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vendredi 4 octobre 2024

Marcel Proust : Sodome et Gomorrhe : L' humour de Proust (3)

 

J’ai vu au Festival d’Avignon 2023 un spectacle avec Denis Podalydes intitulé L’humour de Proust. Car Proust est un auteur qui sait manier l’humour et certains passages de La Recherche sont vraiment désopilants, hilarants, comiques, ( la règle des trois adjectifs voir ci-dessous) et j’en ai été enchantée, ravie, contente.

Les jeux sur le langage

Agranska Krolik: Marquise Zélia de Cambremer

Dans Sodome et Gomorrhe, Marcel Proust aime jouer sur les mots et s'amuse. Ainsi en est-il de la règle des trois adjectifs de la vieille marquise de Cambremer.

 C'était l'époque où les gens bien élevés observaient la règle d'être aimables et celle dite des trois adjectifs. Mme de Cambremer les combinait toutes les deux. Un adjectif louangeur ne lui suffisait pas, elle le faisait suivre (après un petit tiret) d'un second, puis (après un deuxième tiret) d'un troisième. Mais ce qui lui était particulier, c'est que, contrairement au but social et littéraire qu'elle se proposait, la succession des trois épithètes revêtait dans les billets de Mme de Cambremer l'aspect non d'une progression, mais d'un diminuendo. Mme de Cambremer me dit dans cette première lettre qu'elle avait vu Saint-Loup et avait encore plus apprécié que jamais ses qualités « uniques – rares – réelles », et qu'il devait revenir avec un de ses amis […], et que si je voulais venir avec ou sans eux dîner à Féterne, elle en serait « ravie – heureuse – contente ».

"Dès après le premier dîner que j’avais fait à la Raspelière (…) la vieille marquise m’avait écrit une de ces lettres dont on reconnaît l’écriture entre des milliers. Elle me disait : « Amenez votre cousine délicieuse — charmante — agréable. Ce sera un enchantement, un plaisir », manquant toujours avec une telle infaillibilité la progression attendue par celui qui recevait sa lettre que je finis par changer d’avis sur la nature de ces diminuendos, par les croire voulus, et y trouver la même dépravation du goût — transposée dans l’ordre mondain — qui poussait Sainte-Beuve à briser toutes les alliances de mots, à altérer toute expression un peu habituelle. Deux méthodes, enseignées sans doute par des maîtres différents, se contrariaient dans ce style épistolaire, la deuxième faisant racheter à Mde Cambremer la banalité des adjectifs multiples en les employant en gamme descendante, en évitant de finir sur l’accord parfait.

En revanche, je penchais à voir dans ces gradations inverses, non plus du raffinement, comme quand elles étaient l’œuvre de la marquise douairière, mais de la maladresse toutes les fois qu’elles étaient employées par le marquis son fils ou par ses cousines. Car dans toute la famille, jusqu’à un degré assez éloigné, et par une imitation admirative de tante Zélia, la règle des trois adjectifs était très en honneur, de même qu’une certaine manière enthousiaste de reprendre sa respiration en parlant. Imitation passée dans le sang, d’ailleurs ; et quand, dans la famille, une petite fille, dès son enfance, s’arrêtait en parlant pour avaler sa salive, on disait : « Elle tient de tante Zélia », on sentait que plus tard ses lèvres tendraient assez vite à s’ombrager d’une légère moustache, et on se promettait de cultiver chez elle les dispositions qu’elle aurait pour la musique."

 

Cabourg-Balbec  : Le Grand Hôtel

 

Le directeur du Grand Hôtel n'est pas en reste mais dans un style différent : A force de parler plusieurs langues, sa connaissance du français devient approximative. Le voici en train d'accueillir Marcel dans son établissement :

« J’espère, dit-il, que vous ne verrez pas là un manque d’impolitesse, j’étais ennuyé de vous donner une chambre dont vous êtes indigne, mais je l’ai fait rapport au bruit, parce que comme cela vous n’aurez personne au-dessus de vous pour vous fatiguer le trépan (pour tympan). « Soyez tranquille, je ferai fermer les fenêtres pour qu’elles ne battent pas. Là-dessus je suis intolérable », ces mots n’exprimant pas sa pensée, laquelle était qu’on le trouverait toujours inexorable à ce sujet, mais peut-être bien celle de ses valets d’étage. Les chambres étaient d’ailleurs celles du premier séjour. Elles n’étaient pas plus bas, mais j’avais monté dans l’estime du directeur. Je pourrais faire faire du feu si cela me plaisait (car sur l’ordre des médecins, j’étais parti dès Pâques), mais il craignait qu’il n’y eût des « fixures » dans le plafond. « Surtout attendez toujours pour allumer une flambée que la précédente soit consommée (pour consumée). Car l’important c’est d’éviter de ne pas mettre le feu à la cheminée, d’autant plus que, pour égayer un peu, j’ai fait placer dessus une grande postiche en vieux Chine, que cela pourrait abîmer. »


Les portraits-caricatures    

 

Artiste flamand anonyme (XVI)


On a vu que Marcel Proust est passé maître dans la caricature. Ainsi dans Sodome et Gomorrhe, nous faisons connaissance du marquis de Cambremer (Cancan pour les intimes), fils de la vieille marquise, époux de la jeune marquise René-Elodie de Cambremer-Legrandin..

"Mais son nez avait choisi, pour venir se placer de travers au-dessus de sa bouche, peut-être la seule ligne oblique, entre tant d’autres, qu’on n’eût eu l’idée de tracer sur ce visage, et qui signifiait une bêtise vulgaire, aggravée encore par le voisinage d’un teint normand à la rougeur de pommes. 
Il est possible que les yeux de M. de Cambremer gardassent dans leurs paupières un peu de ce ciel du Cotentin, si doux par les beaux jours ensoleillés, où le promeneur s’amuse à voir, arrêtées au bord de la route, et à compter par centaines les ombres des peupliers, mais ces paupières lourdes, chassieuses et mal rabattues, eussent empêché l’intelligence elle-même de passer. Aussi, décontenancé par la minceur de ce regard bleu, se reportait-on au grand nez de travers. Par une transposition de sens, M. de Cambremer vous regardait avec son nez. Ce nez de M. de Cambremer n’était pas laid, plutôt un peu trop beau, trop fort, trop fier de son importance. Busqué, astiqué, luisant, flambant neuf, il était tout disposé à compenser l’insuffisance spirituelle du regard ; malheureusement, si les yeux sont quelquefois l’organe où se révèle l’intelligence, le nez (quelle que soit d’ailleurs l’intime solidarité et la répercussion insoupçonnée des traits les uns sur les autres), le nez est généralement l’organe où s’étale le plus aisément la bêtise."

   Et encore la vieille marquise de Cambremer  (qui au demeurant est le seul personnage sympathique dans la noblesse malgré ses ridicules)

La marquise douairière ne se lassait pas de célébrer la superbe vue de la mer que nous avions à Balbec, et m’enviait, elle qui de la Raspelière (qu’elle n’habitait du reste pas cette année) ne voyait les flots que de si loin. Elle avait deux singulières habitudes qui tenaient à la fois à son amour exalté pour les arts (surtout pour la musique) et à son insuffisance dentaire. Chaque fois qu’elle parlait esthétique, ses glandes salivaires, comme celles de certains animaux au moment du rut, entraient dans une phase d’hypersécrétion telle que la bouche édentée de la vieille dame laissait passer, au coin des lèvres légèrement moustachues, quelques gouttes dont ce n’était pas la place. Aussitôt elle les ravalait avec un grand soupir, comme quelqu’un qui reprend sa respiration. Enfin, s’il s’agissait d’une trop grande beauté musicale, dans son enthousiasme elle levait les bras et proférait quelques jugements sommaires, énergiquement mastiqués et au besoin venant du nez."

