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mercredi 30 novembre 2022

Marlen Haushofer : Le mur invisible


Voilà un livre que j’ai lu depuis longtemps sans publier de billet mais pourtant ce roman le mérite bien.

Un roman post-apocalyptique

Le mur invisible film de Julian Roman Pölsler.(2012)

Le mur invisible de Marlen Haushofer, paru en 1963  dans le contexte de la guerre froide reprend un thème qui était à la mode à l’époque - on comprend pourquoi -  et qui d’ailleurs n’a jamais cessé de l’être ( et pour cause ! ). Il s’agit de la destruction de la planète par des armes et une technologie toujours plus recherchée et meurtrière.

En 1972, j’ai lu aussi le Malevil de Robert Merle que vous devez connaître si vous avez le même âge que moi et qui est vraiment à lire, si ce n’est fait !
Lorsque les hommes cesseront d’inventer des armes de plus en plus sophistiquées pour mieux s’entretuer, les romans post-apocalyptiques n’auront plus de raison d’exister, mais en attendant il y a et il y aura toujours, j’espère, des écrivains pour nous en parler et nous secouer !

Marlen Haushofer, une féministe

Marlen Haushofer, autrichienne, a vécu son enfance dans un maison forestière  (son père était garde forestier). Elle a fait ses études dans les années 30, s’est spécialisée à l’université dans la philologie allemande, a connu la guerre et le nazisme. Plus tard, elle eut du mal à concilier son rôle de mère et d’écrivain à une époque où la société patriarcale fonctionnait sur le principe de la mère au foyer, femme d’intérieur modèle. De là naît un sentiment d’enfermement, d’isolement au monde et d'angoisse que l’on retrouve dans le personnage féminin de son roman Le mur invisible dans lequel elle met beaucoup d’elle-même…

Quand je me remémore la femme que j’ai été, la femme au léger double menton qui se donnait beaucoup de mal pour paraître plus jeune que son âge, j’éprouve de la sympathie. Je ne voudrais pas la juger trop sévèrement. Il ne lui a jamais été donné de prendre sa vie en main. Encore jeune fille, elle se chargea en toute inconscience d’un lourd fardeau et fonda une famille, après quoi elle ne cessa plus d’être accablée par un nombre écrasant de devoirs et de soucis. Seule une géante aurait pu se libérer et elle était loin d’être une géante, juste une femme surmenée, à l’intelligence moyenne, condamnée à vivre dans un monde hostile aux femmes, un monde qui lui parut toujours étranger et inquiétant.


Une robinsonnade

Le mur invisible film de Julian Roman Pölsler.(2012)

Dans Le mur invisible, Marlen Haushofer imagine qu’une femme, seule survivante de l’apocalypse, se retrouve protégée par un mur invisible du reste du monde pétrifié. Elle va organiser sa survie et celle des animaux qui sont sous sa garde.

La survivante qui est aussi, forcément, la narratrice, doit faire face aux difficultés d’une vie primitive, elle doit se battre contre la Nature qu’elle connaît mal, elle, une citadine, et s’en faire une alliée. Elle lutte pour survivre contre la famine, le froid, la maladie. Mais le pire c’est la solitude et la crainte de la folie qui la guette dans ce tête à tête avec elle-même.  Elle assume ce combat, refuse de s’abandonner et crée des liens solides et fidèles avec des animaux, un chien, une chatte, une vache … dont elle se sent responsable et qui l’obligent à continuer une vie qui, sinon, pourrait paraître vide de sens. Elle s’aperçoit aussi que la nature n’a pas besoin de l’homme pour exister et c’est pour elle une leçon de modestie.

Un jour, je ne serai plus là et plus personne ne fauchera le pré, alors le sous-bois gagnera du terrain puis la forêt s'avancera jusqu'au mur en reconquérant le sol que l'homme lui avait volé.

Le roman rejoint ainsi le genre littéraire de la Robinsonnade initié par le Robinson Crusoé de Daniel Defoe, récits d’aventures qui peignent la vie en pleine nature loin de la civilisation et qui portent une vision philosophique et critique du monde : Le Robinson suisse de Johann David Wyss, Sa majesté des mouches de William Golding, et mes deux préférés : Vendredi ou Les limbes du pacifique de Michel Tournier, Suzanne et le pacifique de Giraudoux (si vous ne les avez pas lus, un régal ! ). Et l’on pense aussi au roman de nature writing comme celui de Peter Fromm, Indian Creek, pour ne citer que celui-ci.

Dans La forêt de J. Hegland est à la fois post-apocalyptique et robinsonnade comme Le mur invisible.

Le pessimisme

Le mur invisible film de Julian Roman Pölsler.(2012)

L’originalité du roman de Marlen Haushofer vient de la vision féministe de la narratrice et de son ressenti par rapport à l’homme, le mâle, qui est, pour elle, la représentation du Mal, de la violence, de la haine, pessimisme hérité du traumatisme de la guerre et des horreurs commises par les nazis mais aussi cause de l’asservissement de la femme. Vous verrez ce qui se passe quand le seul homme survivant viendra briser sa solitude. Je vous laisse le découvrir.

Enfin, il faut dire qu’au-delà de son appartenance à des genres littéraires, le roman de Marlen Haushofer est une interrogation sur la solitude, la folie et la mort,  le rapport au temps, celui entre les individus, les hommes et les femmes, et les liens qui nous rattachent à la nature, au monde animal et végétal. Un roman passionnant que l’on peut lire au premier degré comme un livre d’aventures mais qui présente aussi une dimension philosophique résonnant comme un avertissement face à l’escalade de la violence et  à l’indifférence de l’homme vis à vis de la nature.


 

lundi 28 novembre 2022

A l'aide ! autrement dit en bon français : Help !

 


De temps en temps, je ne peux pas répondre à vos commentaires car le système est bloqué. Impossible de taper ma réponse.  Puis cela se remet en marche mais de façon aléatoire !


Avez-vous des conseils à me donner ?

Merci !




samedi 26 novembre 2022

Marie-Christine Helgerson : Louison et monsieur Molière

 

Louison et Monsieur Molière de Marie-Christine Helgerson est un livre paru aux éditions Flammarion jeunesse dans la collection Les plus belles lectures du collège (à partir de 11 ans) .
Ma petite-fille doit le lire pour sa classe, elle est en cinquième. C’est un livre court (126 pages) d’un niveau facile. Il me semble qu’il pourrait être aussi présenté en primaire, CM1 ou CM2. Il est suivi d’un dossier sur Molière et le théâtre de son temps. 

