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jeudi 16 juillet 2015

Richard III de Shakespeare/Ostermeier

Lars Eidinger dans Richard III (source)

Je n’avais jamais vu Richard III sur scène et j’ai toujours eu des difficultés à lire la pièce. Aussi la mise en scène de Thomas Ostermeier est une belle surprise, une véritable réussite théâtrale. C’est avec aisance que l’on entre dans cette intrigue touffue, pleine de personnages, d’intrigues complexes, tant le metteur en scène a l’art d’éclairer notre lecture, de dévoiler l’essentiel, de nous mettre au coeur du drame, au coeur de l’humain. Ici pas provocations inutiles, tout sert l’action, tout révèle le sens.
Et d’abord le sens politique et philosophique, une magistrale réflexion sur le pouvoir, sur la domination d’un seul sur les autres (rappel de l’essai de La Boétie Discours de la servitude volontaire ou le Contr'un). Nous sommes aux racines mêmes du mal. Par la force du langage, le tyran manipule ceux qui l’entourent et parvient à ses fins soit par la fascination qu’il exerce ou en flattant la cupidité et l’orgueil de ses ministres qu’il tient en laisse, soit par la peur. Du fait que la langue soit allemande et les costumes du XX siècle, nous pensons à Hitler, bien sûr, mais aussi à Staline, Mussolini pendu à un crochet de boucher à la fin de la guerre comme Richard III dans la mise en scène de Ostermeier et bien d’autres au cours des millénaires de l’Histoire. Mais au-delà des exemples que nous connaissons c’est bien sûr l’universel que révèle Shakespeare magnifiquement servi par Ostermeier. Le comédien, Lars Eidinger, qui incarne le rôle fait voir toutes les facettes de ce personnage monstrueux et pourtant humain par sa souffrance et ses faiblesses. Il incarne avec brio Richard III jusque dans son corps déjeté, contrefait; il est tout à tour le misérable en proie au doute et  et le roi sanguinaire, affamé de pouvoir.

Thomas Ostermeier met aussi en relief le drame de la différence, de l’exclusion. Richard III devient un monstre au niveau psychologique parce qu’il l’est au niveau physique. Infirme, bossu, il est exclu des fêtes, de la joie, de l’amour. Le comédien transmet cette souffrance, ce sentiment d’abandon et de solitude. Et lorsque le metteur en scène le dénude, ce n’est pas gratuit, c’est pour mieux nous faire ressentir cette déréliction, la petitesse de celui qui va devenir si grand  en se hissant au-dessus des autres par l’usurpation et le meurtre. Lars Eidinger met en relief par son jeu subtil et plein de sensibilité cette souffrance mais aussi la révélation que Richard III va avoir de lui-même, ce  moment clef où il séduit lady Anne et où il comprend alors son pouvoir sur les autres et la puissance de la parole. Ainsi par l’intermédiaire du comédien et de la mise en scène nous est révélée la complexité  de ce Richard III de Shakespeare et l’on comprend alors pourquoi, depuis le XVI siècle, il a pu fasciner les spectateurs et devenir un personnage dont on n’a jamais fait le tour.

Tous les acteurs sont au diapason, aucune faiblesse dans la distribution. La scénographie fort belle avec ses lumières, ses projections vidéos, l'utilisation de marionnettes, présente un décor étagé ou l’espace est chargé de sens. Pendant la fête qui clôt « l’hiver de notre déplaisir », la fin de la guerre des Deux Roses, des York et des Lancaster, Richard est en bas sur la scène, tandis que les autres s’amusent, s’agitent,  montent et descendent joyeusement d’un niveau à l’autre, soulignant ainsi son isolement. Plus tard, les victimes de Richard III disparaissent par une porte, toujours la même, en hauteur (la Tour de Londres?) et  c’est du haut de la scène aussi que Marguerite la prophétesse lance sa malédiction sur Richard III et ses complices qui se trouvent au-dessous d’elle, en position de faiblesse.

Je n’ai pu juger de la traduction en allemand de Marius Von Mayenburg que Thomas Ostermeier a voulu en prose plutôt qu’en vers et dans une version légèrement écourtée mais j’ai aimé que Lars Eidinger reprenne certains passages en anglais.

Un grand bonheur théâtral!



mardi 7 juillet 2015

Le roi Lear Shakespeare/ Olivier Py Un coup de rage!

Dans la Cour d'Honneur du Palais des papes décor du Roi Lear de Shakespeare mise en scène d'Olivier Py
Le roi Lear mise en scène Olivier Cour d'Honneur Avignon 2015
Je ne voulais manquer pour rien au monde Le roi Lear dans la cour d’Honneur! Quelle déception! Trois heures d’ennui et de ras-le-bol au cours de laquelle Olivier Py assène son égo, ses fantasmes, ses délires, sans égard aucun pour le grand dramaturge qui a écrit la pièce! Voilà déjà deux fois que je vois le Roi Lear dans le In à Avignon 2013 ICI avec toujours le même résultat : des metteurs en scène qui ne parlent que d'eux-mêmes et qui oublient que c’est Shakespeare le Dieu, pas eux!

Au jeu des squelettes, dans la mise en scène de Olivier Py, Lear enfonce Hamlet! Qui dit mieux?  (Source Le  Monde)
Je veux bien, moi, que le silence de Cordélia représente « une faillite de la parole » qui engendre la « dévastation » « la catastrophe politique » « prophétisant ce qui s’est passé au XX siècle »(Olivier Py). De là à en faire une danseuse en tutu qui ne prononce pas un mot pendant tout le spectacle, elle qui porte le sens de la pièce!
Je veux bien que Régane (ou Goneril) défèque sur scène et jette le contenu du seau sur Gloucester, que l’une ou l’autre renifle leur petite culotte, que Edmond et Cornouailles, s’envoient en l’air derrière les palissades mais ce sont des petites provocations qui n’apportent rien à la mise en scène, ne donnent aucune profondeur, ne témoignent d’aucune lecture du texte. C’est juste une mise en scène gros sabots qui aurait fait scandale il y a trente ans mais qui ne fait même plus frémir le public avignonnais qui en a vu d’autres!
Je veux bien aussi que Lear et Edgar se vautrent dans la boue, nus comme des vers, et courent dans les gradins du théâtre, le sexe à l’air, mais ce qui me gêne c’est qu’ils sont ridicules! Certes, les pièces de Shakespeare pratiquent le mélange des genres si cher à Victor Hugo et certains personnages grotesques du dramaturge ne font pas dans la dentelle, les fous en particulier, mais cela signifie que le comique et le tragique coexistent, non que le comique tue le tragique! Et ridicules ils le sont, ces acteurs, au point de faire ricaner le public au moment où celui-ci devrait être saisi par l’émotion dans cette grandiose scène de la folie, au milieu des éléments déchaînés (la tempête est figurée par un tuyau d'arrosage qui déverse de l'eau sur les acteurs) qui portent à son comble le sentiment de déréliction du monarque déchu, du père outragé.  Mais d’émotion il n’y en a pas! Tout au long de la représentation, les acteurs vocifèrent, en particulier le roi Lear (Philippe Girard), monocorde et peu convaincant, exception faite, peut-être, du comte de Gloucester (Jean-Marie Winling) dont l’acteur souligne les faiblesses et l’humanité.

