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dimanche 29 novembre 2009

De retour de Porto : Brassée d'images



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De retour de Porto

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La cathédrale : La Sé
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Le cloître de la Sé

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azulejos du cloître  (détail)

jeudi 5 novembre 2009

Mary Ann Shaffer et Anny Barrows: Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates






Le titre seul, Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates par son originalité et sa fantaisie donne envie de lire le livre et, lorsque c'est fait, l'on se dit qu'effectivement il résume bien le roman toujours entre humour et sérieux, sourire et nostalgie.
Nous sommes à la fin de la guerre en 1946. Juliet, jeune écrivain en quête d'un sujet, reçoit une lettre d'un habitant de Guernesey. Il lui parle du cercle littéraire que ses amis et lui ont créé pendant la guerre pour justifier leur sortie après le couvre-feu, suite à une soirée passée à manger un cochon rôti et de la tourte aux épluchures de patates. Guernesey subit, en effet, l'occupation nazie, les denrées sont rares, les allemands réservant à leur troupe toute la production alimentaire de l'île et il est sévèrement interdit de détourner de la nourriture. Ce qui a débuté par nécessité devient bientôt une réalité. Ceux qui lisent déjà comme ceux qui n'ont jamais ouvert un livre doivent s'y mettre et, de fil en aiguille, ces amateurs d'épluchures de patates deviennent amoureux de la littérature. L'on verra comme cet amour va transformer la vie de chacun, les révéler à eux-mêmes.
Entre eux et Juliet s'établit un échange de lettres qui lui permet (et à nous aussi, lecteurs, car il s'agit d'un roman épistolaire) de découvrir des personnages attachants et inattendus, des situations drôles voire cocasses mais aussi, sous l'humour toujours présent, la gravité de la guerre et de l'occupation qui ont amené souffrances, privations, séparations et morts.
Lorsque Juliet décide de faire de ses correspondants, le sujet de son roman et de leur rendre visite à Guernesey, elle ne sait pas encore qu'elle va découvrir là-bas un sens à sa vie.
J'ai éprouvé beaucoup de plaisir à lire Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates. Ce n'est pas un roman qui va révolutionner la littérature! On peut le juger trop simple, trop gentil, trop optimiste quant à la nature humaine mais l'on y sent une véritable tendresse envers les hommes et les femmes qui le peuplent et ceci malgré leurs défauts et leurs faiblesses; l'on y apprend beaucoup sur Guernesey et sur la période tragique de son histoire. Celle-ci nous mène au fond de l'abîme, dans un camp de concentration où meurt Elizabeth, le personnage principal du roman, dont tous attendent en vain le retour. Mais ce que j'ai préféré est la façon dont ces personnes, de toutes les classes sociales, autodidactes ou non, parlent des auteurs qu'ils ont découverts; non d'une manière savante et académique mais un peu comme des amis qui traverseraient leur vie et les dérangeraient dans leurs habitudes, ce qui est d'ailleurs souvent amusant; non d'une manière théorique ou pédante mais à travers le prisme de leur propre savoir, de leur expérience quotidienne. Car il me semble que c'était là le principal écueil à éviter, ce que n'avait pas su faire, à mon avis, Muriel Barbery dans L'élégance du hérisson avec le personnage de la concierge qui pensait comme un prof de littérature et n'avait rien d'une autodidacte.
Il n'y a pas de doute, si Mary Ann Shaffer et Anny Barrows aiment les gens, elles sont aussi éprises de littérature et savent communiquer cet amour. Voilà qui les rend agréables à fréquenter, ne serait-ce que le temps de ce livre drôle et attachant.
Vous pouvez lire la critique de ce roman par Dominique dans le blog A Sauts et à Gambades .
Je retiens la  jolie formule  qu'elle emploie pour qualifier ce type d'ouvrage :  un  livre friandise 
"Il y a les livres chef-d’oeuvres, les livres marquants, les livres érudits, les livres phares et puis il y a les livres friandises."


Mary Ann Shaffer et Annie Barrows : Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates traduit de l'américain par Aline Azoulay édit. Nil  mars 2009 (p;391)

Voir article ici
Biographie de l'auteur par l'éditeur  : Mary Ann Shaffer est née en 1934 en Virginie-Occidentale. C'est lors d'un séjour à Londres, en 1976, qu'elle commence à s'intéresser à Guernesey. Sur un coup de tête, elle prend l'avion pour gagner cette petite île oubliée où elle reste coincée à cause d'un épais brouillard. Elle se plonge alors dans un ouvrage sur Jersey qu'elle dévore : ainsi naît fascination pour les îles anglo-normandes. Des années plus tard, encouragée à écrire un livre par son propre cercle littéraire, Mary Ann Shaffer pense naturellement à Guernesey. Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates est son premier roman, écrit avec sa nièce, Annie Barrows, elle-même auteur de livres pour enfants. Mary Ann Shaffer est malheureusement décédée en février 2008 peu de temps après avoir su que son livre allait être publié et traduit en plusieurs langues.

vendredi 16 octobre 2009

Lozère : Mois d’Octobre 2009



Au mois d'Octobre, j'étais là-bas ...

