Pages

dimanche 23 juillet 2023

Kim Tak-hwan : Les romans meurtriers

 

Note Historique de l’auteur (extrait)

Le roman que vous allez lire se déroule durant la seconde moitié du XVIIIè siècle, sous le règne de Jeongjo (1776-1800), 22è roi de la dynastie Yi, l'une des périodes les plus prospères de l'histoire de la Corée. C'est la "renaissance de Joseon", époque où le commerce fleurit, où de jeunes lettrés adeptes des sciences pratiques venues de Chine rêvent de rénover leur pays, où le roi fonde une bibliothèque afin d'y conserver les manuscrits royaux et les archives dynastiques, et met en place des réformes politiques et culturelles. Un grand nombre d'érudits réputés préconisent alors, dans leurs écrits progressistes, des réformes de l'agriculture et de l'industrie, mais très rares sont leurs principes qui finiront par être adoptés par le gouvernement. C'est aussi la période où la production littéraire passe du stade de la copie manuelle à la fabrication en masse par xylographie et où les romans deviennent accessibles au plus grand nombre. Mais le roi Jeongjo et son gouvernement les considèrent comme des écrits sans valeur et interdisent leur circulation. Aussi l'acte de se procurer un roman et de le lire est-il à l'époque un délit, ce qui ne réfrène en rien la curiosité et l'avidité des lecteurs.

Dans Les romans meurtriers de Kim Tak-hwan se croisent des personnages ayant réellement existé et des personnages fictifs comme Yi Meong-Bang, dosa de la Haute-Cour de Justice, chargé du bon fonctionnement des exécutions publiques.

C’est lui qui, âgé, raconte son histoire. Militaire, expert dans le maniement des armes et en particulier des fléchettes, il n’en est pas moins cultivé, admirateur des Lettres et du groupe de lettrés de l’école de Baektap, grand lecteur de romans, ce genre décrié, considéré comme vulgaire.

Il préside à l’exécution de Cheong Un-mong, autre personnage fictif, romancier le plus populaire de l’époque. Celui-ci est accusé de meurtres odieux en raison de la présence, à plusieurs reprises, sur la scène de crime, de livres qu’il a écrits et qui sont restées ouverts à une certaine page. Cheong a d’abord nié puis, après avoir lu les pages ouvertes de ses livres, il a reconnu sa culpabilité. Les romans meurtriers !

Et pourtant il n’est pas coupable ! D’ailleurs, les crimes continuent après sa mort ! Notre héros se rapproche de Un-beyong, le frère cadet du romancier et de Miryeong, sa soeur cadette pour enquêter et découvrir le vrai coupable. Au passage, il tombe amoureux de la jeune fille mais sans beaucoup d'espoir, lui qui est responsable de la mort du frère aîné. Il va finir par trouver le criminel mais s’apercevoir que l’homme est manipulé. Yi Meong-Ban va se retrouver face à une machination politique complexe et dangereuse. Il est aidé dans son enquête par son ami Kim Jin, lettré, passionné d’horticulture, véritable Sherlock Holmes coréen !  

Nous découvrons aussi des personnages réels, le roi Jeongjo lui-même (1752-1800) les lettrés de l’école de Baektap, érudits adeptes des nouveautés venues de Chine dont l’auteur nous fait découvrir les écrits et les préceptes.  Baek Dong-Su (Yanoi) ( 1743_1816), un noble guerrier du XVIII siècle a appris les arts martiaux à notre héros. Devenu son ami, il lui permet de rencontrer les lettrés de l’école de Baektap.

Le roman présente une enquête policière intéressante avec de nombreux rebondissements mais ce que j’ai le plus apprécié c’est la découverte de la civilisation coréenne au début du XIX siècle et des idées foisonnantes qui circulent à l’intérieur des cercles lettrés à une époque où les autodafés de leurs oeuvres mal vues du pouvoir étaient courantes. La réflexion sur la littérature,  sur l’importance des livres, leur fonction, leur utilité,  alors que la reproduction sur bois permet d’imprimer plus d’oeuvres et d’atteindre un plus large public, n’est pas le moindre des intérêts du roman. 

 

Kim Tak-hwan est un auteur et critique littéraire sud-coréen né à Changwon en 1968

Kim Tak-hwan a publié de nombreux ouvrages de critique et de fiction, dont plusieurs romans historiques et fantastiques :  »L’immortel Yi Sun-sin", série historique en huit volumes, publiée en 2004, a été adaptée à la TV et est diffusée en feuilleton depuis 2005 sur la chaîne KBS.

Actuellement professeur de Littérature à l'Université de Hanam, Kim Tak-hwan se consacre à l'écriture de la suite des Romans meurtriers, une vaste fresque en dix volets qu'il projette de réaliser au cours des dix années à venir.  Présentation Babelio

 

LC avec Maggie, Rachel et Doudoumatous

lundi 17 juillet 2023

Weber à vif à la Scala de Provence

 

 

 

Pour présenter Weber à vif, je publie ici ce qu'écrit Jacques Weber  sur la conception et l'élaboration du spectacle à trois voix.

