Pages

jeudi 5 décembre 2013

Wallace Stevens Bonhomme de neige

Pekka Hanolen


Grâce  à Laura Kasischke j'ai découvert Wallace Stevens dont un vers Il faut posséder un esprit d'hiver,  extrait de Bonhomme de neige, donne son titre au roman : Esprit d'hiver.
Dans ce récit, le personnage principal, Holly, qui a toute sa vie souhaité écrire des poésies mais sans pouvoir y parvenir, en panne d'inspiration,  regarde la neige tomber par la fenêtre. Elle se souvient de ce que son mari lui disait sur ce poète : 

Wallace Stevens.
Wallace Stevens était le poète agent d'assurances dont Eric essayait de se rappeler le nom chaque fois qu'il reprochait à Holly son blocage en écriture, insistant sur le fait que ce n'était ni la maternité, ni son boulot dans le monde américain de l'entreprise qui la bloquaient . (" Regarde ce poète, tu sais ce type dans les assurances...")

Pekka Hanolen : Hiver

Bonhomme de neige

 
Il faut posséder un esprit d’hiver

Pour regarder le gel et les branches

Des pins sous leur croûte de neige ;



 Avoir eu froid pendant longtemps

 Pour contempler les genévriers hérissés de glace,

Les épicéas, bruts dans l’éclat lointain



Du soleil de janvier ; et ne pas imaginer

 De détresse aucune dans le bruit du vent,

 Le bruit d’une poignée de feuilles,



Qui est le bruit de l’étendue

Emplie du même vent

 Soufflant dans le même lieu nu



Pour qui écoute, écoute dans la neige,

Et, n’étant rien lui-même, ne contemple

Rien qui ne soit là et le rien qui est.

 
Gustav Fjaestad

The Snow Man


One must have a mind of winter

To regard the frost and the boughs

Of the pine-trees crusted with snow;



And have been cold a long time
 To behold the junipers shagged with ice,

The spruces rough in the distant glitter



Of the January sun; and not to think

Of any misery in the sound of the wind,
 
In the sound of a few leaves,



Which is the sound of the land

Full of the same wind

That is blowing in the same bare place



For the listener, who listens in the snow,

And, nothing himself, beholds

Nothing that is not there and the nothing that is.




Victor Charreton


Editions Corti
 Harmonium  traduction de Claire Malroux



Avec ce poème je rejoins le groupe poésie du jeudi d'Asphodèle

Voir - pour les peintres scandinaves Pekka Hanolen et Gustav Fjaestad - qui illustrent ce poème  le beau billet de Nathanaelle

dimanche 1 décembre 2013

Jean-Christophe Ruffin : Globalia




J'ai eu un peu de mal à entrer dans Globalia le roman de Jean-Christophe Ruffin dont le thème me paraît trop connue et me donne une impression de déjà lu depuis Le meilleur des mondes d'Huxley et 1984 d'Orwell.
Pourtant c'est de notre époque que Jean-Christophe Ruffin nous parle et c'est en cela qu'il offre un point de vue différent. Je me suis donc intéressée peu à peu au récit en découvrant la vision critique que l'écrivain donne de notre société, du pouvoir politique, et de la mondialisation des richesses économiques. 

Sous un globe qui le protège du monde extérieur, sous un ciel toujours clément et ensoleillé mais factice, voici un univers, Globalia, ou tout semble parfait, où l'état providence veille sur tout, assure le confort et la santé de son peuple mais où pourtant la liberté fait défaut. C'est pourquoi Baïkal, un jeune globalien cherche à gagner les non-zones, sauvages, peuplées d'après le gouvernement de Globalia de "terroristes". Mais peut-on se libérer vraiment d'un pouvoir qui détient toutes les commandes du pouvoir : L'argent, l'armement et  l'information? 

Dans Globalia, en effet, le pouvoir est concentré entre les mains d'une poignée d'hommes. Ils sont si peu nombreux que leur puissance est presque illimitée. Les politiques n'y font que de la figuration et ne possèdent plus que l'apparence du pouvoir. Ils servent de paravent à des multinationales qui leur dictent les lois. Etonnant, non, comme ce monde ressemble au nôtre? J'ai eu l'impression de voir nos hommes politiques français de gauche ou de droite s'agiter comme des fantoches au service des multinationales!
Quant à ceux qui habitent Globalia, pourvu qu'ils bénéficient du confort et puissent consommer, ils renoncent peu à peu à leur liberté de penser; d'autant plus que le gouvernement de Globalia s'appuie sur la peur pour maintenir les habitants sous dépendance et place la sécurité au coeur de la constitution en présentant la video-surveillance comme un objet de liberté. Vous connaissez? Les globaliens s'endorment dans un quotidien ou l'écran les berce à longueur de journée de publicités mensongères, où la culture n'existe plus et où les livres ont disparu. Alors, bien sûr, les marginaux qui échappent à la règle, ceux qui aiment les livres, par exemple, vont essayer de s'insurger. Mais c'est la lutte du pot de terre contre le pot de fer.
J'ai trouvé le roman de Ruffin très pessimiste à moins qu'il ne soit tout simplement lucide et c'est pourquoi même si le roman ne m'a pas paru  passionnant - les personnages ne sont pas attachants, l'histoire d'amour peu convaincante -  j'ai apprécié cette analyse sans concession de notre monde actuel et cette critique politique virulente de la mondialisation.


de Lisa et Silyre

Laura Kasischke : La vie devant ses yeux, une déception




Emportée par mon enthousiasme pour Esprit d'hiver j'ai voulu lire un autre Kasischke : La vie devant ses yeux. Mal m'en a pris! Le roman est une déception complète. Qui plus est je dois battre ma coulpe et demander à Wens (voir sa critique du film) pardon car le film est loin d'être bon!

