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samedi 5 mars 2011

Alain Bosquet : un enfant m’a dit..

Shiro Hayami artiste japonais Land Art


Un enfant m'a dit :
"La pierre est une grenouille  endormie."
Un autre enfant m'a dit :
"Le ciel, c'est de la soie fragile."
Un troisième enfant m'a dit :
"L'océan, quand on lui fait peur, il crie."
Je ne dis rien, je souris.
le rêve de l'enfant, c'est la loi.
Et puis, je sais que la pierre,
vraiment, est une grenouille,
mais au lieu de dormir
elle me regarde.
Alain Bosquet

Et si c'était cela un poète, celui qui ose voir mieux qu'un enfant!



Les compagnons Troubadours du dimanche de Bookworm :
Alex : Mot-à-mots Alinea66 : Des Livres... Des Histoires...Anne : Des mots et des notes, Azilis : Azi lis, Cagire : Orion fleur de carotte, Chrys : Le journal de Chrys, Ckankonvaou : Ckankonvaou, Claudialucia : Ma librairie, Daniel : Fattorius, Edelwe : Lectures et farfafouilles, Emmyne : A lire au pays des merveilles, Ferocias : Les peuples du soleil, George : Les livres de George, Hambre : Hambreellie, Herisson08 : Délivrer des livres?, Hilde : Le Livroblog d'Hilde , Katell : Chatperlipopette, L'Ogresse de Paris : L'Ogresse de Paris, L'or des chambres : L'Or des Chambres, La plume et la page : La plume et la page, Lystig : L'Oiseau-Lyre (ou l'Oiseau-Lire), Mango : Liratouva, MyrtilleD : Les trucs de Myrtille, Naolou : Les lectures de Naolou, Océane : Oh ! Océane !, Pascale : Mot à mot, Sophie : Les livres de Sophie, Wens : En effeuillant le chrysanthème, Yueyin : Chroniques de lectures

jeudi 3 mars 2011

Le Clezio et Stig Dagerman : la forêt des paradoxes


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Ils nous regardent vieillir France Mitrofanoff

Dans son discours pour le prix Nobel, Le Clezio cite un passage du  livre de Stig Dagerman La Dictature du Chagrin qui soulève une question fondamentale pour l'écrivain. C'est ce que Stig Dagerman a nommé la forêt des paradoxes :

Comment est-il possible par exemple de se comporter, d’un côté comme si rien au monde n’avait plus d’importance que la littérature, alors que de l’autre il est impossible de ne pas voir alentour que les gens luttent contre la faim et sont obligés de considérer que le plus important pour eux, c’est ce qu’ils gagnent à la fin du mois ? Car il (l’écrivain) bute sur un nouveau paradoxe : lui qui ne voulait écrire que pour ceux qui ont faim découvre que seuls ceux qui ont assez à manger ont loisir de s’apercevoir de son existence.

Nous avons aussi notre forêt de paradoxes, nous lecteurs, qui avons "assez à manger". Nous sommes "les seuls" à pouvoir lire les écrivains mais nous reculons devant certaines lectures qui nous dérangent dans notre quiétude. Je me faisais cette réflexion en lisant le livre de Kourouma sur les enfants soldats: Allah n'est pas obligé que je n'aurais peut-être pas eu le courage de découvrir s'il n'avait été le roman choisi par les lectrices de blogclub!

Initié par Chiffonnette

mardi 1 mars 2011

Ahmadou Kourouma : Allah n’est pas obligé


Birahima, l'enfant-soldat de Ahmadou Kourouma, nous l'annonce dès les premières pages, il va nous raconter sa vie de merde de damné parce qu'enfin Allah n'est pas obligé d'être juste dans toutes ces choses ici-bas !" Et certes Birahima n'est pas gâté par le sort, son père est mort et sa mère est en train de pourrir dans sa case empuantie, la jambe gangrénée par un ulcère. Quand Birahima se retrouve orphelin, le conseil de famille décide qu'il doit partir rejoindre sa tante exilée au Libéria pour fuir les violences de son mari. Birahima part, accompagné par Yacouba, le féticheur, grigriman. Ce voyage l'amène aux confins de l'enfer, au coeur des guerres tribales du Libéria puis de Sierra Léone, où il va devenir à small-soldier, a child-soldier, un soldat-enfant ou un enfant-soldat, quel que soit le nom que l'on donne, bref! un tueur!
Allah n'est pas obligé est un cri de révolte, de colère et de douleur et Amadhou Kourouma n'y va pas par quatre chemins quand il dénonce les responsables de l'horreur, les dictateurs ivres de pouvoir et d'argent qui se succèdent à la tête de ces "démocraties", la corruption qui sévit à tous les niveaux de la hiérarchie du gouvernement, l'attitude colonialiste des noirs afro-américains, descendants des esclaves libérés des USA, le racisme tribal, les superstitions d'un autre âge, le fanatisme religieux qui engendre la haine, la faim qui pousse au meurtre. Un constat terrible et désespéré de la situation africaine. Mais il dénonce aussi les puissances étrangères, la France, l'Angleterre, les Etats-Unis... qui accordent leur soutien au dictateur le plus sanguinaire dans le but de servir leurs intérêts en Afrique,  les interventions du FMI qui provoquent des  révoltes de la faim, et celles de l'ONU qui, en faisant appel aux forces d'interpositions nigériennes pour régler le problème des guerres tribales au Libéria et en Sierra Léone, livre la population au massacre au nom de l'ingérence humanitaire!
L'histoire est racontée par Birahima à la première personne. Le récit tient à la fois du procédé narratif du roman français et du conte africain comme lorsque le petit garçon quitte son village avec Yacouba et voit par trois fois apparaître un animal sur la gauche, signe de mauvais augure. Ahmadou Kourouma imagine que Birahima écrit en français avec l'aide d'un dictionnaire qui lui permet d'expliquer les mots les plus savants tout en introduisant des mots africains. Nous découvrons ainsi la vision du monde de l'enfant dans une langue colorée, riche mais faussement naïve qui fait ressortir d'autant plus violemment l'horreur de ce qui se passe autour de lui. L'enfant, en effet, présente comme normal la violence qui l'entoure. Sa maladresse d'expression fait ressortir sa jeunesse et son innocence :
Quand un Krahn ou un Guéré arrivait à Zorzor, on le torturait avant de le le tuer parce que c'est la loi des guerres tribales qui veut ça. Dans les guerres tribales, on ne veut pas les hommes d'une autre tribu différente de notre tribu.

