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samedi 27 janvier 2018

Audur Ava Olafsdottir : Ör



Le mot islandais Ör nous dit Audur Ava Olafsdottir « signifie  cicatrices. Le terme s’applique au corps humain mais aussi à un pays, à un paysage malmené par la construction d’un barrage ou d’une guerre.»

Jonas Ebeneser pour sa part a sept cicatrices. La première étant celle de la vie, elle-même. « Nous sommes tous porteurs d’une cicatrice à la naissance : notre nombril »  explique l’auteure. Jonas est un écorché vif de naissance. Tout est blessure pour lui, un oiseau à l’aile cassée, la méchanceté des hommes entre eux, les guerres. Une autre cicatrice, l’abandon de son père. Et puis sa mère Gudrun, professeur de maths, a laissé son esprit aux oubliettes et survit dans une maison de retraite. Son amour Gudrun a trouvé un autre homme et est partie. Sa fille Gudrun-Nymphéa, il l’a appris au moment de la séparation d’avec sa femme, n’est pas de lui. Et le tatouage d’un nymphéa blanc sur la poitrine pour cacher l’une de ses cicatrices ne semble pas remédier à la blessure initiale.
C’est donc un homme qui ne peut guérir. Et c’est dans un pays blessé, un pays qui sort de la guerre, qu’il décide de partir quand il veut se suicider.

Je suis entrée dans le livre d’Audur Ava Olafsdottir avec bonheur. J’aime cette écriture limpide, poétique et intimiste. J’ai retrouvé le goût de cet univers qui parle de personnes sensibles, attentives aux autres.
Pourtant, lorsque le récit s’oriente vers le départ dans un autre pays, j’ai éprouvé de la déception. Il m’a semblé que c’était un poncif  : il y a tellement dans la littérature actuelle de personnages féminins (en général) désespérées qui partent à l’étranger pour y découvrir la guérison voire l’amour ! Et le fait que ce soit un pays qui sorte de la guerre et que Jonas parte, en plus, muni d’une boîte à outils, m’a paru invraisemblable. 
Il y a donc eu un flottement dans ma lecture avant que je ne me rende compte, d’après l’orientation du récit, que oui, bien sûr, c’est invraisemblable mais que le récit est métaphorique, qu’il ne faut pas s’en tenir à une interprétation réaliste comme je le faisais ! Les réparations que Jonas est amené à faire dans ce pays où tout est détruit, où plus rien ne marche, le répare lui-même, panse les blessures, atténue les cicatrices.
Jonas y apprend beaucoup de choses, évidentes mais que l'on oublie trop souvent, que c’est en s’occupant des autres, en agissant qu’il se sentira plus fort, que l’amour paternel et filial (c’est Nymphéa qui le lui dit) ne tient pas à un chromosome mais à l’amour, aux  soins affectueux, au dévouement, au respect, au partage, et à tous les bons et même les  mauvais moments d’une vie commune.

Finalement, malgré ce moment d'hésitation, j'ai aimé ce roman. La pensée d’Audur Ava Olafsdottir est simple, certains diront un peu trop gentille donc simpliste, mais je ne suis pas d'accord. Car l’optimisme, la foi en l’homme et au triomphe de la bonté, sont autant de baumes qui permettent de panser les Ör de notre vie personnelle, la noirceur de la haine, les horreurs des guerres.

vendredi 26 janvier 2018

David Carkeet : Des erreurs ont été commises



Avec ce livre Des erreurs ont été commises de David Carkeet, le troisième de la vie de Jeremy Cook, linguiste misanthrope, je  réitère l’exploit de commencer une série par la fin !  C’est mon truc, semble-t-il ! Bon, et comme avec cet auteur (et ce personnage) on n’est pas dans un style conventionnel ni sur des rails habituels, voilà que je me sens une furieuse envie de lire les bouquins qui l’ont précédé aux éditions Monsieur Toussaint Louverture, le premier qui semble emprunter son titre à Hitchcock Le linguiste était presque parfait, le second Putain de catastrophe dont le titre laisse présager le pire ! 


Des erreurs ont été commises est présenté par l’éditeur comme « un exercice de style oulipien déguisé en comédie sur la crise de la quarantaine. ». Et c’est tout un programme !
Dans ce livre, Jeremy Cook partage la vedette avec Ben Hudnut, le roi des noix, entrepreneur  plein de fric, père de quatre filles, et mari de la jolie Suzan.  Cook fait sa connaissance en allant étudier le langage de la petite dernière de Ben, Molly. N’oublions pas qu’il est linguiste  - bien qu’au chômage - et spécialiste du langage enfantin. Le roman nous fait pénétrer dans la vie des deux couples Ben et Suzan et Jeremy et Laura, tous en pleine crise. Il nous présente aussi le milieu universitaire de Laura, qui enseigne dans une université qu’elle ne trouve pas assez bien pour elle, ambition et mépris des autres vont de pair, coups bas entre collègue, jalousie, chasse aux gentils donateurs. Oui, c’est vrai, cela rappelle David Lodge en plus méchant. Le milieu de Ben, au demeurant, n’est pas exempt de travers ! Le tout  dans un style bourré d’humour et noirement ironique.
 Roman social  si on peut le qualifier ainsi?  Il offre une galerie de portraits réussis. Il présente aussi un tableau des relations humaines assez pessimistes, que cela soit dans le milieu du travail ou entre mari et femme. L’amour se délite, les couples se déchirent, les mesquineries pleuvent.   Roman policier ?  A moment donné il y a une (et même deux)  intrigue que l’on peut dire policière qui arrive par la bande, sans avoir été annoncée, un peu subrepticement, je dirai !  Mais enfin il y a enquête, détournements, fraudes et les voleurs sont punis. J’y ai vu surtout une réponse ironique aux certitudes de Ben Hudnut. Et voilà qui lui apprendra à être condescendant !  

