Pages

mercredi 30 mars 2011

Lectures du mois de Mars 2011

tete-sculpture-avignon.1302818615.jpg
Avignon: sculpture


Blandine Le Callet  edit Stock La Ballade de Lilla K.

Janet Frame : éditions Joelle Losfeld Vers l'autre été

Frédéric Vargas et Edmond Baudoin : Librio policier Le marchand d'éponges

Caryl Ferey Folio policier Zulu

Nouvelles grecques   éditions Klincksiek

 29 récits d'auteurs modernes (1)
Alexandros Papadiamantis (2)

Pascal Teulade  et Jean Charles Sarrazin :   album pour la jeunesse Ecole des loisirs
 Le plus beau de tous les cadeaux du monde



 Edmond Baudoin   album BD  les essuie-glaces



Suzanne Fletcher éditions Plon Un bûcher sous la neige

Henning Mankell :  L'Homme inquiet


Ahmadou Kourouma :   Points Allah n'est pas obligé

Et chaque Jeudi, la citation; chaque Dimanche, une poésie.

mardi 29 mars 2011

La ballade de Lila K, Blandine Le Callet

Un monde où les livres sont interdits

Comme dans Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, Blandine Callet a imaginé dans son roman, La ballade de Lila K, un monde très proche du nôtre où les livres sont interdits et considérés comme nuisibles à la santé. Ils sont remplacés par des grammabooks visuels plus faciles à expurger de tout contenu illicite. Monsieur Kaufmann, une vieux monsieur anticonformiste, tuteur de Lila,  montre à  la fillette, qui n'en a jamais vu, un vrai livre et lui  explique ce que c'est :
J'ai posé la main sur la feuille. J'ai palpé, puis j'ai gratté les lettres, légèrement de l'index, Monsieur Kauffmann disait vrai, elles étaient prises dans la matière.
- Ca ne peut pas s'effacer?
-Non, c'est inamovible. Indélébile. Là réside tout l'intérêt : avec le livre, tu possèdes le texte. Tu le possèdes vraiment. Il reste à toi, sans que personne ne puisse le modifier à ton insu. Par les temps qui courent, ce n'est pas un mince avantage, crois-moi, a-t-il ajouté à voix basse.  Ex Libris veritas, fillette.  La vérité sort des livres. Souviens-toi de ça : Ex libris veritas.
 Je ne comprenais pas bien où il voulait en venir, ni pourquoi il prenait un air si  solennel. Mais j'ai hoché la tête, à tout hasard. Ex libris veritas. D'accord, s'il y tenait.