Il manie aussi l'ironie à la Voltaire :
L"ingérence humanitaire, c'est le droit que l'on donne à des Etats d'envoyer des soldats dans un autre Etat pour aller tuer de pauvres innocents chez eux, dans leur propre pays, dans leur propre village, dans leur propre case, sur leur propre natte.
Partout dans le monde une femme ne doit pas quitter le lit de son mari même si le mari injurie, frappe et menace la femme. Elle a toujours tort. C'est ça qu'on appelle les droits de la femme.
Le procédé de répétitions est également utilisé pour souligner la barbarie de ces tueries. Chaque fois que Birahima arrive dans un nouveau camp militaire, il note que le poste de commandement est entouré de pieux sur lesquels on a fiché des têtes humaines, chaque fois qu'il y a une débauche de meurtres, des flots de sang, il commente :
Ca, c'est la guerre tribale qui veut ça.
On pense à Candide et  à son : " Mais tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes". Mais sous ce faux fatalisme, sous cette feinte acceptation, la révolte gronde. Il vitupère contre les tribus, ces salopards de racistes et contre la connerie des féticheurs.  Lorsqu'il parle de ceux qui prennent le pouvoir, il n'a pas de mots assez durs pour les condamner de même que ceux qui les laissent faire, ce sont des bandits de grand chemin. Il ne comprend plus rien à ce foutu univers... cette saloperie de société humaine. Parfois Birahami pleure et refuse de raconter. Un trop plein de chagrin le submerge, lui enlève les mots de la bouche. Sa souffrance est trop forte.
Un beau et fort roman! A lire absolument!
PS : J'ajouterai pour monter combien Kourouma connaît les subtilités de la langue française et les utilise avec habileté que Birahimi emploie très souvent le pronom démonstratif neutre "ça".
"ça "pour parler de ses camarades enfants-soldats mais aussi de ses chefs militaires, des dictateurs mégalomanes et assassins des pays africains, des puissances étrangères qui couvrent les massacres. Evidemment il s'agit d'un erreur grammaticale (appliquer ce pronom à un être humain!), d'un style familier (ça est la contraction familière de cela) et c'est normal ! Cela prouve que Birahami ne possède pas bien la langue française! Oui, Mais! En désignant ces hommes et ces enfants par ce pronom, Kouroumou leur dénie le statut d'être humain. Il les montre comme des automates, formés pour tuer, sans coeur, sans compassion, des êtres qui ont cessé de penser, de réfléchir!

Sylire et Lisa

lundi 28 février 2011

Lecture : mois de février 2011


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Mur des Offrandes près de l'ancienne prison Avignon

Marie-Bernadette Dupuy : L’orpheline des neiges à Val-Jalbert
http://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2011/02/marie-bernadette-dupuy-lorpheline-des.html



Jane Austen : Orgueil et préjugé ou l’art du dialogue
http://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2011/02/jane-austen-orgueil-et-prejuge-ou-lart.html


Jane Austen dans la préface de Virginia Woolf

http://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2011/02/jane-austen-dans-la-preface-de-virginia.html


Philippe Soupault, encore la lune

http://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2011/02/philippe-soupault-encore-la-lune.html


Tracy Chevalier : Prodigieuses créatures

http://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2011/02/tracy-chevalier-prodigieuses-creatures.html

Hélène Grémillon : Le confident

http://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2011/02/helene-gremillon-le-confident.hml


Jérôme Coignard : Une femme disparaît, le vol de la Joconde au Louvre en 1911

http://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2011/02/jerome-coignard-une-femme-disparait-le.html

Philippe Soupault, encore la lune

 
Magritte : La fenêtre de Mélusine




Encore la lune
Claire comme l’eau
Bleue comme l’air
Visage du feu et de la terre
Je te salue lune lune bleue
Fille du Nord et de la nuit.