« Qu’est ce que vous entendez par condescendance ?
- Je veux dire prendre quelqu’un de haut en faisant semblant d’être sympathique. Je suis devenue très forte pour détecter ce genre de comportement. »

Et ma foi, la somme de catastrophes qui s’enchaînent et tombent sur la tête de ce pauvre homme, pas plus mauvais patron qu’un autre finalement, bon père et mauvais mari repenti, somme toute plutôt sympathique même si nul n’est parfait, est à la fois méritée et cruelle!  C’est que David  Carkeet a l’art de manier l’ironie et quand il a quelqu’un dans la moulinette et bien… il mouline.
Je me suis bien amusée en lisant ce livre d’un genre indéfini. Il y a des moments d’anthologie comme le discours tenu par Jeremy Cook en pleine séminaire universitaire ou encore son inénarrable entretien d’embauche, ou lorsqu’il essaie de s’abonner au câble et regrette la bonne vieille télévision d’antan, vous savez quand il suffisait simplement d’appuyer sur un bouton. Quant à la misanthropie de Jeremy Cook, elle se se retourne contre lui-même dans un dénouement qui est un point final ironique!

Le livre est agréable à lire. J'en ai aimé l'humour noir et le tableau de la société de certains milieux américains.


Editions Toussaint Louverture

mercredi 24 janvier 2018

Daniel Mendelsohn : Une odyssée, un père, un fils, une épopée (suite et fin)


Lorsque Jay Mendelsohn, âgé de quatre-vingt-un ans, décide de suivre le séminaire que son fils Daniel consacre à l'Odyssée d'Homère, père et fils commencent un périple de grande ampleur. Ils s'affrontent dans la salle de classe, puis se découvrent pendant les dix jours d'une croisière thématique sur les traces d'Ulysse.
À la fascinante exploration de l'Odyssée d'Homère fait écho le récit merveilleux de la redécouverte mutuelle d'un fils et d'un père. (résumé de l'éditeur Flammarion)

Je vous ai présenté deux passages du livre de Daniel Mendelsohn au fur et à mesure que je le lisais tant ce livre soulevait mon enthousiasme et me donnait envie de tout partager avec vous ! voir Texte 1 ICI et Texte 2 ICI

Laerte de Jean Styka (source)

L’Odyssée d’Homère est l’histoire du retour d’Ulysse à la fin de la guerre de Troie et de son long et douloureux voyage à travers la Méditerranée pour rejoindre son royaume, Ithaque, et sa famille. Mais, nous dit Daniel Mendelsohn, c’est aussi et avant tout l’histoire d’un père et d’un fils, d’Ulysse et de son fils Télémaque, d’Ulysse et de son père Laerte. Le poème antique commence d’ailleurs par la recherche de son père par Télémaque (La Télémachie) et finit par les retrouvailles d’Ulysse avec son père Laerte .

C’est ce qu’explique le sous-titre de ce livre : Une odyssée, un père, un fils, une épopée.
Dans ce titre, on le voit, le déterminant défini est remplacé par l’indéfini « une ». Il nous avertit que l’auteur va nous donner son interprétation de L’Odyssée (telle qu’il l’a reçue lui-même de ses mentors; il pourrait y en avoir d’autres) mais aussi qu’il va nous en conter une autre : celle d’un fils Daniel et de son père Jay.

Et ce sont bien là les trois fils conducteurs du récit, ceux que j’ai suivis avec passion : 

L’analyse de l’Odyssée  m’a appris tant de choses que je ne savais pas sur cette oeuvre qui m’a pourtant accompagnée depuis l’enfance, des récits mythologiques à la lecture renouvelée de l’Odyssé.  En français. C’est pourquoi le cours du professeur helléniste qui nous fait entrer dans le récit par le biais de la langue grecque est si enrichissant.

L’enseignement, est le thème en filigrane, toujours présent du présent au passé, celui de la transmission des savoirs mais aussi des valeurs quand il s’agit du père et du fils. Nous assistons donc au cours du professeur Mendelsohn, à la maïeutique qu’il met en place auprès de ses étudiants, à leurs réactions judicieuses et à celles du père qui introduisent l’humour dans le récit. Interventions toujours parfaitement intelligentes et qui révèlent son caractère et ses principes moraux.  Et là, on s’aperçoit que le fils malgré les reproches qu’il fait à son père, n’est pas si éloigné de lui et a intégré certains de ses principes et de ses craintes : l’amour d’un travail rigoureux et la recherche de la difficulté, par exemple, ou la peur de l'échec.

Les relations père / fils, le présent et le passé se mêlent, les souvenirs remontent à la mémoire, souvent grinçants, voire douloureux, mais finalement pleins d’humanité entre le fils et le père.

J’ai aussi admiré comment tout en nous expliquant la composition circulaire de L’Odyssée, Daniel Mendelsohn appliquait à son propre texte les mêmes principes. Cette construction laisse le récit en suspens pour des rétrospectives qui après bien des détours dans les strates plus ou moins éloignées du passé, nous ramènent au moment présent.

« Si, à première vue, elle peut s’apparenter à une digression, la composition circulaire constitue en fait une technique efficace pour intégrer à une même histoire le passé, les présent, et parfois même l’avenir, puisque certaines « spirales » se déroulent vers l’avant, anticipant des évènements qui se produiront après la conclusion du récit principal. De cette manière, un seul récit, voir un seul moment, peut contenir toute la biographie d’un personnage ».

Ulysse rencontre sa mère  Anticlée aux Enfers

Voici un livre coup de coeur, un livre tout à la fois savant et proche de nous. On y glane une foule de connaissances qui nous amène à une relecture différente de l’Odyssée mais aussi nous pousse à réfléchir sur les relations parents et enfants.
Au-delà de l’histoire de Jay et Daniel, nous nous interrogeons :  Avons-nous, nous-mêmes, compris qui étaient vraiment nos parents ?  Avons-nous même fait l’effort d’essayer ? Et quelle est l’image que nous laisserons à nos enfants ? Ce n’est qu’après la mort de Jay que Daniel mène une enquête pour éclairer certains moments de sa vie ! On pense alors à la scène où Ulysse retrouve aux Enfers Anticlée, sa mère morte, elle qui était encore vivante au moment de son départ et qu’il cherche par trois fois à l’étreindre. Mais en vain. Il est trop tard, il ne s’agit plus que d’une ombre.
 Je vous l’ai dit, ce livre est très riche et nous parle de beaucoup de choses et en particulier d’amour.


