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jeudi 31 mai 2012

Premier anniversaire de Ma Librairie avec Vik Muniz à la fondation Lambert Avignon


Vik Muniz : Marlène Dietrich en "diamants"


Première anniversaire de mon blog Ma Librairie que j'ai ouvert dans blogger le 31 Mai 2011 après avoir été obligée de quitter le site Le Monde où les bugs et les spams  se multipliaient. J'ai enfin terminé de transférer tous mes billets anciens! Merci à tous ceux et celles qui m'ont suivie et aidée dans mon déménagement  et merci tous les nouvelles et nouveaux amis qui sont venus en visite ici et ne sont plus repartis et que j'ai découverts en retour!
Pour célébrer cette première année, j'ai envie de vous faire visiter l'exposition d'un artiste contemporain qui a été pendant des mois l'invité de la fondation Lambert, musée contemporain de la ville d'Avignon, et dont j'ai adoré l'univers et l'imagination. Un anniversaire avec des "diams" et Marlène Dietrich, qui dit mieux?






            WIK MUNIZ

Voilà la présentation de Vik Muniz dans le catalogue  de l'exposition intitulée : Le musée imaginaire

Né en 1961 à São Paulo, Vik Muniz, qui partage son temps entre le Brésil et New York, a une vie à l’image des Telenovelas de son pays natal. Issu d’une classe plutôt pauvre, l’artiste gagne un concours à l’âge de 14 ans et une bourse qui lui permettent pendant trois ans d’étudier le dessin dans une académie, le soir après l’école. C’est là qu’il découvre pour la première fois les classiques de l’histoire de l’art, non pas dans les musées quasi inexistants en Amérique latine à l’époque, mais à travers des ouvrages désuets ou anciens, mal imprimés ou très colorés. D’où son goût immodéré pour les études chromogéniques, découvrant que selon les livres et leurs qualités de reproduction, les chefs d’œuvre de l’histoire de l’art occidentale étaient pastels ou criards, en noir et blanc ou simplement colorisés...
Très vite, s’instaure chez Vik Muniz une méthode qu’il expérimente avec différentes tentatives au départ, jusqu’à définir un système incroyablement créatif qui fonctionne par séries et que l’exposition permettra de découvrir à travers plus de 110 œuvres.

Vik Muniz : d'après Monet (piments)
                                                                     
Tout comme Francis Alÿs ou Christian Marclay, avec Vik Muniz, c’est l’histoire de l’art qui est mise en abyme. Les références se télescopent, les chefs-d’oeuvre reconnaissables de tous sont associés à des petits bijoux que l’histoire de l’art cache et redécouvre en fonction de L’histoire de l’œil, pour reprendre le titre du très beau livre de Georges Bataille. Mais c’est André Malraux qui a été retenu dans cette bibliothèque idéale. Le Musée imaginaire est le titre de notre exposition, puisque grâce à Vik Muniz, la Collection Lambert sera un musée dans le musée abritant des Picasso et des Monet, des Goya et des Piranese, en puzzle, confettis ou sauce chocolat.


 Vik Muniz : Monstre en caviar



Monstre en Caviar (détail)

                          La Joconde en chocolat                       

                                                         Vik Muniz  objets de récupération

Oui, vous l'avez compris, Vik Muniz n'est pas un artiste comme les autres, qu'il se serve de toutes sortes d'objets provenant de décharges publiques, qu'il utilise des fleurs et du foin coupé, des épices ou du caviar, de curry, du safran ou de chocolat, des clous, des jouets ou des prismes de verre, des morceaux de puzzle ou des collages de papier, il nous ouvre un monde extraordinaire ou le Tout qui forme une image - un célèbre tableau de David, Goya, Monet, Wharol, Van Gogh et j'en passe...  - peut-être décomposé et regardé en détail livrant à l'intérieur de l'image globale d'autres petits images, d'autres objets où l'oeil se perd à l'infini. L'image s'ouvre sur une image qui s'ouvre sur... ?  C'est ludique, cela parle à l'imagination, et en plus c'est vraiment très beau! Voyez par exemple l'oeuvre suivante  et quelques détails.

Le zèbre d'après George Stubbs

Le Zèbre (Chaque détail forme un autre tableau)










Le Christ de Viz Muniz cache lui aussi un musée dans le musée :





 Vik Muniz : Le christ (détails)

PETIT JEU : Les reconnaissez-vous? Avec l'aide de matériaux de toutes sortes Vik Muniz crée son musée personnel que vous reconnaîtrez  certainement.  Je vous propose de retrouver le nom du peintre et le titre du tableau dont est extrait chaque oeuvre. Réponse à la fin du billet.

1)



















Objets de récupération
2)


















petits jouets
3)
Cendres et cigarettes
4)















Objets de récupération
5)














Puzzle

Les photographies étaient autorisées mais, comme vous le voyez, difficiles à prendre à cause des grandes baies du musée qui laissaient entrer le soleil et du verre de protection des photos. Le jeu des reflets dans les tableaux a donné parfois des effets bizarres mais que j'aime bien  parce que l'on ne sait plus où est l'oeuvre et où est la réalité :





Réponses au jeu :

1) d'après  Picasso :  La repasseuse 
2) d'après la phototographie d'Alice Liddel de Caroll Lewis
3) D'après  Caspar Friedrich : Voyageur au-dessus d'une mer de nuages
4) d' après Michel Ange : la création d'Adam (détail chapelle Sixitine)
5) d'après Seurat, La grande jatte


lundi 28 mai 2012

Wilkie Collins : Je dis non!




