une époque ou l'homosexualité est un délit puni de prison aux Etats-Unis, Philippe Marlowe est un "dur" qui évite pourtant la violence quand il le peut. Il porte un regard amer et dépourvu d'illusions sur ses contemporains. Il est avant tout honnête, refuse la corruption, ne triche pas sur son salaire (modeste), est fidèle à la mission qu'il doit accomplir, ne dévoile pas les secrets de ses employeurs.. des qualités qui le font paraître étranger à ce monde de corruption que dénonce Chandler. L'écrivain nous décrit une société où ceux qui ont l'argent possèdent le pouvoir car ils peuvent tout acheter, la police comme les hommes politiques. La corruption règne partout. Les maîtres du pays sont des hommes comme Eddie March, directeur du casino, qui a du sang sur les mains, un homme dangereux qui manipule tout ceux qui l'entourent.

-C'est illégal de boire de l'alcool ici, dit l'employé
-Je suis terrorisé à l'idée de faire ça dis-je et je dévissai la capsule de la bouteille de whisky pour en couper le café. Je continuai :
-La loi est terriblement respectée dans cette ville. Pendant toute la prohibition, la boîte d'Eddie March était un night club et tous les soirs il y avait deux hommes en uniforme dans le hall pour s'assurer que les clients n'amenaient pas leur alcool au lieu d'acheter celui de la maison.

Les petits malfrats sont les seuls qui risquent gros car dans ce pays civilisé où les criminels ont les mains libres grâce à leurs appuis, les autres risquent la peine de mort : dis-toi qu'il  faut absolument que tu respires et que tu as la figure toute noire, que tes yeux vont te tomber des joues… et que tu vas respirer maintenant mais que tu es ficelé sur le fauteuil de la petite chambre à gaz de Saint-Quentin; et quand tu respireras cet air que tu luttais de toutes tes forces pour ne pas avaler, ce ne sera pas de l'air qui viendra mais du cyanogène… Et c'est ça qu'on appelle une exécution humanitaire dans notre pays maintenant.

On le voit, le pessimisme de Raymond Chandler sur la nature humaine semble total mais parce qu'il y a dans son personnage de Marlowe, malgré ses défauts et ses compromissions, quelque chose qui résiste au mal, parce que l'humour permet de faire face à la noirceur et au désespoir, le lecteur est prêt à suivre Philippe Marlowe dans ses nombreuses aventures.


 
 Résultat de l'énigme n°67

Les vainqueurs du jour sont : Asphodèle, Aifelle, Dasola, Eeguab, Keisha, Pierrot Bâton.. Merci à tous!

Le roman :Le grand sommeil de Raymond Chandler
Le film : Le grand sommeil de Howard Hawks avec Humphrey Boggart et Lauren Bacall


samedi 25 mai 2013

Un livre/Un film : énigme n° 67






Pour les nouveaux venus : De quoi s'agit-il?

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.
Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
Pendant les vacances, nous arrêtons le jeu Un livre/ Un film.
Enigme n°67
Paru dans les années 1930, ce roman écrit par un écrivain américain met pour la première fois en scène un détective célèbre. Il a été adapté deux fois au cinéma sous le même titre que le roman.


Il était à peu près onze heures du matin, on arrivait à la mi-octobre et, sous le soleil voilé, l'horizon limpide des collines semblait prêt à accueillir une averse carabinée. Je portais mon complet bleu poudre, une chemise bleu foncé, une cravate et une pochette assorties, des souliers noirs et des chaussettes de laine noire à baguettes bleu foncé. J'étais correct, propre, rasé, à jeun et je m'en souciais comme d'une guigne. J'étais, des pieds à la tête, le détective privé bien habillé. J'avais rendez-vous avec quatre millions de dollars.

mercredi 22 mai 2013

Le Berry : Les légendes rustiques de George Sand illustrées par Maurice Sand



George écrit Les légendes rustiques à partir des contes et légendes récoltés par son fils Maurice dans les campagnes berrichonnes. Ces textes oraux qui témoignent des croyances et des superstitions encore présentes au XIX siècle passent ainsi dans le domaine de la littérature. Les légendes rustiques témoignent de l'intérêt que porte George Sand à la mémoire du passé, à ces traditions merveilleuses, qui, elle en est consciente, est en train de disparaître peu à peu, effacées par le monde moderne.
 Maurice Sand a illustré ces légendes par de belles et étranges gravures dont j'ai pu trouver les reproductions lors de mon séjour dans le Berry et que l'on peut voir, pour certaines, au château de Nohant.
Dans sa dédicace à Maurice, George Sand écrit :
Mon cher fils
Tu as recueilli diverses traditions, chansons et légendes, que tu as bien fait, selon moi, d’illustrer; car ces choses se perdent à mesure que le paysan s’éclaire, et il est bon de sauver de l’oubli qui marche vite, quelques versions de ce grand poème du merveilleux, dont l’humanité s’est nourrie si longtemps et dont les gens de campagne sont aujourd’hui, à leur insu, les derniers bardes.

Si elle est consciente de faire oeuvre de mémoire, George Sand ne se veut pas historienne et ne prétend pas tout dire du folklore français; elle ne cherche pas à faire une étude savante : J’aime trop le merveilleux pour être autre chose qu’un ignorant de profession.
Elle n'écrira donc que sur la tradition orale berrichonne, tout en soulignant que ces légendes se retrouvent sous des formes différentes dans toutes les régions françaises.  Elle souligne pourtant que les légendes du Berry n'ont pas la grande poésie des chants bretons et ressemblent plus, par la forme,  au Merveilleux  Normand.

