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dimanche 21 juillet 2013

Festival OFF d'Avignon : La compagnie des spectres de Lydie Salvayre et Zabou Breitman : Un coup de coeur!



Zabou Breitman et le maréchal Pétain dans la compagnie des spectres
 Dans la série coup de coeur, La Compagnie des spectres avec Zabou Breitman au théâtre du Chêne Noir jusqu'au 28 Juillet à 18H.

Quand Zabou Breitman s'empare de La compagnie des spectres, un roman de Lydie Salvayre, l'adapte, le met en scène et enfin l'interprète d'une manière magistrale, c'est pour nous enlever, nous ravir au sens premier du terme, pour nous faire vivre une aventure théâtrale qui est un pur bonheur, un grand moment d'émotion partagé entre le rire et les pleurs, la révolte et la compassion.
La compagnie des spectres est en effet la rencontre entre un texte fort, intense, subtil, un belle langue qui emprunte à tous les registres et une actrice lumineuse, tendre et tragique, et amusante aussi, qui sait faire partager toute une gamme de sentiments et nous met en empathie avec les personnages qu'elle incarne.

 Epoque actuelle-1943  : Soit un appartement  misérable et un huissier qui vient faire l'inventaire de biens (sans valeur) pour procéder à une saisie puis une expulsion. Ici, vit Louisiane timide, recluse, incapable de vivre en société, un rien obséquieuse envers l'homme de justice… Et puis il y a sa mère Rose, très âgée, folle, dont la mémoire est resté figée à cette journée de Janvier 1943 où son frère a été sauvagement assassiné par deux miliciens et où sa propre mère, sous le choc, s'est elle aussi retirée dans le silence de son esprit. Trois générations de femmes qui ont été détruites par l'horreur de la collaboration du régime de Vichy et la complicité active (des milliers de lettres de dénonciation) ou passive de nombreux français. Le texte puissant dénonce l'antisémitisme, la dictature, elle dénonce les responsables, le maréchal Pétain, Joseph Darnand, le fondateur de la milice, René Bousquet et son adjoint Jean Leguay, et tous les collaborateurs qui, soit par intérêt, cruauté, désir de puissance et de reconnaissance, soit par lâcheté, ont collaboré avec le meurtre et l'horreur.

Il suffit d'un rien pour que Zabou Breitman devienne tour à tour une des trois femmes, l'huissier et même le maréchal, le pharmacien délateur, un milicien… un geste, une cigarette au bec, une inflexion de voix, un corps qui se courbe d'humilité… Elle  tient ainsi les spectateurs sous le charme, captifs. Mais si le texte est tragique, l'actrice sait nous amener au rire. Là encore une nuance dans son jeu, un mot mis en relief, un déhanchement et le rire surgit. Oh! cette scène inénarrable où elle danse avec le maréchal Pétain himself! Et oui!
Le décor est laid : misérables et étriqués ce salon et cette chambre encombrés d'objets hideux, abimés, cassés, comme si le temps s'était arrêté, comme s'il reflétait le néant de ces femmes détruites, enfermées dans un passé qui sans cesse recommence, dans une violence qui  rejoint le présent. Car au fur et à mesure que la mère parle on comprend que c'est elle, la "folle", qui détient la vérité. L'horreur  n'a jamais cessé pour elles, pour ces deux femmes malades, dans l'incapacité de travailler, dotées d'une petite pension qui leur permet à peine de survivre à deux. La violence actuelle est représentée par cet huissier qui vient insulter leur misère. Soixante et dix ans après, Louisiane et Rose vivent les conséquences de ce passé tragique mais la violence s'exerce sur elles d'une manière plus subtile comme elle touche tous ceux qui vivent de nos jours "avec 400 € par mois" et ne peuvent payer leur loyer. Et c'est ainsi que le présent et le passé sont solidaires! Et de là naît la révolte qui constitue aussi, peut-être, un espoir.

Un très beau texte! Un grand moment de théâtre!



 Je cite ici un extrait de l'interview de l'auteur Lydie Salvayre Pour comprendre le sens profond de ce roman  voir la suite  ICI

- On a l'impression que c'est le face à face de deux discours qui tournent à vide, celui du présent traumatique éternel de la mère et celui de l'huissier, enchaînement mécanique de formules juridiques, qui va rendre impossible la tentative de reconstruction de la fille. -Un discours qui tourne à vide, mais qui produit des effets. La société, qui devrait l'aider à s'étayer, la rejette, la renvoie vers sa mère, dont elle reçoit cette révolte. Quant à l'huissier, j'ai reçu une lettre d'un lecteur me reprochant d'avoir fait de l'huissier un vichyste, alors que la monstruosité ordinaire des huissiers se suffit à elle-même.

-En ce sens, c'est un livre politique?
-Oui, et pas seulement dans ses aspects historiques. D'ailleurs, on ne s'y est pas trompé, notamment dans les jurys littéraires, même si on ne le dit pas comme ça.
-Dans vos derniers livres, on voit un personnage investi, habité par un discours qui n'est pas le sien, et le confrontent, parfois tragiquement, au réel. Ici, on perçoit une radicalisation de ce dispositif.
-Tant mieux si c'est comme ça. Mais ce qui distingue mes deux derniers romans, c'est la place qu'y tient le discours littéraire. Dans 'la Puissance des mouches', le personnage était possédé par Pascal. Ici, la littérature, Cicéron, Sénèque, respire dans les paroles de la mère, y est incorporée. Quand elle cite Epictète à la face de l'huissier, ces mots sont les siens. Et parfaitement inutiles. La littérature ne peut rien face à la brutalité d'un huissier. On sent à quel point elle est luxe pur, surcroît absolu, renvoyée à l'inefficacité sur le plan de la résistance au social. Pourtant Rose ne serait pas ce qu'elle est, aussi coléreuse, aussi rebelle sans ses lectures.
-Vous n'êtes donc pas la pessimiste radicale qu'on dépeint parfois.
-On me dit même désespérée. Il est vrai que le malheur est au centre de mes romans. Mais c'est un malheur qui ne s'abîme pas en lui-même, qui se tempère, qui est soutenable. Ce n'est pas le malheur insoutenable de Primo Levi. Il peut se dire, et souvent par le rire. La liberté n'est jamais hors de portée.

je n'ai pas encore lu La compagnie des spectres mais après cette belle aventure théâtrale,  je viens de commander le livre pour découvrir le roman.

Editions le Seuil : la compagnie des spectres de Lydie Salvayre

Editions Points : la compagnie des spectres de Lydie Salvayre


6 commentaires:

  1. cela fait partie des spectacles que j'ai repéré dans le programme du Off, cela confirme ma première impression!

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    1. Oui, un très bon spectacle! Il y avait une qualité d'écoute dans la salle!

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    2. et je reconfirme au retour d'Avignon, vu et beaucoup apprécié, sacré performance!

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  2. J'adore tout ce que fait Zabou en général !!! :)

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