Diana et Maureen sont amies lorsque a lieu le drame. Dans leur lycée, un élève devenu fou tire sur ses camarades, allusion à la tuerie de Colombine, et pénétrant dans les toilettes où elles sont réfugiées leur demande laquelle des deux il doit tuer. Diana répond "tue-la". La suite du roman montre la vie de Diana devenue adulte, avec sa fille Emma, son mari, un brillant universitaire … Mais sous cette apparence de bonheur, la fêlure …

Comme d'habitude, Laura Kasischke  mène l'intrigue avec habileté, nous amène là où elle veut avec son écriture élégante et cette sorte de cruauté qui est en elle, lorsqu'elle peint sous le calme, la beauté d'un jardin et des fleurs, le malaise et la menace.  On y retrouve maints thèmes communs à Esprit d'hiver. Mais je comprends mieux pourquoi certains lecteurs (devrais-je dire lectrice, n'est-ce pas Dominique (à sauts et à gambades?) ne peuvent supporter ce que l'on a  pu appeler "manipulation". Le lecteur envoyé sur une fausse piste croit ce qu'on lui raconte avant d'être retourné comme un crêpe et de s'apercevoir que tout ce qu'il pensait voir n'était qu'un reflet inversé de l'image présentée.  Mais en faisant cela Laura Kasischke, pour le plaisir d'un dénouement époustouflant, détruit ce qui était vraiment au centre de cette histoire : comment peut-on vivre après un tel drame et une telle culpabilité?  Question qui est le véritable intérêt du récit ou aurait dû l'être.

C'est du grand art, et si le roman m'a déplu, ce n'est pas parce que l'habileté et le talent d'écriture de Kasischke sont en cause mais parce que la manipulation est gratuite, le dénouement décevant, et que je ne peux adhérer au récit qui perd tout son intérêt et sa logique interne quand on connaît la vérité. Au contraire, j'ai totalement accepté ce procédé dans Esprit d'Hiver parce qu'il obéit à une logique psychologique, que le point de vue du récit, unique, celui de Holly, nous amène à cette vision faussée; et  l'écrivaine ne triche pas puisqu'elle nous donne toutes les clés pour comprendre. De plus, le roman rend compte de l'immense douleur d'une mère et donc il n'est jamais gratuit. Ce qui n'est pas le cas pour La vie devant ses yeux qui est un roman à sensation..

Quant au film s'il a les mêmes défauts que le livre, il n'en a pas les qualités. Le récit est mélo et au cas où l'on n'aurait pas compris ce qu'éprouve Diana, le metteur en scène Vadim Pelman en rajoute des tonnes. L'histoire devient moralisatrice : la jeune héroïne dévoyée mais libre de Kasischke, qui n'obéit pas à la morale bourgeoise bien pensante, devient une pauvre petite jeune fille mal aimée, larmoyante,  qui se rachète par sa grandeur d'âme.

Réponse à l'énigme n° 76



La bonne réponse : Aifelle,  Asphodèle, Dasola, Eeguab, Gwenaelle, Valentyne

 Le roman : Laura Kasischke : La vie devant ses yeux
Le film :  Vadim Pelman : La vie devant ses yeux

samedi 30 novembre 2013

Un Livre/ Un film : Enigme 76


Pour les nouveaux venus : De quoi s'agit-il?


 

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur. 


Chez Eeguab, le 2ème et 4ème samedi du mois vous trouverez l'énigme sur le film et le livre






Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.




Pendant les vacances, nous arrêtons le jeu Un livre/ Un film.  

Le samedi 7 Décembre l'énigme aura encore lieu chez Wens et claudialucia puisque c'est le premier  samedi du mois de Décembre





Enigme 76
 Ce roman a été écrit par une célèbre romancière américaine dont on parle beaucoup en ce moment et qui a été couronnée de nombreux prix littéraires tant en poésie qu'en prose. C'est le troisième roman de cette auteure.

Le miroir est étroit et fonctionnel, mais éclatant, aussi. Plus tôt, ce matin, le gardien l'a frotté avec un chiffon et du glassex, et maintenant, il est comme un pan d'esprit qui s'ouvre. Aussi clair qu'une pensée qui naîtrait dans l'esprit d'un Dieu. Une pensée projetée par le créateur de toute chose, sur une eau parfaitement calme.
Elles doivent se serrer l'une contre l'autre, épaule contre épaule, pour faire tenir leurs deux reflets dans la glace. 
Une fille aux cheveux sombres qui sourit, le bras glissé sous celui de son amie.
Une blonde qui vient de pleurer, mais qui rit à présent. Il reste que ses larmes ont brouillé le cliché de son visage, le maquillage de ses yeux a coulé et son image lui paraît plaquée sur la surface tremblotante de l'eau d'une piscine.
 



jeudi 28 novembre 2013

Laura Kasischke : Esprit d'hiver (2 ) Réflexion sur un thème (citation)



Il y a dans Esprit d'hiver des thèmes, entre autres, qui me touchent beaucoup, c'est celui de l'enfance maltraitée, mise au rebut, celui de l'adoption, des difficultés et des souffrances qui lui sont liées : le désir d'enfant et l'impossibilité d'en avoir, les conditions de vie des enfants dans les orphelinats et pire encore de ceux qui vivent dans les rues; le fait aussi que les enfants malades ou déficients sont rejetés et le sentiment de culpabilité de ceux qui ont le pouvoir de décision. Quelle justification morale peut-il y avoir quand on décide que tel enfant a ou non le droit de vivre et celui d'être heureux?