Quant aux symboles, ils sont d’une telle lourdeur qu’ils provoquent aussi l’hilarité du public comme cette « méditation scénographie sur le cercle, le trou, la béance, ce vide qui aspire les personnages et l’histoire »(Pierre-André Weitz, scénographe) qui désigne un trou pratiqué au milieu de la scène où chaque personnage va s’engloutir! On a rêvé plus subtil comme symbolisme!
Les réactions du public?  Certains sont partis en cours de spectacle mais c’est habituel, il y bien eu deux ou trois huées à la fin, un bravo tonitruant et un ensemble d'applaudissements modérés et polis. Les comédiens ont salué deux fois, c’est peu! Mais ni colère, ni vindicte, ni enthousiasme délirant. Certes, j’ai entendu certains se moquer des lourdeurs de la mise en scène, deux jeunes filles discuter des mérites respectifs de l’anatomie d’Edmond et d’Edgar (au moins, elles ne se seront pas ennuyées, elles!). Finalement, ce qui m’a surprise, c’est la tiédeur! 





dimanche 5 juillet 2015

Alexis Michalik : Le porteur d'histoire et Le cercle des illusionnistes au théâtre des Béliers deux coups de coeur!




Hier soir et ce matin je suis allée assister aux deux spectacles de Alexis Michalik dont on peut dire qu'il est un auteur à succès si l'on en juge par la foule qui se presse au Théâtre des Béliers où l'on s''installe même sur des chaises ajoutées au premier rang, sur les escaliers et où l'on refuse du monde! Il faut dire que Le porteur d'Histoire a obtenu deux Molières en 2014 : Meilleur auteur/Meilleure mise en scène)  et Le cercle des illusionnistes trois :  Meilleur auteur/Meilleure mise en scène/ Révélation féminine pour Jeanne Arènes, la petite brunette capable de se transformer, telle Protée, en petite vieille comme en ado rebelle!
Aussi, croyez-moi, si vous tenez à voir ces deux pièces, réservez à l'avance même si vous n'êtes pas encore arrivés à Avignon! Quand des spectacles commencent ainsi dès les deux premiers jours on peut raisonnablement penser que vous serez nombreux à ne pas pouvoir les voir d'ici une semaine!
Vous pouvez réserver en ligne sur le programme d'Avignon OFF ou au théâtre des Bêliers 04 90 82 21 07. Notez que je n'ai aucune action dans ce théâtre et qu'il s'agit simplement du conseil d'une spectatrice enthousiaste!

Alexis Machalik 


Du coup j'ai voulu en savoir plus sur cet auteur à l'écriture si brillante qui est aussi acteur et metteur en scène et voilà ce que j'ai lu sur lui ICI

S’il fait ses débuts de comédien sur les planches d’un théâtre, sous la direction d’Irina Brook, dans le rôle-titre de Juliette et Roméo, c’est à la télévision qu’Alexis Michalik prend ses quartiers.
On le retrouve ainsi dans divers téléfilms ou séries: Petits meurtres en famille, Terre de lumière, Kaboul Kitchen
Au cinéma, il tourne avec Billy Zane, Diane Kurys, Safy Nebou, Yann Samuel, Fernando Colomo, Danièle Thompson, Alexandre Arcady…
Il continue de se distinguer au théâtre, dans des comédies, comme Le Dindon, mise en scène de Thomas Le Douarec, ou des pièces plus sérieuses, comme Les Fleurs Gelées, d'après Ibsen et Strindberg.
Avec la compagnie Los Figaros, Alexis Michalik met en scène et signe des adaptations pour le moins déjantées, parmi lesquelles La mégère à peu près apprivoisée, ou R&J, librement inspirés des oeuvres de William Shakespeare.

Le porteur d’histoire est sa première pièce en tant qu’auteur, Le cercle des illusionnistes est sa seconde. En 2014, il est récompensé pour ces deux pièces de 2 Molières (auteur francophone et metteur en scène de théâtre privé), du prix Beaumarchais du Figaro et du prix Jeune Théâtre de l'Académie Française.

Les deux pièces sont éditées au éditions Les cygnes. J'ai devant moi le livre Le cercle des illusionnistes que je vais relire.

Le porteur d'histoires

Chasse au trésor littéraire impossible à résumer, succés-surprise des trois saisons passées, Le Porteur d’Histoire revient aux origines, là ou le spectacle est né : en Avignon.
Par une nuit pluvieuse, au fin fond des Ardennes, Martin Martin doit enterrer son père. Il est alors loin d’imaginer que la découverte d’un carnet manuscrit va l’entraîner dans une quête à travers l’Histoire et les continents...

Impossible à résumer, oui, car nous allons de rebondissements en rebondissements, de surprises en surprises dans une histoire complètement folle, complexe (vous ne comprenez pas tout? Peu importe! Vous aimeriez vous arrêter pour réfléchir un peu? Pas le temps!), une histoire à toute vitesse qui vous jette dans les aventures les plus improblables, vous transporte de la forêt des Ardennes en Algérie ou au Canada, du Moyen-âge au XX ème siècle, au XVIII ou à toutes les époques à la fois et ceci dans un tourbillon qui n'accorde aucune importance à la chronologie! 
L'histoire draîne une foule de personnages dont les moindres ne sont pas Alexandre Dumas, Eugène Delacroix, le pape Clément VI, le comte de Polignac, ministre de Charles X et tant d'autres.. et puis, bien sûr, Martin qui, après la lecture de ce manuscrit, va partir à la recherche de... Mais n'en disons pas plus! 
La pièce est un hommage aux livres, à l'amour de la littérature! Vous avez l'impression d'être emporté dans un roman d'Alexandre Dumas! Etes-vous dans la réalité ou dans la fiction? Les personnages eux-mêmes,  bousculés par leurs  folles aventures, s'interrogent!
La mise en scène est étourdissante, éblouissante, vous donne l'impression de courir, de faire des sauts de géants à travers les différentes périodes historiques. Il  vous arrive même d'assister en même temps à des scènes qui se déroulent à des milliers de kilomètres ou à des siècles de distance! Et les acteurs s'en donnent à coeur joie, endossant devant nous, avec les vêtements, la personnalité de tous les personnages qu'ils interprètent magistralement.
Un régal!