Voici quelques-unes de ces légendes illustrées par Maurice Sand :

Les Flambettes



Ce sont des esprits taquins et pernicieux. Dès qu’elles aperçoivent un voyageur, elles l’entourent, le lutinent et parviennent à l’exaspérer. Elles fuient alors, l’entraînant au fond des bois et disparaissent quand elles l’ont tout-à-fait égaré.
                                                    
Maurice Sand.

Les flambeaux, ou flambettes, ou flamboires, que l’on appelle aussi les feux fous, sont ces météores bleuâtres que tout le monde a rencontrés la nuit ou vu danser sur la surface immobile des eaux dormantes. On dit que ces météores sont inertes par eux-mêmes, mais que la moindre brise les agite, et ils prennent une apparence de mouvement qui amuse ou inquiète l’imagination, selon qu’elle est disposée à la tristesse ou à la poésie.

Le Meneu' de loups


« Cent agneaux vous aurez,
Courant dedans la brande;
Belle, avec moi venez,
Cent agneaux vous aurez.
– Les agneaux qu’ous avez
Ont la gueule trop grande ;
Sans moi vous garderez
Les agneaux qu’ous avez. »
                             Maurice Sand

« Paunay, SaunayRosnay, Villiers, Quatre paroisses de sorciers. »

C’est là un dicton du pays de Brenne, et les historiens du Berry désignent cette région marécageuse comme le pays privilégié des meneux de loups et jeteux de sorts.

La croyance aux meneux de loups est répandue dans toute la France. C’est le dernier vestige de la légende si longtemps accréditée des lycanthropes. En Berry, où déjà les contes que l’on fait à nos petits enfants ne sont plus aussi merveilleux ni aussi terribles que ceux que nous faisaient nos grand’mères, je ne me souviens pas que l’on m’ait jamais parlé deshommes-loups de l’antiquité et du moyen-âge. Cependant on s’y sert encore du mot de garou qui signifie bien, à lui tout seul, homme-loup ; mais on en a perdu levrai sens. Le loup-garou est un loup ensorcelé, et les meneux de loups ne sont plus les capitaines de ces bandes de sorciers qui se changeaient en loups pour dévorer les enfants; ce sont deshommes savants et mystérieux, de vieuxbûcherons ou de malins gardes-chasse, qui possèdent le secret pour charmer, soumettre, apprivoiser et conduire les loups véritables. Je connais plusieurs personnes qui ont rencontré, aux premières clartés de la lune, au carroir de la Croix-Blanche, le père Soupison, surnomméDémonnet, s’en allant tout seul, à grands pas, et suivi de plus de trente loups.
 
 Les Lupins


Les lupins (ou lubins) sont des animaux fantastiques qui, la nuit, se tiennent debout le long des murs et hurlent à la lune. Ils sont très peureux, et si quelqu’un vient à passer, ils s’enfuient en criant : Robert est mort, Robert est mort !
                                Maurice Sand.

… bon nombre des esprits de la nuit sont demeurés inoffensifs. C’est bien assez qu’ils aient consenti à revêtir des formes bizarres et repoussantes qui les empêchent de séduire les humains. Les lubins sont de cette famille. Esprits chagrins, rêveurs et stupides, ils passent leur vie à causer dans une langue inconnue, le long des murs des cimetières. En certains endroits on les accuse de s’introduire dans le champ du repos et d’y ronger les ossements. Dans ce dernier cas, ils appartiennent à la race des lycanthropes et des garous, et doivent être appelés lupins.

 Les laveuses de nuit ou les Lavandières


Pour Sand cette légende est l'une des plus sinistres visions de la peur.  C'est au bord des étangs et des marais stagnants que l'on peut entendre le clapotis de l'eau et le battoir des lavandières fantastiques. Dans le Berry, ce sont les âmes des mères infanticides qui tordent et battent inlassablement ce qui ressemble à du linge souillé et qui n'est autre que le cadavre de leur enfant. Il faut bien se garder de les observer sinon elles vous saisissent et vous battent dans l'eau comme un linge.

La Gran'Bête



Les enfants du père Germain revenaient chargés de fagots qu’ils avaient dérobés. Au sortir des tailles de Champeaux, ils entendirent tous les oiseaux du bois crier à la fois, et virent une bête qui était faite comme un veau, tout comme un lièvre aussi.
C’était la Grand’bête.
                                  Maurice Sand.


Sous les noms de bigorne, de chien blanc, de bête havette, de vache au diable, de piterne, de tarann, etc., etc., un animal fabuleux se promène, de temps immémorial, dans les campagnes et pénètre même dans les habitations, on ne sait plus dans quel dessein, tant on lui fait bonne guerre pour le repousser, dès que sa présence est signalée dans une localité.





dimanche 19 mai 2013

L'Assommoir d'Emile Zola



Résultat de l'énigme n°66


Les vainqueurs du jour sont : Aifelle, Dasola, Eeguab, Keisha, Lilou, Marie-Josée, Pierrot Bâton.. Merci à tous!
Le roman : L'assommoir d'Emile Zola 
Le film : Gervaise de René Clément


L'assommoir, au XIX siècle, c'est le nom du café où les gens du peuple,  misérables et exploités, vont boire pour oublier la dureté de la vie. L'assommoir, c'est la déchéance de l'ouvrier.