Jeanne-Olivier Bourguignon épouse de Jean Beauval


Louison est la fille de Jean Pitel de Beauval et Jeanne Beauval, tous deux acteurs dans la troupe de Molière au Palais Royal devenu depuis la Comédie française ou La Maison de Molière. (voir le site de le Comédie française ICI
Louison n’est pas jolie et sa mère, belle comédienne remarquée par le roi, ne l’aime pas et la tient à l’écart. Mais la fillette rêve de monter sur scène et de jouer dans la troupe de Molière qu’elle admire et qui mange souvent à la table de ses parents. C’est pourquoi elle est très motivée pour apprendre à lire et très vite avec sa nourrice Frosine comme complice, elle connaît par coeur toutes les répliques des pièces du dramaturge. Un jour, elle joue à faire la morte pour attirer l’attention ses parents, et c’est si convaincant que Molière décide d’écrire un rôle pour elle. Ce sera celui de Louison, l’adorable et espiègle petite fille menacée du fouet par son papa, dans Le malade imaginaire

 (extrait scène 2 acte II)

ARGAN.— N’avez-vous rien à me dire?

LOUISON.— Je vous dirai, si vous voulez, pour vous désennuyer, le conte de Peau d’âne, ou bien la fable du Corbeau et du renard, qu’on m’a apprise depuis peu.

ARGAN.— Ce n’est pas là ce que je demande.

LOUISON.— Quoi donc?

ARGAN.— Ah! rusée, vous savez bien ce que je veux dire.

LOUISON.— Pardonnez-moi, mon papa.

ARGAN.— Est-ce là comme vous m’obéissez?

LOUISON.— Quoi?

ARGAN.— Ne vous ai-je pas recommandé de me venir dire d’abord tout ce que vous voyez?

LOUISON.— Oui, mon papa.

ARGAN.— L’avez-vous fait?

LOUISON.— Oui, mon papa. Je vous suis venue dire tout ce que j’ai vu.

ARGAN.— Et n’avez-vous rien vu aujourd’hui?

LOUISON.— Non, mon papa.

ARGAN.— Non?

LOUISON.— Non, mon papa.

ARGAN.— Assurément?

LOUISON.— Assurément.

ARGAN.— Oh çà, je m’en vais vous faire voir quelque chose, moi.

Il va prendre une poignée de verges.

LOUISON.— Ah! mon papa.

ARGAN.— Ah, ah, petite masque, vous ne me dites pas que vous avez vu un homme dans la chambre de votre sœur?

LOUISON.— Mon papa.

ARGAN.— Voici qui vous apprendra à mentir.

LOUISON se jette à genoux.— Ah! mon papa, je vous demande pardon. C’est que ma sœur m’avait dit de ne pas vous le dire; mais je m’en vais vous dire tout.

ARGAN.— Il faut premièrement que vous ayez le fouet pour avoir menti. Puis après nous verrons au reste.

LOUISON.— Pardon, mon papa.

ARGAN.— Non, non.

LOUISON.— Mon pauvre papa, ne me donnez pas le fouet.

ARGAN.— Vous l’aurez.

LOUISON.— Au nom de Dieu, mon papa, que je ne l’aie pas.

ARGAN, la prenant pour la fouetter.— Allons, allons.

LOUISON.— Ah! mon papa, vous m’avez blessée. Attendez, je suis morte.

Elle contrefait la morte.

ARGAN.— Holà. Qu’est-ce là? Louison, Louison. Ah! mon Dieu! Louison. Ah! ma fille! Ah! malheureux, ma pauvre fille est morte. Qu’ai-je fait, misérable? Ah! chiennes de verges. La peste soit des verges! Ah! ma pauvre fille; ma pauvre petite Louison.

LOUISON.— Là, là, mon papa, ne pleurez point tant, je ne suis pas morte tout à fait.

ARGAN.— Voyez-vous la petite rusée? Oh çà, çà, je vous pardonne pour cette fois-ci, pourvu que vous me disiez bien tout.

LOUISON.— Ho, oui, mon papa.

ARGAN.— Prenez-y bien garde au moins, car voilà un petit doigt qui sait tout, qui me dira si vous mentez.

LOUISON.— Mais, mon papa, ne dites pas à ma sœur que je vous l’ai dit.

ARGAN.— Non, non.

LOUISON.— C’est, mon papa, qu’il est venu un homme dans la chambre de ma sœur comme j’y étais.

ARGAN.— Hé bien?

LOUISON.— Je lui ai demandé ce qu’il demandait, et il m’a dit qu’il était son maître à chanter.

ARGAN.— Hon, hon. Voilà l’affaire. Hé bien?

LOUISON.— Ma sœur est venue après.

ARGAN.— Hé bien?

LOUISON.— Elle lui a dit: «sortez, sortez, sortez, mon Dieu sortez, vous me mettez au désespoir».

ARGAN.— Hé bien?

LOUISON.— Et lui, il ne voulait pas sortir.

ARGAN.— Qu’est-ce qu’il lui disait?

LOUISON.— Il lui disait je ne sais combien de choses.

ARGAN.— Et quoi encore?

LOUISON.— Il lui disait tout ci, tout çà, qu’il l’aimait bien, et qu’elle était la plus belle du monde. (...)

Louison aura donc le privilège d’interpréter le rôle qui porte son nom et de donner la réplique à Molière lui-même ! Mais, comme on le sait, Molière mourra à la quatrième représentation de la pièce et la carrière de Louison s’arrête jusqu’à ce que….

Louison Beauval Pitel épouse Beaubour Ici
 

Ce roman a le mérite de présenter  le Paris du XVII siècle, le théâtre et Molière à travers la vision d’une enfant qui vit une passion. On y voit Jean-Baptiste Poquelin à un stade avancé de sa maladie, crachant le sang, entouré par Madeleine Béjart qui est au petit soin pour lui mais qui disparaît avant lui, alors qu’Armande, son épouse, indifférente, le fait souffrir. On le voit attristé par la mort de son fils s’attacher à la petite Louison et écrire pour une enfant un rôle étonnant de vérité, et rare dans le théâtre français. On y apprend que les comédiens ont mauvaise réputation et sont excommuniés par l’église, ne pouvant être enterrés en terre consacrée.  

