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lundi 27 janvier 2014

Shakespeare : Le songe d'une nuit d'été


Titania, la reine des fées endormie :Arthur Rackam

La  pièce de Shakespeare Le songe d'une nuit d'été  était à l'origine intitulée Le songe de la nuit de la Saint Jean. Une bizarrerie puisque  Shakespeare place le déroulement de sa pièce au mois de Mai (mid summer).
 L'universitaire Ernest Schanzer donne une explication : il s'agit de la date de la première représentation du Songe donnée pour célébrer la nuit de la Saint-Jean. Ce qui reste étonnant, pourtant, c'est que le dramaturge ait tenu à placer l'action la veille du premier Mai. Certes ces deux nuits, dans les croyances élizabéthaines, étaient toutes deux considérées comme propices à la magie, à l'apparition des êtres surnaturels. Cependant c'est à la Saint Jean que les fleurs cueillies cette nuit-là ont un pouvoir magique capable de susciter des rêves amoureux et de frapper les gens de folie. Or, constate Ernest Schanzer  "la folie amoureuse n'est-elle pas, en effet, le thème essentiel du songe d'une nuit d'été?".
Quoi qu'il en soit, la pièce est bien nommée puisque toutes les scènes se déroulent la nuit sauf peut-être la première scène de l'acte 1 et encore est-elle placée aussi sous le signe de la lune..

L'intrigue 

La rencontre de Obéron et Titania Arthur Reckam
  La scène se passe à Athènes et dans un bois voisin.

Thésée, le duc d'Athènes et Hippolita vont fêter leur mariage dans quatre nuits, à la nouvelle lune.  Mais Egée, un vieux courtisan,  vient se plaindre de sa fille Hermia qui refuse d'épouser Démetrius, le prétendant qu'il lui a choisi. Hermia aime Lysandre et veut se marier selon son coeur.  Héléna, la fille de Nedar, elle, aime Démetrius qui lui préfère Hermia. Telle est la situation, inextricable, lorsque les deux amoureux, Hermia et Lysandre décident de fuir.  Ils seront suivis, contre leur gré, par Héléna et Démétrius. Les quatre jeunes gens se perdent dans la forêt pendant cette nuit de folie et vont être les jouets des fées.

Pendant ce temps, des gens du peuple, artisans de la ville, décident de monter une pièce sur la mort de Thisbée et de Pyrame pour la représenter au mariage de Thésée et Hippolita. Ils espèrent s'attirer les bonnes grâces du roi. Ils s'éloignent dans la forêt guidé par Lecoin, le charpentier qui s'est improvisé metteur en scène. La troupe à l'intention de répéter à l'abri des regards et il va leur arriver à eux aussi bien des mésaventures.

Dans la forêt vit le peuple des fées : La reine des fées Titania, entourée de ses elfes, est en rivalité avec Obéron, le roi des fées. Il lui réclame un enfant qu'elle lui a volé. Elle refuse et Obéron jure de se venger avec l'aide de Puck ; il demande à ce dernier d'aller cueillir une fleur magique dont le suc déposé sur la paupière d'une personne la rend amoureuse du premier visage aperçu lors de son réveil.
Avec cette fleur commence la folie amoureuse de cette nuit d'été : Titania tombera amoureuse de Bottom (Navette), le tisserand, affublé d'une tête d'âne; les quatre jeunes gens eux aussi vont changer de soupirants, voir se nouer et dénouer leurs amours, au gré des caprices des fées.

Une comédie tragique

Film de Reinhart :  Titania, la reine des fées et Bottom

Le songe d'une nuit d'été est une comédie. Elle présente effectivement des personnages franchement comiques, en particulier la troupe de théâtre des artisans, ridicules à souhait dans leurs prétentions. Les personnages vont jouer une tragédie en se prenant très au sérieux; c'est ce qui va provoquer le rire car nous assistons à une parodie sans que les acteurs en soient conscients. Ils craignent même de faire peur aux dames! Ce sont des personnages de farce et celle-ci est à son comble quand Bottom se retrouve avec une tête d'âne. Shakespeare a toujours aimé mener une réflexion sur le théâtre dans ses pièces, soit pour révéler la vérité comme dans Hamlet, soit pour rappeler que la vie, le monde entier est un théâtre comme dans Macbeth ou Le marchand de Venise.  Ici, le théâtre dans le théâtre permet de jouer sur le grotesque tout en dénonçant la sottise et la vanité humaines. Il est aussi frappant de constater que le thème de Pyrame et Thisbé répond à l'intrigue du Songe, une histoire d'amour contrarié et d'amants séparés. A l'astre de la lune qui veille sur la pièce, répond la lune factice, une lanterne, des comédiens amateurs.

Cependant la pièce a un fond tragique et même si le spectateur rit, il reste conscient de la cruauté des jeux amoureux qui se déroulent devant lui. Quand le suc de la fleur magique détourne l'amour de Lysandre et de Démétrius vers Héléna, Hermia devient pour eux un objet de mépris. Il n'y aucune compassion pour la jeune fille qui doit essuyer des insultes :
"Moi me contenter d'Hermia! Jamais! Comme je regrette les heures d'ennui passées auprès d'elle. C'est Héléna que j'aime, non Hermia!  Qui ne voudrait changer une corneille contre une colombe?(...)
Va-t-en tartare moricaude, va t'en! au diable médecine répugnante, au diable vomitif dégoûtant!"
Les rapports entre  hommes et femmes sont donc d'une grande violence  même si leur caractère excessif nous rappelle que nous sommes dans la farce. Il n'en reste pas moins que Hermia soudainement délaissée est désemparée, humiliée et malheureuse. Héléna qui ne peut croire au revirement des deux jeunes gens, est tout aussi blessée par ce qu'elle croit être une raillerie. La souffrance des deux femmes est bien réelle.
Hermia : Jamais si fatiguée, jamais si malheureuse, trempée par la rosée, déchirée par les ronces, je ne puis me traîner ni avancer d'un pas.
Mais les relations féminines ne sont pas meilleures même si elles sont parfois plus subtiles. Hermia se fâche lorsque Héléna  dit et répète qu'elle est "petite"! Est-elle trop susceptible?La "gentille" Héléna  a-t-elle  une intention blessante ou, au contraire, dit-elle cela innocemment?!  Nous restons ainsi dans la comédie mais Shakespeare nous montre une nature humaine bien noire. Il est vrai que les personnages magiques eux-mêmes ne sont pas plus sages, témoins la dispute entre Titania et Obéron, les facéties de Puck, et ils ont, comme jadis les dieux de l'Olympe, tous les défauts des humains, à moins que ce ne soit le contraire! Cependant leur guerre, leur colère ou leurs décisions ont un retentissement sur l'ordre du monde et sur la destinée des hommes.
Pâle de colère, la lune qui préside aux inondations, a noyé l'atmosphère; les rhumatismes pullulent. Tous ces troubles provoquent des changements de saison ; les gelées blanches s'abattent au tendre coeur des roses cramoisies… Cette cascade de malheurs provient de nos discordes et de nos querelles; nous en sommes l'auteur, la cause originelle.