Dans son roman L'Assommoir qui est le septième du cycle les Rougon-Macquart, Zola s'intéresse à Gervaise qui s'est mis en ménage avec Lantier et a eu trois enfants de lui, Jacques, Etienne et Claude Lantier. Elle le suit à Paris où, buveur et coureur de filles, il finit par l'abandonner.  Elle épouse Coupeau qui est couvreur et a une fille de lui, Nana. Gervaise est blanchisseuse et rêve d'ouvrir un magasin bien à elle. Elle est laborieusen, courageuse, et met de l'argent de côté pour ouvrir son entreprise mais son mari tombe d'un toit. Gervaise dépense toutes ses économies  pour le soigner. Celui-ci s'en sort mais il ne peut pas reprendre son travail et sombre dans l'alcoolisme.  Gervais peut ouvrir sa blanchisserie grâce au prêt du forgeron Goujet qui est amoureux d'elle. Mais Coupeau se prend d'amitié pour Lantier, de retour dans le quartier, et le loge chez lui. Les deux hommes boivent et vivent au dépens de Gervaise qui travaille pour eux et par faiblesse, a des relations avec les deux hommes. Goujet, déçu par Gervaise, s'en va en amenant Etienne, le troisième fils de Gervaise,  qu'il a pris pour apprenti. C'est le commencement de la déchéance pour la jeune femme qui finira elle aussi à l'assommoir.

Avec ce septième roman de L'histoire naturelle d'une famille sous le second empire, Emile Zola se place en chef de file du Naturalisme, mouvement littéraire qui succède au réalisme et s'appuie sur les découvertes scientifiques de l'époque, s'inspirant de la méthode expérimentale de Claude Bernard. Emile Zola veut étudier à travers une famille du second empire, les lois de l'hérédité.
« Mon oeuvre à moi sera tout autre chose. Le cadre en sera plus restreint. Je ne veux pas peindre la société contemporaine mais une seule famille en montrant le jeu de la race modifiée par le milieu. [...] Ma grande affaire est d'être purement physiologiste. »
Dans la préface de L'Assommoir, il explique son but : Les Rougon-Macquart doivent se composer d'une vingtaine de romans. Depuis 1869, le plan général est arrêté, et je le suis avec une rigueur extrême. L'Assommoir est venu à son heure, je l'ai écrit, comme j'écrirai les autres, sans me déranger une seconde de ma ligne droite. C'est ce qui fait ma force. J'ai un but auquel je vais.
Lorsque L'Assommoir a paru dans un journal, il a été attaqué avec une brutalité sans exemple, dénoncé, chargé de tous les crimes. Est-il bien nécessaire d'expliquer ici, en quelques lignes, mes intentions d'écrivain ? J'ai voulu peindre la déchéance fatale d'une famille ouvrière, dans le milieu empesté de nos faubourgs. Au bout de l'ivrognerie et de la fainéantise, il y a le relâchement des liens de la famille, les ordures de la promiscuité, l'oubli progressif des sentiments honnêtes, puis comme dénoûment, la honte et la mort. C'est de la morale en action, simplement.

Tous les personnages dont l'histoire commence avec La fortune des  Rougon, le premier livre du cycle, vont être marqués héréditairement par l'ancêtre Adélaïde Fouque dont le père est dément et qui après avoir épousé Pierre Rougon, prend pour amant Antoine Macquart, un alcoolique. La folie et l'alcoolisme sont les deux terribles hérédités dont ont a souffrir tous les descendants d'Adélaïde Fouque, de Rougon et de Macquart.
C'est ainsi que Gervaise, "élevée" à l'anisette dès l'enfance, finira par sombrer dans l'alcoolisme. Ses fils et sa fille illustrant eux aussi la thèse de l'hérédité.

Claude Lantier, le fils aîné de Gervaise et de Lantier a la chance d'échapper au déterminisme social en étant élevé loin de ses parents, à Plassans par un vieux monsieur qui lui fait faire des études. Il devient peintre. Mais il est déséquilibré, souffre de trouble mentaux héréditaires et se pend. (L'Oeuvre)

Jacques Lantier, le second fils de Gervaise et de Lantier, est marqué dès l'enfance par des douleurs de tête terribles, des accès de fièvre. Il est poursuivi par l'affreux désir de tuer une femme. Au cours d'une crise de folie il tue Séverine et mourra de mort violente.(La Bête humaine)

Etienne Lantier, le troisième fils de Gervais et Lantier vit à Paris avec Gervaise et Coupeau et subit les brutalités de Coupeau. Heureusement, Goujet, le forgeron, le prend comme apprenti  et fait de lui un ouvrier honnête et engagé politiquement plutôt exalté..  Pourtant s'il boit un verre de vin, il sent la violence se réveiller en lui. C'est pourquoi il méprise la boisson. Il échappe au déterminisme social et au déterminisme de l'hérédité par la force de la volonté..
Quant à Nana, laissée sans éducation,sa mère étant hors d'état de s'occuper d'elle, marquée par l'alcoolisme héréditaire, elle  traîne dans les rues, tombe dans le vice et se prostituera.

Pour tout connaître sur la généalogie des Rougon-Macquart, allez voir ici  (source)

samedi 18 mai 2013

Un livre/ Un jeu : Enigme N° 66





Pour les nouveaux venus : De quoi s'agit-il?

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.
Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
Pendant les vacances, nous arrêtons le jeu Un livre/ Un film.

Enigme n° 66

Ce roman français publié dans les années 1870 est un des plus célèbres de cet écrivain qui décrit l'histoire naturelle d'une famille sous le second empire. Oui, je sais, je vous dis tout! mais c'est pour compenser les difficultés de l'énigme japonaise de la semaine dernière! Le personnage principal est une femme travailleuse, bonne mais faible.  Elle ne parviendra pas à s'élever au-dessus de sa classe sociale.  Ce roman a été plusieurs fois adapté au théâtre et au cinéma.

