Ecrit en 1836, édité en 1837, l’action de La Vieille Fille commence en 1816. Ce court roman s’insère dans Etudes de meurs, Scènes de la vie de Province, avant d’être réuni dans un même ensemble avec Le cabinet des Antiques.
Nous sommes à Alençon, en 1816, à l’époque de la seconde Restauration, Louis XVIII est au pouvoir. il a accordé une constitution dès la première restauration en 1814, ce qui mécontente les Ultra royalistes.
En Province s’opposent deux hommes, vieillards sensiblement du même âge (57/58ans) qui présentent deux classes sociales, deux époques, deux partis politiques, deux personnalités totalement opposés !
Le chevalier de Valois |
Le chevalier de Valois incarne la noblesse traditionnelle d’avant la révolution. Raffiné, il est toujours en phase avec le XVIII siècle, jusque dans sa manière de parler, de se vêtir, de penser. Intelligent, il a beaucoup de finesse pour comprendre la psychologie de ceux qu’il fréquente, nobles, bourgeois ou grisettes. Il plaît à tous, est charmant, spirituel, avenant. Complètement désargenté, il cache sa misère et se fait inviter dans le meilleur monde, jouant le rôle de pique-assiette. Libertin, il cache bien son jeu en paraissant avoir une vie sage et mesurée. Bien qu'il soit rusé, retors et habile à manipuler les gens, il est cependant moins pragmatique que son rival du Bousquier.
Du Bousquier |
Du Bousquier est le représentant de la classe bourgeoise. Hommes d’affaires sous le Directoire, il s’est ruiné avec l’Empire et se réfugie en province pour faire fortune. Vulgaire, sans élégance, brutal, incapable de sentiments distingués, odieux, il représente les idées révolutionnaires et épouse le parti libéral qu’exècre Balzac. Mais en bon hypocrite, il ne lutte pas pour des idéaux mais pour lui-même, la seule personne qui l’intéresse. Il se révèle d’ailleurs un homme de progrès, très compétent, capable de transformer l’économie d’une ville, d’y apporter la modernité, ce que lui reproche Balzac.
Ces deux personnages opposés ne sont épargnés, ni l’un, ni l’autre par Balzac qui exerce son talent caricatural sur eux et les malmène avec brio ! Cependant, on voit très bien de quel côté penche l’écrivain qui, parfois, prend la parole directement et rédige une diatribe contre la royauté constitutionnelle, tout en se plaçant du côté des ultras royalistes.
Ainsi du Bousquier représente : « ….
cette fatale opinion qui, sans être vraiment libérale, ni résolument
royaliste, enfanta les 221* au jour ou la lutte se précisa entre le plus
auguste, le plus grand, le seul vrai pouvoir, la Royauté, et le plus
faux, le plus changeant, le plus oppresseur pouvoir, le pouvoir dit
parlementaire qu’exercent des assemblées électives. »
Une amie blogueuse m’a demandé en quoi Balzac était un réactionnaire. Il faut lire ce livre pour le comprendre !
"Aucun homme, en France, (du Bousquier) ne
jeta sur le nouveau trône élevé en août 1830 un regard plus enivré de
joyeuse vengeance. Pour lui, l’avènement de la branche cadette était le
triomphe de la Révolution. Pour lui, le triomphe du drapeau tricolore
était la résurrection de la Montagne, qui, cette fois, allait abattre
les gentilshommes par des procédés plus sûrs que celui de la guillotine,
en ce que son action serait moins violente. La Pairie sans hérédité, la
Garde nationale qui met sur le même lit de camp l’épicier du coin et le
marquis, l’abolition des majorats réclamée par un bourgeois-avocat,
l’Eglise catholique privée de sa suprématie, toutes les inventions
législatives d’août 1830 furent pour du Bousquier la plus savante
application des principes de 1793."
C’est pourquoi, malgré la caricature, malgré ses défauts, le noble chevalier du Valois est supérieur en tout à l’horrible Bousquier!
Non contents d’être ennemis en politique, Bousquier et du Valois vont aussi se retrouver rivaux dans leurs ambitions matrimoniales. Tous deux briguent la main de la Vieille fille, Rose-Marie-Victoire Cormon, non pour ses beaux yeux mais pour sa fortune.
A côté d’eux un jeune homme Anathase de Granson, naïf, amoureux sincère de cette femme, même s’il ne dédaigne pas la fortune, est malheureusement éconduit. Un autre personnage a aussi son importance, c'est la grisette, Suzanne.