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Vue de ma fenêtre, début Octobre
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Vue de ma fenêtre, fin octobre

lundi 28 septembre 2009

Frédérique Hébrard : La Chambre de Goethe




La chambre de Goethe est un roman sur l'enfance, celle d'une petite fille que tout le monde appelle Riquette. C'est sur le quai de la gare de Montauban, en 1980, que Frédérique Hébrard, âgée, évoque ses souvenirs pour faire l'inventaire de ce que l'on appelle les raisons de vivre.

Une enfance pas tout à fait comme les autres puisqu'elle se déroule en 1939 et que le père de la fillette n'est autre que André Chamson, écrivain cévenol, auteur entre autres de Roux le bandit, Le chiffre de nos jours. De plus les amis de ses parents se nomment Roger Martin du Gard, Jean Lurçat, Paulhan, André Malraux, Tristan Tzara, André Gide, André Wurmser, Jean Guéhenno... et j'en passe. Voilà déjà de quoi avoir une enfance exceptionnelle. Ce qui donne lieu a des descriptions pleines d'humour du point de vue de la petite fille :
J'ai de la chance, je dispose de gentilles grandes personnes. Les écrivains sont agréables. Ils ne ressemblent pas aux parents de mes camarades. Même quand ils sont très vieux, ils aiment s'asseoir sur la moquette."
ou
Il y avait aussi Gaston Gallimard, un petit gros qui n'avait pas l'air bête.." et encore "Saint Exupéry, mon premier aviateur"

Mais ce n'est pas tout. Son père, André Chamson est conservateur des Musées Nationaux, sa mère archiviste et bibliothècaire du Louvres, à une époque où la préoccupation première est de sauvegarder les collections des grands musées français en les évacuant dans le sud de la France. La fillette est d'abord expédiée à Nîmes chez sa "mémé parpaillote" où elle fera ses études, puis elle suit ses parents selon les déplacements des oeuvres, de château en château. Et c'est alors l'aventure de l'Art, souvent inattendue, étrange. Ainsi les Chamson arrivent au chevet de leur fille opérée d'urgence avec deux Poussin et un Tintoret dans leur musette, le tableau Les Noces de Cana transporté en camionnette manque brûler dans un virage. Dans l'appartement de ses parents, Jean Lurçat déroule sa tapisserie intitulée La Liberté. Dans la chapelle de Loc-Dieu, le conservateur des peintures du Louvres ouvre une grande boîte capitonnée de rouge et présente aux enfants émerveillés, un sourire de femme qui émerge de l'ombre...
La Joconde
Même les plus petits l'avaient reconnue. Son nom chuchoté avait quelque chose de magique. Elle va bien, dit-il avec tendresse, et il referma la boîte aussi doucement qu'il l'avait ouverte.
Et puis c'est Montauban où les trésors du Louvres trouvent refuge au Musée Ingres, c'est  l'aménagement de la famille dans un vieil appartement qui garde des traces de sa somptuosité passée :  dans une pièce, un vrai Ingres au mur et un piano droit sur lequel repose une partition de Schumann, pièce que son père appelle La Chambre de Goethe. A cette occasion, l'enfant découvre l'universalité de la littérature et de l'Art au-delà de l'appartenance nationale et des violences des hommes.
Ainsi malgré les horreurs de la guerre, la disparition de personnes aimées, la peur, l'exil, les privations, la fillette tout en devenant adulte apprend l'espoir d'un monde libre, d'un monde débarrassé du Mal.
Ce doit être cette nuit-là que je contractai l'espoir. Comme on contracte une maladie. Incurable.

dimanche 20 septembre 2009

Jules Supervielle : oiseau des Iles outreciel


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 Sans titre de 2F

Toutes les brebis de la lune
Tourbillonnent vers ma prairie
Et tous les poissons de la lune
Plongent loin dans ma rêverie.
*
Toutes ses barques, ses rameurs
Entourent ma table et ma lampe
Haussant vers moi des fruits qui trempent
Dans le vertige et la douleur.
*
Jusqu'aux astres indéfinis
Qu'il fait humain, ô destinée!
L'univers même s'établit
Sur des colonnes étonnées.
*
Oiseau des Iles outreciel
Avec tes nuageuses plumes
Qui sais dans ton coeur archipel
Si nous serons et si nous fûmes,
*
Toi qui mouillas un jour tes pieds
Où le bleu des nuits a sa source,
Et prends le soleil dans ton bec
Quand tu le trouves sur ta course,
*
La terre lourde se souvient,
Oiseau d'un monde aérien (...)
Gravitations  Une étoile tire de l'arc (Extrait)