"Ah ! j’avais bien senti que vous étiez musicien, s’écria-t-elle. Je comprends, artiste comme vous êtes, que vous aimiez cela. C’est si beau ! » Et sa voix était aussi caillouteuse que si, pour m’exprimer son ardeur pour Chopin, elle eût, imitant Démosthène, rempli sa bouche avec tous les galets de la plage. Enfin le reflux vint, atteignant jusqu’à la voilette qu’elle n’eut pas le temps de mettre à l’abri et qui fut transpercée, enfin la marquise essuya avec son mouchoir brodé la bave d’écume dont le souvenir de Chopin venait de tremper ses moustaches."


La littérature et la philosophie

 


Les discussion philosophiques ou littéraires sont souvent un moment de plaisir pour le lecteur parce qu'au milieu des arguments sérieux, Proust confie la controverse à un imbécile !  Ici, c'est le docteur Cottard qui joue ce rôle.

Le baron Charlus fervent admirateur de Balzac s'extasie devant ce passage des Illusions perdues où un personnage Carlos Herrera  demande le nom du château devant lequel il passe et qui est la demeure du jeune homme qu'il a aimé autrefois. Et il ajoute : "Et la mort de Lucien ! Je ne me rappelle plus quel homme de goût avait eu cette réponse, à qui lui demandait quel événement l’avait le plus affligé dans sa vie : « La mort de Lucien de Rubempré dans Splendeurs et Misères".

L'universitaire Brichot, un vrai savant celui-là, je l'aime bien parce qu'il est un peu iconoclaste -  avec intelligence et toujours en connaissant son sujet - critique Balzac, son style et raille ses romans feuilletons  "... et je confesse en toute simplicité d’âme que ces romans-feuilletons, rédigés en pathos, en galimatias double et triple (Esther heureuse, Où mènent les mauvais chemins, À combien l’amour revient aux vieillards), m’ont toujours fait l’effet des mystères de Rocambole..." .

 Charlus  réplique, vexée par la critique et Brichot répond avec humour en se mettant du côté de Rabelais et de Voltaire et contre Chateaubriand et Balzac  :  "Et il est permis de préférer un sentier à mi-côte, qui mène à la cure de Meudon ou à l’Ermitage de Ferney, à égale distance de la Vallée-aux-Loups où René remplissait superbement les devoirs d’un pontificat sans mansuétude, et les Jardies où Honoré de Balzac, harcelé par les recors, ne s’arrêtait pas de cacographier pour une Polonaise, en apôtre zélé du charabia."  "Cacographier" ! J'adore cette réplique mais ce n'est pas sûr qu'elle soit du goût de Proust (??) étant donné ses idées conservatrices et ses affinités pour Saint-Germain des Prés. Et en tout cas, elle ne l'est pas de Charlus, bien évidemment !  

 

Socrate

C'est au milieu cette dispute que  Cottard, bon médecin mais lettré médiocre et humoriste lourd, intervient apportant, avec ses gros sabots, une note comique à l'entretien.

J’entends bien, répondit Brichot, que, pour parler comme Maître François Rabelais, vous voulez dire que je suis moult sorbonagre, sorbonicole et sorboniforme. Pourtant, tout autant que les camarades, j’aime qu’un livre donne l’impression de la sincérité et de la vie, je ne suis pas de ces clercs… — Le quart d’heure de Rabelais, interrompit le docteur Cottard avec un air non plus de doute, mais de spirituelle assurance. — … qui font vœu de littérature en suivant la règle de l’Abbaye-aux-Bois dans l’obédience de M. le vicomte de Chateaubriand, grand maître du chiqué, selon la règle stricte des humanistes. M. le vicomte de Chateaubriand… — Chateaubriand aux pommes ? interrompit le docteur Cottard. — C’est lui le patron de la confrérie, continua Brichot sans relever la plaisanterie du docteur, lequel, en revanche, alarmé par la phrase de l’universitaire, regarda M. de Charlus avec inquiétude. Brichot avait semblé manquer de tact à Cottard, duquel le calembour avait amené un fin sourire sur les lèvres de la princesse Sherbatoff. — Avec le professeur, l’ironie mordante du parfait sceptique ne perd jamais ses droits, dit-elle par amabilité et pour montrer que le « mot » du médecin n’avait pas passé inaperçu pour elle. — Le sage est forcément sceptique, répondit le docteur. Que sais-je ? γυωθι σεαυτου, disait Socrate. C’est très juste, l’excès en tout est un défaut. Mais je reste bleu quand je pense que cela a suffi à faire durer le nom de Socrate jusqu’à nos jours. Qu’est-ce qu’il y a dans cette philosophie ? peu de chose en somme. Quand on pense que Charcot et d’autres ont fait des travaux mille fois plus remarquables et qui s’appuient, au moins, sur quelque chose, sur la suppression du réflexe pupillaire comme syndrome de la paralysie générale, et qu’ils sont presque oubliés ! En somme, Socrate, ce n’est pas extraordinaire.

 

De vraies scènes de comédie

 

Molière  : Le bourgeois gentilhomme


La scène du faux duel du baron Charlus est une comédie farcesque. C'est Proust lui-même qui cite Molière à son propos. Il est vrai que le baron Charlus en train de se battre dans le vide pour un faux duel n'est pas si loin de Monsieur Jourdain apprenant l'escrime !

Le Baron Palamède Charlus de Guermantes est homosexuel. Il aime platoniquement Morel, un jeune musicien sans moralité, qui profite sans scrupules de ses largesses mais se moque de lui et refuse de le voir. Morel un personnage profondément répugnant. Pour obliger le jeune homme à venir, Charlus imagine un duel fictif contre un adversaire tout aussi fictif et fait savoir au jeune homme qu’il va risquer sa vie pour lui, prétendant que son adversaire a  insulté le jeune homme devant lui, un affront impardonnable. Le Baron écrit à son témoin le docteur Cottard et le prie de venir le retrouver pour organiser les modalités de la rencontre. Le narrateur est présent et raconte la scène :        

 « Mort m’est vie. » Et M. de Charlus le disait sincèrement, non seulement par amour pour Morel, mais parce qu’un goût batailleur, qu’il croyait naïvement tenir de ses aïeux, lui donnait tant d’allégresse à la pensée de se battre que, ce duel machiné d’abord seulement pour faire venir Morel, il eût éprouvé maintenant du regret à y renoncer. Il n’avait jamais eu d’affaire sans se croire aussitôt valeureux et identifié à l’illustre connétable de Guermantes, alors que, pour tout autre, ce même acte d’aller sur le terrain lui paraissait de la dernière insignifiance. « Je crois que ce sera bien beau, nous dit-il sincèrement, en psalmodiant chaque terme. Voir Sarah Bernhardt dans l’Aiglon, qu’est-ce que c’est ? du caca. Mounet-Sully dans Œdipe ? caca. Tout au plus prend-il une certaine pâleur de transfiguration quand cela se passe dans les Arènes de Nîmes. Mais qu’est-ce que c’est à côté de cette chose inouïe, voir batailler le propre descendant du Connétable ? » Et à cette seule pensée, M. de Charlus, ne se tenant pas de joie, se mit à faire des contre-de-quarte qui, rappelant Molière, nous firent rapprocher prudemment de nous nos bocks, et craindre que les premiers croisements de fer blessassent les adversaires, le médecin et les témoins.