L'homme est-il libre?

Le Songe à la Criée de Marseille : metteur en scèneEdward Hall *

La pièce, à mes yeux, est donc aussi une réflexion et pas des moindres sur la liberté de l'homme face aux Dieux. Ce sont les Fées qui tirent les ficelles et les êtres humains apparaissent bien vite comme des marionnettes soumises à leurs caprices. Obéron tout puissant et Puck, en commettant des erreurs, tiennent entre leurs mains la clef de leurs sentiments et décident de leur avenir. Doit-on penser que Shakespeare penche vers le déterminisme? Ce serait peut-être aller bien loin et encore une fois, comme il s'agit d'une comédie, Shakespeare nous invite à ne pas nous poser de question et à considérer tout cela comme un rêve! (même si celui-ci vire parfois au cauchemar!)

La folie amoureuse 

 La reine des fées Titania et Bottom (Navette)

 Car le pessimisme de Shakespeare s'exprime dans cette peinture de la folie amoureuse. Lysandre peut passer de l'amour d'Hermia à celui d'Hélène puis revenir à Hermia ; Titiana s'énamoure d'un monstre à tête d'âne et le tient pour le plus beau des êtres.  Si l'on peut changer ainsi de partenaire, si l'on peut s'aveugler sur les mérites de celui qu'on aime, si le caprice préside au choix, si les êtres sont interchangeables, alors l'amour réel existe-t-il?
Il faut remarquer que c'est au moment où Lysandre agit avec le plus d'inconséquence qu'il invoque la raison pour expliquer qu'il n'est plus amoureux d'Hermia mais de Héléna : :
C'est la raison qui gouverne la volonté de l'homme et la raison me dit que vous êtes la plus précieuse.
La conclusion paraît évidente. L'amour n'est qu'une création de l'esprit, il s'apparente à la folie et l'un ne va pas sans l'autre.
La féérie, la fantaisie, l'humour de la pièce 

Arthur Rackam : Puck "Je suis ce joyeux vagabond"

Enfin la pièce est magnifique par ce mélange de poésie et de beauté lyrique parfois mêlé au trivial. Elle peint les sortilèges de la nuit :

Il nous faut nous hâter, seigneur des elfes, car les rapides dragons de la nuit fendent les nuage sen plein vol et voyez briller là-bas la messagère de l'aurore. A son approche les fantômes qui errent cà et là s'assemblent pour regagner les cimetières..

Elle est éclairée dès le début par un clair-obscur onirique, celui de la lune et la nuit; des ombres s'agitent, éphémères, dans l'obscurité. Rien n'est solide, rien n'est vrai et les fées qui peuplent la forêt sont "des esprits" qui s'évanouiront à l'approche du jour à l'exception, peut-être, d'Obéron, le Seigneur des elfes qui peut braver les rayons de l'aurore..

La fantaisie de la pièce est remarquable dans la façon de traiter le thème féérique avec ses personnages majestueux comme Titania ou Obéron,
Je connais un tertre où fleurit le thym sauvage, où croissent les primevères et les tremblantes violettes, le foisonnant chèvrefeuille, l'églantine, les douces roses musquées le recouvrent d'un dais; C'est là, parmi ces fleurs, que Titania s'endort un moment la nuit bercée par les danses et les délices.
avec ses  elfes au nom délicieux, entités de la Nature et qui participent à son entretien et à sa survie: Toile d'araignée, Phalène, Graine de moutarde, Fleur de pois 
Puis vous partirez durant le tiers d'une minute, les uns pour aller tuer les vers dans les boutons des roses musquées; les autres pour guerroyer contre les chauves-souris ….
et avec  Puck, ce Robin le diable, malicieux, farceur et un rien méchant :
Tu dis vrai? Je suis ce joyeux vagabond nocturne. J'amuse Obéron et le fais sourire quand métamorphosé en jeune pouliche, je hennis pour tromper le gros cheval bourré de fèves…"
par son humour aussi lorsque, par exemple, Titania vante la beauté de son amoureux Bottom ..

Une pièce très riche que j'ai déjà vue plusieurs fois et qui permet des mises en scène très différentes. Elle fait parti de mes comédies shakespeariennes préférées avec La nuit des rois et Beaucoup de bruit pour rien.

*Je vais voir Le songe d'une nuit d'été au théâtre de La Criée de Marseille cette année, le 13 Mars, mise en scène de Edward Hall voir ici

 Challenge Shakespeare



Lecture commune avec Eimelle, Miriam, Shelbylee sur deux pièces de Shakespeare au choix : Richard III ou  Le Songe d'une nuit d'été.


Eimelle : Richard III

 Miriam : Le songe d'une nuit d'été

Shelbylee : Richard III

 Je vous renvoie aussi à ces participations plus anciennes au challenge Shakespeare pour :

 

 Le songe d'une nuit d'été.