mercredi 16 septembre 2009

Jean Teulé : Mangez-le si vous voulez




J'ai été attirée par le nouveau roman de Jean Teulé, Mangez-le si vous voulez, parce qu'il se passe dans une région que j'aime bien, le Périgord et plus exactement au village de Hautefaye. Mais quelle histoire! Et authentique, en plus, bien que l'on ait de la peine à le croire.
Nous sommes le 16 août 1870 et Alain de Moneys, fils de notable, adjoint au maire, se rend à la foire de Hautefaye. il a refusé d'échanger le mauvais numéro qu'il a tiré à la conscription comme le font d'habitude les conscrits de bonne famille et doit partir à la guerre contre la Prusse dans les jours qui suivent. Il entretient de bonnes relations avec la population et tout le monde le connaît et l'apprécie. Ce qui va suivre est donc inimaginable.
Pour venir en aide à un de ses cousins, Camille de Maillard, que la foule accuse  injustement d'être un mauvais patriote, et tout  à fait sûr que nul ne pourra le suspecter, il a cette parole malheureuse :
..je connais assez Maillard pour être bien sûr qu'il est impossible qu'un tel cri sorte de sa bouche :"vive la Prusse"... Pourquoi pas "A bas la France!"
Que n'a-t-il pas dit! Aussitôt la foule le prend à partie, le giffle, l'insulte, des visages haineux l'entourent. Personne ne semble reconnaître. Tous voient en lui un ennemi de la France, voire un prussien introduit dans la bergerie. Une hystérie collective  et meurtrière s'empare de tous. La tension monte, la fureur et la colère n'ont plus de bornes. On le frappe, on le larde de coups de couteaux, on le torture, on l'ampute, on le fait griller encore vivant et on le mange!
Jean Teulé s'est emparé de ce lointain fait divers et a reconstitué la scène d'après les articles parus dans les journaux, les interrogatoires menés auprès des suspects et  dans tout  le village, les Minutes des procès et les condamnations prononcées par la cour d'assises de la Dordogne. Il a lu aussi toutes les études déjà consacrées à cette affaire. C'est donc un travail très documenté et  rigoureux quant à la vérité historique. Le reste - car il s'agit d'un roman -  est laissé à l'imagination de l'écrivain.

Je n'ai pas aimé le style de Jean Teulé et la manière dont il raconte cette histoire avec une désinvolture un peu familière, des effets de style, des jeux de mots, qui me paraissent déplacés et assez irritants.
Sa tête est devenue un globe de sang où, dans l'oeil gauche, rit la mort songeuse.
Les coups de sabot claquent dans les planches. Il pleut, il pleut bergère... 
Pourtant, je reconnais qu'un style plus "sage" ne conviendrait pas à un tel sujet. Comment raconter l'irracontable?
Le roman, à mon avis, ne s'élève pas au-dessus du fait divers. Les personnages n'existent pas, n'ont pas de densité. Pourtant, au-delà de l'anecdote, l'histoire a le mérite de montrer le mécanisme de la montée de la violence et la psychologie des foules : comment des individus ordinaires jusque-là sans histoire ont-ils pu être pris dans un engrenage insensé? comment ont-ils été conduits à la folie, à des actes aussi barbares.
-Nous avons viré fous, déclare Buisson. De Moneys, bien sûr que c'était un brave garçon!
 -Moi, quand il était dans la braise, j'ai distingué un marcassin.. Lamongie a perçu un oiseau. Liquoine a dit : "on dirait Belzébuth. Sa langue est jaune.
Le récit suscite en nous plus qu'une inquiétude quant à la nature humaine : ne sommes-nous pas tous des barbares que seules les lois, le carcan de la morale, les punitions, la prison, la crainte, maintiennent  dans le droit chemin? Anéanties les idées philosophiques à La Rousseau, le mythe du  "bon sauvage", la croyance en la bonté de l'homme laissés à l'état de nature.

Ces interrogations sur la nature humaine soulevées par le roman de Jean Teulé, je me les pose souvent, en particulier quand je lis les livres consacrés aux crimes nazis (voir texte). Comment des êtres apparemment normaux, bons pères de famille, bons chrétiens, ont-ils été amenés à de tels crimes? L'histoire du nazisme c'est celle de la violence de Hautefaye à l'échelle d'une nation, démultipliée, portée à une puissance infinie.

samedi 12 septembre 2009

Archives du festival d’Avignon : Un Feydeau contemporain 1998

Archives du festival d’Avignon



Dans cette rubrique : Archives du festival d'Avignon, j'ai décidé de publier, de temps en temps, quelques critiques que j'avais écrites pour le journal La Provence lors des années précédentes. Je ne garderai que les spectacles que j'ai vraiment appréciés, histoire de me rappeler et de vous faire partager de bons souvenirs théâtraux. J'y ajouterai, s'il y a lieu, les remarques personnelles que je n'avais pas pu publier alors, faute de place.

