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mardi 9 août 2011

Sofia Tolstoï : A qui la faute? et Léon Tolstoï La sonate à Kreutzer


Sofia Tolstoï : A qui la faute? ou une brillante réponse à La Sonate à Kreutzer

Les éditions des Syrtes ont réuni dans une même publication la très célèbre nouvelle de Léon Tostoï : La sonate à Kreutzer et celle de Sofia Tolstoï : A qui la faute? qui est une réponse directe à son illustre mari.
L'oeuvre de Sofia n'a jamais été publiée en France et a dû attendre ces dernières années pour l'être en Russie. Pourtant, elle ne manque pas de piquant et répond point par point et d'une manière intelligente aux réflexions philosophiques et religieuses du grand écrivain et à sa vision misogyne de la Femme. De plus, elle éclaire d'un jour nouveau La Sonate à Kreutzer qui est une des oeuvres les plus surprenantes et les plus controversées de Léon Tolstoï puisque ce dernier a dû répondre, dans une postface publiée dans cette édition, à ses lecteurs qui lui demandaient des éclaircissements.
Si l'on ajoute à ces deux ouvrages un autre roman de Sofia Tolstoï : Romances sans paroles  et la réponse de Léon Tolstoï fils à La Sonate à Kreutzer sous le titre Le prélude de Chopin, l'on verra que les éditions des Syrtes nous offre une véritable saga de la famille Tolstoï.
Dans La sonate à Kreutzer,  au cours d'un long voyage en train, des voyageurs entament une discussion sur le mariage. La réussite d'un mariage repose-t-elle sur la crainte exercée par le mari sur sa femme, ou au contraire, sur un amour véritable et réciproque entre les deux époux? Un homme prend alors la parole pour nier l'amour que l'on confond, dit-il, avec la sensualité. Il n'y a pas d'amour spirituel, il n'y a  que l'amour charnel, "répugnant", "repoussant et malpropre" et celui-ci ne peut durer qu'un temps. De plus, il donne un pouvoir exorbitant à la femme qui devient pour l'homme "un objet dangereux". Ainsi le  mariage n'est que duperie.  Lui-même  a épousé une jeune femme dont il pensait être amoureux. Mais après le mariage et  la satisfaction de l'acte sexuel, la honte ressentie par "ces excès bestiaux" a fait naître la haine entre les deux époux. Cet homme, Pozdnychev, resté seul avec le narrateur, lui explique alors son histoire et pourquoi il a tué sa femme éprise d'un musicien...
Ce que Tosltoï veut démontrer dans ce récit, c'est que l'acte sexuel est néfaste aussi bien dans le célibat que dans le mariage, qu'en aucun cas c'est un acte naturel et indispensable pour la santé. Le bien ne viendra que de la pureté et de la continence. A ceux qui lui répondent que la race humaine disparaîtrait si l'homme respectait ce précepte, Tolstoï répond que toutes les doctrines religieuses  et scientifiques annoncent la fin du monde et que celle-ci est par conséquent inéluctable. Il ajoute dans sa postface que la chasteté est un idéal voulu par le Christ, vers lequel il faut tendre, mais qui est-  comme tout idéal-  hors d'atteinte.
"La passion sexuelle est un mal terrible qu'il faut combattre et pas encourager comme nous le faisons."
La réponse de Sofia Tolstoï est un récit A qui la faute? qui met en scène une jeune fille intelligente, cultivée et sensible, un peu exaltée, Anna, qui a du mariage une conception idéaliste et pure. Mariée avec un vieil ami de la famille, le Prince Prozorski, un célibataire endurci et débauché, dont elle est amoureuse et qu'elle idéalise, elle va vite déchanter. Le Prince ne s'intéresse à elle que pour l'acte sexuel. Il admire sa beauté et la considère comme un objet de plaisir mais refuse tout partage intellectuel ou spirituel. Il méprise son travail de peintre dans lequel elle met toute son âme. Ses lectures, ses pensées lui sont totalement inconnues. Il se soucie peu de ses sentiments, ne manifeste aucune tendresse envers elle et même envers ses enfants qui lui sont indifférents en dehors du fait qu'ils perpétuent son nom. La rencontre avec son voisin, peintre lui aussi, avec qui elle peut avoir un échange intellectuel et tendre, lui prouve que tous les hommes ne sont pas comme son mari. Cependant, elle met tout son honneur à rester fidèle à son mariage. Le prince, fou de jalousie, ne veut pas croire à son innocence et la tue.
L'habileté de Sofia Tolstoï est de répondre à son mari en créant un récit semblable à celui de La Sonate à Kreutzer  mais raconté du point de vue de la femme.
La thèse qui répond à celle de Léon Tolstoï est la suivante: si les hommes considéraient leur femme comme un être humain et non comme un objet sexuel et acceptaient d'avoir d'autres échanges avec elle, le mariage ne serait pas un échec. A qui la faute, donc?
"Cette façon tendre et désintéressée de se comporter avec une femme était la seule qui pût apporter le bonheur absolu dans sa vie"
Chacune des particularités du récit de La Sonate à Kreutzer est reprise mais transposée : à la rencontre avec le musicien correspond celle du peintre qui dans les deux cas permet une entente intellectuelle et spirituelle. A l'indifférence du mari envers les maladies des enfants, Sofia oppose l'inquiétude de la mère, les nuits sans sommeil, la peur de la mort. A l'obligation de l'allaitement exigé par le mari de La Sonate à Kreutzer (et donc par Tolstoï lui-même) répond le regard que jette Anna dans sa glace qui lui renvoie un image d'elle négligée avec un vieux corsage trop large, des cheveux en désordre. A l'obligation de la procréation comme justification des rapports sexuels correspond la libération d'Anna quand une femme médecin lui donne des conseils pour ne plus avoir d'enfant. Quand on pense que Sofia a eu treize enfants de son mari (dont cinq ont disparu en bas âge) et que Léon Tolstoï est mort loin d'elle en refusant de la revoir, on comprend qu'elle sait de quoi elle parle!
L'analyse des sentiments féminins est bien menée et subtile et si Sofia n'est pas un écrivain à la mesure de Léon Tolstoï, son récit ne manque pas de finesse dans l'étude psychologique complexe qui refuse tout manichéisme et dans la construction du récit.