 Droopy vert

Maggie 1001 classiques

Lou 

  

 Lire aussi  hors challenge : Liligalipette chez Babelio 

 

Pour Richard III


 Céline : Richard III  

Miriam :
Richard III : une mise en scène contemporaine 
 Richard III : retour au texte




samedi 25 janvier 2014

Ake Edwardson : Danse avec l'ange et Le ciel se trouve sur terre

Festival de polars à Villeneuve-lez-Avignon  : table ronde (Ake Edwardson est le second à partir de la droite)



Ake Edwardson est un journaliste et écrivain suédois. Il habite à Göteberg sur la côte occidentale de la Suède. Il est le "père" de Eric Winter, un personnage récurrent dans ses romans.
Je l'ai rencontré au festival de polars de Villeneuve-lez-Avignon. Au cours d'une table ronde, il nous a expliqué qu'il avait dit adieu à son héros dans un roman précédent, parce que: après dix livres et quinze années passées avec lui, j'avais peur de ne plus rien avoir à dire d'intéressant sur lui.
- Alors pourquoi y être revenu ? a demandé quelqu'un dans la salle.
Ake Edwarson éclate de rire :
Il ne faut pas me croire! Je suis un menteur ! Il faut dire que je voulais savoir ce qu'il devenait, j'avais presque envie de décrocher mon téléphone pour le lui demander."
Et puis surtout, nous l'avons appris au cours de la table ronde, surtout ne prononcez pas son prénom Ake ( à la française) mais Oke!

je vous parlerai aujourd'hui de deux romans sur Erik Winter  (je n'en ai pas lu d'autres pour l'instant) : Danse avec l'ange  qui est le premier de la série et Le ciel se trouve sur la terre qui est la quatrième. j'ai d'ailleurs allègrement, faute de le savoir, commencé par le n°4! Mais je rétablis l'ordre ici.



Danse avec l'ange

Un jeune suédois est assassiné dans une chambre à Londres tandis qu'un jeune anglais est tué à coups de couteau en Suède, à Göteberg. Les particularités de ces meurtres sauvages semblent indiquer qu'ils sont liés. Le commissaire Erik Winter, enquête sur ces meurtres en collaboration avec un policier anglais, Mc Donald.

Le roman nous promène dans les milieux des peep shows de Göterberg et de Londres et dans les underground des films qui jouent sur le sadisme et la morbidité.
Je dois dire que ce roman ne m'a pas passionnée et que j'ai eu du mal à m'intéresser à l'enquête. J'y ai fait la connaissance de  Erik Winter, un brillant policier, le plus jeune commissaire de Suède et assez fier de l'être. Contrairement à beaucoup de ces homologues en littérature, ce n'est pas un vieil alcoolique débraillé mais un jeune dandy très sélect qui aime les beaux vêtements et reste très préoccupé de son apparence.  Inutile de dire que s'il peut s'habiller dans les magasins les plus chers de Suède ou de Londres c'est parce qu'il a une fortune personnelle. Le salaire des policiers en Suède ne semble pas aller de pair avec des goût de luxe! Nous savons aussi qu'il est amateur de jazz, qu'il a une maîtresse qui ne semble pas très présente dans sa vie, une mère exilée en Espagne pour des raisons de fisc.  Peu de choses, en fait! Dans ce premier roman, le personnage est encore mal défini, à l'état d'ébauche, mais il existe et l'on a envie d'en savoir plus sur lui-même si l'impression d'ensemble est plutôt décevante.


 Le ciel se trouve sur la terre

Ce cinquième livre est nettement supérieur au premier. Un inconnu aborde des enfants dans des parcs et les amène en promenade dans sa voiture mais il ne leur fait pas de mal et les relâche indemnes. Les tout-petits racontent leur aventure à leur manière et ne sont en rien traumatisés. Mais tout peut déraper! C'est ce qui arrive bientôt avec un petit garçon que l'on retrouve blessé. Parallèlement, le commissaire Winter enquête sur les agressions subies par de jeunes étudiants. Les affaires seraient-elles liées?

L'intrigue est cette fois-ci bien menée et assez angoissante avec un crescendo habile. Le fait de connaître tout de suite le coupable, d'entrer dans sa conscience et d'épouser son point de vue renforce le sentiment d'insécurité du lecteur. D'autre part, l'écrivain en nous amenant à partager la souffrance de cet homme, à comprendre comment il a été lui-même victime de sévices, brouille le ressort habituel sur lequel joue le thriller, qui est uniquement celui de la peur. On ne guérit jamais d'une enfance malheureuse et de la maltraitance. Nous sommes à la Noël et le contraste entre la fête et le drame qui pèse sur les jeunes enfants accroît le suspense.
Nous retrouvons le commissaire Winter et son équipe qui ont évolué même si l'analyse psychologique n'est pas assez fouillée. Evidemment, il me manque les étapes de cette évolution, ce qui donne envie de retourner en arrière pour lire les romans manquants. Erik Winter a l'air de moins se centrer sur sa petite personne et son apparence vestimentaire. Et quand il se vante encore d'être le plus jeune commissaire de Suède, sa femme Angela le mouche en quelques mots : oui, mais il y a bien longtemps! Il est maintenant marié et père d'une fillette Elsa. C'est sa découverte de l'amour paternel et de sa responsabilité qui va rendre Erik Winter encore plus sensible à la menace qui plane sur les enfants.
Edwarson dénonce dans ce livre le manque de personnel dans les crèches et d'une manière plus générale l'impossibilité de notre société à protéger efficacement ses enfants comme le prouvent toutes les affaires d'enlèvements, de meurtres, de violence et maltraitance toujours d'actualité dans nos pays.   J'ai bien aimé ce roman même si dans mon esprit le commissaire Winter n'est pas l'égal d'un Wallander et Ake Edwardson d'un Mankell.

Chez Athalie Ici

Chez Bibliométrique Ici

chez Jc Lattès ICI







Ce billet me permet de participer à mes deux nouveaux challenges   : Un hiver en Suède organisé par Chroniques littéraires 

Je vous propose donc de passer l’hiver en Suède avec moi. Le Challenge se déroulera du 1er janvier 2014 au 31 mars 2014.
Vous pouvez vous inscrire quand vous le voulez, ici ou sur la page Facebook du groupe.
La formule reste la même : des lectures communes pour ceux qui le souhaitent. N’hésitez donc pas à proposer des titres et des dates





Ma proposition pour ce challenge - qui a déjà fait ses preuves - est de s'astreindre à prélever un titre par mois de sa PAL ("Pile A Lire" pour les petits nouveaux), soit 12 livres de janvier 2014 à décembre 2014, en intitulant si vous le souhaitez ce rendez-vous mensuel Objectif Pal du mois de... à vous d'adapter la chose à votre convenance !! (Vous avez le droit également d'utiliser votre propre logo ou un logo plus esthétique, pas de soucis)
Pour ma part, je pense ne pas prendre en compte les titres empruntés entre temps en bibliothèque, les nouvelles acquisitions ou les titres parus à partir de janvier 2014. Vous trouverez dans le menu au dessus un lien visible vers l'Objectif Pal 2014, enfin je l'espère ;o)...
Je mettrai en place dès le début de chaque mois un billet sur lequel vous pourrez poster, en commentaire le titre et le nom de l'auteur de votre lecture de Pal mensuelle, ainsi que le lien vers votre billet, à tout moment et à votre convenance. J'aimerais également beaucoup que vous rajoutiez à tout ceci un petit commentaire tel que "coup de coeur", "déception", "bonne surprise", etc... à vous de voir, merci !!
Le billet sera réédité avec vos liens et en une sorte de petit bilan, à chaque fin de mois sur ce blog, à partir de janvier donc. Cela vous convient ?