Rose Marie Victoire Cormon |
Rose-Marie-Victoire Cormon est une riche héritière qui vit dans la plus belle demeure d’Alençon avec son oncle, le grand-vicaire, Cormon. Elle représente la tradition royaliste solidement ancrée dans le terreau de l’Eglise catholique. Bourgeoise, étroite d’esprit, bigote, prude, elle est aussi inintelligente et ignore tout de la sexualité, ce qui l’entraîne à dire des inepties qui font la joie de son entourage. Elle est toujours « vieille fille » à force de refuser des partis tant sa méfiance est grande envers les adorateurs de sa fortune. Mais à la quarantaine, la question du mariage l’agite tant qu’elle devient une obsession. Toute la ville se moque d’elle. La caricature de son physique, de son ignorance, de ses ridicules est d’une grande cruauté. Mais l’on sait le mépris de Balzac pour les femmes célibataires qui se sont montrés trop difficiles pour trouver un mari; Il leur reproche de ne pas avoir rempli leurs obligations d’épouse, servir leur mari, et surtout leur devoir de mère, servir la société! La seule qualité que reconnaît Balzac à Mademoiselle Cormon, c'est de vouloir des enfants! Mais il la punira, à la fin du roman, par là où elle a pêché, le refus du mariage ! Pas de pitié pour ces êtres inutiles !
Par contre et étonnamment, Balzac est assez anti-clérical et se montre ironique envers la dévotion portée à l’extrême, autrement dit la bigoterie, ce que j'avais noté dans Le Lys de la vallée. Dans ce roman, l’écrivain condamne le directeur de conscience de madame de Mortsauf qui en lui prêchant la vertu, l’a empêchée de vivre comme il critique cette dernière de ne pas avoir su choisir l’amour. Dans la Vieille fille, il est assez virulent et cela, à plusieurs reprises :
« La dévotion cause une ophtalmie morale. En un mot les dévotes sont stupides sur beaucoup de points. (…) quoique le voltairien monsieur de Valois prétendît qu’il est extrêmement difficile de décider si ce sont les personnes stupides qui deviennent dévotes, ou si la dévotion a pour effet de rendre stupides les filles d’esprit. »
La vieille fille est donc bien un roman de moeurs où apparaît la vie étriquée, monotone, trop bien réglée de la Province, où sont dépeintes les différentes couches de la société, du peuple aux plus hautes classes. C’est aussi un roman politique qui décrit l’agitation de cette première partie du XIX siècle, de 1816 à 1830, et son histoire mouvementée. De plus, dans ce roman, Balzac porte l’art du portrait caricatural à un haut niveau.
221* En mars 1830, le roi menace les députés qui s'opposent au gouvernement réactionnaire qu'il met en place avec à sa tête Polignac; 221 d'entre eux lui présente une adresse rappelant au gouvernement les droits de la Chambre. Le roi s'empresse de la dissoudre. Le 27 juillet 1830, il dissout une assemblée nouvellement élue malgré sa volonté. Il rédige les ordonnances de Saint Cloud qui rétablissent la censure, interdisent la liberté de la presse, modifient le cens pour éliminer la bourgeoisie. Le 27, 28, 29 ont lieu les Trois Glorieuses, révolution qui chasse Charles X du trône; Il abdique le 3 août 1830. Le duc d'Orléans monte sur le trône.
J'ai trouvé un site qui explique dans quels romans de La Comédie Humaine l'on retrouve les personnages de La vieille fille ICI.
– Du Bousquier : 57 ans en 1816, est le rival heureux de Valois. Il monte des entreprises sous la Révolution et mène grande vie jusqu'au Directoire, dont l'une en association avec un Minoret (Entre savants). Ruiné en 1800 (La Bourse) il se retire à Alençon, sa ville natale, où il devient le chef du parti libéral. Son mariage avec Mlle Cormon en fait, vers 1838, le maître d'Alençon (Béatrix).
– Rose-Marie-Victoire Cormon : elle atteint la quarantaine en 1816. Vieille fille à son corps défendant, l'ironie du romancier la fait Présidente de la Société de Maternité. Son mariage, comme on sait, la laisse « fille », et vouée aux « nénuphars », selon le mot de Suzanne, qu'elle soit l'épouse de du Bousquier ou de son alter ego du Croisier (Le Cabinet des Antiques).
– Suzanne : …. et ses vieillards, « personne assez hardie » pour disparaître d'Alençon « après y avoir introduit un violent élément d'intérêt » . Une beauté normande, grisette en province, lorette à Paris. Elle y fait carrière sous le nom de Mme du Valnoble, emprunté à la rue Val-Noble, où demeure Mlle Cormon (Illusions perdues, Un début dans la vie, Une fille d'Ève). Elle rêve, adolescente, au destin de Marie de Verneuil (Les Chouans). C'est elle qui procure à Esther les fatales perles noires (Splendeurs et misères des courtisanes). On apprend dans Béatrix son mariage, en 1838, avec le journaliste Théodore Gaillard. La tournée parisienne des Comédiens sans le savoir commence chez elle.
– Chevalier de Valois : à Alençon. Il a 58 ans en 1816. En 1799, il était, dans l'Orne, le correspondant des Chouans (Les Chouans), et réapparaît à ce titre dans L'Envers de l'histoire contemporaine. « Adonis en retraite » il échoue in extremis auprès de Rose Cormon, et deviendra l'un des habitués du Cabinet des Antiques ; c'est dans ce roman qu'il mourra, en 1830, après avoir accompagné Charles X à Cherbourg, sur le chemin de l'exil.
LC initiée par Maggie Ici avec : Rachel ICI