Quand Holly décident d'adopter un bébé dans un orphelinat russe,  ses collègues n'ont de cesse de lui rappeler que l'enfant peut avoir des gènes défectueux, des maladies mentales ou physiques, des dégenérescences liés au passé de leurs parents, drogués, alcooliques, des séquelles d'une enfance traumatique dans une institution sinistrée où le manque de nourriture allié au manque de personnel entraînent des déficiences et une mortalité importante. Holly, elle, porteuse comme sa mère d'un gène entraînant la mort a dû subir des opérations qui ne lui permettent plus d'avoir d'enfants :

Ce type d'interrogations et de raisonnements avait mis Holly hors d'elle et, après la seconde ou la troisième suggestion de ce style, elle avait rétorqué : "Eh bien, je suppose que si mon patrimoine génétique était parfait, comme le vôtre, j'aurais bien des raisons de m'inquiéter. Mais puisque le mien est tissé de mutations génétiques mortelles, j'ai plus de compassion dans ce domaine que d'autres personnes. Je veux dire, vous sous-entendez que ceux qui auraient de mauvais gènes ne devraient pas avoir de parents, ou bien que les gens ayant de mauvais gènes ne devraient pas avoir d'enfants.


En Sibérie personne n'avait été en mesure (ni même désireux?) d'aborder avec Holly et Eric le sujet des parents biologiques de Tatiana... Evidemment peu importait à Eric et Holly. Leur seule inquiétude à ce stade - après ce premier aperçu des yeux noirs gigantesques de Tatty/Sally, après être tombés amoureux d'elle-  était de savoir s'il y avait quelque chose d'elle qu'il devait connaître concernant ses gènes afin de l'aider non de la rejeter.

 (Si vous n'avez pas lu  le livre, attention à partir de là spoiler*)

 Pourtant Holly et Eric malgré ces beaux sentiments qui demandent en fait beaucoup de courage et d'abnégation font comme les autres! Et l'on ne saurait les en condamner : avoir le désir d'un bébé en bonne santé est en somme bien naturel! Mais ce qui est pire, c'est qu'ils le font en se mentant par une sorte de déni de la vérité. Ils savent tous deux que Tatiana n'est pas le bébé qu'ils ont choisi et Holly sait ce que la vraie Tatiana est devenue depuis qu'elle a poussé la porte interdite.

Prendre connaissance des horreurs de ce monde et ne plus y penser ensuite, ce n'est pas du refoulement. C'est une libération.

C'est alors que l'élastique que doit tirer Holly sur les conseils de la psychiatre pour oublier la douleur ressentie chaque fois qu'elle pense à la mort de sa mère et ses soeurs prend toute sa signification. Une métaphore de l'oubli ou plus précisément du déni puisque Holly finit même par tirer l'élastique mentalement, dans sa tête. Et bien non! En cette journée d'hiver très particulière où tout va basculer pour Holly, le sentiment de culpabilité envers l'autre bébé va ressurgir plus fort que jamais. Ce n'était pas une libération mais du refoulement!

 Je crois que ce roman est un concentré de souffrance, que toutes les pages en sont imprégnées ; c'est pour cela qu'il m'a autant touchée et je me demande aussi si les lecteurs qui rejettent ce livre ne le font pas  par un sentiment d'auto-défense? (je ne peux répondre à leur place, évidemment mais vous le pouvez si vous êtes dans ce cas dans les commentaires)

*Comme je cherchais l'équivalent français de Spoiler voilà ce que je lis sur Wikipedia : 

Cependant, il est à préciser que cette recherche d'équivalents français à ce terme prétendument anglais n'aurait pas véritablement lieu d'être étant donné que ce mot "spoiler" est en fait issu en totalité de l'Ancien français "espoillier" (qui donnera "spolier" en français moderne), verbe provenant du latin "spoliare" signifiant "ruiner", "piller". Le terme "spoiler" n'est donc pas à proprement parler un mot anglais mais bien un dérivé direct du français (ancien français en l'occurence).
On nomme « spoil » le fait de donner des éléments de l'intrigue.

mardi 26 novembre 2013

Rentrée littéraire : Laura Kasischke, Esprit d'hiver




Avec Esprit d'hiver qui fait écho au poème de Wallace Stevens Bonhomme de neige  dont le vers  Il faut posséder un esprit d'hiver éveille des réminiscences peu agréables dans l'esprit de Holly, personnage principal du récit, Laura Kasischke signe un roman qui est pour moi un coup de coeur.

L'esprit de l'hiver imprègne ce huis clos à deux personnages, Holly et Tatiana, sa fille adoptive d'origine russe. Les uns après les autres les invités de Holly se décommandent renonçant,  à cause de la tempête, à  partager le repas de Noël que Holly est en train de préparer. Isolées du monde par la neige qui recouvre le paysage dans cette région du Michigan où les hivers sont rigoureux, la mère et l'adolescente se retrouvent  dans une solitude à deux qui va se révéler pesante.
 Il semble, en effet, que rien ne peut  se dérouler normalement ce jour-là, à commencer par l'angoisse qui saisit  Holly à son réveil tardif. Pourquoi cette pensée néfaste s'impose-t-elle à elle : "Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux". Pourquoi le souvenir récurrent  de l'adoption de Tatiana, en Sibérie, il y a quinze ans de cela, viennent-ils la perturber. Et surtout pourquoi Tatiana, si belle, si aimante et si aimée, a-t-elle ce comportement bizarre envers sa mère? 
Le récit s'inscrit dans une seule journée et comporte de fréquents retours en arrière sur le passé de Holly, sur l'enfance de Tatiana, créant un leitmotiv obsédant. Holly parle de son désir d'enfant, elle qui ne peut être mère, de son désir d'être poète, elle qui ne peut écrire. Les images de l'orphelinat sinistre en Sibérie où la vie d'un bébé ne tient qu'à un fil hantent sa mémoire. Le lecteur se sent, comme Holly, prise au piège de toutes ces pensées  inquiétantes. Les rosiers du jardin protégés par des sacs sont semblables à des petits crânes emplis de roses, des esprits faits roses,  la poule Sally que Tatiana aimait temps a été déchiquetée par les coups de bec de ses compagnes, le rôti est une chose morte que Holly doit sortir à toute hâte de la maison… Laure Kasischke avec un talent considérable distille l'angoisse à dose infinitésimale mais progressive et continue.  Son style poétique, fait entendre des dissonances, provoque des perturbations en nous. L'auteur utilise la métaphore pour peindre la souffrance de Holly comme un paysage intérieur hivernal où tout semble étouffé, ou les bruits paraissent amortis, où la souffrance est comme recouverte d'un linceul. 
J'avoue avoir été complètement ensorcelée par cette voix désolée qui est celle de Holly, touchée par le sentiment de  détresse et de solitude, fascinée par tous les non-dits du roman que nous percevons dans la grisaille de l'hiver.  Il faut être un grand écrivain pour faire sentir tout cela, pour communiquer une telle émotion sans avoir besoin de dire, juste par la suggestion, puis peu à peu, en semant des indices de çà de là, légers comme des  flocons puis formant un tout pour nous amener à comprendre!  Une très belle lecture! Une réussite!