 Au passager je signale aussi le challenge  de George sur la PAL j'étais déjà inscrite chez Antigone mais c'est un challenge très intéressant aussi.




Avec L’Or et la Belette, nous avions déjà mis en place un Objectif PAL Noire (PAL la plus ancienne), mais ce n’est pas suffisant et surtout cet objectif laisse de côté les autres PAL. Car, vous le savez peut-être, mais j’établis des PAL par année avec couleur à l’appui : PAL Noire avant septembre 2009 ; PAL Bleue sept. 2009/sept. 2010 ; PAL Verte sept. 2010/sept. 2011 ; PAL Violette sept. 2011/sept. 2012 ; PAL Turquoise sept. 2012/sept. 2013  et PAL Orange sept.2013/sept.2014. Si je ne dois me consacrer qu’à ma PAL Noire, les autres vont rester en l’état sans oublier le fait que, au fil des années, d’autres vont se constituer ! Au total, me voilà rendue à 799 livres en attente de lecture, bon disons 800 car je ne dois pas être tout à fait jour.

mercredi 22 janvier 2014

Les romantiques et la lune : Lamartine, Musset, Novalis, Hugo, Friedrich, Aivazovsky,Schumann, Schubert, Chopin

Caspar David Friedrich : Rivages avec la lune cachée

Chez les romantiques le thème de la nuit et de la lune est récurrent. Il correspond à un attrait pour le mystère et la beauté dans ce qu'elle a de grandiose, de sublime. La nuit est le moment propice aux rêves, à l'abandon, mais aussi aux cauchemars, à l'apparition de personnages aux pouvoirs surnaturels, maléfiques; c'est le décor des contes traditionnels, folkloriques, que le mouvement romantique remet à l'honneur. Pour les romantiques allemands, imprégnés de la mythologie germanique, la célébration de la nuit est un retour aux origines, pour les français c'est un refus du cartésianime, des règles établies, un désir de liberté dans une communion avec la nature. Tous les possibles peuvent s'y réaliser. La nuit est indissociable du Divin, elle est un face à face grandiose avec Dieu. C'est pourquoi les poètes autant que les peintres ou les musiciens ont été sensibles à ce qu'il y a d'insondable, d'illimité dans la nuit.  La nuit est le lieu des révélations essentielles, la médiatrice entre l'homme et l'infini, le moment de communication avec le surnaturel. Dans le silence de la nuit et la magie des clairs de lune, on croit percevoir les voix de l'infini; l'univers semble s'agrandir.» La forme poétique du monde (Jankélévitch Le Nocturne 1937)


Caspar David Fiedrich : Lever de lune sur la  la mer


Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses
 
C'est une nuit d'été ; nuit dont les vastes ailes 

Font jaillir dans l'azur des milliers d'étincelles ; 

Qui, ravivant le ciel comme un miroir terni,
 
Permet à l'oeil charmé d'en sonder l'infini ; 

Nuit où le firmament, dépouillé de nuages, 

De ce livre de feu rouvre toutes les pages! 

Sur le dernier sommet des monts, d'où le regard 

Dans un trouble horizon se répand au hasard, 

Je m'assieds en silence, et laisse ma pensée 

Flotter comme une mer où la lune est bercée. 

                                    Livre II, "L'Infini dans les Cieux"(extrait)

Les deux tableaux précédents de Caspar David Friedrich(1774 -1840), un des plus grands artistes de la peinture romantique allemande, associent le ciel à deux moments de la soirée et la mer avec ces barques déployant leurs voiles. Ce sont deux immensités face à face qui prédisposent à la méditation. On remarquera que le peintre a choisi de peindre une mer paisible plutôt que la tempête pour que rien ne nuise à la contemplation et à l'élevation de l'âme.

Dans Le lever de la lune sur la mer, le peintre a placé des personnages, deux femmes et un homme, légèrement surélevés sur un rocher, de manière à ce que leur tête soit couronnée de lumière. Nous sommes à un moment entre chien et loup où les couleurs sont visibles mais atténuées, adoucies. Les barques reviennent vers le village. La nature est paisible et tout invite au repos, à la communion avec le divin. Comme dans le poème de Lamartine, il s'agit d'une méditation poétique et religeuse favorisée par la contemplation. Dans Rivages avec lune cachée, le temps a passé, la lune est maintenant levée, les couleurs se sont assombries, les personnages qui servaient d'intermédiaire sont partis et le spectateur reste seul devant ce paysage encore calme mais empreint de grandeur. Les nuages et la lueur blafarde de la lune laissent entrevoir une part de mystère non dénué d'une possible menace.

