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mercredi 28 septembre 2011

Chabouté : Tout seul


 Tout seul, bande dessinée de Chabouté, est un petit bijou d'émotion, de poésie, de beauté, de tendresse, d'espoir. .. Si vous n'avez pas encore lu cette BD, faites-le vite! Et si vous ne deviez en lire qu'une dans votre vie, que ce soit celle-là!

Cet album est presque sans paroles, les personnages qui y vivent sont soit des marins taciturnes, soit un solitaire, séparé de la civilisation, prisonnier volontaire dans un phare en pleine mer. Le dessin en noir et blanc, jouant sur le lumières de la nuit et du jour,  prend alors toute son importance, c'est lui qui raconte tout ce qui n'est pas dit, c'est pourquoi il faut être attentif aux moindres détails, et il est fantastique. Les variations des points de vue nous permet une approche toujours renouvelée de l'histoire. Nous sommes oiseaux et nous nous laissons porter par le vent pour nous poser sur la lanterne du phare, poisson dans un bocal nous contemplons la solitude d'un autre être, solitude qui n'a d'égale que la nôtre, marin, nous essayons de percer le mystère du phare..  A cela s'ajoutent les variations des cadrages, d'un gros plan qui éveille en nous la curiosité à un plan d'ensemble qui nous révèle la réalité…  Le dessinateur joue ainsi sur le mystère, éveille notre imagination. Chabouté suggère aussi le mouvement par le procédé cinématographique  d'un plan fixe qui permet de voir s'éloigner le bateau ou au contraire de le voir se rapprocher, venant droit sur nous, pour créer l'impression de durée dans le temps. Car l'histoire a un rythme, celui de la lenteur, de l'égalité des jours qui se traînent et se ressemblent, sauf quand survient un évènement, quand il y a irruption de la vie dans le quotidien.


Et puis il y a la poésie de l'image et du sens. On y voit l'importance des mots qui peuvent aider à vivre, enflamment l'imagination, permettent de se projeter dans un autre univers et d'oublier un instant les souffrances du présent. Mais l'on apprend aussi que l'imagination ne suffit pas et que vivre c'est aussi se confronter au réel. Le monde a, en soi, tant de beautés dépassant l'imagination qu'il faut aller au devant de lui, même si cela requiert force et courage. C'est la belle leçon de cet album qui, pour recéler des trésors  d'émotion, est cependant sobre et pudique comme le sont les personnages. Car la livre est  une belle histoire de solidarité et d'humanité. Aussi bourru soit-il le capitaine est un homme profondément honnête et généreux, quant au marin, c'est lui qui va détenir la clef de la liberté et ouvrir la porte au reclus pour une nouvelle naissance.



mardi 27 septembre 2011

François Barcelo : Les Plaines à l'envers



Voici le compte rendu d'un livre que j'ai acheté et lu pendant mon voyage au Québec à Montréal.

Près de mon hôtel Terrasse Royale, dans la rue Notre-Dame-des-Neiges à Montréal, la librairie-restaurant Olivieri est un lieu de perdition, s'il en est ! Le pire c'est que même quand vous allez manger au fond de la librairie, vous êtes encore et toujours soumis à la tentation. 
C'est comme cela que j'ai acheté, entre autres, Les plaines à L'envers de François Barcelo.

 Le titre fait allusion à la fameuse bataille des plaines d'Abraham qui en 1759 a établi la victoire de l'Angleterre sur la France au Québec. 


L'intrigue est double : un écrivain est engagé par erreur pour écrire le scénario qui devra servir de base à un film sur la bataille des Plaines d'Abraham. Nous assistons à ses difficultés et à toutes les étapes de son travail, prétexte à une satire du monde du cinéma que notre personnage découvre avec consternation. Parallèlement nous suivons l'histoire d'un jeune homme qui veut être engagé comme figurant sur le film.
 
Hélas! Le tournage du film sera un échec puisqu'il aboutira, par un concours de circonstances que je ne vais pas vous dévoiler (ménageons le suspense, mais imaginez la pagaille), à  des Plaines à L'envers, c'est à dire à un résultat contraire à la réalité Historique. Et oui, vous m'avez bien compris, dans le film, à la suite d'une erreur, les français l'emportent sur les anglais !

 Fiasco donc pour le scénariste, héros de ce livre, mais petite satisfaction pleine d'humour pour l'auteur, François Barcelo, qui offre à ses lecteurs québécois et français une revanche sur l'Histoire! Pas un grand livre peut-être, mais un moment d'humour savoureux!

Quand on voit combien cette bataille a marqué les Québécois dans leur mémoire collective (il suffit de visiter le pays pour en prendre conscience), on comprend que Les plaines à l'envers, qualifié par ailleurs de thriller humoristique, a dû être bien accueilli.. au Québec!