 "Jacques Weber présente son spectacle Weber à vif comme la rencontre de trois amis : l'accordéoniste Pascal Contet, l'harmoniciste Greg Zlap et lui-même, autour de textes  littéraires de tout horizon et de la musique qui, loin d'être un simple accompagnement,  participe à la création.

L’Histoire est simple. En parallèle de mes nombreuses interprétations, j’ai toujours aimé me retrouver seul sur scène, partageant avec le public mon enthousiasme et mes coups de foudre pour les grands textes de la littérature. Plusieurs fois, j’ai conçu le spectacle accompagné de musiciens et constaté l’alchimie réjouissante de ce dialogue.

Récemment je rencontrai un accordéoniste de renommée internationale, Pascal Contet ; celui-ci fut enthousiaste à l’idée de partager la scène avec moi.
Quelques temps auparavant j’avais eu l’occasion d’assister à un concert de Johnny Hallyday ; je fus saisi et enthousiasmé par le spectacle, mais aussi par le solo de son harmoniciste : Greg Zlap. Lui aussi fut d’accord pour me suivre dans ma randonnée littéraire.
Il ne s’agit plus de musique accompagnant un texte mais bel et bien de la rencontre de trois amis qui partagent des passions, des amours, des émotions, celles de leur vie, de nos vies.
À l’improvisation musicale répondent des textes modernes contemporains et classiques du théâtre, de la poésie, de la littérature. Stoppard répond à Claudel, Claudel ricoche sur la Bretagne, les colonies de vacances renvoient au pensionnat chez Courteline, Courteline voisine avec Arthaud, Duras, Maïakovski, Rostand, Hugo, Flaubert…

Greg, Pascal, Jacques improvisent et se promènent tantôt graves tantôt rieurs autour de ces grands monstres.
C’est ce que nous voulons partager, la joie, la chance d’être sur scène, libres, sans contrainte.
Tout à l’enthousiasme de la convivialité espiègle, chaleureuse et fraternelle avec le public."


Mon avis :

J'ai aimé ce spectacle qui m'a permis de découvrir les possibilités infinies de l'accordéon dont Pascal Contet tire de sons incroyables, j'ai aimé le duo qui s'instaure entre l'accordéoniste et l'harmoniciste, Greg Zlap. Et j'ai aimé aussi, bien sûr, cette promenade littéraire à bâtons rompus avec Jacques Weber, entre  émotion ( le coupeur d'eau de Duras) et rire (La Marquise de Corneille), en compagnie des écrivains que j'aime, agrémenté de citations savoureuses de Jouvet, Gabin, Laurence Olivier ...


Au programme

Tom Stoppard, Rosencrantz et Guildernstern sont morts
Paul Claudel, L’échange adapté par Louis Jouvet
Georges Courteline, L’Oeil de veau
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, « Les non merci »
Marguerite Duras, Le coupeur d’eau dans la vie matérielle
Raymond Devos, Le dédoublement de la personnalité
Gustave Flaubert, Correspondances

Victor Hugo, Ruy Blas
Antonin Artaud, Le pèse nerf
Maïakowsky, Le nuage en pantalon
Alfred de Musset, Citations diverses
Godart, Citations diverses
Louis Jouvet, Citations diverses
Albert Camus, Citations diverses
Jacques Weber, Le matin
Victor Hugo, Discours à l’Assemblée Nationale
Victor Hugo, Extraits de Choses vues
Malcolm Lowry, Extraits de Au dessous du Volcan  



samedi 15 juillet 2023

Shakespeare / Sabine Anglade : La Tempête au Chêne noir

 

 J'ai vu La Tempête plusieurs fois et j'en ai déjà parlé dans ce ce blog ICI . Cette année la pièce est donnée au Chêne noir dans la mise en scène de Sabine Anglade.