« Quand je donne aux choses communes un sens auguste, aux réalités habituelles un sens mystérieux, à ce qui est connu la dignité de l'inconnu, au fini un air, un reflet, un éclat d'infini : je les romantise »
Novalis, poète allemand 


Ivan Aivazovsky: Clair de lune


 Hymne à la Nuit de Novalis

Novalis de son vrai nom Georg Philipp Friedrich, baron von Hardenberg, (1772-1801) est un poète, et romancier allemand romantique.  Novalis a rencontré celle qui est devenu pour lui l'Idéal,Sophie von Kühn  âgée de 13 ans avec laquelle il se fiance secrètement en 1795. La mort prématurée de Sophie, survenue en 1797,  atteint considérablement Novalis, qui vécut cette disparition comme une authentique expérience mystique philosophique et poétique. Dans son Journal intime qu'il tient après la mort de Sophie, Novalis rapporte à la date du 13 mai 1797 l'expérience bouleversante, mélange d'angoisse et d'extase, de la « vision » de Sophie au crépuscule, auprès de sa tombe à Grüningen. Cette expérience est à l'origine de l'un des plus grands textes lyriques du premier Romantisme allemand, les Hymnes à la Nuit. (wikipedia)

Johan Christian Clausen Dahl: Etude des nuages à la pleine lune

Vers le bas je me tourne, vers la sainte, l’ineffable, la mystérieuse Nuit. Le monde est loin - sombré en un profond tombeau - déserte et solitaire est sa place. Dans les fibres de mon cœur souffle une profonde nostalgie. Je veux tomber en gouttes de rosée et me mêler à la cendre. - Lointains du souvenir, souhaits de la jeunesse, rêves de l’enfance, courtes joies et vains espoirs de toute une longue vie viennent en vêtements gris, comme des brouillards du soir après le coucher du soleil. La Lumière a planté ailleurs les pavillons de la joie. Ne doit-elle jamais revenir vers ses enfants qui l’attendent avec la foi de l’innocence ?
Que jaillit-il soudain de si prémonitoire sous mon cœur et qui absorbe le souffle douceâtre de la nostalgie ? As-tu, toi aussi, un faible pour nous, sombre Nuit ? Que portes-tu sous ton manteau qui, avec une invisible force, me va à l’âme ? Un baume précieux goutte de ta main, du bouquet de pavots. Tu soulèves dans les airs les ailes alourdies du cœur. Obscurément, ineffablement nous nous sentons envahis par l’émoi - je vois, dans un joyeux effroi, un visage grave, qui, doux et recueilli, se penche vers moi, et sous des boucles infiniment emmêlées montre la jeunesse chérie de la Mère. Que la Lumière maintenant me semble pauvre et puérile - heureux et béni l’adieu du jour !

*Johan Christian Clausen Dahl (1788-1857) peintre paysagiste norvégien, ami de Caspar David Friedrich et de Carl Gustav Carus subit l'influence du romantisme allemand. Il rompt ainsi avec l'académisme norvégien et  est considéré comme le père du paysage en Norvège.

Ivan Aivazovsky : Clair de lune
Ivan Aivazovsky, un peintre russe d'origine arménienne (1817-1900), un des maîtres de la peinture de marine romantique même si l'influence du réalisme se fait sentir dans ses oeuvres. Fasciné par la mer, il peint dans ce tableau la mer inondée par la lumière lunaire, translucide, animée par de toutes petites vagues qui lui donnent un mouvement paisible. En jouant sur les contrastes du clair-obscur, le port, les bâtiments, les rochers plongés dans le noir, le ciel et la mer éclairés par les rayons de la lune, il fait ressentir le mystère, l'invisible. Le temps semble suspendu dans le silence de la nuit. Voilà qui me fait penser au poème de Victor Hugo : la lune était sereine et jouait sur les flots. Mais alors que le tableau de Ian Aivazovsky se suffit à lui-même et a pour but de procurer des émotions, Victor Hugo se sert de la lune et la nuit comme des éléments d'un décor pour un récit bien dans la veine de Les Orientales, éléments qui servent de contrepoint à la tragédie pour mieux la souligner.

Clair de Lune Victor Hugo
La lune était sereine et jouait sur les flots. -
La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise,
La sultane regarde, et la mer qui se brise,
Là-bas, d'un flot d'argent brode les noirs îlots.

De ses doigts en vibrant s'échappe la guitare.
Elle écoute... Un bruit sourd frappe les sourds échos.
Est-ce un lourd vaisseau turc qui vient des eaux de Cos,
Battant l'archipel grec de sa rame tartare ?

Sont-ce des cormorans qui plongent tour à tour,
Et coupent l'eau, qui roule en perles sur leur aile ?
Est-ce un djinn qui là-haut siffle d'une voix grêle,
Et jette dans la mer les créneaux de la tour ?

Qui trouble ainsi les flots près du sérail des femmes ? -
Ni le noir cormoran, sur la vague bercé,
Ni les pierres du mur, ni le bruit cadencé
Du lourd vaisseau, rampant sur l'onde avec des rames.

Ce sont des sacs pesants, d'où partent des sanglots.
On verrait, en sondant la mer qui les promène,
Se mouvoir dans leurs flancs comme une forme humaine... -
La lune était sereine et jouait sur les flots.

                               Les orientales


Leonid Tishlov : Private Moon

Avec La ballade à la lune, l'on comprend pourquoi Alfred de Musset était appelé : l'enfant terrible du romantisme : une manière iconoclaste de traiter le thème, une irrévérence qui détruit le mythe, un pied de nez à la spiritualité recherchée dans le mystère de la nuit.  Mais quel humour et quelle imagination dans les images! Ce n'est plus un romantique mais un photographe contemporain, le russe Leonid Tishkov,  qui se rapproche le mieux de l'univers de Musset dans La ballade à la lune : S'inspirant lui-même de Magritte, Leonid Tishkov raconte dans Private Moon l'histoire d'un homme qui rêve de décrocher la lune et qui y parvient!

Ballade à la lune Alfred de Musset (extrait)

C'était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.

Lune, quel esprit sombre
Promène au bout d'un fil,
Dans l'ombre,
Ta face et ton profil ?

Es-tu l'oeil du ciel borgne ?
Quel chérubin cafard
Nous lorgne
Sous ton masque blafard ?

N'es-tu rien qu'une boule,
Qu'un grand faucheux bien gras
Qui roule
Sans pattes et sans bras ?

Es-tu, je t'en soupçonne,
Le vieux cadran de fer
Qui sonne
L'heure aux damnés d'enfer ?

Sur ton front qui voyage.
Ce soir ont-ils compté
Quel âge
A leur éternité ?

Est-ce un ver qui te ronge
Quand ton disque noirci
S'allonge
En croissant rétréci ?

Qui t'avait éborgnée,
L'autre nuit ? T'étais-tu
Cognée
A quelque arbre pointu ?

Car tu vins, pâle et morne
Coller sur mes carreaux
Ta corne
À travers les barreaux.