Voir Clara ICI

lundi 25 novembre 2013

Léonor de Récondo : Pietra viva

Michel Ange : Le tombeau de Jules II Moïse (détail)

Dans un pierre vive /L'art veut que pour toujours/Y vive le visage de l'aimée  écrit Michel Ange dans un madrigal composé pour Vittoria Colonna que Léonor de Récondo place en exergue de son roman. Pietra viva : La pierre vive, la pierre qui enferme les formes que Michel Ange distingue avec  prescience, enfouies dans le marbre, et qu'il ramène à la surface en leur donnant vie. C'est cette quête que nous conte Léonor de Récondo  dans cet ouvrage qui présente quelques mois de la vie de Michel Ange dans les carrières de Carrare. Il y est venu pour arracher à la montagne les blocs de marbre qui lui permettront de réaliser les statues du tombeau monumental commandé par le pape Jules II à l'artiste. Pourtant, Michel Ange a une autre raison d'être là; il a fui Rome bouleversé par la mort d'Andrea, un jeune moine qu'il aimait et qui vient de mourir, le laissant désespéré par cette mort subite.
Je dois le dire clairement, la romancière malgré ses qualités de style et de conteuse n'est pas complètement parvenue à emporter mon adhésion. Je suis souvent restée en dehors devant cette analyse intelligente, certes, mais qui m'a semblé un peu trop cérébrale et où le sentiment reste muselé.. J'ai aimé pourtant la manière dont Léonor de Récondo conduit son récit pour ressusciter Michel Ange non seulement en tant qu'artiste, un des plus grands de son temps, mais aussi en tant qu'homme. La démarche est originale et réussie.

La romancière ne cherche pas, en effet, à écrire la biographie du sculpteur même si elle introduit très habilement de nombreux éléments  sur sa vie et sur l'histoire de son pays : son enfance chez une nourrice dont le mari est carrier et son initiation précoce à la pierre, ses dons exceptionnels pour le dessin, la mort de sa mère quand il a six ans, les oeuvres qu'il a déjà sculptées au moment du récit, sa rencontre avec Lorenzo le Magnifique, les autodafés de Savonarole, les terribles épidémies qui moissonnent les vies, les emportements de Jules II…
Mais à côté des faits historiques, concrets, il y a surtout de la part de la romancière tout un travail d'imagination, de compréhension intuitive, bref! un réel talent pour peindre l'homme sous l'artiste. Semblable en cela à la démarche du sculpteur qui taille dans la pierre vive pour délivrer les esclaves de la gangue qui les retient, Léonor de Recondo scrute la mémoire pour faire remonter les souvenirs perdus de Michel Ange et ainsi nous révéler le personnage de l'intérieur.
La mort d'Andréa, en effet, va le renvoyer à celle de sa mère qu'il s'est toujours efforcé d'oublier par crainte de souffrir. Il ne peut même plus se rappeler ses traits. Cette remontée du souvenir se fait par degrés successifs : un parfum d'abord, des images, et la lecture de la bible que lui a laissée Andrea en sont les moteurs. Peu à peu Michel Ange, prisonnier de lui-même, accède au souvenir, accepte les sentiments et la souffrance, émerge à la vie.
Ce thème  traité avec beaucoup de finesse est associé à celui de l'art et interroge sur le rôle que celui-ci doit jouer :  l'art comme travail de la mémoire, l'art pour conserver le souvenir du passé, l'art vécu comme une "fièvre de la pierre", comme une nécessité vitale.
Autres centres d'intérêt du roman : la vie des carriers et de leur famille, les dangers de l'exploitation de la pierre et les personnages vivants ou surprenants qui gravitent autour de l'artiste, le petit Michele doté d'une forte personnalité qui révèle Michel Ange à lui-même, Cavalino qui se voit comme un cheval, Topolino qui se faufile comme une "souris" entre les blocs de marbre, son épouse, Chiara , un beau portrait de femme… De beaux passages décrivent l'irréalité des paysages, de cette carrière et de cette pierre de lune, le marbre :
Imagine le visage des premiers hommes quand un bout de paroi est tombé, quand le blanc a scintillé et qu'ils ont découvert ces pierres si blanches, issues de cette montagne si vertes. Ils ont dû se retourner pour regarder la lune briller dans le ciel nocturne et se sont dits que des morceaux d'elle s'étaient échoués là.
Le roman de Léonor de Recondo, très bien écrit, présente donc de grandes qualités dans la manière d'aborder le personnage comme si elle l'extrayait de la roche, dans sa description du travail du carrier mais le style m'a paru un peu froid. Les phrases courtes, nettes, rapides, l'emploi du présent de narration qui donne une clarté crue aux actions, refusent tout sentiment. La romancière m'apparaît comme un chirurgien du style :  elle tranche dans le vif, elle dégage l'abcès, elle cautérise. La retenue, la distance volontaire qu'elle maintient par rapport à son personnage m'a donc laissée spectatrice plutôt que partie prenante du récit. C'est pourquoi si j'ai été intéressée et séduite intellectuellement je n'ai pas ressenti de véritable émotion.


