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jeudi 26 avril 2018

Pieter Aspe : Chaos sur Bruges


Le commissaire Van In, grande gueule au cœur tendre et buveur de bière impénitent, son adjoint, le perspicace Versavel, et la belle Hannelore Martens, substitut du procureur. Un trio de choc pour déjouer une série d'affaires qui sème la panique dans la bourgeoise ville de Bruges. Une fois de plus, le pas très politiquement correct Van In s'apprête à jeter le trouble en haut lieu, où l'on semble peu pressé de le voir résoudre son enquête... (4ième de couverture)
Chaos sur Bruges de Pieter Aspe ne m’a pas entièrement convaincue. Cela tient d’abord au personnage principal, le fameux commissaire Van In avec lequel je faisais connaissance et qui m’a grandement ennuyée. En dehors de son alcoolisme et de son amour immodéré de la bière (cela m’a du moins appris le nom d’une d’entre elles la Duvel ! ), de sa saleté, de ses vêtements froissés et tachés et de son mauvais caractère, je ne sais pas ce que l’on peut lui trouver ! Ajoutons que lorsqu’il sort du lit de la belle Hannelore, c’est pour mieux entrer dans celui d’une prostituée, si bien que lorsqu’il demande Hannelore en mariage, on se dit qu’elle ferait mieux de fuir ! Tout cela pour dire que l’on ne peut pas vraiment croire aux sentiments de l’un ou de l’autre et que l’analyse psychologique des personnages paraît superficielle dans ce roman.
Voyons l’intrigue maintenant. Là aussi, j’ai eu beaucoup de mal à m’y intéressée, du moins au début. Je trouve qu'elle traîne en longueur. Ensuite, je suis bien entrée dans l’histoire mais elle me paraît compliquée. Il y est fait allusion aux différends entre wallons et flamands. Piste abandonnée par la suite.. mais qui m’intéressait.

Bref! En gros, l’alchimie n’a pas eu lieu. Peut-être dans un autre de ses romans ?



mardi 24 avril 2018

Aubusson : Les musées de la tapisserie

Tapisserie d'Aubusson

Je reviens d'Aubusson, en Creuse, et je ne résiste pas à vous donner un aperçu du musée de la tapisserie d'Aubusson


La Cité internationale de la tapisserie fait écho à l’inscription de la tapisserie d’Aubusson au Patrimoine culturel immatériel par l’UNESCO en 2009. 
Ce lieu dédié au rayonnement de la tapisserie ouvre ses portes à l'été 2016 au sein de l’ancienne école Nationale d’Art Décoratif d’Aubusson, entièrement restructurée : 1200 m2 d'exposition, une plateforme de création contemporaine et d'innovation, un lieu de formation complété par une pépinière art textile / art tissé, le premier centre de ressources sur la tapisserie en Europe. (site officiel)

  La façade de l'ancienne école de tapisserie a été recouverte de lames multicolores faites de membrane textile et de lames de bois pour évoquer les fils d'un métier. Y sont regroupées les tapisseries du XVième au XXième qui permettent de voir l'évolution de la tapisserie au cours des siècles.

Du XV au XX siècle



La "nef des tentures" exposent les oeuvres classiques parmi lesquelles trône La Millefleurs à la licorne, la plus ancienne tapisserie du musée qui date du XV siècle.

Millefleurs à la licorne  (XV siècle)

Vers la fin du XIX siècle, la tapisserie est tombée en  désuétude faute de renouvellement et par manque de créativité. C'est Jean Lurçat qui, en 1939, redonne vie à cet art et l'inscrit dans la modernité.

Jean Lurçat Le soleil de Paris

A l'arrière plan, Jean Lurçat :  Claires
Jean Lurçat :  Claires atelier Raymond Picaud (Aubusson)
Avec Claires Jean Lurçat  emprunte au poète Léopold Sédar Senghor  les vers du poème Départ issu du recueil Chants d'ombre,  intégrés dans la tapisserie où l'écrivain évoque une période enchanteresse de son enfance.
Toutes ces heures claires vertes bleues
vertes claires bleues
 Jean Lurçat célèbre ici les paysages du sud rayonnants et lumineux. Le soleil a tête de lion qui évoque la puissance est une image récurrente de son oeuvre.
Dom Robert
J'ai beaucoup aimé aussi l'inspiration de Dom Robert tournée vers la nature dont il révèle la beauté, la poésie.  Moine bénédictin et cartonnier, il affirmait : Il n'y a qu'une chose qui ne trompe pas, c'est la nature. La nature, c'est le vrai, le réel." Il citait souvent la phrase de Monet : Je peins ce que je vois, et non ce que les autres voient." Il fait partie d'un mouvement  nommé  La Nouvelle Tapisserie qui a explosé dans les années 1960 et a pris une ampleur internationale.. 
Une autre oeuvre de Dom Robert
à côte des grands noms, Braque, Picasso, Léger, Gromaire, Le Corbusier...