capture-d_ecran-2010-05-27-a-10-14-261.1281609365.pngMerci à Dialogues croisés et aux éditions des Syrtes pour l'envoi de ce livre qui paraîtra le 19 août 2010
Article de mon ancien blog

dimanche 7 août 2011

George Sand : Mauprat


 Caspar David Friedich

 Quand on lit George Sand, on a toujours l'impression de la redécouvrir tant les genres qu'elle explore sont différents. Avec Mauprat, nous sommes en plein romantisme, un roman gothique avec une histoire d'amour et de mise à l'épreuve, des nobles sinistres perpétrant leurs méfaits derrière les fortifications de leur château, des brigandages, des meurtres... L'intrigue complexe est celle d'un  feuilleton, les méchants que l'on espérait morts resurgissent au moment où on les avait un peu oubliés pour faire le mal, l'héroïne échappe de peu à la mort, le héros est injustement accusé d'un crime. Bref! l'aventure est au rendez-vous et c'est ainsi que le livre peut-être lu au premier degré, ce qui est très plaisant!

L'intrigue :

Bernard Mauprat, après la mort de ses parents, est confié, tout jeune à son grand père,Tristan, de la branche aînée des Mauprat surnommée Coupe-jarret, un vieillard qui, avec ses huit fils, fait régner la terreur dans la région de La Varenne, aux confins La Marche et du Berry. L'enfant est élevé au château de la Roche-Mauprat par Tristan et ses oncles, cruels et impitoyables, en particulier l'aîné, le perfide Jean de Mauprat. Il y subit des sévices tout en s'endurcissant au mal, assistant aux rapines de ses oncles, à leurs exactions de toutes sortes, tortures, crimes, viols. C'est en vain que son grand oncle, l'honorable Hubert de Mauprat de la branche cadette qui n'a qu'un seule fille essaie de le soustraire à cette néfaste influence pour en faire son fils adoptif. Bernard grandit, devient complice de brigandage, de pillage mais refuse la cruauté des Mauprat Coupe-Jarret lorsqu'elle s'exerce sur des femmes et des enfants. Il a dix-sept ans lorsque sa cousine Edmée qui s'est perdue dans la forêt est amenée prisonnière au château. Bernard tombe amoureux  de sa cousine et  décide de la sauver en s'échappant avec elle mais il lui fait promettre qu'elle n'appartiendra jamais à un autre homme que lui. Commence alors une nouvelle vie chez son grand oncle Hubert de Mauprat, commencent alors l'apprentissage de la civilisation... et la découverte du véritable amour!


Récit d'aventures, Mauprat est aussi un roman où l'on retrouve  tous les thèmes sérieux chers à l'écrivain.
George Sand écrit ce livre au moment où elle se sépare de son mari, un moment douloureux où elle a tout loisir de réfléchir à ce que doit être la base d'un mariage solide. C'est ce qui explique son envie de peindre un amour exclusif, éternel et fidèle avant, pendant et après le mariage.. Elle s'élève ainsi contre la société qui rabaisse cette institution sacrée (le mariage), en l'assimilant à un contrat d'intérêts matériels. (Préface 1851)
L'histoire d'amour entre Edmée et Bernard rappelle celle du roman courtois. Le héros est mis à l'épreuve pendant  sept ans  avant de mériter sa bien-aimée. Comme dans un roman chevaleresque, le héros doit gagner le coeur de la femme qu'il aime, dominer ses pulsions et ses instincts même si les exploits qui lui sont demandés sont d'un tout autre ordre que ceux d'un chevalier du Moyen-âge. Bernard doit surmonter des difficultés adaptées à son époque. Il devra, par exemple, accepter d'apprendre à lire et à écrire, il lui faudra se cultiver en fréquentant les philosophes des Lumières et acquérir les manières d'un homme du monde. Il découvrira aussi que la femme n'est pas un objet sexuel, qu'elle a droit au respect et que l'amour véritable se fonde sur l'estime et la tendresse. George Sand aborde ici le thème de l'éducation mais, si elle est rousseauiste et admire l'Emile, contrairement à Rousseau, elle est persuadée que l'homme n'est pas naturellement bon et que l'éducation a une fonction civilisatrice. Ce n'est d'ailleurs pas sans difficulté que Bernard parviendra à s'élever.

Le roman présente aussi un aspect documentaire très intéressant. Le récit est raconté par Bernard de Mauprat alors qu'il a quatre-vingts ans à un jeune narrateur.  Le personnage parle d'une période qui se situe avant la révolution. On y voit se dérouler des évènements historiques, Bernard part rejoindre La Fayette dans la lutte pour l'Indépendance américaine. On y sent le souffle des idées nouvelles, la montée de la tempête qui va ébranler le royaume de France :

Le pauvre a assez souffert; il se tournera contre le riche, et les châteaux tomberont, et les têtes seront dépecées. Je ne verrai pas cela, mais vous le verrez; il y aura dix chaumières à la place de ce parc, et dix familles y vivront de son revenu,  dit le paysan Patience dans une vision prophétique.

 George Sand décrit donc les moeurs d'une époque révolue et elle peut noter les évolutions des mentalités par rapport à 1836, date de parution du roman. Elle peint trois types de nobles de province.