Auteur : François Barcelo
Ouvrage : Les Plaines à L'Envers
 éditions "Bibliothèque Québécoise"

voir site de la bataille des plaines d'Abraham

lundi 26 septembre 2011

Georges Perec : Le cabinet d’amateur

Le cabinet d'amateur de Cornélis van der Geest

Dans cette étude, Georges Perec qui fut le créateur de l'Oulipo (l'Ouvroir de littérature potentielle) avec ses célèbres confrères (Queneau, Calvino, Roubaud...) s'intéresse à un collectionneur américain, d'origine allemande, très réputé en son temps, Herman Raffke. Perec est fasciné, en particulier, par un tableau intitulé : un cabinet d'amateur de Heinrich Kürz. Cette oeuvre fut exposée triomphalement lors des festivités qui eurent lieu en 1913, à Pittsbugh, Pensylvannie, où vit une importante colonie allemande, pour les 25 ans du règne de l'empereur Guillaume II.
Mais pourquoi Perec s'intéresse-t-il autant à ce tableau? Je l'ai compris lorsqu'il en fait la description et que je me suis sentie aussi passionnée que lui par cette oeuvre hors du commun. La toile représente une vaste pièce rectangulaire, sans portes ni fenêtres apparentes, dont les trois murs visibles sont entièrement couverts de tableaux. Plus de cent, en fait, et pas des moindres! Je vous laisse les découvrir quand vous lirez l'étude de George Perec. Mais le plus extraordinaire est ce qui suit :
Car le peintre a mis son tableau dans le tableau et le collectionneur assis dans son cabinet voit sur le mur du fond, dans l'axe de son regard, le tableau qui le représente en train de regarder sa collection de tableaux, et tous ces tableaux à nouveau reproduits, et ainsi de suite, sans rien perdre de leur précision dans la première, dans la seconde, dans la troisième réflexion, jusqu'à n'être plus sur la toile que d'infimes traces de pinceaux....
On comprend alors ce qui peut passionner un oulipien, ces reflets successifs qui font basculer l'oeuvre dans une dimension onirique (...)  ou la précision exacerbée de la matière picturale loin d'être sa propre fin débouche tout à coup sur la spiritualité vertigineuse de l'Eternel retour.

Perec rappelle aussi ce qu'est un cabinet d'amateur, type de peintures dont la tradition est née à Anvers à la fin du XVIème et qui a perduré à travers toute l'Europe jusqu'au milieu du XIXème siècle. L'artiste y présente un collectionneur souvent avec sa famille au milieu des tableaux les plus représentatifs de sa collection. Le principe du cabinet d'amateur, souligne Pérec a pour principe une "dynamique réflexive" qui trouve sa force dans la peinture d'autres artistes.
Parmi les plus connus, Le cabinet d'amateur de Cornélis van der Geest lors de la visite des archiducs Albert et Isabelle de Guillaume Van Haecht où l'on voit le mécène au milieu d'un quarantaine d'oeuvres. C'est d'ailleurs la reproduction de ce tableau qui orne la couverture de mon livre dans la collection Points aux éditions du Seuil. A ce stade de ma lecture, je me suis demandée pourquoi les éditions du Seuil n'avaient pas eu l'obligeance de choisir le tableau d'Heinrich Kürz et ceci d'autant plus que, étant loin de toutes sources modernes de recherche, en Lozère, je ne pouvais pianoter sur internet pour aller voir le tableau! De là à penser que...
Bref! j'ai continué à lire; l'auteur s'intéresse ensuite plus précisément au collectionneur lui-même, Hermann Raffke, aux oeuvres qu'il a acquises, à la manière dont il les a découvertes. J'ai eu un frisson d'excitation en apprenant que, parmi les tableaux acquis par Raffke, se trouverait le fameux Chevalier au bain de Giorgione, oeuvre disparue depuis longtemps mais célébrissime. L'artiste vénitien avait parié que la peinture n'était en rien inférieure à la sculpture. Il a représenté son personnage de face, avec un écu qui le reflète sur le côté et un miroir qui le montre de dos. Mais je me suis dit que la paternité de Giorgione ne devait pas avoir été confirmée sinon tout le monde en parlerait et j'aurais certainement vu des reproductions de ce tableau. J'ai été beaucoup moins intéressée par les détails un peu fastidieux des ventes aux enchères et les prix qu'ont atteint certains tableaux. Mais l'on ne peut nier que Georges Perec mène là une enquête rigoureuse et très documentée.
Il m'a fallu attendre la fin de cette étude pour comprendre vraiment (une hypothèse avait été avancée en début d'étude) pourquoi le cabinet d'amateur de Heinrich Kürz n'était plus visible de nos jours.


Cette étude plaira à tous ceux qui s'intéressent à l'art pictural, à la photographie, à l'image en général, car elle propose une réflexion intéressante sur la mise en perspective spatiale et temporelle, le jeu de miroir comme dans les Ménines de Vélasquez et sur la situation du regardant regardé.. Elle plaira aussi à tous ceux qui aiment les jeux oulipiens et l'esprit de Georges Perec.
Voilà ce que j'ai lu dans un article consacré au cabinet d'amateur
Georges Perec était fasciné par ces cabinets d’amateur. Tout de suite après avoir écrit la vie, mode d’emploi, il rédigea un cabinet d’amateur. Ce petit livre - qui prend pour point de référence le cabinet d’amateur de Cornelis van der Geest de Van Haecht et certaines images issues de la vie, mode d’emploi - nous raconte l’histoire étrange d’un de ces tableaux composites.

lire la suite dans le blog La boîte à images

Texte republié de mon ancien blog.

dimanche 25 septembre 2011

René Char : L'automne! Ecoute, mais n’entend pas

L'automne de Tom Thomson, peintre canadien

L'automne! Le parc compte ses arbres bien distincts. Celui-ci est roux traditionnellement; cet autre fermant le chemin est une bouillie d'épines. Le rouge-gorge est arrivé, le gentil luthier des campagnes. Les gouttes de son champ s'égrènent sur le carreau de la fenêtre; dans l'herbe de la pelouse grelottent de magiques assassinats d'insectes. Ecoute, mais n'entend pas.