Braque
... j'ai découvert des tapisseries de Lucien Coutaud que je ne connaissais pas.

Lucien Coutaud :  : La Jeune endormie (1945)

Lucien Coutaud La Jeune endormie (1945)

Lucien Coutaud  : La main magique
Lucien Coutaud est un peintre peu connu en regard de son oeuvre originale, mystérieuse et dense. Il était peintre, graveur, et utilisait toutes les techniques, lithographies, cuivre, eaux-fortes. Il a aussi réalisé des décors de théâtre ainsi que 29 tapisseries, participant avec Lurçat au renouveau de la tapisserie à Aubusson. Son oeuvre montre son attirance pour le mystère, la magie, l'onirisme et l'ésotérisme. Peintre du surréel, il n'a jamais voulu être classé parmi les surréalistes mais tout son travail est une invitation au rêve. Le réel existe mais toujours avec des frontières floues, à la limite de l'imaginaire.

Tapisserie contemporaine


C'est dans un autre bâtiment que les productions contemporaines sont installées. En effet, depuis 2010, le fonds  régional pour la création de la tapisserie contemporaine a initié un appel à projets annuel. Les oeuvres qui obtiennent des prix rejoignent les collections du musée et permettent un renouvellement des tapisseries exposées.

Peau de Licorne

Nicolas Buffe : Peau de licorne

Le premier projet qui obtient le prix en 2010 est Peau de licorne par Nicolas Buffe. Celui-ci, diplômé de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris, vit et travaille à Tokyo. La licorne représentant l'animal emblématique de la tapisserie, Nicolas Buffe explique : "J’ai conçu un projet représentant la dépouille de la licorne. Dans ce geste quelque peu iconoclaste de tuer le symbole pour le régénérer, j’espère imprimer la marque d’une nouvelle époque pleine de créations stimulantes pour Aubusson mais aussi pour la tapisserie française."


La tapisserie est réalisée en laine et en soie par l'atelier Patrick Guillot en 2011 à Aubusson, la tête et les sabots de la licorne sont en porcelaine de Limoges, émaillés par le Centre de Recherche sur les Arts du Feu et de la Terre de Limoges.

Panoramique Polyphonique
Cécile Le Talec : Panoramique polyphonique
Cécile Le Talec est lauréate en 2011. Elle a réalisé cette tapisserie tissée en double face, extérieur et intérieur. Quand le visiteur entre dans la structure, il baigne dans une lumière bleutée et se laisse bercer par une musique faite de chants d’oiseaux et du langage sifflé de l’île de la Gomera, inscrit lui aussi, comme la tapisserie d'Aubusson, au patrimoine mondial immatériel de l’Humanité. Calme, rêve, féérie ! Si le spectateur ci-dessous ne paraît pas très rassuré, et pourtant, comme chacun le sait, c'est un chevalier sans peur (mais pas sans reproches), c'est qu'il est encore bien petit !

Cécile Le Talec : Panoramique polyphonique : Visiteur pas très rassuré !


Melancholia I de Marc Bauer

Melancholia I de Marc Bauer

Melancholia I a obtenu le deuxième prix en 2011.

Marc Bauer, artiste suisse vit et travaille à Berlin, est inspiré par la Renaissance italienne ou germanique. Dans cette oeuvre, le dessin de Dürer lui sert de base pour une transposition dans un autre matériau, ici, la tapisserie. "Marc Bauer vise à enrichir le dessin de départ tout en rendant une certaine sculpturalité. Pour l’artiste, la tapisserie ne doit pas seulement être considérée comme le support de l’image, elle doit également exister dans sa réalité propre."
"La tapisserie est tissée en noir et blanc, avec seulement quelques éclats de couleurs vives. Pour la réaliser, un important travail de réflexion avec le lissier est nécessaire afin de rendre compte de l’effet déstructuration, de dilatation voulu par l’artiste. Le lissier doit donc jouer sur la matière de façon assez innovante tout en conservant des techniques de tissage classique, pour les chairs par exemple. La traduction de l’idée d’usure, d’altération dans une tapisserie neuve afin de lui apporter, selon les mots de Marc Bauer, "une deuxième couche émotionnelle" est un défi technique pour le lissier."
Tissée par l'atelier Patrick Guillot à Aubusson, la tapisserie est tombée du métier le 22 novembre 2013. C'est une oeuvre qui a nécessité 2 ans de travail et 8 mois de tissage.