 Les Mauprat Coupe-jarrets, race de ces petits tyrans féodaux dont la France avait été couverte et infestée pendant tant de siècles. La civilisation, qui marchait rapidement vers la grande convulsion révolutionnaire, effaçait de plus en plus ces exactions et ces brigandages...

Hubert de Mauprat a une haute conception du rôle du noble basé sur l'honneur et la justice mais  il est imbu de sa classe et  plein de préjugés de caste.

Enfin Edmée et plus tard Bernard de Mauprat influencé par les idées philosophiques, représentent tous deux une noblesse débarrassée de son orgueil ancestral et partisane d'une société plus juste. George Sand prône dans ce roman des idées égalitaires qui sont portées par les deux jeunes gens. Ainsi ils éprouvent un grand respect et un profond sympathie pour Patience, un vieux paysan illettré mais d'une extrême intelligence, véritable philosophe du peuple, qui défend les idées révolutionnaires et annonce la fin d'une noblesse qui écrase  le faible.  Ils mettront d'ailleurs leurs actes en accord avec leurs idées.
Mais ce qui m'a le plus étonnée dans ce roman, c'est la virulence de Sand (elle qui est si croyante) envers l'Eglise catholique. Un des personnages principaux est le curé de Briantes, ami de Patience et d'Edmée,  accusé de jansénisme, ouvert aux idées philosophiques et persécuté pour ces raisons par le clergé. Le personnage dénonce l'hypocrisie religieuse des moines trappistes. Leur  prieur, sous couvert de générosité et de charité chrétienne, est avant tout attiré par l'appât du gain et prend le parti de Jean de Mauprat, sorte de Tartuffe, qui feint  de se convertir pour arriver à ses fins. Le ton de la critique est à la  hauteur du pamphlet et possède une violence corrosive. Il est vrai que Sand prête ces mots à l'abbé janséniste mais comme nous savons que sa sympathie lui est acquise, la critique n'en est pas moins mordante.

C'est là le caractère indélébile du clergé catholique. Il ne saurait vivre sans faire la guerre aux familles et sans épier tous les moyens de les spolier.
Il est même possible que Jean de Mauprat soit dévot. Rien ne sied mieux à un pareil caractère que certaines nuances de l'esprit catholique. L'inquisition est l'âme de l'Eglise, et l'inquisition doit sourire à Jean de Mauprat.

Critique qui n'a d'égale  que celle qui concerne la justice
Les mots de probité et intégrité résonnent depuis des siècles sur les murs endurcis des prétoires, sans empêcher les prévaricateurs et les arrêts iniques.

Et pour conclure en quelques mots : vous l'aurez compris, j'ai adoré ce livre!



Challenge de George

Voir le billet de George ici

Et celui de Titine ici 

Sophia de Mello Breyner : Les roses


 Georgia 0'Keefe Abstraction white rose

Ce poème est extrait de l'anthologie Malgré les Ruines et la Mort  de Sophia Mello de Breyner,  poète portugaise, parue aux Editions de la Différence.


Lorsque le nuit j'effeuille et mords les roses
C'est comme si je tenais entre mes dents
Le clair de lune des nuits transparentes,
L'éclat des après midi lumineuses,
Le vent baladin du printemps,
La douceur amère des couchants
Et l'exaltation de toutes les attentes.

 

Les compagnons Troubadours du dimanche de Bookworm :
Alex : Mot-à-mots Alinea66 : Des Livres… Des Histoires…Anne : Des mots et des notes, Azilis : Azi lis, Cagire : Orion fleur de carotte, Chrys : Le journal de Chrys, Ckankonvaou : Ckankonvaou, Claudialucia : Ma librairie, Daniel : Fattorius, Edelwe : Lectures et farfafouilles, Emmyne : A lire au pays des merveilles, Ferocias : Les peuples du soleil, George : Les livres de George, Hambre : Hambreellie, Herisson08 : Délivrer des livres?, Hilde : Le Livroblog d’Hilde , Katell : Chatperlipopette, L’Ogresse de Paris : L’Ogresse de Paris, L’or des chambres : L’Or des Chambres, La plume et la page : La plume et la page, Lystig : L’Oiseau-Lyre (ou l’Oiseau-Lire), Mango : Liratouva, MyrtilleD : Les trucs de Myrtille, Naolou : Les lectures de Naolou,Oh ! Océane !, Pascale : Mot à mot, Sophie : Les livres de Sophie, Wens : En effeuillant le chrysanthème, Yueyin : Chroniques de lectures Océane :
 

samedi 6 août 2011

Les Plumes de l'été chez Asphodèle


 Asphodèle source de l'image


Je participe aujourd'hui au jeu  les plumes de l'été  du blog Les livres du jardin d'Asphodèle. 

Les consignes donnée par Asphodèle : 

Voici les mots que nous allons devoir placer dans notre texte pour samedi.
Encore une belle fournée… j’attends impatiemment les petits pains tout chauds qui vont sortir du four!
Les 13 mots récoltés : élixir – estival – évanescent(e) – émeraude – évanoui(e) – étincelle -élégie – écrevisse – éléphant – excédé(e) – éventail – étreinte – eucalyptus.
Bonne semaine à tous, merci de votre fidélité et de votre assiduité… et à vos plumes !

 Canicule

L'ombre émeraude de l'Eucalyptus semble évanescente dans le bleu estival du ciel.
La cigale chante son élégie quotidienne, la chaleur, comme un  éléphant d'Asie, nous écrase.
 Elle nous tient prisonniers de son implacable étreinte
Ecrevisses, nous buvons l'élixir de l'été, excédées par un trop plein de sensations et d'odeurs,
mais goûtant pourtant cet éventail de couleurs semblable à une palette de peintre chaude et dorée, éblouis par ces étincelles pailletées qui dansent autour de nous. Nous sombrons dans une langueur monotone, presque évanouis au monde qui nous entoure, torpeur qu'interrompt parfois un léger souffle de vent.