Le cercle des Illusionnistes



En 1984, alors que se déroule le championnat d’Europe des Nations, Décembre vole un sac dans le métro.
Dans le sac, il trouve la photo d’Avril jolie. Il la rappelle, ils se rencontrent dans un café.
Il va lui raconter l’histoire de Jean-Eugène Robert-Houdin, horloger, inventeur, magicien du XIXe siècle.

Cette histoire les mènera tous deux sous le coffre de la BNP du boulevard des Italiens, dans le théâtre disparu de Robert-Houdin, devant la roulotte d’un escamoteur, derrière les circuits du Turc mécanique, aux prémices du kinétographe, et à travers le cercle des illusionnistes.

Le cercle des Illusionnistes est un hommage à la magie, à l'imagination, au génie de la création; la pièce célèbre la naissance du cinéma et nous assistons à des projections de films des frères Lumière ou de Méliès. Le fil directeur qui mène de Houdin à Méliès est cette cave où Houdin avait installé son théâtre pour présenter ses tours d'illusionnistes. Il y a une filiation spirituelle entre les deux hommes et le récit de leur vie est le prétexte à des rencontres magiques soulignées par d'ingénieux effets visuels, des vidéos, des jeux de lumière et de véritables tours de magie exécutés par des comédiens. Tous excellents, ils interprètent avec bonheur et fantaisie de nombreux personnages souvent hors du commun comme l'Escamoteur dont on peut deviner qu'il est bien plus qu'il ne paraît puisqu'il est le créateur, l'inspirateur, le maître des arts et des mots.

Dans ces deux pièces, que j'ai vues à la suite, j'ai noté les constantes chez Alexis Michalik auteur : Le porteur d'histoire et les illusionnistes sont des passeurs de la création artistique et littéraire qui est peut-être plus vraie que la vie, qui lui donne son sens, sa richesse. L'imaginaire, la magie, le fantastique d'où naît la poésie, se retrouvent donc dans les deux pièces. 
Le rôle du hasard est de toute importance, faut-il l'appeler destin? La présence du temps qui s'écoule  est récurrente comme l'idée de la transmission entre créateurs, la nécessité de l'évolution de l'art apparaît à travers les conflits générationnels (voir l'ado rebelle!).. 
Il y a aussi des constantes chez Alexis Michalik metteur en scène : Les acteurs changent de peaux devant nous, endossent leurs vêtements à vue et deviennent autres, les personnages ne sont pas toujours interprétés par le même comédien; aucune linéarité dans le récit, les scènes se déroulant à des époques ou dans des lieux différents peuvent être jouées en même temps; une scène peut-être interrompue par une autre pour reprendre un peu plus tard! Le récit est donc complètement déstructuré! On a vraiment  l'impression d'assister à un art théâtral nouveau, un autre langage. Et c'est passionnant! 



samedi 4 juillet 2015

Ninika pièce chorégraphique de Pantxika Telleria, compagnie Elirale : un coup de coeur!


Avec Ninika, spectacle chorégraphique pour la famille et les enfants à partir de 3 ans, la beauté, la grâce et l'humour sont au rendez-vous au théâtre Golovine. Léonie (5ans) a été subjuguée, et moi, sa grand-mère aussi! C'est d'ailleurs le but avoué de la chorégraphe basque Pantxika Telleria  : écrire pour le jeune public tout en s'adressant au "spectateur plus âgé qui y trouve également sa lecture".

Ninika : Célia Thomas, Arantxa Lannes au théâtre Golovine Avignon OFF 2015
Ninika : Célia Thomas, Arantxa Lannes

 Ninika en basque veut dire bourgeon. Nous sommes à la fin de l'hiver, un arbre blanc couvert de neige contraste avec le rouge incandescent du sol qui annonce le retour de la belle saison. Bientôt  les bourgeons vont s'ouvrir et frémissent, les feuilles froissées délicatement se déplient et le printemps prend son envol. C'est ce que me suggère la vision des deux danseuses sur la scène, enfermées dans une structure blanche qui peu à peu frémit, laisse voir un bras harmonieux, un pied, un jambe... des corps emprisonnés qui se délivrent peu à peu de leurs "peaux" pour apparaître joyeux et légers. 
Je dis bourgeon car j'ai lu le sens du mot sur le programme mais Nini, elle, y a vu un cocon d'où s'envole un papillon. Cela pourrait un oeuf et l'éclosion d'un poussin.. mais peu importe la lecture, c'est toujours de naissance qu'il s'agit et même de re-naissance!

Ninika  spectacle chorégraphique basque avec Célia Thomas, Arantxa Lannes, Jose Cazaubon
Ninika : Célia Thomas, Arantxa Lannes, Jose Cazaubon

A la danse contemporaine se mêle la danse folklorique basque incarnée par un berger (?) et  sa houlette; celle-ci va même devenir tuyau d'arrosage quand les trois danseurs, en enfants terribles, se font des farces, se disputent la même chaise, façonnent une statue à leur manière! Car l'humour est toujours là, mêlé à la poésie : la nuit qui tombe, le feu qu'on allume parce qu'on a froid pour se chauffer les pieds ou ... les fesses (Nini a bien ri!). Une attention particulière est portée aux jeux de lumières, à la bande son qui fait entendre tous les bruits de la nuit et des animaux nocturnes...  Un langage chorégraphique original, épuré, d'une grande beauté. Un spectacle à voir absolument en famille!