 

Jourdain/Charlus

Morel effrayé à  la pensée d’un combat qui ferait de lui la risée de son régiment promet à Charlus de venir le voir et de rester quelques jours auprès de lui. Désormais, le faux duel n’a plus de raison d’être et le baron l’annonce à son témoin le docteur Cottard. Ce dernier, d’abord furieux d’avoir été dérangé pour rien, reste  poli envers Charlus pour ménager ses intérêts. Il faut savoir pour bien apprécier la suite du récit que Cottard et tous les invités de Verdurin ne cessent de se moquer de l’homosexualité de Palamède (Mémé pour les intimes) Charlus… derrière son dos !

M. de Charlus, désireux de témoigner sa reconnaissance au docteur de la même façon que M. le duc son frère eût arrangé le col du paletot de mon père, comme une duchesse surtout eût tenu la taille à une plébéienne, approcha sa chaise tout près de celle du docteur, malgré le dégoût que celui-ci lui inspirait. Et non seulement sans plaisir physique, mais surmontant une répulsion physique, en Guermantes, non en inverti, pour dire adieu au docteur il lui prit la main et la lui caressa un moment avec une bonté de maître flattant le museau de son cheval et lui donnant du sucre. Mais Cottard, qui n’avait jamais laissé voir au baron qu’il eût même entendu courir de vagues mauvais bruits sur ses mœurs, et ne l’en considérait pas moins, dans son for intérieur, comme faisant partie de la classe des « anormaux » (même, avec son habituelle impropriété de termes et sur le ton le plus sérieux, il disait d’un valet de chambre de M. Verdurin : « Est-ce que ce n’est pas la maîtresse du baron ? »), personnages dont il avait peu l’expérience, il se figura que cette caresse de la main était le prélude immédiat d’un viol, pour l’accomplissement duquel il avait été, le duel n’ayant servi que de prétexte, attiré dans un guet-apens et conduit par le baron dans ce salon solitaire où il allait être pris de force. N’osant quitter sa chaise, où la peur le tenait cloué, il roulait des yeux d’épouvante, comme tombé aux mains d’un sauvage dont il n’était pas bien assuré qu’il ne se nourrît pas de chair humaine.



Le docteur Cottard





jeudi 3 octobre 2024

Marcel Proust : Sodome et Gomorrhe : Albertine et l'homosexualité : Gomorrhe (2)

 


Marcel :  homosexuel ou un mufle ? 
 
Marcel Proust

J’avoue que je comprends pas bien les relations entre Marcel et Albertine ! Chaque fois que Marcel parle d’amour, on s’aperçoit que ce qu’il  éprouve se confond avec la jalousie. Son amour n’existe que lorsque la femme « aimée » semble lui échapper et qu’il risque de ne plus la dominer.

Pourquoi cette attitude ?  On peut se demander si ce n’est pas une manière de se cacher à lui-même ( je parle de Marcel, le personnage) et aux yeux de la société son homosexualité. En fait, il n’est peut-être pas réellement attirée par les femmes de même que Marcel Proust, l'écrivain.
 D’Albertine, Marcel nous avertit seulement qu’il l’a « possédée », un terme qui, en dehors de peindre sa prétention à être le maître du corps féminin, reste vague et sans consistance. Plus tard, on apprend qu’ils s’embrassent dans la voiture mais le jour où Albertine boit un peu d’alcool, c’est elle qui semble manifester le plus de sensualité et qui se presse contre lui.

Pourtant quand il est avec Saint Loup, ils échangent leurs impressions sur leurs rendez-vous dans des maisons de passe et Saint Loup lui donne des tuyaux pour trouver des femmes faciles. Des conversations d’homme à homme, une façon d'afficher leur virilité ! Il en est de même avec Bloch. En fait Marcel et ses amis sont des purs produits de leur époque, jeunes bourgeois ou jeunes nobles, aisés ou riches, élevés dans un patriarcat qui professe à l’égard des femmes, du moins celles qui n’appartiennent pas à leur classe sociale, un certain mépris. Il agit comme un fat qui se vante de ses conquêtes et affiche, en particulier, à l'égard d'Albertine une muflerie manifeste.

"J’ose avouer que beaucoup de ses amies — je ne l’aimais pas encore — me donnèrent, sur une plage ou une autre, des instants de plaisir. Ces jeunes camarades bienveillantes ne me semblaient pas très nombreuses. Mais dernièrement j’y ai repensé, leurs noms me sont revenus. Je comptai que, dans cette seule saison, douze me donnèrent leurs frêles faveurs. Un nom me revint ensuite, ce qui fit treize. J’eus alors comme une cruauté enfantine de rester sur ce nombre. Hélas, je songeais que j’avais oublié la première, Albertine qui n’était plus et qui fit la quatorzième. "

 
La femme est un objet que l’on prend et que l’on jette lorsque l’envie lui en prend. C’est ce qu’affirme le jeune homme et l’on peut constater qu’il en use ainsi avec la jeune fille qui doit se soumettre à ses caprices même lorsqu’elle n’en pas pas envie. Parfois, il refuse de la recevoir, trop fatigué pour cela. Parfois, il lui adresse des paroles humiliantes qui la font pleurer. Souvent, il l’envoie chercher comme une domestique quand il en a besoin dans son lit ou comme une maîtresse que l'on paye.

"D’ailleurs nos désirs pour différentes femmes n’ont pas toujours la même force. Tel soir nous ne pouvons nous passer d’une qui, après cela, pendant un mois ou deux, ne nous troublera guère. Et puis les causes d’alternance, que ce n’est pas le lieu d’étudier ici, après les grandes fatigues charnelles, font que la femme dont l’image hante notre sénilité momentanée est une femme qu’on ne ferait presque que baiser sur le front. Quant à Albertine, je la voyais rarement, et seulement les soirs, fort espacés, où je ne pouvais me passer d’elle. Si un tel désir me saisissait quand elle était trop loin de Balbec pour que Françoise pût aller jusque-là, j’envoyais le lift à Egreville, à la Sogne, à Saint-Frichoux, en lui demandant de terminer son travail un peu plus tôt."

Manifestement, il est le maître, et plus le jeu est cruel, plus il la fait souffrir, plus il l’aime.

« Est-ce que je peux rester, si je ne vous dérange pas, me demanda Albertine (dans les yeux de qui restaient, amenées par les choses cruelles que je venais de lui dire, quelques larmes que je remarquai sans paraître les voir, mais non sans en être réjoui), j’aurais quelque chose à vous dire. »

Alors Marcel est-il homosexuel ou un mufle ? Ou les deux ?  Mais au moment où je pose cette question, il y a la souffrance infinie de Marcel pleurant dans sa chambre d'hôtel à la pensée que tout est fini avec Albertine. Il y a cette distorsion entre le réel et le monde intellectuel, cette impossibilité de vivre dans la réalité : 

"J'eus l'idée  que le monde où était cette chambre et ces bibliothèques était si peu de chose, était peut-être un monde intellectuel, qui était la seule réalité, et mon chagrin quelque chose comme celui que donne la lecture d'un roman et dont un fou seul pourrait faire une chagrin durable et permanent et se prolongeant dans sa vie; qu'il suffirait d'une petit mouvement de ma volonté pour atteindre ce monde réel, y entrer en dépassant ma douleur comme un cerceau de papier qu'on crève, et ne me plus me soucier de ce qu'avait fait Albertine que nous nous soucions des actions de l'héroïne imaginaire d'un roman que après que nous avons fini la lecture."

Il ne faut pas oublier ce qu'il a déjà  affirmé à propos de Saint Loup et Rachel, que l'amour n'a pas de réalité en soi, "nous sentons que c'est, non à quelques pas de nous, mais en nous qu'était la créature chérie" mais que la souffrance, elle, est réelle.

 Il y a aussi cette affirmation :

J'étais trop porté à croire que, du moment que j'aimais, je ne pouvais pas être aimé et que l'intérêt seul pouvait attacher à moi une femme...  Et de ce jugement, peut-être erroné, naquirent bien des malheurs qui allaient fondre sur nous".