Xavier Müller : Dans la peau d'un autre



Xavier Müller, docteur es sciences et journaliste scientifique, part d'une découverte récente, celle des neurones miroirs pour créer la trame de son roman Dans la peau d'un autre..

 Maxence Lance est un brillant étudiant en sciences. Un avenir plein de promesses l'attend quand il est admis dans le prestigieux laboratoire de sciences cognitives du professeur Gamblin pour un stage de quatre mois sur les neurones miroirs qui viennent d'être découverts chez le rat .
Maxence s'est spécialisé dans l'hypnose, discipline longtemps taxée de charlatanisme mais dont l'efficacité thérapeutique qui n'est plus à prouver intéresse à présent la médecine. Cependant, pour gagner sa vie, Maxence donne des spectacles d'hypnose dans un cabaret. A l'issue d'une de ses séances, un voile noir s'abat sur ses yeux et il se retrouve, dix ans plus tard, dans la peau d'un autre... Quand il découvre que cet autre est Philippe Mahieu, éminent chercheur sur le point de découvrir du nouveau sur les neurones miroirs en liaison avec l'hypnose, notre héros endosse volontiers sa nouvelle personnalité!

Alors, qu'est-ce que les neurones miroirs et faut-il être docteur es sciences pour comprendre l'intrigue? Rassurez-vous, Xavier Müller nous en donne une définition simple et limpide qui permet à tout Candide de pénétrer dans l'histoire non seulement sans difficulté mais avec intérêt.

 Comparativement aux types standard de neurones, ils ( les neurones miroirs) avaient la particularité d'être activés lorsqu'un rat réalisait une tâche, comme s'orienter dans un labyrinthe, mais aussi lorsqu'il la voyait exécutée par un congénère. Les neurones miroirs avaient appris aux chercheurs que réaliser une action et être témoin de la même action pouvaient être similaires du point de vue du cerveau. Mon prof nous avait gratifiés d'une phrase qui était restée gravée dans ma mémoire : " Les neurones miroirs montrent que s'imaginer, c'est faire". Un ou deux ans après les expériences avec les rats, des neurones miroirs avaient été identifiés chez l'homme.

L'auteur va exploiter ce fait scientifique très sérieux pour nous raconter une histoire absolument déroutante avec maintes surprises, rebondissements spectaculaires, lançant le lecteur sur de fausses spéculations pour mieux le dérouter, le récupérer au tournant et l'envoyer enfin sur une autre piste. Car, on peut le dire, Xavier Müller ne manque pas d'imagination! Le roman est donc un thriller mais d'un genre un peu particulier puisqu'il exploite les ressources de la science-fiction.

Personnellement, j'ai été très intéressée par toute la partie réaliste du roman, le travail dans un laboratoire, les difficultés des chercheurs qui perdent leur temps à chercher des sponsors au lieu de pouvoir se consacrer à la recherche, le couperet toujours prêt à s'abattre sur eux s'ils n'ont pas les résultats escomptés. Tout ce qui concerne la neurobiologie - et ceci d'autant plus que je ne suis pas scientifique- éveille mon imagination et me paraît déjà en soi un merveilleux mystère, porteur de tous les possibles. J'étais prête à me passionner pour tout ce que la découverte des neurones miroirs permet d'imaginer d'un point de vue romanesque au niveau de l'apprentissage, du mécanisme de la violence ou du phénomène de l'empathie ou ... Je m'attendais à de la science fiction, certes, mais qui respecte la vraisemblance scientifique! Il n'en est rien. Il s'agit d'un thriller et c'est une toute autre voie que nous fait emprunter Xavier Müller, ce qui m'a déçue!

Alors? Alors il faut faire fi de la vraisemblance et se laisser emporter par toutes ces aventures rocambolesques et par l'imagination sans bornes de Xavier Müller. Les amateurs du genre seront servis... et copieusement. Il ne faut pas essayer de trouver des personnages ayant une épaisseur et dans lesquels on pourrait croire. Une des femmes, Béatrice, dont Maxence-Philippe tombe subitement amoureux alors qu'il a toujours aimé Andréa, chercheuse comme lui, me paraît psychologiquement très invraisemblable et rajoutée pour le besoin de l'intrigue. Mais le roman se lit volontiers et procure un bon moment de détente.

Ajoutons que Wikipédia consacre un article aux neurones miroirs.  Vous pouvez  lire 
aussi  un article critique dans ce blog consacré à la science-fiction à travers les thèmes qu'elle aborde..


 
Merci à Newbooks et à Ys 
Merci aussi  à Books XO Editions, une édition qui publie des livres avec le soutien des internautes.

vendredi 5 août 2011

La Muette de Chahdortt Djavan



 La Muette raconte sans fioritures, ni pathos, le sort des femmes en Iran quand elles ne se plient pas aux règles imposées par un pouvoir religieux totalitaire.
Le récit est raconté par une jeune fille de quinze ans et nous donne un choc dès le début : "J'ai quinze ans, je m'appelle Fatemeh mais je n'aime pas mon prénom. Je vais être pendue bientôt".
En prison, en attendant la mort, elle raconte dans un petit cahier qu'un gardien compatissant lui a donné, comment sa tante, la Muette, a été condamnée à la lapidation pour s'être donnée à l'homme qu'elle aimait. Pour éviter cette mort horrible, le père de Fatemeh, frère de la Muette, donne  sa propre fille en mariage au mollah, un vieil homme concupiscent, qui accepte d'intervenir pour commuer la lapidation en pendaison. Fatemeh n'a que 13 ans, elle va être violée par le vieillard, privée de liberté, de livres, d'études, transformée en esclave et bientôt mère d'une enfant dont elle hait le père. Sans appui, sans soutien, elle ne peut se libérer que par un geste horrible qui la fera condamnée à mort.
Le style de Chahdortt Djavann se refuse à tout sentimentalisme. Epuré, sobre, il n'a pas besoin d'effet pour atteindre son but. J'admire cette femme, écrivain, et ses propos courageux et lucides.