Bref! une présentation du XVII siècle et du théâtre de Molière dans un style simple, direct à la portée de jeunes lecteurs qui pourront s’identifier à Louison tout en découvrant l’homme et l’oeuvre à travers le personnage de Molière.

Jean Baptiste Poquelin


dimanche 20 novembre 2022

Marieke Lucas Rijneveld : Qui sème le vent

 



Il faut avoir le coeur bien accroché pour lire Qui sème le vent, le livre de Marieke Lucas Rijneveld, jeune écrivaine présentée comme « la nouvelle sensation européenne ».

La narratrice a dix ans, au début de l’histoire, lorsque son frère aîné, Matthis, se noie en patinant sur un lac gelé. Au chagrin ressenti, s’ajoute une sentiment de culpabilité car la fillette se sent responsable de sa mort, sentiment que partagent les parents de Matthis qui se considèrent comme fautifs devant Dieu et voient dans cette mort un châtiment divin.
Nous sommes au Pays-Bas, dans un famille très religieuse, pratiquant un protestantisme rigide (on lave au savon la bouche des enfants qui profèrent des gros mots !) et on cite la Bible à tout propos.
La pratique intégriste (ou passéiste?) de la religion, les conditions de vie dans la ferme, le manque d’hygiène qui y règne, me paraissent un peu archaïques pour un pays comme celui-ci, aussi j’ai été étonnée de constater que le récit avait lieu dans les années 2000. Je le pensais antérieur mais il semble que ce soit une région pauvre. Parka dit de son village qu’il est « moisi et misérable » et elle aimerait passer de "l'autre côté".

Après la mort de Matthis, la fillette, en retrait, observe ce qui se passe autour d’elle. La famille se délite, le père et la mère deviennent étrangers l’un à l’autre, voire hostiles, et se replient sur eux-mêmes, incapables de montrer de l’amour à leurs autres enfants. Le travail de la ferme les accapare et elle a l’impression que le soin des vaches passe avant eux, comme "un cas de force majeure", et occupe tout le temps disponible ! Son frère Obbe, extrêmement perturbé, exerce sa cruauté sur les animaux et bientôt sur ses semblables, jouant à des jeux pervers. Hanna, sa petite soeur, trouve dans la masturbation un exutoire à son angoisse. Quant à la narratrice, Parka, enveloppée dans son vêtement qu’elle ne veut plus quitter, comme un rempart contre le monde extérieur, elle glisse peu à peu dans le désespoir.

Ce n’est pas seulement la noirceur de l’histoire qui a rendu ma lecture pénible. C’est l’insistance sur des détails triviaux et largement commentés que l’on évoque rarement dans un roman : Parka mange ses crottes de nez (description), elle est constipée et ne nous épargne rien (description) de son calvaire. Tous ces détails parfois sordides, cette insistance, cette précision réaliste, créent un malaise désagréable chez le lecteur, le rendent à la fois voyeur et acteur de ces scènes. D'où la gêne ressentie mais elles ont assez de force pour lui faire partager le mal-être de la petite fille. Son esprit est malade, son corps aussi. Et au final, la détresse de l’enfant nous touche; ainsi lorsqu’elle parle à ses crapauds :

"Or, pour être franche, illustres crapauds, il me semble qu’on s’est enterrés, même si on est en été. Embourbés jusqu’au cou et personne pour nous tirer de là. Au fait, vous avez un Dieu, vous ? Un Dieu qui pardonne ou un Dieu qui mémorise tout ? Je ne sais plus quel genre de Dieu on a. Peut-être est-il en vacances à moins qu’il ne soit aussi enterré. En tout cas, il est pas souvent au boulot."

Parka a son franc parler et surtout, contrairement à son éducation religieuse et peut-être à cause d’elle, elle s’intéresse beaucoup à la sexualité. Evidemment, vivant dans une ferme, elle est bien au courant de tout ce qui touche à la reproduction sans tout comprendre pourtant.  Le sexe des petits angelots qui ornent le sapin de Noël la passionne, celui de son petit voisin aussi.

"La biroute du voisin était un peu flasque au toucher, comme les paupiettes farcies de viande hachée que grand-mère me demande certains dimanches, de rouler sur le plan de travail préalablement parsemé d’herbes aromatiques."

Mais elle en parle malgré tout comme une enfant avec des détails crus et naïfs qui ne manquent pas d’humour. Par la suite, elle s’angoisse car elle a peur d’être une pédophile.
 De même, elle élève des crapauds pour qu’ils s’accouplent, ce qui entraînerait,  espère-t-elle,  comme une relation de cause à effet, l’accouplement de ses parents et la fin de leur malheur.

Le style est dérangeant et même provocateur, on a l’impression que l’écrivaine veut nous plonger dans l’enfer que vivent tous les membres de cette famille, nous enterrer, nous embourber pour reprendre les expressions de Parka. Et elle y parvient totalement. Alors pourquoi continuer ma lecture ? Parce qu’il y a ici un réel talent d’écriture. Inventive, imagée, pittoresque, elle ne ne ressemble à rien d’autre. C’est un style qui paraît naïf mais qui est très savant, très travaillé, précis, avec des comparaisons et des images frappantes.

"On peut comparer les silences qui suscitent de la gêne au fumier sec qui reste collé aux semelles même si on les racle sur le gratte-pieds : on ne sait quoi en faire."

"De près, les verrues des crapauds ressemblent à des câpres. Boutons de fleurs verdâtres que je trouve dégueulasses. Quand on en fait péter une en la pinçant entre le pouce et l’index, une substance aigre en sort pareille à celle des glandes à venin de ces batraciens."

 Et certains passages sont même très beaux et témoignent d'une observation pleine de finesse et de poésie :

 Alignés les arbres penchent la tête du côté de ma chambre, pareils à un  groupe de conseillers presbytéraux qui écoutent aux fenêtres.

C’est sûr que l’écrivaine a du talent, de la personnalité, mais, cela est sûr aussi, elle n’est pas là pour nous faire plaisir !


 

mercredi 16 novembre 2022

Bucarest : le musée Satului ou musée du village roumain (6)

 Musée du village du paysan roumain
 

Il serait peut-être temps que je termine de parler de mon voyage à Bucarest et ceci, d'autant plus, que je m'apprête à partir à Lisbonne au mois de Décembre.