Les musiciens des Nocturnes 


Robert Schumann : Nuit sous la lune

Nuit sous la lune est un lied de Joseph Von Eichendorff, poète romantique allemand, mis en musique  par Robert Schumann 


Nuit sous la lune

C'était comme si le ciel
Avait en silence embrassé la Terre,
Et qu'elle, dans la lueur des fleurs,
Ne pouvait à présent rêver que de lui.

La brise passait à travers champs,
Les épis ondulaient doucement,
Et bruissaient doucement les bois,
Tant la nuit était claire d'étoiles.

Et mon âme ouvrit
Tout grand ses ailes,
Et s'envola par les campagnes silencieuses,
Comme si elle volait vers sa demeure.



Franz Schubert : A la lune (An den Mond)

Schubert s'inspire d'un poème de Ludwig Heinrich Christoph Holty 1748-1776), poète allemand connu surtout pour ses ballades.



A la lune (An den Mond)

Verse, chère Lune, verse ta lueur scintillante et argentée
À travers le vert des branches,
Là où des hallucinations et des formes de rêves
Flottent toujours devant moi !

Dévoile-toi, que je puisse trouver l'endroit
Où ma chérie s'asseyait,
Et souvent, dans le souffle des buis et des tilleuls,
Oubliait la ville dorée.

Dévoile-toi, que je puisse faire plaisir aux buissons
Qui lui soufflaient de la fraîcheur,
Et que je puisse poser une guirlande sur ce pré
Où elle écoutait le ruisseau.

Allons, chère Lune, allons, enlève ton voile encore,
Et plains ton ami,
Et pleure à travers les nuages,
Comme pleure celui qui est abandonné !

Ludwig Van Beethoven: La sonate au clair de lune



Frédéric Chopin : Nocturne

Nocturne de Frédéric Chopin






mardi 21 janvier 2014

Fernando Pessoa : Le gardeur de troupeaux ( Le pasteur amoureux et je suis un gardeur de troupeaux)


Fernando Pessoa de Almada Negreiros, 1954

Le jeu de la poésie continue sur facebook :
" L'idée est d'occuper Facebook en poésie. Quelqu'un vous attribue un(e) poète et vous partagez son texte comme suit. Chaque personne qui cliquera qu'elle aime ce statut se verra attribuer en retour un(e) poète par vos soins, poète dont vous partagerez un poème sur votre propre mur Facebook. "
Aifelle m'a proposé Fernando Pessoa :

Fernando António Nogueira Pessoa est un écrivain, critique, polémiste et poète portugais . Né le 13 juin 1888 à Lisbonne, ville où il meurt des suites de son alcoolisme le 30 novembre 1935, il a vécu une partie de son enfance en Afrique du Sud.


Pessoa a créé une œuvre poétique multiple et complexe sous différents hétéronymes en sus de son propre nom. un hétéronyme est un pseudonyme utilisé par un écrivain pour incarner un auteur fictif, possédant une vie propre imaginaire et un style littéraire particulier. :
  • Alberto Careio qui incarne la nature et la sagesse païenne;
  • Ricardo Reis, l'épicurisme à la manière d'Horace;
  • Alvaro de Campos  le « modernisme » et la désillusion;
  • Bernardo Soares, modeste employé de bureau à la vie insignifiante s'il n'était l'auteur du  Livre de l'intranquillité
  • Alii (soixante-douze en incluant les simples pseudonymes)
Ces grands hétéronymes littéraires auront une telle force, seront à l'origine d'une création littéraire si unique que l'auteur leur trouvera même à chacun une biographie justifiant leurs différences. Fernando Pessoa deviendra « le cas Pessoa » pour grand nombre d'intellectuels, de critiques, de littérateurs, de simples lecteurs. (source Wikipedia)
« Nombreux sont ceux qui vivent en nous ;
Si je pense, si je ressens, j’ignore
Qui est celui qui pense, qui ressen
t.

Je suis seulement le lieu
Où l’on pense, où l’on ressent.. »
 
Le berger : Julien Dupré

Le pasteur amoureux 


L’amour est une compagnie.
Je ne peux plus aller seul par les chemins,
parce que je ne peux plus aller seul nulle part.
Une pensée visible fait que je vais plus vite
et que je vois bien moins, tout en me donnant envie
de tout voir.
Il n’est jusqu’à son absence qui ne me tienne compagnie.
Et je l’aime tant que je ne sais comment la désirer.
Si je ne la vois pas, je l’imagine et je suis fort comme
les arbres hauts.
Mais si je la vois je tremble, et je ne sais de quoi se
compose ce que j’éprouve en son absence.
Je suis tout entier une force qui m’abandonne.
Toute la réalité me regarde ainsi qu’un tournesol dont le
coeur serait son visage.




Maurice Hagemans, Berger et son troupeau.



Je suis un gardeur de troupeaux.

Je suis un gardeur de troupeaux.
Le troupeau ce sont mes pensées
et mes pensées sont toutes des sensations.
Je pense avec les yeux et avec les oreilles
et avec les mains et avec les pieds
et avec le nez et avec la bouche.

Penser une fleur c'est la voir et la respirer
et manger un fruit c'est en savoir le sens.

C'est pourquoi lorsque par un jour de chaleur
je me sens triste d'en jouir à ce point,
et couche de tout mon long dans l'herbe,
et ferme mes yeux brûlants,
je sens tout mon corps couché dans la réalité,
je sais la vérité et je suis heureux.

dimanche 19 janvier 2014

Emile Zola : Thérèse Raquin



Thérèse Raquin est le troisième roman de Emile Zola. Il parut en 1867 avant que l'écrivain n'entreprenne le cycle des Rougon-Macquart et contient déjà toutes ses théories sur le roman naturaliste. Il mène l'étude des personnages par le biais de la science et des lois de l'hérédité. Voilà qui se rapproche tout à fait du déterminisme et Zola en est très conscient quand il déclare :

Dans Thérèse Raquin, j'ai voulu étudier des tempéraments et non des caractères. Là est le livre entier. J'ai choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. Thérèse et Laurent sont des brutes humaines, rien de plus.