 À mesure qu’elle avançait, les becs de gaz sortaient de la pâleur de l’air, pareils à des torches éteintes. Puis, tout d’un coup, lorsqu’elle traversait un carrefour, ces lueurs elles-mêmes manquaient ; elle était prise et roulée dans un tourbillon blafard, sans distinguer rien qui pût la guider. Sous elle, le sol fuyait, d’une blancheur vague. Des murs gris l’enfermaient. Et, quand elle s’arrêtait, hésitante, tournant la tête, elle devinait, derrière ce voile de glace, l’immensité des avenues, les files interminables des becs de gaz, tout cet infini noir et désert de Paris endormi.
Elle était là, à la rencontre du boulevard extérieur et des boulevards de Magenta et d’Ornano, rêvant de se coucher par terre, lorsqu’elle entendit un bruit de pas. Elle courut, mais la neige lui bouchait les yeux, et les pas s’éloignaient, sans qu’elle pût saisir s’ils allaient à droite ou à gauche. Enfin elle aperçut les larges épaules d’un homme, une tache sombre et dansante, s’enfonçant dans un brouillard. Oh! celui-là, elle le voulait, elle ne le lâcherait pas! Et elle courut plus fort, elle l’atteignit, le prit par la blouse.
— Monsieur, monsieur, écoutez donc…

jeudi 16 mai 2013

Mauprat et Les Hauts de Hurle-Vent : De George Sand à Emily Brontë par Joseph Barry




 Dans sa biographie consacrée à George Sand, Joseph Berry montre ce que Les Hauts de Hurle-Vent doit au Mauprat de George Sand. J'ai trouvé cette comparaison qui ne m'avait pas frappée à priori,  très judicieuse.


Mauprat, "une fois publié annonçait de  frappante les Hauts de Hurle-Vent qu'il devançait de dix ans. Peut-être Emily Brontë le lut-elle comme l'avait fait très certainement, en tout cas, son aînée Charlotte, fidèle lectrice de La Revue de deux Mondes. Aucune femme aspirant à une carrière d'écrivain ne pouvait se permettre de manquer ce que publiait George Sand. Les deux romans présentent des points communs remarquables; et des différences qui le sont tout autant. Ils sont construits autour d'un même thème central, celui de la transformation d'un homme par une femme, nouvel avatar de celui légendaire de La Belle et la Bête. Comme le Heathcliff de Brontë, mais avant lui, le héros de Sand, Mauprat est dépeint par des métaphores animales : "loup blessé", "l'ours", "faucon sauvage", "lion somnolent transformé par la fée". Les termes sont plus doux que ceux qui carctérisent "l'homme féroce, impitoyable, vorace" décrit par Emily Brontë, ce chien déchaîné en quête de proie, cette "bête maudite". Les différences se situent sur le plan personnel et social. George Sand avait aimé, affectivement et sensuellement, un Aurélien de Sèze, un Alfred de Musset, et été aimée d'eux. Pas Emily Brontë. Dans le roman de Sand, la fée qui a "transformé" Mauprat est sa cousine Edmée; ils se marient et vivent ensemble un longue vie de bonheur. Les Hauts de Hurle-Vent est une tragédie, pour l'homme comme pour la femme.
                              
                                     Joseph Barry George Sand ou le scandale de la liberté" (Seuil)




lundi 13 mai 2013

Marc Graciano : Liberté dans la montagne, un coup de coeur




On a dit que le roman de Marc Graciano Liberté dans la montagne était un OLNI, autrement dit " un Objet Littéraire Non Identifié" et c'est bien de cela qu'il s'agit. Qui se plonge dans cette lecture hors du commun peut être sûr de perdre pied  et de ne pas toujours savoir où il en est. Mais pourrais-je dire pourquoi? Comment rendre compte d'un tel "objet"? Pourquoi cette surprise, pourquoi ce charme, cette émotion aussi? Et cette impression que le livre répond à d'innombrables questions sur l'homme, sur nous donc, comme si, à travers les rencontres faites par les deux personnages principaux, le vieillard et la fillette, on remontait aux sources mêmes de l'humanité et on découvrait tout ce qu'il peut y avoir de mal et de bien en elle, de beauté et de laideur. Comme si le livre répondait à nos questions les plus fondamentales sur la mort, sur dieu, la nature, l'amour, l'amitié, la bonté, la violence et la cruauté...

L'abbé dit que que dieu n'existait pas. Ni le fils de dieu et que c'était une évidence à laquelle, lui, l'abbé avait dû se résoudre comme tout homme sensé et l'abbé dit que seule existait l'idée de dieu. L'idée de dieu dans l'esprit des hommes. L'abbé dit que dieu n'existait que chaque fois que les hommes s'assemblaient et qu'ils pensaient à lui et qu'ainsi ils le faisaient exister et pareillement pour le fils de dieu, le Christ, notre frère, dit l'abbé, et l'abbé dit que c'était la foi dans l'esprit des hommes qui faisait exister dieu et que, contrairement à ce qu'il était communément admis, dieu n'avait point créé l'homme à son image car dieu n'existait pas mais, qu'au contraire, c'était l'homme qui avait créé dieu et pareillement pour le fils de dieu. Mais l'abbé fit remarquer au vieux que pour autant dieu n'en avait pas moins d'importance et que le message porté par le fils de dieu n'en avait pas moins de valeur...