Le musée du village roumain appelé aussi musée Satului a été créé en 1936 et n’a cessé de s’étendre depuis. Il s’agit d’un écomusée qui illustre l’habitat des paysans dans chaque province historique de la Roumanie : Valachia,  Transylvania, Dobrogea, Moldavia, Bucovina, Maramures, Crisanan, Banat. Il a  pour but de faire connaître la vie des paysans et leurs traditions.

Les maisons ont été achetées à des paysans, démontées, transportées à Bucarest pour y être installées dans le parc Herastrau. Des panneaux explicatifs sont disposés devant chaque demeure pour préciser leur provenance, leurs caractéristiques  avec des photographies des anciens propriétaires posant devant la porte d’entrée.
 

Le musée expose à l'heure actuelle 346 bâtiments comprenant des fermes, des églises, des moulins à vent, des moulins à eau, et de nombreux objets du quotidien. 

C’est un des rares musées à être ouvert le lundi. Il faut en profiter.


Musée du village du paysan roumain : Brasov Transylvanie


Maison de Salciua Jos  Transylvanie

Cette maison qui date de 1815 est située à Salcuia Jos, village représentatif de l'habitat traditionnel de montagne au coeur de la Transylvanie.


Musée du village du paysan roumain: église de Dragomiresti  (Maramures)

Cette église de Dragomiresti dans la région de Mamamures  a été contruite en 1722 et transportée au musée en 1936.

Croix : église Dragomiresti (Maramures)
Maisons semi-souterraines Draghiceni (Valachie)

Les maisons semi-souterraines de Draghicini et de Castranova  (Valachie) qui datent du XIX siècle sont les plus étonnantes du musée Satului...  Elles sont enterrées dans le sol,  ne laissant dépasser que le toit et des petites fenêtres. L'entrée est en pente nécessitant de descendre pour pénétrer dans la maison. Le toit est double en bois de chêne sculpté à la hache ( en roumain : mârtaci ) et recouvert de canne, de paille et d’argile

  

Maisons semi-souterraines : fenêtre  Castranova (Petite Valachie)


Maisons semi-souterraines : porte d'entrée Castranova

 Elles correspondent à un climat assez rude, avec des vents violents et des grands changements climatiques entre l'hiver et l'été mais elles étaient une défense contre les incursions ottomanes fréquentes dans la région.. Celle de Castranova a été transférée en 1949 et a été la dernière de ce type.

Maisons semi-souterraines : Castranova (Valachie)
  


Musée du village du paysan roumain Zapodeni : Moldavie

 Zapodeni Moldavie (détail du toit)


Musée du village du paysan roumain : Zapodeni Moldavie

Musée du village du paysan roumain : Zapodeni Moldavie

Musée Satului , village du paysan roumain :  région Dobrogea  Jurilovca Tulcea

Cette maison riante, bleue et blanche,  de Jurilovca, a été  contruite en 1898. La Dobrogea est située au sud-est de la Roumanie, en bordure de la mer Noire. C'est une région partagée en deux, entre la Roumanie au Nord et la Bulgarie, au sud. C'est la région du delta du Danube.


Moulin à vent du XIX siècle



Eglise de Rapciuni (Moldavie)

L' église de Rapciuni en Moldavie est de 1773.

Eglise de Rapciuni (détail)


Eglise de Rapciuni (Moldavie)

Eglise de Rapciuni (Moldavie)

Bucarest : Le muzeul Colectiilor de Arta ou musée des Collections d'art (5)

dimanche 13 novembre 2022

Per Petterson : Je refuse

 

On refuse tout dans ce beau roman poignant de Per Petterson, y compris de  vivre !

Une amitié de jeunesse


Deux amis Jim et Tommy se rencontrent à nouveau après trente ans de séparation. Dans leur enfance, les deux garçons sont très liés bien qu’ils ne soient pas du même milieu social, l’un, Tommy, a un père éboueur, l’autre une mère professeur de langue et de religion. L’un a un père athée, l’autre est élevé dans la foi.

 Mais ils ont tous les deux des manques. Jim n’a jamais connu son père, il ne sait même pas qui il est. Tommy n’a plus de mère. Celle-ci a quitté son mari en laissant derrière elle ses quatre enfants à son mari alcoolique et violent. Tommy, sa soeur Siri et les jumelles sont battus pendant des années jusqu’au moment où Tommy, adolescent de 13 ans, se révolte et se retourne contre son père. Ce dernier part lui aussi, les enfants sont séparés, placés dans des familles d’accueil, et prennent des distances les uns envers les autres. Une famille dissoute, un crève-coeur pour Tommy qui prenait son rôle d’aîné très au sérieux. Quant à Jim, après sa tentative de suicide, à l’âge de dix-huit ans, il déménage avec sa mère. Les deux amis sont séparés.

Le roman alterne entre les personnages principaux, Jim, Tommy, et secondaires, sa soeur Siri et sa mère Tya, jonglant entre le passé et le présent, les années 1960-70 et les années 2000, entre l’enfance, l’adolescence et l’âge mûr.

Le refus

Quand ils se retrouvent, Jim et Tommy ont la cinquantaine. Jim est en congé de maladie depuis un an. Désormais, il ne peut plus prétendre à l’assurance maladie. Il refuse de se déclarer en invalidité, se retrouve sans travail et doit chercher du travail. Il est dépressif, a des crises nerveuses qui le terrassent, des moments de désespoir absolus. Sa femme Eve, l’a quitté. Il trompe sa solitude et le manque de sens en allant pêcher, cette occupation qu’il aimait tant quand il était jeune. Plus rien ne le retient, plus rien ne lui importe. Il refuse jusqu’à la possibilité d’aimer et même de vivre.

Tommy Berggren, lui, a réussi une carrière dans les finances grâce à son père adoptif. Mais que veut dire « réussir » ? Avoir de l’argent ? C’est autre chose, s’il s’agit de donner un sens à sa vie. Tommy est las de continuer à brasser de l’argent qui n’existe que sur le papier et qui lui procure une aisance dont il ne sait plus que faire. Déjà, lorsqu’il était adolescent, brutalisé par son père, il refusait la main tendue. Abîmé par la vie, il refuse l’amour, se contentant de liaisons sans lendemain. Il s’enlise dans la solitude, sombre dans l’alcool. Il refuse aussi son passé, ce père qu’il n’a plus vu depuis tant d’années et qui prétend renouer avec lui dans sa vieillesse.