samedi 19 février 2011

Tracy Chevalier : Prodigieuses créatures


Les prodigieuses créatures de Tracy Chevalier sont les fossiles que découvre Mary Anning en fouillant la plage et les falaises de Lyme, sur la côte du Dorset. Pour la jeune fille, issue d'une famille d'ouvrier modeste, il s'agit d'un gagne-pain puisqu'elle revend ses trouvailles aux touristes de passage mais cette recherche devient une véritable passion. Mary Anning en saura bien vite autant et même plus que tous les doctes savants qui s'approprient les fossiles  qu'elle a trouvés pour quelques livres et se font un nom en parlant de leur découverte.  Sur la plage, dans le froid, l'humidité et le vent, Mary Anning va faire la connaissance de Elizabeth Philpot passionnée elle aussi par la recherche des fossiles de poissons dont elle fait collection. Bien que de milieu différent, les deux femmes, la bourgeoise et l'ouvrière, vont se lier d'amitié, un sentiment qui traversera des orages, certes, mais sera plus forte que les conflits et les rivalités amoureuses.
Il faut savoir tout d'abord avant de continuer la lecture que Mary Anning et Elizabeth Philpot ont existé ainsi que certains autres personnages comme le Colonel Birch, le professeur William Buckland..  même s'il s'agit aussi d'une oeuvre de fiction.
Le thème essentiel du roman est celui de la révolution scientifique que représente la découverte de ces fossiles. Ceux-ci prouvaient que la Création ne s'était pas fait en sept jours comme le disait la Bible et que les espèces animales n'avaient cessé d'évoluer depuis leur création, certaines disparaissant, incapables d'adaptation. C'était remettre en cause l'infaillibilité de Dieu. Bref! Ces découvertes montraient que les théories darwiniennes étaient fondées scientifiquement. Le bouleversement des mentalités que cela impliquait, le scandale au niveau de l'Eglise, le malaise éprouvé même chez les scientifiques dérangés dans leurs croyances religieuses furent énormes à l'époque! Il suffit pour l'imaginer de constater que des théories obscurantistes,  anti-darwiniennes, sont encore remises à l'honneur aux Etats-Unis de nos jours pour comprendre l'importance de Mary Anning et de ses découvertes dans l'évolution des sciences!
Dans le roman, nous vivons les recherches, les attentes, les interrogations de la jeune fille avec la même curiosité qu'elle! Nous sommes aussi avides de savoir ce que sont ces formes nouvelles, monstrueuse, étranges qu'elle arrache à la pierre. Ces fossiles géants, Mary et les gens autour d'elle, les appellent invariablement "crocodiles" mais ils se révèlent, une fois étudiés, des espèces disparues comme le ptérosaure ou l'ichtyosaure
Un autre thème tient à coeur à Tracy Chevalier, c'est celui de la condition de la femme en ce début du XIXème siècle.
Elizabeth Philpot, célibataire sans beauté et sans fortune est obligée de vivre à Lyme, loin de Londres, pour des raisons économiques. Elle n'a aucune liberté, dépendant de son frère en toutes choses, une fois que ses parents ont disparu. L'on sent bien l'ombre de Jane Austen qui vient planer ici, Jane Austen qui vivait à la même époque que Elizabeth et qui est passée à Lyme en 1824. D'une manière générale, la femme considérée comme inférieure, n'a pas la liberté de voyager seule, de sortir dans la rue non accompagnée. Elle n'est pas admise, quel que soit son intérêt,  aux rencontres de la Geological Society, elle est jugée inapte à donner son avis sur les fossiles alors qu'elle en connaît plus que certains hommes qui lui donnent des leçons. C'est ce que ressent souvent Elizabeth Philpot qui, appartenant à un milieu social plus élevé que celui de Mary, acquiert, cependant, le droit d'être entendue. Alors que Mary Anning est méprisée, méconnue. Il faudra attendre  une publication de Cuvier en France en 1825 pour que son nom soit pour la première fois prononcé! C'est dans le combat qu'elle mène pour faire reconnaître Mary, qu'Elizabeth va prendre conscience qu'elle peut être indépendante et qu'elle n'a pas à être traitée comme une éternelle mineure!
Un bon roman dont la lecture présente de nombreux centres d'intérêt.

voir a le parfum des livres de Jul
Voir aussi Clara

vendredi 18 février 2011

Marie-Bernadette Dupuy : L’orpheline des neiges à Val-Jalbert


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L'ancienne pulperie et la chute d'eau de Ouatchouan
à Val-Jalbert


Si j'ai choisi de lire L'orpheline des neiges de Marie Bernadette Dupuy dont le titre me faisait un peu peur c'est que l'intrigue se déroulait à Val-Jalbert auprès du lac Saint Jean, souvenir d'une belle virée faite il y a quelques années dans la région du Saguenay au Québec.
Val-Jalbert, je l'ai visité au mois de Juin sous le soleil et dans un écrin de verdure. Si c'est un village-fantôme, il ne le paraissait pas avec toutes les animations touristiques qui tentaient de le faire revivre lors de scènes interprétées par des acteurs costumés. Je me souviens qu'en me promenant dans les allées de ce village disparu après 1927 avec la faillite de l'usine, en visitant les maisons des ouvriers encore meublées, je me suis posée des questions sur les habitants et je me suis dit que cela ferait un beau sujet de roman!
Si vous ne savez pas ce qu'est Val-Jalbert vous l'apprendrez en lisant ce roman très bien documenté et solide sur le plan historique. Le village a été  créé en 1901 autour de la chute d'eau qui permettait d'exploiter une usine à papier prospère. Dans le roman, nous sommes en 1916. Le patron Monsieur Jalbert voulait un village modèle où ses employés bénéficieraient du confort moderne. C'est pourquoi dans les belles maison de bois val-jabert-interieur.1298045799.jpgdes ouvriers, il y a non seulement l'électricité mais aussi le chauffage. Notons qu'en France, à la même époque, de nombreuses grands villes s'éclairaient encore au gaz. Je ne parle pas des campagnes puisque dans des régions comme la Lozère l'électricité n'est arrivée que dans les années 1960!
Marie-Bernadette Dupuy peuple le village de personnes ayant existé comme certains commerçants dont le nom est resté célèbre, comme le curé qui jouait un rôle déterminant dans cette communauté, choisissant lui-même les ouvriers "vertueux" méritant d'être embauchés. Mais elle imagine aussi des personnages fictifs.