56270471_p12954715271.1296135011.gif Initié par Chiffonnette

lundi 28 mars 2011

Janet Frame


Le roman de Janet Frame Vers l'autre été met en scène un personnage fictif, Grace Cleave, néo-zélandaise exilée en Angleterre qui est le double de l'écrivain et lui permet de raconter un moment de sa vie à Londres. Janet Frame n'a pas voulu que ce roman paraisse de son vivant. Plus tard, elle écrira son autobiographie : Un ange à ma table que Jane Campion à porté à l'écran. Il faut dire que Janet Frame n'a pas eu une vie banale et pour bien comprendre son livre il est bon de la connaître un peu.
Janet Frame est née en Nouvelle-Zélande en 1924 dans une famille modeste de cinq enfants. D'une sensibilité excessive, maladivement timide et renfermée, incapable de s'exprimer à l'oral, mais très douée intellectuellement, elle a très tôt déclaré qu'elle voulait être poète et écrivain. Ses parents, pour qui cela ne pouvait être un métier sérieux, ont préféré l'orienter vers le métier d' institutrice. La mal-être qu'elle en a éprouvé, ajouté à la mort par noyade de ses deux soeurs à dix ans d'intervalle, l'ont plongée dans la dépression. Après une tentative de suicide en 1945, les médecins ont diagnostiqué à tort une schizophrénie et elle a été enfermée dans un asile psychiatrique pendant 8 ans. Là, elle a subi deux cents électrochocs et n'a échappé à la lobotomie que parce que le livre qu'elle a publié pendant son internement, le Lagon (1951) a remporté un prix littéraire. Libérée, sauvée par la littérature, elle publie en 1957 : Les hiboux pleurent vraiment puis elle quitte la Nouvelle-Zélande pendant sept ans. Elle gagne sa vie en exerçant toutes sortes de petits métiers mais elle continue toujours à écrire. Elle n'a trouvé le courage de retourner dans son pays natal qu'à la mort de son père en 1963.
Elle est l'auteur de quinze romans, de quatre recueils de nouvelles et de poèmes. Elle a été pressentie deux fois pour le prix Nobel et est morte en 2004.
Dans Vers l'autre été, Grace Cleave, écrivain, vit en exil à Londres où elle ressent angoisse, froid et solitude. Dans son petit meublé, elle ne cesse pourtant d'écrire et de publier. Ecrivain déjà reconnue, elle reçoit un jour la visite d'un journaliste Philippe Thirkettle, pour une interview, mais comme d'habitude, elle se sent incapable de répondre à ses questions. Philippe qui a épousé une néo-zélandaise l'invite pour un week end chez eux. Pendant ce séjour de Grace-Janet dans la famille de Philip et d'Anne, avec les enfants Noël et Sarah, des thèmes reviennent, lancinants : celui  de l'exil, du mal du pays. Le récit alterne entre le présent de Grace et des retours vers le passé, dans son enfance, entre l'Angleterre froide et pluvieuse et le soleil, la luminosité de la Nouvelle Zélande.
Comment s'était-elle jamais habituée à vivre en Grande-Bretagne, se demanda-t-elle. Comment avait-elle pu échanger le soleil, la plage, la tente chatoyante de lumière, le paysage spectaculaire, montagnes, rivières, ravins, glaciers, contre la blessure saignante de briques qui semblait une part importante de ce pays ; les arbres grêles de l'hiver, si fatigués, qui poussaient dans la crasse, comme si un dieu débraillé, penché au-dessus de la blessure qu'il voulait nettoyer avait pris quelques brindilles pour la sonder, et amusé par ce qu'il voyait, les avait laissées plantées dans la blessure.
A cela s'ajoute, le thème de l'impossible communication. Grace ne parvient pas à exprimer ce qu'elle ressent; chaque fois qu'elle veut parler, la peur de mal agir, de dire quelque chose d'incongru, de contrarier son interlocuteur, la paralyse. Dès son enfance, Grace savait qu'il fallait faire très attention avec les mots, les mots sont dangereux, ils veulent parfois dire autre chose que ce qu'ils disent et c'est peut-être ce qui la retient de s'exprimer.
Grace Cleave est vouée à la solitude car pense-t-elle rien n'est simple quand votre esprit va-et-vient entre les différentes tranches d'un monde extérieur dangereux et d'un monde intérieur sûr et secret. Surtout lorsque l'on s'aperçoit que le monde secret a disparu ou qu'il s'est tellement étendu qu'il est devenu un cauchemar public.
La solitude, Grace a en l'habitude. Les gens sont heureux de rencontrer l'écrivain célèbre qu'elle est devenue mais bien vite, ils sont déçus, s'ennuient en sa compagnie. Elle se regarde alors sans complaisance et souvent même avec consternation. Quand elle s'entend débiter des platitudes, dire des sottises par pure timidité, elle est parfois au bord du désespoir. Son ironie s'exerce à ses dépens et lui fait mal... A nous aussi, lecteurs, car la souffrance de cette femme est palpable, ses angoisse semblent, par le pouvoir de l'écriture, se matérialiser, se transformer en images effrayantes ou insolites.
Alors qu'elle analysait les yeux de Philip Grace sentit à l'arrière de son esprit un mouvement de portes coulissantes qui s'ouvraient pour laisser sortir au soleil, des petits animaux dotés de griffes et de dents pointus dont la fourrure dégageait une odeur nauséabonde. (...) Le petit animal "partit en exploration jusqu'à ce qu'il découvre le grillage, les limites; il n'était pas libre finalement; on l'avait seulement laissé sortir et cligner des yeux au soleil le temps de nettoyer sa cage!
Si un loup mettait les vêtements de grand mère je m'en apercevrais tout de suite- ou peut-être pas. C'est facile de se tromper sur les gens.. leurs visages changent.. quelque fois les gens ont l'air de loups..
Il faut tant de courage pour vivre!
Savez-vous quel courage il faut aux êtres humains pour marcher sur terre, se dresser harcelés par le temps qu'il fait et par l'espace; toujours objet d'attaques, survivant encore; comment l'homme peut-il oser se planter ainsi, et connaître la magnificence de l'esprit qui le pousse à construire une structure qui soit plus que quatre murs et un toit...Comment l'homme peut-il oser? C'est un prodige qu'il ne se construise pas une petite hutte, y entre, ferme et verrouille la porte, et y passe sa vie tête humblement baissée".
Il faut tant de courage aussi pour être une femme comme Janet Frame, si brillante lorsqu'elle écrit mais murée en elle-même quand il s'agit de parler surtout dans une société qui préfère le paraître, le brio superficiel à la profondeur, donc la parole à l'écrit! Et encore n'était-elle pas entrée dans cette société médiatisée à l'extrême que nous connaissons où passer à la télévision dispense d'avoir de la valeur!
A la recherche de son identité, elle se découvre oiseau migrateur, c'est à dire pas tout à fait humaine, elle s'enfuira avant la fin du week end, incapable de supporter plus longtemps ces échanges vouées à l'échec au sein d'une vie familiale qui lui fait peur mais dont elle est parfois jalouse. De toutes façons "C'était perdu d'avance"!
La seule solution c'est peut-être de rentrer chez elle :  "Bonjour maman bonjour papa," car "le lointain nous regarde; les barges s'envolent vers l'autre été et nul ne sait où il s'étendra ce soir"

LIVRE VOYAGEUR

dailogues-croises-capture-d_ecran-2010-05-27-a-10-14-261.1300743582.pngMerci à Dialogues croisés et aux éditions Joelle Losfeld

samedi 26 mars 2011

Fred Vargas et Edmond Baudoin, Le marchand d'éponges




Je ne m'attendais pas en ouvrant cette courte nouvelle de Frédéric Vargas, extraite du recueil Cinq francs pièces et  illustrée par Edmond Baudoin, à ressentir un tel plaisir de lecture. Le marchand d'éponges est une nouvelle graphique dont le charme est lié à la parfaite adéquation jamais redondante entre le récit et l'image, tous deux imprégnés de poésie, d'humanisme et d'humour.
On y retrouve toutes les qualités de Fred Vargas à la fois dans le récit et dans les dialogues.
Le commissaire Adamsberg enquête sur le meurtre en pleine nuit d'une jeune femme de la haute société. Il interroge un SDF qui a assisté au meurtre mais ce dernier ne veut rien dire. Il sait trop, lui qui est un laissé pour compte, lui qui vend des éponges dans les rues de Paris, au milieu de l'indifférence générale, que si la victime était d'un milieu modeste, il n'y aurait pas un tel déploiement de police pour rechercher les meurtriers.
Vargas excelle dans la confrontation de ces deux êtres que tout pourrait opposer et qui, pourtant, se ressemblent. Le commissaire Adamsberg, notre "pelleteur de nuages" et Pi,  vieillard crasseux, malmené par la vie, qui se révèle aussi poète à sa manière, sont faits pour se comprendre. C'est en lui accordant attention et respect que le commissaire Adamsberg parviendra à obtenir son témoignage. Comme d'habitude Fred Vargas s'intéresse aux humbles, aux marginaux à qui la vie n'a jamais fait de cadeau. On sent la tendresse dont elle les pare. Son SDF est vrai, vivant et finalement sympathique même s'il est peint sans idéalisme. Mais il est aussi hors norme avec son don exceptionnel pour les chiffres, tout comme l'est Adamsberg, remueur de chimères, qui va avoir un idée formidable pour faire vendre les éponges de Pi.
Quant aux dialogues insolites, inattendus, ils entraînent le lecteur dans un monde décalé et poétique où rire et émotion se rencontrent.