Résumons l'histoire en quelques lignes : Thérèse Raquin, fille d'un capitaine de l'armée française et d'une algérienne est confiée à sa tante lorsque sa mère meurt. Elle épouse son cousin Camille, frêle et maladif, quand elle a 21 ans mais elle ne l'aime pas. Elle devient la maîtresse de Laurent, un peintre qui est reçu par Camille, et bientôt le couple décide de tuer le mari en le noyant au cours d'une promenade en barque. Ils se marient ensuite. Peu à peu, sous les yeux de la mère de Camille, paralysée et muette, mais qui a deviné leur secret, Thérèse et Laurent sont rongés par d'affreux tourments.

Comme d'habitude, le talent d'Emile Zola est plus grand que ses théories sur le roman. Certes le roman est naturaliste,  mais il est aussi bien autre chose et c'est tant mieux car c'est cette complexité qui fait la force de Thérèse Raquin.

Une technique impressionniste

Monet : la Grenouillère

Par moments, les descriptions des bords de la Seine et en particulier de Saint Ouen, le canotage sur le fleuve, évoquent les rendez-vous des peintres impressionnistes et il nous semble échapper à la noirceur et à l'âcreté des noires boutiques parisiennes pour goûter le soleil dans les branches et ses reflets dans l'eau. Nous pénétrons un instant dans un tableau de Monet ou de Renoir, ou une nouvelle de Maupassant!

Ils allaient à Saint-Ouen ou à Asnières, et mangeaient une friture dans un des restaurants du bord de l’eau.(…) Il était midi, la route couverte depoussière, largement éclairée par les rayons du
soleil, avait des blancheurs aveuglantes de neige.L’air brûlait, épaissi et âcre. Thérèse, au bras deCamille, marchait à petits pas, se cachant sous son ombrelle, tandis que son mari s’éventait la face avec un immense mouchoir.

Une technique expressionniste

expresionnisme : décor pour Raskolnikov : André Andrejew

Certaines descriptions de Zola semblent annoncer, avant la lettre, l'expressionnisme allemand! Les effets sont sensiblement les mêmes. Les décors cessent alors d'être réalistes pour devenir angoissants, déformés, comme vus par un esprit torturé. Ils reflètent les troubles mentaux des personnages. Les éclairages et les brusques contrastes entre l'obscurité et la lumière possèdent un sens symbolique. Les choses et les êtres signifient autre chose que ce qu'ils sont et conduisent au malaise.


Le goût du macabre

Laurent, Thérèse et le spectre : illustration du roman : Alméry Lobel-Riche

La violence, la mort dans ses aspects les plus sordides, le trait forcé pour souligner le dégoût, l'horreur, l'abjection sont des traits propres à certaines descriptions de ce livre. La présentation de la morgue dans Zola, plus que réaliste, joue avant tout sur la violence et le goût du macabre. Ainsi lorsque le cadavre de Camille est découvert par Laurent :

 Il avait séjourné quinze jours dans l’eau. Sa face paraissait encore ferme et rigide; les traits s’étaient conservés, la peau avait seulement pris une teinte jaunâtre boueuse. La tête, maigre, osseuse, légèrement tuméfiée, grimaçait; elle se penchait un peu, les cheveux collés aux tempes, les paupières levées, montrant le globe blafard des yeux; les lèvres tordues, tirées vers un des coins de la bouche,avaient un ricanement atroce; un bout de langue noirâtre apparaissait dans la blancheur des dents.

Un roman fantastique

Combat de chats : Goya

 Camille qui de son vivant était un être pâle, sans consistance, prend, en mourant, une importance qu'il n'avait pas. Il commence par hanter l'esprit de ses assassins et se manifeste comme un spectre effrayant attaché à leurs pas. Il  finit par "habiter" le portrait de Camille peint par Laurent. La morsure qu'il a infligée à Laurent au moment où celui-ci le précipitait dans la rivière, semble elle aussi surnaturelle et se rappelle à Laurent en ne lui laissant aucun répit.Thérèse et Laurent sont victimes de terribles hallucinations, cherchant désormais dans "un embrassement horrible" à chasser le cadavre du noyé qui vient se glisser entre eux dans le lit :
En sentant le froid du cadavre, qui, maintenant, devait les séparer à jamais, ils versaient des larmes de sang, ils se demandaient avec angoisse ce qu'ils allaient devenir.

Le chat lui-même apparaît comme une puissance maléfique, doué de pouvoirs surnaturels. Son regard posé sur les amants semble exercer une surveillance sur les amants :

Le chat tigré, François, était assis sur son derrière, au beau milieu de la chambre. Grave,immobile, il regardait de ses yeux ronds les deux amants. Il semblait les examiner avec soin, sans cligner les paupières, perdu dans une sorte d’extase diabolique.

Le fantôme de Camille et le chat n'ont bien sûr que les pouvoirs que leur prêtent Laurent et Thérèse mais ils n'en poussent pas moins le couple au suicide.

Un roman réaliste

Le passage du Pont Neuf au XIX siècle

Le roman nous présente le Paris de l'époque, la ville mais aussi de la boutique, l'appartement, la vie de ses habitants croqués dans leurs occupations familières, leurs activités, leurs distractions. Il détaille par le menu les particularités d'une habitation et tous les faits et gestes des personnages. Il s'attache à en révéler la misère, l'aspect malsain. 

La description du passage du Pont Neuf en est un exemple  : "une sorte de couloir étroit et sombre qui va de la rue Mazarine à la rue de Seine" Ce passage a trente pas de long et deux de large, au plus il est pavé de dalles jaunâtres, usées, descellées, suant toujours une humidité âcre; le vitrage qui le couvre, coupé à angle droit, est noir de crasse'.

Un roman naturaliste

L'analyse des  personnages chez Emile Zola dans le roman naturaliste obéit à trois  clefs :  le tempérament qui souligne l'aspect médical, scientifique de cette analyse, l'hérédité qui en explique la cause et le milieu dans lequel ils évoluent.


 Thérèse Raquin

Thérèse Raquin et la mère de Camille


Le tempérament
Thérèse Raquin a un tempérament nerveux; ce sont les nerfs qui expliquent son détraquement, son glissement progressif vers l'hystérie et la folie.
Thérèse a un corps "robuste" des "souplesses félines"; Elle est tout en énergie et "une passion" dort sous "sa chair assoupie". Cependant son éducation et sa vie morne auprès de sa tante et d'un cousin débile a fait d'elle un être au teint jaune, placide, faussement docile donc une hypocrite.
C'est la jouissance physique qu'elle connaît avec Laurent qui va fissurer cette façade immobile et c'est le crime qui va la conduire à la folie; mais il ne s'agit pas de remords, précise Zola car "l'âme  est parfaitement absente" : c'est "un désordre organique, en une rébellion du système nerveux tendu à se rompre." 