Je dis non! n'est  certainement pas un des meilleurs livres de Wilkie Collins et s'il n'avait écrit que celui-là, je n'apprécierai pas autant l'écrivain, mais, comme d'habitude, Collins  a su nous concocter une intrigue bien complexe avec des personnages bien sombres et une innocente (mais pas idiote)victime! Alors, inconditionnelles de  Collins, ne boudez pas votre plaisir!
Le roman a pour mérite de faire vivre et d'opposer deux mondes, celui, modeste, dans laquelle vit Emily, dans un Londres gris et monotone et celui plein de plaisirs qu'elle entrevoit chez Cécilia dont le père, M. Wyvil, est conseiller au parlement. Mais cette société, si brillante qu'elle soit, n'en est pas moins bâtie sur des hypocrisies, des snobismes et les jeunes gens y chassent la dot plutôt que le véritable amour.


Dans le rôle de la sympathique victime, je vous présente Emily  Brown, intelligente, courageuse mais orpheline et donc pauvre! Pendant l'absence d'Emily,  son père est mort d'une maladie de coeur comme le lui a assuré sa tante qui l'a élevée.  Mais l'on comprend bien vite qu'un secret plane sur cette fin mystérieuse.
 Sa meilleure amie est Cécilia, une riche et gentille jeune fille, insouciante et légère, plutôt frivole. Dans la pension de Miss Ladd où elles vivent vient d'arriver une nouvelle, peu sympathique, Francine de Sor qui sera amenée à jouer un grand rôle dans le roman.
 A côté des jeunes filles une maîtresse d'internat, Miss Jethro paraît bien connaître Emily et surtourt son père. Qui est-elle? Que cache-t-elle? Ajoutez-y encore un couple d'aubergistes mis en faillite par un meurtre qui a eu lieu dans leur hôtel et un séduisant, jeune et éloquent clergyman, Miles  Mirabel. Enfin, dans le rôle de l'amoureux, d'abord éconduit, le maître de dessin Alban Morris, dont la fortune a subi des revers, ce qui explique qu'il ait pris cet emploi dans la pension de Miss Ladd. Il veillera sur la jeune femme en parfait gentleman pendant toutes les épreuves qu'elle traversera.
Les jeunes filles ont terminé leurs études. Emily, élevée par sa tante  sans fortune,  est sur le point de prendre un emploi lorsque la mort de sa tante et  les propos incohérents que cette dernière tient pendant son agonie remet tout en cause!

Et voilà, je ne démêlerai pas plus avant les fils de cette  rocambolesque intrigue et ne vous plaignez pas si je vous laisse empêtré(e) dans cette toile d'araignée! Après tout, vous n'avez qu'une chose à faire, allez lire le roman par vous-même! Et  surtout si vous avec une liseuse Kindle, sachez que, en un quart de seconde, vous pouvez charger le roman gratuitement! C'est pas beau ça!

Challenge d'Aymeline

dimanche 27 mai 2012

Réponse à l'énigme n° 35 : Jean Giono/ Marcel Pagnol, Jofroi de la Maussan


Jofroi de la Maussan extrait de Solitude de la pitié



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  Un  grand soleil provençal pour :  Aifelle, Asphodèle, Eeguab, Dasola, Pierrot Bâton.. Pas beaucoup d'élu(e)s aujourd'hui mais merci à toutes et tous pour votre participation

la nouvelle :  Jean Giono Jofroi de la Maussan  
le recueil :  Jean Giono  Solitude de la pitié

Le film :  Marcel Pagnol : Jofroi

 

 

Texte  de Wens et Claudialucia 

 

 

Jean Giono :  Jofroi de la Maussan

La nouvelle de Giono, Jofroi de la Maussan, est tirée du recueil Solitude de la pitié, paru en 1932. L'auteur s'est inspiré d'une histoire qui s'est réellement déroulée dans la région de Riez, dans les Alpes provençales. Jofroi, un vieux paysan se décide à vendre son verger à l'un de ses voisins, Fonse qui veut arracher les vieux arbres pour planter des céréales. Jofroi n'accepte pas de voir disparaître les arbres qu'il a plantés dans sa jeunesse et menace de mort Fonse, un fusil à la main, s'il touche à un seul de ses abricotiers. Toutes les tentatives de compromis organisées entre Jofroi et Fonse échouent. Le vieux paysan menace et tente même de se suicider si Fonse abat un seul fruitier. Le village finit par tenir le nouveau propriétaire pour responsable de la folie de Jofroi et Fonse  tombe malade. Quand Jofroi meurt de mort naturelle, Fonse  peut enfin prendre possession de sa terre.