Prospéro, duc de Milan, a été dépossédé de son royaume par son frère Antonio. Celui-ci, après avoir usurpé le trône, exile Prospéro et sa fille Miranda, les jetant dans une barque qui les conduit dans une île enchantée. La seule créature de forme humaine qu'ils y trouvent est Caliban, un monstre hideux, fils de sorcière, qu'ils traitent avec bonté. Mais la nature brutale de Caliban est rebelle à l'éducation et Prospero ne peut avoir prise sur lui que par la force.
Prospéro qui a pu conserver sa bibliothèque dans son exil apprend la magie dans un livre occulte et parvient à dominer les forces de la nature. Il se rend maître d'Ariel, Esprit de l'air et avec sa collaboration, sachant que le navire de son frère va passer auprès de l'île, il commande une tempête qui va jeter les naufragés sur  son île. Ferdinand, le fils d'Alonso, roi de Naples, isolé des autres, rencontre Miranda et les deux jeunes gens tombent amoureux l'un de l'autre. Prospéro qui a pour dessein de les marier feint de vouloir les séparer pour mieux attiser leur amour.
Antonio, le duc usurpateur, Alonso, le roi de Naples et leurs compagnons sont rejetés sur une autre partie de l'île. Antonio  fomente un complot contre Alonso avec le frère de celui-ci, Sébastien, pour s'emparer de Naples. Pendant ce temps, Caliban persuade le Fou et le Capitaine du navire, eux aussi rescapés du naufrage, de s'allier à lui pour vaincre Prospero en leur promettant de devenir rois de l'île.  Shakespeare montre ici que l'attrait du pouvoir assorti à la violence, au meurtre et à la traîtrise, est le même chez les nobles et  les gens du peuple.
Tous vont être amenés à rencontrer Prospéro et être sous sa domination. Celui-ci pardonne à son frère, célèbre les fiançailles des enfants et, après avoir libéré Ariel, renonce à la magie en brûlant son livre. Tous ensemble, ils quittent l'île.

  Présentation de la pièce par la compagnie

Fabrique d’images et de sens, La Tempête est sans doute la pièce la plus opératique de tout le théâtre de Shakespeare, faisant la part belle au conte, à l’image, à la musique.Cette dimension ne pouvait qu’éveiller le désir de la metteuse en scène d’opéra et de théâtre qu’est Sabine Anglade, lui offrant la possibilité de mettre en commun ces deux approches.

Mon avis :

J'ai beaucoup aimé la scénographie de Mathias Baudry dans cette représentation de La Tempête mise en scène par Sabine Anglade. Elle nous plonge dès le début dans la fureur des éléments déchaînés :  le fracas du tonnerre, le rugissement du vent, les éclairs qui traversent la scène, les jeux de clairs-obscurs, et l'enchevêtrement des voiles du navire chahuté par les vagues de la mer déchaînée. Tout ceci forme un  très beau tableau. Belle et poétique aussi la représentation d'Ariel, interprété par une une jeune comédienne, à la silhouette longiligne, vêtue de noir, aux longues ailes flamboyantes, qui prend du relief dans cette représentation, un esprit qui aspire à la liberté et dont on sent la souffrance d'être retenu prisonnier. 
 
J'ai aimé l'interprétation du rôle de Prospéro, Miranda et Caliban. Par contre, j'ai été surprise par la conception du rôle de Ferdinand, (interprété par par  le comédien qui incarne Caliban). Avec son short, ses godillots et grosses chaussettes montantes, son air benêt, il faut dire qu'il est un jeune premier qui ne fait pas rêver ! Manifestement, la metteuse en scène n'a pas voulu jouer sur l'émerveillement un peu naïf, c'est vrai, un peu sot, mais seulement aux yeux des autres, de deux très jeunes gens qui découvrent l'amour. Il est vrai que l'on sent l'ironie de Shakespeare observant cette idylle naissante mais aussi beaucoup de tendresse et de légèreté. Sabine Anglade a préféré tiré les scènes où ils apparaissent vers la parodie et le comique un peu lourd ! Finalement,  même si je n'ai pas vraiment apprécié cette conception, le comédien est bon et m'a fait rire. Par contre j'ai trouvé que l'interprétation des autres personnages étaient plus faibles et ils m'ont parfois ennuyée.
 
Donc, mon avis est assez mitigé sur ce spectacle qui, certes, a de grandes qualités mais est inégal.


 La Tempête

Du 7 au 27 juillet 2023 à 10h
Relâche les 10, 17, 24, 28 et 29 juillet

Durée : 2h05

De William Shakespeare

Traduction/adaptation Clément Camar-Mercier

Mise en scène Sandrine Anglade

assistée de Marceau Deschamps-Segura

Avec 

Clément Barthelet, Héloïse Cholley, Damien Houssier, Alexandre Lachaux, Serge Nicolaï, Nina Petit, Sarah-Jane Sauvegrain, Benoît Segui, Quentin Vernede

Scénographie Mathias Baudry

Lumières Caty Olive

Costumes Cindy Lombardi assistée d’Océane Gerum

Chef de chant Nikola Takov

Création sonore/régie son Théo Cardoso

Régie Ugo Coppin et Rémi Remongin

Administration et production Alain Rauline et Héloïse Jouary

Production Compagnie Sandrine Anglade

Coréalisation Théâtre du Chêne Noir

A partir de 13 ans

 

jeudi 13 juillet 2023

Un humour de Proust avec Denis Podalydès et Jean-Philippe Collard à La Scala de Provence

Marcel Proust
 

 

 Ce concert-lecture avec Denis Podalydès et le pianiste Jean-Philippe Collard n'a lieu  qu'un seul jour pendant le Festival D'Avignon à la Scala de Provence. J'ai tout de suite eu envie d'aller voir et écouter ce spectacle qui  s'attache à nous montrer l'humour de Marcel Proust à travers La Recherche du temps perdu !