L'hérédité
Le père de Thérèse était officier à Alger. Sa mère est "une femme indigène d'une grande beauté". C'est ce sang africain qui explique l'ardeur de la jeune fille et ses instincts voluptueux. Quand elle découvre l'amour avec son amant, Zola écrit :  "Le sang de sa mère, ce sang africain qui brûlait ses veines, se mit à couler , à battre furieusement dans son corps maigre, presque vierge encore."

Le milieu et l'éducation
L'influence de son milieu et de son éducation a été déterminante.
 Malgré sa "santé de fer", son corps "robuste" Thérèse fut élevée comme "une enfant chétive". Obligée de partager le lit de son cousin malade ainsi que le médicaments et les tisanes, elle fut contrainte à l'immobilité et au silence. C'est son éducation qui l'a habituée à ne jamais montrer ses sentiments, à dissimuler sa vraie nature pour obéir aux injonctions de sa tante: ne fais pas de bruit, reste tranquille. Plus tard elle prendra goût à l'hypocrisie  et sera heureuse à l'idée d'abuser par ses mensonges sa tante et son mari..
Laurent

Laurent et Thérèse : Ralph Vallone et Simone Signoret

Le tempérament
Laurent lui, possède un tempérament sanguin qui fait de lui "une brute humaine", aux pensées lentes et à  l'esprit épais. Il est soumis "à ses instincts, dominés par ses appétits ": il a "des désirs très arrêtés de jouissances faciles et durables".
Cependant sous l'influence de Thérèse "la nature épaisse et sanguine" de Laurent va se transformer. "Elle avait fait pousser dans ce grand corps, gras et mou, un système nerveux d'une sensibilité étonnante."

Son hérédité
 Laurent est un"un vrai fils de paysan d'allure un peu lourde, le dos bombé, les mouvements lents et précis, l'air tranquille et entêté".
C'est son hérédité qui explique sa prudence, son caractère intéressé et calculateur.

Son milieu
Il a d'abord voulu échapper à son milieu en devenant peintre et il cru trouver dans l'art "un métier de paresseux". Son père en lui envoyant des écus pour financer ses études a développé sa paresse naturelle et ses instincts de jouissance. Plus tard le métier d'employé lui convint très bien : il vivait très bien en brute, il aimait cette besogne au jour le jour, qui ne le fatiguait pas mais endormait son esprit.

On voit, au passage, aussi tous les préjugés véhiculés par Zola sur les classes populaires et les femmes africaines!!

Un livre à découvrir!


 Réponse à l'énigme Un livre/un jeu
Le livre : Thérèse Raquin : Emile Zola
Le film : Thérèse Raquin : de Marcel Carné

Aifelle, Asphodèle, Dasola, Dominique, Eeeguab, Keisha, Pierrot Bâton, Syl
Félicitations et merci à tous!

La semaine prochaine, samedi 25 Janvier l'énigme a lieu chez Eeguab.

samedi 18 janvier 2014

Un livre/un film : Enigme n° 83



Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.

Chez Eeguab, le 2ème et 4ème samedi du mois vous trouverez l'énigme sur le film et le livre

Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.

Samedi 25 Janvier prochain chez Eeguab, l'énigme 84

 Enigme n°83

Ce roman écrit par un grand auteur français du XIX siècle raconte une terrible histoire d'adultère. Vous reconnaîtrez sans doute dans les courts extraits ci-dessous, le style de l'écrivain et sa manière d'aborder l'analyse des personnages :

 A eux deux, la femme nerveuse et hypocrite, l'homme sanguin et vivant en brute, il faisait un couple puissamment lié.

Il y avait eu, à la même heure, chez cette femme et cet homme, une sort de détraquement nerveux qui les rendait pantelants et terrifiés à leurs terribles amours. Une parenté de sang et de volupté s'était établie entre eux.

Tout semblait inconscient dans cette florissante nature de brute. Il obéissait à ses instincts, il se laissait conduite par les volontés de son organisme.

L'être frissonnant et hagard, le nouvel individu qui venait de se dégager du paysan épais et abruti, éprouvait les peurs, les anxiétés des tempéraments nerveux.


vendredi 17 janvier 2014

Les plumes d'Asphodèle : Hommage à James Ensor

James Ensor


Hommage à James Ensor

Pailleté d'argent et de rose
Beau carnaval vénitien
Tu fleuris en bulles de rêve
et tu sèmes devant nos yeux
des fleurs crème, jaunes et bleues                  
Ton rêve éclabousse nos yeux.

Mais dans la foule qui se presse              
embaumante et dissimulée
La mort putride, vieux squelette               
Grimace et cèle son visage

 








Sous les plumes des vérolés.
Le carnaval n'est plus un jeu!

C'est la comédie du mensonge,
Là, les hommes portent des masques
Blêmes, grimaçants, odieux,
Et les femmes, lèvres sanglantes
Usent de leur charme hideux
Tout en levant leurs yeux aux cieux.

En contorsions sur les autels
de l'église et de leur pays
L'armée des vautours et des loups
Pratiquant une usure extrême
Offre aux canons toujours son dû
En bénissant l'argent sali.

Drapée de mystère funèbre,
De ses pieds foulant les plus humbles
L'armée des grands et des puissants,
Embaumés, confits, dévotieux,
Déguise en camouflage infâme
Un unique amour de soi-même

Car au bal de l'hypocrisie,
La farandole n'a de cesse
Ils n'ont pas finit de s'unir
Pour donner à la Mort son dû
Tous créés dans l'argile noire
ou l'argent au pouvoir s'allie.






Les plumes d'Asphodèle : les mots imposés étaient :

Visage, camouflage, armée, plume, vénitien, jaune, déguiser, bal, argile, mensonge, embaumer, comédie, celer, mystère, pailleté, crème, farandole, grimace, hypocrisie, dissimuler, unir, usure, unique.



James Ensor