La soeur de Tommy, Siri, refuse, de son côté, de reconnaître sa mère, nie en bloc son passé et efface de sa mémoire les enfants qui furent ses frère et soeurs.

La mère de Tommy, Tya, refuse de continuer à vivre avec cet homme brutal et aigri, son mari, qu’elle n’aime pas et qui la tue à petit feu.

Tous des personnes vulnérables, des hommes et femmes en colère, meurtris, blessés.

   Un certain déterminisme      

Mais les conséquences d’un refus ne sont pas anodines car les êtres humains interagissent les uns avec les autres. Un certain déterminisme lié peut-être au protestantisme et à l’idée philosophique de la prédestination ( Jim et sa mère sont très religieux) pèse sur les personnages de ce roman. Ainsi Tya mourra d’avoir abandonné ses enfants et son fils et ses filles porteront toute leur vie la marque de cette défection. De même l’absence de père va façonner Jim.
Déterminisme aussi et rigueur morale - on est sous l’oeil de Dieu - puisqu’un seul acte peut provoquer le mépris de soi-même, sans possibilité de pardon. C’est ce qui arrive à Jim lorsqu’il patine sur un lac gelé et qu’il repousse Tommy, dans sa hâte de fuir, car il croit que la glace est en train de craquer. Geste involontaire, certainement causé par la panique ? Il n’en est pas moins vrai que non seulement il n'a pas porté secours à son ami, mais il s’est préoccupé d’abord de lui-même, en causant la chute de Tommy.

"Tu crois que c’est vrai, cette histoire de conscience et de roue dentée » demande Tommy à Jim à un moment du récit.
Qu’est-ce que tu veux dire ?
Que la conscience est une sorte de roue dentée ou de scie circulaire qui tourne dans l’âme et te fait souffrir l’enfer, et quand tu fais le mal il y a le sang qui gicle, mais toi tu t’obstines, et les dents finissent par s’user, et ça fait des durillons à l’âme et la rend insensible et toi, t’es devenu un type comme ça."

 

Toute la vie de Jim, élevé par une mère très religieuse, porte sur la question du Bien et du Mal.  Et il ne pourra s’en libérer que  lorsque la vie n’aura plus de sens pour lui.

"Oui, j’étais délivré. J’ignorais ce que cela signifiait, j’ignorais si était un bien ou un mal. Mais ce n’était pas une question de bien ou de mal, l’essentiel n’était pas là. L’essentiel était que plus rien n’avait d’importance. Et ça, c’était nouveau.".

Saisir sa chance ?

Mais Je refuse montre également la nécessité, parfois, du refus, pour continuer à vivre. Car, et c’est la limite du pessimisme de l’écrivain, chacun a sa chance mais il faut savoir ou vouloir la saisir.
La chance de Tommy s’incarne en la personne d’une jeune femme, Berit, serveuse dans un restaurant, qui l’attire et dont la sincérité et le refus (elle aussi !) de l’hypocrisie le touchent. Donner rendez-vous à Berit est pour lui un acte de courage. C’est se tourner vers la vie ! C’est l’acceptation d’une relation amoureuse, d’une vie partagée. C’est refuser de refuser ! Et ce n’est pas facile !  "Comme si j’avais sauté en parachute pour la première fois de ma vie. Et survécu. "

Une approche profondément  humaine

Un roman humain qui témoigne d’un véritable  amour et  d’une compréhension des êtres humains. Nul jugement !  Il nous est même donné de comprendre le père maltraitant, alcoolique, éboueur déconsidéré et rejeté par la société, méprisé par son fils, subissant, cette fois, un déterminisme social qui l’empêche de s’élever : « Mon père n’a jamais pu monter en grade, il n’a jamais pu rejoindre les chauffeurs qui trônaient là-haut dans leur cabine bien propre sans même le regarder quand il s’épuisait à courir, ou lorsqu’il faisait son numéro à deux poubelles. Sans spectateurs, il les soulevait sur ses épaules et il devenait l’homme le plus fort du village. »

Pas d’analyse psychologique, mais des faits, des gestes, des dialogues, des impressions, qui nous font pénétrer dans l’intimité des personnages. Per Petterson nous met en symbiose avec eux et nous fait partager leur vie.
Ce que j’aime beaucoup, aussi, c’est qu’ils sont inscrits dans une réalité, un petit village norvégien, Mork, au nord d’Oslo, dans une société très chrétienne et « amidonnée » de valeurs morales mais où l’on peut être conscient de la souffrance d’enfants maltraités et ne pas intervenir. Un laisser-faire qui était peut-être la marque des années 70 ?
 La scène où Jim, malade, va pointer à la sécurité sociale - et là on est à l’époque actuelle - et où on lui annonce qu’il ne sera plus pris en charge par l’assurance maladie est d’une violence et d’une force étonnante en regard de l’économie de moyens au niveau stylistique. Il en faut peu à Per Petterson pour faire comprendre les rapports de domination entre Jim, humilié, et la secrétaire et le conseiller. Une façon d’écrire très serrée, qui mêle, dans le dialogue, le style direct pointant la sècheresse des interlocuteurs et leur condescendance et le style indirect qui traduit les pensées du personnage et sa souffrance. Un dialogue à la limite de l’absurde, comme un serpent qui se mord la queue, mettant en évidence l’impossibilité de communiquer avec le conseiller qui le reçoit  :

La secrétaire :

- Alors les règles changent. Vous comprenez ? Vous ne pouvez plus rester en congé de maladie.
- Je sais. Je sais tout ça.
- J’espère bien, a-t-elle dit.
Et j’ai pensé : Qui est-elle pour me parler comme ça ?