 
 
Albertine homosexuelle, vénale ?
 

Alfred Agostinelli le chauffeur de Proust est l'un des modèles d'Albertine

Albertine ? Elle aussi, je ne la comprends pas ou, peut-être, pour la comprendre, faut-il se placer dans la société de son temps et tenir compte de la condition féminine au début du XX siècle ! Voilà une adorable jeune fille, avec ses joues rondes, « son petit nez rose de chatte », son goût vestimentaire exquis. Intelligente et cultivée, elle est peintre mais l’on remarquera que Marcel ne la considère pas comme une artiste et qu'il ne prend pas la peine de regarder son travail même s’il admire l’église qu’elle a choisie pour thème de sa peinture. Toujours aussi mufle, le petit Marcel ! Elle aime la fête et n’a pas obligatoirement envie de tenir compagnie à Marcel et de rester auprès du malade (ou dans son lit) quand il la veut auprès de lui. Elle pourrait avoir tous les amoureux (ou amoureuses) qu’elle souhaite. Oui, mais dans un autre siècle !

Pourquoi se prête-t-elle aux caprices de Marcel ? J’ai d’abord pensé qu’elle était vraiment amoureuse de lui. Mais les soupçons qui pèsent sur elle permettent de se poser la même question que pour Marcel. Est-elle homosexuelle et doit elle le cacher ?

« Une des jeunes filles que je ne connaissais pas se mit au piano, et Andrée demanda à Albertine de valser avec elle. Heureux, dans ce petit Casino, de penser que j’allais rester avec ces jeunes filles, je fis remarquer à Cottard comme elles dansaient bien. Mais lui, du point de vue spécial du médecin, et avec une mauvaise éducation qui ne tenait pas compte de ce que je connaissais ces jeunes filles, à qui il avait pourtant dû me voir dire bonjour, me répondit : « Oui, mais les parents sont bien imprudents qui laissent leurs filles prendre de pareilles habitudes. Je ne permettrais certainement pas aux miennes de venir ici. Sont-elles jolies au moins ? Je ne distingue pas leurs traits. Tenez, regardez, ajouta-t-il en me montrant Albertine et Andrée qui valsaient lentement, serrées l’une contre l’autre, j’ai oublié mon lorgnon et je ne vois pas bien, mais elles sont certainement au comble de la jouissance. On ne sait pas assez que c’est surtout par les seins que les femmes l’éprouvent. Et, voyez, les leurs se touchent complètement. »

On voit que nous sommes ici dans le volet Gomorrhe, qui fait pendant symétriquement à celui de Sodome et du baron Charlus. Il n’en faut pas plus pour provoquer la jalousie de Marcel qui ne cesse, dès lors, de de surveiller la jeune fille et de la maltraiter. Plus il est féroce envers elle, plus elle se montre docile, plus il l’aime ou croit l’aimer.

« Aussitôt seuls et engagés dans le corridor, Albertine me dit : « Qu’est-ce que vous avez contre moi ? »
Elle avait l’air si doux, si tristement docile et d’attendre de moi son bonheur, que j’avais peine à me contenir et à ne pas embrasser, presque avec le même genre de plaisir que j’aurais eu à embrasser ma mère, ce visage nouveau qui n’offrait plus la mine éveillée et rougissante d’une chatte mutine et perverse au petit nez rose et levé, mais semblait dans la plénitude de sa tristesse accablée, fondu, à larges coulées aplaties et retombantes, dans de la bonté. Faisant abstraction de mon amour comme d’une folie chronique sans rapport avec elle, me mettant à sa place, je m’attendrissais devant cette brave fille habituée à ce qu’on eût pour elle des procédés aimables et loyaux, et que le bon camarade qu’elle avait pu croire que j’étais pour elle poursuivait, depuis des semaines, de persécutions qui étaient enfin arrivées à leur point culminant. «

Marie Finally, l'un des autres modèles d'Albertine


Autre question ? Albertine Simonet est orpheline. Elle a été élevée par sa tante Madame Bontemps. On la dit pauvre. Entendons-nous, son oncle n’est pas nécessiteux, il est conseiller d’Ambassade. Disons qu'elle n'est pas fortunée et appartient à une classe bourgeoise moyenne.
Est-elle attirée par les cadeaux que lui offre Marcel ? Une trousse de toilettes avec des accessoires en or, une toque et un voile qu’elle est heureuse de porter, la location d’une voiture avec chauffeur, ce qui est un luxe dispendieux à l’époque. La mère de Marcel, qui n’aime pas Albertine et qui est très conservatrice au niveau social, lui reproche d’ailleurs d’être trop dépensier et l’incite à plus de prudence. Françoise aussi ne l'aime pas parce que la jeune fille est pauvre !

C'est certain qu'Albertine apprécie le luxe. Son amie, Andrée, lui faisait profiter de sa fortune dans A l'ombre des jeunes filles en fleurs. Albertine, pourtant n’est pas vénale comme le prouve ses réactions lorsque Marcel, trop lâche pour dire la vérité, cherche à rompre avec elle en lui mentant et en feignant d’aimer une autre femme :

"C’est pour cela que je vous ai demandé hier soir si vous ne pourriez pas venir coucher à Balbec. Si j’avais dû mourir, j’aurais aimé vous dire adieu. » Et je donnai libre cours aux larmes que ma fiction rendait naturelles. « Mon pauvre petit, si j’avais su, j’aurais passé la nuit auprès de vous », s’écria Albertine, à l’esprit de qui l’idée que j’épouserais peut-être cette femme et que l’occasion de faire, elle, un « beau mariage » s’évanouissait ne vint même pas, tant elle était sincèrement émue d’un chagrin dont je pouvais lui cacher la cause, mais non la réalité et la force."

En fait, il semble qu’elle cherche à réaliser ainsi l’idéal de toutes les jeunes filles de l’époque :  Un beau mariage mais elle a une affection qui semble sincère pour Marcel !  Et elle se comporte, peut-être, après tout, comme on l’attend d’une jeune fille bien éduquée et sans fortune : Douceur et soumission !  (bien que Marcel la trouve mal élevée et manifeste de la condescendance envers elle et ceci d'autant plus qu'il a couché avec elle ! ). On voit aussi qu'elle est maternelle : "Mon petit", même si elle n'attend plus rien de lui. Elle lui conseille même d'épouser l'autre femme. Toutes les qualités que ce début du siècle attend d'une femme, du moins de la femme que l'on épouse, douceur, soumission, maternité ! Evidemment, on peut se demander qui se cache derrière ce masque ? Parfois le jeune homme sent qu'elle n'aime pas être contrainte " et désireuse de se montrer gentille mais contrarié d'être asservie...". Qui est réellement Albertine ? A ce stade du récit, nous ne le savons pas encore.

 Pourtant, comme elle m’avait paru indépendante, fière et fantasque, "l'effrontée" Albertine, quand elle était encore une jeune fille en fleurs !