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mardi 23 janvier 2018

Daniel Mendelsohn : Une odyssée, un père, un fils, un épopée (citation 2)

Sir William Russell Flint (1880-1969)

Ulysse et Calypso (source)

Lorsque Jay Mendelsohn, âgé de quatre-vingt-un ans, décide de suivre le séminaire que son fils Daniel consacre à l'Odyssée d'Homère, père et fils commencent un périple de grande ampleur. Ils s'affrontent dans la salle de classe, puis se découvrent pendant les dix jours d'une croisière thématique sur les traces d'Ulysse. (Voir Citation 1)

À la fascinante exploration de l'Odyssée d'Homère fait écho le récit merveilleux de la redécouverte mutuelle d'un fils et d'un père. (résumé de l'éditeur Flammarion)

Dans le billet précédent consacré à un passage du texte (citation 1) où le père de Daniel Mendelsohn contestait à Ulysse son titre de héros en s'opposant à son fils, professeur d'université, je vous ai dit que l'essai Une odyssée, un père, un fils, un épopée, était passionnant, érudit et touchant. J'entendais par ce dernier qualificatif qu'il passait beaucoup d'émotion dans ce texte. Car le livre à travers cette analyse savante et si agréable de l'oeuvre d'Homère, est aussi un moyen de parler des rapports que nous avons avec nos parents.
Ici un père intransigeant, sévère, plein de principes, et un enfant en révolte, deux êtres que ne se sont jamais sentis proches. Ils vont finalement se retrouver et même plus, se découvrir, à l'âge adulte, au cours d'une croisière qu'ils feront sur les traces de l'Odyssée à la fin du séminaire.
Une telle expérience n'est pas donnée à tout le monde. Nos parents disparaissent parfois sans que nous ayons eu ce moment privilégié où le masque de l'adulte tombe, où les reproches voire les rancoeurs liées à l'enfance disparaissent et où il ne reste plus que l'amour.

Voici un extrait de ce beau texte p 235

La croisière entreprise par nos deux personnages les amènent jusqu'à l'île de Gozo qui appartient à l'archipel maltais. C'est là que se situe la grotte de Calypso. Daniel, claustrophobe, a une crise de panique et refuse de s'enfoncer dans la cavité malgré les exhortations de son père .

"Alors mon père a fait une chose qui m'a sidéré. Il a tendu le bras et m'a pris par la main. Je l'ai regardé faire et j'ai éclaté de rire. Papa, voyons!
Tout ira bien, me rassura-t-il en me serrant légèrement la main, chose que, autant que je me souvienne, il n'avait plus faite depuis l'époque où j'étais petit garçon. Sa main à lui était légère, sèche et fine. Je la fixai, gêné.
Je serai là avec toi, à chaque pas, promit mon père. Et si tu ne supportes pas, nous sortirons.
J'observai nos mains liées l'une à l'autre et, contre tout attente, je dus avouer que cela me faisait du bien. Je m'assurai que personne alentour ne nous regardait mais je compris alors, avec un sentiment confus de soulagement, que si jamais quelqu'un nous voyait, il s'imaginerait que c'était moi qui guidais mon père en le tenant par la main. C'était pour lui, après tout, qu'il existait un un risque réel; c'est lui qui avait la hantise de tomber.
C'est ainsi que j'ai visité la grotte de Calypso avec mon père qui me tenait la main."

 A demain pour le dernier billet sur ce livre !

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lundi 22 janvier 2018

Asa Larsson : Le sang versé




Le  sang versé de Asa Larsson est second livre relatif au cycle de Rebecka Martisson, la jeune avocate de Stockholm, née à Kiruna (comme l’auteure ) en Laponie suédoise.

Après la fin terrible du premier roman Horreur boréale, Rebecka essaie de reprendre son travail d’avocate mais une sévère dépression nerveuse l’empêche d’être performante. Un collègue lui prête sa maison non loin de Kiruna, dans un petit village à 145km du cercle polaire. Elle part là-bas pour se reposer et essayer de retrouver le goût de vivre.
Hélas ! L’assassinat d’une femme pasteur que l’on a retrouvée pendue à l’orgue de l’église provoque un climat délétère. Et la pauvre Rebecka se retrouve à son corps défendant au milieu de l'enquête !

Alors là, je me suis dit : Décidément Asa Larsson a quelque chose contre les pasteurs sinon comment expliquer qu’elle les trucide d’un livre à l’autre et qu’elle brosse de ces religieux une peinture aussi critique et acide ! Je vois dans la postface que je ne suis pas la seule à avoir pensé cela ! Sa famille, son oncle vicaire à la retraite, sa tante laestadienne, la branche la plus conservatrice, la plus austère et rigide du protestantisme, s’en sont émus et lui ont fait promettre de ne plus tuer de pasteurs dans ses livres. Tant mieux parce que c'est un peu fastidieux cette hécatombe de pasteurs !

Mais à mon avis, elle a un compte à régler ! Car le tableau qu’elle dresse du collègue de la victime et de son vicaire est plus que critique. Et oui, même si l’on est pasteur, on peut-être machiste, antiféministe et ne pas supporter qu’une femme vous concurrence ! Malgré tout l'on ne peut s'empêcher de penser que les protestants sont en avance sur les catholiques et moins misogynes car ce n'est pas demain la vieille qu'il y aura de femmes curés  !
 On peut aussi tremper dans des combines louches et détourner l’argent commun à des fins privés. Quant à la femme pasteur, féministe, elle a des aspects bien sympathiques et l’on comprend pourquoi elle se met à dos tous les machos de la ville mais, en même temps, l’importance qu’elle a dans la vie quotidienne des gens m’effraie. Que le poids de la religion puisse être si pesant  dans ce pays-là m’étouffe ! Je n’aurai pas l’impression de liberté si je devais vivre ainsi.
Enfin,  la critique de la chasse et des chasseurs n’est pas mal non plus !