Dès  la première page la magie  fonctionne :  Depuis bien des jours le vieux cheminait avec la petite le long de la rivière. Quelquefois le vieux tenait la main de la petite mais, le plus souvent, il la laissait voyager seule autour de lui.  Et nous voilà en train de marcher sur le chemin avec eux dans un espace indéfini et un temps qui l'est tout autant, un lointain Moyen-âge.. Car le voyage qu'entreprend cet homme et cette enfant qui lui a été confiée par sa grand mère mourante est étrange. Qui sont-ils? Ils n'ont pas de nom, représentants donc de l'humanité. Où vont-ils? Quel ce Nord mythique qui est le but de leur voyage? Et ces deux personnages, au gré de leurs rencontres, nous font découvrir des scènes inoubliables, la chasse au loup, le tournoi, le gibet, l'inondation...,  des personnages marquants, le géant, le veneur, l'abbé, les nomades, le berger …
Nous traversons  des paysages singuliers, mystérieux, une forêt perdue, Une forêt intacte. Une forêt immaculée, un forêt qui n'existe pas, la demeure d'anciens Dieux. Un endroit  de conte merveilleux ,   ou encore des  marais brumeux "saturé d'odeurs et de bruits",  des lieux visités par les spectres, où les oiseaux sont doués de paroles, où l'univers infini crée le vertige, où la Nature semble encore régner en maîtresse absolue, et où s'établit entre le Vieux et elle un lien cosmique qui le relie au Grand-Tout.
Et puis il y a cet amour qui passe entre la petite et le vieillard, un sentiment sacré qui les lie l'un à l'autre :
 le vieux dit que le devoir de s'occuper de la petite était un devoir qui, en vérité lui incombait de toute éternité. Que ce devoir avait été créé avant même que le petite ne naquit. Un devoir auquel il ne pouvait se dérober. Qu'une promesse avait été faite non point seulement à la grand mère avant sa mort et non point, à travers elle, à la mère morte à la parturition, mais à une entité plus grande encore. A une autorité qui certainement le dépassait, lui, le vieux, mais aussi la mère morte, la grand mère morte et la petite et le géant et le monde entier.
Il y a l'infini patience du Vieux envers l'enfant, sa manière de lui faire découvrir le monde sans jamais lui mentir, la force qu'il met à son service, ce dévouement de nourrice attentive et de guerrier barbare. Il y a l'enthousiasme, la curiosité insatiable de la fillette devant la vie, son courage et ses peurs, sa confiance et son amour dans son compagnon de voyage. Toute une nuance de sentiments qui fait que l'on s'attache à eux, qu'on les aime comme si on les connaissait bien et qu'ils nous rendent beaucoup en échange..
Alors le Vieux dit à la petite qu'ils possédaient des choses qu'ils ne pouvaient pas perdre et que nul ne pouvait leur dérober. Il lui dit qu'ils possédaient le ciel et qu'ils possédaient la forêt et il lui dit qu'ils possédaient  l'enchantement  chaque jour  renouvelé du chemin que tous deux suivaient.

Quant à l'envoûtement créé par cette lecture, il est dû à la magie de l'écriture, un langage à part, merveilleusement musical,  avec un rythme interne qui n'appartient qu'à lui :  répétitions des mots qui permet à la phrase de s'appuyer sur le mot précédent pour aller de l'avant,  phrase qui paraît  ainsi se dérouler comme le paysage au rythme des pas de l'enfant et de l'Homme. Une langue luxuriante qui utilise des mots anciens, des mots inconnus, difficiles, recherchés, mais aussi peut-être des néologismes, évocateurs, poétiques, amusants, imaginatifs, des tournures grammaticales qui seraient incorrectes aujourd'hui mais trouvent leur place dans ce no man's land de l'écriture, voyage au coeur d'une langue très ancienne et qui pourtant n'appartient qu'à l'auteur!

Merci à Dominique pour la découverte de beau livre  Vous pouvez aller lire son billet ICI 

Marc Graciano Liberté dans la montagne Editions Corti

dimanche 12 mai 2013

Ryûnosuke Akutagawa : Rashomon et autres contes


Résultat de l'énigme n°65

Les vainqueurs du jour sont : Asphodèle, Dasola,  Dominique,  Eeguab, Somaja...

Le recueil de nouvelles : De Ryûnosuke Akutagawa : Rashomon et autres contes
                    
Le film :  Rashomon de Akira Kurosawa



Ryûnosuke Akutagawa (1892-1927)
  
Né à Tokyo, Akutagawa, auteur de plus de 200 récits très courts,  est considéré à juste titre comme un des écrivains majeurs du Japon. Brillant élève et étudiant il se nourrit à la fois des classiques Chinois et Japonais et de la littérature occidentale (il fut le traducteur de Yeats et d'Anatole France). Il publie sa première nouvelle en 1914 (Vieillesse). Enseignant, il décide  de se consacrer entièrement à l'écriture en 1920, il cherche dans ses textes à réaliser la fusion entre  la culture classique orientale et la littérature occidentale, fusionner  tradition et modernité. Un grand nombre de ses nouvelles parlent du Japon médiéval, mais l'écriture est très moderne et personnelle. Les récits sont rigoureusement construits, la langue souvent poétique est épurée, chaque phrase est calculée pour obtenir les effets et le émotions  recherchés. Dans ses récits historiques, ses contes Akutagawa parle certes de son pays, mais aussi de lui-même,  de sa vision de l'homme, de ses propres angoisses. Souffrant d'hallucinations, l'écrivain mettra fin à ses jours à l'âge de 35 ans.
Rashômon et autres contes

  Dans le livre paru en format de poche, l'éditeur  a réuni quatre contes qui  nous permettent d'approcher l'oeuvre de l'écrivain.