7 mai , 2007  Chahdortt Djavann : 

"On peut aujourd’hui mesurer la perversité du double langage auquel ont recours les islamistes pour défendre l’oppression des femmes au nom de la liberté individuelle et la barbarie religieuse au nom de la liberté culturelle.
Hani Ramadan, le frère de Tarik Ramadan, qui défend officiellement la lapidation des femmes et l’exécution des homosexuels au nom de la charia, a été invité à l’UNESCO, le dimanche 18 janvier (2004), pour défendre ses idées, dans le cadre d’un colloque sur la laïcité et la démocratie.
Bien entendu, il devait débattre avec quelques intellectuels français. Ainsi se trouve porté à son comble l’escroquerie intellectuelle qui consiste à débattre avec les apologistes de la torture et de l’assassinat, à banaliser l’horreur, comme si la liberté était la liberté de tout faire, comme si le fascisme et la défense de la lapidation étaient une opinion.
Je suis véhémente, j’ai la rage au cœur et je n’arrive pas à comprendre qu’on accepte de débattre ” démocratiquement ” avec les islamistes qui défendent au nom des lois d’Allah les images de la barbarie institutionnelle."

26 Mai 2007 Chahdortt Djavann

"Dans tous les systèmes les plus barbares, on voile les femmes. Pourquoi le supporte-t-on [en Europe]? Parce qu’il s’agit de femmes et de musulmanes. Au nom de la différence culturelle ? Pourquoi ne pas accepter la lapidation et l’excision en ce cas ? Dans tous les pays musulmans, il y a des mariages de jeunes mineures avec des messieurs vieillissants. C’est une différence culturelle, n’est-ce pas ? Mais ici elle est considérée comme un délit : la pédophilie. Qu’en pensent ces intellectuels et les islamologues ?"

Article de mon ancien blog

jeudi 4 août 2011

Christian Bobin : Le surgissement de l’écriture

 


Photo Edouard Boubat


Tout peut provoquer le surgissement de l'écriture - une perte, une joie, les ombres chinoises de la mémoire, une baleine blanche, la guerre de Troie, une odeur de lilas, mais le sujet réel des livres, leur sujet unique, c'est le lecteur à l'instant où il lit et le bouleversement qui lui vient de cette lecture, comme des retrouvailles de soi avec soi.


 Avec Chiffonnette

lundi 1 août 2011

Départ en Lozère!


Je pars là-bas pour quelques jours d'où un ralentissement de mon blog. Mais je publierai mes lectures communes et je viendrai vous voir de temps à autre! A bientôt!

David Mitchell : cartographie des nuages,

 

J'ai beaucoup aimé le livre de David Mitchell, Cartographie des nuages paru aux éditions de l'Olivier, si curieux par la construction et intéressant au niveau du récit qui fait s'entrecroiser plusieurs vies à des époques différentes.

Le protagoniste d'une des histoires, musicien, compose "un sextuor de solistes empiétant les uns sur les autres " : piano, clarinette, violoncelle, flûte, hautbois, violon;".
Ce qu'il en dit résume bien la construction de ce livre : " Dans le premier mouvement, chaque solo est coupé par le suivant; dans le second, les soli reprennent successivement là où ils se sont interrompus."
Effectivement il y a six histoires dans ce livre, six vies qui s'interrompent pour laisser place a une autre avant d'être reprises par la suite. "Véritable révolution ou simple procédé?" s'interroge l'artiste. Je ne saurais le dire mais en tous cas c'est une réussite.
"Chaque instrument parle une langue définie par une clé, gamme et couleur." ajoute le musicien.
Ce qui est remarquable, en effet, c'est que chaque récit est comme une partition qui changerait de style selon le personnage, le siècle dans laquelle il vit, la destinée qu'il affronte. Chacun a une tonalité qui lui est propre, triste ou nostalgique, cruelle ou âpre, humoristique, férocement satirique, chacun est un prétexte a explorer une époque, à en saisir l'essence, en montrer les faiblesses, dénoncer les horreurs. Brillantes variations selon qu'il s'agit d'une femme ou d'un homme, d'une personne âgée ou jeune, de notre passé lointain ou récent, de notre présent ou de notre futur car David Mitchell s'essaie aussi à la science-fiction dans deux des récits. On s'intéresse aux personnages, on peut s'identifier à certains d'entre eux ou en rejeter d'autres selon notre sympathie pour eux car les récits sont prenants.
Piano : Adam Ewing rédige le journal de sa traversée du Pacifique. C'est un homme de loi américain, honnête et scrupuleux, bon croyant. Il manifeste parfois les préjugés de sa classe sociale et de sa religion mais son humanité, l'intérêt qu'il porte aux autres y compris aux indigènes des pays qu'il visite (nous sommes en Nouvelle-Zélande dans l'archipel de Chatham) le rendent sympathique. Nous sommes au XIXème siècle, colonisation, asservissement des races au nom de la religion et de la prétendue supériorité des blancs.
Clarinette : Robert Frobisher, rejeton d'une bonne famille anglaise, déshérité par son père, se met au service du grand compositeur Vivyan Ayrs trop malade pour continuer à composer. Du château Zedelghem en Flandre il écrit à son ami Sixsmith des lettres datées de 1931. Rapports humains qui se fondent sur l'appartenance à une classe sociale et la fortune. Exalté, sans scrupules, cynique, voleur, il voue à la musique une passion qui le consume et qui représente ce qu'il a de mieux en lui. L'art paraît être la seule porte de sortie.
Violoncelle : Luisa Rey, journaliste américaine, idéaliste et courageuse, risque sa vie pour déjouer un complot nucléaire dans les années 70 en Californie. Le récit montre la corruption du pouvoir qui n'hésite pas à sacrifier les êtres humains à l'argent et au profit.
Flûte : Timoty Cavendish vit dans un présent qui nous ressemble où les "vieux" sont enfermés dans des maisons de retraite, antichambres de la mort. Début inquiétant d'une déshumanisation, solitude.
Hautbois : Somni-451 est une clone. Dans la dictature où elle vit les clones sont des esclaves au service des Sangs-Purs. La liberté individuelle est niée. La science sans conscience a créé une société sans espoir qui fonctionne à la manière du nazisme en éliminant ce qu'il y a d'humain dans l'Homme.
Violon : Zachary, est un survivant de cette civilisation, dans un futur encore plus lointain, après la Chute c'est à dire après la destruction de la civilisation de Somni. C'est le retour à une forme de barbarie où prévaut la loi du plus fort dans une civilisation éclatée qui porte encore des traces de l'ancienne. Pourtant, la solidarité possible entre les peuples, est un léger espoir dans la survie de l'Humanité.
La langue parlée évolue avec les époques et il faut saluer la vive imagination et le style protéiforme de David Mitchell qui parvient même à créer un langage du futur, contemporain de Somni, et un autre contemporain de Zachary, ce dernier n'étant qu'une corruption de la langue parlée à l'époque de Somni.
Ingénieux aussi comment ces récits se transmettent de l'un à l'autre malgré l'éloignement dans les siècles et comment les personnages sont reliés entre eux par un fil qui assure la cohésion de l'ensemble.