Ce que j'en pense ? A mon avis le livre n'est pas parfait. L’équilibre entre l’histoire policière et la vie de Rebecka, l’analyse des personnages et de la société, n’est pas encore trouvé. L’enquête traîne en longueur mais le personnage de Rebecka s’étoffe, celui de Sivving aussi. On voit apparaître pour la première fois un personnage qui va devenir important par la suite, le policier maître-chien Krister. 
A la fin quand on apprend ce qui arrive à Rebecka on est inquiet pour elle ! Mais nous répond Asa Larsson  : « Rebecka Martinsson va s’en remettre. J’ai foi en cette petite fille avec ses bottes en caoutchouc rouge. Et puis n’oubliez pas : dans mon histoire, c’est moi qui suis Dieu. »
Moralité ? Il me reste à lire le troisième La Piste noire et le quatrième Tant que dure ta colère. A bientôt !



dimanche 21 janvier 2018

Asa Larsson : Horreur boréale


J’ai commencé ma lecture de la série policière d’Asa Larsson par le cinquième volume En sacrifice à Moloch  et me suis intéressée au personnage principal récurrent, l’avocate fiscaliste Rebecka Martinson. Je me suis donc promis de lire les quatre premiers. Voilà qui est presque  fait, du moins pour deux d’entre eux.

Horreur boréale est le premier. On y rencontre Rebecka qui est avocate fiscaliste à Stockholm, carrière brillante mais qui ne semble pas la combler, de même qu’elle n’aime pas trop son patron Mans Wenngren.
Rebecka  reçoit un appel au secours d’une amie d’enfance, Sanna, mère de deux petits filles, dont le frère, pasteur, vient d’être savamment assassinée à Kiruna, une petite ville de la Laponie suédoise. C'est là que Rebecka est née et qu’elle a vécu avec sa grand-mère maintenant disparue dans un chalet, une enfance dont elle se souvient avec nostalgie. Rebecka prend un congé au grand dam de son patron et va rejoindre Sanna. C’est le début d’une dangereuse enquête - qu’elle mène pour sauver son amie accusée à tort- mais qui se terminera tragiquement.

J’ai trouvé que l’intrigue patinait un peu car l’écrivaine semble plus intéressée par ses personnages que par l’enquête policière proprement dite et je me suis un peu ennuyée au début. Mais j'avais envie d'en savoir plus sur Rebecka et sur son pays.
L’histoire  se déroule en sept jours d’hiver, dans la neige et sous un ciel couronné par les aurores boréales. Le temps qu’il a fallu pour créer le monde. Rappel biblique qui nous replace dans cette petite ville protestante dont les pasteurs représentants de différentes églises forment une communauté religieuse. En Laponie suédoise ils sont encore très puissants.
 Asa Larsson a l’art d’analyser les relations complexes entre les êtres, l’amitié-répulsion entre Sanna et Rebecka, l'art aussi de peindre les non-dits, les jalousies, les rapports de domination, les mesquineries et les malhonnêtetés et hypocrisies qui règnent au sein de la communauté religieuse. Un tableau peu reluisant !

 On y découvre des personnages qui vont l’accompagner tout au long de ces volumes, Anna Maria la policière chargée de l’enquête et son adjoint Sven-Erik, le voisin de la grand-mère de Rebecka, le vieux Sivving et ses chiens.
Malgré ses longueurs, j’ai fini par m'intéresser à ce roman mais pas autant que En sacrifice à Moloch.
Le livre a obtenu le prix du premier roman policier suédois en 2003.

A bientôt pour le deuxième volume "Le sang versé"


samedi 20 janvier 2018

Maranke Rinck et Martijn Van der Linden : Chatangram


La particularité de ce livre Chatangram de Maranke Rinck et Martijn Van der Linden est qu’il contient  un tangram,  puzzle chinois qui consiste en sept pièces en carton,  pour raconter une histoire.  Seulement sept pièces, oui ! Mais c’est fou tout ce que l’on peut faire avec ! Le narrateur, un petit garçon, crée un chat, et puis un poisson pour le nourrir , une maison pour l’abriter, un  chien qui le fait fuir, un crocodile pour faire fuir le chien et.. et.. Je ne vous raconte pas tout mais sachez que l’histoire ne finira que lorsque le narrateur deviendra lui aussi personnage du livre sous la forme d’un Tangram.



 Les pièces assemblées du tangram laissent place chaque fois à l’illustration qui parle à l’imagination de l’enfant.


Un génial petit Album qui  a beaucoup plu à ma petite-fille Apolline (7ans1/2). Il mêle jeu et  récit pour le plus grand plaisir des enfants et des grands !
Oui, j’y ai joué avec Apolline qui a aimé suivre le récit tout en construisant les formes proposées (il y en a beaucoup surtout pour les oiseaux).



 Mais on peut continuer au-delà et chercher à créer d’autres personnages et une autre histoire. C’est ce que nous allons essayer de faire avec Apolline à notre prochaine rencontre.
 A partir de 5 ans.


Merci à  la Librairie Dialogues, Dialogues croisés  et l'édition Kaléidoscope.




mercredi 17 janvier 2018

Daniel Mendhelsohn : Une Odyssée, Un père, un fils, une épopée (citation 1)

Mosaïque : Ulysse et les sirènes (musée de Tunis)
Lorsque Jay Mendelsohn, âgé de quatre-vingt-un ans, décide de suivre le séminaire que son fils Daniel consacre à l'Odyssée d'Homère, père et fils commencent un périple de grande ampleur. Ils s'affrontent dans la salle de classe, puis se découvrent pendant les dix jours d'une croisière thématique sur les traces d'Ulysse.
À la fascinante exploration de l'Odyssée d'Homère fait écho le récit merveilleux de la redécouverte mutuelle d'un fils et d'un père. (résumé de l'éditeur Flammarion)
 


Je suis en train de lire  Une Odyssée, Un père, un fils, une épopée de Daniel Mendhelsohn.  Pendant ma lecture et avant de rédiger un billet sur ce livre passionnant, érudit, et touchant, je vous inviterai à lire quelques extraits du livre, ceci afin de vous mettre un peu l'eau à la bouche.
J'ai choisi aujourd'hui un passage plein d'humour qui éclaire les relations du père et du fils et qui apporte aussi une réflexion intéressante sur l'oeuvre d'Homère.