Alex : Mot-à-mots Alinea66 : Des Livres... Des Histoires... Anne : Des mots et des notes Azilis : Azi lis Bénédicte : pragmatisme Cagire : Orion fleur de carotte Chrys : Le journal de Chrys Ckankonvaou : Ckankonvaou Claudialucia : Ma librairie Daniel : Fattorius Edelwe : Lectures et farfafouilles Emmyne : A lire au pays des merveilles Ferocias : Les peuples du soleil George : Les livres de George Hambre : Hambreellie Herisson08 : Délivrer des livres? Hilde : Le Livroblog d'Hilde Katell : Chatperlipopette L'Ogresse de Paris : L'Ogresse de Paris L'or des chambres : L'Or des Chambres La plume et la page : La plume et la page Lystig : L'Oiseau-Lyre (ou l'Oiseau-Lire) Mango : Liratouva MyrtilleD : Les trucs de Myrtille Naolou : Les lectures de Naolou Océane : Oh ! Océane ! Pascale : Mot à mot Sophie : Les livres de Sophie Wens : En effeuillant le chrysanthème  Yueyin : Chroniques de lectures

Un livre, un film : Réponse à l'énigme du samedi (3) : John Steinbeck, Les Raisins de la colère



Vous avez été nombreuses à participer mais vous n'avez pas toutes trouvé les réponses. Les  vainqueurs sont aujourd'hui : Aifelle, Keisha, Cagire, Maggie, Dasola, Kathel, Jeneen, Gwen.(Je n'ai oublié personne?)
 Une mention spéciale à  Aifelle, Gwenaelle, Jeneen et Keisha qui ont donné toutes les bonnes réponses aussi bien sur le livre que sur le film car Wens demandait aussi le véritable nom du réalisateur et le nom de l'actrice féminine oscarisée..
Le titre du Livre : Les raisins de la colère de John Steinbeck
Le film : Les raisins de la colère de John Ford de son vrai nom John Martin Feeney
Le nom de l'actrice qui a obtenu l'oscar du meilleur second rôle était Jane Darwell
La présentation du film chez Wens ICI
 Merci à toutes et bon dimanche!


 Dust Bowl

Les raisins de la colère de John Steinbeck est paru en 1939 Il raconte la migration d'une famille de fermiers, les Joad, chassée de leur terre  par la sècheresse et la misère. Le passage que j'ai choisi de présenter pour cette énigme décrit le désastre écologique, The Dust Bowl, qui s'est abattu sur cette région sinistrée. Les Joad partent sur la route et traversent d' Est en Ouest les Etats-Unis de l'Oklahoma à la Californie. Steinbeck décrit les souffrances de ces pauvres gens avec beaucoup de tendresse. Tout en écrivant une véritable épopée, il peint des portraits très attachants, très forts, nous amenant à aimer ces hommes et ces femmes pleins d'humanité et de dignité malgré leur misère.



Un roman réaliste:
 Les raisins de la colère, roman profondément ancré dans la réalité, s'appuie sur des faits historiques : l'exode des Oakies dans les années 30. Ainsi furent nommés ces paysans migrants chassés de leur terre qu'ils cultivaient depuis si longtemps, partant avec leur famille sur les routes dans de vieux tacots déglingués, décimés par la maladie et la famine, méprisés et sauvagement exploités.

Les causes de l'exode s'expliquent par des raisons climatiques : dans les années 30, un grande sècheresse  associé à des vents violents qui soulèvent des nuages de poussière - la Dust Bowl-   ravagent les grandes plaines du Middle-West américain. Entre 1933 et 1937, il y eut 352 tempêtes. Les ravages sont d'autant plus grands que les agriculteurs pratiquent une monoculture céréalière de champs ouverts nécessitant de profonds labours.
A cela s'ajoutent des raisons économiques dont les origines remontent aux années 20. Après la guerre de 14-18,  il y a une reprise de la production agricole en Europe et dans le même temps une augmentation de la productivité aux USA qui n'arrivent pas à écouler le surplus, ce qui provoque une crise de surproduction. Les prix agricoles montent moins vite que les prix industriels. Les agriculteurs sont en grande difficulté et leurs revenues baissent dramatiquement. Ils sont en état de survie quand survient la crise des années 30.
En Oklahoma, Arkansas, une grande partie des paysans sont des métayers dont les terres sont aux mains de grandes compagnies. L'autre partie est constituée de petits propriétaires qui se sont endettés pour élever leur productivité. La crise accélère le processus. Les trust évincent les métayers pour regrouper les parcelles et mécaniser les exploitations. Les banques expulsent les propriétaires incapables de rembourser leurs dettes.

L'exode : le but des paysans déracinés est de gagner l'Ouest mythique, la Californie considérée comme l'Eden. Pour s'y rendre il faut emprunter la Higway 66 qui va de Chicago à Los Angeles, via Oklahoma, Texas, Nouveau-Mexique, Arizona, Californie.
Cette traversée permet de saisir la réalité fédérale des USA. A chaque passage d'état, une police contrôle les voyageurs et une législation différente intervient.  Par exemple en Arizona, la législation interdit l'importation de semences pour éviter les maladies des plantes. Dans le livre, c'est la fameuse scène où les policiers veulent fouiller le camion pour vérifier s'il n'y a pas de semences. Or, la grand mère vient de mourir. Ma est obligée de cacher ce fait aux policiers à qui elle réclame avec insistance un médecin. Ceux-ci les laissent passer. Ma ne révèlera la vérité à la famille que lorsqu'ils auront "traversé," c'est à dire atteint la Terre Promise.