Je vous renvoie à un article de journal Sud-Ouest pour une explication plus exacte de la pièce ICI

"Blanc aussi sera le décor avec, au centre, un arbre magique de 3 mètres de haut. Une seule couleur : le rouge vif du sol, référence à l'expression basque qui désigne un hiver rigoureux par « negu gorri gorria » (hiver rouge). Histoire de saisons, la suite de danses en enchaîne seulement deux, conformément à la tradition basque : l'hiver et l'été."
Théâtre Golovine
Ninika 
de Pantxika Telleria
compagnie Elirale
10H45
durée 45 minutes
Danse
du 4 au 26 Juillet

Cyrano caché dans son buisson de lavande sentait bon la lessive

Album : Cyrano illustré par Rébecca Dautremer

Ninika me donne envie d'aller voir un autre spectacle basque (à partir de cinq ans) par la Compagnie Hecho en casa au théâtre des Lucioles avec un titre extraordinaire :  Cyrano caché dans son buisson de lavande sentait bon la lessive d'après un album écrit par Taï-Marc Le Thanh illustré par Rébecca Dautremer dans une adaptation japonaise... inspiré de la pièce d'Edmond Rostand, bien sûr!

vendredi 3 juillet 2015

Le 3 Juillet : spectacles en avant -première à Avignon OFF

Avignon festival OFF 2015

La vieille du festival, les avignonnais ont l'opportunité d'aller assister à quelques spectacles en avant-première. J'ai choisi d'aller voir Une chambre à Soi de Virginia Woolf mais quand je suis arrivée au Théâtre Girasole, on me dit que la compagnie ne joue pas car elle ne se sent pas prête ; de même pour le spectacle du soir Ubu Roi. Quand vous avec traversé toute la ville sous la chaleur accablante et qu'on vous annonce que vous ne pourrez pas voir la pièce, laissez-moi vous dire que vous êtes forcément très déçue.  Moralité? Téléphonez avant de partir au théâtre pour ne pas avoir ce genre de déconvenue! Pour le théâtre Essaïon j'ai donc pris la précaution de me renseigner. Finalement, je n'ai pas trop eu le choix mais j'ai découvert trois spectacles (que je ne serais peut-être pas aller voir) Fille du paradis, Les divalala, Les fâcheux. j'ai assisté aussi à la représentation de Zigzag, à la Luna, lieu qui ouvre ses portes le 3 juillet un jour avant la date officielle du festival  qui est cette année le 4 Juillet.

Zigzag de Molière/Xavier Lemaire 


 Et si vous aviez, durant le même spectacle, la 1ère scène du Médecin malgré lui de Molière mis en scène de 3 façons différentes ?
ZIGZAG, vous propose cela !

L'année dernière Xavier Lemaire  a été coup du coeur du OFF pour Les Coquelicots des tranchées pour lequel il a obtenu aussi un Molière. Il revient à Avignon cette année avec une pièce plus légère interprétée par Isabelle Andréani, Franck Jouglas et lui-même.
Les trois mises en scène que Xavier Lemaire propose de la première scène du Médecin malgré lui où l'on voit Sganarelle battre sa femme Martine, sont intéressantes. La première classique en costumes d'époque, décor réaliste,  tire vers la farce. La seconde, je ne sais comment trop comment la classer : contemporaine, oui,  conceptuelle, peut-être? Sans décor et avec une économie de paroles et de moyens,  elle provoque le rire. La  troisième actualisée montre un couple de SDF, alcooliques tombés dans la déchéance. La violence y est telle qu'elle occulte le comique et cela fonctionne! Preuve que ce que Molière écrit est de tous les temps!
Comme d'habitude dans la Compagnie les Larrons les acteurs sont convaincants et bien dirigés.
J'ai moins aimé cependant le discours de Xavier Lemaire sur la mise en scène; beaucoup trop pédagogique à mon goût. j'ai eu l'impression de me retrouver en classe dans un cours de lettres!

Zigzag

LUNA (THÉÂTRE LA)

Xavier Lemaire
du 3 au 26 juillet


11h01
durée : 1h20

Tout public Théâtre / Théâtre musical / Café-théâtre à partir de 8 ans

Fille du paradis de Nelly Arcan / Ahmed Madan

Fille du paradis : interprète Véronique Sacri
Cynthia, une jeune étudiante en littérature décide un jour de composer le numéro de la plus grande agence d’escorte de Montréal. Adapté de Putain, roman autobiographique de Nelly Arcan, c’est une charge radicale et sans concession contre l’icône dévastatrice de la femme parfaite. Une parole bouleversante d’humanité, une rage de vivre qui déchire l’opacité des ténèbres telle une étoile filante.

A priori le sujet me faisait peur mais découvrir cette auteure québécoise Nelly Arcan était tentant. Elle y explique comment elle est arrivée à la prostitution après une enfance entre une mère toujours couchée qui refusait de vivre, un père religieux et austère, des études dans un institut catholique étouffant. Certains passages sont d'une violence terrible et résonne comme un cri de souffrance. Nelly Arcan s'est donnée la mort en 2009. Chaque mot est une dénonciation du poids de la religion et d'une société hypocrite. L'actrice Véronique Sacri est excellente. Un bémol pourtant! j'ai trouvé que l'adaptation à la scène était parfois trop répétitive et sans véritable progression dramatique.

Fille du paradis de Nelly Arcan
GIRASOLE (THÉÂTRE) 
du 4 au 6 juillet
14H10
relâche le 19 juillet

Les divalala ou chansons d'amour traficotées

Un récital décalé pour Divas allumées ! De Johnny à Piaf en passant par Stromae, Dalida ou encore Gainsbourg, Les Divalala retracent a cappella le parcours amoureux d'une femme des premiers frissons aux ravages de la passion.

Les divalala chantent la variété; elles ont de l'humour, sont cocasses et pleines d'invention. Ce n'est pas le genre de spectacle que je vais voir d'habitude - s'il n'avait été donné en avant-première- mais il fait passer un moment agréable et le public s'amuse beaucoup.

Les Divalala Chansons d'amour traficotées

ESSAÏON-AVIGNON

du 3 au 26 juillet


19h
durée : 1h10 

Spectacle musical
  

Les fâcheux de Molière/ Jérémie Milsztein 


« Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j'ai cru que, dans l'emploi où je me trouve, je n'avais rien de mieux à faire que d'attaquer par des peintures ridicules, les vices de mon siècle.» Molière  
Pendant trois actes Eraste essaie d'avoir une rendez vous avec Ophise dont il est épris mais il doit subir tout un défilé de fâcheux qui l'accablent de leurs politesses et tiennent à lui raconter leurs hsitoires

Les fâcheux est une comédie-ballet de Molière (1661). Ce n'est pas une grande pièce mais certains passages annoncent Le Misanthrope Elle souffre parfois de quelques longueurs car les fâcheux, comme leur nom l'indique, sont parfois bien ... fâcheux, autrement dit ennuyeux!  La mise en scène est inventive et enlevée. Une des bonnes trouvailles du metteur en scène est d'avoir confié le rôle des fâcheux à un seul comédien qui s'en sort fort bien et sait nous amuser. Les acteurs sont tous bons et l'on passe un agréable moment. je suis heureuse d'avoir découvert cette pièce que je n'avais jamais vue.