 

Présentation

« On rit de ce qu’on craint. Molière riait de la jalousie parce qu’il était jaloux. Proust rira du snobisme et du monde parce qu’il les a longtemps redoutés. » André Maurois

 Dans un écho de mots et de notes, le duo formé par le comédien Denis Podalydès et le pianiste Jean-Philippe Collard donnera à entendre des extraits d’À la recherche du temps perdu dans un paysage musical inspiré de Proust. Une invitation poétique à rire ou à sourire sur des œuvres de Debussy, Fauré, Chopin, Satie ou Scarlatti.

 Mon avis

Quel plaisir de découvrir ou redécouvrir des textes de Marcel Proust sous un éclairage nouveau, celui de l'humour ! On y voit, à travers le choix des textes le talent d'observation et de pénétration de Proust quant à la nature humaine, ses vanités, son snobisme, ses ridicules, ses travers.  Les portraits satiriques de grands personnages de La Recherche du temps perdu, Françoise, Madame Verdurin, Villeparisi, Monsieur de Cambremer et tant d'autres se déploient avec une certaine férocité, allant jusqu'à la caricature.  Et oui, l'on rit en écoutant Denis Podalydès dire ou mimer ces textes auxquels répondent des moments musicaux interprétés au piano par Jean_Philippe Collard !

"Aussi, décontenancé par la minceur de ce regard bleu, se reportait-on au grand nez de travers. Par une transposition de sens, M. de Cambremer vous regardait avec son nez. Ce nez de M. de Cambremer n’était pas laid, plutôt un peu trop beau, trop fort, trop fier de son importance. Busqué, astiqué, luisant, flambant neuf, il était tout disposé à compenser l’insuffisance spirituelle du regard ; malheureusement, si les yeux sont quelquefois l’organe où se révèle l’intelligence, le nez (quelle que soit d’ailleurs l’intime solidarité et la répercussion insoupçonnée des traits les uns sur les autres), le nez est généralement l’organe où s’étale le plus aisément la bêtise."


 

mardi 11 juillet 2023

Le voyage de Molière mise en scène de Jean-Phlippe Daguerre au Théâtre du chien qui fume

 



Léo, un jeune homme du XXIème siècle qui rêve d’être comédien, amoureux de Molière dont il connaît par coeur la plupart des pièces, se retrouve accidentellement plongé en 1656 au cœur de la troupe de l’Illustre Théâtre de Molière. Commence alors une aventure extraordinaire dans un monde créatif et cruel où la vie et la gloire ne tiennent qu’à un fil.

En 2022, Molière fête ses 400 ans ! Nous avons souhaité lui rendre hommage à travers cette aventure précisément inspirée par la vie de Molière et de sa troupe avant leur arrivée à Versailles.



J'ai assisté à la représentation de la pièce Le voyage de Molière, mise en scène par Jean-Philippe Daguerre, l'année dernière et j'avais regretté de la voir sans ma petite-fille. Aussi, quand j'ai vu que la pièce revenait au Chien qui fume cette année, je me suis empressée de l'y amener. Elle a aimé et moi, je crois que je l'ai encore plus appréciée, si c'est possible, parce que n'ayant plus la surprise de la découverte, j'ai été attentive au moindre détail, sensible à l'émotion, à l'intelligence des dialogues et des situations, et à  l'ingéniosité du décor : une  grande plate-forme ronde, montée sur de grandes roues, que les comédiens font tourner comme s'il s'agissait de la roulotte de l'Illustre théâtre se déplaçant sur les routes du sud de la France et qui devient, tour à tour, scène, château, chambre de Molière, et même un entre-deux temporel entre le passé dans lequel Léo rencontre la troupe et le présent dans lequel il gît sur un lit d'hôpital, enfoncé dans un coma profond.

 De grandes scènes pleines d'humour servis par d'excellents comédiens ont le mérite de nous faire rire par des anachronismes amusants tout en nous introduisant dans l'oeuvre de Molière pour notre plus grande joie car "quand on aime le théâtre, on aime Molière"

Ainsi la scène où Léo reconnaît Molière et tombe à genoux devant lui en lui témoignant sa vénération pour toutes ses grandes pièces (qu'il n'a pas encore écrites), alors que le pauvre homme n'en est encore qu'à ses balbutiement, en proie aux doutes sur son talent, en butte à la mauvaise fortune, dans une région où le fléau de la peste l'empêche de gagner sa vie ! Ou encore la scène où, semblable au bourgeois gentilhomme, Léo apprend la prononciation des voyelles anglaises aux comédiens à partir d'une chanson des Beatles  ! 