Demain Vendredi 4 Octobre : Sodome et Gomorrhe : L'humour de Proust

mercredi 2 octobre 2024

Marcel Proust : Sodome et Gomorrhe : Le Baron Charlus et l’homosexualité : Sodome (1)

 

La première partie de Sodome et Gomorrhe est pour Marcel la révélation du secret du baron Palamède Charlus et l’éclaire enfin sur tout ce qui lui avait paru jusqu’alors incompréhensible dans ce personnage. Il comprend maintenant la raison de l’attitude du Baron lors de la première rencontre au Grand Hôtel de Balbec, il comprend pourquoi, plus tard, Charlus lui propose de devenir son protecteur, les regards dubitatifs que lui jettent « ceux qui savent » en le voyant avec lui, et la colère infantile du baron quand Marcel dédaigne sa protection.
La critique reproche à Proust la cécité de son personnage vis à vis de la vraie nature du Baron Charlus et l’accuse d’invraisemblance. Mais, même si l’on ne connaît pas exactement l’âge de Marcel à Balbec, on sait qu’il est encore très jeune et qu’il vit dans un milieu familial très protégé. C’est encore un enfant par bien des côtés. Sa grand-mère lui retire ses chaussures pour éviter qu’il se fatigue et préside à son lever, Françoise l’aide à s’habiller. Avec les jeunes filles en fleurs, il joue à des jeux qui nous paraissent, de nos jours, bien enfantins. Et comme lui-même ( Marcel, le personnage) est hétérosexuel, manifestement, il ne sait pas ce qu’est l’homosexualité ou tout au moins il n'y pense pas. Mais, nous dit-on, il est possible aussi que ce déni soit une façon pour Marcel de se cacher à lui-même sa propre homosexualité. Certes, le  personnage est amoureux d'Albertine mais leurs relations restent floues et on a du mal à croire à cet amour.

Dès le début de cette scène, une révolution, pour mes yeux dessillés, s’était opérée en M. de Charlus, aussi complète, aussi immédiate que s’il avait été touché par une baguette magique. Jusque-là, parce que je n’avais pas compris, je n’avais pas vu. Le vice (on parle ainsi pour la commodité du langage), le vice de chacun l’accompagne à la façon de ce génie qui était invisible pour les hommes tant qu’ils ignoraient sa présence. La bonté, la fourberie, le nom, les relations mondaines, ne se laissent pas découvrir, et on les porte cachés.

Daniel Van Hein : Sodome détruit par le feu

C’est en attendant le duc et la duchesse dans les escaliers de l’hôtel de Guermantes que Marcel découvre, caché derrière les persiennes d’une fenêtre, la parade amoureuse de Charlus et Jupien qui se déroule au-dessous de lui. Marcel, et ce n’est pas la première fois dans la Recherche se fait voyeur. Cela peut choquer par rapport à la moralité du personnage mais c’est en fait le statut de l’écrivain qui est décrit ici, l’écrivain vu comme « voyeur » de ses semblables. Les deux hommes se rencontrent pour la première fois et se « reconnaissent ». Marcel établit alors une correspondance entre eux et l’orchidée exposée en plein air dans la cour, attendant le bourdon qui va la féconder.

 "Je savais que cette attente n’était pas plus passive chez la fleur mâle, dont les étamines s’étaient spontanément tournées pour que l’insecte pût plus facilement la recevoir ; de même la fleur-femme qui était ici, si l’insecte venait, arquerait coquettement ses « styles », et pour être mieux pénétrée par lui ferait imperceptiblement, comme une jouvencelle hypocrite mais ardente, la moitié du chemin."

De même Jupien "enraciné comme une plante" répond au message délivré silencieusement par l’attitude du baron, prenant "des poses avec la coquetterie qu’aurait pu avoir l’orchidée pour le bourdon providentiellement survenu "

Le baron apparaît passablement ridicule, ce que fait ressortir comiquement l’antithèse montrant Jupien "émerveillé " par "l’embonpoint vieillissant" de Charlus et tous les termes qui le décrivent insistent sur l’aspect négatif du personnage "affectée, fat, négligent", face à la fleur-Jupien qui ne lui cède en rien dans le ridicule et "donnait à sa taille un port avantageux, son poing sur la hanche, impertinence grotesque, faisait saillir son derrière". Ces deux portraits ont donc une charge satirique assez poussée.

Paradoxalement, c’est au moment où il le dépeint comme grotesque dans cette approche  amoureuse qui le déshumanise en le transformant en  gros  « bourdon »,  que Marcel aperçoit toute l’humanité du Baron qui, ne se sachant pas observé, laisse tomber le masque de "potinages, d’arrogance, de dureté" et  laisse apercevoir humanité et bonté. Et après avoir décrit cette scène de rencontre où il affecte un regard moqueur voire cynique, Proust ajoute une phrase qui en  modifie le sens :

"Cette scène n’était, du reste, pas positivement comique, elle était empreinte d’une étrangeté, ou si l’on veut d’un naturel, dont la beauté allait croissant. "

Et il va s’attacher à en montrer la beauté et le naturel !

"Mais justement la beauté des regards de M. de Charlus et de Jupien venait, au contraire, de ce que, provisoirement du moins, ces regards ne semblaient pas avoir pour but de conduire à quelque chose.

C’est que, peu à peu, Marcel Proust glisse d’une comparaison « comme un plante » à une étroite métaphore entre l’humain et la nature, « la fleur-femme », puis, toujours à propos des deux hommes, « l’homme-oiseau », « l’homme-insecte », aboutissant à une sorte d’osmose où toutes les espèces y compris humaines sont liées et semblables. Voilà qui dédouane l’homosexualité de tout jugement de valeur et de morale ! On sait qu’à l’époque de Proust, l’homosexualité que l’écrivain nomme « vice » pour satisfaire à la prudence, tout en n’acceptant pas ce terme, pouvait mettre au ban de la société et était punie par la loi.

On verra que Charlus est en butte aux moqueries, à la cruauté des invités des Verdurin, que ses efforts pour cacher ses amours le rendent souvent ridicule, pitoyable ou vindicatif et arrogant, se retirant derrière le privilège de sa classe sociale pour affirmer sa supériorité. C’est une situation que Proust a dû bien connaître surtout quand il était au lycée et que, encore naïf, il ne cachait pas ses sentiments. Il se doit donc d’être prudent dans sa description. Après avoir donné l’assurance à ses lecteurs qu’il trouve la scène ridicule et par conséquent  immorale, il affirme ainsi le contraire :

 Cette beauté, c’était la première fois que je voyais le baron et Jupien la manifester. Dans les yeux de l’un et de l’autre, c’était le ciel, non pas de Zurich, mais de quelque cité orientale dont je n’avais pas encore deviné le nom, qui venait de se lever.

 

Joos de Momper le jeune :  Loth ses filles et les anges fuyant Sodome et Gomorrhe en feu La femme de Loth changée en statue de sel à gauche
 


Suit alors un très beau plaidoyer contre l’homophobie qui dépeint la souffrance de ceux qui ne peuvent jamais se montrer tels qu’ils sont et dont l’amour est un crime aux yeux de la société.

"Race sur qui pèse une malédiction et qui doit vivre dans le mensonge et le parjure, puisqu’elle sait tenu pour punissable et honteux, pour inavouable, son désir, ce qui fait pour toute créature la plus grande douceur de vivre ; qui doit renier son Dieu, puisque, même chrétiens, quand à la barre du tribunal ils comparaissent comme accusés, il leur faut, devant le Christ et en son nom, se défendre comme d’une calomnie de ce qui est leur vie même ; fils sans mère, à laquelle ils sont obligés de mentir toute la vie et même à l’heure de lui fermer les yeux ; amis sans amitiés, malgré toutes celles que leur charme fréquemment reconnu inspire et que leur cœur souvent bon ressentirait ; mais peut-on appeler amitiés ces relations qui ne végètent qu’à la faveur d’un mensonge et d’où le premier élan de confiance et de sincérité qu’ils seraient tentés d’avoir les ferait rejeter avec dégoût, à moins qu’ils n’aient à faire à un esprit impartial, voire sympathique, mais qui alors, égaré à leur endroit par une psychologie de convention, fera découler du vice confessé l’affection même qui lui est la plus étrangère, de même que certains juges supposent et excusent plus facilement l’assassinat chez les invertis et la trahison chez les Juifs pour des raisons tirées du péché originel et de la fatalité de la race."