Les Fâcheux

ESSAÏON-AVIGNON

Molière
du 4 au 26 juillet
20h30
durée : 1h  Classique

jeudi 2 juillet 2015

Lily Brett : Lola Bensky



Le roman de Lily Brett, paru aux éditions de la grande Ourse et qui a obtenu le prix Médicis en 2014, est en grande partie autobiographique. C’est à travers un personnage fictionnel, Lola Bensky, journaliste assez atypique, que l'auteure nous raconte sa vie. Lola, tout en interviewant les stars du rock à Londres et à New York pour son magazine australien, Rock-Out -nous sommes en 1967- fait part (aux rockers comme à nous, lecteurs) de ses réflexions sur son régime alimentaire, son drame étant d’être trop grosse, et de souvenirs de la Shoah vécus par ses parents! Fille de parents polonais rescapés d’Auschwitch, elle est née dans un camp pour personnes déplacées en Allemagne et a grandi à Melbourne. Mais si ses parents l’aiment, elle a vite réalisé qu’ils n’étaient pas véritablement présents car ils ne sont jamais sortis des camps de concentration, sa mère surtout qui ne peut s’empêcher de revivre sans cesse le passé .

Lily Brett et John Weider, guitariste du groupe Eric Burdon (source)

Si j’ai choisi de lire ce livre, ce n’est pas pour faire un pèlerinage sur les traces de Mick Jagger, Jimi Hendrix, Manfred Mann, Paul Jones, Cher, Jim Morrison et bien d’autres puisque je n’ai jamais aimé le rock (oui, je sais, je suis un anachronisme vivant dans la génération 68)! Mais contre tout attente, pendant la lecture, je me suis intéressée à ces stars que Lili Brett alias Lola Bensky fait revivre d’une manière surprenante dans des interviews pas très orthodoxes et tellement drôles parfois. Elle interroge Jimy Hendrix sur ses bigoudis, aide Barry Gibb a acheté 4 costumes semblables, se lamente sur son poids avec Mama Cass, interroge Cat Stevens sur ses tics de genoux, et se fait voler ses faux cils par Cher! Le ton est nouveau, plein d’humour, inattendue même. Il est aussi plein d’émotion quand elle évoque la courte vie de certains de ces rockers qui se droguaient et priaient pour ne pas mourir vieux.

The Black coat : portrait de Lily Brett par son mari David Rankin
Lily Brett peinte par son mari le peintre australien David Rankin (source)

Si j’ai choisi de lire ce livre, c’est pour rester dans la continuité de mes lectures. Avec Le liseur de Bernhard Schlinck et Automne allemand  de Stag Daggerman je venais de découvrir le sentiment de culpabilité et le mal être des enfants de parents nazis après la guerre. Il m’a paru intéressant de savoir comment les enfants des victimes rescapées avaient vécu eux aussi.
J’avoue que là encore le ton du roman surprend. Les atrocités des camps d’extermination, telle que sa mère a pu la vivre, Lola Binsky les distille entre deux interviews, petites anecdotes que l’on reçoit comme une gifle, au cours d’un bavardage à bâtons rompus ou de la découverte d’un nouveau régime amaigrissant. Cette apparente désinvolture donne encore plus de force à l’horreur. Peu à peu l’on s’aperçoit que toute la vie de Lola est hantée par ces souvenirs qui reviennent obsessionnellement. Elle n’a pas connu les camps mais comme sa mère, elle n’en est jamais sortie.

A quatre ans seulement, Lola savait déjà que les sélections envoyaient les juifs à la chambre à gaz. Elle ignorait ce qu’était le gaz, mais elle comprenait que ce n’était pas bon. Quand elle était rentrée à l’école et qu’elle avait découvert qu’on procédait chaque matin à l’appel, sa première réaction avait été de s’enfuir pour se cacher.
  Les enfants des rescapés des camps de la mort sont tous, nous dit Lily Brett, d’une manière ou d’une autre, perdus dans un brouillard, en proie à des crises de panique, assaillis de maux physiques et de maladies psychosomatiques.

L’absence pouvait occuper la place avec une surprenant intensité. Lola se demandait souvent comment quelque chose qui n’était pas là pouvait se faire aussi présent. L’absence des êtres, notamment. Des oncles, des tantes, des cousins et cousines avec lesquels elle aurait théoriquement dû grandir. Des grands-parents dont elle avait la nostalgie même si elle ne les avait jamais connus. Des questions qui restaient en suspens ou qui n’étaient jamais formulées. Et l’absence de sa mère.
A travers l’autodérision et l’humour, le ton se fait plus grave pendant que l’écrivaine analyse les traumatismes du passé qui l’ont marquée d’une trace indélébile.

Lola ne savait pas qu’elle était liée aux morts par une double couture. Cousue à eux par un fil invisible. Et commençant à éprouver leur poids.
Un roman curieux et décalé, passant du rire à la gravité, parlant du pire avec légèreté, pour mieux nous communiquer la souffrance et la détresse qui ont nourri ces jeunes générations et leurs malheureux parents. Un livre à découvrir!

mardi 30 juin 2015

Virginia Woolf : Lappin et lapinova





Lappin et lapinova est une nouvelle de jeunesse de Virginia Woolf. Elle la publia en 1939 après l’avoir revue mais elle avait été écrite une vingtaine d’années auparavant.

Tout commence par le mariage, à Londres de Ernest Thorburn et Rosalind et se poursuit pendant la lune de miel à l’hôtel. Remarquant que son mari fronce le nez comme un petit rabbit, Rosalind le surnomme Lappin et lui, très épris, surenchérit en l’appelant Lapinova. Les deux amoureux bêtifient à qui mieux mieux. Roi Lappin et Reine Lapinova sont très heureux. Les jeunes mariés se créent « un univers privé entièrement peuplé de lapins » que personne ne soupçonne mais qui leur permet une connivence particulière et précieuse. Cette merveilleuse complicité aide Rosalind à surmonter les réticences qu’elle éprouve envers sa belle famille.