Les illustrations d'Edmond Baudoin en noir et blanc nous promènent dans les rues de Paris, sur les places, dans le métro. La ville devient un personnage à part entière. Les  images des déambulations d'Adamsberg, dans le silence de la nuit, le long de la Seine, sous les ponts, sont propres à la méditation et dégagent une mélancolie qui vont bien avec  personnage. La variation des points de vue, lorsque l'image nous permet de nous élever pour contempler la ville dans son ensemble ou la Seine vue d'une gargouille de Notre-Dame donne à l'homme sa juste place, une petite silhouette solitaire dans une ville immense, splendide pourtant dans son indifférence. J'ai beaucoup aimé aussi les affiches sur les murs du métro de Paris pendant le dialogue du commissaire et du SDF, un arrière fond plein de signification qu'il faut regarder avec minutie.
Parfois l'image est en décalage avec le dialogue, a tel point qu'une autre histoire racontée cette fois par Baudoin interfère avec le récit de Vargas. Ainsi quand Adamberg et Pi parlent dans un café, on voit au premier plan un couple d'amoureux(?) qui aperçoit quelque chose hors champ et a l'air effrayé. C'est comme si le dessinateur nous disait : attention, moi aussi je raconte ! Il n'y a pas que Adamsberg et Pi , les autres aussi existent et ont leur histoire personnelle.
Voir l'article de wens .




logo-challenge-la-nouvelle5.1300840717.jpg
initié par Sabbio

vendredi 25 mars 2011

Caryl Férey : Zulu



Dans le roman de Caryl Ferey, Zulu, dont l'action se passe en Afrique du Sud, le personnage principal  Ali Neuman, un zoulou, a vu, lorsqu'il était enfant, son père et son frère torturés et assassinés sous ses yeux par des milices de l'Inkhata en guerre contre l'ANC, le parti de Mendela. Il a lui même subi des violences qu'il n'a jamais voulu avouer à sa mère, seule rescapée avec lui des milices meurtrières. Des années plus tard, devenu chef de la brigade criminelle de Capetown, il s'efforce avec ses coéquipiers, Brian Epkeen et Fletcher, de lutter contre la violence en faisant son métier difficile avec conviction. Nous sommes en 1995, un an après l'élection de Nelson Mendela et un peu avant la coupe du monde de Rugby. Il est impératif de contrôler la situation, de parvenir à donner une meilleure image du pays et d'assurer la sécurité.
C'est le moment où une jeune fille de la bonne société est retrouvée sauvagement massacrée dans un jardin public; d'autres crimes suivent tout aussi horribles et chaque fois on retrouve dans le corps des victimes une drogue d'une composition mystérieuse qui semble être à l'origine de ce déchaînement meurtrier proche de la folie. Qui est caché derrière tout cela? Ali Neuman et ses coéquipiers s'engagent alors dans une histoire dont ils ne soupçonnent pas les implications.
L'intrigue policière est assez complexe mais elle a le mérite de nous présenter la dure réalité de ce pays, ses difficultés économiques et politiques, les différents milieux sociaux, les mentalités, les susperstitions. Je me suis intéressée aussi aux personnages des trois policiers dont la vie est à l'image de ce qu'ils vivent, désolante! Tout n'est pas résolu, en effet, en 1995, depuis la victoire de Nelson Mendela aux élections en 1994. L'Afrique du Sud est réputée pour être le pays qui détient le record mondial du crime. Autant dire que le roman nous immerge dans la violence au quotidien et la souffrance liée à la drogue, au sida, à la misère, celles des enfants de rue, en particulier, qui meurent de faim, de maladie ou de maltraitance dans les Townships, quartiers populaires noirs. Les maffias y règnent en maîtres, les noirs se déchirent entre eux, les haines tribales n'ayant jamais disparu. Les nostalgiques de l'ancien régime de l'apartheid n'ont pas encore dit leur dernier mot.
Ce livre a obtenu plusieurs grands prix du meilleur roman noir en 2008 et 2009
 Quelques précisions sur l'Afrique du Sud
nelson_mandela4.1301087269.jpgIl est un peu difficile d'entrer dans le livre de Caryl Ferey si l'on ne connaît pas l'Histoire de l'Afrique du Sud. Je me suis donc documentée sur  L'ANC, le bantoustan du Kwa zulu, l'inkhata.
L'ANC ou African National Congress est un parti politique d’Afrique du Sud, membre de l'Internationale socialiste. Créé en 1912 pour défendre les intérêts de la majorité noire contre la domination blanche, il fut déclaré hors-la-loi par le Parti national pendant l’apartheid en 1960. Il est à nouveau légalisé le 2 février 1990 alors que l'apartheid est aboli en juin 1991. En 1994, les premières élections multiraciales ont lieu permettant à Nelson Mandela d'être élu président de la République sud-africaine. Depuis, l'ANC domine  la vie politique sud africaine.
Un bantoustan est un région créée  pour les populations noires durant la période de l'apartheid en Afrique du Sud.  En 1970, les  personnes qui y habitent se voient enlever leur nationalité sud-africaine et accorder la nationalité de leur bantoustan. C'est une manière pour le parti national blanc de priver les noirs qui vivent  en dehors de ces régions de leurs droits civiques et  d'en faire des étrangers dans leur propre pays. Le bantoustan KwaZulu était situé dans l'ancienne province du Natal d'Afrique du Sud et regroupait  principalement une population Zoulou. Mais il était extrêmement morcelé et était loin de réunir toute l'ethnie disséminée dans tout le pays. Il avait obtenu son autonomie en 1977 pendant l'apartheid. En 1994, au moment des élections, il réintègre l'Afrique du Sud.
Le parti au pouvoir dans le Bantoustan Kwa zulu était l'Inkatha  ou Freedom Party, parti politique conservateur. Il a été fondé en 1975.  Dans les années 1980, l'Inkhat prend pour cible l'ANC dont il devient le principal adversaire. Ce parti prônait le séparatisme territorial alors que l'ANC voulait lutter contre l'apartheid et la domination des blancs en restant en  Afrique du Sud. Le parti national blanc a utilisé et même financé l'Inkhata pour lutter conte l' ANC de Nelson Mendela.