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Le couvent-école de Val Jabert
Ainsi la petite Marie-Hermine est abandonnée par ses parents devant la porte du couvent-école et recueillie par les religieuses du Bon-Conseil. Nous assistons aux premières années de sa vie au milieu des religieuses, maîtresses d'école, nous la voyons grandir, confiée à des ouvriers, les Marois, dont la mère de famille, Elizabeth Marois, la considère comme sa fille. Viendra un moment où, jeune fille dotée d'une voix exceptionnelle deviendra chanteuse, où elle retrouvera le mystère des ses origines et découvrira l'amour dans la personne d'un jeune métis. Nous voyons la fermeture de l'usine et les répercussions sur les ouvriers obligés de quitter le village jusqu'à ce celui-ci devienne désert.
On a comparé L'orpheline des neiges  à Maria Chapdelaine. Mais en dehors du fait que le roman de Louis Hémon se situe dans la région du lac Saint-Jean-Saguenay, au bord de la rivière Peribonka ou Marie-Hermine sera amenée à vivre elle aussi, la ressemblance s'arrête là. Le roman de Marie-Bernardette Dupuy n'a pas le souffle poétique, la grandeur, ni l'âpreté et le pessimisme de Maria Chapdelaine. C'est un roman plus léger, qui se lit avec plaisir comme un livre d'aventures et qui a pour mérite une bonne reconstitution historique.


jeudi 17 février 2011

Jane Austen vue par Virginia Woolf

 
Jane Austen


Que les amoureux de Jane Austen se scandalisent!  Mais voilà ce que j'ai lu dans la préface de Orgueil et Préjugés rédigée par Virginia Woolf dans la collection10/18. Celle-ci cite des personnes ayant rencontré Jane et porté un jugement sur elle :
Puis voilà Mrs Mitford qui connut les soeurs Austen lorsqu'elles étaient fillettes  A propos de Jane : "C'est le plus joli papillon en quête de mari que j'aie jamais rencontré, le plus stupide, le plus maniéré."
Ensuite vient l'amie anonyme de Mrs Mitford qui lui rend visite et selon qui "elle  (Jane) s'est pétrifiée dans le bonheur du  célibat pour devenir le plus bel exemple de raideur perpendiculaire, méticuleuse et taciturne qui ait jamais existé; jusqu'à ce que Orgueil et préjugés ait montré quel diamant précieux était caché dans ce fourreau inflexible, on ne la remarquait pas plus en société qu'on ne remarque un tisonnier ou un pare -feu... Il en va tout autrement maintenant, poursuit la bonne dame, c'est toujours un tisonnier, mais un tisonnier dont a peur.. Un bel esprit, un dessinateur de caractères qui ne parle pas est bien terrifiant en vérité!"

Cette dernière appréciation n'est pas flatteuse pour la femme mais est élogieuse pour l'écrivain!



















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A l’initiative de Chiffonnette