 Une scène de comédie qui s'assombrit

Ainsi la nouvelle apparaît d’abord comme une scène de comédie, mais elle s’assombrit progressivement. Dans ce vaudeville léger, le couple roucoule tendrement, s’invente des histoires un peu sottes mais qui les enchantent. Tous les deux sont finalement très sympathiques bien que tendrement ridicules. Mais une phrase inquiétante se glisse au milieu de cette béatitude et pose un jalon pour le dénouement :
Ils étaient très heureux. Mais ce bonheur là, se demandaient-ils*, il y en a pour combien de temps? Et chacun répondait d’après son expérience personnelle. »
* (les clients de l’hôtel)

Un regard critique sur la société

Sous cette apparente gentillesse, et malgré l’indulgence de l’écrivaine pour ce couple d’amoureux, Virginia Woolf ne laisse pas d’être désenchantée. Elle porte un regard critique et lucide sur la société. Si Rosalind est orpheline, c’est pour mieux la confronter à la grande tribu des Thorburn, dix enfants et des ancêtres. D’ailleurs Rosalind n’a pas de nom de famille comme pour montrer son insignifiance et nous ne la connaissons que sous son nom de femme mariée - Mrs Ernest Throburn- . Elle perd même son prénom comme si elle n’avait plus d’individualité propre. Elle est décrite au lecteur comme "une goutte d'eau" au milieu de cette famille, ou "un glaçon" en train de se "liquéfier" : on la faisait fondre, se répandre, se dissoudre dans le néant". Avec ses"yeux à fleur de tête", elle ressemble bien à un petit lapin sans défense.
L’ironie de l’écrivaine se manifeste régulièrement face à cette famille imbue d’elle-même, snob, réactionnaire et collet monté. Elle est à son comble quand Rosalind dans sa naïveté croit que l’épithète « prolifique » jetée dans la conversation, s’applique à la famille Thorburn alors qu’elle désigne des lapins. Sous les yeux de Rosalind et grâce à son imagination fertile, chaque membre de la famille Thorburn se métamorphose, dévoilant sa vraie identité et la vérité n’est pas belle à voir sous les apparences :

"Et Célia , la fille célibataire qui fourrait toujours son nez dans les secrets d’autrui, dans les petites choses qu’ils désiraient cacher, c’était un furet blanc aux yeux roses et au museau tout crotté à cause de son horrible manie de fouiller dans la boue et d'en tripoter." 


La brièveté de l'amour

L'écrivaine nous montre la brièveté de l’amour et du bonheur qui ne peut être, affirme-t-elle, qu’éphémère. Elle peint aussi la condition de la femme pour qui l’amour est le seul horizon, enfermée comme elle est dans sa maison sans pouvoir comme l’homme se tourner vers l’extérieur. Lorsque Lappin et Lapinova cessent d’exister c’est pour Rosalind une sorte de mort mais ce que décrit Virginia Woolf, par un glissement de l’image, c’est la mort d’un lapin dans un bois obscur tué par un coup de fusil. C’est la fin d’une imagination romanesque qui tenait lieu de richesse à Rosalind, c’est aussi la fin de la complicité et de l’amour.

vendredi 26 juin 2015

Per Olov Enquist : Le médecin personnel du roi


Dans Le médecin  personnel du roi, Per Lov Enquist raconte un moment de l’histoire du Danemark au XVIII siècle. Christian VII,  roi du Danemark et de Norvège, a une intelligence brillante mais un gouverneur trop brutal le fait vivre dans la peur et la violence si bien que l’enfant devient instable souffre de troubles hallucinatoires, de crises de terreurs et de panique, avant de tomber progressivement dans la folie. Dès lors il n’est plus apte à gouverner, ce qui fait bien l’affaire des conseillers du Royaume qui peuvent ainsi gouverner à sa place.

Christian VII du Danemark

Mais lors d’un séjour de Christian VII en Europe, on  le confie  au docteur Struensee qui gagne la confiance et l'amitié du malheureux souverain. Johann Friedrich Struensee va exercer une telle emprise sur lui qu’il devient son premier ministre, le seul autorisé à signer des documents sans avoir besoin de la signature royale. Autant dire que le médecin est l’égal du roi et même plus puisqu’il règne seul, le jeune malade ne pouvant comprendre ce qui se passe. Malgré la vindicte des conseillers, Struensee gagné aux idées philosophiques, de Voltaire à Rousseau en passant par Diderot, en profite pour entreprendre des réformes fondamentales, révolutionnaires, très audacieuses, qui suscitent le mécontentement non seulement des nobles mais du peuple. De plus, l’amour réciproque de Johann Friedrich Struensee et de la reine, Caroline Mathilde de Hanovre, soeur du roi d’Angleterre George III, épouse de Christian VII qui a peur d’elle et la délaisse, va être un des facteurs de sa chute…
Un complot fomenté par tous ceux qui souhaitent sa perte, en 1772, enlève son pouvoir au médecin qui sera exécuté…
je vous laisse découvrir les détails de cette extraordinaire histoire dont Per Olov Enquist tire un récit passionnant, réflexion sur le pouvoir, sur le rôle des Lumières, sur la vie…

Johann Friedrich Struensee  conseiller de Christain VII du Danemark, règne à la place du roi malade mental portrait de Jens Juel
Johann Friedrich Struensee portrait de Jens Juel
 Per Lov Enquist  nous fait partager en particulier, l’intérêt qu’il éprouve pour ce personnage Johann Friedich Struensee, danois d’origine allemande, bourgeois qui à l’origine n’éprouve pas un attrait particulier pour le pouvoir. Il se sent pourtant pris dans un engrenage qui le pousse lui, médecin par vocation, vers un destin vertigineux qu’il ne peut ou ne veut refuser. Il y a quelque chose  d’exceptionnel, dans cette révolution silencieuse, pacifique et douce, due à une seule personne. Johann Friedrich Stuensee a accompli une énorme travail de réforme pendant les deux années où il a « régné » à la place du roi, produisant 632 décrets, travaillant de jour comme de nuit dans son cabinet, s’attaquant aux inégalités, au servage, supprimant les privilèges, accordant la liberté de la presse, abolissant la censure, la torture, la prison pour dettes,  réformant les cadres de l’administration, créant des orphelinats, des écoles! Une révolution qui doit tout aux idées des Lumières mais qui paradoxalement est fondée sur une usurpation, un abus de pouvoir, sur l’oeuvre d’un seul donc sur la tyrannie, tout le contraire de la démocratie. Et pourtant Struensee a amorcé une extraordinaire mutation de son pays par des réformes qui  préfigurent la révolution française, et qui, après un retour en arrière lié à la réaction, finiront pas s’imposer.