jeudi 24 mars 2011

Nouvelles grecques : Alexandros Papadiamantis (2)




 Alexandre Papadamiantis (1851-1911) né et mort dans l'île de Skiathos (Sporades du nord), traducteur de l'anglais et du français dans des revues littéraires, Papadiamantis est un grand romancier connu en Grèce mais aussi à l'étranger. C'est aussi un nouvelliste de premier plan. Ce recueil présente trois de ces nouvelles : La traversée du mort; A Notre-dame de Kreschia; La glaneuse. Elles sont rédigées, nous dit-on, dans un grec savant, la kathéverousa, plus proche de la langue d'Eglise que du grec ancien, ce qui leur donne beaucoup de  charme.  Les dialogues sont souvent écrits pourtant en langue démotique ( populaire). Il s'intéresse à la vie des milieux modestes dans son île et intervient souvent au cours du récit en tant que que observateur.


A Notre-dame de Kreshia est une des rares nouvelles du recueil qui ne soit pas tragique (comme celle de Jean Kondylakis : L'éloge funèbre). Papadiamantis y raconte un souvenir personnel, celui d'une excursion un peu mouvementée (il se perd dans la montagne, la nuit) pour aller chanter des psaumes dans l'église de Kréchia pendant la neuvaine de l'Assomption. Le tout finit par un éclat de rire. L'intérêt vient du récit de cette nuit si particulière raconté avec vivacité et humour,  et de la description de l'île, Skiathos, des superstitions, des coutumes et de la mentalité de ce peuple attaché à la religion orthodoxe.

La maison de Papadiamantis à Skiethos (source)

La glaneuse peut paraître optimiste si l'on juge par sa fin heureuse. Et pourtant! Elle parle de l'horrible misère du peuple, du froid glacial qui rend ce dénuement encore plus terrible, de la faim qui taraude le ventre, d'enfants qui n'ont que la glace formée sur le toit à sucer pour tout repas. Il y peint le portrait admirable d'une vieille femme, Achtitsa, la grand mère, qui élève toute seule ses deux petits-enfants après la mort en couches de sa fille, du combat quotidien pour glaner quelques miettes qui les empêchent de mourir de faim ou de froid. Le fait qui va permettre à Achtitsa de vêtir les enfants et de leur donner à manger peut-être vu comme une sorte de miracle en ce jour de Noël. Un peu de bonheur fortuit et passager qui n'atténue pas la dureté de l'existence et ne modifiera pas fondamentalement  le destin de la pauvre femme.
La traversée du mort fait partie des nouvelles fantastiques où sont relatés des faits extraordinaires qui demeurent inexpliqués. Il y est raconté comment un marin disparu en mer pendant une tempête, se noie loin de sa terre natale. Or quelques jours après, le corps du noyé est retrouvé sur le rivage de son île. Les autorités suspectent un crime et échafaudent toutes sortes d'hypothèse mais la famille du défunt et tous les habitants savent bien que le mort, Costas, n'avait jamais demandé qu'une chose dans sa vie à la Vierge-à-la-Balançoire : être enterré dans sa patrie, dans le cimetière du petit Ermitage qui domine la mer. Nul doute donc que le corps du noyé après être remonté à la surface, "a mis le cap" vers son pays et  après avoir parcouru des dizaines de milles a échoué sur ses rivages. Le récit oscille entre réalisme et fantastique. Réalisme de la description de la vie de marins, du sort de Costas et son frère Yannis accablés par les usuriers, ne possédant rien en propre et dont le destin "-comme tant d'autres malheureux- ç'avait été de courir la mer, d'être trinqueballés, d'endurer les pires épreuves par tous les temps, la mort entre les dents, "de repasser tous les jours à l'abattoir comme des bêtes de boucherie". La fatalité  pèse sur eux.
Le fantastique chrétien est d'autant plus saisissant qu'il est raconté non d'une manière épique mais modestement comme s'il s'agissait d'un fait somme toute banal :
sa traversée avait été d'environ quarante milles marins durant tous ces jours. Il n'allait pas vite, mais lentement dans sa navigation. Il ne se rendait pas à sa noce mais à son enterrement. (...) Il alla droit à la colline du cimetière marin, à l'ouest du bourg. Il aborda la petite grève; Là, il s'arrêta. A sa mort, il ne voulait donner aucun tracas.
Peut-être  faut-il voir dans cette mort si discrète et silencieuse, la métaphore de la vie du marin et de tous ces pauvres gens qui vivent en silence, sans éclats, dans l'indifférence générale et meurent de la même manière.


Challenge les nouvelles De Sabbio

mercredi 23 mars 2011

Dyonysos Solomos et Victor Hugo, la Grèce


220px-solomos_portrait_2.1301182158.jpg
Portrait de Solomos (source)

Je continue mes lectures pour préparer mon voyage à Athènes. J'ai déjà parlé dans mes précédents billets du poète Dionysos Solomos, surnommé le "Dante grec".
Dionysos Solomos (1798-1857) est né à Zakynthos. Il a écrit l'Hymne à la liberté pendant la guerre d'Indépendance qui a opposé les Grecs aux Turcs (1821-1830). Ce poème compte 158 strophes et a été mis en musique en 1828 par Nikolaos Mantzaros. Ce sont les deux premières strophes qui ont été retenues pour devenir l'Hymne national  grec en 1865.