Confluentia de Bina Betail


Confluentia de Bina Betail, micro paysage en tapisserie avec deux mobiliers design, a obtenu le grand prix 2012. La tapisserie a été réalisée par l'atelier Françoise Vernaudon

Bina Baitel est née en 1977 à Paris. Diplômée de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-La Villette, elle fonde son propre studio en 2006.

Confluentia de Bina Betail

If de Patrick Haudressy




La tapisserie de Patrick Haudressy, sculpteur et artiste numérique, français d’origine ouzbek, fait appel a plusieurs techniques : la tapisserie, la sculpture - les oiseaux sont réalisés en céramique-, la vidéo. Un film est projeté sur le fond clair de la tapisserie, animant la scène.
Le projet a été primé en 2014, la tapisserie réalisée par les ateliers Patrick et Marie Guillot et Cc Brindelaine en 2015.


 La famille dans la joyeuse verdure
 
La famille dans la joyeuse verdure de Leo Chiachio et Daniel Giannone
Le deuxième prix 2013 est remporté par un duo d’artistes, argentins, Leo Chiachio et Daniel Giannone. L'oeuvre est inspirée par l'imaginaire latino-américain, en particulier Guarani. L'image de cette forêt, idéalisée, vivement et joyeusement colorée, avec des détails oniriques, participe au réalisme magique en vigueur dans la littérature américaine du sud. Les deux artistes se sont représentés au centre avec leur chien Piolin et portent des masques et des plumes d’inspiration guaranie. La scène placée dans un cadre de verdure s'inscrit dans les "verdures" des tapisseries d'Aubusson dont les décors sont essentiellement des végétaux, avec des animaux et des oiseaux mais traditionnellement sans personnages humains.


Verdure, tapisserie d'Aubusson
La famille dans la joyeuse verdure a été tissée par l'atelier A2 à Aubusson et exposée en 2017. 
La famille dans la joyeuse verdure (détail)

 

mercredi 18 avril 2018

Petite Pause


Une petite pause en famille tout près de cette ville. La reconnaissez-vous ?

Je vous donne quelques petits indices. Un musée célèbre héberge cette tapisserie contemporaine.


Mais il abrite aussi des tapisseries plus classiques !


ou aussi : 


Alors ?

dimanche 15 avril 2018

Maurice Carème : Poèmes


Fjaestad Gustav peintre suédois
Maurice Carème est un poète et écrivain  belge né en 1899 à Wavre. En 1918, il devient instituteur à Anderlecht. La découverte des poèmes d'enfants le bouleverse et change son style. Désormais, il recherche la plus grande simplicité. (voir ici)


Le givre
 
Fjaestad Gustav peintre suédois


Mon Dieu ! comme ils sont beaux

Les tremblants animaux

Que le givre a fait naître

La nuit sur ma fenêtre


Ils broutent des fougères

Dans un bois plein d’étoiles,

Et l’on voit la lumière

A travers leurs corps pâles.


Il y a un chevreuil

Qui me connaît déjà ;

Il soulève pour moi

Son front d’entre les feuilles.


Et quand il me regarde,

Ses grands yeux sont si doux

Que je sens mon cœur battre

Et trembler mes genoux.


Laissez moi, ô décembre !

Ce chevreuil merveilleux.

Je resterai sans feu

Dans ma petite chambre.



Il a neigé
 
Pekka Halonen : peintre finnois


Il a neigé dans l'aube rose
Si doucement neigé,
Que le chaton noir croit rêver.
C'est à peine s'il ose
Marcher.

Il a neigé dans l'aube rose
Si doucement neigé,
Que les choses
Semblent avoir changé.

Et le chaton noir n'ose
S'aventurer dans le verger,
Se sentant soudain étranger
A cette blancheur où se posent,
Comme pour le narguer,
Des moineaux effrontés.

                         
Vent




Vent qui rit,
Vent qui pleure
Dans la pluie,
Dans les cœurs ;


Vent qui court,
Vent qui luit
Dans les cours,
Dans la nuit ;


Vent qui geint,
Vent qui hèle
Dans les foins,
Dans les prêles ;


Dis-moi, vent
Frivolant,
À quoi sert
Que tu erres


En sifflant
Ce vieil air
Depuis tant,
Tant d’hivers ?