Marcel Pagnol :  Jofroi 1933, un film précurseur du néo-réalisme

En 1933, pour la première fois Marcel Pagnol passe derrière la caméra. Quand il  termine la mise en scène de "Le gendre de Monsieur Poirier", une adaptation d'une pièce d'Emile Augier et Jules Sandeau, les producteurs  lui demandent de réaliser un film en complément de programme, d'une durée de 30 à 40 minutes. Le choix de Pagnol se fixe sur Jofroi une nouvelle de Giono qui accorde les droits d'adaptation de son texte. Pagnol écrit le scénario et les dialogues en quatre jours. Le premier problème est de réaliser le casting, pas question de demander à Raimu de jouer le rôle de Jofroi qui apparaissait trop court pour le célèbre acteur. Après la la lecture du scénario à ses collaborateurs, Pagnol leur pose la question : "Qui voyez-vous dans le rôle principal ?"  Vincent Scotto, le compositeur de musique, alors âgé de soixante ans   répond :" Moi !". C'est sa première apparition à l'écran. Pagnol affirmera que Scotto fut plus fier de son succès dans Jofroi que du succès mondial de ses musiques.  Pour compléter la distribution, Pagnol s'entoure essentiellement de comédiens  débutants ou d'amateurs qui ignorent tout de la comédie. C'est ainsi que le rôle de Tonin est donné à un fabricant de boîtes de conserves, Charles Blavette, qui commence là sa carrière fructueuse d'acteur. Le rôle de Fonse est tenu par Henri Poupon plus connu à l'époque comme parolier de chansons que comme acteur. Le film exige, en dehors de la séquence de l'achat du verger devant le notaire, de tourner essentiellement en extérieur. Pagnol choisit son village de La Treille, les figurants sont les villageois. La beauté du film vient en partie de ce tournage en décors naturels, la Provence surgit dans l'image et dans le son direct, la caméra s'affranchit des contraintes du studio, les mouvements de caméras sont fluides. De fait, le film est un témoignage sur la vie et les mentalités de son époque.
Jofroi (comme Toni de Jean Renoir ) peut être considéré comme un précurseur du courant néoréaliste italien par l'aspect documentaire du film, par le choix de tourner en décor naturel, par l'appel à des acteurs non professionnels sur le lieu du tournage.
Pagnol avec Jofroi, construit ses thématiques, son style. Quand il aborde des thèmes sérieux, il se refuse à sombrer dans la tragédie, il préfère déclencher le rire plutôt que les pleurs. Car Jofroi traite de de sujets graves : l'amour de la terre, la vieillesse, la mauvaise foi, la calomnie, le suicide…
Un film à voir et à revoir.  

 

Marcel Pagnol et Vincent Scotto


Pagnol et Giono : problèmes d'adaptation

L'espace : Le récit se situe dans la région de Riez, dans les Alpes provençales. Seul le verger de la Maussan  est décrit comme pratiquement à l'abandon. Le village n'est pas présenté, les mas ne sont pas décrits. L'imprécision de ces descriptions permet une libre adaptation dans toute la région provençale.

La durée :  Dans le texte de Giono, le récit  raconté par un narrateur, (l'auteur lui-même?) s'étend sur une durée de trois saisons, on devrait donc voir le changement des saisons. Il n'est pas linéaire, car Fonse fait le récit de deux évènements antérieurs à l'action présente : l'achat du verger par Fonse quelques mois auparavant et son éviction du verger, évènement qui vient de se produire.
La question qui se pose est la suivante : Pagnol va-t-il rétablir l'ordre chronologique ou maintenir la structure du récit telle que l'a voulue Giono?
Pagnol rétablit la linéarité du récit qui commence avec l'achat de la propriété et il condense la durée. Tous les évènements s'enchaînent rapidement. L'espace temporel se réduit à une saison et le tournage est effectué en quatre semaines au village de La Treille.

Le narrateur
Chez Giono,  la nouvelle est écrite à la première personne, celle du narrateur. Celui-ci ne se contente pas de raconter une histoire mais est un des principaux protagonistes de l'action. D'abord à l'écoute de Fonse, il propose ensuite une négociation entre Fonse et Jofroi, puis il participe au sauvetage de Jofroi à plusieurs reprises. Il se sent découragé par son impuissance et s'apprête à quitter le village au moment où intervient la mort de Jofroi. Il semble impossible dans l'adaptation filmique de réduire le rôle du narrateur à une simple voix Off étant donné la place qu'il tient dans le récit!
Qui est ce narrateur? Giono ne nous donne pas de renseignements précis. Nous savons que ce n'est pas un paysan mais un "Monsieur", capable cependant de participer aux travaux des champs. Ce personnage peut jouer le rôle de médiateur parce qu'il est accepté par tous, probablement grâce à des liens de parenté avec une famille du village  et  de toutes façons par son origine locale.

Chez Pagnol, le rôle du narrateur est tenu par trois personnages imaginés par Pagnol : Tonin, sympathique paysan, plus amateur de pastis, de boules et de chasse que de travail! Le bon gros curé provençal et le longiligne instituteur laïc à l'accent pointu qui assument le rôle comique. Pour ces deux "intellectuels" de village, Pagnol crée un dialogue savoureux où les deux personnages emploient des mots qu'ils ne comprennent pas vraiment mais qui en mettent plein la vue aux autres habitants.


Pagnol et Giono : Deux univers très différents
Jean Giono a peu apprécié l'adaptation de sa nouvelle. Il a même déclaré que Marcel Pagnol avait traité son oeuvre "non en ami mais en sauvage". Giono n'a d'ailleurs jamais aimé les films que Pagnol a tiré de ses ouvrages : Jofroi , Angèle, Regain, la femme du boulanger. Cependant, pour les cinéphiles, Jofroi puis Angèle (réalisé peu après) sont deux oeuvres marquantes de l'histoire du Septième Art. Elles représentent un véritable tournant dans l'art de filmer en s'affranchissant de la dictature des techniciens de studio. Godard n'hésite pas à placer Angèle comme un des quatre ou cinq plus grands films de l'histoire du cinéma.