mercredi 16 février 2011

Jane Austen : Orgueil et préjugé ou l’art du dialogue


J'ai déjà tellement lu, relu et étudié Orgueil et préjugés  de jane Austen que je n'ai pas envie ici d'en faire un résumé suivi d'un commentaire. Je préfère l'aborder d'un autre manière.
Le premier chapitre de Orgueil et préjugé est déjà en soi un chef d'oeuvre. Il a une valeur démonstrative et une efficacité qui ne se démentira pas tout au long du roman. Ainsi dès les premières pages, on reste abasourdi par l'intensité de la peinture que nous offre Jane Austen avec une extraordinaire  économie de moyens, une  apparente simplicité qui tient à son talent et au regard lucide et perspicace qu'elle porte sur le monde autour d'elle.
Ainsi les premières lignes du roman ont une force ironique et une violence envers la société  étonnante sous son apparente banalité. Nous en savourons la subtilité.
C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie de se marier, et, si peu que l’on sache de son sentiment à cet égard, lorsqu’il arrive dans une nouvelle résidence, cette idée est si bien fixée dans l’esprit de ses voisins qu’ils le considèrent sur-le-champ comme la propriété légitime de l’une ou l’autre de leurs filles.
La première phrase semble avoir une valeur de maxime. Jane Auten tout en donnant l'impression de dire un lieu commun, "une vérité universellement connue", s'abandonne à son penchant satirique en montrant en quelques mots ce qu'est le mariage aux yeux de  cette société, un marché où jeunes filles et jeunes gens sont à vendre aux plus offrants. Que ce marché s'accompagne d'une âpre concurrence,"la propriété légitime de l'une ou l'autre", va de soi. Personne ne semble remettre en question l'ordre établi ,"cette idée est si bien fixée", et l'amour n'entre pas en compte dans le mariage.
Ce premier chapitre a pour but  de nous présenter l'action, les personnages en présence. On peut dire comme au théâtre que c'est une scène d'exposition et nous tenons en main dès le début toute la clef de compréhension du roman. Nous savons qu'un jeune homme riche, Monsieur Bingley, vient de louer une maison voisine des Bennet. Que Mrs Bennet  et Mr Bennet ont cinq filles à marier et en quelques mots nous apprenons qui sont ces filles  leurs particularités physiques, leur intelligence. L'enjeu de la discussion entre les deux époux est de savoir si Mr Bennet ira rendre visite à Bingley pour l'amener dans le filet tendu par madame pour ses filles.
Ce que j'aime particulièrement dans Jane Austen, c'est qu'elle n'a pas besoin de se lancer dans de grandes explications psychologiques pour nous faire comprendre le caractère de ses personnages, quels rapports ils entretiennent entre eux et les sentiments qui les lient. Il suffit qu'elle les fasse parler! Jugez plutôt!  Un dialogue et tout est dit, nous savons tout sur eux! (extrait)
— Savez-vous, mon cher ami, dit un jour Mrs. Bennet à son mari, que Netherfield Park est enfin loué?
Mr. Bennet répondit qu’il l’ignorait.
— Eh bien, c’est chose faite. Je le tiens de Mrs. Long qui sort d’ici.
Mr. Bennet garda le silence.
— Vous n’avez donc pas envie de savoir qui s’y installe ! s’écria sa femme impatientée.
— Vous brûlez de me le dire et je ne vois aucun inconvénient à l’apprendre.
Mrs. Bennet n’en demandait pas davantage.
— Eh bien, mon ami, à ce que dit Mrs. Long, le nouveau locataire de Netherfield serait un jeune homme très riche du nord de l’Angleterre. Il est venu lundi dernier en chaise de poste pour visiter la propriété et l’a trouvée tellement à son goût qu’il s’est immédiatement entendu avec Mr. Morris. Il doit s’y installer avant la Saint-Michel et plusieurs domestiques arrivent dès la fin de la semaine prochaine afin de mettre la maison en état.
— Comment s’appelle-t-il ?
— Bingley.
— Marié ou célibataire ?
— Oh ! mon ami, célibataire ! célibataire et très riche ! Quatre ou cinq mille livres de rente ! Quelle chance pour nos filles !
— Nos filles ? En quoi cela les touche-t-il ?
— Que vous êtes donc agaçant, mon ami ! Je pense, vous le devinez bien, qu’il pourrait être un parti pour l’une d’elles.
— Est-ce dans cette intention qu’il vient s’installer ici ?
— Dans cette intention ! Quelle plaisanterie ! Comment pouvez-vous parler ainsi ?… Tout de même, il n’y aurait rien d’invraisemblable à ce qu’il s’éprenne de l’une d’elles. C’est pourquoi vous ferez bien d’aller lui rendre visite dès son arrivée.
— Je n’en vois pas l’utilité. Vous pouvez y aller vous-même avec vos filles, ou vous pouvez les envoyer seules, ce qui serait peut-être encore préférable, car vous êtes si bien conservée que Mr. Bingley pourrait se tromper et égarer sur vous sa préférence.
— Vous me flattez, mon cher. J’ai certainement eu ma part de beauté jadis, mais aujourd’hui j’ai abdiqué toute prétention. Lorsqu’une femme a cinq filles en âge de se marier elle doit cesser de songer à ses propres charmes.
— D’autant que, dans ce cas, il est rare qu’il lui en reste beaucoup.
— Enfin, mon ami, il faut absolument que vous alliez voir Mr. Bingley dès qu’il sera notre voisin.
— Je ne m’y engage nullement.
— Mais pensez un peu à vos enfants, à ce que serait pour l’une d’elles un tel établissement ! Sir William et lady Lucas ont résolu d’y aller uniquement pour cette raison, car vous savez que, d’ordinaire, ils ne font jamais visite aux nouveaux venus. Je vous le répète. Il est indispensable que vous alliez à Netherfield, sans quoi nous ne pourrions y aller nous-mêmes.
— Vous avez vraiment trop de scrupules, ma chère. Je suis persuadé que Mr. Bingley serait enchanté de vous voir, et je pourrais vous confier quelques lignes pour l’assurer de mon chaleureux consentement à son mariage avec celle de mes filles qu’il voudra bien choisir. Je crois, toutefois, que je mettrai un mot en faveur de ma petite Lizzy.
— Quelle idée ! Lizzy n’a rien de plus que les autres ; elle est beaucoup moins jolie que Jane et n’a pas la vivacité de Lydia.
— Certes, elles n’ont pas grand’chose pour les recommander les unes ni les autres, elles sont sottes et ignorantes comme toutes les jeunes filles. Lizzy, pourtant, a un peu plus d’esprit que ses sœurs.
— Oh ! Mr. Bennet, parler ainsi de ses propres filles !… Mais vous prenez toujours plaisir à me vexer ; vous n’avez aucune pitié pour mes pauvres nerfs !
— Vous vous trompez, ma chère ! J’ai pour vos nerfs le plus grand respect. Ce sont de vieux amis : voilà plus de vingt ans que je vous entends parler d’eux avec considération.
— Ah ! vous ne vous rendez pas compte de ce que je souffre !
— J’espère, cependant, que vous prendrez le dessus et que vous vivrez assez longtemps pour voir de nombreux jeunes gens pourvus de quatre mille livres de rente venir s’installer dans le voisinage.