Il est vrai aussi que ces interdits qui pèsent sur les amours homosexuels engendrent bien des corruptions, amours tarifés avec des jeunes garçons des classes populaires, les riches tirant parti de leur misère. Charlus aurait des scrupules à profiter des jeunes gens bien nés, il les aime mais il ne les touche pas, il n’en a plus quand il s’agit de jeunes commis, employés ou apaches !

On comprend alors le sens du titre de ce quatrième volume de la Recherche : Sodome et Gomorrhe, du nom des deux cités bibliques réprouvées par le ciel, en butte au feu divin qui punit et détruit les amours considérés contre-nature, masculins et féminins. En début de roman avec Charlus il est question de Sodome, en deuxième partie avec Albertine, de Gomorrhe. Car nous annonce Proust, les homosexuels sont partout dans la société et si nous les apercevons pas, eux savent se reconnaître et se protéger autant que possible malgré le danger.

Si dans la littérature avant Marcel Proust, les homosexuels sont présents, il en est toujours parlé d’une manière fortuite et en des termes choisis, par allusion. C’est la première fois, avec Proust qu’un roman met l’homosexualité au centre de l’action et  en parle avec autant de franchise, sans employer de circonvolutions, en termes directs et parfois crus.

 La citation  de Vigny, en exergue, donne d'ailleurs le ton : "La femme aura Gomorrhe et l'homme aura Sodome". " Et le sous-titre "Première apparition des Hommes-femmes descendants de ceux des habitants de Sodome qui furent épargnés par le feu du ciel"

Dans quelle mesure l'écrivain a-t-il contribué à l’évolution des mentalités ?

"… partie réprouvée de la collectivité humaine, mais partie importante, soupçonnée là où elle n’est pas étalée, insolente, impunie là où elle n’est pas devinée ; comptant des adhérents partout, dans le peuple, dans l’armée, dans le temple, au bagne, sur le trône ; vivant enfin, du moins un grand nombre, dans l’intimité caressante et dangereuse avec les hommes de l’autre race, les provoquant, jouant avec eux à parler de son vice comme s’il n’était pas sien, jeu qui est rendu facile par l’aveuglement ou la fausseté des autres, jeu qui peut se prolonger des années jusqu’au jour du scandale où ces dompteurs sont dévorés."

 

 

Demain Jeudi 3 Octobre : Sodome et Gomorrhe : Albertine et l'homosexualité : Gomorrhe (2)


samedi 28 septembre 2024

Jane Austen : Persuasion


Le sens du comique de Jane Austen



 

En lisant la biographie de Jane Austen par David Cecil, j’ai eu envie de relire Persuasion, le dernier roman de l’écrivaine si l’on excepte Sanditon qu’elle commença en janvier 1817 mais qu’elle laissa inachevée, trop affaiblie pas sa maladie. Elle meurt le 18 juillet 1817.  Elle a 42 ans. Le biographe parle de Persuasion achevé en août 1816, édité après sa mort en 1818, comme d’une oeuvre plus grave, où le ton a changé par rapport aux précédents écrits :

« Le discours d’Anna ( le personnage principal de Persuasion) écrit David Cecil «témoigne d’une innovation de l’art de la romancière aussi bien que de sa thématique. C’est la première fois qu’elle exprime des sentiments passionnés de manière aussi réussie. »

Je crois me souvenir que Virginia Wool parlait elle aussi de Persuasion comme d’une oeuvre de la maturité, plus profonde que les autres romans. Je le dis tout de suite, ils ont raison, l’oeuvre est plus grave, plus mature, mais combien moins amusante, ironique et féroce. Jane Austen exprime des sentiments comme elle ne l'avait jamais fait auparavant mais un peu au détriment de son sens de l’humour ! ( pas complètement heureusement !). Certes, il y a encore des personnages ridicules et l’écrivaine a encore la dent dure comme  lorsqu’elle campe le personnage de Sir Walter Eliott  :

"Il avait été remarquablement beau dans sa jeunesse, et à cinquante-quatre ans, étant très bien conservé, il avait plus de prétentions à la beauté que bien des femmes, et il était plus satisfait de sa place dans la société que le valet d’un lord de fraîche date. À ses yeux, la beauté n’était inférieure qu’à la noblesse, et le Sir Walter Elliot, qui réunissait tous ces dons, était l’objet constant de son propre respect et de sa vénération."

Cependant, Sir Eliott ainsi que ses filles, Elizabeth et Mary, les soeurs d’Anna, s’ils sont l’objet d’un portrait chargé sont souvent plus méchants que comiques. Je ne retrouve pas la légèreté caustique de la Jane Austen campant une Mrs Bennett ou Mr Collins dans Orgueil et préjugés, ni la verve malicieuse  et comique lorsqu’elle met en scène la naïve Catherine de Northanger Abbey dont elle se moque avec beaucoup de tendresse.
Pour tout dire, j’aime Persuasion mais je préfèrerai toujours Orgueil et préjugés, quand Jane Austen s’adonne à la caricature, provoque le rire, quand sa jeunesse n’a pas encore rencontré les regrets de l’âge mûr, quand elle est encore enjouée, acerbe, quand elle croit que ses héroïnes sont maîtresses de leur vie et ceci avec brio et en présentant une satire impitoyable des ridicules de la société dont elle ne remet pas en cause, pourtant, l’ordre et la hiérarchie. Avec Persuasion, Jane Austen voit encore le comique des situations et de ses semblbles mais elle s’amuse moins et sa vision s’est assagie. Peut-être aussi a-t-elle plus d'indulgence envers les adultes, l'âge aidant, et ses jugements ne sont-ils plus aussi intransigeants que lorsqu'elle avait l'âge d'Elizabeth Bennett ?  Pensez à ce qu'aurait pu devenir le portrait de Lady Russel, l'amie qui est responsable de la rupture entre Anna et Frederic, du temps de Orgueil et préjugé ! Voilà comment elle est décrite dans Persuasion. Sagement ?

 Lady Russel avait une stricte intégrité et un délicat sentiment d’honneur ; mais elle souhaitait de ménager les sentiments de Sir Walter et le rang de la famille. C’était une personne bonne, bienveillante, charitable et capable d’une solide amitié ; très correcte dans sa conduite, stricte dans ses idées de décorum, et un modèle de savoir-vivre.

Jane a perdu en comique, peut-être a-t-elle gagné en humanité ?

 

Persuasion : le récit

 


Dans Persuasion, Anna Eliott, la deuxième fille du baronnet Sir Walter Eliott, être vaniteux et sec, a perdu sa mère quand elle était jeune. Elle accorde sa confiance et son affection à Lady Russell, amie de sa mère. Il faut dire qu’elle trouve peu d’affection dans sa famille, entre un père égoïste, imbu de lui-même, qui n’a de considération que pour sa fille ainée, Elizabeth, tout aussi vaniteuse et dure que lui. Son autre soeur Mary mariée à Charles Musgrove est égoïste et geignarde, toujours en train de se plaindre et d’appeler Anna au secours.

Il y a quelques années alors que Anna est amoureuse de Frederic Wenworth, jeune capitaine sans le sou, Lady Russel qui est snob et conservatrice lui conseille de rompre ses fiançailles.

Sir Walter, sans refuser positivement son consentement, manifesta un grand étonnement, une grande froideur et une ferme résolution de ne rien faire pour sa fille. Il trouvait cette alliance dégradante, et lady Russel, avec un orgueil plus excusable et plus modéré, la considérait comme très fâcheuse. Anna Elliot ! avec sa beauté, sa naissance, son esprit, épouser à dix-neuf ans un jeune homme qui n’avait d’autre recommandation que sa personne, d’autre espoir de fortune que les chances incertaines de sa profession, et pas de relations qui puissent l’aider à obtenir de l’avancement ! La pensée seule de ce mariage l’affligeait ; elle devait l’empêcher si elle avait quelque pouvoir sur Anna.