Mais si Giono n'aimait pas les adaptations de Pagnol pourquoi lui vendait-il ses droits si ce n'est que cela lui rapportait! En effet, les adaptations de Pagnol loin de le desservir accroissait sa popularité. Pourtant, l'univers de Giono et Pagnol est entièrement différent, provençal, certes, du même (?) pays des oliviers et des cigales, du soleil et de la sècheresse, des excès dans le climat mais aussi dans le caractère mais.. L'un est un homme des Alpes du sud, un homme des plateaux de la Haute Provence, du pays des gavots austères, durs à la tâche qui aiment la terre et la respectent. L'autre est homme de la plaine, là où la vie est plus facile, où l'on prend les choses à la légère. Pagnol est aussi un homme de la ville et l'on sait que la ville pour Giono est synonyme de corruption, de perdition. Ce que Giono reprochait à Pagnol, c'est de tourner en galéjade une histoire qui pour lui était vitale, celle d'un homme qui cherche à sauver ses arbres. Dans ses romans lyriques et  utopiques, Giono célèbre l'amour de la nature et le travail de la terre qui régénèrent l'homme, le rendent meilleur et lui apportent la joie de vivre : Regain, La naissance de l'Odyssée, Le chant du monde, Que ma joie demeure..  Giono, le chantre de la nature, n'appréciait donc pas les choix mélodramatiques, les exagérations comiques, l'univers de son ami Pagnol qui ne prend rien au sérieux et fait rire de ses personnages même si ce rire est empreint de tendresse et de complicité. On connaît, bien sûr, L'homme qui plantait des arbres. Joffroi est de la même veine. Pour Giono, cette histoire est un drame. Lorsque le Joffroi de Giono tente de se pendre, il n'est pas, comme chez Pagnol, un grand enfant qui fait des caprices et du chantage en attendant que les villageois viennent le sauver! Le Joffroi de Giono est vraiment prêt à mourir pour ses arbres qu'il aime d'amour. Avec eux, il défend un monde en train de disparaître, où le respect dû à la terre est remplacé par des considérations mercantiles, il se bat pour un monde ou les hommes sont meilleurs.

Nous avons suivi parce qu'au fond, nous sentons le gros mal de Jofroi. Nous savons que c'est une vérité, ce mal; au su et au vu de tous comme le soleil et la lune, et nous faisons les fanfarons.
On l'a dépendu et on l'a allongé au talus. Il ne dit rien; il souffle. Personne ne dit rien. La belle gaieté est partie. Les enfants sont là à se presser contre notre groupe, à regarder entre nos jambes pour voir Jofroi étendu. Plus de chansons. On entend le vent haut qui ronfle.
Jofroi se dresse. Il nous regarde tous autour de lui. Il fait un pas, et on s'écarte, et il passe. Il se retourne :
- Race de… Il dit entre ses dents. Race… Race de…
Il ne dit pas de quoi. Il n'y a pas de mots où il puisse mettre tout son désespoir.

Une histoire qui n'en finit pas.
Lors de la projection du film à Manosque, Jean Giono avait invité les protagonistes qui avaient inspiré sa nouvelle, histoire de tourner définitivement la page de l'histoire. Mais le résultat ne fut pas celui attendu:
 Quand on a donné le film à Manosque, j'avais amené avec moi à ma droite M. Redortier qui avait acheté le verger et à ma gauche la veuve de celui qui est mort de sa belle mort. Ils ont vu eux-mêmes leur propre histoire; ils ont recommencé à se disputer après, quand  le film a été fini.
 


 

samedi 26 mai 2012

Un livre/un film : Enigme n°35





Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.

Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
 

Enigme 35
 
Cette nouvelle est extraite d'un recueil publié par un grand auteur provençal. Quel est le titre de la nouvelle? Le titre du recueil? le nom de l'écrivain?

Mais mes arbres, mes arbres. Je les ai achetés à la foire de R. moi, en cinq ans, l'année que la B. m'a dit : " Nous aurons peut-être un petit", et que le gros incendie des R. lui a faussé ses couches. Ces arbres, je les ai portés de R. sur mon dos; j'ai fait tout seul : les trous, charrier le fumier; je me suis levé la nuit pour venir y allumer la paille mouillée, pour pas que ça gèle; j'y a fait plus de dix fois le remède à la nicotine et chaque bidon, c'était cent francs. Tenez, regardez les feuilles, si c'est pas sain, ça. Où vous en trouverez des arbres de cet âge, comme ça?

 

jeudi 24 mai 2012

Jean-Christophe Ruffin : Le grand Coeur





Jean-Christophe Ruffin l'explique, il a passé son enfance, à Bourges, au pied du palais de Jacques Coeur, un homme "qui lui montrait la voie" au milieu de la grisaille, un homme "qui témoignait de la puissance des rêves et de l'existence d'un ailleurs de raffinement et de soleil". C'est pour lui rendre hommage et surtout pour lui dresser un "tombeau romanesque" que Jean-Christophe Ruffin écrit Le grand Coeur avec pour but de faire vivre le personnage et de ressusciter un période historique complexe, témoin de grands bouleversements.