Ce dialogue nous a permis de comprendre que Mr et Mrs Bennet, les parents d'Elizabeth, sont aussi différents que possible. Mr Bennet est un homme intelligent, cultivé mais ironique, froid, égoïste et renfermé. Il se protège de la sottise de sa femme et de certaines de ses filles en gardant le silence. Plus tard, on verra qu'il fuit ses responsablilités. Mrs Bennet est d'une sottise incommensurable, elle est inculte et superficielle. Elle parvient à ses fins à force de jérémiades et use son mari jusqu'à ce qu'elle obtienne de lui ce qu'elle veut. Si Mr Bennet a épousé Mrs Bennet à cause de sa beauté, on sent bien qu'il n'a plus d'amour pour sa femme. Il ne cesse jouer avec son manque d'humour et de répartie en feignant de ne pas la comprendre : Nos filles? En quoi cela les touche-t-il ? et il ironise : Est-ce dans cette intention qu’il vient s’installer ici ? j'ai pour vos nerfs le plus grand respect. Il se moque d'elle : je pourrais vous confier quelques lignes pour l’assurer de mon chaleureux consentement à son mariage. Aussi lorsqu'il lui fait un compliment  : car vous êtes si bien conservée que Mr. Bingley pourrait se tromper et égarer sur vous sa préférence, son ton est tellement sarcastique que l'on ne peut croire un seul instant à sa sincérité. D'ailleurs, il ajoute peu après cette remarque cruelle à propos de la beauté des femmes qui ont eu cinq enfants : D’autant que, dans ce cas, il est rare qu’il lui en reste beaucoup. Mr Bennet sait être méchant et l'on voit qu'il n'a pas une meilleure opinion de ses filles à l'exception de Lizzie.
Cette conversation est caractéristique de la technique de Jane Austen pour présenter aux lecteurs des portraits croqués sur le vif. Et certes, nous rions car la satire est réussie et brillante. Mais quel regard acéré cette jeune fille porte sur les gens!
Le dialogue que je cite ici est une véritable scène de comédie. Il n'est donc pas étonnant que le roman ait pu être adapté aussi souvent au cinéma comme il pourrait l'être aussi très facilement au théâtre.
Lorsque en quelques lignes qui concluent ce chapitre, l'écrivain consent à nous donner des renseignements sur ces personnages, cela devient inutile! Nous avons déjà tout compris!
  Mr. Bennet était un si curieux mélange de vivacité, d’humeur sarcastique, de fantaisie et de réserve qu’une expérience de vingt-trois années n’avait pas suffi à sa femme pour lui faire comprendre son caractère. Mrs. Bennet elle-même avait une nature moins compliquée : d’intelligence médiocre, peu cultivée et de caractère inégal, chaque fois qu’elle était de mauvaise humeur elle s’imaginait éprouver des malaises nerveux. Son grand souci dans l’existence était de marier ses filles et sa distraction la plus chère, les visites et les potins.

mardi 15 février 2011

Hélène Grémillon : Le confident


A la mort de sa mère, Camille reçoit une série de lettres d'un expéditeur, Louis, qui lui est parfaitement inconnu. D'un message à l'autre, Louis lui raconte une histoire qui se situe pendant la guerre de 1940 et qui met en scène des personnages qui s'aiment, s'affrontent et se déchirent. Peu à peu, elle comprend qu'elle est le principal et innocent enjeu de ce récit dramatique.
Le roman se lit comme un peu comme un puzzle, chaque nouvel écrit de Louis étant un des  morceaux qui reconstitue l'histoire. Nous faisons connaissance de la jeune Annie, fille d'ouvrier, qui se lie d'amitié avec Madame M., sa voisine, bourgeoise en mal d'enfant, de Louis, le confident, amoureux depuis toujours d'Annie et aussi de Paul, le mari de madame M.
Le roman est intéressant parce qu'il décrit une période historique vécue par les deux femmes comme un arrière-fond, un contrepoint tragique aux événements privés qu'elles vivent. Pourtant certains aspects du récit me paraissent un peu convenus (comme le thème  si actuel de la mère porteuse ou la dénonciation des juifs pendant la guerre). Intéressants aussi ces personnages qui vont jusqu'au bout de leur passion et dont la vie basculera et sera irrémédiablement brisée. Madame M. en particulier, âpre et déterminée, est un personnage fascinant par sa violence intérieure, son désespoir  qui fait qu'elle est prête à tout pour obtenir ce qu'elle veut. Elle est à la fois bourreau et victime d'une société qui ne permet pas à la femme de se réaliser en dehors de son rôle de mère. Le personnage d'Annie est moins clair? Avant de devenir une femme amoureuse et prête à défendre son amour et son enfant, qu'est-elle vraiment? Comment comprendre son comportement? Est-elle une jeune fille naïve, un peu sotte, subjuguée par sa brillante voisine? Quand commence sa duplicité, son mensonge? Elle aussi n'est pas qu'une victime, sa vengeance envers la bonne de madame M. est terrible.
Ce roman est donc intéressant par sa forme et par les personnages en particulier féminins qui sont des héroïnes de tragédie. Le suspense qui est maintenu pendant un certain temps est un des charmes du roman.
Merci à Clara de faire voyager ce livre!