Rashômon est une des premières nouvelles écrites par Agatagawa en 1915. A l'époque médiévale, à Kyôto ravagé par une suite de calamités, un homme de basse condition s'est réfugié pour se protéger de la pluie sous le portique (= Mon) du démon (= Rashô) transformée en charnier.  Le personnage, un modeste employé a été chassé de son emploi par son patron. Au milieu des cadavres, il rencontre une vieille femme fantomatique qui arrache les cheveux aux cadavres. Horrifié, il dépouille la vieille femme de ses vêtements. Pour survivre il s'est  décidé à devenir voleur. La nouvelle pose la question du Bien et du Mal. Pour survivre le pauvre perd son humanité. Le Mal n'est-il pas indissolublement lié à la misère?

Dans le fourré (1922), à la suite d'un meurtre survenu en forêt, sept personnages témoignent devant la justice : un bûcheron, un moine, un mouchard, un brigand, une vieille femme, la femme de la victime, et l'esprit du mort par l'intermédiaire d'une sorcière. Les témoignages apparaissent contradictoires le brigand et l'épouse s'accusant du meurtre, la victime parle de son suicide. Quelle est la vérité? les personnages semblent préférer s'accuser de crimes plutôt qu'être pris pour des lâches et ternir leur réputation. L'orgueil de l'Homme est incommensurable puisque même dans la mort il préfère sauvegarder son image plutôt que la vérité.

Dans Figures Infernales (1917) Akutagawa nous raconte l'histoire de la réalisation du Paravent des Figures infernales par l'artiste Yoshihidé, qui ne peut peindre que ce qu'il voit. Mais comment peindre l'Enfer sans l'approcher? Ce récit très noir et pessimiste montre un artiste prêt à tous les sacrifices pour atteindre le sommet de son art et pose les problèmes de l'art et de la morale.

La dernière nouvelle nous présente  le portrait d'un ridicule sous-officier qui souhaite se rassasier d'un mets royal, un Gruau d'ignames (1915) à la cannelle. Akutagawa sait aussi à côté de ses récits noirs,  peindre les ridicules des personnages et manier l'ironie.


Quatre nouvelles puissantes et noires d'un très grand écrivain.

 Akira Kurosawa : Rashomon

rashomon1bis
Akira Kurosawa s'inspire de deux nouvelles de Akutagawa,  Rashômon qui donne le titre et le cadre du film et Dans le fourré, le récit. Il situe l'intrigue dans le Japon du XII ème siècle, une période de troubles et de guerres civiles.

Sous le portique (Mon) du démon (Rashô)  trois hommes sont venus de mettre à l'abri  car la pluie tombe violemment. Un moine et un bûcheron discutent d'un procès auquel ils ont assisté et témoigné. Le troisième homme les incite à raconter l'histoire. Le corps d'un samouraï, Takehiro, a été retrouvé sans vie et son épouse Masago a été violée par un bandit de grand chemin, Tamojaru. Mais le procès ne permet pas de reconstituer avec certitude les faits, les conditions du meurtre du Samouraï, car les six témoignages  recueillis lors du procès donnent des versions largement contradictoires. Qui dit la vérité? Tamojaru qui s'accuse du meurtre et du viol ? Mais peut-on parler de viol ? Masago était-elle consentante? A-t-elle tué son mari? Tikahiro, qui parle de l'au-delà par l'intermédiaire d'un médium s'est-il suicidé ou a-t-il cherché à fuir et a été abattu comme un lâche? Et qu'a vu réellement le bûcheron, seul témoin extérieur au meurtre ? Lorsque la pluie cesse, les trois hommes se séparent, mais les cris d'un enfant abandonné attirent le bûcheron qui décide de l'adopter. Le moine le remercie: "Ton geste a restitué ma foi en l'humanité".

Pour Kurosawa: "Les hommes sont incapables d'honnêteté envers eux-mêmes. Ils ne peuvent pas parler d'eux sans embellir leur image. Ce film est comme un tableau enroulé qui, en se déroulant, dévoile le Moi humain." Cette déclaration  peut paraître très pessimiste, mais  le dénouement  du film (différent du  conte de Akutagawa)  nuance le propos. Quand le bûcheron emmène l'enfant, Kurosawa nous affirme qu'il ne faut jamais désespérer de l'âme humaine.

 Extrait du billet de Wens que vous pourrez aller lire en entier ICI :

Rashomon film de Kurosawa

Rashomon Ryûnosuke Akutagawa

samedi 11 mai 2013

Un livre/Un film : Enigme n°65







Pour les nouveaux venus : De quoi s'agit-il?

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.
Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
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Enigme n° 65
Né à Tokyo à la fin du XIX siècle, l'auteur est un écrivain majeur du Japon. Il se suicide à l'âge de 37 ans. La nouvelle adaptée au cinéma par un non moins grand réalisateur japonais, est extraite d'un recueil dont les textes ont été publiés entre 1915 et 1922. Elle montre une enquête policière sur un meurtre dans le Japon médiéval selon le point de vue de plusieurs  témoins.