Un roman engagé :
Steinbeck écrivant l'épopée de ces familles poussées par la faim et le misère dénonce le capitalisme sans humanité, l'exploitation économique des plus humbles. Le roman est un cri de révolte et de colère et pourtant d'espoir. Steinbeck y parle de solidarité, mais aussi de la nécessité de prendre conscience de l'oppression pour la combattre. L'union peut constituer le point de départ d'une force que les hommes misérables, isolés dans leur malheur, ne soupçonnent pas. Il s'agit d'un roman politique écrit par un écrivain engagé dans le combat social.
Trois cent mille malheureux affamés. Si jamais ils prennent conscience de leur force, le pays leur appartiendra et ni les fusils, ni les grenades à gaz ne les arrêteront (chp. XIX ) Et c'est alors que pourront mûrir  les Raisins de la colère annonçant les vendanges prochaines (Chap XXV)  Il y a du Zola dans cette comparaison qui fait penser à Germinal.
De longs chapitres un peu trop démonstratifs développent ces idées politiques mais c'est à travers l'histoire des Joad et surtout des trois beaux personnages principaux, la mère (Ma), Tom et Casy que nous les voyons illustrées.

Un roman biblique :
Si les chapitres engagés sont influencés par le marxisme, ceux qui sont consacrés à la famille Joad parlent d'une ascension spirituelle et mystique, un retour à une vrai foi dépouillé de sectarisme et d'intolérance. L'union, c'est avant tout l'entraide et la compréhension des autres.
C'est l'autre aspect de Les raisins de la colère qui apparaît comme un roman profondément marqué par la Bible : Le titre fait allusion à un passage de l'Apocalypse : Et l'ange jeta sa faucille sur la terre. Et il vendangea la vigne de la terre, et jeta la vendange dans la grande cuve de la colère de Dieu.
Le voyage des Joad est une quête spirituelle, a la recherche de la Terre Promise. Et c'est ainsi qu'elle apparaît à leurs yeux quand ils arrivent en Californie et découvrent ces terres riches, plantées d'orangers avant de découvrir qu'il s'agit d'un enfer. Cette quête permet la découverte de l'amour. Tom qui est un "élu" reprendra la lutte du pasteur Casy, non pour prêcher la résignation aux pauvres mais pour leur parler d'union et solidarité.
 Peut-être bien que les hommes n'ont qu'une grande âme et que chacun en a un petit morceau (chap IV). Ce sont les paroles de Casy que Tom répètera à sa manière à sa mère, la religion vécue comme l'amour de l'Humanité. Des fois, je me suis dit, c'est peut-être bien tous les hommes et toutes les femmes que nous aimons, c'est peut-être bien ça le Saint-Esprit

Mon avis : Les raisins de la colère n'est pas le livre de Steinbeck que je préfère. Certains chapitres sont parfois trop théoriques, trop démonstratifs. Mais malgré cette restriction, j'aime énormément le roman car le récit est magnifiquement conté, les personnages sont passionnants et vrais et je suis entièrement convaincue par les idées sociales de Steinbeck. Le film, parce qu'il est forcément plus rapide que le roman, édulcore la durée des souffrances de la famille. Mais les scènes-clefs du livre (l'achat du pain et des bonbons pour les enfants, l'arrivée en Californie, la mort du grand-père et de la grand-mère, l'installation dans un camp misérable...) se retrouvent dans le film et sont traités avec une telle maîtrise que l'émotion nous prend à la gorge. Les deux oeuvres à la fois très semblables et très différentes, parce que l'écrivain et le réalisateur n'ont pas le même tempérament, sont tous deux excellentes.

samedi 24 septembre 2011

Un livre, un film : Enigme du samedi (3)




Dans les  deux premières énigmes Le quai des Brumes et La planète des singes, le film était plus connu que le livre! 
Cette fois-ci, livre et film sont à égalité et le livre est si commenté, analysé, que quelque que soit le passage choisi,  vous n'avez pas qu'à taper quelques mots pour trouver le titre du livre.
Facile allez-vous dire? Alors comme le film porte le même titre que le livre, WENS vous pose quelques colles complémentaires! Non mais, si vous croyez vous en sortir comme ça!!

Consignes : Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) et me laisser des indices dans les commentaires sans révéler la réponse, indices qui me permettront de savoir si vous avez vu juste et mettre sur la voie ceux qui ne savent pas. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs qui n'auront gagné que la gloire de participer (avouez que c'est beaucoup!) sera donnée le Dimanche.

 Enigme n°3

 Il s'agit  d'un roman écrit par un célèbre écrivain américain du XXème siècle. Le passage que j'ai choisi décrit le désastre écologique qui s'est abattu sur une région des Etats-Unis dans les années 30.