Le roman historique, relate, en effet, une époque charnière, riche en péripéties, celle où la France va sortir du Moyen-âge et s'ouvrir,  peu à peu, à un autre style de vie, à d'autres mentalités, une avancée vers la Renaissance. Le palais de Jacques Coeur à Bourges témoigne de ce passage, l'une des façades est encore médiévale, l'autre renaissance. La jeunesse de Jacques Coeur, issu d'une modeste famille d'artisans, se déroule en effet, sous le règne de Charles VII qui succède à son père, Charles VI le Fou. Le pays est ruiné par la guerre de cent ans avec les Anglais dont les troupes dévastent les campagnes, pillent, détruisent, tuent. Le pouvoir du roi est contesté, l'intervention de Jeanne d'Arc permet son couronnement mais le royaume est largement détruit, appauvri, encore traversé de guerres intestines. Les moeurs chevaleresques tombent en désuétude, le sentiment de l'honneur est remplacé par l'attrait de l'argent, la guerre devient plus technique, et l'on va bientôt désirer plus de raffinement, de douceur, de luxe dans la vie quotidienne des classes aisées. Or c'est par le commerce que la société va pouvoir évoluer, d'où le rôle d'un homme comme Jacques Coeur qui a voyagé en Orient, en Italie, en Flandres, en Grèce, et possède une hauteur de vue et une ouverture d'esprit exceptionnelles. Profitant de la paix, même toute relative, il va s'allier au roi pour organiser des échanges commerciaux à grande échelle, ce qui apportera une prospérité au royaume et lui permettra de réaliser une immense fortune personnelle. Mais il n'est jamais trop bon d'être plus riche que son souverain! 
L'Histoire s'allie aussi à la fiction et l'écrivain laisse son imagination suppléer en l'absence de faits historiques fondés, brodant, par exemple, autour des relations qui ont rapproché Jacques Coeur de la favorite du roi, la belle Agnès Sorel, peinte par Fouquet. Le but de l'écrivain étant de rappeler cet "homme à la vie", il dresse de Jacques Coeur  le portrait  d'un homme supérieurement intelligent, en avance sur son époque, hardi et ambitieux. A côté du personnage principal, le portrait du roi, aigri, soupçonneux, jouant de sa faiblesse physique, maladivement jaloux de son autorité,  dangereux pour ceux qui lui font de l'ombre, est une belle analyse du pouvoir et est tout aussi réussi.

Damas :
Surtout Damas comptait de fabuleux jardins. Cet art, poussé à l'extrême de son raffinement, me parut être autant que l'architecture, le signe d'une haute civilisation. Enfermés dans leurs châteaux forts, menacés sas cesse de pillages, les nobles de chez nous n'avaient pas le loisir d'ordonner les terres comme ils le faisaient de la pierre. Nous ne connaissions que deux mondes :  la ville ou la campagne. Entre les deux les Arabes avaient inventé cette nature réglée, hospitalière et close qu'est le jardin...
 Nous découvrîmes à Damas bien d'autres raffinements, en particulier, le bain de vapeur. J'en usais presque chaque jour et y ressentais un plaisir inconnu. Jamais, jusque là, je ne m'étais autorisé à penser que le corps pût être en lui-même un objet de jouissance.

Jean Fouquet : Agnès Sorel




Quand Agnès le vit, elle prit immédiatement en sympathie. Il faut dire que découvrir Fouquet au milieu de ses tableaux était la meilleure façon de faire sa connaissance. Il était étrange de voir sortir de ce personnage si désordonné et si sale des oeuvres lumineuses d'une calme beauté, d'une facture précise et d'une délicatesse de couleurs et de formes qui lui faisaient totalement défaut dans la vie. Ses portrait en particulier plaçaient ses personnages dans un monde à part, comme s'ils les avait extraits de leur réalité  pour les restituer dans le décor de leurs songes.

 Jean Fouquet : Charles VII



Fouquet s'était bien tenu devant le roi, pour ne pas indisposer Agnès, sans doute. Mais s'il avait dissimulé l'antipathie qu'il ressentait pour le souverain, son tableau, lui, en faisait l'aveu. Il présentait Charles dans le climat de de sentiments qui lui était propre : jalousie, peur, cruauté, méfiance, rien ne manquait. Heureusement une des particularités des oeuvres de Fouquet étaient qu'elles plaisaient toujours à leurs modèles, quand même elles les montraient sous un jour défavorable.




Merci  à la Librairie Dialogues et aux éditions Gallimard  pour l'envoi de ce livre.


LIVRE VOYAGEUR : inscrivez-vous!

mercredi 23 mai 2012

Déshonorée de Mukhtar Mai, une soeur de Syngue Sabour



J'ai vu un jour au journal télévisé le procès de ce jeune homme d'origine pakistanaise qui a odieusement brûlé une jeune fille dans une banlieue française. Motif? Elle avait rompu avec lui.
Et lorsque l'on interviewe le père sur ce qu'il pense de la conduite de son fils, il répond : "il a fait une bêtise!" Une bêtise! Quel euphémisme par rapport à un tel acte de barbarie ! Mais peut-être - ai-je pensé- cet homme ne possède-t-il pas assez la langue française pour en connaître les nuances?

Or voilà qu'à la bibliothèque, sans l'avoir cherché, je tombe sur le livre de Muktar Mai exposé sur un présentoir, bien en évidence comme pour répondre à mes questions. Le livre s'intitule : Déshonorée.