lundi 14 février 2011

Marylin Monroe, l’enchanteresse F.X.Feeney et The misfits

Marylin Monroe in The river of no return

Le livre, Marylin, l'enchanteresse brièvement commenté Par F.X.Feeney est avant tout un recueil de belles photographies. La biographie elle-même est plus que succincte mais le charme, le glamour, la sensualité de la jeune femme s'y étalent à chaque page et c'est en même temps une galerie de la plupart de ses films.
F.X.Feenex nous apprend que la petite Norma Jean Mortenson mue par une grande ambition qui lui vient d'une enfance malheureuse a fabriqué son personnage de toutes pièces en jouant sur sa plastique superbe et  en projetant librement sa sexualité.
Son exceptionnelle franchise, sa disponibilité naturelle donnent l'impression que le sexe est une idée saine, la dernière chose au monde qu'une personne saine irait réprimer, écrit-il.
Son personnage de "bombe blonde" réussit pleinement mais en femme intelligente, elle devient de plus en exigeante pour choisir ses scénarios. Son drame est de ne pas être prise au sérieux et elle luttera ensuite toute sa vie pour se débarrasser del 'image superficielle qu'elle a créée d'elle-même. Elle fonde sa propre société de Productions, suit les cours de l'Actors' Studio, épouse Henry Miller et convaincue de la nécessité de se cultiver pour être au niveau de son illustre mari va à l'université assister à des cours d'histoire de l'art.  Pourtant, lors de son mariage avec Henry Miller, la presse titre : La grosse tête épouse le sablier.
L'admiration qu'inspirait son physique menaçait de dévaloriser sa personne, mais elle était angoissée à l'idée que son apparence puisse rester ignorer écrit Henry Miller, conscient des contradictions de Marylin et de sa dépendance aux médicaments qui mettent sa vie en danger. Ils divorceront après Les désaxés (les Misfits), un de mes films préférés, dont le réalisateur est John Huston et le scénariste Henry Miller. Malgré leur séparation, Miller a écrit à Marylin un beau rôle, plein de sensibilité et fragilité, celui d'un personnage qui lui ressemblait un peu.  Marylin y interprète le rôle d'une jeune femme Roselyn venue à Reno pour divorcer. Complètement perdue, elle rencontre Gay (Clark Gable), un vieil aventurier, et Perce (Montgomery Clift), un cow boy de rodéo. Tous ces personnages sont aussi paumés les uns que les autres, tous sont des misfits, des désaxés  On peut dire que c'est le dernier film de Marylin qui ne terminera  pas le suivant et le dernier de Clark Gable qui lui donne la réplique.
Quelques réflexions de Marylin Monroe
Les gens avaient cette habitude de me regarder comme si j'étais une espèce de miroir  et non une personne. Ils ne me voyaient pas, ils voyaient leurs propres pensées obscènes et ensuite ils s'aveuglaient et m'accusaient, moi, d'obscénité.
J'essaie de devenir une artiste et d'être sincère, et parfois j'ai la sensation d'être au bord de la folie, j'essaie juste de faire sortir de moi la part qui est la plus vraie et c'est très dur.

Les Misfits : les désaxés


C’est un cliché vérifié pour toute forme d’art, et d’autant plus pour le cinéma, dont le rapport au monde est si fort : les œuvres les plus vraies, les plus puissantes émotionnellement sont celles qui viennent directement des tripes de l’artiste, celles pour lesquelles il donne son âme quitte à la dévoiler publiquement. Le scénariste des Désaxés, le dramaturge Arthur Miller, écrivit le film comme un cadeau d’adieu empoisonné à sa femme, Marilyn Monroe, dont il divorçait. Il voulut transmettre son sentiment d’échec et la terrible solitude qui l’accompagne, sans fioritures ni symbolismes, des émotions tellement universelles que tout ceux qui participèrent à ce chant funèbre − comédiens, réalisateur − y trouvèrent quelque chose qui leur appartenait également. Les Désaxés est l’une de ces expériences troublantes de cinéma, où les apparences font douloureusement écho à la réalité.

  Lire la suite de l'excellente critique de Ophélie Wiel dans Critikat



Challenge initié par George

dimanche 13 février 2011

Poésie collective d'une classe : La Paix



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Parfois, je publie ici des poèmes de mes élèves; ceux-ci sont depuis longtemps devenus des adultes mais  je continue à aimer l'imagination et la sensibilité dont ils ont fait preuve dans leur adolescence.


La Paix
La paix, ouatée et frémissante
s'esquisse
dans la brume translucide
Comme un visage endormi
Qui commence à s'éveiller

Comme une hirondelle timide
La paix réapparaît
Après l'hiver des armes

Somptueuse, elle jaillit
Comme une flamme encore malade
Comme un coeur qui veut battre
Dans un monde blessé
Par la guerre

Elle rayonne toute dorée
Comme l'amour dans un champ de blé
La Paix,
Nouveau-né qui pousse son premier cri
Rire trop longtemps gardé
Offert à l'univers entier.

Poème collectif (classe de cinquième année scolaire 83-84)

Les compagnons Troubadours du dimanche de Bookworm :
Edelwe, Mango, Abeille, Emmyne, Chrestomanci, Mariel, Laurence , Ankya, Herisson08, Anjelica , George, Uhbnji , Fleur, Esmeraldae, Armande, Satya, Zik, Lystig, Amos, Bookworm, Emma, Julien, Marie, Yueyin , Soie , Alex , Hambre , Katell , Mathilde, Schlabaya, Hilde, Saphoo, La plume et la page, Tinusia, Chrys, Roseau, MyrtilleD, Cagire, Caro[line], L’or des chambres, Violette, claudialucia, Séverine, Maggie, Sev, Azilis, Wens, Sophie57

Jérôme Coignard : Une femme disparaît, le vol de la Joconde au Louvre en 1911


A la Santé
Avant d’entrer dans ma cellule
Il a fallu me mettre nu
Et quelle voix sinistre ulule
Guillaume qu’es-tu devenu
Le Lazare entrant dans la tombe
Au lieu d’en sortir comme il fit
Adieu adieu chantante ronde
Ô mes années ô jeunes filles