Au milieu de cette nuit-là le vent tomba et le silence s'écrasa sur la terre. L'air saturé de poussière assourdit les sons plus complètement encore que la brume. Les gens couchés dans leur lit entendirent le vent s'arrêter. Ils s'éveillèrent lorsque le vent hurleur se tut. Retenant leur souffle, ils écoutaient attentivement le silence. Puis les coqs chantèrent, et leur chant n'arrivait qu'assourdi, alors les gens se tournèrent et se retournèrent dans leurs lits, attendant l'aube avec impatience. Ils savaient qu'il faudrait longtemps à la poussière pour se déposer sur le sol. Le lendemain matin, la poussière restait suspendue comme de la brume et le soleil était rouge comme du sang frais caillé. Toute la journée la poussière descendit du ciel comme au travers d'un tamis et le jour suivant elle continua à descendre, recouvrant la terre d'un manteau uniforme.

Wens c'est ICI

vendredi 23 septembre 2011

Un livre, un film : Jeu-énigme du samedi. Venez jouer avec nous...


Juste un petit rappel. A demain pour notre jeu énigme du samedi.

Wens du Blog En effeuillant le chrysanthème et  moi-même Claudialucia de Ma Librairie, nous vous proposons pendant toute l'année un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma!

La semaine dernière le  titre du livre et du  film était La Planète des singes respectivement de Pierre Boulle et Franklin Schaffner
Et demain?

Des Mots, une histoire : Isatis


 Dans son blog Désirs d'Histoire, Olivia reprend le jeu d'écriture : Des mots une histoire. Aujourd'hui voilà la liste des mots qu'il fallait placer dans le texte.
carte – cyclique – panoplie – oeuf – destruction – frissons – obturation – naissance – tartelette – nuage – fortune –– nuptial – ruban – musique – travaux – témoin – canaille – tirelire – aurore – ysatis – iguane.
Isatis
Sur tes pattes prudentes,
Tu avances
Tu es témoin  de la naissance de l'aurore
Son ruban nuptial se déroule
dans le ciel à la panoplie de nuages et d'étoiles
Fortune de diamants, ruissellements,
éclats de miroirs qui se brisent
Aurore
Le soleil ouvre un oeil, tartelette dorée au four
Sa musique éclate, cymbales et cuivres d'or tremblant.
Isatis
la canaille te traque et tue les frémissements
Bleutés de ta vie
Tu avances, les pattes secouées de frissons
Dans la beauté du Monde fragile
Comme la coquille de l'oeuf
Sourire en coin, bouche en tirelire,
Tu as la sagesse antique de l'iguane
Tu sais que la destruction
aux reflets de fin du Monde
a commencé
 Tu assistes
A l'obturation de ta vie, à l'éclipse de tes années
Aux travaux de l'Homme Néant
Tu sais que
la carte du
Monde est cyclique
Et que bientôt
Plus rien ne sera comme avant.



jeudi 22 septembre 2011

Bryan Magee : L'histoire illustrée de la philosophie


Raphaël : L'Ecole d' Athènes

 

 J'ai acheté L'histoire illustrée de la philosophie à ma fille quand elle était encore au lycée. Et il faut reconnaître que ce livre magnifiquement illustrée est une agréable entrée en matière pour s'initier à la philosophie de Socrate au XXème siècle.  Il ne s'agit  pas d'une étude approfondie mais d'un regard général, volontairement simple et facile, pour faire connaissance avec les grands courants de la pensée occidentale.

En  le feuilletant je lis ces phrases qui seront  mes citations d'aujourd'hui :

 

 

On choisit une philosophie en fonction de ce qu'on est.

Johann Gottlieb Fichté

 

Si tu veux suivre mon avis, tu feras bien peu de cas de Socrate et beaucoup de la vérité.

Socrate

 Les hommes ont une seule manière d'être bons, mais beaucoup d'être mauvais. 

                                                                            Aristote

 

 Seigneur, rends-moi chaste, mais pas tout de suite.

                                                                           Saint Augustin

 

 

 

 

 

Jean Leon Huens Hommage à newton
  
J'ai vu si loin parce que je me suis placé sur les épaules de géants.

                                                                           Newton

 

 Le but de l'organisation en société, c'est la liberté.

 Spinoza

 

L'habitude est le grand guide la vie humaine.

Hume

 

La superstition met le feu au monde, la philosophie l'éteint. 

Voltaire

 

L'homme est né libre et partout il est dans les fers.

Rousseau

 

Les philosophes n'ont fait qu'interpréter diversement le monde; il s'agit maintenant de le transformer.

Karl Marx

Présentation de l'éditeur

Dans notre monde moderne à la recherche de ses valeurs, qui n’est pas confronté aux grandes questions de l’existence ? Dieu, l’âme, la mort, le sens de la vie, la place de l’homme dans l’univers... S’adressant aussi bien aux non-initiés qu’aux étudiants désireux de clarifier leur connaissance des grands courants philosophiques, cet ouvrage richement illustré est une brillante anthologie de la pensée occidentale. De Platon à Nietzsche, on y trouve les réponses aux grandes questions, les mots-clés et les axes de réflexion des différentes écoles.