Je vous confirme, monsieur le lieutenant ma déposition. Ce matin-là comme d'habitude, je me rendais sur un l'autre versant de la montagne pour abattre des sapins. Le cadavre était dans un fourré à l'ombre de la montagne. Le lieu exact? A quatre ou cinq chô, je crois, de la halte de Yamashina. C'est un endroit sauvage où se dressent clairsemés des bambous mêlés de maigres conifères. 

jeudi 9 mai 2013

Marc Graciano : Liberté dans la montagne (citation)


Ce livre de Marc Graciano Liberté dans la montagne, je vais vous en parler bientôt. Le style est  étrange, envoûtant, le langage poétique et évocateur et le récit  se déroule dans dans les temps anciens barbares et cruels, où pourtant, parfois, la fraternité existe et où la Nature a encore un pouvoir immense sur les hommes. Ce roman est si beau, si puissant, si hors norme qu'il me paraît être un ovni dans la création littéraire française. Merci à Dominique de me l'avoir fait découvrir.
Pour aujourd'hui voici un extrait qui ouvre le long voyage initiatique du Vieux et de la Petite :

Depuis bien des jours le vieux cheminait avec la petite le long de la rivière. Quelquefois le vieux tenait la main de la petite mais, le plus souvent, il la laissait voyager seule autour de lui. À cette fin, le vieux veillait à libérer la petite de tout faix. Le vieux veillait aussi à toujours régler son pas sur celui de la petite. Le vieux marchait doucement et quand la petite découvrait une chose inconnue et qu’elle s’arrêtait pour l’observer et qu’elle s’accroupissait sur les talons et qu’en se grattant impudiquement les fesses elle questionnait le vieux, le vieux s’arrêtait aussi. Le vieux interrompait leur voyage et, chaque fois qu’il le pouvait, il nommait à la petite ce qu’elle voyait. Chaque fois qu’il le pouvait, le vieux enseignait la petite sur les êtres et sur les choses qu’ils rencontraient. Le vieux nommait à la petite toutes les choses qu’elle découvrait et, quand il le connaissait, il lui en décrivait l’usage. Souventefois aussi, la petite demandait au vieux l’origine des choses et le vieux faisait toujours l’effort de lui répondre le plus sérieusement et le plus complètement possible mais, quand il ignorait la réponse, le vieux l’avouait à la petite.

mercredi 8 mai 2013

Dario Bicchielli : tragédies Salutaires


Tragédies Salutaires de Dario Bicchielli est une première oeuvre qui m'a été envoyée par l'auteur lui-même, ce dont je le remercie.. Il s'agit d'un recueil de huit nouvelles ou poésies publié chez Mon petit éditeur.

Une remarque d'abord sur le choix de la forme :
Je dois dire que je n'ai pas apprécié le fait que soient associées poésies et nouvelles en prose dans le recueil, ce qui m'a donné une impression de décousu  même s'il s'agit d'un choix assumé par Dario Bichielli. De plus le morcellement excessif du texte en de nombreux petits paragraphes accentue encore cette impression d'un manque de cohérence,  comme s'il ne s'agissait pas d'un tout mais d'un ensemble un peu disparate. Loin de me convaincre j'ai eu l'impression d'une dispersion.
Ceci dit, je  me suis intéressée aux nouvelles et je dois dire que deux d'entre elles en particulier, bien écrites, convaincantes, m'ont surprise agréablement.
Mes deux nouvelles préférées :
Un homme qui voulait vivre raconte l'histoire de Henri qui se trouve seul à la maison et en profite pour descendre à la cave car la tentation d'aller admirer sa dernière folie grandit en lui. Là, il se fait piéger par un inconnu qui s'est introduit chez lui et le menace d'un revolver. Ce récit est l'occasion d'analyser les sentiments d'un homme de quarante ans - il vient de fêter la veille son anniversaire-  qui, face à la mort, s'interroge sur ses choix, un homme qui fait le bilan de sa vie. Un homme comme tout le monde qui a obéi aux règles qu'on lui a inculquées, qui a mis un mouchoir sur ses idéaux, qui est rentré dans les rangs. Mais ce conformisme conduit-il au bonheur? Bref, la crise de la quarantaine? Non, pas vraiment car vous avouerez que face à un revolver chargé la crise prend une couleur … particulière! Je ne vous en dis pas plus car la chute est inattendue et bienvenue! Dario Bichielli sait manier l'ironie amère.

Dans Jack au combat, un jeune américain s'engage dans les Marines par désespoir d'amour et se retrouve bientôt en plein coeur du combat, au Vietnam. L'amoureux  romantique va bien vite prendre le goût du sang et montrer de sinistres dispositions pour le meurtre organisé jusqu'au moment où…  attention à la chute! Une critique de la violence sous toutes ses formes et pas seulement sur les champs de bataille.

A noter aussi Quatrième (dimension) nouvelle ou la remise en question de toute une vie liée à  l'angoisse de la maladie ou à l'hypocondrie, texte intéressant, vaguement redondant par rapport à Un homme qui voulait vivre mais tout aussi pessimiste. Dario Bichielli n'a que 27 ans mais on dirait qu'il sait tout de l'homme de quarante ans qui est revenu de tout et surtout de sa Bobonne et de ses affreux moutards qu'il ne peut plus voir même en peinture!.

Quant aux deux autres récits Le miel et le vinaigre (bien que la chute soit aussi intéressante) et Révolution passagère, je ne les ai pas aimés. L'auteur a voulu y placer toutes ses idées sur la société, y exprimer ses révoltes, ses dégoûts. On sent qu'il y a mis beaucoup de lui-même! Mais  trop, c'est trop!  Les nouvelles sont trop partisanes, trop bavardes. La démonstration prime sur le récit.