Le conseiller  qui lui demande de trouver du travail :

« J’ai répondu que, tout bien considéré, je pourrais certainement obtenir le poste que je voudrais du moins dans mon domaine, qui était celui des bibliothèques. Il a répliqué que ce n’était peut-être pas faux. Mais pour l’instant, j’étais là, dans son bureau, et je n’avais pas du travail du tout, ni dans mon domaine ni dans un autre. Parce que je suis en congé de maladie, ai-je rétorqué. Il le savait parfaitement, a-t-il dit, c’est pour ça que j’étais là. En effet, ai-je répondu. Vous cherchez à faire de l’humour ? a-t-il dit. Me parler comme ça, alors qu’il avait vingt ans de moins que moi. »

Ce roman est très riche et demande une participation au lecteur. Il faut aller au-delà de ce qui est dit pour comprendre ce qui n’est pas dit. Par exemple, le suicide de Jim à dix huit ans n’est pas expliqué. Le jeune homme est de ceux dont on dit qu’il a tout pour lui : la beauté, la classe, l’intelligence, un milieu sinon aisé du moins sans problèmes financiers, une mère qui est contre la punition corporelle et qui apparaît peu dans le roman mais dont on apprend qu’elle a menti à Tommy pour séparer les deux garçons quand Jim était hospitalisé. Une mère nocive ? Peut-être ?  De Tommy et de Jim, c’est ce dernier qui s’en sort le plus mal. C’est à nous d’apporter une réponse que l’auteur ne nous donne pas pour mieux saisir les personnages. C’est le genre de roman sur lequel on doit revenir pour mieux le comprendre et qui sait transmettre l’émotion, faire sentir les blessures de la vie. La fin reste ouverte. Jim et Tommy se reverront-ils … ou non ? Jim peut-il être sauvé ? Quand vous aurez lu ce roman, revenez me dire ce que vous pensez !

 
Un coup de coeur !



 

mardi 8 novembre 2022

Alvydas Slepikas : A l’ombre des loups

 


A l’ombre des loups de l’écrivain lituanien Alvydas Slepikas raconte l’occupation de la Prusse-orientale, limitrophe de la Lituanie, par les troupes soviétiques à la fin de la seconde guerre mondiale en 1946.

Alvydas Slepikas y décrit le terrible sort de la population allemande traitée impitoyablement par les vainqueurs dans un pays détruit par la guerre, une population chassée des maisons, obligée de vivre dans des granges, en proie aux violences des soldats russes, au froid hivernal, et surtout à la famine. La faim règne, réduisant des familles entières au désespoir. La mort est partout. Certains cèdent au découragement et à la souffrance en se jetant volontairement dans le Niemen glacé, d’autres continuent à lutter pour la survie, récoltant les pelures de pommes de terre jetées par l’armée, mangeant à même l’arbre les bourgeons gelés et l’écorce. Les enfants partent, cherchent à gagner la Lituanie pour trouver de la nourriture, mendient, travaillent dans les fermes si l’on veut bien d’eux, subissent le froid, la peur, se perdent dans les forêts profondes. Ce sont ces enfants que l’on a appelés les enfants-loups. Si certains ont été rejetés ou exploités, d’autres n’ont dû leur survie qu’à la générosité de lituaniens comme Antanas et Stasé déportés en Sibérie par le pouvoir soviétique pour avoir recueilli une petite fille allemande.

C’est à travers la vie de la famille Schukat, qu’Alvydas Slepikas nous fait vivre cet épisode ignoré de l’Histoire. Eva dont le mari parti à la guerre ne donne plus de nouvelles essaie de maintenir la cohésion de sa famille et sa survie avec l’aide de Tante Lotte et de son amie Marta. Son fils aîné Heinz est déjà revenu de Lituanie avec de vivres qui les a sauvés une fois. Il repart.
La solidarité, l’amour, la conscience de son identité, la dignité doivent servir de ciment solide entre les membres de la famille pour passer le cap.

Eva demande aux plus jeunes de ses enfants d’être attentifs, d’être capables de se souvenir d’où ils viennent et de qui ils sont.
Elle leur dit : «  Où que vous finissiez, même si je ne suis plus avec vous, - souvenez-vous. » Et les enfants comprennent qu’il est très important de se souvenir qui ils sont et et d’où l’on vient.

 « Répète-le ma douce, répète-le et souviens-toi bien
- Je m’appelle Monika Schukat, née à Gumbinnen le 9 mars 1936, fille d’Eva et de Rudolph.
- N’oublie pas les prénoms de tes frères et soeurs.
- Je suis la fille d’Eva et de Rudolph. J’ai deux frères. Mon petit frère s’appelle Helmut et mon grand frère Heinz. J’ai deux soeurs, Brigitte et Renate.
- Quelle est ta nationalité ?
- Je suis allemande.

 Mais peu à peu, la faim, le froid, le temps ont raison de la solidarité et des liens familiaux et sapent ce qu’il y a d’humain en eux : les enfants, Brigitte l’aînée des filles, Monika, Renate, Helmut, se dispersent, les uns amenés avec les adultes par les troupes russes pour des travaux forcés, les autres tentent l’aventure lituanienne. Dès lors le destin de chacun se joue séparément et l’écrivain va suivre plus longuement celui de Renate qui a sept ans en 1946. Mais que deviennent les autres ? La relation de la vie de Brigitte s’arrête lorsqu’elle se retrouve dans un wagon en partance pour la Lituanie, toute seule avec des soldats russes; celle de Heinz, seul, dans le village où il est revenu pour trouver la maison vide. Comment Eva, Tante Lotte et les petits ont-ils pu survivre dans les tranchées qu’on les oblige à combler?  On imagine la dureté des conditions de travail et de vie.

Je dois dire que je me suis d’abord sentie frustrée d’être laissée dans l’ignorance. A ce propos, je cite la conclusion du billet d' Ingammic que vous pourrez lire ICI

« Un sujet très intéressant et un texte frappant, donc. Je dois toutefois mentionner être restée sur ma faim : dans sa deuxième moitié, l’intrigue prend plusieurs directions que l’auteur ne mène pas à leur terme. Cela m’a laissé, une fois la dernière page refermée, une impression de roman "tronqué ». »

Oui, que deviennent-ils? Je me suis demandée comme Ingammic si c’était une maladresse de la part de l’auteur ? Par la suite, je me suis dit que non. C’est quelqu’un qui possède une évidente maîtrise de la construction narrative. Tant d’enfants ont péri pendant cette période, morts de froid ou de faim dans la forêt où ils se réfugiaient, victimes de coups, de viols, de sévices, jetés dans un fossé, effacés, sans laisser de traces. Ainsi ceux-là disparaissent sous la plume de l’écrivain, rejoignant la liste des oubliés. Le livre est à la fois fiction et réalité et dans la réalité on ne sait pas qui survivra parmi eux. 