L'Hymne à la liberté
Je te reconnais au tranchant
de ton glaive redoutable ;
Je te reconnais à ce regard rapide
Dont tu mesures la terre.
Sortie des ossements
Sacrés des Hellènes,
Et forte de ton antique énergie,
Je te salue, je te salue, ô Liberté !

Cette recherche m'a replongée dans le souvenir d'un poème des Orientales appris en classe de cinquième et que même aujourd'hui je connais presque par coeur.. hum! avec quelques lacunes tout de même! .

250px-victor_hugo.1301182324.jpg
L'enfant grec (source)
Les Turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil.
Chio, l’île des vins, n’est plus qu’un sombre écueil,
Chio, qu’ombrageaient les charmilles,
Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois,
Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois
Un choeur dansant de jeunes filles.
*
Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis,
Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,
Courbait sa tête humiliée ;
Il avait pour asile, il avait pour appui
Une blanche aubépine, une fleur, comme lui
Dans le grand ravage oubliée.
*
Ah ! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux !
Hélas ! pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus
Comme le ciel et comme l’onde,
Pour que dans leur azur, de larmes orageux,
Passe le vif éclair de la joie et des jeux,
Pour relever ta tête blonde,
*
Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner
Pour rattacher gaîment et gaîment ramener
En boucles sur ta blanche épaule
Ces cheveux, qui du fer n’ont pas subi l’affront,
Et qui pleurent épars autour de ton beau front,
Comme les feuilles sur le saule ?
*
Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ?
Est-ce d’avoir ce lys, bleu comme tes yeux bleus,
Qui d’Iran borde le puits sombre ?
Ou le fruit du tuba, de cet arbre si grand,
Qu’un cheval au galop met, toujours en courant,
Cent ans à sortir de son ombre ?
*
Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois,
Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois,
Plus éclatant que les cymbales ?
Que veux-tu ? fleur, beau fruit, ou l’oiseau merveilleux ?
Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et des balles.
( Les Orientales 1829)

Les compagnons Troubadours du dimanche de Bookworm :
Alex : Mot-à-mots Alinea66 : Des Livres… Des Histoires…Anne : Des mots et des notes, Azilis : Azi lis, Cagire : Orion fleur de carotte, Chrys : Le journal de Chrys, Ckankonvaou : Ckankonvaou, Claudialucia : Ma librairie, Daniel : Fattorius, Edelwe : Lectures et farfafouilles, Emmyne : A lire au pays des merveilles, Ferocias : Les peuples du soleil, George : Les livres de George, Hambre : Hambreellie, Herisson08 : Délivrer des livres?, Hilde : Le Livroblog d’Hilde , Katell : Chatperlipopette, L’Ogresse de Paris : L’Ogresse de Paris, L’or des chambres : L’Or des Chambres, La plume et la page : La plume et la page, Lystig : L’Oiseau-Lyre (ou l’Oiseau-Lire), Mango : Liratouva, MyrtilleD : Les trucs de Myrtille, Naolou : Les lectures de Naolou,Oh ! Océane !, Pascale : Mot à mot, Sophie : Les livres de Sophie, Wens : En effeuillant le chrysanthème, Yueyin : Chroniques de lectures Océane :

mardi 22 mars 2011

Nouvelles Grecques: 29 récits d'auteurs grecs (1)


Pour préparer mon voyage à Athènes, fin mai, je me lance dans la lecture de la littérature grecque. J'ai commencé par ce recueil de nouvelles, réunies par Octave Merlier, publiées aux Editions Klincksieck en 1972. L'occasion pour moi de découvrir tous ces auteurs que je ne connais pas et dont je présenterai les nouvelles au cours de plusieurs billets.
Les écrivains qui sont réunis ici sont à cheval sur le XIXème et le XXème siècle. Ils ont fondé la littérature grecque moderne.
Dans son introduction Octave Merlier explique que, au moment où la Grèce se libère de la domination turque (1825-1830 ; traité de Londres en 1832), il n'existait aucune langue nationale. Le grec ancien n'est plus usité depuis des siècles, la langue grecque n'a pas d'unité.  Quelle sera la langue de la prose? C'est la question que se posent les écrivains désireux de donner à leur Nation enfin indépendante un essor intellectuel et artistique.
Les premières générations d'écrivains vont donc s'exprimer en usant des dialectes locaux de Constantinople, de Corfou, d'Athènes ou de différentes provinces. Deux écoles vont bientôt apparaître, l'Athénienne qui utilise la langue savante et l'Ionienne qui emploie le grec démotique (populaire) dont le grand poète grec Solomos est considéré comme le fondateur. Il faudra pourtant attendre 1930 pour qu'une chaire de grec moderne soit créée à l'université d'Athènes!
Les influences de la littérature grecque moderne sont très diverses. Elle est marquée par son prestigieux passé antique et par le christianisme qui vont se fondre dans une sorte de syncrétisme populaire qui mêle héros païens et  saints chrétiens, histoires bibliques et légendes. Les siècles d'occupation turque et vénitienne ont bien sûr laissé leur empreinte. Enfin, lorsque la Grèce devient indépendante, elle redevient européenne et subit l'influence des divers mouvements  littéraires du XIX ème, romantisme, symbolisme, naturalisme.. Mais la permanence de l'antique dans le monde hellénique demeure et le lien commun entre toutes ces nouvelles,  c'est, nous dit Octave Merlier, "l'amour passionné" que l'écrivain "a pour son pays, dans son passé comme dans son âme".
Toutes les nouvelles rassemblées dans ce livre m'ont semblé d'une grande qualité et d'une grande force. Elles laissent une impression durable; après la lecture, on a besoin d'une pause pour que les personnages côtoyés au cours de ces récits rapides, nous laissent poursuivre notre lecture, secoués comme nous le sommes par le destin tragique de l'un ou de l'autre. Même si ces nouvelles abordent des thèmes différents, elles parlent du peuple, un peuple de marins et de paysans soumis aux caprices d'une nature souvent hostile, à la misère, à l'exploitation sans pitié qui ne leur permet pas, accablés d'impôts, de se soustraire à la peur de mourir de faim. Elles décrivent la rudesse de moeurs de ces hommes prompts à sortir le couteau, à s'enivrer, à battre leur femme ou à mourir pour elle lorsqu'ils aiment. Elles montrent la misérable condition de la femme, les violences qu'elle subit quotidiennement, sa soumission, ses craintes, son amour maternel plus fort que tout. Ces nouvelles nous livrent aussi une peinture de la vie paysanne, des coutumes, des fêtes religieuses, des superstitions, du refus de la modernité...
Je ne peux passer en revue ces 23 auteurs  et j'ai beaucoup de mal à choisir entre toutes ces nouvelles  et ces écrivains. En voici pourtant  deux :