Mais le rire n'occulte pas les  angoisses, les drames personnels de chacun des comédiens de la troupe. Quel plaisir d'ailleurs de les rencontrer sur scène comme des amis retrouvés !  Il y a  Gros René éperdu d'amour pour Marquise et qui souffre de se voir trahi, et par sa femme et par son meilleur ami, Madeleine vieillissante qui se sent déjà supplantée par la toute jeune Armande, tout au moins sur la scène, pas encore dans sa vie amoureuse. Et puis l'on assiste aux répétitions du Dépit amoureux et aux leçons que donne Molière à ses  acteurs débutants, leçons qui ont tant de finesse que l'on comprend pourquoi, nous, spectateurs, amoureux du théâtre, nous sommes là, au festival, à courir d'un lieu à un autre dans les rues d'Avignon avec des températures dépassant les 40° !

Décidément ce spectacle est une gourmandise qu'il faut savourer à sa juste valeur et qui a le mérite de toucher les jeunes et les adultes.

Un coup de coeur !

 

Le chien qui fume à 12H35

Le voyage de Molière 

De Pierre-Olivier Scotto et Jean-Philippe Daguerre

Mise en scène Jean-Philippe Daguerre

durée : 1H35

Relâche : les mercredis 12  19  26

dimanche 9 juillet 2023

Fabrice Melquiot / François Ha Van : Kids à la Scala de Provence

 

Fabrice Melquiot, dramaturge

Présentation de la pièce

Une jeunesse fougueuse et brûlante ! Huit adolescents : le temps du siège de Sarajevo (1992-95), vont apprendre à (sur)vivre ensemble, au-delà de toutes considérations ethniques et religieuses, sorte de  « meute » plurielle, avec ses rivalités, ses complicités et ses rêves.
Mais voilà, le conflit touche à sa fin et il faut apprendre à vivre sans la guerre, sans couvre-feu, sans bombardements, libres, mais aussi sans repères.
Et si créer un spectacle pouvait tout sauver ?…

 

   Un très beau spectacle qui nous plonge au coeur de la guerre, à Sarajevo, mais cela pourrait être n'importe où, ailleurs..  Dans la ville ravagée, vivent ou plutôt survivent des enfants et adolescents orphelins. Ils se réfugient dans les caves, l'orphelinat ayant été détruit, hantés par les images de destruction, le souvenir de leurs parents morts sous les bombes ou sous les balles des snippers. Ils ont peur, ils ont faim, font la manche, volent, ils se battent, ils s'aiment, ils apprennent l'anglais pour donner un sens à leur vie, rêvent d'un futur. Peu à peu nous apprenons à les connaître, l'un après l'autre ou tous ensemble. Nous vivons leur désespoir, leur hantise de la mort, leur colère, leurs moments de tendresse, leur besoin d'être aimés...  Au bruit des explosions  répond la musique de la guitare électrique et les paroles tristes de la chanson : Why my Guitar is wheeping ?... Pourquoi ma guitare pleure-t-elle ? 

Pourtant, des éclaircies dans cette noirceur,  liées, en particulier au personnage de Sid, l'aîné de tous, qui accueillent, enseignent, défend les plus faibles et puis l'amour est toujours possible même s'il faut faire comprendre aux garçons ce qu'est la tendresse. Et l'on sourit parfois de la maladresse des adolescents lors de dialogues qui ne manquent pas d'humour.

Le texte est splendide, poignant, la mise en scène de François Ha Van joue avec l'espace pour  suggérer la violence des bombardements, la panique des adolescents, les mouvements de foule, le désir de fuite, d'évasion. Les comédiens sont tous excellents, vrais, et font naître l'émotion.

Je ne suis pas la seule à l'avoir apprécié. Ma petite-fille (13 ans ) l'a beaucoup aimé aussi.

Un spectacle à ne pas rater !

 

KIDS de Fabrice Melquiot
Du 7 au 29 juillet 2023 19H30



Relâches Les lundis 10 17 24  durée 1H05


De Fabrice Melquiot
Mise en scène François Ha Van
Avec Nathan Dugray, Montaine Frégeai, Axel Godard, Yann Guchereau, Hoël Le Corre, Sylvain le Ferrec, Julie Bulourde en alternance avec Lara Melchiori, Manon Preterre
Création musicale et interprétation live – Nathan Dugray


vendredi 7 juillet 2023

Molière/Raphaël Callandreau : Le Malade imaginaire en la Majeur Théâtre 3 Soleils-Buffon festival d'Avignon 2023

 