Un  Feydeau contemporain est l'article paru dans La Provence  le 20 Juillet 1998 sur les deux pièces de Feydeau : Mais ne te promène donc pas toute nue! et Feu la mère de Madame. Le spectacle intitulé Feydeau'Feydeau mis en scène par Serge Added était programmé par la Région Champagne Ardennes à la  Caserne des Pompiers. Pour moi, qui n'aimais pas trop cet auteur -du moins je le croyais car je l'avais toujours vu monter d'une manière superficielle qui mettait en valeur un comique un peu vulgaire- ce fut une révélation. Je ne m'étais jamais rendu compte combien son théâtre pouvait être cruel, en particulier en ce qui concerne les rapports entre hommes et des femmes, voués à l'incompréhension.





lundi 24 août 2009

David Lodge : Pensées secrètes


L'action de Pensées secrètes se déroule dans le cadre de l'université fictive de Gloucester créée par David Lodge pour servir de cadre à ses personnages.
Dans Pensées secrètes un nouveau professeur de création littéraire, Helen Reed, elle-même romancière, arrive à l'université de Gloucester pour remplacer le titulaire du poste, le professeur Marsden qui, après avoir assuré le premier semestre, est parti en congé sabbatique. Helen vit à Londres, a deux enfants adultes et a besoin d'un changement dans sa vie. Son mari Martin est mort, il y a un an, et elle n'arrive pas à surmonter son chagrin. Elle fait ainsi connaissance de Raph Messenger, brillant professeur de sciences cognitives, mariée à Carrie qui possède une fortune personnelle et, à ce titre, un pouvoir certain sur son mari. Assez antipathique et même parfois carrément odieux, grand amateur de femmes, Messenger n'en est pas à sa première infidélité et n'a de cesse de mettre Helen dans son lit. D'éducation catholique, Helen est sensible au charme du séducteur quinquagénaire mais elle refuse l'adultère. Deux découvertes la feront changer d'avis : le roman que lui donne à lire une de ces étudiantes, Sandra Pickering, dont le comportement assez mystérieux l'a intriguée et le fait que Carie ait elle-même un amant. Telle est la trame de l'histoire réduite ici à son squelette autour de laquelle se greffent les agissements et les pensées des nombreux personnages qui vivent en vase clos sur ce campus et forment un microcosme complexe que l'auteur, comme un entomologiste, a tout loisir d'étudier voire de disséquer.
J'ai trouvé le thème principal du roman très intéressant. Il porte sur le débat philosophique et scientifique concernant la conscience et les différentes théories qui opposent les spécialistes entre eux selon leur appartenance à un courant de pensée. La science, à l'heure actuelle, s'intéresse en effet, à l'étude du cerveau jusqu'alors la partie de notre corps la plus méconnue, pour chercher à expliquer ce qui fait la conscience.
Nous savons que l'esprit ne relève pas de quelque univers  immatériel, surnaturel, le fantôme dans la machine. Mais alors de quoi est-il fait? Comment expliquez-vous le phénomène de la conscience? S'agit-il seulement d'activité électrochimique du cerveau? De la décharge de neurones, de neurotransmetteurs libérés par les synapses? (Raph Messenger)
Ainsi, de nos jours, les progrès techniques, grâce au scanner, à l'IRM, permettent de repérer les zones du cerveau qui sont concernées par telle ou telle émotion. Mais comment cela se traduit-il en pensée se demande Ralph Messenger qui est persuadé que la science cognitive parviendra à le découvrir. Le cerveau n'est-il pas, en effet, semblable à un ordinateur à traitement parallèle qui met en même temps tous ses programmes en fonction? Le but des scientifiques est donc de parvenir à mettre au point un ordinateur capable de penser comme un être humain.
L'habileté de David Lodge est d'exposer ces théories complexes et ardues en les mettant à notre portée de manière à les rendre non seulement compréhensibles mais aussi passionnantes . Helen Reed joue ici le rôle du Candide à qui Messenger expose ses théories et fait découvrir les expériences en cours. En opposant Messenger à Helen Reed, le scientifique à la romancière, l'athée matérialiste à la catholique en proie au doute, David Lodge fait coup double. Si d'un point de vue scientifique il remet en cause le concept de l'âme immortelle  (Y-a-t-il un fantôme dans la machine?) et de la dualité du corps et de l'esprit, il dénonce aussi la prétention des scientifiques qui sont loin d'avoir percé les mystères de la conscience car chaque individu est unique. En laissant le "mot de la fin " à Helen , il donne le point de vue de l'écrivain. Et si l'Homme finalement n'était pas une machine? La littérature, en fin de compte, n'est-elle pas allée plus loin jusqu'à maintenant que la science dans l'analyse de la conscience, de son cheminement obscur et de ses motivations secrètes?
Sans doute ai-je toujours cru que la conscience était le problème de l'art, particulièrement de la littérature, et plus particulièrement du roman.(...) Au fond je suis assez contrariée à l'idée que la science vienne fourrer son nez dans cette affaire, mon affaire à moi. Ne s'est-elle pas déjà approprié une part suffisante de la réalité? Doit-elle aussi avoir des prétentions sur l'essence intangible, invisible de la personne humaine? (Helen Reed)
La construction du roman assez complexe fait alterner les points de vue, celui de Messenger et de Reed  mais aussi d'un narrateur omniscient si bien que certaines scènes sont narrées plusieurs fois selon le ressenti de chacun. Nous pénétrons ainsi dans les pensées intimes de Ralph et de Helen par le biais des notes privées dictées par le scientifique et par le journal de la romancière, ce qui nous permet de connaître l'intérieur de leur conscience, privilège du romancier non du scientifique selon la démonstration de l'auteur! D'ailleurs, Ralph ne connaîtra les pensées secrètes de Helen qu'en violant son journal  et il ne sortira pas indemne de cette lecture puisqu'il y découvrira l'infidélité de sa femme. Je vois là l'ironie de David Lodge qui châtie ainsi son personnage  et ridiculise ses certitudes.
Autre plaisir du roman, les devoirs que donne Helen à ses étudiants sur le thème de la conscience : comment c'est d'être une chauve-souris?  ou sur Mary découvrant pour la première fois les couleurs. Ces travaux donnent lieu à des pastiches pleins d'humour imitant de grands écrivains.