Le tombeau de Jules II della Rovere



Dans Pietra viva Léonor de Recondo fait dire à Michel Ange : Le tombeau sera sur deux étages, comme une maison sans toit. Le tout entouré de colonnes, de fenêtres, de niches et de sculptures. A l'intérieur de ces murs, il y aura la tombe à proprement parler où l'on déposera le corps du Pape.

C'est en 1505 que Michel Ange se rendit à Rome où le pape Jules II della Rovere le chargea de construire  son tombeau sur cinq ans. Il devait mesurer 7 mètres de large et 8 mètres de hauteur et être orné de 40 statues. Il était prévu un niveau inférieur où figurerait l'homme, un niveau central pour les saints et les prophètes et un niveau supérieur représentant le Jugement Dernier.

Mais entre temps, Michel Ange, à la demande du pape, aura  à réaliser le plafond de la chapelle Sixtine, ce qui lui prendra quatre années à partir de 1508. Le pape Jules II l'inaugurera en 1512.

A noter aussi une autre interruption que le roman de Mathias Enard Parle-leur de batailles, d'amours et d'éléphants  situe en 1508.  A cette date, Michel Ange humilié par le pape qui refuse de lui donner une avance alors qu'il est en train de sculpter le Moïse, délaisse le tombeau pour se rendre à Constantinople à la demande du sultan Bazajet afin de contruire un pont sur le Bosphore.

Ce n'est qu'après la mort du Pape en 1513 que le sculpteur reprendra le tombeau qui ne sera achevé par étapes qu'en 1545. Celui-ci sera plus petit et placé contre un mur. Il sera mis en place non pas à la cathédrale Saint Pierre comme prévu initialement mais à l'église Saint Pierre in Vincoli. Les esclaves destinés à l'étage inférieur disparu, sont exposés pour quatre d'entre-eux à Florence et pour deux à Paris.

voir aussi le billet de Dominique A sauts et à gambades




Les quatre esclaves de Florence




Merci à Price Minister et aux éditions Sabine Wespieser











chez Eimelle

dimanche 24 novembre 2013

Au Centre Pompidou, le surréalisme et l'objet.

Arnaud Labelle-Rojoux : A la main du Diable

Je sortais à peine de la Maison de Victor Hugo où dans La cime des rêves  (voir ici) étaient présentés les rapports du poète avec les surréalistes que je découvre à Pompidou une autre exposition  : Le surréalisme et l'objet. Aussitôt j'y cours. Vous l'avez peut-être compris, je suis accro à ce mouvement artistique! J'en aime l'esprit de dérision, de provocation, de subversion et de liberté; j'aime la volonté affichée de détruire le regard conventionnel, étroit et convenu que l'on porte trop souvent sur l'art; j'aime cet appel à sortir des sentiers battus, à réfléchir sur la notion d'Art; j'aime aussi l'aspect ludique qui parle à l'imagination ou l'impossible devient possible!

La conscience poétique de l'objet


Loup-table de Victor Brauner

En 1924, André Breton proposait de fabriquer dans la mesure du possible, certains de ces objets que l'on n'approche qu'en rêve et qui paraissent aussi peu défendables sous le rapport de l'utilité que sous celui de l'agrément. 
En mettant ainsi la lumière sur l'objet surréaliste, à partir d'objets trouvés mais détournés de leur sens ou à partir d'objets rêvés concrétisés par leur fabrication avec des éléments du réel, l'exposition  montre comment les surréalistes ont donné une conscience poétique à l'objet, lui ont conféré une surréalité que Breton définissait comme "une sorte de réalité absolue". C'est le sens que j'ai retenu de cette exposition.

Les Readymade 


Dans les premières salles on retrouve des objets très connus du surréalisme, comme les Readymade de Duchamp ainsi son Porte-bouteilles, ou le téléphone-Homard de Dali... Pour Duchamp l'objet, même quotidien, banal ou prosaïque acquiert un statut d'oeuvre d'art par le seul fait que l'artiste l'ait choisi. Perçus comme scandaleux, choquants en leur temps, les Readymade ont eu pourtant une grande importance dans la réflexion sur l'art.  


Marcel Duchamp : Porte-bouteilles

Le mannequin et la poupée

 

Pour la première fois le mannequin est introduit dans une oeuvre que Chirico intitule Le Prophète car son  statut hybride -objet de forme humaine- lui confère une inquiétante étrangeté et Hans Bellmer accentue cet effet avec ses poupées de cire démantibulées qui renvoient au mythe de Pygmalion ou à l'Olympia d'Hoffmann  et qui ont aussi une dimension érotique soulignée pleinement par la projection d'une scène du film de Luis Berlanga :Grandeur nature dans lequel Michel Piccoli danse avec une poupée.

Giorgio de Chirico : Le prophète

Hans Bellmer : la poupée et Luis Berlanga : Grandeur nature

Objet à fonctionnement symbolique

 

Les objets à fonctionnement symbolique sont présentés dans une scénographie que j'ai beaucoup aimée. Elles sont plongées dans une semi-obscurité qui met en valeur l'objet éclairé, enfermé dans des écrins de verre comme des bijoux précieux et rares. Une caméra capte l'objet dans un mouvement tournant qui renvoie les images  sur les murs tendues de toile de la salle, permettant de magnifier les détails de ces créations. Ainsi l'objet à fonctionnement symbolique d'André Breton, la Boule suspendue de Giacometti, Le soulier de Gala de Salvador Dali, prennent leur sens en fonction du regardeur.. Et bien sûr il faut accepter de se perdre, de ne pas tout comprendre.
La chaussure de Gala par Dali a un sens érotique évident, associée au dessin d'un couple en train de copuler dans une boîte à chaussures :

Dali : La chaussure de Gala

On sait l'obsession de Dali pour la chaussure de femme, ce qui inspire à Elsa Schiaparelli le fameux chapeau-chaussure que porte Gala sur cette photo :


Gala Dali et le chapeau-chaussure

D'autres objets sont encore plus complexes à décrypter! Et ce n'est pas grave, il faut laisser son esprit cartésien au vestiaire! Parfois les surréalistes agissent comme des enfants facétieux qui cherchent à vous mener en bateau et ce côté ludique est passionnant.