 Le malade imaginaire

On sait que Le malade imaginaire est la dernière pièce de Molière et qu'il est mort à la quatrième représentation. Ainsi pendant que Molière lutte contre la mort, il nous fait rire d'Argan, cet hypocondriaque ridicule et égoïste, qui décide du sort de toute la famille en fonction de ses prétendues maladies. On comprend l'ironie tragique de la pièce. On peut donc mettre en scène la pièce différemment, soit en soulignant la présence de la mort à qui Molière adresse un dernier pied de nez, soit en choisissant carrément l'aspect amusant. Argan a épousé en seconde noce une femme intéressée Béline qui attend la mort de son mari pour récupérer l'héritage en envoyant ses belles-filles au couvent. Argan exige que sa fille Angélique épouse un médecin Thomas Diaforirus, mais celle-ci aime Léante qui veut l'épouser. Or, le jeune homme a un gros défaut : il n'est pas médecin ! Il se fait passer pour un maître de musique pour pouvoir courtiser Angélique. La servante Toinette déguisée en médecin va imaginer un stratagème pour confondre Béline et pour obtenir le consentement d'Argan au mariage des deux tourtereaux. Comme souvent, la satire des médecins tient une place importante dans la comédie.

 

Mon avis

Le metteur en scène, auteur compositeur, Raphaël  Callendreau, a choisi d'adapter Le malade imaginaire en comédie mucicale et cela marche et même fort bien ! Et après tout pourquoi pas ? La pièce n'était-elle pas à l'origine une comédie-ballet mise en musique par Marc-Antoine Charpentier, musicien qui avait remplacé Lully avec qui Molière était brouillé. 

Cette comédie où alterne prose et chanson, façon Jacques Demy, accompagné au piano, est un petit régal où le rire est servi par quatre excellents comédiens très à l'aise dans les personnages différents qu'ils incarnent ! Une  interprétation sans faiblesse quel que soit le rôle incarné et une manière  habile et astucieuse de  faire exister, malgré leur absence, les personnages qui ont été supprimés. Si le tout forme  un spectacle fort gai, si l'on rit d'un Argan absolument ridicule ou d'un Diaforus hilarant, la mise en scène n'occulte pas les angoisses du Malade imaginaire ou pas et, au cours d'un ballet-cauchemar grimaçant, l'omniprésence de la mort !  

Un excellent spectacle agréable, amusant et intelligent que toute la famille a apprécié. Ma petite-fille qui a 13 ans a adoré et des quatre spectacles qu'elle a vus pour l'instant, c'est son préféré.  (3 sur les 4 pièces sont de Molière ou sur la vie de Molière, un autre de Bertold Bretch !)

 

3 SOLEILS - Buffon
4, rue Buffon
 84000 - Avignon -
Le Malade imaginaire en la majeur à 19h45
Durée : 1h20
du 7 au 29 juillet - Relâches : 11, 18, 25 juillet

Interprètes / Intervenants

  • Mise en scène : Raphaël Callandreau
  • Interprète(s) : Cécile Dumoutier, Marion Peronnet, Raphaël Callandreau, Simon Froget-Legendre, Arnaud Schmitt

 

 

 




jeudi 6 juillet 2023

Molière / Anthony Magnier : les Fourberies de Scapin : Théâtre Les Lucioles festival Avignon 2023

 

 La pièce de Molière Les Fourberies de Scapin, a pour personnage central Scapin, valet de la Commedia dell’Arte,  un fieffé coquin, dont on comprend d’ailleurs qu’il a tâté de la prison. Il est au service du jeune Léandre tandis que son compère  Sylvestre est le valet d’Octave.
En l’absence de leur père, Octave, fils d’Argante a épousé sans le consentement paternel une jeune fille, Hyacinthe, sans ressources et dont la mère est malade. Léandre, fils d’Orgonte, un vieil avaricieux, est tombé amoureux de l’égyptienne Zerbinette avec qui il s’est fiancé.
Courroux des pères qui vont tout faire pour rendre nulles ces unions ! Heureusement, il y a Scapin, le rusé, qui va aider les jeunes gens à vivre leur amour. Oui, mais… ce ne sera pas sans quelques petites vengeances et sans en tirer profit ! La pièce est une satire des maîtres et des rapports avec leur valet. C'est aussi un peinture des rapports entre père et fils à une époque où les enfants étaient soumis à leurs parents par la loi et, dans les milieux bourgeois, par la dépendance financière.

Mon avis

J'ai amené ma petite-fille (13 ans) voir Les Fourberies de Scapin dont elle a étudié des extraits en classe. Je ne sais pas si c'est général ou si c'est dans son collège mais j'ai l'impression que l'on n'étudie plus les pièces de Molière entièrement à raison d'une chaque année comme avant ? Et si c'est le cas c'est bien dommage car je vois qu'elle a été réceptive à cette représentation amusante et pleine de bonne humeur de la Compagnie Viva, mise en scène par Anthony Magnier.