Il s'agit du témoignage d'une jeune femme pakistanaise, du clan des Gujjar, Muktar Mai, condamnée par le tribunal tribal de son village à un viol collectif devant tout son village. En effet, le jeune frère de Muktar Mai a osé parler à un fille du clan des Mastoï, fermiers guerriers belliqueux, de caste supérieure, qui imposent leur loi aux Gujjar. Et qu'importe que le garçon n'ait que 12 ans et la fille 20 ans! Violée, humiliée et désespérée, la jeune fille souhaite d'abord se suicider comme la plupart des femmes de ce pays soumises à de semblables brutalités, considérées comme déshonorées, et qui ne trouvent aucune autre issue. Mais elle finit par décider de se battre et porte plainte. Dès lors sa vie est menacée. La présence d'un journaliste qui publie un article dans un journal attire l'attention de tout le pays et bientôt du monde entier sur son cas. Un mouvement de solidarité se fait jour autour d'elle. Elle est mise sous la protection de la police, c'est pourquoi elle est toujours en vie aujourd'hui.

Pour une femme qui refuse la violence et survit, combien meurent, combien sont enterrées sous le sable, sans tombe, sans respect.

Si quatre des agresseurs de Muktar Mai ont été condamnés lors du premier procès sous la pression internationale, ils ont été ensuite innocentés quelques années après, en appel. Pendant le second procès, en effet, la coupable toute désignée a été, en effet, la jeune femme!

On m'a traduit des commentaires dans la presse nationale, voulant démontrer que la femme pakistanaise n'avait qu'un devoir, celui d'être au service de son mari, que la seule éducation pour une fille devait venir de sa mère, et que, en dehors des textes religieux, elle n'avait rien à apprendre. Que le silence de la soumission.
Il apparaît sournoisement dans ce tribunal que je suis coupable de ne pas respecter ce silence.


Mais Muktar Mai (Soeur aînée ainsi que la nomme ses élèves) n'a pas abandonné son combat. Elle fait appel une fois de plus*. A l'heure actuelle, elle vit dans son village et a ouvert une école pour apprendre aux filles à lire et écrire, car seule l'instruction leur permettra de s'en sortir, espère-t-elle.

Ma petite école semblait bien menue dans ce flot de malheurs. Minuscule pierre plantée quelque part dans le monde, pour tenter de changer l'esprit des hommes.Donner à une poignée de fillettes l'alphabet qui de génération en génération ferait lentement son travail. Enseigner à quelques gamins le respect dû à leur compagne, leur soeur, leur voisine.. C'était si peu encore.

Notons que le gouvernement pakistanais accepte de payer le salaire d'un instituteur pour les garçons mais pas pour les filles!! Muktar Mai a pu construire son école et assurer le salaire des enseignants pour les filles grâce à l'aide internationale et en particulier au Canada.

Lire son histoire, c'est donc découvrir le statut de la femme en général au Pakistan :

Qu'il s'agisse de divorce, d'infidélité supposée ou de règlements de compte entre hommes, la femme paie le prix fort. On la donne en compensation d'une offense, elle est violée par un ennemi de son mari, en guise de représailles. Il suffit parfois que deux hommes entament une dispute sur un problème quelconque, pour que l'un se venge sur la femme de l'autre. Dans les villages, il est courant que les hommes se rendent eux-mêmes justice, invoquant le dicton oeil pour oeil. Il est toujours question d'honneur, et tout leur est permis. Trancher le nez d'une épouse, brûler une soeur, violer la femme de son voisin.
Alors que la sexualité est un tabou, que l'honneur de l'homme dans notre société pakistanaise est justement la femme, il ne trouve de solution que dans le mariage forcé ou le viol. Ce comportement n'est pas celui que le Coran nous enseigne.

Ou encore

Zafran Bibi, une jeune femme de vingt six ans, a été violée par son beau-frère et s'est retrouvée enceinte. Elle n'a pas renié cet enfant et a été condamnée à mort par lapidation en 2002, car l'enfant représentait une preuve de zina, le péché d'adultère. Le violeur n'a pas été inquiété.(...)
Elle ne sera pas lapidée mais risque de passer plusieurs années en prison, alors que son violeur, lui, est protégé par la loi.


Une autre femme m'attend, le visage à demi couvert par un voile usé; sans âge, épuisée par les travaux domestiques. Elle a du mal à parler. Elle montre simplement son visage, discrètement, honteuse. Et je comprends; l'acide en a dévoré la moitié. Et elle ne peut même plus pleurer. Qui a fait ça? Son mari. Pourquoi? Il la battait, elle n'était pas assez rapide pour le servir à son aise.
La moitié des femmes dans notre pays subissent des violences. Soit on les marie de force, soit on les viole, soit les hommes s'en servent comme monnaie d'échange. Peu importe ce qu'elles pensent car, pour eux, il ne faut surtout pas qu'elles réfléchissent. Ils refusent qu'elles apprennent à lire et à écrire, qu'elles sachent comment va le monde autour d'elles. C'est pour cela que les femmes illettrées ne peuvent pas se défendre : elles ignorent tout de leurs droits, et on leur dicte leur propos pour tenter de briser leur révolte..

Ce témoignage  nous rappelle donc la fragilité de la condition féminine partout  dans le monde  et la nécessité de rester toujours vigilant face à tout ce qui va à l'encontre des droits des femmes y compris dans notre pays.