Jacques Polylas (1825-1896) né et mort à Corfou. Extrêmement cultivé, il parle l'italien, l'allemand, l'anglais, le grec ancien et va se révéler aussi un grand traducteur. Il est aussi un critique littéraire et un philosophe remarquable. C'est lui qui a sauvé les manuscrits du poète Solomos (1798-1857) restés à l'état de brouillon. Il est l'auteur de nouvelles éditées en 1917 à Athènes.
Sa nouvelle intitulée Une Coupable (en grec, une petite faute) se passe à Corfou pendant la semaine Sainte et s'inspire d'un fait divers réel. Une vieille femme, Maria, est la proie d'un terrible dilemme  : laisser mourir sa petite fille sans essayer de la secourir, faute de pouvoir payer le médecin, ou désobéir à son mari en lui enlevant le seul bien qui peut le sauver de la prison et de la ruine -les bijoux qui constituent sa dot. Elle choisit de sauver l'enfant. Cette nouvelle peint la condition de la femme mais aussi sa mentalité, paysanne soumise, battue par son mari, elle accomplit fidèlement son devoir. Aussi, quand elle pense qu'elle a failli à son époux, persuadée de sa culpabilité, elle ne peut le supporter. Jacques Polylas écrit ici une tragédie à la manière antique dans laquelle la perte de l'honneur conduit à la mort. Mais toute la nouvelle est aussi imprégnée d'un sentiment de résignation chrétienne qui fait qu'aucune révolte n'est possible. On y sent aussi l'amour de cette terre, Corfou, avec ses champs d'oliviers, ses ceps de vignes, ses rochers arides et surtout la mer qui "avait aussi ouvert son esprit, donné ses ailes à sa rêverie, quand, à toutes les époques de l'année, à toutes les heures de la journée, elle la contemplait d'en haut, en passant, tantôt noire et déchaînée,tantôt calme et laiteuse.". Un très belle écriture pour une histoire qui se révèle déchirante.


 Kostis Palamas (1859-1943) né à Patras, mort à Athènes : Poète, il publie de nombreux recueils dans lesquels il  passe de la langue savante au grec démotique  et  écrit aussi des nouvelles  :
Etre beau, être jeune, et mourir ou la mort d'un Pallicare
Cette nouvelle composée en 1891 est une des premières grandes oeuvres de prose écrites en langue démotique.


Qu'est-ce qu'un pallicare?  C'est un soldat de l'armée grecque combattant les turcs pendant la guerre d'indépendance.
Dans la nuit du Vendredi Saint, le jeune et beau Mitros est victime d'une chute qui lui abîme l'articulation du genou. Le médecin appelé lui place des attelles en recommandant de ne pas y toucher. Mais dans ce village grec traditionnel, l'on ne croit pas trop à la science et aux médecins. On préfère les guérisseurs, les rebouteux. Toute une succession de charlatans défilent auprès de Mitros avec pour seul résultat d'aggraver son mal. Lorsque le médecin est à nouveau appelé, la gangrène est là. Il faut couper la jambe. Mais si l'on   est "un vrai pallicare", on a  "le style, l'ardeur, l'amour-propre, la beauté, la fierté, l'amour de la vie, le mépris de la mort." Non! Jamais Mitros ne sera un mari boîteux pour sa belle fiancée, Frossyni. Il préfère la mort.
Il y a dans le drame qui se joue dans ce récit, une sauvage grandeur. Le refus du jeune homme d'être diminué, sa révolte contre la maladie ne manquent pas de beauté tragique même si elle paraît au lecteur inhumaine, inacceptable. On comprend la douleur de la mère qui sait qu'elle va perdre son fils et que rien ne pourra aller contre sa volonté. La fatalité pèse sur cette tragédie à laquelle s'ajoute les croyances dans les mauvais esprits, les sortilèges maléfiques, le Mal incarné par Morfo, jeune fille éconduite par Mitros, figure de la Harpie qui s'attache à sa proie.
Le prochain billet ; nouvelles grecques (2) présentera l'un des plus grands écrivains grecs modernes : Alexandros Papadiamamantis
Challenge initié par Sabbio, à l'ombre de mon canellier

lundi 21 mars 2011

Pascal Teulade et Jean-Charles Sarrazin : Le plus beau de tous les cadeaux du monde