Le père, Jay Mendhelsohn assiste donc au premier cours de son  fils qui porte sur le chant I et sur le proème de l'Odyssée, le proème c'est à dire "les vers liminaires qui annoncent au lecteur le sujet de l'oeuvre - le cadre de l'action, l'identité des personnages, la nature des thèmes."

Voilà comment réagit le père quand son fils qualifie Ulysse de héros.

Buste grec ancien d'Odysseus, Ulysse

"Ce fut à ce moment-là que mon père leva la tête et dit, "Un Héros? Moi je trouve qu'il n'a rien d'un héros.
 (...)
Très bien répondis-je à mon père.  Et qu'est-ce qui te fait dire qu'il n'a rien d'un héros?

Eh bien reprit-il. Vingt ans plus tôt il est parti combattre à la guerre de Troie, non ? Et à ce que l'on sache il dirigeait l'armée du royaume...

En effet... Le chant II de l'Iliade énumère toutes les armées grecques qui ont convergé vers Troie. Et il est dit qu'Ulysse a levé l'ancre avec un contingent de douze navires.

Justement, répliqua triomphalement mon père. Cela représente plusieurs centaines de soldats. Et donc ma question est : où sont passés ces douze navires et leurs hommes de bord ? Comment se fait-il qu'il soit le seul à rentrer chez lui vivant ?

En fait c'est une bonne question, dis-je (...) Si vous avez lu le proème, vous vous souviendrez qu'il qualifie les marins d'"insensés" qui ont péri "par leur folle témérité". A mesure que nous avancerons dans le poème, nous en apprendrons davantage sur les évènements qui ont causé la mort de ces hommes, des groupes différents, à différents moments. Et alors vous me direz si vous pensez que c'est vraiment par leur folle témérité qu'ils sont morts.

Mon père grimaça, l'air de dire qu'il se serait mieux débrouillé qu'Ulysse et que lui aurait ramené sans encombre ses douze navires et leur équipage. Donc, tu admets qu'il a perdu tous ses hommes ?

Oui, répondis-je sur la défensive. J'avais l'impression d'avoir onze ans, qu'Ulysse était un camarade de classe qui avait fait une bêtise et que j'avais décidé de le défendre, quitte à être puni avec lui. (...)
Il n'était visiblement pas convaincu.

Les boeufs du Soleil
Le professeur continue son explication :

"Si on y réfléchit bien, il doit absolument être le seul à rentrer.
Je mesurai mon petit effet, laissai planer un instant de suspens, et repris : Si Ulysse est le seul à être toujours debout, alors?...

Trisha (une étudiante) leva le nez de son cahier. Alors il devient le héros de l'histoire.

Exactement. Elle est vive cette petite, me dis-je.
Imaginez... A quoi ressemblerait l'Odyssée s'il était rentré avec une douzaine d'hommes, ou cinq, ou même un seul ? ça ne marcherait pas. Pour être le héros d'une épopée, il faut se débarrasser de la concurrence, pour ainsi dire !

Mon père revint à la charge. Et bien moi, je ne trouve pas qu'il ait grand chose d'un héros. Il prit à témoins les étudiants. Un chef qui perd tous ses hommes ? Vous parlez d'un héros!

Les étudiants éclatèrent de rire (...) Pour leur montrer que j'étais bon joueur, je fis un grand sourire.

Mais intérieurement, je bouillonnais. Ca va être l'horreur ce cours ! "

 


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mardi 16 janvier 2018

Clare Mackintosh : Te laisser partir


"Un soir de pluie à Bristol, un petit garçon est renversé par un chauffard qui prend la fuite. L’enquête démarre, mais atteint rapidement son point mort. Le capitaine Ray Stevens et son équipe n’ont aucune piste. Rien. Après cette nuit tragique, Jenna a tout quitté et trouvé refuge au pays de Galles, dans un cottage battu par les vents. 
Mais plus d’un an après les faits, Kate, une inspectrice de la criminelle, rouvre le dossier du délit de fuite. Et si l’instant qui a détruit tant de vies n’était pas le fait du hasard ?" résumé de l'éditeur

Le premier livre de Clare Mackintosh a connu un immense succès en Angleterre et obtenu le Prix du meilleur roman international au festival Polar de Cognac 2016.
 

J’ai choisi  le livre Te laisser partir de Clare Mackintosh parce qu’il se passait à Bristol, une ville que je connais bien ! En dehors de cette anecdote, j’ai été rapidement pris par l’ambiance du roman, par le suspense qui reste entier tout au long du récit.
Pas un seul instant la tension ne se relâche et lorsque Jenna part pour le Pays de Galles, on pourrait penser que le spectacle de l’océan, la beauté des falaises, l’amitié et peut-être l’amour qu’elle rencontre pourrait lui apporter un peu d’apaisement. Il n’en est rien. Il règne un mystère autour d’elle, un danger la menace.

Il ne s’agit pas ici d’un roman policier social mais d’un suspense très bien fait qui nous tient en haleine. Un coup de théâtre très réussi que, bien sûr, je ne vous révélerai pas, remet en cause toutes nos certitudes.
Un roman qui se lit facilement et que l’on ne peut quitter tant qu’on n’a pas atteint la dernière page !


lundi 15 janvier 2018

Miguel Bonnefoy : Sucre noir



 Le roman Sucre noir de Miguel Bonnefoy débute par une vision fantastique, celle d’un trois-mâts naufragé planté sur la cime des arbres au milieu de la forêt d'une île des Caraïbes. Ce premier chapitre a une force surréaliste tant par la description de la forêt « navirophage » qui va émietter le bateau, en disperser toutes les richesses, faire un sort à son équipage que par les personnages que campe Miguel Bonnefoy. 