Owe Hoegh Guldberg  premier ministre du roi Christian VII :  portrait du peintre Jens Juel
Owe Hoegh Guldberg peint par Jens Juel
L’écrivain oppose à Stuensee, une autre personnage Owe Guldberg, son double, qui représente la réaction et le parti des nobles. De petite naissance, arriviste, sans pitié, Guldberg  prendra le pouvoir après Struensee en tenant le roi sous tutelle. Trois personnages masculins s'affrontent mais dont la force est inégale, Struensee trop bon, refusant la violence, le roi à l'esprit troublé, et Guldberg rusé et sans état d'âme. Face à eux la reine est un personnage féminin entier et de caractère.

Caroline-Mathidle,reine du Danemark, épouse de Christina VII , soeur du roi George III d'Angleterre
Caroline-Mathidle, reine du Danemark,  peinte par Jens Juel
Le roman s’appuie sur des témoignages de l’époque, celui de Robert Murray Keith représentant anglais à Copenhague, sur les écrits de Reverdill, professeur d’allemand et de français du roi qui raconte les premières années du jeune Christian sous la férule perverse du comte Reventlow, son tuteur après la mort de ses parents, sur le courrier échangé entre Voltaire et Christian VII gagné lui aussi aux Lumières avant de sombrer dans la folie.  Le roman de Per Olov Enquist tient donc à la fois du documentaire et de la fiction et il est très réussi.


 Per OLov Enquist (1934) a écrit de nombreux romans (Le Cinquième Hiver du magnétiseur, Hess, L'Extradition des Baltes, Le Départ des musiciens...) des pièces de théâtre ( La Nuit des tribades, Pour Phèdre, L'Heure du lynx, Marie Stuart, Selma ) et des livres pour enfants.  Il est journaliste. Il est à l'heure actuelle l'un des plus grands écrivains scandinaves de la littérature contemporaine. Actes Sud

lundi 22 juin 2015

Anne Roipe : L'insaisissable



Paru aux Editions du Sonneur, le titre du roman L’insaisissable désigne le bacille du Choléra! Anne Roiphe s’empare d’un moment de l’histoire de la médecine, quand en 1883, Louis Pasteur envoie trois chercheurs à Alexandrie où sévit le choléra. Emile Roux, Louis Thuillier et Edmond Nocard ont pour mission de découvrir le germe responsable de cette affreuse maladie et si possible de réussir avant Robert Koch, le père de la bactériologie, lui aussi à Alexandrie, déjà célèbre pour avoir découvert le bacille de la tuberculose et celui du charbon.
Une émulation va alors se développer entre les médecins français et le médecin allemand et le lecteur  suivra pas à pas les différente tentatives pour reconnaître au milieu d'autres cet être vivant invisible à l’oeil nu mais terriblement puissant et dévastateur. Nous découvrons les méthodes de recherche, les échecs, les découragements mais aussi les avancées de cette formidable enquête scientifique plus passionnante que n’importe quelle histoire policière et tout aussi meurtrière.
J'ai eu envie de lire ce roman pour prolonger l'intérêt que j'avais éprouvé en lisant Peste et Choléra de Patrick Deville a propos d'un brillant collaborateur de Pasteur, Alexandre Yersin, découvreur du bacille de la peste.
Et pour ceux que rebuterait un tel thème, sachez que, non, on ne s’ennuie jamais en lisant L'insaisissable malgré son aspect documentaire car il s'agit bien d'un roman dont la trame est intéressante et les personnages attachants.

Des personnages imaginaires dans un cadre historique

Alexandrie Fin du XIX siècle
 Autour des personnages historiques des trois savants et de Pasteur, Ann Roiphe crée des personnages imaginaires. Nous suivons, en particulier, Este, une jeune fille intelligente et volontaire, qui va bientôt s'intéresser aux recherches des savants. Elle est la fille de Lydia Malina et du docteur Malina, un juif d’Alexandrie, bien implanté dans sa ville, mais autour duquel se trame un complot politique dans un pays qui est alors sous le contrôle anglais.
Une histoire d’amour impossible mais intelligemment menée naît entre Este et Louis et vient pimenter le récit qui laisse une grande place à Alexandrie, mêlant habilement le passé antique de la cité et l’époque de cette fin du XIX siècle. L’animation du port, les marchandises qui y sont déchargées et répandent la maladie, les odeurs, les couleurs, la saleté sur lequel plane la peur de la mort, la pestilence, les cadavres qui jonchent le sol ou encombrent les hôpitaux donnent un cadre très impressionnant au récit.

Une fois dans la rade, le navire croisa les masses noires des cuirassés rouillés, le pavillon rouge orné de l’étoile et du croissant flottant à leur poupe. Des timoniers barbus, portant des tarbouches, avançaient à la rame entre les grands vaisseaux qui arboraient le drapeau des Etat-Unis d’Amérique ou l’Union Jack….. Quelques felouques appartenant au pacha allaient et venaient; une fioriture turque était peinte sur leur poupe et des caractères arabes dorés, aux hampes allongés, décoraient les casiers qui renfermaient leur roue à aubes.

Le bacille du choléra

Choléra, bacille virgule  ou vibrion cholorae découverte par KOch en 1883
Choléra, bacille virgule

  Anne Roiphe fait du bacille un personnage du roman et pas le moindre! Comme les gens qui y sont exposés, le lecteur ne peut l'oublier et sait qu'une négligence peut être fatale à ceux qui oublient les consignes d'hygiène rigoureuses prescrites par Pasteur. Grâce à l’écrivaine le lecteur est rendu omniscient, il sait ce qu'ignorent les personnages : où se cache le bacille, qui risque de tomber dans le piège ou au contraire en échapper, jeu de hasard où la Mort sort victorieuse. Le style brillant qui prend parfois des accents épiques fait apparaître les désastres de l’Histoire, les armées des grands empereurs, les massacres perpétrés au nom de la religion comme dérisoires par rapport à la bataille victorieuse de l’infiniment petit, de ce vibrio cholerae qui peut se répandre sur le monde entier et faire en un jour plus de morts que les batailles des siècles passés. 