Quand on est tout petit et que l'on veut faire un cadeau d'anniversaire à sa maman, c'est bien difficile!  Pierrot va s'en rendre compte par lui-même. S'il veut emballer le chat, par exemple, pour faire un joli paquet, celui-ci ne coopère pas! Mais pas du tout! Et comment donner un de ses jouets alors que c'est maman elle-même qui les a offerts?Alors Pierrot a une idée, une très bonne idée qui fera plaisir à sa maman.  A votre tour de réfléchir et de trouver : quel est le plus beau cadeau qu'un petit garçon (ou une petite fille) puisse faire à sa maman?
Cet album est charmant. Il dit aux tout-petits que l'amour qu'il porte à leur mère est ce qu'il y a de plus important au monde. Les illustrations sont très douces et montrent l'univers d'une chambre d'enfant avec sa joyeuse pagaille, les jouets et le petit chat, compagnon de jeu, tendrement aimé. Je connais une certaine petite fille qui a bien ri en voyant le chat hérissé et toutes griffes dehors quand Pierrot veut l'enfermer ou en reconnaissant une chambre semblable à la sienne. Bonne occasion de reconnaître et de nommer tous les jouets qui traînent dans cette pièce! Bonne occasion aussi de finir la lecture dans les bras de maman avec de gros bisous.
La lecture en direction des enfants à partir de deux ans permettra donc un échange entre les parents et leurs bouts de chou et le livre, avec son texte court et clair, pourra être lu, seul, par un petit lecteur dès six ans.

dailogues-croises-capture-d_ecran-2010-05-27-a-10-14-261.1300743582.png
Merci à Dialogues croisés et aux Editions L'école des Loisirs

jeudi 17 mars 2011

Baudoin: Les essuie-glaces

Mondrian, l'arbre rouge


Il y a des êtres avec qui on est bien tout de suite, c'est inexplicable. Dès qu'on les voit, on sait que l'on va être bien avec eux. Cette évidence n'est pas vrai  qu'avec les humains, elle est vraie avec les chiens, les chats, les ânes et les chèvres... avec les oiseaux, c'est plus difficile, mais avec les plantes, ça marche. Il y a des arbres qu'on aime au premier regard.

mercredi 16 mars 2011

Baudouin : Les essuie-glaces


Les essuie-glaces est une BD de Baudouin que j'ai lu avec Wens (En effeuillant les chrysanthèmes ) et  que nous avons décidé de commenter ensemble.
Baudoin qui vient de passer trois ans au Québec doit repartir en France. Il va faire avec Laurence, Jean-Guy, poète québécois et Violette, un dernier voyage au Québec jusqu'en en Gaspésie afin de dire adieu à ce pays et à ses habitants qu'il a appris à  aimer.
Les premières pages de la bande dessinée nous place dans une dimension onirique : un  homme prisonnier d'un long et austère couloir aux portes fermées emprunte un escalier qui se déroule dans le ciel, appuyé sur l'air. Puis l'escalier devient une voie de chemin de fer qui finit par  s'ancrer dans le sol et l'amène  à une gare étrange ou une jeune fille tout aussi étrange attend un train partant vers n'importe où. Et cet homme qui n'est autre que le dessinateur lui-même va alors raconter ce dernier voyage avec lequel interfèrent les rappels de son séjour de trois ans en pays québécois. Le récit n'est pas linéaire et fait fi du cartésianisme. Comme son ami Jean-Guy, Baudoin est un rêveur, un poète. Les souvenirs se bousculent, réflexions, pensées intérieures, retours en arrière dans son passé mais aussi dans le passé du pays, comme, par exemple, quand il fait raconter par Jocelyne la déportation des Acadiens.


J'ai aimé la poésie et la nostalgie qui émanent du récit et de l'image. Très souvent la page se divise en longs bandeaux qui donnent l'impression d'une vision panoramique du paysage pour mieux en rendre l'ampleur, l'étirement, la vastitude, l'idée qu'il est à une autre échelle. Il y a un mélange entre réalisme et rêve. On reconnaît très bien les lieux (et ce n'est pas un mince plaisir pour moi qui ai voyagé là-bas et en garde un si beau souvenir), dessinés avec précision, les maisons avec les escaliers extérieurs métalliques de Montréal , les  îles du Saint-Laurent, la petite église rouge de Tadoussac, le rocher de Percée…

Tadoussac
baudoin-tadoussac.1300227757.jpg
Mais les dégradés de  bleus, le gris des arbres aux branches dénudés de la forêt,  les  traits de crayon comme estompés par la brume, créent un univers plein d'une  beauté triste ou flamboie parfois  le rouge d'un vêtement, d'un toit d'église, ou d'un canoë qui sombre pour signifier le mot fin.  Car c'est bien un adieu et non un au revoir à ce pays, à son amour, à cette période de sa vie.  Baudoin semble être de ceux qui tirent un trait sur le passé, qui ne revienne pas en arrière mais il emporte deux belles images  en guise de cadeau : celle d'un cerf qui lui est donné par une indienne dans une forêt démesurée et celle de Laurence, Violette et Jean-Guy souriant. Pourtant les essuie-glaces qui essaient d'effacer le gris du ciel dans la dernière partie du voyage n'y parviennent pas.
tadoussac-eglise-rouge.1300227875.jpg
Eglise de Tadoussac

baudoin-riopelle.1300227487.jpg
Jean Paul Riopelle est un grand peintre, graveur et sculpteur québécois. Il est né à Montréal en 1923  et mort à l'Ile-aux-Grues en 2002
jean-paul-riopelle.1300267120.jpg
Riopelle : période mosaïque