Alvydas Stepikas qui est scénariste a d’abord voulu tourner un film sur les enfants-loups mais il n’a pas eu le financement. Sa rencontre avec une vieille dame, Renate, qui a vécu dans la forêt, a relancé son projet. Il a décidé d’écrire au lieu de tourner. Le style, parfois très cinématographique, comme celui d’un synopsis, avec des phrases courtes, des verbes au présent, est extrêmement visuel, percutant, et peint la violence de la tragédie vécue par la population. Quant aux descriptions, elles rendent bien l’impression d’un monde sombre, en noir et blanc, éclaboussé de rouge. Elles convoquent le conte traditionnel, mi-onirique, mi-cauchemar, Hansel et Gretel, petits enfants perdus dans la forêt, en passe d’être dévorés par la sorcière, dans un monde où les hommes font plus peur que les loups. L’ombre des loups :  un très bon roman !


mercredi 2 novembre 2022

Pause : Creuse

 

Tapisserie d'Aubusson : Licorne


Une petite pause en Creuse, près d'Aubusson, pour aller voir les petits-enfants. A bientôt !


Tapisserie musée  d'Aubussson Lurçat

dimanche 30 octobre 2022

Francesca Melandri : Tous, sauf moi


 

J’ai visionné l’autre soir un documentaire sur Mussolini. J’avais encore tout frais en mémoire le livre de Francesca Melandri Tout sauf moi et le regard horrifié qu’elle porte sur la colonisation de l’Ethiopie voulue par le Duce ! L’écrivaine y raconte les exactions commises dans ce pays, le "nettoyage radical" selon les mots de Mussolini de ce peuple considéré comme inférieur, qui se révolte et qu’il faut "pacifier"  - bel euphémisme - en rasant les villages, condamnant les hommes à la pendaison, donnant les femmes aux soldats et enfermant ceux qui restent dans des camps comme l’Italie l’avait déjà fait en Lybie. Je dois dire, au passage, même si ce n’est pas le sujet, que la France, tout comme l’Italie, n’est pas en reste quand il s’agit des violences de la  colonisation.

Le livre de Francesca Melandri tout comme le documentaire que j’ai regardé relate le massacre d’Addis-Abeba et décrit le tragique épisode au cours duquel l’armée italienne gaze la population réfugiée dans une grotte et extermine ceux qui essaient de s’enfuir. L’écrivaine met en parallèle l’Italie de l’époque mussolinienne et celle de l’époque berlusconienne dans laquelle des ministres et des députés passifs et obéissants à la voix du maître acceptent les réductions des libertés, le racisme, le mensonge et la corruption. Elle dénonce le sort des immigrés en particulier des éthiopiens menacés par un régime totalitaire qui fuient leur pays et se retrouvent en Italie, enfermés dans ce qu’il est de bon ton d’appeler des "centres" mais qui ressemblent fort à des prisons.

"Le voilà encore le temps de la réclusion, des endroits où Dieu est plus silencieux qu'un mur : il coule visqueux par un trou dans la poitrine, la remplit de noir. Mais ici, ce n'est pas la Lybie, c'est l'Italie civilisée. On peut se lever, marcher, aller dans la cour, fumer une cigarette si on a l'argent. Il y a des douches même si elles sont froides. Les toilettes sont des vraies, et pas seulement un seau pour cent personnes, les portes sont enfoncées, mais en général la chasse à eau fonctionne. L'eau à boire est abondante, on ne meurt pas de soif. Les repas sont réguliers même s'il n'y a ni table ni chaises et qu'on doit les prendre assis sur le lit.

C'est un centre et le jeune homme, ainsi que tous les autres, est un hôte pas un détenu. Et pourtant, exactement comme dans la grande salle de Tripoli, personne ne sait quand il pourra sortir."

Ce roman historique - Nous sommes en 2010 - fait vivre des personnages fictifs pour la plupart ou réels dans cette ville gigantesque, Rome, dont les habitants sont malmenée, excédés par le bruit, les incivilités, l'impossibilité de se garer, les embouteillages, le manque de transports publics, tous ces maux, liés à une circulation automobile saturée, et qui grignotent la tranquillité de l’esprit. Rome où les problèmes que posent l’immigration, la pauvreté, le chômage, l’insuffisance des moyens accordés à l’école, la densité des populations dans des immeubles surchargés, soulèvent les relents méphitiques d’un racisme latent ou exprimé par la montée de l’extrême-droite. Rome, objet de Haine et d’Amour  (et oui, cornélien !) pour Ilaria, romaine, hélas ! et fière de l'être, Rome, enfin, comme personnage à part entière du roman !

Ilaria est enseignante. Elle est la fille d’Attilio Profeti mort à l’âge de 97 ans après avoir gagné (du moins c’est ce qu’il croit ) le concours de celui qui mourra le dernier dans son entourage : Tous sauf moi ! Ilaria a déjà beaucoup de choses à reprocher à ce père, si beau que toutes les femmes tombent dans ses bras, si beau qu’il est choisi pour représenter la supériorité de la Race (italienne, bien sûr) sur le peuple noir d’Ethiopie. Elle a d’abord eu un choc quand elle a appris que son père menait une double vie à Rome dans deux foyers différents et avait un autre fils, en plus de ces trois enfants légitimes. Aussi quand elle voit, en rentrant chez elle, un jeune homme noir qui dit être son neveu, Ilaria tombe des nues ! Il se nomme : Shimeta Ietmgeta Attilaprofeti et affirme être le petit-fils d'Attilio Profeti et d’une femme éthiopienne Abeba, avec qui Attilio Profeti aurait eu un fils.

C’est le début de la découverte du passé de son père, de son rôle actif dans le régime mussolinien et la colonisation éthiopienne. Ilaria est une femme droite, exigeante envers elle-même et envers les autres. Pour elle qui met son honneur non dans « l’apparence » mais dans ce qu’elle est « vraiment », qui est « une de ces personnes peu ambitieuse sur le plan social mais beaucoup plus sur le plan existentiel », cette découverte est un séisme ! Son demi-frère Attilio sera à ses côtés pour faire face à cette situation et aux difficultés liées à l’arrivée de cet immigré clandestin, leur neveu, donc ?

Le style de Francesca Melandri est à la hauteur de ce passé mouvementé et violent et de ces personnages entiers.  Il offre parfois des fulgurances qui donnent beaucoup de force à la dénonciation de toutes les oppressions, de toutes les dictatures. Il résonne clairement dans une Italie en train de basculer vers un choix douteux.

jeudi 27 octobre 2022

Murielle Szac : Eleftheria

 

   

Eleftheria, le roman de Murielle Szac, est paru aux éditions Emmanuelle Collas. Je sais bien que la première de couverture ne préjuge pas de la qualité du roman, mais je ne sais pas si vous êtes comme moi, cette photographie d'Oleg Gekman, avec cette silhouette élancée prenant son envol, (sa liberté ?), dans ce  paysage d'une grande beauté, ce contraste entre le rouge, synonyme de violence, et le bleu qui évoque la vie, m'ont irrésistiblement attirée.