dimanche 31 juillet 2011

Goethe : Ballades et autres poèmes : Le roi des Aulnes

 René Baumer

Le roi des Aulnes est une des plus célèbres ballades de Goethe. En voici un traduction de  Jean Malaplate tirée du livre Ballades et autres poèmes  aux éditions Aubier, Domaine Allemand bilingue


Qui passe à cheval, dans la nuit, le vent,
Si tard? C'est le père avec son enfant.
Il serre son fils dans son grand manteau,
Pour le protéger, pour lui tenir chaud.

-As-tu peur mon fils? Pourquoi te cacher?
-Le Roi des Aulnes, là, le vois-tu s'approcher?
Le Roi, sa couronne, et sa traîne aussi!
-C'est la brume, enfant, qui se tord ainsi.

-Viens, mon bel enfant, suis-moi, si tu veux,
Je sais tant de jeux, de jeux merveilleux!
Mille belles fleurs croissent sur nos bords,
Ma mère a pour toi des vêtements d'or!

-Mon père, oh, mon père, tu n'entends donc pas
Tout ce que le roi me promet tout bas?
-Calme-toi, mon fils, sois tranquille, enfant :
Dans les feuilles mortes murmure le vent.

-Viens, mon beau garçon, suis-moi loin, bien loin,
Mes filles de toi sauront prendre soin,
Mes filles, la nuit, qui dansent en rond,
Pour toi chanteront et t'endormiront.

 -Mon père, mon père, là tu dois les voir,
Les filles du roi, dans ce coin tout noir!
Je vois bien, ce sont seulement, mon fils
Les ombres que font les vieux saules gris.

-Je t'aime, ta beauté me donne envie de toi,
Viens, où je te prends de force avec moi!
-Mon père, il m'a saisi, oh! mon père, il me prend!
Le roi des Aulnes m'a fait du mal à présent.

Le père presse alors son cheval; il frémit,
Il étreint dans ses bras le garçon qui gémit,
Parvient au logis, d'un ultime effort;
L'enfant dans ses bras... l'enfant était mort.



Les compagnons Troubadours du dimanche de Bookworm :
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Alain Fournier, Le Grand Meaulnes


Voici la réponse au dernier jeu de l'été : Aifelle et Wens ont trouvé le nom de l'auteur Alain Fournier et le titre Le Grand Meaulnes.

Pour vous présenter ce roman, je vous invite à aller lire le blog de  Cathou

Pseudonyme de Henri Fournier, romancier français né  le 3 octobre 1886 à La Chapelle d'Angillon dans le cher, aux confins du Berry et de la Sologne. Ses parents sont instituteurs à Epineuil le Fleuriel. Au lycée Lakanal près de Paris, il  se lie d'amitié, avec son condisciple Jacques Rivière, avec lequel il entretint, de 1905 à 1914 une "Correspondance" qui apporte un intéressant témoignage sur la sensibilité littéraire au début du siècle.

En 1913, il publia son unique roman, "le Grand Meaulnes", récit très autobiographique qu'il avait conçu dès 1902, mais dont il ne put connaître le succès car il fut tué au front le 22 septembre 1914. Lire la suite

 
et le blog de  Caro
 
  En 189*,  dans le Cher, François Seurel vit une existence paisible. Fils de l'intituteur, ses journées sont rythmées par l'école, le lecture le soir au coin du feu, les promenades dans la campagne brumeuse. Un jour, Augustin Meaulnes, bientôt surnommé "le grand Meaulnes", débarque pour faire ses études aux côtés des autres étudiants. La vie de François va en être totalement chamboulée. Meaulnes prend le jeune garçon sous son aile et en peu de temps devient la coqueluche de l'école communale
   Un jour, Meaulnes ne se présente pas en classe. Il réapparaît trois jours plus tard et semble avoir bien changé. Il confie alors à son ami François avoir participé à une étrange fête dans un vieux château en ruines. Là-bas, il a fait la connaissance d'une jeune femme dont il est tombé éperdument amoureux. Il n'aura alors de cesse, avec François, de retrouver cet étrange et délicieux "Domaine" qui semble avoir été oublié de tous.