Il pleut

Van Gogh : la pluie

Il pleut sur les longs toits de tuiles,
Il pleut sur les fleurs du pommier,
Il pleut une pluie si tranquille
Qu’on entend les jardins chanter.

Il pleut comme au temps de Virgile,
Comme au temps de Berthe aux longs pieds,
Il pleut sur les longs toits de tuiles,
Il pleut sur les fleurs du pommier.

Il pleut du bleu doux sur la ville
Il pleut et, dans le ciel ouaté,
Tous les colombiers sont mouillés.
Les pigeons semblent, sur les tuiles
Des bouquets de  fleurs de pommiers

Le brouillard
 
Aurélia Frey

Le brouillard a tout mis

Dans son sac de coton ;

Le brouillard a tout pris

Autour de ma maison

Plus de fleurs au jardin,

Plus d'arbres dans l'allée ;

La serre des voisins

Semble s'être envolée.

Et je ne sais vraiment

Où peut s'être posé

Le moineau que j'entends

Si tristement crier.


                                      
Le soleil et le chat

Jean Luçart
Le chat ouvrit les yeux,
 

Le Soleil y entra.
 

Le chat ferma les yeux,
 

Le Soleil y resta. 

 

Voilà pourquoi le soir,
 

Quand le chat se réveille,
 

J’aperçois dans le noir
 

Deux morceaux de Soleil. 


 

samedi 14 avril 2018

Sarah Perry : Le serpent de l'Essex



Angleterre, fin du XIXe siècle. Cora Seaborne, une jeune veuve férue de paléontologie, quitte Londres en compagnie de son fils Francis et de sa nourrice Martha pour s’installer à Aldwinter, dans l’Essex, où elle se lie avec le pasteur William Ransome et sa famille. Elle s’intéresse à la rumeur qui met tout le lieu en émoi : Le Serpent de l’Essex, monstre marin aux allures de dragon apparu deux siècles plus tôt, aurait-il resurgi de l’estuaire du Blackwater ? C’est ce que portent à croire la mystérieuse disparition d’un homme à la veille du nouvel an, puis celle de la petite Naomi Banks, fille d’un batelier du village. (Quatrième de couverture)

L'essex

Le roman de Sarah Perry Le serpent de l’Essex paru aux éditions Christian Bourgois, n’est pas un roman fantastique contrairement à ce que le titre pourrait laisser à penser. C’est  un livre qui explore les peurs ancestrales ancrées dans les esprits et qui resurgissent lors de périodes particulières à notre histoire.  C’est l’analyse de la superstition toujours prête à renaître et à embrumer les esprits même ceux des plus raisonnables. C’est l’éternel duel entre l’obscurantisme et l’esprit scientifique à cette époque victorienne où les découvertes des fossiles sur les plages de l’Essex (il est souvent question de Mary Anning* qui a découvert les fossiles des dinosaures) viennent corroborer les thèses de Darwin et apporter la preuve scientifique de l’évolution des espèces. Les deux thèses sont portées, dans le roman, d’une part par Cora, naturaliste, et pas William Ransome, le pasteur, un homme de foi.

Rivière de Blackwater où se cache le serpent
A ces thèmes passionnants s’ajoutent celui de la liberté féminine et du statut de la femme à l’époque victorienne. L’écrivaine veut montrer, à travers le personnage de Cora Seaborne, éprise de science et de paléontologie, que la société victorienne n’était pas aussi corsetée que ce que l’on veut bien le dire. Mais l’on ne peut s’empêcher de penser que si Cora est si marginale, si libre par rapport à sa classe sociale et son époque, c’est parce qu’elle a eu le bonheur de perdre son mari ! Et oui, elle est veuve et heureuse de l’être et riche ! Beaucoup de conditions pour gagner le droit d’être libre !

Enfin la misère sociale est aussi abordée par l’intermédiaire de la lutte contre les logements insalubres, sales, dégradés où s’entasse le petit peuple de Londres.  C’est Martha, la gouvernante de Cora, issue du peuple, qui mène cette bataille avec argent du riche Spencer, amoureux d’elle !