Pierre Gaspar-Huit : Catalina la terrible : la vie extraordinaire de la nonne conquistador


Catalina de Erauso
 

Jamais je n'aurais lu Catalina la terrible de Pierre Gaspar-Huit, écrivain et réalisateur de cinéma (l'auteur du film Le Capitaine Fracasse)si la médiathèque d'Avignon n'avait fait une vente de ses livres déclassés.  C'est là que j'ai découvert ce roman historique curieux et rare!
Catalina La terrible de Pierre Gaspard-Huit porte ce sous-titre évocateur : La vie extraordinaire de la nonne conquistador. Le lecteur sait donc dès le départ qu'il a devant lui un roman qui va lui faire partager les tribulations d'une aventurière à la conquête du Nouveau Monde. Que cette femme, déjà hors norme, soit une nonne, pimente encore le récit qui peut nous paraître de prime abord peu vraisemblable.
Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable disait Jean Racine. Comme il avait raison car ce roman picaresque, plein de rebondissements, de duels, de batailles, de brigands, de pirates et d'indiens est une histoire vraie.
Dona Catalina de Erauso est née en 1585 à Saint Sébastien de Guipuzcoa, en Biscaye, d'une noble famille d'hidalgos espagnols, orgueilleux de leur race mais ruinés. C'est pourquoi,  à l'âge de 15 ans, faute de dot, la jeune fille est mise au couvent d'où elle s'enfuit pour échapper aux persécutions d'une autre novice. Alors commence le début des aventures qui vont conduire la jeune fille travestie en garçon à travers l'Espagne, une fois au service d'un maître qui lui apprend l'escrime,  d'un aveugle qui l'initie à la mendicité, au jeu, à la tricherie, étudiante à  Saragosse, actrice dans une troupe de théâtre à Valladolid ou Madrid, prisonnière de brigands de la Sierra Morena qui l'enrôlent de force dans leur bande, menacée par l'inquisition à Séville... Ce dernier épisode l'obligeant à embarquer clandestinement sur un galion, le San Cristobal, à combattre des pirates, à aborder le Nouveau Monde où elle s'engage dans l'armée et devient Alférez, porte-bannière, décimant les populations d'indiens autochtones, arpentant au gré de ses aventures le Pérou, la Bolivie, le Chili, rendant justice parfois, parfois assassinant ... Une vie hors du commun rendu possible par le secret bien gardé de son identité sexuelle qui ne sera découverte que tardivement. La nonne retournera alors en Espagne, sera reçue par le roi Philippe III, obtiendra le pardon du pape, écrira ses mémoires avant de repartir pour le Nouveau-Monde où elle périra comme elle a vécu, dans la violence.
Au cours de ma lecture, j'ai retrouvé avec plaisir la saveur du roman picaresque. La nonne Alférez à pour frères Lazarillo del Tormes et  Gil Blas. Dans la première partie qui s'intitule Espana , on retrouve les "types" attendus de cette littérature : le faux aveugle, le mendiant, le tire-laine, le brigand, l'étudiant miséreux, l'actrice légère, le noble batailleur et insouciant.. Les situations rocambolesques vécues par l'héroïne n'en correspondent pas moins à une société bien réelle, décrite avec précision. On apprend donc beaucoup, tout en s'amusant sur les moeurs de l'époque. La vie de Catalina nous permet de connaître la hiérarchie sociale du bas au haut de l'échelle puisque l'aventurière fréquente tour à tour les grands d'Espagne ou la lie du peuple. Le fait que cette histoire ait réellement existé et que ces faits soient attestés, donnent, de plus, du piquant à la lecture.
La deuxième partie consacrée au Nouveau-Monde : Indias est passionnante aussi car elle nous fait découvrir toute l'horreur de la conquête, les massacres d'indiens Araucans au Chili, l'exploitation inhumaine des populations obligées de travailler dans les mines en Bolivie, esclaves des nouveaux riches espagnols à Potosi. Nous découvrons avec Catalina la somptuosité des paysages péruviens, la splendeur du lac Titicaca et sa légende, le mythe des enfants du Soleil.
Enfin la troisième partie : le Bout de la route, beaucoup plus brève, narre le retour de Catalina en Espagne où son histoire est révélée à tous et fait grand bruit,  et sa mort  tragique au Mexique où elle est attaquée par des brigands au pied du Popocatepetl.
Un agréable et inattendu roman d'aventures.