André Breton : objet à fonctionnement symbolique
La compréhension de l'objet surréaliste se mérite! Son mode d'emploi c'est : se laisser aller à son imagination!  Avec cet objet à fonctionnement symbolique André Breton me laisse perplexe : on y voit un timbre et une selle de bicyclette reliés à une fronde munie d'un caillou, et une sorte de petit panier contenant des objets qui évoquent pour moi un utérus avec des embryons, la Naissance? La bicyclette au milieu des feuilles serait donc la représentation de la vie, son mouvement? et la fronde n'est-elle pas synonyme des difficultés, des blessures de la vie? Les feuilles séchées seraient alors la mort annoncée? Et que signifient certains objets que je n'identifie pas bien. Regardons un de ces détails grâce au film qui le sélectionne et le grandit :

André Breton : objet à fonctionnement symbolique(détail)
 Cet détail se révèle être un sablier, il évoque donc bien le temps qui s'écoule et nous amène inexorablement vers la mort.
Un objet surréaliste est une énigme! Et peu importe si ce n'est pas ce que l'artiste a voulu dire parce que voilà ce que déclare Dali à ce propos : Ces objets, qui se prêtent à un minimum de fonctionnement mécanique, sont basés sur les fantasmes et représentations susceptibles d’être provoqués par la réalisation d’actes inconscients. [...] Les objets à fonctionnement symbolique ne laissent aucune chance aux préoccupations formelles. Ils ne dépendent que de l’imagination amoureuse de chacun et son extra plastiques. » (Salvador Dalí, « Objets surréalistes », Le Surréalisme au service de la révolution, n° 3, décembre 1931.

 

Meret Oppenheim : Ma gouvernante


J'adore l'humour de ces chaussures blanches ficelées comme un gigot prêt à enfourner (ou à passer à la casserole) que Meret Oppenheim intitule : Ma gouvernante.
A noter tous les détails symboliques de l'objet :
Et d'abord la chaussure qui est la représentation érotique et fétichiste par excellence. On peut imaginer la gouvernante, objet des fantasmes prépubères du petit garçon.
La blancheur, symbole de pureté, de virginité,  est détournée par la ficelle qui ligote les chaussures et évoque des relations sado-maso ou tout simplement la domination du mâle impliquant la soumission de la femme voire son non-consentement.
Enfin le plat sur lequel est disposé cet objet a pour moi une double référence : Il renvoie d'une part à une video de l'exposition dans laquelle on voit Oppenheim et ses convives prendre un repas sur une table-femme, ce qui est peut-être l'image d'un cannibalisme amoureux faisant un sort aux expressions :" je te mangerai!""Tu es à croquer"!
D'autre part, je ne peux m'empêcher d'y voir un pastiche des tableaux de la Renaissance ou de l'art Baroque représentant la tête de Saint Jean-Baptiste posée sur un plat, offrande sacrificielle offerte à Salomé.

Andrea Solario, La tête de Saint Jean-Baptiste, 1507
Le Caravage : Salomé et Saint Jean-Baptiste

Les autres objets sont regroupés d'après les expositions internationales auxquelles ils ont participé, de 1933 à  1960 selon des thèmes divers, l'objet et son rapport avec  la sculpture, Eros, une dernière salle est consacrée à  Joan Miro,  après 1960, où l'artiste invente l'objet selon le principe des "cadavres exquis" avec des objets divers.

Joan Miro : personnage

Joan Miro : personnage


 Et enfin je vous laisse regarder certaines oeuvres et vous interroger sur leur sens si le coeur vous en dit!

 
Salvador Dali

Alberto Giacometti : Table
 
Dali : Le veston aphrodisiaque




Centre Pompidou, Paris
Le surréalisme et l'objet
30 octobre 2013 - 3 mars 2014
de 11h00 à 21h00 Galerie 1 -

vendredi 22 novembre 2013

Victor Hugo et les surréalistes : La cime du rêve à la Maison Victor Hugo



J'étais bien décidé lors de mon séjour à Paris à ne pas rater l'exposition sur Hugo et les surréalistes  La cime du rêve à la Maison Victor Hugo. Je me souvenais du plaisir et de l'intérêt que j'avais retirés de celle intitulée Les arcs-en ciel du noir lors de mon dernier passage en 2012. J'aime ce genre d'exposition, plus modeste et moins courue, mais intelligente et présentant des surprises.
Dans La cime du rêve le commissaire de l'exposition Vincent Gille s'attache à montrer la dette que les surréalistes -qui n'appréciaient pourtant pas tous l'écrivain passé de mode à cette époque- doivent à Victor Hugo. 
 Le Hugo des années 1920 n’est pas le Hugo consensuel qu’il est devenu aujourd’hui. C’est, d’un côté, un Hugo bien-pensant, un Hugo de manuels scolaires et de récitations, un Hugo statufié. C’est, d’un autre côté, un Hugo vilipendé par l’université pour sa fatuité, pour son côté verbeux et honni tant par l’extrême gauche que par la droite extrême, maurrassienne.