Anonyme, invisible, cet organisme minuscule recourbé et muni d’une queue mobile, flottait dans les fleuves où les grands dieux avaient plongé, dérivait près des rochers sur lesquels les femmes battaient leurs draps, effaçant les souillures laissées  par l’amour et la procréation, par le sang et la salive, par les mucosités, le pus, les taches fécales, les caillots des bronches. Ces êtres n’avaient pas de poésie propre, aucun mythe ne les soutenait en chemin, et pourtant ils prospéraient…

une réflexion sur le processus de la vie

Louis Thuillier bactériologiste

Ce livre est aussi une réflexion sur le processus de la vie, sur cette lutte indispensable et inévitable de tous les êtres pour manger et rester vivants. L’écrivain imagine le questionnement des scientifiques qui, parvenus aux limites de leur savoir, doutent et s’interrogent.

"Il pensait à tous les processus indispensables à la vie;  croquer, mastiquer, mâcher, engloutir, siroter, broyer, griffer, saisir. Nous ne sommes rien de plus que des machines à digérer, se disait Louis, et cette idée le réconfortait. Le puma et la levure diffèrent par leur taille, non par leur comportement. Tous deux dévorent, ouvrent leurs gueules, absorbent, évacuent des déjections et continuent de vivre, car ils agissent de la sorte et mourraient s’ils s’en abstenaient. L’homme procédait de même. Pourquoi les choses étaient-elles ainsi? Louis l’ignorait. Peut-être était-ce Dieu qui avait créé tout ce qui existait et qui avait conçu les organismes vivants afin qu’ils se mangeassent les uns les autres en une ronde masticatoire sans fin. Les humains eux-mêmes n’étaient rien de plus qu’une ressource alimentaire pour les asticots et pour d’autres êtres plus petits encore. (…)  
 Quel organisme se repaissait, se sustentait du choléra? Et qu’en était-il du choléra lui-même qui refusait d’être noyé, qui refusait de périr par le feu? Le choléra était-il la seule créature immortelle qui fût sur Terre?"


Ce livre est aussi un bel hommage à tous les chercheurs du passé ou actuels qui risquent leur vie en se dévouant à la science.




Merci aux Editions du Sonneur ICI et à la librairie Dialogue



samedi 20 juin 2015

Stockholm : Historiska Museet : Le musée historique

Stockholm : Pierre runique du musée d'Histoire : département  Les Vikings
Runes de Historiska museet : Les Vikings

Historiska Museet de Stockholm se dresse dans le quartier résidentiel d'Ostermalm où siègent les ambassades et la radio-télévision.  Le marché couvert Saluhall que j'ai raté est paraît-il à voir! Entouré d'un parc immense où  je n'ai pas eu le temps de mettre le pied, Ostermalm ne compte pas moins de quatre grands musées. Je n'ai vu que que le musée d'histoire.

Ostermalm

Stockholm :  le quai de Strandvägen vu du pont de Djugarden dans le quartier de Ostermalm
Strandvägen vu du pont de Djugarden
Stranvagen avec ses palais des débuts des année 1900  et les voiliers des propriétaires amarrés au quai est une des plus riches artères de Ostermalm

 Historiska Museet

Musée historique de Stockholm : Département Histoire suédoise  le XVIII siècle
Historiska museet : Département Histoire suédoise  le XVIII siècle

Je n'ai visité que deux départements du musée historique de Stockholm qui est très vaste puisqu'il présente sur plusieurs étages le passé de la préhistoire à l'histoire moderne : Les Vikings et L'histoire de la Suède.

Mais d'abord un conseil : peut-être vaut-il mieux prendre un audio-guide en français qui vous permettra d'entrer dans la logique de l'exposition plus facilement. Ce que je n'ai pas fait car je n'aime pas visiter avec des écouteurs sur les oreilles.

 La muséographie est très belle, très recherchée, et toujours conçue avec un discours à la fois pédagogique et ludique en direction des enfants.  Je ne peux qu'être admirative devant la beauté de la présentation et la modernité de l'aménagement de l'espace.

J'ai cependant été un peu déçue par la conception très fragmentaire de l'histoire suédoise liée au fait que l'exposition soit résolument thématique. Et bien qu'un chemin de dates sillonnant le sol est censée vous permettre de vous repérer dans le temps, l'histoire suédoise apparaît tronçonnée, aléatoire : pourquoi mettre en valeur ce souverain plutôt qu'un autre, pourquoi occulter la nouvelle monarchie au XIX siècle (Bernadotte), la guerre au XX siècle? Le commissaire d'exposition revendique son choix mais personnellement je suis restée sur ma faim!

Stockholm : musée historique département histoire suédoise: la datation
Historiska museet : chemin chronologique dans le département de l'histoire suédoise

 Les Vikings

Musée historique de Stockholm :  Pierre runique viking
Pierre runique
Dans une première partie consacrée à la noblesse sont exposés des armes, des épées ciselées, des bijoux et des parures splendides, des ustensiles et des pierres runiques de toute beauté et la reconstitution d'un drakkar. Une vidéo un peu trop basique montre le rôle de la noblesse donc des guerriers vikings.

La deuxième partie est consacrée à Birka, le village au nord-ouest de Stockholm  qui est le berceau de la civilisation viking suédoise. Une maquette permet de voir Birka tel qu'il devait être alors. Le squelette d'une petite fille d'environ six-sept ans retrouvée sur les lieux a permis de reconstituer les traits de la fillette.  Et comme elle était d'une famille d'artisans aisés d'après les objets qui étaient auprès d'elle dans la tombe, on l'a habillée de rouge, cette couleur étant plus coûteuse.  Cette partie rappelle que les vikings n'étaient pas obligatoirement des guerriers mais des paysans, des éleveurs et des artisans. La femme y tenait un grand rôle.
La troisième partie de l'exposition montre  la christianisation de ce peuple avec l'arrivée en 830 du moine bénédictin Anschaire.

Musée historique de Stockholm :  département des Vikings : Birka ; reconstitution  d'une fillette d'après son squelette.
Historiska museet : Une fillette viking

Musée historique de Stockholm :  département des Vikings : Birka ; reconstitution d'un village Viking.
Birka : reconstitution d'un village Viking.