Quel étrange et envoûtant roman que Le grand Meaulnes. Un classique jamais lu pour ma part et qui m'a laissée songeuse. Lire la suite ici
 
 

samedi 30 juillet 2011

Jane Harris, La servante insoumise, Editions du Seuil


Le roman La servante insoumise commence comme un livre de l'époque victorienne. L'on y voit une jeune fille en robe jaune fuir on ne sait quel danger pour aller à la grande ville, ici de Glasgow à Edimbourg. On pense à La dame en blanc de Collins! On s'attend  avec cette sorte de roman, à plonger en plein mystère à la suite de l'héroïne, poursuivie par le malheur, persécutée par de machiavéliques ennemis. Et on n'a pas tort!
Nous sommes en 1863, Bessy Buckley quitte Glasgow pour aller trouver du travail à Edimbourg. En chemin, elle s'arrête dans un château fort délabré où elle se fait engager sur l'heure comme servante par la maîtresse du domaine, Arabella Reid. Deux femmes dans un huis clos partiel dont la confrontation mènera au drame!
Bessy Buckley est bien secrète! Pourquoi ment-elle sans arrêt et en particulier lorsqu'elle doit parler de sa mère? Que fuit-elle? que cache son passé dont elle ne veut pas parler?
Arabella est une femme bizarre, elle s'est mise en tête d'éduquer ses servantes en leur apprenant à écrire, elle consigne des remarques dans un mystérieux livre qu'elle tient secret et son attitude et son caractère sont assez fantasques. De plus, elle paraît poursuivie par le souvenir d'une servante, Nora, retrouvée morte, écrasée par un train. Bessy n'aura de cesse de savoir le secret de sa maîtresse qu'elle chérit et vénère mais ce qu'elle va découvrir fera d'elle une servante insoumise.

Les personnage sont passionnants et complexes et le lecteur ira de surprises en surprises en  découvrant la vérité sur les deux jeunes femmes. En effet, les héroïnes ne sont pas ce que l'on attend d'un roman victorien!  Jane Harris est bien de notre temps et si elle emprunte les codes de ce genre romanesque, c'est pour mieux les détourner et ceci pour notre plus grande joie! Les "méchants" le sont à part entière comme dans un roman de Collins ou de Braddon mais Jane Harris montre les racines du mal en nous donnant une vision sociale et critique de la société de cette époque. Elle décrit pour nous la vie des misérables, des femmes qui prostituent leurs filles, des "nobles" vieillards qui abusent des enfants, des pasteurs dévots qui se révèlent hypocrites et libidineux, entrant ainsi dans des détails indignes de la bienséance victorienne qui aurait fait interdire son roman à l'époque avant parution! La plume de l'écrivain n'épargne personne et les portraits-charges qu'elle brosse sont vigoureux, sans concession et écrits d'une plume acérée qui appelle un chat un chat! C'est un des grands intérêts du roman qui nous apparaît très documenté et solide sur le plan historique quand il s'agit de peindre la vie des humbles dans cette période. L'intrigue, de plus, nous mène sur plusieurs pistes à la découverte de plusieurs secrets. Elle ménage à la fois un suspense policier et psychologique et  nous réserve bien des rebondissements.

Le roman est écrit par Bessy âgée et, dès le début, le style de la servante est un curieux mélange entre une langue raffinée et le parler populaire. Bessy est amoureuse des mots et cultive ceux qui sont savants depuis son enfance mais elle a aussi le franc parler, voire la vulgarité des filles du peuple ce qui crée un cocktail détonant, savoureux et plein d'humour.

Cela donne ceci :
Le paysage était désormais sinistre et défiguré. Contre le ciel d'hiver quelques arbres noirs se détachaient, dénudés, décharnés et courbés par le vent. La brume roulait sur le sol telles des volutes de fumée et une odeur de brûlé flottait dans l'air.

et le paragraphe suivant, cela :
A quoi est-ce qu'elle pensait le pif au vent? Elle devait penser, la sale chipie, au moyen de se fourrer encore plus dans les petits papiers d'Arabella. Et j'aurais pas été étonnée qu'elle ait trottiné en disant ses prières, cette fichue grenouille de bénitier.

La servante insoumise ou le plaisir de lire!

Arnaldur Indridason : L'homme du lac



 De qui est-ce? Ce petit jeu de l'été a été initié par  Mango et repris à sa demande dans mon blog.

Ce jeu de qui est-ce? - juste pour le fun- consiste tout simplement à retrouver l'auteur et le titre du roman célèbre dont je présente un extrait. Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) et me laisser des indices dans les commentaires sans révéler l'auteur, indices qui me permettront de savoir si vous avez vu juste et d'aider ceux qui ne savent pas.
Nouvelle énigme (11)

Un roman devenu un classique, un roman qui a enchanté notre adolescence.

Dès le petit jour, il se reprit à marcher. Mais son genou enflé lui faisait mal ; il lui fallait s'arrêter et s'asseoir à chaque moment tant la douleur était vive. L'endroit où il se trouvait était d'ailleurs le plus désolé de la Sologne. De toute la matinée, il ne vit qu'une bergère, à l'horizon, qui ramenait son troupeau. Il eut beau la héler, essayer de courir, elle disparut sans l'entendre.

Il continua cependant de marcher dans sa direction, avec une désolante lenteur... Pas un toit, pas une âme. Pas même le cri d'un courlis dans les roseaux des marais. Et, sur cette solitude parfaite, brillait un soleil de décembre, clair et glacial.

Il pouvait être trois heures de l'après-midi lorsqu'il aperçut enfin, au-dessus d'un bois de sapins, la flèche d'une tourelle grise.



Réponse à l'énigme(10)
L'homme du lac.