Biographie de l'auteur

Bryan Magee a étudié à l'université d'Oxford. Diplômé en philosophie, histoire, sciences politiques et économie, il a enseigné à l'université de Yale avant de devenir homme de télévision, critique et écrivain. Nommé au Balliol College d'Oxford, il continue ses activités dans les médias et tient une rubrique régulière dans le Times. Il a également été directeur de recherche au King's College de l'université de Londres, où il enseigne actuellement.


mercredi 21 septembre 2011

Dany Laferrière : L’énigme du retour




Dany Laferrière est un auteur haïtien. Exilé pour des raison politiques, il a vécu pendant de nombreuses années à Montréal, tout comme son père parti à New York, chassé  lui aussi par le régime des Duvalier, pour ne plus jamais revenir dans son pays natal.
Le roman autobiographique L'énigme du retour commence avec le coup de téléphone que reçoit Dany Lafferière lui annonçant la mort de son père. Dès lors commence le processus du retour à Haïti alors libérée de la dictature. Après un arrêt à New York pour les obsèques de son père, le voilà à nouveau à Port-au-Prince où il retrouve sa famille et en particulier sa mère qu'il n'a plus vue depuis trente-trois ans. Un laps de temps si long qu'il est devenu un étranger dans son propre pays.
De retour dans le sud après toutes ces années
Je me retrouve dans la situation de quelqu'un
qui doit réapprendre ce qu'il sait déjà
mais dont il a dû se défaire en chemin.

J'avoue que c'est plus facile
d'apprendre que de réapprendre.
Mais le plus dur c'est encore
de désapprendre.


Le livre est divisé en deux grandes parties :
Lents préparatifs de départ où l'auteur largue les amarres qui l'attachent à son pays d'accueil, le Québec, moments faits de retour dans le passé vers son île natale, du souvenir d'un père qu'il n'a pas connu sinon par des photographies et d'adieu à ce pays de glace et de neige.
Le retour raconte le difficile processus de réapprentissage, les incessants allers-retours entre l'avant et l'après, le choc de la redécouverte d'un pays en proie à la misère et d'une jeunesse incarnée par le propre neveu de Dany Laferrière qui a perdu l'espoir.  Et enfin, le déclic qui lui permet de comprendre qu'il ne repartira plus :
J'ai senti
que j'étais
un homme perdu
pour le nord quand
dans cette mer chaude
sous ce crépuscule rose
le temps est subitement devenu liquide.




Au début, lorsque l'exilé arrive à Haïti, j'ai été surprise car il présente le pays comme n'importe quel observateur extérieur pourrait le faire. J'avais l'impression de lire un texte écrit par un occidental intellectuel et bourgeois ... ce que Dany Laferrière est,  après tout. j'admirais le style mais il me manquait l'approche par l'intérieur du pays, pas quelqu'un qui vivrait le quotidien terrible du peuple haïtien. Dany Lafferière est très conscient lui-même de ce paradoxe. Le grand sujet du roman haïtien, dit-il, devrait être la faim mais personne n'a jamais osé l'aborder.
c'est qu'il est difficile d'en parler quand on ne l'a pas connue et ceux qui l'ont vue de près ne sont pas forcément des écrivains."
De plus la faim n'intéresse personne :
Pourquoi? Parce que cela ne concerne que des gens sans pouvoir d'achat. L'affamé ne lit pas, ne va pas au musée, ne danse pas? Il attend de crever.

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Mais je me suis de plus en plus coulée dans le livre au fur et à mesure qu'il se réapproprie le pays et surtout quand il part de Port-au-Prince pour un voyage qui lui permet des rencontres avec les Haïtiens,  la découverte des milieux paysans riches d'une religion, le Vaudou, aussi étrange qu'ésotérique, jusqu'au village natal de son père. Là, enfin vient le temps où l'homme d'âge mûr retrouve sa terre d'enfance, où il ré-adopte son pays tout en se faisant ré-adopter par lui :
On me vit aussi sourire
dans mon sommeil
comme l'enfant que je fus
du temps heureux de ma grand mère.
Un temps enfin revenu.
C'est la fin du voyage.


Par sa forme graphique - strophes et vers libres qui alternent avec la prose- par la richesse des images qu'il éveille en nous, ce livre se lit comme un recueil de poésies, lentement, en s'arrêtant, en le reprenant, en s'imprégnant des émotions qu'il fait naître mais aussi en réfléchissant à la situation haïtienne, à la faim, à la misère, à tous ceux qui profitent cette situation pour s'enrichir, à tous ceux qui font qu'il n'y aura jamais de solution heureuse pour ce peuple exploité.
Les thèmes de ce livre sont variés et riches. Ils s'entrecroisent pour former une trame dense, épaisse et solide, un enchevêtrement qu'il nous échoit, à nous lecteurs, de démêler : celui de l'exil, bien sûr, et de l'identité, du déracinement et de l'appartenance, de la confrontation du passé et du présent, celui d'une culture mystérieuse que l'on connaît peu et mal. Celui d'un pays qui est classé comme le plus pauvre de la planète, un pays opprimé par des dictatures successives, un pays qui est tombé dans le chaos avec une démocratie corrrompue, un pays exploité par les différentes puissances qui prétendent lui venir en aide.