David Mitchell : Le fond des forêts




Le fond des forêts est le second livre que je lis de David Mitchell après Cartographie des nuages. Si le premier était intéressant par sa virtuosité, le second est plus classique mais tout aussi intéressant. Il s'agit d'un roman d'adolescence, de passage. Il explore ce moment si difficile où tout en appartenant encore à l'enfance, on est pourtant déjà en mutation vers autre chose sans avoir encore les moyens de l'assumer.
Jason Taylor a 13 ans. Il vit  dans  un petit village du Worcestershire en lisière de la forêt, au bord d'un lac gelé par l'hiver, lieux mystérieux qui exercent sur lui une étrange fascination et où ce qui arrive est toujours à la limite du fantastique. Là, il rencontre des personnages fascinants comme cette vieille dame qui croit vivre avec son frère mort à la guerre depuis longtemps déjà, cet ancien professeur qui aurait tué un élève jadis, du moins la rumeur l'affirme, et qui  menace de lancer ces dogues sur lui, les romanichels qui l'accueillent autour de leur feu, le fantôme du patineur disparu sous la glace et qui est peut-être bien son double, son jumeau, l'existence de tunnels qui mènent aux anciennes mines et semblent les lieux de tous les dangers du moins pour son imagination fertile.
Côté famille, la situation n'est pas très drôle. Il assiste, sans toujours bien s'en rendre compte, à la dégradation progressive des relations entre ses parents. Son père entretient une maîtresse, perd son travail. Sa mère part et lui aussi doit quitter, en la suivant, sa maison, son village. De plus, il est témoin de l'hypocrisie sociale quand son oncle, plein d'une fausse amabilité, accable son père de conseils pour mieux lui faire sentir qu'il est plus riche que lui et le mépriser.
Côté école -et bien qu'il soit bon élève- Jason ne s'en tire pas mieux. Il doit essayer de cacher son bégaiement à tous et même s'il prend des cours avec l'orthophoniste, il sera la proie des railleries et autres cruautés de la part des autres collégiens. Il doit aussi subir des épreuves d'initiation pour entrer dans le club secret qui lui permettra de se sentir intégré et d'être du côté du pouvoir car l'école est un microcosme, reflet de la société des adultes, avec ceux qui dominent et ceux qui subissent, avec ses codes auxquels il faut obéir pour être accepté. Mais, alors qu'il a accompli ses exploits victorieusement, il va découvrir que le courage véritable ne réside dans ces actes de gloriole. Le courage c'est de de venir en aide à un ami dépourvu de prestige lorsque celui est dans dans la détresse quitte à perdre sa place dans le groupe des "puissants". Le courage, c'est aussi de briser le tabou du silence en dénonçant le racket des plus grands, en  refusant la loi du plus fort même s'il passe pour un mouchard et se met au ban de la société.
Mais c'est aussi précisément ce qui le fera grandir, lui donnera une maturité. Et finalement la vie n'est pas entièrement noire pour Jason qui réussit son passage; ses épreuves le rapprochent de sa soeur, lui gagne l'admiration d'une fille et son premier baiser, lui qui avait peu de succès jusque là. Il y a gagne surtout l'estime de lui-même, ce qui peut se résumer par ces phrases écrites à son intention par Mr Kempsey, son professeur principal :
Rêver de sécurité ou de popularité rend faible et vulnérable. Ne soutenez pas un point de vue auquel vous n'adhérez pas. Ne riez pas de ce qui ne vous fait pas rire.
Le respect gagné à force d'intégrité ne peut vous être repris sans votre consentement.
Le roman n'est jamais démonstratif. Il explore avec subtilité tous les méandres de la conscience du jeune garçon, ses tentations de céder au plus fort, ses petites lâchetés, son désir de se fondre dans la masse pour avoir la paix, pour appartenir au groupe. L'imaginaire du jeune garçon est riche, sa sensibilité aussi si bien que l'on suit avec plaisir son évolution. Le récit, à la première personne, est très crédible dans la peinture de la mentalité des adolescents, de leur langage, de leur univers.
Un très bon livre!