*voir  l'article suivant  du 8/03/2006 qui fait le bilan de la condition des femmes  : Atlas vista : Asie du Sud: malgré Mukhtar Mai, les crimes d'honneur restent quotidiens

Un article

voir article le Figaro  15/10/2007

voir The NYTimes Novembre 2008 blog Kristof


lundi 21 mai 2012

Ian McEwan : L'enfant volé




Dans L'enfant volé, le titre explique le sujet du livre, Ian McEwan raconte le vol d'un petite fille, Kate, dans un supermarché, alors qu'elle accompagne son père. Un moment d'inattention pendant qu'il charge les courses sur le comptoir, il se retourne, l'enfant n'est plus là! C'est ce qui peut arriver de plus horrible à des parents, un cauchemar qui devient réalité! La souffrance du couple Stephen et Julie est terrible et entraîne la séparation, chacun réagissant à sa manière, et désormais incapables l'un et l'autre de communiquer, murés dans le silence et la douleur....
Le roman est assez déroutant car le lecteur s'attend à en savoir plus; c'est une frustration, en effet,  de ne pas apprendre qui a enlevé la fillette, de voir l'enquête ainsi abandonnée! Mais le sujet est ailleurs! Ce qui intéresse l'écrivain est l'analyse des conséquences sur l'individu et sur le couple d'un évènement aussi traumatisant et irrémédiable que l'enlèvement d'une enfant! Comment arrive-t-on à vivre après? Peut-on se reconstruire? C'est qu'il faut bien vivre malgré la disparition ou tout au moins paraître vivre normalement. Stephen, auteur de romans pour enfants travaille dans une commisssion nommée par le gouvernement pour traiter des problèmes de l'enfance. Ian Ecwan place donc cette étude psychologique dans un cadre social et politique bien précis. Le personnage n'est pas désincarné. La satire du gouvernement anglais et la parodie de démocratie qui consiste, par exemple, à éditer le bilan et les conclusions de la commission avant que celle-ci ne soit terminée, sont assez féroces.
A côté de Stephen et Julie gravitent d'autres personnages, ses parents d'abord, mais aussi, Charles, son ancien éditeur reconverti dans la politique. Toutes ces intrigues secondaires se greffent sur la première et donnent parfois lieu à des scènes très fortes presque hallucinantes comme lorsque Stephen accompagne Charles retombé en enfance, dans l'ascension d'un arbre vertigineux... ou fantastiques, Stephen rencontre sa mère, jeune fille, enceinte de lui... Certains épisodes paraissent constituer des entités, construites, dirait-on, comme des nouvelles ayant chacune une unité en elle-même.
Cela m'a empêchée, au début, d'entrer complètement dans le roman car l'intrigue de départ semble disparaître, se perdre dans les autres. L'écrivain paraît se disperser dans plusieurs directions même s'il n'en est rien! Le thème général est toujours celui de l'enfance volée et du temps qui passe en la détruisant. Comme Charles, nous devons tous faire le deuil de notre enfance et les parents, celui de leur enfant quand celui-ci entre dans l'âge adulte. Ainsi Stephen se souvient d'un moment où sur une plage de sable, Julie et lui avaient retrouvé leur âme d'enfants pour jouer au château de sable avec Kate,s'absorbant entièrement dans le jeu pour ensuite revenir à la vie réelle et détruire "l'enchantement" par leurs considérations d'adultes :
Stephen se disait que s'il pouvait encore agir avec cette même intensité, ce même abandon avec lequel il avait autrefois aidé Kate à bâtir son château, il serait heureux et doté de pouvoirs extraordinaires.
Un beau roman malgré les restrictions que j'ai eues sur un sujet douloureux.
Dans le cadre des noms d'auteurs en Mc

dimanche 20 mai 2012

Un livre/Un film : Flaubert/Minelli Madame Bovary




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 Réponse à l'énigme 34,
Félicitations à  :  Aifelle, Dasola, Eeguab, Keisha, Lireaujardin, Maggie,  Miss Léo, Pierrot Bâton, Shelbylee 

Le roman Flaubert : Madame Bovary

Le film :  Vincente Minelli : Madame Bovary

Merci à tous et toutes pour votre participation ....



Texte à deux mains de Wens et Claudialucia


Madame Bovary de Gustave Flaubert (1857) :  Résumé.
Dans son petit village de Normandie, Emma, fille de paysan aisé, élevée comme un jeune fille de bonne famille, au couvent des Ursulines à Rouen, rêve d'une autre vie. Elle épouse un modeste médecin de campagne, Charles Bovary. Le couple s'installe à Yonville, une petite bourgade, et de cette union naît une petite fille, Berthe, à laquelle Emma ne parvient pas à s'intéresser vraiment. La jeune femme s'ennuie et sa vie lui paraît médiocre. Un bal chez le marquis d'Anvilliers lui permet d'entrevoir le raffinement et le luxe qui correspondent à ses aspirations. Le jour des Comices agricoles, elle se laisse séduire par un jeune noble, Rodolphe. C'est pour elle le début d'une grand amour romantique rapidement déçu. Après le départ de Rodolphe, Emma tente de se satisfaire de sa vie et de se rapprocher de son mari. Elle souhaite sa réussite et le pousse à opérer le pied bot d'un jeune villageois. L'opération est un terrible échec et loin de pouvoir admirer son mari Emma est amenée à le mépriser un peu plus. Lors d'un voyage à Rouen, le couple rencontre Léon, un jeune clerc de notaire originaire de Yonville. Emma va devenir la maîtresse de Léon. Mais la jeune femme, coquette et dépensière, a accumulé des dettes l'insu de son mari et lorsque la ruine se précise, elle met fin à ses jours.