Anne se laisse « persuadée », elle rompt mais elle ne parvient pas à oublier son amour pour le jeune homme et sa vivacité, sa beauté se fânent. Or, le roman commence huit ans après cette rupture quand Frederic Wenworth, désormais capitaine de vaisseau et riche, revient dans la région et qu’elle ne peut éviter de le rencontrer à nouveau. Frederic s’est enrichi et s’est couvert d’honneurs dans les guerres napoléoniennes contre la France. Quand Anna le revoit, elle se rend compte que son amour pour lui est toujours aussi fort.

Elle l’avait vu ! Ils s’étaient trouvés encore une fois dans la même chambre !

Bientôt, cependant, elle se raisonna, et s’efforça d’être moins émue. Presque huit années s’étaient écoulées depuis que tout était rompu. Combien il était absurde de ressentir encore une agitation que le temps aurait dû effacer ! Que de changements huit ans pouvaient apporter ! tous résumés en un mot : l’oubli du passé ! C’était presque le tiers de sa propre vie. Hélas, il fallait bien le reconnaître, pour des sentiments emprisonnés, ce temps n’est rien. Comment devait-elle interpréter les sentiments de Wenvorth ?

 Manifestement, Fréderic n’a pas pardonné à Anna ce qu’il appelle sa faiblesse de caractère, il lui reproche d'avoir cédé à la persuasion, et courtise les filles de son voisin, les demoiselles Musgrove, Henrietta et Louisa. Epousera-t-il l’une ou l’autre ? Est-il vrai qu’il n’aime plus Anna ? Je vous laisse lire la suite !

 

De Raison et sentiment à Persuasion : L’évolution de Jane Austen


Anna Eliott et Marianne Dashwood de Raison et Sentiment ont des points communs : elles aiment toutes les deux un jeune homme sans fortune et souhaitent l’épouser. Mais dans Raison et sentiment, Marianne, passionnée, imprudente, n’écoute pas la raison (sa soeur Elinor et sa mère) et elle va déchanter, s’exposer aux railleries de la société et souffrir de la trahison de celui qu'elle aime. Le jeune homme, John Williboughby,  n’est pas digne d’elle et l’abandonne pour épouser une femme fortunée. La souffrance de la jeune fille est telle qu’elle risque d’en mourir. Certes, on n’est pas toujours maître de ses sentiments et de sa sensibilité mais la raison doit les dominer et guider notre conduite conclut Jane Austen. La jeune fille épousera un propriétaire terrien aisé, le colonel Brandon, paré de vertus, même s’il porte des caleçons de flanelle comme un vieux monsieur ( de 35 ans ! ) ! Pas folichon, tout de même pour une jeune fille de 17 ans !

Anna Eliott, elle aussi, aime Frederic Wenworth. Celui-ci n’est pas un propriétaire terrien, il est marin, il n’a pas de fortune mais il est bien décidé à faire son chemin. Il ne compte pas sur un riche mariage mais sur son travail, sa volonté, son courage et sa chance. Il réussit, prouvant à la jeune fille qu’elle a eu tort de ne pas lui faire confiance.

"La confiance qu’il avait en lui-même avait été justifiée. Son génie et son ardeur l’avaient guidé et inspiré. Il s’était distingué, avait avancé en grade, et possédait maintenant une belle fortune ; elle le savait par les journaux, et n’avait aucune raison de le croire marié."

 Nous sommes donc dans la situation inverse de Raison et Sentiment paru en 1811 mais rédigé vers 1795 alors que Jane Austen achève Persuasion en 1816, qu’elle est malade et qu’elle va bientôt mourir. Et voilà ce que pense son héroïne :

« Elle pensait qu’en dépit de la désapprobation de sa famille ; malgré tous les soucis attachés à la profession de marin ; malgré tous les retards et les désappointements, elle eût été plus heureuse en l’épousant qu’en le refusant, dût-elle avoir une part plus qu’ordinaire de soucis et d’inquiétudes, sans parler de la situation actuelle de Wenvorth, qui dépassait déjà ce qu’on aurait pu espérer. »

Il ne s’agit pas, bien sûr, de ne pas respecter la morale -  Jane Austen est une fervente protestante -  mais d’envisager le mariage non comme un contrat financier, non comme une assurance tout risques, mais comme un partage, une aventure à deux, qui, si elle est source de difficultés, doit être vécu avec amour. Il s’agit de surmonter ensemble l’absence de fortune, les difficultés de la vie : elle eût été plus heureuse en l’épousant. Il s’agit de bonheur ! Jane Austen regrette-t-elle de ne jamais avoir  écouté ses sentiments, d’avoir laissé parler la raison ? En tout cas, jamais Jane n’a prêté des accents aussi passionnés à l’un de ses personnages !  

 

Thomas Langlois Lefroy

David Cecil explique que le seul amour de Jane Austen, fut Thomas Langlois Lefroy, un jeune étudiant irlandais sans fortune qu’elle a rencontré dans le Hampshire. Elle avait 20 ans. Elle a dansé avec lui, bavardé, flirté, les jeunes gens se sont découvert des affinités (Elle l’avoue à sa soeur Cassandre dans une des rares lettres qui ont échappé à la destruction). Mais le jeune homme est comme elle, sans fortune. Sa famille attend beaucoup de lui. Il doit épouser une héritière et oui, comme dans Raison et sentiment. Leurs familles les éloignent bien vite l’un de l’autre. Bien sûr, certains biographes doutent que Jane ait réellement aimé le jeune homme. Il ne s’agissait que d’un flirt, disent-ils. Il n’en reste pas moins qu’à l’âge de la maturité alors que la maladie l’affaiblit, alors qu'elle va bientôt mourir, elle écrit   : 

"Elle ne blâmait pas lady Russel ; cependant si une jeune fille dans une situation semblable lui eût demandé son avis, elle ne lui aurait pas imposé un chagrin immédiat en échange d’un bien futur et incertain."

  Quand elle rédige Persuasion, sa nièce Fanny lui demande des conseils à propos d’un de ses amoureux. Que doit-elle répondre à une demande en mariage ? Jane Austen y répond en lui conseillant la prudence mais elle s’angoisse bientôt et craint de faire le malheur de sa nièce en l’éloignant d’un véritable amour !

"Combien Anna eût été éloquente dans ses conseils ! Combien elle préférait une inclination réciproque et une joyeuse confiance dans l’avenir à ces précautions exagérées qui entravent la vie et insultent la Providence !"

Enfin cette phrase n’est-elle pas un aveu fervent qui résume à mon avis cette évolution et révèle les regrets qui sont au coeur d'Anna-Jane : 

"Dans sa jeunesse on l’avait forcée à être prudente plus tard elle devint romanesque, conséquence naturelle d’un commencement contre nature."

 
Quant à la conclusion : 

"Qui peut douter de la suite de l’histoire ? Quand deux jeunes gens se mettent en tête de se marier, ils sont sûrs, par la persévérance, d’arriver à leur but, quelque pauvres, quelque imprudents qu’ils soient. C’est là peut-être une dangereuse morale, mais je crois que c’est la vraie...  "

 

jeudi 26 septembre 2024

Olivier Norek : Les guerriers de l'hiver

 

 

 

La guerre d'Hiver Wikipedia

 

« Longtemps la Finlande appartint à d’autres. »

C’est l’incipit du livre d’Olivier Norek. La Finlande fut d’abord sous domination suédoise, puis gagna une relative autonomie sous l’empire russe tsariste. C’est en 1917 qu’elle obtint enfin son indépendance.
En 1939, Staline veut créer une zone protectrice à la frontière de la Russie et de la Finlande pour protéger Léningrad des troupes hitlériennes qui pourraient envahir le pays par la Finlande, profitant de sa neutralité.
Devant le refus du gouvernement finlandais de céder des territoires, les soviétiques déclarent la guerre le 30 Novembre 1939. Une guerre éclair pense Staline, l’affaire de quelques jours :  une immense armée contre une poignée d’hommes, un gigantesque pays contre un minuscule.