mercredi 12 août 2009

Festival off d’Avignon 2009 : Pascal Adam, Ce que j’ai fait quand j’ai compris …


La caserne des Pompiers, lieu de programmation de La Champagne-Ardennes
Je n'ai pas aimé le texte de Pascal Adam, Ce que j'ai fait quand j'ai compris que j'étais un morceau de machine ne sauvera pas le monde, qui porte sur le monde un regard noir, extrêmement pessimiste. Non que le propos soit inintéressant. Il nous dit que nous ne sommes qu'un rouage de la machine, une infime petite partie d'un tout que les politiques et les marchands de divertissements manipulent à leur gré. Mais la démonstration est à mon goût un peu lourde, donneuse de leçon, l'humour absent et l'on se dit, en quittant le théâtre, que si l'auteur critique "l'entertainement" et les gens qui nous "entertainent", avec lui, on ne risque rien sur ce plan-là!  Aucune émotion, une démonstration froide. Les différents personnages qui se succèdent sur la scène n'existent pas, n'ont pas de chair, ils sont là pour servir un discours qui nous paraît bien rebattu parfois.
Pourtant, j'ai été intéressée jusqu'au bout et je dois ceci à la maîtrise du comédien (Fabien Joubert), vraiment très bon, qui porte sur ses épaules la charge de donner vie à ce texte. Il est seul, assis, sous la lumière du projecteur, sur une scène plongée dans l'obscurité, et devient tour à tour Joseph Vronsky, Albert Pondu (le producteur), Louise Hermosure, (une femme qui n'existe que dans l'imagination de Vronsjy)... Il est  dommage que le metteur en scène -qui est aussi l'auteur de la pièce- interrompe cette performance d'acteur par la projection d'un film vidéo sans grand intérêt. Ce visionnement  ne nous apporte rien mais nous fait espérer le retour de l'acteur  - en grève, hélas! du moins son personnage - pendant trop longtemps.

Ce que j'ai fait quand j'ai compris que j'étais un morceau de machine ne sauvera pas le monde
auteur et metteur en scène :  Pascal Adam
interprète Fabien Joubert
Cie C'est la nuit
Caserne des pompiers
du 8 au 29 Juillet 2009 à 17H

Festival off d’Avignon 2009 : La légende merveilleuse de Godefroy de Bouillon

Parade : Les Royales Marionnettes
Contrairement à ce que le titre indique, la légende merveilleuse de Godefroy de Bouillon présentée à Villeneuve-en-Scène sous chapiteau, est tout sauf merveilleuse car elle conte les massacres perpétrés au Moyen-âge sous le couvert de la religion. Le texte de Didier Balsaux et Bernard Massuir de la Compagnie belge Royales Marionnettes, présente, en effet, un point de vue intéressant : le héros wallon est un guerrier cruel qui n'épargne sur son passage ni femmes et enfants. Parti à la reconquête de Jérusalem, ce croisé incarne le fanatisme religieux et c'est au nom de la foi qu'il verse le sang sans autre forme de remords ou débat de conscience.
Qu'il ressemble à de nombreux fanatiques de notre temps et que l'on puisse rapprocher ce récit de notre époque en le mettant en parallèle avec la situation actuelle en Palestine est une évidence. C'est pourquoi l'insistance des auteurs à ce sujet est peu trop redondante à mon goût et tourne à la démonstration pédagogique.
Les marionnettes taillées dans le bois sont belles mais ressemblent à des sculptures et restent rigides. La manipulation ne suffit pas à leur prêter vie. Pourtant, la mise en scène et la scénographie ne manquent pas d'inventions qui ne sont malheureusement pas toujours abouties. Ainsi, accompagnant les personnages historiques, une marionnette comique du folklore belge sert à la fois de Candide dans l'aventure où il est obligé de suivre son maître et de révélateur du caractère de Godefroy et de son inhumanité. Lui aussi, cependant, manque de vie, de truculence et ne fait pas toujours rire.
Une autre trouvaille, réussie celle-là, car elle permet de visualiser et d'imaginer,  c'est d'avoir mis face à face un acteur incarnant le pape et son pouvoir spirituel et une marionnette représentant l'homme obéissant à ce haut souverain. La différence de taille introduit une notion d'échelle qui permet au spectateur de concevoir la toute-puissance de l'Eglise et de son représentant qui ne prône pourtant que meurtres et destructions au nom de son Dieu.
Dans l'ensemble le spectacle, même s'il présente quelques bonnes idées, n'est pas arrivé à m'accrocher et  je l'ai trouvé plutôt ennuyeux.

La légende merveilleuse de Godefroy de Bouillon
de Didier Balsaux et Bernard Massuir
mise en scène :  Bernard Massuir
Royales Marionnettes
à Villeneuve en scène
du 5 Juillet  au 24 juillet 2009
communauté française de Belgique

Archives du festival d’Avignon 1997 : Dom Juan d'origine d'après Tirso de Molina

Dans cette rubrique : Archives du festival d'Avignon, j'ai décidé de publier, de temps en temps, quelques critiques que j'avais écrites pour le journal La Provence lors des années précédentes. Je ne garderai que les spectacles que j'ai vraiment appréciés, histoire de me rappeler et de vous faire partager de bons souvenirs théâtraux. J'y ajouterai, s'il y a lieu, les remarques personnelles que je n'avais pas pu publier alors, faute de place.