Victor Hugo : château

Le premier à reconnaître l'impact de Hugo sur le mouvement est André Breton même s'il le formule d'une manière un peu irrévérencieuse : Victor Hugo est surréaliste quand il n'est pas bête.
Mais André Breton rend plus largement hommage au travail graphique de Hugo dans In l'art magique
"Il est donc satisfaisant pour l'esprit que le dernier mot doive rester dans ce domaine à l'œuvre d'un homme qui n'était ni graveur, ni peintre de profession. Que cet homme ait vu déjà avant Rimbaud, dans l'encre utilisée par le pinceau comme par la plume, le moyen de "fixer des vertiges" et d'interroger son propre subconscient (préludant ainsi au psychodiagnostic de Rorschach). (...)
Que cet auteur négligé de lavis, de "taches d'encre" et de toiles de chevalet où la plus puissante imagination se donne cours, ait été un poète, et s'appelle Victor Hugo." .

Victor Hugo : brise-lames à Jersey
 La parenté entre Hugo et le mouvement, même si elle n'est pas entièrement assumée par la plupart d'entre eux, existe et le mérite de l'exposition est de nous le faire découvrir à travers les textes et les dessins de Victor Hugo mis en parallèle avec les écrits et les images des surréalistes. Bien sûr, Victor Hugo n'est pas un surréaliste mais loin du Hugo classique, apparaît un écrivain et un peintre étonnant, aux images surprenantes. Des textes, des tableaux et des photographies de Breton, Desnos, Ernst, Valentine Hugo, Picabia, Magritte, Brassaï, Masson, Bellmer, Man Ray... répondent aux oeuvres visionnaires de Hugo hanté par la mort, pratiquant l'occultisme et dont la représentation échappe à la réalité :  fulgurances de l'imagination, gouffres d'ombres, célébrations des paysages ou des créatures hors du commun. Cette parenté se lit aussi jusque dans les thèmes communs, châteaux, bestiaire, mer, tempête, ciel, mort, amour... et dans  les pratiques de Hugo pour réveiller l'imagination, laisser le champ libre au hasard qui ressemble fort à celles de Breton et de ses amis, jeux sur les mots, grattage, collages, taches d'encre, pochoirs.

Max Enrst : Forêt et soleil

Le plaisir et l'originalité de La cime du rêve est de nous faire redécouvrir ces correspondances à travers des oeuvres belles et intéressantes et comme toujours de rendre hommage au génie de Victor Hugo.

La cime du rêve
Maison Victor Hugo
Du jeudi 17 octobre 2013 au dimanche 16 février 2014

Tous les dimanches, mardis, mercredis, jeudis, vendredis, samedis
de 10h00 à 18h00

*sauf  le 25 décembre 2013 et le 1 janvier 2014




jeudi 21 novembre 2013

Le Nouveau Tartuffe : Molière/Pelaez/ Gélas au théâtre du Chêne Noir



Orgon (Damien Rémy) et Elmire (Sabine Sendra )

Le nouveau Tartuffe -comme  son titre l'indique-  donné à Avignon au théâtre Le Chêne noir et mis en scène par Gérard Gélas, n'est pas celui de Molière mais celui de Jean Pierre Pelaez qui nous en propose une réécriture.
Je le dis tout de suite, si je me méfie beaucoup des metteurs en scène qui prétendent "dépoussiérer" , "déstructurer",  selon les termes à la mode, les grandes pièces du répertoire théâtral classique comme si elles n'attendaient qu'eux pour avoir un sens, je ne suis pas contre la réécriture. Après tout Molière, Racine, Corneille, Shakesperare et bien d'autres l'ont  fait avant eux! Et il n'est plus temps à notre époque de relancer le débat entre les Anciens et les Modernes. Pascal le disait  : Quand on joue à la paume, c'est une même balle dont se sert l'un et l'autre mais l'un la place mieux!

 Mieux? pas obligatoirement! Mais il suffit qu'il la place judicieusement, comme le fait Jean Pierre Pelaez en imaginant un Tartuffe de notre temps,  soit un médecin humanitaire dont les passages à la télévision servent de tremplin à  la carrière politique et financière :  portefeuille de ministre et  revenus substantiels. Vous aurez reconnu sans peine? Mais au-delà de l'anecdote, bien sûr, la pièce de Pelaez rappelle que les Tartuffes de notre époque sont aussi nombreux que jadis! Et si si les moyens d'y parvenir ont changé, le processus, lui, est resté le même et le but à atteindre aussi! La famille d'Orgon paraît bien appartenir à ce que l'on appelle la gauche caviar, confort, richesse et bonne conscience, avec leur jeune fille au pair colombienne (mais gênante quand elle la ramène trop!) et les jeunes gens de bonne famille qui s'évanouissent ou presque à l'idée de devoir travailler… pour vivre! Et bien sûr, de même que Molière prend soin de distinguer les vrais dévots des faux, Pelaez insiste sur la distinction entre les vrais humanitaires et.. les imposteurs, ceux qui ont, dit-il,  "leur compte en Suisse" et le porte-monnaie à la place du coeur!


Un Tartuffe réussi! (Jacky Nercessian)
Pour bien montrer cette permanence de l'espèce humaine au-delà des siècles,  les personnages  sont vêtus en tenue du XVII siècle mais Tartuffe en vêtement moderne - costume de lin blanc et écharpe blanche -, uniforme de ce faux humanitaire médiatisé. Le jeune messager qui rétablit l'ordre au dénouement d'une manière aussi factice ( en réalité ce sont toujours les Tartuffes qui gagnent) que dans le Tartuffe  du XVII siècle, l'un au nom du président de la République, l'autre  du roi, porte, lui, le costume du commissaire révolutionnaire de 1793 et arbore la cocarde tricolore. A noter aussi les beaux éclairages qui soulignent l'action.
La mise en scène est réglée comme un ballet, avec une précision rigoureuse qui souligne l'entêtement, la sottise, l'aveuglement, d'un Orgon, (excellent Damien Rémy) habité de tics, agité de gestes automatiques, traçant devant lui des dessins géométriques comme pour affirmer une autorité qui lui échappe. Le dialogue s'interrompt parfois pour laisser place à une danse saccadée ou chaque personnage perd son statut d'humain pour devenir automates, déshumanisés. La prestation homogène de tous les acteurs ajoute au plaisir du spectacle. Un bon moment théâtral.