En résumé l'ensemble est inégal mais présente des qualités certaines.

mardi 7 mai 2013

Marcus Malte : Les Harmoniques




Marcus Malte est en ce moment l'écrivain chéri des blog littéraires et je vois fleurir des billets sur ses livres ( Que ceux, enfin je veux dire, CELLES, qui se reconnaissent, lèvent le doigt!). Donc, j'ai voulu absolument le connaître!

Dès le premier chapitre de son roman Les harmoniques, j'ai été happée par le style de Marcus Malte, la vivacité, le naturel, l'originalité et l'intelligence du dialogue. Il faut dire que la conversation un peu surréaliste entre Mister et son copain Bob  lors d'une évasion en taxi pour aller voir la mer est un véritable feu d'artifice. Mister, le noir d'origine malienne est un  jeune pianiste. Bob, le blanc, vieux chauffeur de taxi en déroute (je veux dire en train de rendre l'âme.. le taxi pas Bob!) est professeur de philo démissionnaire. Tous deux sont réunis par un même amour du jazz.*  
Par la suite, j'ai trouvé que l'action se mettait un peu trop lentement en place. Il faut dire qu'après un début sur les chapeaux de roue, le rythme retombe un peu, le récit piétine.  Mais si Marcus Malte a l'art du dialogue, il utilise bien d'autres registres et le lecteur se laisse à nouveau emporter :  un style poétique, qui nous retourne, provoque l'émotion comme dans ce passage où il parle des enfants sacrifiés de l'ex-Yougoslavie enfouis dans des caves pour échapper aux bombes, ou celui  si beau, si émouvant de la grand mère de Véra ou encore des moments pleins d'humour qui ont un rythme fou, s'emballent, dérapent, comme ce moment absolument délirant où Mister emprunte, pour ligoter son ennemi, des menottes  à son copain barman, homosexuel qui croit que Mister lui fait des avances! Je ne vous en dis pas plus, c'est hilarant. Ainsi de l'humour à la tragédie en passant par la poésie, Marcus Malte est à l'aise dans tous les genres. Quant à l'histoire policière, Véra, jeune fille d'origine bosniaque, après avoir subi dans son enfance le siège de Vukovar et les bombardements par les forces serbes a pu émigrer en France à la fin de la guerre. Mister l'a remarquée car chaque soir elle vient l'écouter dans son club et semble fascinée par la musique. Mais elle est assassinée et brûlée vive. La police a arrêté les deux coupables mais Mister est persuadé qu'il ne s'agit que de sous-fifres. Bob et lui vont essayer de remonter à la source, au commanditaire de l'assassinat.

 Ce qui m'a particulièrement intéressée dans le récit c'est le contexte réaliste, historique, social et politique, dans lequel il s'inscrit. La société française avec ses immigrés, ses sans-papiers, sa violence et sa misère et aussi ses hommes politiques corrompus qui utilisent leur fonction pour s'assurer l'impunité est brossée sans complaisance et l'histoire nous entraîne dans le passé, dans la guerre des Balkans, ses crimes et les responsabilités de ceux qui font passer leurs intérêts avant tout, au détriment de l'humanité,  posant  ainsi le problème de notre indifférence, nous européens face à ses atrocités..

 La musique, le jazz, tient une place primordiale, est la source où se baigne ce roman noir, le leit-motiv qui unit les personnages, les ondes de choc qui retentissent sur les personnages longtemps après que les notes se sont tues. D'où le titre. Les Harmoniques ce sont  Les notes derrière les notes, dit Mister. Les notes secrètes. Les ondes fantômes qui se multiplient et se propagent à l’infini, ou presque. Comme des ronds dans l’eau. Comme un écho qui ne meurt jamais.  La musique, c'est ce qui permet à Véra, enfant bosniaque, prise dans la guerre, de survivre à la violence et la brutalité, à la noirceur des hommes, de se dire qu'il pourrait y avoir une vie après ça.  Les harmoniques, ce sont les ondes fantômes de la guerre, les notes d'horreur qui la suivent et qui auront raison d'elle.


*Extrait  1 Premier chapitre discussion autour de Wallflower de Gerry Mulligan

- Mon cher Bob, dans la généalogie d'un nègre il y a toujours quelque part un cueilleur de coton ou un coupeur de cannes. N'oublie jamais ça.

- Ouais… je te rappelle quand même que Gerry Mulligan  était blanc. Du moins à ma connaissance.

-Ooh! Je m'étonne qu'un type comme toi se laisse abuser par les apparences (…) Ecoute encore. Ecoute cette  plainte déchirante. Serais -tu devenu aussi sourd que tes ancêtres colons?

-Je t'emmerde Mister, mon ami. Et mes ancêtres aussi, depuis la toute première génération. En fin de compte tu es bourré de lieux communs.

- Je ne suis jamais bourré, tu sais bien

-J'eusse aimé ne pas avoir à te rétorquer que mon grand père descendait à la mine dès l'âge de huit ans. A quatre cents mètres sous terre. Et qu'il en ressortait plus noir que toi et tous les sorciers de ton village. Lui, c'est pas le soleil qui lui donnait sa couleur. Tu la vois la différence?

- Et ta mémé, elle s'appelait Gervaise, c'est ça?

- Elle s'appelait Léonie et elle priait Dieu chaque soir pour avoir à donner à bouffer le lendemain aux onze marmots issus de son ventre fécond.

Voir  aussi
Kathel  :
Asphodèle
Eimelle qui a lu le roman en écoutant la musique indiqué dans le livre.