Guillaume qu'est-tu devenu? C'est le cri d'angoisse que jette Guillaume Apollinaire dans A la Santé publié dans Alcools. En prison, il est accusé de complicité dans le vol de La Joconde! Et l'on sait que Picasso sera lui aussi inquiété. Depuis la lecture de ce poème, j'ai toujours eu envie, sans arriver à avoir une vue d'ensemble sur tous ces évènements, de savoir pourquoi notre pauvre poète s'était trouvé pris dans un tel imbroglio! Aussi quand Dialogues croisés a présenté parmi les lectures possibles, l'essai de Jérôme Coignard  : Une femme disparaît, le vol de la Joconde au Louvre en 1911, je me suis précipitée.
Ma curiosité est donc satisfaite à présent grâce à ce livre très bien documenté. Il procède comme une enquête policière en suivant pas à pas les tribulations de La Joconde depuis son enlèvement au Louvre le 22 août 1911 jusqu'à son retour à Paris le 31 décembre 1913 après avoir été transportée en Italie par le voleur, un ouvrier italien qui travaillait en France.
Le livre nous apprend des fait étonnants sur ce qu'était Le Louvre dans ces années-là. Voler une oeuvre, fut-ce une peinture aussi célèbre que La Joconde, était un jeu d'enfant  à cette époque. En effet, les tableaux étaient accrochés à de simples clous, sans dispositif de sécurité, et il était coutume, de plus, de les transporter d'une salle à l'autre pour qu'ils soient photographiés ou copiés sans que personne ne s'inquiète de leur absence! C'est depuis le vol de la Joconde, d'ailleurs, qu'est né l'habitude de laisser un panneau en lieu et place de l'oeuvre annonçant le déplacement du tableau, la raison de son absence, sa destination, et la date de son départ!
Ce à quoi, je ne m'attendais pas en lisant cet essai, c'est à l'aspect franchement comique voire absurde de toute cette affaire! Jérôme Coignard nous offre de véritables moments vaudevillesques qui mettent en scène les ridicules de tous, à toutes les échelles, des gardiens du Louvre au directeur, de la police à ces messieurs du gouvernement. Les écrits des journalistes  prêtent à rire aussi avec leur prose ampoulée déplorant le vol du tableau en des termes pompiers. Ridicule aussi toute cette foule qui n'était jamais allée voir Monna Lisa de "son vivant" - si l'on peut dire- et qui vient par milliers admirer les trois clous qui la retenaient. Les cafouillages de la police, les facéties des parisiens qui se livrent à des vols dans les musées et rendent ensuite leur larcin pour mieux prouver l'impéritie des services de sécurité sont autant de petits récits comiques que peut savourer le lecteur. Mais le plus absurde de tous est décidément le voleur, un italien immigré qui avait lu que Napoléon avait volé des oeuvres à l'Italie. D'où sa décision de rendre le tableau de Vinci à son pays tout en touchant un bon pactole! Curieuse alliance de patriotisme et d'intérêt personnel! Or, la Joconde n'a jamais été italienne. C'est une oeuvre que Léonard de Vinci a réalisée en France quand il était l'invité de François 1er et que le roi a acquis pour une coquette somme.
Mais sous l'aspect de comédie se dessine la menace de la guerre toute proche que cette folie liée à La Joconde semble repousser à l'arrière plan et les propos anti-germanistes mais aussi antisémites (on est tout prêt de l'affaire Dreyfus)  fleurissent dans les journaux, en particulier dans  l'Action française.

Un essai que j'ai lu avec plaisir et qui reconstitue toute une époque!

capture-d_ecran-2010-07-15-a-12-49-41.1297635945.png Merci à Dialogues croisées et aux éditions Le Passage

samedi 12 février 2011

Mathias Enard : Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants


Le roman de Mathias Enard  Parle leur de batailles, de rois et d'éléphants...  raconte le séjour de Michel Ange à Byzance appelé par le sultan Bajazet pour construire un pont au-dessus du Bosphore. Une tranche  peu connue de la vie du grand sculpteur italien mais authentique!  Michel Ange succédait en cela à Léonard de Vinci qui avait été pressenti de la même manière mais avait échoué dans cette épreuve. Michel Ange part, un peu sur un coup de tête,  humilié par le pape jules II  qui refuse de lui payer une avance sur son tombeau au moment où le sculpteur réalise son fameux Moïse. La promesse d'une somme fabuleuse est aussi un appât complémentaire et non des moindres et se mesurer à son grand rival n'est pas pour lui déplaire.
Pour moi qui ne savais pas que Michel Ange  s'était rendu en Turquie, la surprise était totale. Bien sûr, je me suis particulièrement intéressée à cette histoire que je ne connaissais pas ayant en tête, depuis mon séjour à Istanbul,  l'image d'un pont élégant, d'une longueur impressionnante (1500m) mais contemporain, construit en 1973, bientôt rejoint en 1988 par un autre. Que l'on puisse vouloir réaliser un tel exploit technique au XVIème siècle me paraissait sidérant et j'étais curieuse de savoir comment et pourquoi  Michel Ange avait échoué. Nous apprendrons au cours du roman que le dessin du pont de Michel Ange a été retrouvé, le pont en passe d'être construit mais un complot oblige l'artiste à s'enfuir de Turquie peu avant le tremblement de terre qui engloutira le début des travaux.
Mathias Enard nous présente cette rencontre du sculpteur avec ce pays,  ses moeurs, son peuple et cette fabuleuse ville dont la  cathédrale de Sainte Sophie est  le fleuron, rencontre qui laisse libre cours à l'imagination du peintre-sculpteur-architecte mais aussi à son sens de l'observation.  Ce voyage même bref a énormément influencé Michel Ange et l'on peut voir  ce que l'artiste doit à son séjour à Byzance, à son retour en Italie, en particulier dans les fresques de la chapelle Sixtine.
Mais, en fait, on a peu d'informations sur ce séjour et les carnets de Michel Ange où il note le prix de ses courses ne nous apprennent pas grand chose. Les lettres à son frère reflètent ses préoccupations matérielles et financières. Le sujet est donc bien mince. Mathias Enard imagine la liaison de Michel Ange avec un danseur androgyne. Il décrit les sentiments amoureux du poète de cour, Mesihi, envers le sculpteur. Mais dans l'ensemble le roman manque d'ampleur. La lecture est agréable mais on reste sur sa faim. On aimerait en savoir plus sur ce séjour de l'artiste et à défaut de renseignements connus, au moins découvrir la ville et les coutumes de ce peuple d'une manière plus approfondie.
Le récit est donc un peu succinct mais il plaît par son sujet qui reste p