Le capitaine Henry Morgan, en particulier, célèbre corsaire qui fut gouverneur de l’île de la Jamaïque au XVII siècle, apparaît ici, moribond, boursoufflé par l’alcool, accroché à son or qu’il va emporter dans la mort. Récit romanesque qui malmène un peu l’histoire puisque Henry Morgan est mort d’alcoolisme, certes, mais dans son lit. Peu importe, la légende est née. Et le trésor des pirates avalé par la forêt tropicale va devenir le rêve des chercheurs  de trésor. 

Trois siècles après, le premier d’entre eux est Severo Bracamonte qui devra déchanter dans sa quête mais épousera, par contre, Serena Otero. Celle-ci, héritière de la plantation de cannes à sucre de ses parents, braves gens qui avaient accueilli et encouragé le jeune homme, est une jeune femme singulière, altière, éprise de liberté. C’est aussi un personnage fort du roman.

Dès lors c’est à travers ce couple et leur fille adoptive Eva Fuego trouvée dans un champ de cannes en feu que nous allons suivre, les grandeurs et les décadences de la famille et leur île. Surtout après la découverte dans la plantation d’un puits de pétrole.

Migule Bonnefoy (source Babelio

Rien n'est aussi fort dans la suite du roman que ce remarquable premier chapitre mais j’ai aimé dans l'ensemble la plume de Miguel Bonnefoy, luxuriante comme les forêts qu’il décrit, riche et épicée comme les personnages qu’il peint. Et puis, il y a ce sentiment d’être ailleurs, non plus dans le réel mais dans un monde particulier, dans le réalisme magique des auteurs d'Amérique du Sud. Miguel Bonnefoy, rappelons-le est français, il est né à Paris, mais vénézuélien par sa mère, chilien par son père.

Tout de suite je me suis sentie en présence non d'un roman mais d'une fable, en train d’en chercher le sens caché, le secret de lecture.

Ainsi, lorsque Severo Bracamonte, personnage sympathique au demeurant, cherche le trésor, il déterre d’abord, au cours de ses fouilles, une statue de Diane. Puis, il découvre l’amour de Serena qui va remplir sa vie. Le seul vrai trésor de l’homme est donc l’amour; tout le reste n’est que faux-semblant comme la statue qui est porteuse de mort.

C’est au moment où le deuxième chercheur, l’Andalou, arrive dans le domaine, que Serena reçoit son second trésor : La petite fille Eva Fuego abandonnée dans le champ de cannes.

Enfin, quand Eva Fuego trouve un puits de pétrole dans son domaine et devient propriétaire d’une immense fortune, elle qui n’aime personne,  est précipitée dans le malheur et la ruine.
Une fable, donc, qui nous dit que la richesse n’est pas là où l'on croit la trouver mais dans l’amour et la nature.

Je suppose que ce n’est qu’une interprétation parmi d’autres. J’ai lu dans un article du journal l’Humanité une explication économique très intéressante. Voir ICI

Une interprétation de Sophie Jourbet dans l’Humanité
Roman. Le goût amer du sucre noir ICI

« Dans la veine du réalisme magique, le Franco-Vénézuélien Miguel Bonnefoy signe une épopée miniature qui se collette, sous une apparente légèreté, avec les problèmes économiques actuels du Venezuela. Ce pays, qui compte les réserves pétrolières les plus importantes du monde, a subi de plein fouet l’effondrement des cours de l’or noir. Comme Eva Fuego, brûlée et desséchée à force d’avoir trop cherché de l’or, le pays serait-il un vieillard qui meurt avec ses chimères, faute d’avoir su exploiter ses véritables richesses ? C’est la question que pose ce conte en Technicolor, qui dégage, à chaque page, une puissante odeur de sucre et de rhum.

dimanche 14 janvier 2018

Je lis donc je suis


Vincent Van Gogh : La lectrice

Aifelle l'a fait (ICI), Nathalie aussi (ICI) ! A mon tour ! le petit jeu sur les titres lus au cours de l'année. Et comme Aifelle, je précise que vos n'avez pas à vous inquiéter de mes états d'âme même si certains titres sont lugubres !

Décris où tu vis actuellement : Je t’écris du Gévaudan, ma Lozère

Si tu pouvais aller où tu veux, où irais-tu ?  Le Pays qui n’est pas ou La Forêt en Sibérie

Ton moyen de transport préféré : Dans une coque de noix 

Ton/ta meilleur(e) ami(e) est ? Un vénitien anonyme

Toi et tes amies, vous êtes ?  Les reines pourpres

Comment est le temps ? Nuit de printemps

Quel est ton moment préféré de la journée ? Avant que les ombres s'effaçent

Qu'est la vie pour toi ?  Une patience d’ange

Ta peur ? Une histoire des loups

Quel est le conseil que tu as à donner ? Pour me consoler de la mort, j’ai le rêve

La pensée du jour : Tout de la nuit est sans nom

Comment aimerais-tu mourir ? La mort en Arabie

Les conditions actuelles de ton âme ? Dans l’ombre

Ton rêve ? Seule Venise

samedi 13 janvier 2018

Anna Hope La salle bal


Dans La salle de bal, Anna Hope prend pour point de départ de sa fiction un cadre bien réel, celui de l’asile de Mentson, dans le Yorkshire, bâtiment ouvert en 1888, établissement psychiatrique pour les aliénés indigents. Ainsi, la salle de bal qui donne son titre au roman a bien existé.
Anna Hope écrit ce livre en hommage à son trisaïeul qui y a été interné à partir de 1909 à la suite d’une longue vie de travail, de privations et de malnutrition. Elle s’emploie donc à peindre un tableau véridique de la psychiatrie et de l’internement au début du XX siècle, tout en s’accordant le droit de créer des personnages imaginaires. C’est pourquoi elle rebaptise l’asile de Mentson du nom de Sharston.