Franketienne, peintre haïtien
18.1271766215.jpgJ'ai beaucoup apprécié aussi la galerie de portraits qui défilent devant nous : la mère douloureuse qui n'a jamais revu son mari et a compté chaque jour qui la séparait de son fils, l'ancien révolutionnaire qui a trahi ses idées, devenu ministre et riche collectionneur de tableaux, ou l'ami de son père, plein de dignité et de fierté, reconverti en éleveur de poules, enfin le portait du peintre haïtien Franketienne qui refuse de vendre un tableau au ministre et préfère le donner au chauffeur de celui-ci!
24.1271768341.jpg

Voir aussi l'article de Dominique dans A sauts et à gambades sur L'énigme du retour. 
 Texte publié dans mon ancien blog le 20 avril 2010
 

mardi 20 septembre 2011

La journée du patrimoine 2011 à Avignon (2) : La fondation Lambert, Le temps retrouvé

L'exposition Twombly à la Fondation Lambert jusqu'au 2 Octobre
Le temps retrouvé, à la Fondation Lambert, est une exposition de 60 photographies, jamais présentées en France, du peintre et  photographe américain Cy Twombly dont le premières ont été réalisées en 1951 et les dernières en 2011. Elles sont associées aux images de nombreux artistes choisis par Twombly.  

Cy Twombly devait être présent en Septembre à la fondation Lambert mais il est mort le 5 Juillet  2011, l'exposition devenant alors son dernier regard. Sept salles lui sont consacrées, chacune selon les voeux de Twombly "devant être davantage thématique d'historique, enjambant les décennies". Parmi les images que je préfère, celles des natures mortes, grappes de raisin, cerneaux de noix, pétales  flétris en couleurs ou en noir et blanc rappelant les peintures de Murillo ou de Chardin (Salle 3) ou (salle 4) les fleurs de pivoine, les oeillets, les citrons aux couleurs éclatantes.  Les objets regardés pris en gros plans  ou avec un flou, donnent l'impression de la matière, deviennent étranges, autres que ce qu'il sont dans la vie quotidienne. Ou encore (salle7) ces clichés de la mer toujours renouvelée, plus proches du dessin que de la photographie où la lumière semble en suspension comme des petites bulles.


Cy Twombly 




 Cy Twombly

C'est l'artiste lui-même qui, à la demande de Yves Lambert, a conçu cette exposition en invitant les  artistes qu'il admire :  photographies du XIX ème siècle  de Constantin Brancusi, Emile Bernard, Edgar Degas, Pierre Bonnard . .. On y retrouve aussi les oeuvres d'Edward Muybridge, de Sol Le Witt, Cindy Sherman, Hiroshi Sugimoto, Louise Lawler, Sally Mann, David Claerbout, Jacques-Henri Lartigue…

Parmi mes préférées, les photographies de Sally Mann, artiste américaine qui photographie sa propriété entourée de bois. L'image promet plus que ce qu'elle montre, un beau paysage mais qui a quelque chose de vaguement inquiétant, mystérieux, corps allongés sur le sol se fondant dans la Nature..


 Sally Mann

 Hiroshi Sugimoto est le photographe le plus reconnu de sa génération  dans l'art contemporain. Il expose trois grandes photographies qui représente la mer  barrée par la ligne d'horizon. D'une image à l'autre, dans un sens ou dans l'autre, l'image passe du net au flou ou l'inverse comme si elle avait le pouvoir de disparaître ou de réapparaître. Le temps d'exposition est si lent que nous passons dans une autre dimension, au-delà du réel. Comme dans les oeuvres de Rodko mais avec des dégradés de noirs et de gris, la photographie de Hiroshi Sogimoto semble émettre des vibrations comme si une énergie émanait d'elle.

 Hiroshi Sugimoto

Le dessin de Sol Le Witt et les photos de Louise Lawler



 Sol Le Witt, salle vue de l'extérieur

La collection de Yves Lambert est installée à Avignon dans un des plus élégants hôtels de la ville, l'hôtel du marquis de Caumont réalisé d'après les plans de l'architecte Jean-Baptiste Franque, achevé en 1733. La collection est constituée d'oeuvres de Robert Ryman, Brice Marden, Carl Andre, Gordon Matta-Clark, Anselm Kiefer, Christian Boltanski, Andres Serrano, Douglas Gordon, Cy Twombly ou Nan Goldin. Chaque année a lieu une exposition temporaire.










lundi 19 septembre 2011

La journée du patrimoine 2011 à Avignon (1) : le Musée Vouland, Regards de Provence


Il y avait plusieurs tableaux  de Henri Manguin, un des principaux initiateurs du fauvisme, au musée Vouland dont cette magnifique image du port de Marseille.

 Pour ces journées du patrimoine à Avignon, je suis allée, en effet, voir l'exposition du Musée Vouland : Regards de Provence. 

 
Le musée Vouland est une riche maison bourgeoise du XIXème siècle devenue fondation après la disparition de son propriétaire, un ancien industriel et collectionneur. Elle accueille jusqu'au mois d'octobre une exposition d'une centaine de tableaux choisis parmi les oeuvres de la collection Dumon  sur le thème de La Provence. Les peintures du  XVIII ème siècle au XIXème sont  installées dans les salles d'exposition temporaire et représentent des scènes de la vie rurale provençale, des ports, la mer.. mais ce que j'ai aimé surtout ce sont les tableaux du XXème siècle accrochés dans pièces de la maison Vouland, au-dessus de meubles précieux, parmi les faïences de  Moustiers ou de Delft, dans la chambre chinoise...  Lhote, Dufy, Manguin, Ambrogiani, Lebasque, Bonnard, pour ne citer qu'eux. Une magnifique statue en bronze d'Arman nous accueille dans le hall.