Aifelle, Wens et Mazel  ont trouvé : il s'agit bien de l'écrivain islandais Arnaldur  Indridason. Le roman est L'homme du lac.
"En juin 2000, un tremblement de terre provoque un changement du niveau des eaux du lac de Kleifarvata et découvre un squelette lesté par un émetteur radio portant des inscriptions en caractères cyrilliques à demi effacées. Le commissaire Erlandur et son équipe s'intéressent alors aux disparitions non élucidées dans les années 60, ce qui conduit l'enquête vers les ambassades des pays de l'ex-bloc communiste et les étudiants islandais des jeunesses socialistes boursiers en Allemagne de l'Est pendant la guerre froide. Tous ces jeunes gens sont revenus du pays frère brisés par la découverte de l'absurdité d'un système qui, pour faire le bonheur du peuple, jugeait nécessaire de le surveiller constamment". (extrait 4e de couverture)
Je vous propose d'aller lire l'avis de Aifelle :
C'est le quatrième volume de la série, j'ai lu les trois précédents et celui-ci m'a procuré le même plaisir. J'aime Erlandur et sa vie cabossée, je m'intéresse autant à ses déboires personnels qu'à ses enquêtes. Cette fois-ci, Eva Lind, sa fille est peu présente... Lire la suite

 

vendredi 29 juillet 2011

Arnaldur Indridason : Hypothermie


J'aime les romans d'Arnaldur d'Indridason, écrivain islandais né à Reikjavik. C'est même, je crois, mon préféré parmi les écrivains "venus du Nord", selon l'expression consacrée, depuis que j'ai lu La dame en vert.
Hypothermie raconte une enquête du commissaire Erlendur. Ici, pourtant, ce n'est pas sur un meurtre, du moins en apparence, mais sur un suicide qu'enquête Erlendur. Maria, une jeune femme, épouse du médecin Baldvin, fragilisée par la mort de sa mère Eléonore, est retrouvée pendue, dans son châlet d'été sur les bords du lac Thingvellir. L'affaire est classée mais Erlendur continue ses recherches car  Karen, une amie de Maria,  lui apporte la preuve que la jeune femme, très attirée par l'idée de la vie après la mort, est allée consulter un médium avant son suicide et que le passé de la jeune femme et son entourage, en particulier son mari, sont loin d'être aussi clairs que ce qu'ils paraissent l'être!
Parallèlement, Erlendur, reçoit la visite d'un vieil homme qui se sait mourant et qui le remercie de l'attention et de la gentillesse dont il à fait preuve envers lui depuis la disparition restée inexpliquée de son fils, David, il y a trente ans. Poussé par l'envie de donner une réponse à ce père qui n'a jamais cessé de souffrir, Erlendur rouvre le dossier de David, bientôt lié à celui d'une jeune fille nommée Gudrun.

Un récit complexe
L'intrigue du roman est complexe puisque Erlendur mène de front deux enquêtes qui, sans être liées sont enchevêtrées l'une dans l'autre et finissent même par se recouper. De plus, à l'intérieur de ces deux récits intervient l'histoire d'Erlendur lorsqu'il était enfant à la fois vécue par le principal protagoniste mais aussi reprise par un journaliste dans un livre qu'Erlendur lit à sa fille.

Un retour dans le passé et l'impossible oubli
Tous les romans d'Arnaldur Indridason présentent une intrigue qui trouve sa solution dans des évènements anciens et distille ainsi une nostalgie en demi-teintes, douce-amère, que nous partageons  avec les personnages pour qui l'oubli est impossible. Car les recherches entreprises par Erlendur sur la disparition de ces jeunes gens n'est pas une enquête mais une quête comme celle qu'il a toujours menée pour retrouver le corps de son petit frère, Bergur, disparu dans une tempête de neige et jamais retrouvé. C'est cette perte, ce sentiment de culpabilité aussi (il est vivant alors que Bergur est mort) qui expliquent la personnalité du policier.
-Parfois j'aimerais qu'il me laisse tranquille, qu'une journée entière passe sans qu'il vienne dans mes pensées.
- Et ça n'arrive jamais?
- Non, ça n'arrive jamais.

Le personnage d'Erlendur, d'aspect plutôt revêche à priori, gagne à être connu, un peu comme un ami qui ne se livre pas facilement, avec ses pudeurs, ses secrets. Il s'enrichit de roman en roman. Les rapports qu'il entretient avec sa fille Eva Lind et son fils Sindri évoluent. Dans Hypothermie, il parvient enfin, lui qui est incapable d'exprimer ses sentiments, à se rapprocher de sa fille, elle aussi, marquée douloureusement par le divorce ses parents et l'abandon de son père. Le père et la fille essaient chacun de faire un pas l'un vers l'autre malgré le mur dressé entre eux par la blessure originelle d'Erlendur. Les liens qui se créent avec Eva Lind sont très beaux et c'est un des aspects le plus passionnant du roman.

La présence d'un pays
Dans Hypothermie comme dans les autres romans, l'Islande a une présence très forte avec ses hivers plongés dans  la nuit propice aux suicides mais complice d'Erlendur :
L'obscurité et le froid ralentissait le passage du temps que le nuit couvrait d'un voile paisible
Et puis il y a ces lacs si nombreux et si beaux qui forment le paysage islandais, personnages eux aussi de l'action puisqu'ils président à la vie et à la mort de ceux qui leur font confiance : celui de Thingviller  ou celui d'Uxavatn ...
Fillette, elle écoutait le clapotis de l'eau, assise seule au bord du lac. Jeune femme, elle promenait son regard au loin à la surface, goûtant toute la beauté et la clarté qui en émanaient.

* Si l'on n'a pas encore lu Arnaldur Indridason, mieux vaut prendre les romans dans l'ordre pour mieux suivre l'évolution des personnages : La cité des jarres ; La dame en vert ; la voix ; l'homme du lacHiver arctique ; Hypothermie