lundi 7 mars 2011

Suzan Fletcher : Un bûcher sous la neige




Suzan Fletcher, en écrivant Un bûcher sous la neige, aborde un sujet dont elle nous fait découvrir l'ampleur, celui de femmes qui ont été persécutées pendant des siècles, accusées de sorcellerie, condamnées à mort par pendaisons, noyades, bûchers. Souvent, leur manque de conformisme religieux, social ou politique, bref! leur différence en étaient la cause! L'obscurantisme a fait le reste. Il y a eu, nous dit l'écrivain, en Angleterre jusqu'en 1735, plus de cent mille femmes "pour la plupart instruites, indépendantes, âgées ou ayant leur franc parler", qui furent accusées de sorcellerie. En Europe leur nombre atteint quarante mille. De nos jours aussi, partout dans le monde, la femme est encore victime de la brutalité et de la violence.
Aussi Suzan Fletcher conte avec beaucoup de conviction et d'empathie l'histoire de Corrag, un personnage qui a vraisemblablement existé. Son nom est resté dans la légende, en Ecosse, dans la vallée de Glencoe où elle s'était fixée, accueillie par le clan des Mac Donald.
Jugée et condamnée comme sorcière, Corrag attend en prison le dégel qui permettra d'allumer les flammes du bûcher. Elle reçoit chaque jour la visite d'un gentilhomme, Charles Leslie, venu  l'interroger sur le massacre du clan Mc Donald de Glencoe par les soldats de Guillaume d'Orange. Charles Leslie veut servir ainsi la cause du roi Jacques VI, fils de Marie Stuart, exilé en France, en discréditant Guillaume d'Orange qui s'est emparé du pouvoir. Mais en écoutant parler Corrag, il va peu à peu s'intéresser à la jeune fille et les préjugés qu'il nourrit à l'encontre de "la sorcière" vont évoluer.
Peu à peu, le lecteur, tout comme Charlie Leslie, se laisse prendre par cette voix presque enfantine qui s'élève dans une prison sordide. Ce n'est pas la haine que convoque Corrag mais l'amour, amour de la nature, des bêtes mais aussi des humains. Amour pour un homme, aussi, qu'elle distingue des autres. Elle qui n'a rien, sait s'émerveiller dans sa solitude et sa souffrance, de la beauté d'un coucher de soleil, d'une fleur, des phalènes prisonnières de ses cheveux, d'un cerf qui vient manger dans sa main, autant de beautés qu'elle reçoit comme des cadeaux inestimables. Fille de l'hiver, elle sait parler merveilleusement de la neige et de la glace, du vent qui emmêle ses cheveux, mais elle célèbre le renouveau printanier avec tout autant de grâce lumineuse. S'il y a envoûtement, c'est le style de Suzan Fletcher qui en est l'origine, un style qui sollicite tous les sens, qui fait voir les couleurs et les formes mais aussi humer les odeurs de l'herbe ou du froid, toucher la douceur velouté du museau d'une jument ou les feuilles d'une plante douce comme la fourrure d'un lapin.  Elle nous fait entendre les voix de la Nature, le craquement de la glace, le glissement des flocons de neige ou le frémissement des chardons dans un champ. Un très beau style qui nous emporte loin dans le temps, sur des hauteurs sauvages, dans une époque impitoyable mais où nous rencontrons des personnages vraiment humains.

samedi 5 mars 2011

Alain Bosquet : un enfant m’a dit..

Shiro Hayami artiste japonais Land Art


Un enfant m'a dit :
"La pierre est une grenouille  endormie."
Un autre enfant m'a dit :
"Le ciel, c'est de la soie fragile."
Un troisième enfant m'a dit :
"L'océan, quand on lui fait peur, il crie."
Je ne dis rien, je souris.
le rêve de l'enfant, c'est la loi.
Et puis, je sais que la pierre,
vraiment, est une grenouille,
mais au lieu de dormir
elle me regarde.
Alain Bosquet

Et si c'était cela un poète, celui qui ose voir mieux qu'un enfant!



Les compagnons Troubadours du dimanche de Bookworm :
Alex : Mot-à-mots Alinea66 : Des Livres... Des Histoires...Anne : Des mots et des notes, Azilis : Azi lis, Cagire : Orion fleur de carotte, Chrys : Le journal de Chrys, Ckankonvaou : Ckankonvaou, Claudialucia : Ma librairie, Daniel : Fattorius, Edelwe : Lectures et farfafouilles, Emmyne : A lire au pays des merveilles, Ferocias : Les peuples du soleil, George : Les livres de George, Hambre : Hambreellie, Herisson08 : Délivrer des livres?, Hilde : Le Livroblog d'Hilde , Katell : Chatperlipopette, L'Ogresse de Paris : L'Ogresse de Paris, L'or des chambres : L'Or des Chambres, La plume et la page : La plume et la page, Lystig : L'Oiseau-Lyre (ou l'Oiseau-Lire), Mango : Liratouva, MyrtilleD : Les trucs de Myrtille, Naolou : Les lectures de Naolou, Océane : Oh ! Océane !, Pascale : Mot à mot, Sophie : Les livres de Sophie, Wens : En effeuillant le chrysanthème, Yueyin : Chroniques de lectures

jeudi 3 mars 2011

Le Clezio et Stig Dagerman : la forêt des paradoxes


ils_nous_regardent_vieillir.1299162493.jpg
Ils nous regardent vieillir France Mitrofanoff

Dans son discours pour le prix Nobel, Le Clezio cite un passage du  livre de Stig Dagerman La Dictature du Chagrin qui soulève une question fondamentale pour l'écrivain. C'est ce que Stig Dagerman a nommé la forêt des paradoxes :

Comment est-il possible par exemple de se comporter, d’un côté comme si rien au monde n’avait plus d’importance que la littérature, alors que de l’autre il est impossible de ne pas voir alentour que les gens luttent contre la faim et sont obligés de considérer que le plus important pour eux, c’est ce qu’ils gagnent à la fin du mois ? Car il (l’écrivain) bute sur un nouveau paradoxe : lui qui ne voulait écrire que pour ceux qui ont faim découvre que seuls ceux qui ont assez à manger ont loisir de s’apercevoir de son existence.

Nous avons aussi notre forêt de paradoxes, nous lecteurs, qui avons "assez à manger". Nous sommes "les seuls" à pouvoir lire les écrivains mais nous reculons devant certaines lectures qui nous dérangent dans notre quiétude. Je me faisais cette réflexion en lisant le livre de Kourouma sur les enfants soldats: Allah n'est pas obligé que je n'aurais peut-être pas eu le courage de découvrir s'il n'avait été le roman choisi par les lectrices de blogclub!

Initié par Chiffonnette