La salle de bal de l'asile de Mentson
La prise en charge des malades et l’étude de la psychiatrie avait déjà évolué par rapport au XIX siècle. Que la musique et la danse puissent être considérées comme une thérapie en 1911, date à laquelle commence le récit, représente un bond en avant. Mais les méthodes violentes n’ont pas cessé et les soins aux malades ne sont basés que sur des rapports de force, punition ou récompense.
De plus, l’on est vite interné à cette époque si l’on est indigent, ouvrier et que l’on trouble l’ordre public. Etre une femme n’est pas un atout non plus, surtout pour celles qui refusent d’entrer dans un moule.

Le récit laisse tour à tour la parole à trois personnages. Le point de vue alterne donc et les autres personnages sont vus à travers ces trois personnalités :

Ella, le personnage principal combine toutes les déficiences : Femme, pauvre, elle est irlandaise ( c’est aussi une tare en Angleterre)! Ouvrière, elle est épuisée physiquement et moralement par un travail d’esclave dans la filature où les fenêtres sont obturées pour éviter toute distraction. Aussi lorsqu’elle casse les vitres pour laisser entrer la lumière, elle est enfermée à l’asile. C’est à travers son regard que nous verrons son amie, Clem, jeune fille d’un milieu social plus aisé, cultivée. Clem qui aime lire (encore une faute pour une femme) est enfermée parce qu’elle refuse le mariage voulu par son père et ne veut pas du sort réservé aux femmes dans sa classe sociale.

« Contrairement à la musique, il a été démontré que la lecture pratiquée avec excès était dangereuse pour l’esprit féminin… si un peu de lecture légère ne porte pas à conséquence, en revanche une dépression nerveuse s’ensuit quand la femme va à l’encontre de sa nature. »

John, lui aussi irlandais, est jugé fou après le décès de son enfant suivi de la séparation avec sa femme. La dépression n’était pas encore reconnue comme telle. John est un poète qui s’ignore; il écrit des lettres à Ella qui introduisent la poésie et la nature dans le roman et dans la vie de la jeune fille.  Ainsi à propos des hirondelles  :

"Elles me font penser à la liberté. Mais aussi à chez moi. Elles me mettent dans la tête ma maison qui était dans l'ouest de l'Irlande qui est rocheuse et pleine de mer grise et de ciel gris. Mais parfois la terre a aussi là-bas une grande douceur et une grande verdure.
Il y a quelque chose chez ces oiseaux qui me fait penser à vous (...) Quelque chose de petit et sauvage. Quelque chose fait pour voler. "          
Face à ces deux patients, l’un des médecins occupent une place primordiale.

Charles : psychiatre attiré par l’eugénisme est le personnage le plus ambigu. Musicien, il croit à la musique comme moyen de guérir ses malades, du moins ceux qui sortent du lot. Ambitieux, il rêve de gloire et il cherche à attirer l’attention des partisans de l’eugénisme et de la stérilisation des indigents, très à la mode en ce début du siècle dans la haute société anglaise, en particulier au gouvernement dont fait partie Winston Churchill. Charles se venge de son échec et il hait, de plus, ceux qui lui révèlent ses tendances homosexuelles qu’il vit comme une honte.

Dans cet univers carcéral où l’on exploite férocement le travail des malades, l’on comprend l’attrait que peut exercer la salle de bal. C’est dans ce lieu que va naître l’amour de Ella et de John mais l’on se doute que le couple rencontrera obstacles et dangers.

La salle de bal, tout en présentant des faits historiques passionnants, bien souvent peu connus des anglais eux-mêmes comme le rôle de Churchill, nous tient en haleine tant nous sommes en empathie avec ces victimes d’une société masculine, dominante, hiérarchisée et inhumaine. Une lecture qui fait frissonner, une réflexion sur la façon dont la folie a été exploitée par les classes dominantes afin d'éliminer ceux qui les gênent. D’où l’idée de limiter les naissances par la ségrégation ou la castration afin d'éviter la dégénescence de la race et la surpopulation. Cela pourrait être un sujet de roman noir ou gothique si ce n’était la vérité historique. Voilà qui rappelle aussi les idéologies nazies. Ainsi le discours de  Leonard Darwin, un des fils de Charles Darwin :

"Notre tâche... en vérité à la société eugénique, est d'étudier toutes les méthodes possibles pour empêcher la décadence de la nation...
Il est notable, poursuivit Darwin, que les sections de la communauté qui parviennent le moins à gagner décemment leur vie se reproduisent plus rapidement que les bénéficiaires de salaires les plus élevés; et, en second lieu, qu'une proportion de cette strate la plus pauvre s'en extrait ou s'y enfonce à cause de quelque force ou faiblesse innée de l'esprit ou de leur corps, avec pour résultat que les membres de cette classe mal payée ont en moyenne, et de façon inhérente, moins de capacités que les mieux payés."

Le récit est très bien mené et va crescendo, maintenant un suspense dramatique jusqu’à la fin, une tension qui ne retombe qu’au dénouement lui-même plein de mélancolie. Un bon roman, bien écrit, avec des moments de poésie et d'émotions !

Voir ici mots pour mots

jeudi 11 janvier 2018

Pénelope Jossen : Bucéphale



Bucéphale de Pénélope Jossen paru aux éditions L’école des Loisirs, conte la rencontre du jeune Alexandre et du cheval Bucéphale. Une histoire adaptée aux enfants entre 5 et 7 ans.
Le récit de la jeunesse d'Alexandre et de son amitié avec son cheval est raconté par Plutarque dans la Vie d’Alexandre et dans le Roman d’Alexandre de Pseudo-Callisthène.

Pénélope Jossen : Bucéphale a peur de son ombre

Bucéphale acheté par le roi Philippe de Macédoine, le père d’Alexandre, est indomptable. Il n’accepte aucun cavalier sur son dos. Le jeune Alexandre s’aperçoit que le cheval a peur de son ombre. Il obtient la permission de le monter et place Bucéphale face au soleil de manière à ce qu’il ne voit plus son ombre. L’étalon rassuré laisse monter l’enfant sur son dos. C’est le début d’une longue histoire d’amour entre l’animal et son maître.