Façade côté rue Victor Hugo

 La façade intérieure et le jardin de la maison Vouland


Quelques sculptures dans le jardin





 Un très beau tableau de André Lhote, peintre cubiste




Sylvie Tanette : Amalia Albanesi, Mercure de france


 Amalia Albanesi de Sylvie Tanette est un premier roman.
L’institutrice de Théo, petit garçon de huit ans, lui a demandé d’établir un arbre généalogique. C’est le prétexte, pour la mère de Théo, de raconter à son fils l’histoire de ses ancêtres. Peu à peu la construction de l’arbre généalogique de cette famille va nous entraîner bien loin dans l’espace à Tornavalo, près de Bari dans les Pouilles mais aussi à Alexandrie, à Athènes, à Malte, sur les remparts de Dubrovnik, puis à Marseille… C’est avec intérêt que l’on suit cette longue histoire qui forme une trame complexe assez fascinante. Ce grand voyage dans le temps, du début du XIX ème siècle à nos jours, va nous faire découvrir des personnages peu banals. Et d’abord, bien sûr, Amalia Albanesi, cette arrière-grand-mère qui donne son titre au récit, née à Tornavalo dans une famille de paysans vaguement enrichie, peu ouverte aux sentiments, qui ne connaît de la vie que le labeur dur, écrasant et sans répit, qui permet de tirer  subsistance de la terre ingrate de Tornavalo. Cette terre rouge qui s’insinue partout, dans les maisons, les vêtements, dans la bouche, dans les poumons, Amalia n’aura de cesse de la fuir. Elle le pourra en épousant un étranger voyageur, révolutionnaire en exil à Tornavalo, Stepan Iscenderini qui l’amènera loin de son pays avant de l’abandonner pour épouser la cause des Bolcheviks et partir en Russie. Nous assisterons à la naissance de la douce Luna, à Alexandrie, la grand-mère de la narratrice, suivrons son enfance dans le port de Bari, ses amours avec l’anarchiste Elias, le rebelle aux yeux dorés, qui vient de Malte, idéaliste qui sera brisé par son internement dans les camps de concentration dans les années 40… Et puis il y a la rencontre de la fille de L’Estaque avec le garçon du Panier à Marseille, autrement dit, les parents de la narratrice, grands-parents de Théo, avec lesquels s’achève cette remontée dans le temps…
Et ces personnages au destin peu commun, aux origines si diverses, qui ont échappé à toutes les tragédies de l’Histoire, sont si profondément ancrés dans les pays de la Méditerranée qu’ils semblent  en représenter tous les peuples, en illustrer la quintessence. Ainsi pour aboutir à ce petit écolier de huit ans, Théo, il fallu une telle multitude d’ancêtres et d’événements, tant de nationalités différentes, tant de hasards et de rencontres  que l’on a l’impression vertigineuse d’une accélération du Temps, d’une infinité de possibilités. On pense au vers de Beaucarne :
En voyant naître cet enfant/ Je voyais du fin fond des siècles/ Tous mes ancêtres, tous mes parents/ Dans ce petit corps renaître…
Par quelle fissure du temps/ S’est-il glissé jusqu’à maintenant…
Et oui, mon petit Théo, écrit la narratrice, il va bien falloir que tu vives avec tout ça. Toutes ces histoires et tous ces gens, que l’on n’a pas choisis, que l’on ne connaît pas, mais qui sont là dans un coin de nos têtes, et parfois se bousculent jusque dans le moindre de nos gestes.

L’écrivain, journaliste, écrit ce roman comme s’il s’agissait d’une enquête journalistique. Elle s’appuie sur les récits de sa grand mère Luna, puise dans les souvenirs de chacun, interroge les photographies anciennes, met à contribution sa mère pour reconstituer la mémoire familiale. Elle s’interroge sur les motivations des personnages, doute de la véracité de ses sources, avoue son ignorance, fait la part de la légende et de l’Histoire dans les récits familiaux. Parfois, elle supplée au manque d’information en imaginant ce qui s’est passé. Ce procédé journalistique, mais aussi romanesque, qui permet peu à peu de s’immiscer à l’intérieur des personnages, de les faire vivre, de reconstituer les faits comme s’il s’agissait d’un puzzle, m’avait passionnée lors de la lecture du roman de Javier Cercas Les Soldats de Salamine. Certes, Sylvie Tanette n’a  pas le talent  de Cercas et je n’ai pas éprouvé la même intensité d’émotion en la lisant, mais il n’en reste pas moins que ce court roman (trop rapide à mon goût! ) est une réussite puisque l’on s’intéresse à ces vies qui se déroulent devant nous et que l’on aimerait en savoir plus! Certains passages révèlent d’ailleurs de belles qualités de plume :  Lorsqu’elle suivait son âne jusqu’au bord de la falaise, Amalia se glissait entre les oliviers en évitant de les regarder, comme on traverse une foule hostile ou silencieuse. Dans ce qui était pour tous, de simples murets de pierres sèches, oliveraies, amandiers et figuiers de Barbarie, mon arrière-grand-mère ne voyait qu’écorchures, blessures, cris de douleur. (…)  Un jour, elle avait dit à ses frères que les plaines de Bari n’était probablement qu’un immense cimetière, où chaque mort était devenu un olivier; Il n’y avait, pour s’en convaincre, qu’à voir comment chacun d’eux tentait de rejoindre le ciel, leurs bras tordus de martyrs, leurs corps figés dans un ultime effort pour s’extraire des entrailles de l’Enfer.

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