Pages

mercredi 8 janvier 2020

Marc Graciano : Embrasse l'ours


J’avais beaucoup aimé le livre de Marc Graciano, Liberté dans la montagne (voir ICI ) que j’ai lu il y a déjà cinq ans.
 Avec Embrasse l’Ours, c’est un plaisir de retrouver, sur les conseils de Dominique ICI, cette langue si particulière et poétique, ces tournures de phrases proches de l’Ancien Français mais en même temps si personnelles, ce vocabulaire riche d’un auteur qui aime les mots, qui s’en délecte, des mots rares évoquant une civilisation lointaine, éteinte.  Et puis, bien sûr, il y a ce récit qui se situe au Moyen-âge avec pourtant quelque chose d’intemporel que l’on retrouve dans les légendes et les contes oraux traditionnels.
 

Embrasse l’ours, est l’histoire d’un ourson adopté par des oursaliers quand sa mère est tuée par les chasseurs et qui devient le frère de lait d’une petite fille, une histoire d’amour entre la bête qui se considère comme humaine et sa « soeur », devenue une belle jeune fille passionnée, farouche et ardente. L’histoire semble s’inspirer de ces légendes propres aux pays de hautes montagnes (je pense à un conte pyrénéen que je connais, entre autres), légendes qui racontent l’union forcée ou consentie d’une femme avec un ours, celui-ci incarnant la sexualité brute et la force de la nature. Quoi qu’il en soit, notre pauvre ours gentil, couard, plutôt comique, qui refuse son statut d’ours et sait allumer un feu, concocter de bonnes soupes aux herbes sauvages, est loin de cette représentation. Il introduit une note d’humour dans cette histoire violente dans laquelle la nature et les hommes ne font pas bon ménage et où les humains détiennent la palme de la cruauté. Il nous renvoie à un monde mythologique où l’homme et l’animal vivaient côté à côte mais sur un pied d'égalité et "mêmement"* il nous rappelle qu'il est dangereux et cruel d'humaniser un animal comme le pauvre ours de notre histoire et comme le fut le singe Nim à qui l'on a appris à parler par signes et à se comporter comme un humain.
Et plus près de nous, il évoque les recherches scientifiques des zoologues sur le comportement et l’intelligence animales. Carl Safina dont le livre Qu’est-ce que fait sourire les animaux? ICI , démontre ainsi que la différence entre l’animal et l’humain n’est pas si grande.
Le projet Nim ou le singe qui se prenait pour un humain
Peut-on y voir aussi la volonté de l’auteur de prendre parti dans ce combat que mènent, à l’heure actuelle, les éleveurs des zones montagnardes contre la réintroduction de l’ours qui détruit leur troupeau? C'est ce que  semble dire - mais je n'affirmerais rien quand il s'agit de Marc Graciano -  la suite du titre en deux parties  : Embrasse l'ours et porte-le dans la montagne.

Poursuivies par un ours, 209 brebis se jettent de la falaise
Un beau livre ! J’avoue avoir eu un petit moment de flottement au début pour entrer dans le roman. Je suis un peu déboussolée quand je m'aventure dans un livre de Marc Graciano parce que je sais jamais où je suis exactement ! Mais le style envoûtant de l’écrivain et l’acception d’être transportée dans un conte malgré le réalisme apparent du récit, l’ont emporté.

"Mêmement"* une tournure de l'ancien français très usitée par l'écrivain. J'adore !


27 commentaires:

  1. J'ai essayé un autre de ses romans, après un billet de Dominique d'ailleurs, mais je n'ai pas pu rentrer dans sa prose. Je referai un essai.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Liberté dans la montagne est mon préféré des deux.

      Supprimer
  2. J'avais lu un roman il y a qq temps, puis feuilleté un autre (épouvantable scène de départ!) et j'hésitais
    Pourtant j'aime bien sa façon d'utiliser le français

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. épouvantable ? quel livre ? Je ne sais pas vraiment si ce roman correspond à tes goûts.