Au début de la pièce, j'ai peu aimé, pourtant, le côté parodique un peu trop poussé à mon goût de l'interprétation de Hyacinthe et d'Octave mais, ensuite, tout en soulignant le ridicule de tous  personnages, le ton devient plus modéré.  La mise en scène joue, bien sûr, sur le comique de situation et de caractère mais rappelle en même temps les rapports de force entre les valets et les maîtres, la  brutalité d'une époque où le serviteur pouvait recevoir des châtiments corporels. Anthony Magnier campe à cet égard un Scapin convaincant qui n'oublie pas les affronts reçus, employant toute sa ruse au service des jeunes maîtres mais déployant aussi son talent à exercer sa vengeance. Les grandes scènes de la galère ou du sac sont réussies.

La scénographie est agréable : un plateau nu avec en arrière-plan un rideau laissant apparaître par transparence les silhouettes des personnages modelés par des jeux de lumière. Les costumes pailletés de deux jeunes maîtres rappellent les ridicules des petits marquis du XVII siècle dont Molière raillait les excès de toilette, dentelles, noeuds et falbalas.

Un bon spectacle  !

 La compagnie VIVA

En 2002, Anthony Magnier crée la compagnie Viva et entreprend d'explorer la modernité des grands textes du répertoire, tout en les partageant avec un large public. Au rythme d'une création par an, la compagnie est présente chaque année au Festival d'Avignon et joue près de 150 représentations par an dans toute la France.

Théâtre Les Lucioles 15H30 durée 1H25

 LES FOURBERIES DE SCAPIN

Festival du 07 au 29 juillet / relâches les 12, 19 et 26 juillet

Mise en scène : Anthony Magnier
Auteur : Molière
Interprètes : Elisa Bénizio , Bérénice Coudy, Matthieu Hornuss, Anthony Magnier, Antoine Richard, Ronan Rivière
Costumes : Mélisande de Serres
Lumières : Clément Commien et Marc Augustin-Viguier
Accessoires : Sophie le Carpentier
Administration : Anne Mourotte
Diffusion : Soha Khelifa
La compagnie reçoit le soutien de la Ville de Versailles et régulièrement celui de l'ADAMI, de la SPEDIDAM, du Conseil Général des Yvelines, de la Région Ile de France, du Jeune Théâtre National et de Creat'Yve.

Tout Public- 1H25
Théâtre

 

Welfare à la cour d'Honneur : festival d'Avignon 2023

Welfare de Juile Deliquet à la Cour d'Honneur festival d'Avignon 2023
 
 
 Spectacle monté sur la scène de la cour d'honneur

 

Welfare est un spectacle de la metteur en scène Julie Deliquet adapté d’un film documentaire réalisé par Frederik Wiseman en 1973.
Les problèmes de logement, de santé, de chômage, de maltraitance frappent les Américains les plus pauvres. Dans un bureau d'aide sociale new-yorkais, employés et usagers se retrouvent démunis face à un système qui régit leur travail et leur vie.



Extrait du film de Wiseman


Présentation de la pièce de théâtre par Julie Deliquet

" Moi j’aime regarder les gens, j’aime réfléchir à tout ce que je vois. » : ces propos du cinéaste Frederick Wiseman sont au cœur de l’adaptation de Welfare (1973) par Julie Deliquet. Une journée particulière dans la vie des sans-abri, des apatrides, des travailleurs, des mères célibataires et des démunis qui se succèdent aux guichets de ce centre d’aide sociale improvisé dans la Cour d’honneur. Le temps de la représentation, le Palais des papes devient le lieu d’une hospitalité qui peine à prendre figure humaine. Voilà le territoire des personnages que met en scène l’actuelle directrice du Centre dramatique national de Saint-Denis, dont le théâtre cherche à capter la vie au cœur de la comédie humaine. Quinze héros du quotidien dont les récits s’entremêlent pour dresser en creux le portrait des dysfonctionnements de notre société. Des personnages qui nous invitent à les suivre et à traverser le quatrième mur comme on traverse le fantasme pour reprendre pied dans le réel. Une pièce qui nous rappelle que la parole est une action et que la faire advenir est un acte citoyen."

 


 

 L'action commence avant même le début du spectacle. Nous sommes dans un asile de nuit. Sur la scène on plie les draps, on démonte les lits de camp, et nous nous retrouvons dans un gymnase qui a servi  d'hébergement de nuit pour les sans-abri. Puis nous voilà dans un bureau d'aide sociale où défilent les exclus de la société, migrants, chômeurs, handicapés, dont les dossiers se perdent dans les méandres d'une administration kafkaïenne. Nous sommes aux Etats-Unis mais, vous l'avez compris, nous pourrions tout aussi bien être en France.

Le spectacle est adapté du film documentaire de Wiseman que je n'ai pas vu, donc pas de comparasion possible et, d'ailleurs, la metteuse en scène, Julie Deliquet, se défend d'avoir fait un documentaire : "je fais du théâtre, je raconte une histoire."