Les Finlandais savent qu’ils vont perdre la guerre mais ils opposent une résistance acharnée aux envahisseurs. Le combat meurtrier des deux côtés, va durer 105 jours. Les Soviétiques finissent par occuper les zones demandées mais la force militaire soviétique est discréditée et Hitler voyant ses faiblesses décide d’envoyer ses armées contre les soviétiques en Juin 1941 renonçant à son projet initial qui consistait à attendre que le front ouest soit vaincu. 

 

Pekka Halonen


C’est cette guerre, la Guerre d’Hiver, que raconte Olivier Norek qui, abandonnant le polar, se lance dans un roman historique. Et c'est une réussite !

L’écrivain s’attache à nous peindre le sisu, un mot finlandais intraduisible qui décrit la force intérieure des Finlandais, leur esprit de résistance même en l’absence d’espoir, un mot difficile à définir car il contient plusieurs composantes et qui s’élève au rang de mythe national.

 Et le Sisu des Finlandais dans cette guerre disproportionnée participe à un récit prenant, que l’on suit avec empathie et intérêt :

Le sisu est l’âme de la Finlande. Il dit le courage, la détermination…

Ce qui joue en faveur des Finlandais, c’est bien sûr cette motivation, la nécessité de défendre leur pays qui vient à peine d’être reconnue après des siècles d'occupation, leur adaptation à un hiver encore plus rigoureux que d’habitude, habitués peut-être aussi aux privations et à l’endurance par une vie rurale très dure où il faut s’adapter pour survivre.

 "Une vie austère, dans un environnement hostile, a forgé leur mental d’un acier qui nous résiste aujourd’hui"  reconnaît Molotov lui-même.

Enfin l’impréparation des troupes russes mal équipées pour le froid, mal nourries, peu motivées et mal formées aussi bien les soldats que les officiers (Staline avait envoyé les officiers de carrière au goulag), expliquent les difficultés rencontrées. De plus, Staline mettait en première ligne les peuples des républiques de l’Union (plutôt que les Russes) peu motivés pour une guerre qui n’était pas la leur.

 

Simo Häyhä La Mort blanche


Le récit de Norek tout en nous montrant l’universalité du combat reprend la légende de Simo Häyhä, un jeune paysan, de ses amis Toivo, Onni, Pietari, Leena... et de leurs officiers, personnages historiques.
Simo Häyhä est un paysan qui a appris à tirer pour tuer du gibier. Pendant la guerre, il devient un sniper redoutable qui atteint ses cibles presque à chaque coup. Sa légende se répand et les soldats russes le surnomment Белая смерть, Belaïa smert, la Mort blanche, tout en lui accordant un pouvoir presque surnaturel. La Mort blanche car les soldats finlandais sont vêtus de combinaisons chaudes de couleur blanche qui leur permettent de passer inaperçus dans la neige alors que les soviétiques sont en uniforme de couleur, un autre désavantage.

Et c’est parce que l’écrivain fait oeuvre d’historien, qu’il s’en tient à l’Histoire - même dans les paroles prononcées ou écrites -  qu’il manque parfois aux personnages une couleur romanesque qui permettrait de s’attacher plus étroitement à eux. Simo est un symbole, celui du Sisu, celui d'un peuple opprimé, injustement envahi. C'est au récit national que l'on s'attache à travers lui, au  récit de cette résistance passionnante et même fascinante tant on épouse le combat du plus faible contre le plus fort. Mais j’ai apprécié que, tout en racontant la légende de Simo, Olivier Norek tienne à montrer l’horreur de la guerre et que, pour Simo et ses amis, le fait de tuer, fut-ce des ennemis, c’est toujours tuer un homme. Certains comme le lieutenant Juutilainen deviennent des tueurs qui ne savent plus vivre en paix. Comment rester humain quand on est confronté à la banalité de la mort ? C’est une des grandes questions du roman. 

"Lors de cette journée, l'unité finlandaise de soixante hommes avec leurs mitrailleuses tua à elle seule plus de deux mille soldats envoyés à l'abattoir." 

"Ils étaient hier simples fermiers, pères de famille, amis et maris. Aujourd'hui ils devenaient tueurs de masse."

Le roman d'Olivier Norek, même si nous ressentons de l'admiration pour ce peuple ainsi attaqué, loin d'être une glorification de la guerre nous en peint les aberrations et nous place toujours du côté de l'humain. Et c'est en cela, aussi, qu'il me touche particulièrement.

Et Olivier Norek conclut :  

« Si ces évènements ont bientôt un siècle, ils nous renvoient à l’Histoire actuelle et nous mettent en garde.
La guerre survient souvent par surprise, et il faut toujours un premier mort sur notre sol pour y croire vraiment »

Une belle lecture !

 

Rentrée littéraire 2024  Les guerriers de l'hiver a été sélectionné pour le prix Goncourt (entre autres).

lundi 23 septembre 2024

Normandie : l'abbaye de Jumièges

L'abbaye de Jumièges
 

 

 L'abbaye de Jumièges située dans les boucles de la Seine ( département Seine-Maritime) fut fondée vers 654 par  Saint Philibert et connut un essor rapide. Ce fut l'un des plus importants et des plus anciens monastères bénédictins de Normandie. A la révolution elle fut vendue comme bien national et partiellement détruite pour exploiter les pierres.

 

 Un tiers de ses bâtiments sont encore visibles aujourd'hui. Mais se promener au milieu ces vestiges permet de saisir la beauté et la puissance de ces ruines grandioses.

 

Jumièges en 1678


L'abbaye de Jumièges


L'abbatiale Notre-Dame érigée entre 1040 et 1060 est considérée comme l'un des chefs d'oeuvre de l'art roman.

 

L'abbatiale Notre-Dame façade ouest

Sa façade ouest comporte un porche surmonté d'une tribune et encadré de deux tours jumelles d'une hauteur de 46 mètres.

 

L'abbatiale Notre-Dame nef  en direction de  la façade ouest intérieur.

 La nef avec ses 25 mètres de haut est la plus haute de Normandie.

 

L'abbatiale Notre-Dame : intérieur nef vue du mur nord
 

 La nef présente une élévation à triple niveau, grandes arcades, triforium et fenêtres. Quelques traces de peinture datant du XIII et XVI siècle subsistent encore.

 

L'abbatiale Notre-Dame nef vue sur la façade est

 A la croisée du transept seul la tour lanterne est encore visible.

 

Emplacement du choeur : vestiges chapelles gothiques( les nuages :  clouds theory de Laurent Grasso)

 

Du choeur ne demeurent que les vestiges de deux chapelles rayonnantes gothiques.


Passage vers l'église Saint Pierre

Reliée à l’abbatiale Notre-Dame par le passage Charles VII, l’église Saint-Pierre conserve d’intéressants vestiges de la période carolingienne.

 

Logis abbatial du XVII siècle

 Dans l'immense parc l'on découvre la résidence des abbés de l'abbaye. La construction de ce bâtiment fut commencé en 1666 pour remplacer l'ancien logement médiéval abandonné. D'un style classique avec sa haute toiture à la Mansart, il est habité dès 1671 par François II de Harlay de Champvallon, archevêque de Paris et abbé de Jumièges.

 

La porterie

La porterie : on entre par un porche du XIV siècle dans un bâtiment qui a été remanié au XIX siècle dans un style néo-gothique