 Madame Bovary  de Minnelli.. 1949.

 Déclarons d'entrée de jeu : le film de Minelli est une totale trahison du roman, la portée réaliste et la critique sociale de l'oeuvre de Flaubert sont totalement absentes,  Minnelli dresse un portrait naïf de la société française du XIXème siècle, les personnages du film n'ont pas la richesse, la profondeur du roman …. Et grâce à ce long préambule en forme d'amende honorable, nous pourrons, espérons-le, sans trop de crainte, sans risque de lynchage, affirmer que nous aimons Madame Bovary de Minnelli. Car le cinéaste est un très  grand réalisateur.

Il faut rappeler que, en 1949, le film risquait de choquer le public et de se heurter à la censure toujours présente dans le cinéma américain comme du temps de Flaubert!Minnelli mettait en scène une femme adultère, frivole, abandonnant son enfant, en faisait le personnage principal de son film et ne condamnait pas sa conduite. De plus la belle Jennifer Jones donnait au personnage d'Emma Bovary une connotation extrêmement sensuelle. Pour contourner la censure, Minnelli et son scénariste ont donc créé un prologue et un épilogue faisant référence au procès de Flaubert. L'écrivain, en effet, fut accusé d'atteinte aux bonnes moeurs mais finalement acquitté.
James Mason qui incarne Flaubert à l'écran prend la parole pour défendre Emma et le film est présenté comme le plaidoyer de l'écrivain. Il faut donc montrer Emma sous un jour favorable, expliquer qu'elle a des torts mais qu'elle n'est pas entièrement coupable et surtout attirer la compassion du public. Le film va donc s'intéresser seulement au personnage d'Emma et non à la société décrite par Flaubert et à la peinture de la bourgeoisie qu'il exécrait!  Première trahison de Flaubert!
Emma est présentée comme une ravissante femme qui vit la tête dans les étoiles et refuse la médiocrité de sa condition. Mariée à Charles Bovary, un brave homme, sympathique, mari attentionné, bon père de famille, elle attend le vertige de l'amour et de la passion. Elle bute contre les murs de sa maison alors qu'elle rêve de vastes demeures et de palais. Mais alors que Flaubert voulait montrer à travers Emma un personnage qui bâtit sa vie sur des mensonges romantiques, des sentiments faux, convenus, et parfois peu intelligents, l'Emma de Minnelli est totalement romantique, d'un romantisme hollywoodien qui réclame apitoiement et larme à l'oeil. Alors que Flaubert  décrivait un personnage romantique pour mieux condamner les excès du romantisme, Minelli utilise ce trait de caractère pour attirer la sympathie du public. Deuxième trahison de Flaubert!
Mais le talent du réalisateur est tel qu'on se laisse emporter par la virtuosité de la mise en scène…  Ainsi, chez le marquis d'Anvilliers, la séquence du bal est filmée d'une manière éblouissante et permet de comprendre l'exaltation d'Emma, ses affinités avec le luxe, la richesse et la beauté.. Minnelli nous entraîne progressivement dans un tourbillon, reflet des sentiments d'Emma. Lors de la valse, elle est étourdie par la danse et par son bonheur, il faut briser les vitres pour qu'elle puisse continuer à vivre. Mais son rêve prend fin quand Charles légèrement ivre la rejoint. Minelli sait aussi nous montrer par l'image la distorsion entre les rêves d'Emma et ce qu'elle vit. Par exemple, elle regarde souvent le monde à travers un miroir qui reflète une réalité ne correspondant pas à son univers intérieur. Terrible est le moment où lors de son rendez-vous galant avec Léon, elle aperçoit le couple qu'ils forment tous deux dans le miroir fêlé d'une misérable chambre d'hôtel. Tous rêves romantiques s'effondrent alors.. Pour souligner l'opposition entre les rêves d'Emma et la réalité  de sa vie,  Minnelli joue aussi avec le décor et les costumes avec  l'aide de ses fidèles complices Willis pour les décors et Plunkett, dessinateur des splendides robes d'Emma.
Minnelli, l'auteur de Un Américain à Paris, réalise ainsi un flamboyant mélodrame romantique.

 
 

Chabrol. Madame Bovary. 1991.

En France,la plus célèbre adaptation est celle de Claude Chabrol. A la sortie du film, celui-ci  affirmait : "J'ai voulu être le plus fidèle possible au texte de l'auteur" et  encore : "j'essaie de faire le film qu'il aurait  fait s'il avait eu une caméra au lieu d'une plume". Pour rester au plus près du texte, le réalisateur a utilisé tous les rares dialogues du roman et a eu recours très fréquemment à la voix off.
Mais cette adaptation linéaire, très (trop?) respectueuse du texte de Flaubert est bien sage et plate. Isabelle Huppert, glaciale, à son habitude, maîtrise ses sentiments à un tel point qu'elle ne rend pas assez le côté passionnel, insatisfait et romantique du personnage.

Manoel de Oliveira. Le Val Abraham.1993.
Voilà sans aucun doute la plus belle adaptation du roman de Flaubert à l'écran. Oliveira transpose l'histoire d'Emma dans le Portugal des années soixante. En se libérant des contraintes du lieu, du temps, en abandonnant la linéarité, Oliveira réussit le pari de rendre l'esprit du roman.  Ema du Val d'Abraham est une femme qui résiste aux contraintes du milieu social, à la domination des hommes.