      Supprimer
  3. Tu me tentes vraiment même si ce n'est pas le genre de livres que je lis en ce moment! En revanche il va devenir d'actualité pour moi puisque nous partons en mars dans les Pyrénées en cure thermale

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai dit qu'il me faisait penser (de très loin, juste pour le thème) à un conte des Pyrénées. Mais je ne sais pas où il se passe, en montagne.

      Supprimer
  4. cette sensation de se perdre que l'on a au début de ses romans fait vraiment partie de son charme je trouve, j'aime me laisser balader, ne pas savoir où et quand cela se passe vraiment, son récit est vraiment fait pour perdre le lecteur mais quel bonheur d'écriture merci à toi pour le lien

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je suis d'accord avec toi; c'est pourquoi j'ai aimé ce livre, "Liberté sur la montagne" restant mon préféré.

      Supprimer
  5. À vous deux vous m'avez convaincue, merci!

    RépondreSupprimer
  6. Parti trop vite...tes illustrations sont superbes.

    RépondreSupprimer
  7. Je n'ai encore rien lu de cet auteur, je retiens ton titre préféré. Merci de rappeler "mêmement" qui ne manque pas de charme.

    RépondreSupprimer
  8. Bonjour Claudialucia, je ne connais pas l'écrivain et ses tournures poétique. Je note ce roman d'autant plus que les éditions José Corti est un gage de qualité.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Marc Graciano publie tous ses livres dans cette édition.

      Supprimer
  9. Bonjour claudialucia, d'abord la couverture de ce livre c'est un tableau de Brueghel l'Ancien, chasseurs dans la neige, de l'art de raconter une histoire en images. Et de l'art de trouver une illustration pour un livre

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, c'est un tableau que j'aime beaucoup et j'ai aimé ce livre en tant qu'objet parce qu'il présente cette image.

      Supprimer
  10. Tu n'as peut-être pas encore lu "le bestial serviteur du pasteur Huuskonen" d'Arto Paasilinna. Il vaut la lecture et parle des relations assez cocasses entre un ours et un homme. L'ours tenait une place importante dans l'imaginaire autrefois, sans doute parce qu'il ressemble à un homme par son allure. Et il était considéré comme le roi des animaux

    RépondreSupprimer
  11. Cela m'a intriguée cet auteur qui écrit une langue particulière. Il est pourtant jeune. 53 ans selon Wikipédia. Il me rappelle un jeune homme (35-40 ans ?) qui venait me commenter parfois, jusqu'en 2010. En guise de commentaire souvent un texte puissant inspiré de mes photos et de ce que je disais dans un langue colorée et atemporelle ou plutôt une langue désuète. C'est drôle que l'on puisse respirer, parler ainsi tout en vivant l'époque actuelle. Ressentir le besoin impérieux de coucher des phrases et des mots. Tu peux jeter un oeil si tu en as le temps c'est ICI

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le style de l'écrivain n'a rien à voir avec son âge. C'est un choix littéraire assumé. Il parle de temps lointain qui ressemble au moyen-âge mais qui est aussi un temps de l'imaginaire. La langue employée correspond, à la fois proche de l'ancien français mais aussi intemporelle. On est toujours à mi-chemin du réel et de l'invention. Oui, je vais jeter un oeil sur ton blog.

      Supprimer
  12. Tu parles des poésies de Bifane? Si oui, cela ne ressemble pas à la langue Marc Graciano. Non, moi cela ne me paraît pas étrange ni drôle de parler ainsi à l'époque actuelle si l'on est nourri de littérature médiévale ou renaissance, si l'on aime la poésie et les mots. Et quel est le poète qui n'aime pas les mots ? Personnellement, la langue de Montaigne, par exemple, est une langue qui me ravit et j'aime employer des mots qui sont à lui.

    RépondreSupprimer
  13. Je ne connais pas cet auteur. Mais cet usage de la langue française m'attire. Mêmement... cela m'arrive de l'utiliser !
    Bonne journée et merci pour votre dernière visite.

    RépondreSupprimer

Merci pour votre visite. Votre message apparaîtra après validation.