En 1940, les deux communautés juives et chrétiennes qui vivent en Crète, en bonne intelligence, ont encore quelques moments d’insouciance. Certes, Stella, la jolie juive, qui épouse Yorgos, le chrétien, s’attire réprobation et commérages. Mais dans cette île, on célèbre les cultes respectifs dans des bâtiments religieux dressés côte à côte, et il n’est pas rare que les enfants se mêlent pour célébrer la fête des uns ou celle des autres.

Eleftheria ou Liberté, c’est celle que réclament les hommes et les femmes de ces communautés en cette année 1941qui voit la Grèce envahie par les allemands. Certains vont fuir, d’autres resteront prisonniers sur l’île ne pouvant échapper à leur destin. 

Le roman est conçu autour de plusieurs personnages qui vivront parallèlement ou ensemble la tragédie de l’occupation nazie : Rebecca et son amie chrétienne Réna, Ariadni qui s’attache à Isaac, le petit garçon de ses maîtres, Judith et Yakov, Nikos et Rachel, Petros, le photographe polonais, Luigi, l’officier  italien dont la garnison occupe l’est de la Crète et qui rejoint les résistants crétois à la mort de Mussolini… Et bien d’autres, tous des habitants de la Crète qui aiment leur île et vont être emportés par la violence de l’occupation, la privation des libertés, les massacres de la population, la déportation des juifs et des résistants dans le Tanaïs, bateau grec réquisitionné par l’armé allemande...

L’écrivaine Murielle Szac, tout en nous montrant la réalité de la guerre, s’attache aussi à faire revivre les populations, en peignant les coutumes et les croyances de ces communautés, qu’il s’agisse des juifs célébrant le Tashlikh, le Mikhev, ou des orthodoxes célébrant une noce et dansant la pentozalia, danse guerrière.
A côté des descriptions des paysages de l’île, l’auteure brosse aussi de beaux portraits des villageois, descendants des grands résistants crétois qui ont chassé l’envahisseur turc de leur île, et que Petros photographie dans des poses pleines d’une fierté farouche. J'ai aimé que l'écrivaine souligne ainsi le rôle de la photographie, comme témoin mais aussi comme conservateur de la mémoire, thème secondaire, peut-être, mais important car l'image est le seul le souvenir qui demeure de toutes ces personnes tragiquement disparues.
 

Peut-être manque-t-il dans ce livre, un souffle, une puissance qui en feraient pour moi un coup de coeur. Mais Eleftheria est un bon roman, bien écrit, présentant des qualités et qui a le mérite de nous remémorer un épisode terrible et peu connu de la seconde guerre mondiale en Crète. A lire ! 



 

Lu pour le Prix littéraire des Avignonnais

 

La Ville d’Avignon lance le premier Prix littéraire des Avignonnais. À partir du 1er octobre et jusqu’au 12 novembre, les avignonnais et tous les amoureux de la littérature sont invités à élire, parmi les cinq ouvrages sélectionnés par les bibliothèques, les librairies d'Avignon, un professeur de lettres du lycée René Char et la directrice des bibliothèques d'Avignon, leur roman préféré issu de la rentrée littéraire d’automne. Lectures, tables rondes, midi-sandwichs et de nombreuses animations permettront de mieux faire connaître ces cinq ouvrages et de voter pour celui qui emportera le premier Prix.
Les cinq romans sélectionnés sont disponibles en prêt dans les bibliothèques de la Ville et à la vente dans les librairies partenaires.
 



 

« Qu’est-ce qui peut bien faire qu’une femme soudain abandonne celle à qui elle vient de dire, Quels merveilleux moments j’ai passés auprès de toi, aujourd’hui encore : je veux ça tous les jours de la vie ? » Tel est le questionnement auquel est confrontée Jenny après le départ d’Ève. Toutes deux apprendront que l’ on peut vivre une même histoire de deux façons totalement différentes ».

 
 

 

Le pion 
Paco Cerdà
  Éditions La Contre Allée 

 


Stockholm, hiver 1962. Deux hommes de mondes adverses se font face. Arturo Pomar, l’enfant prodige espagnol, affronte sur l’échiquier Bobby Fischer, un jeune Américain excentrique et ambitieux.
En pleine guerre froide, l’un était le pion du régime franquiste, l’autre sera celui des États-Unis.
    •    Première sélection du Prix du Meilleur Livre Étranger - catégorie non-fiction.

 
 

 

Eleftheria 
Murielle Szac  
Éditions Emmanuelle Collas 

 


 
1940, au nord de la Crète. La communauté juive célèbre Rosh Hashana. Rebecca écoute les commérages sur le futur mariage de Stella. On s’interroge aussi sur la guerre qui a commencé en Europe. Metaxas, le dictateur au pouvoir à Athènes, saura-t-il résister à Mussolini et à son allié, Hitler ? Bientôt, le bateau de Nikos, le Tanaïs, est réquisitionné par l’armée grecque. Malgré la menace, la vie continue… Jusqu’au matin du 20 mai 1941, lorsque le 3e Reich lance sur la Crète une invasion aéroportée. Faut-il fuir ou rester ? C’est l’heure de savoir si l’on est libre de choisir son destin.


 

 

Des rêves d’or et d’acier
 Émilie Tôn
 Éditions Hors d’atteinte 

 


 

 Je veux savoir comment mon père est arrivé dans cette Lorraine où l’acier s’écoule, comprendre comment il est devenu cet homme au destin plusieurs fois brisé, qui n’a jamais abandonné. Il l’a toujours dit : « Quand on a tout perdu plusieurs fois, on n’a plus peur de se lancer. »
 


 

 

 

L’invention du diable
 Hubert Haddad
 Éditions Zulma 

 



Papillon de Lasphrise s’est retiré dans sa tour d’ivoire angevine. Après une existence dédiée à l’amour et à la guerre, le voilà tout entier habité par le démon de l’écriture. Au soir de sa vie, il pactise avec le diable : tant que ses Poésies n’auront pas accédé à la postérité, il ne connaîtra pas le repos éternel. L’immortalité sera sa malédiction.