Le texte simple, direct, raconté au présent, est facilement accessible aux jeunes enfants. Ceux qui adorent les chevaux se sentiront directement concernés, comblés par l'histoire elle-même. Les autres  comme ma petite fille 71/2 ans ont besoin de plus d’explications. Est-ce que l’histoire est vraie ? Bucéphale a-t-il réellement existé ? Qui est Alexandre Le Grand ?  J’avoue que j’avais prévu  les questions sur Alexandre le Grand mais pas celles qui m’ont été posées. J'ai eu tout faux !

Quand est mort Bucéphale ? Où ? Pourquoi ? Est-ce qu’il est mort avant Alexandre ou après ? Et s'ils est mort avant, est ce qu'Alexandre a pleuré ?  Etait-il réellement gris comme dans le livre ?

Depuis j’ai réparé mes lacunes en me documentant mais j’ai aimé cette conversation intéressante, preuve que le livre fonctionne bien. La discussion a aussi porté sur les qualités d’Alexandre, le courage, l’observation, la patience et sur les illustrations. Appoline les aime parce qu’elles sont vives et « cool».

Pénéloppe Jossen : Alexandre monte Bucéphale

Quant à moi, la grand-mère, j’aime beaucoup le format carré du livre et le contraste de ce fond jaune taché de rouge qui évoque le soleil de la Grèce, toujours présent dans l’image. Il contraste avec la couleur gris noir de Bucéphale. Les grandes étendues blanches sur lesquelles galopent Bucéphale et son cavalier semblent éclaboussées de lumière et en mouvement comme pour montrer l’avenir de celui qui conquerra une grande partie du monde. La silhouette du cheval qui se déploie sur deux pages me rappellent les dessins des grottes de Lascaux, silhouette un peu déformée par le support et qui vient d’un passé lointain.

Pénélope Jossen : Bucéphale

Bucéphale, par son format et  ses couleurs primaires, crues, étincelantes, son récit historique mis à la portée des petits,  sort vraiment de l’ordinaire et mérite d'être découvert.

Quelques petits renseignements aux parents qui liraient ce billet ( et si vous voulez en savoir plus, allez lire le mémoire de Emilie Glanowsky  : ICI 

Alexandre chevauchant Bucéphale à la bataille d'Issos, mosaïque de la Maison du Faune à Pompéi

Bucéphale : le mot vient du grec et signifie Tête de boeuf ! Pourquoi ? De nombreuses hyptohèses ont été émises. Je ne les retiens pas toutes ! 

Le cheval aurait une liste blanche sur le chanfrein qui aurait la forme d’une tête de boeuf.

Des cornes auraient poussé sur la tête du cheval marquant son origine magique et divine.

Il aurait été marqué au fer rouge, une marque en forme de tête de boeuf.

La couleur du cheval : Le cheval était noir ou alezan selon deux sources contradictoires.

La bataille d'Hydaspe : Les éléphants de Poros contre l'armée d'Alexandre par André Castaigne
La mort de Bucéphale : Il est mort en -326 a JC (date connue) pendant la bataille entre Alexandre et le rajah Poros et son armée d’éléphants, au bord de L’Hydaspe (Jhelum), sur le territoire actuel du Pakistan. Alexandre est mort en-323 a J C.

Le cheval aurait eu 30 ans à sa mort (sans certitude). Il aurait été blessé pendant la bataille mais Plutarque affirme que c’est surtout de vieillesse et d’épuisement qu’il est mort.
Le chagrin d’Alexandre a été immense, il a fait construire une ville sur l’emplacement du tombeau de son cheval : Alexandria Bucéphale. (aujourd’hui Phalia au Pakistan)

 Voir le billet de Miriam sur La vie d'Alexandre de Plutarque

Je remercie Dialogues croisés, la Librairie Dialogues et les éditions L'école des loisirs




mercredi 10 janvier 2018

Ragnar Jonasson : Snjor



Snjor de Ragnar Jonasson. Encore un policier nordique  ! Cette fois, nous sommes transportés en Islande du Nord, dans une ville Siglufjordur, si éloignée, si coupée du reste du monde et si froide que Reykjavik, par contraste, semble être une villégiature tropicale !  Oui, j'exagère un peu mais n'oublions pas que j'ai vécu longtemps à Marseille.

Ceci dit, un des intérêts du roman, entre autres, c'est ce dépaysement total dans une ville plongée dans la nuit hivernale, ensevelie sous des mètres de neige (Snjor, la neige) dont la seule voie de communication par la route est le plus souvent coupée par des avalanches, un lieu sans lien avec le reste du monde quand sévissent blizzards et tempêtes! Une ville où tout le monde se connaît avec ce que cela suppose de positif (l'amitié, la solidarité) mais aussi de négatif (le manque d'intimité, l'obligation des rapports sociaux même avec des gens que l'on n'aime pas, les racontars, les rumeurs malveillantes.).  Une ville où la porte n'est jamais fermée à clef de jour comme de nuit et pourtant ! Lorsque un écrivain célèbre tombe d'un escalier d'une manière suspecte et se tue, lorsqu'une jeune femme est découverte assassinée dans la neige, l'inquiétude et la peur font son apparition à Siglufjordur.

Le personnage principal est le jeune policier Ari Thor, frais émoulu de l'école de police, qui vient d'être affecté dans la ville. Dans l'Islande en proie à la récession économique, il est bien heureux de trouver un travail mais il doit quitter pour cela sa petite amie Kristin qui vit à Reykhavik.  Au-delà de l'intrigue policière, on suit avec intérêt, le délitement de cet amour à cause de l'éloignement et plus subtilement d'une différence sociale responsable d'une fêlure entre les deux. On voit sa difficile acclimatation à ce pays si rude, ses angoisses, son impression d'étouffement. Puis l'on fait connaissance avec les autres protagonistes de l'action dont la belle Ugla qui ne laisse pas Ari Thor indifférent.

Une intrigue que l'on suit avec plaisir, des personnages intéressants, la découverte d'un pays, une atmosphère oppressante, voilà qui ce qui fait la réussite du roman où l'on se sent pris à partie, enfermé dans un huis clos à l'islandaise.  C'est d'ailleurs le sous-titre du roman. Et je compte lire la suite qui s'intitule : Mörk.


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