Si j’ai bien aimé les personnages secondaires comme le médecin, Luke Garett, les enfants, Naomi, Jo, et Francis, et l’épouse du pasteur, Stella, j’ai été peu en empathie avec Cora Seaborne, qui m’a déplu. Et pourtant, elle est féministe, donc, je devrais être en accord avec elle, mais son désir de liberté s’accompagne d’une insensibilité à la peine des autres qui me choque. Quant à William Ransome, le pasteur, je n’arrive pas vraiment à le cerner. Je crois que ce qui me gêne, c’est le présupposé de l’écrivaine qui veut affranchir cette homme d’église des interdits victoriens à propos de la sexualité. Du ce fait, je n’arrive pas trop à croire en ce personnage parce que même à notre époque de grande liberté sexuelle (?) un homme qui trompe sa femme mourante (et qu’il aime) sera tourmenté par la culpabilité. Je n’ai pas trop compris ce personnage.

Ce roman est donc très bien écrit, riche et souvent complexe au niveau de l’analyse psychologique et des sentiments. A priori, il avait tout pour m’intéresser. Mais, tout en reconnaissant ses qualités, je n’ai pu m’y investir totalement et je suis restée partiellement en dehors. Quelques longueurs, la froideur de l’analyse et ce désir de l’écrivaine de n’être pas là où on l’attend, en particulier pour l’histoire d’amour et la vision de l’époque victorienne, expliquent peut-être ce ressenti.


*(voir Prodigieuses créatures de Tracy Chevalier) 


Sarah Perry est née en 1979 dans l’Essex. Son premier roman, After Me Comes the Flood, a figuré parmi les sélections du Guardian First Book Award, du Folio Prize et a remporté le Anglian Book of the Year en 2014. Elle vit à Norwich. Le Serpent de l’Essex est son premier roman traduit en français.

jeudi 12 avril 2018

Sandor Marai et Michel-Ange dans La nuit du bûcher

Michel Ange : La pieta de Rome

Dans La nuit du bûcher de Sandor Marai (Voir Ici), le moine défroqué s'enfuit de Rome et passe par Florence pour se réfugier à Genève.
Après avoir vu la Pieta de Rome sculptée par l'artiste dans sa jeunesse, il découvre celle de Florence, oeuvre du sculpteur âgé.

Michel Ange : La Pieta de Florence

"Dans la cathédrale sur la grande place j’ai vu la Pieta que cet artiste romain au nez cabossé a sculptée. Mais cette Pieta florentine n’est pas aussi douce ni sereine que la romaine. (..) 

La Pieta de Rome

"Au-dessus du groupe s’élève la figure d’un vieillard encapuchonné et vêtu d’une cape -on dit que le sculpteur qui l’a réalisée dans sa vieillesse a taillé dans la pierre le visage de cette statue à son image. Ce vieil homme ne demande rien. Il se contente de regarder. Il pose son regard sur les souffrants, sur La Vierge et sur le corps humain supplicié. Aucune expression de colère sur son visage. En contemplant cette statue, je me suis souvenu des mots du padre Alessandro quand il avait mentionné que le vieux maître écrivait des poèmes, dont l’un évoquait la lumière que l’homme ne perçoit qu’au-delà de la mort. En m’attardant sur le visage pierre, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que, dans la réalité de la mort, cette lueur s’éteint. Celui qui croit que l’on peut mêler notre Seigneur aux querelles humaines est d’un égoïsme et d’une bêtise coupables. Les hommes sont des nigauds en espérant qu’ils peuvent entraîner Dieu dans la misère humaine et lui demander de prendre parti, de s’engager, de punir et de récompenser. Le regard du vieil homme plonge dans l’abîme avec l’indifférence de celui qui n’espère plus aucune réponse de Dieu. Dans la Pieta de Rome, le visage de la Vierge Marie à la fois apaisé et douloureux dit encore que le Sacrifice a quelque signification. Le vieillard de la Piété florentine a l’air de savoir, lui, que le Sacrifice n’a aucun sens."

La pieta de Florence Michel Ange
En observant cette statue de marbre dans la grande église de Florence, je me suis rendu compte que cette figure-là, je l'avais vue dans la réalité, quelques jours auparavant et vivante : l'hérétique*, l'homme que les confortatori harcelaient dans la cellule du condamné à mort à la Tor di Nona pour qu'il abjure, fixait lui aussi l'espace de cette manière indifférente. On dirait que les grands artistes -comme fut Michel-Ange- perçoivent la réalité non pas dans le monde mais à l'intérieur, à l'intérieur d'eux-mêmes. Je ne comprends rien à tout cela mais je rapporte la façon dont je l'ai perçu.

* Giordano Bruno