Théâtre du Chêne Noir : Avignon
Le nouveau Tartuffe jusqu'au 24 Novembre

Challenge Théâtre  En scène chez Eimelle



dimanche 17 novembre 2013

Walter Scott : Ivanhoe

Ivanhoe de Walter Scott



La réponse à l'énigme n° 75 :

Sortent victorieux de ce tournoi médiéval :  Aifelle, Dasola, Dominique, Keisha, Miriam, Nanou, Nathalie, Pierrot Bâton, Syl, (s) ta d loi du cine...

Le roman : Ivanhoe de Walter Scott

Le film : Ivanhoe de Richard Thorpe avec Robert Taylor, Elizabeth Taylor, Joan Fontaine, Georges Sanders...

Ivanhoe de Richard Thorpe

Walter Scott


Walter Scott est né à Edimbourg en 1771. Son père était avocat et il commença lui-même des études de droit mais la lecture de vieilles légendes et ballades écossaises ainsi que l'exploration du pays écossais jusque dans ses contrées les plus sauvages ont une grande influence sur lui. Il commence par écrire des poèmes puis se tourne vers le roman historique. Si Ivanhoe publié en 1819  assure sa notoriété en Angleterre et à l'étranger, il  avait écrit d'autres romans avant, en particulier un, paru anonymement en 1814 intitulé : Waverley ou soixante ans après. Ce livre eut un tel succès populaire que l'on appela tous les autres romans de Walter Scott qui suivirent les "waverley novels".


Quelques uns des principaux Waverley novels : 1816 L'Antiquaire  1817 : Rob Roy  1821 : Le Pirate; Kenilworth 1824 Quentin Durward 1828 : La jolie fille de Perth 1829 : Anne de Geierstein ou la fille des brumes
 Dans Les contes de mon hôte : 1819 : Lucia de Lammermoor 1831 : Robert, comte de Paris

Ivanhoe

Ivanhoe interprété par Robert Taylor dans le film de Thorpe
Avec Ivanhoé l'écrivain fait revivre l'Angleterre au temps de Richard Ier coeur de Lion.  Il présente la haine qui existe entre les Saxons et les Normands, inextinguible depuis le bataille d'Hastings (1066) qui donna la victoire à Guillaume d'Orange.  Ivanhoe, parti à la croisade, avec le roi normand Richard Coeur de Lion, apprend que celui-ci a été fait prisonnier en Autriche(1192) et que l'empereur Henri VI demande une riche rançon pour libérer son illustre prisonnier. Mais le frère de Richard, Jean sans Terre, ne veut pas payer la rançon et cherche à usurper le pouvoir. Brouillé avec son père Cédric le Saxon, farouche défenseur de la cause saxonne, Ivanhoe rentré en Angleterre, va tout mettre en oeuvre pour faire revenir Richard et lutter contre les normands qui abusent de leurs pouvoirs. Il demande un soutien financier à Isaac, le juif et fait connaissance de la brune Rebecca, sa fille, qui est aussi guérisseuse et qui tombe amoureuse de lui. Mais Ivanhoe est fiancé à la blonde Rowena, pupille de son père, qui l'aime en retour...

Rebecca, fille de Isaac de York
Lady Rowena, saxonne, pupille de Cédric

Walter Scott et son influence sur le romantisme français 

 

Influence de Walter Scott sur le romantisme français

L'influence de Walter Scott a été grande sur les écrivains du XIX siècle et sur le romantisme français. De nombreux écrivains à  son imitation vont écrire des romans historiques y compris les plus grands Victor Hugo, Stendhal, Balzac, Alexandre Dumas, Prosper Mérimée …
Pour la première fois avec Ivanhoe un roman historique mettait l'Histoire au premier plan  par rapport à l'histoire personnelle des personnages. En effet, Walter Scott, le premier, utilise l'Histoire non comme un décor ou un arrière-fond exotique. Les personnages sont inscrits dans leur époque et  représente des types sociaux. Dans Ivanhoe qui montre un pays, l'Angleterre, divisée par la haine entre les saxons envahis, humiliés, dépossédés du pouvoir et de leurs biens et les normands envahisseurs, pleins de morgue, utilisant la violence, chacun va incarner sa place dans la société par rapport au contexte historique : Cédric, baron saxon, père d'Ivanhoe représente l'opposition farouche et irréductible aux normands; Ivanhoe, saxon qui a fait allégeance à Richard, représente le parti de ceux qui veulent faire alliance à condition de voir rétablir leurs droits. Richard Coeur de Lion est le trait d'union possible entre ces deux parties. Le juif  Isaac de York représente le pouvoir économique et sous les traits de Rebecca le martyre vécu par ce peuple. A l'histoire de l'individu, Walter Scott substitue l'histoire des classes sociales. C'est une des raisons qui expliquent son succès parmi les romantiques français. * 

Balzac : Les Chouans

Mais Walter Scott a influencé le romantisme français pas seulement en qui concerne le roman historique mais aussi les romans de Balzac de La comédie humaine qui s'inspirent de lui et de son intérêt pour les classes sociales en évoluant vers le réalisme, les pièces de théâtre historiques qui envahissent la scène, les musiciens et les peintres qui s'emparent des sujets du romancier pour leurs opéras ou leurs tableaux.

 

Opéra de Donizetti : d'après Lucia de Lammermoor de Walter Scott

Le samedi 23 Novembre l'énigme aura lieu chez Eeguab 

*voir : Le roman historique à l'époque romantique : essai sur l'influence de Walter Scott (Nouv. éd.) / par Louis Maigron