La représentation de Don Juan d'origine, pièce de Louise Doutreligne d'après Tirso de Molina et d'après la correspondance de Madame de Maintenon, mise en scène par Jean-Luc Paliès,  se déroulait, en ce mois de Juillet 1997, en plein air, au théâtre du Balcon, côté cour.
Je me souviens bien de cette magnifique scénographie et de la finesse de la mise en scène de Jean-Luc Paliès qui exaltaient les thèmes féministes de Louise Doutreligne, auteur de ce Dom Juan d'Origine, mise en abyme de la pièce de l'écrivain espagnol. Féministes, car les jeunes filles, en interpétant ce Don Juan, brisent le carcan dans lequel elles sont enfermées, pulvérisent les codes moraux et religieux qu'on leur a inculqués. Elles sortent de leur chrysalide pour se retrouver femmes, sensuelles, prêtes à l'amour. Et madame de Maintenon qui se meurt dans son lit a beau secouer sa clochette pour ramener à elle ses brebis égarées, elle demeure impuissante devant cette métamorphose.
Cet article est paru dans le journal La Provence : Coup de coeur du OFF  15 juillet 1997


Festival off d’Avignon 2009 : Mattei Visniec , Le Mot Progrès dans la bouche de ma mère … Metteur en scène Jean -Luc Paliès


J'aime beaucoup le travail de Jean-Luc Paliès, metteur en scène. Je garde un très beau souvenir de son Vita Brevis d'après le roman de Jostein Gaarder et de Dom juan d'origine un texte de Tirso de Molina-Louise Doutreligne. C'est pourquoi, je n'ai pas voulu rater le spectacle qu'il présente cette année au festival d'Avignon.
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Le Mot Progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux de Matei Visniec que Jean Luc Paliès met en scène avec la Compagnie Influenscènes, est une pièce qui aborde des sujets graves que l'auteur ne veut pas traiter en demi-teintes. Au contraire la charge est lourde et si le père, personnage principal de l'action, cherche le cadavre de son fils en creusant avec une pelle le sous-sol des Balkans passablement encombré par les morts de toutes guerres d'antan ou d'aujourd'hui, c'est avec une pelleteuse, si j'ose l'expression, que Matei Visniec s'attaque à toutes les formes de totalitarisme, le communisme, d'abord, mais aussi le capitalisme qui, sous le couvert de la démocratie, broie les individus, exploite leurs peines et fait commerce de leurs chagrins. La critique poussée jusqu'à la caricature est violente et la démesure qui ne laisse pas d'être tragique n'en est pas moins comique, un rire grinçant, dénonciateur, qui fait mal pourtant..
La pièce se déroule dans deux lieux différents :  les Balkans où un couple revient prendre possession de sa maison dans un village ravagé par la guerre. Le communisme a été chassé remplacé par la capitalisme le plus inhumain, la paix est rétablie mais le père et la mère n'en ont cure. Ce qu'ils veulent, la mère surtout, c'est pouvoir retrouver les restes de leur fils, Vibko, prisonnier politique exécuté d'une balle dans la nuque, pour pouvoir faire leur deuil. La tâche n'est pas aisée dans un pays où s'entassent par strates des milliers de squelettes anciens ou nouveaux, véritable danse macabre que leur fils mort  commente joyeusement.
La mise en scène qui fait intervenir des musiciens sur la scène souligne le tragique du récit tout en mettant en valeur la noirceur du comique. J.L Paliès met en évidence, en effet, les rapports que l'auteur entretient avec la mort considérée comme une farce macabre et  traitée  par la dérision. Les deux acteurs, Jean-Luc Paliès, en père ivrogne et douloureux poursuivi par les marchands de reliques et Katia Dimitrova en mère douloureuse, en proie à une idée fixe, sont très convaincants. J'ai cependant regretté que le jeu du fils (Philippe Beheydt) ne soit pas plus poussé dans la dérision et la démesure. Surtout  lorsqu'il affirme très bien s'amuser avec ses petits "amis" morts comme lui, ou encore lorsqu'il décrit dans un texte à la fois lyrique et fantastique tous les peuples de l'Europe venus mourir dans cette bonne et riche terre des Balkans. Trop de sagesse, trop de retenue dans la conception de ce rôle de revenant qui semble passer "sa mort en vacances", en évidente contradiction avec l'horrible réalité vécue par les survivants.
Le second lieu où Ida, la soeur de Vibko, se prostitue tout en envoyant de l'argent à ses parents, est Paris.  Paris avec sa mafia, ses réseaux de souteneurs qui font commerce des filles des pays de l'Est, Paris et sa prétention à la liberté, l'égalité, la fraternité, qui laisse prospérer dans l'hypocrisie la plus totale les marchands d'esclaves de notre temps. Placée sous le signe d'Almodovar par le jeu des lumières et des couleurs, les costumes, la mise en scène s'appuie sur les acteurs, le travesti, le souteneur, la patronne, pour déclencher le rire et accentuer encore la violence de la satire. Le moment où la patronne chasse Ida en l'accusant de racisme, par exemple, est d'un comique appuyé et d'une logique absurde qui ne manquent pas de force.
Paliès joue sur l'opposition entre les deux lieux en créant des univers tout à fait opposés : aux costumes sévères et aux lumières sombres du premier, s'opposent les couleurs vives et les vêtements affriolants du second.  Mais que l'on ne s'y trompe pas, si les deux univers paraissent  différents, ils se ressemblent en fin de compte dans leur inhumanité. Un spectacle de qualité.
 Le Mot Progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux
De Matéï Visniec
mise en scène par Jean-Luc Paliès
Influenscènes
Théâtre de l'Oulle

du 7 au 26 Juillet 2009 à 11H