Seulement voilà, si elle ne fait pas du documentaire, elle ne fait non plus du théâtre ! Ce qui fonctionnait peut-être bien au cinéma ne m'a pas paru fonctionner au théâtre. Ce défilé de personnages qui crient et  s'agitent sur la scène ne touche pas, pire il finit pas ennuyer malgré toute l'horreur des situations désespérées qu'il présente. Peut-être à cause de la distance, les personnages ne sont pas véritablement humains, ils sont démonstratifs.

De plus, il n'y aucune progression dramatique.  Les personnages se succèdent sur la scène, explications, cris, pleurs, et au suivant !  Cela recommence et l'on se dit, à la longue, qu'il n'y a aucune raison que le défilé s'arrête puisque la misère est inépuisable.

Et que dire de cette altercation entre le policier noir et l'ancien combattant raciste si ce n'est que la platitude du dialogue est affligeante ?

 Je ne me suis jamais autant ennuyée au théâtre et comme ma petite fille et mon mari aussi, nous avons quitté la représentation avant la fin, ce qui est très rare de notre part  ! 

Si les bons sentiments ne font pas de la bonne littérature, à mon avis, on peut en dire autant au théâtre !

 

samedi 1 juillet 2023

Stefan Zweig : La peur et adaptation de La peur au théâtre par la

 

 

La peur est une nouvelle de Stefan Zweig  dans laquelle l’écrivain analyse les sentiments d’une femme infidèle en butte à un chantage.

Irène Wagner a un amant, un pianiste de milieu modeste. Un jour qu’elle sort de chez lui, elle est abordée par une femme d’apparence vulgaire qui lui reproche de lui avoir pris son amant. Désormais la peur s’empare de la jeune femme.  L’inconnue la suit  et la fait chanter, lui extorque de l’argent. Un jour, elle va jusqu’à s’introduire chez elle en présence de son mari et ses enfants. La peur devient  obsession, vire au cauchemar dans une sorte de crescendo étouffant malgré les tentatives de son mari qui s’aperçoit de son trouble et semble prêt à l’écouter. Elle n’ose plus sortir de chez elle, vit dans l’attente d’une catastrophe, se sent constamment menacée.

"Elle se sentait malade. Elle devait parfois s'asseoir subitement, tant son coeur était pris de palpitations violentes ; le poids de l'inquiétude répandait dans tous ses membres le suc visqueux d'une fatigue presque douloureuse, qui refusait pourtant de céder au sommeil;"

Stefan Zweig analyse les sentiments de cette grande bourgeoise, femme de magistrat, qui toujours eu une vie protégée et facile. N’est-ce pas par ennui et non par passion qu’elle a pris un amant ?

"Blottie paresseusement dans la tranquillité d’une existence bourgeoise et confortable, elle était tout à fait heureuse aux côtés d’un mari fortuné, qui lui était intellectuellement supérieur, et de leurs deux enfants. Mais il est une mollesse de l’atmosphère qui rend plus sensuel que l’orage ou la tempête, une modération du bonheur plus énervante que le malheur. La satiété irrite autant que la faim, et la sécurité, l’absence de danger dans sa vie éveillait chez Irène la curiosité de l’aventure."

Elle prend alors conscience de tout ce qu’elle va perdre si son mari découvre son infidélité :  ses enfants, un mari qu’elle aime, une vie aisée… Il se passe peu de choses dans cette nouvelle, tout tient dans l’intensité dramatique que Stefan Zweig a su créer. C’est avec une rare maîtrise qu’il analyse la psychologie de ce personnage féminin dont on l’impression qu’il a le pouvoir de pénétrer la conscience et de la mettre à nue devant nous.

Une lecture prenante, d’une telle force et d’une telle acuité que l’on ne peut s'arrêter dans la lecture jusqu’au dénouement. Pourtant celui-ci ne m'a pas surprise car je m’y attendais un peu mais, à mon avis, ce n'est pas ce qui est important. 

 J’ai lu cette nouvelle parce que je vais assister à la pièce adaptée à la scène  au festival d’Avignon le 16 juillet à La Scala de Provence. Je vous dirai ce que j’en pense en temps voulu. Je dois dire que je suis curieuse de voir comment on peut rendre au théâtre cette urgence de la lecture qui s'empare du lecteur et cette profondeur dans l’analyse.

dimanche 25 juin 2023

Sujata Massey : la malédiction de Satapur

 

Sujata Massey est une écrivaine américaine d’origine anglaise, indienne et suisse. Elle commence une série policière mettant en scène son héroïne Perveen Mistry dans Les veuves de Malabar Hill  que je n'ai pas lu puis dans La malédiction de Satapur, le roman dont je vais parler aujourd’hui.

Le roman La malédiction de Satapur  se déroule à Bombay en 1921puis à Satapur. Perveen Mistry a pour modèle Cornelia Sorbji, la première femme indienne a avoir fait des études de droit à Oxford et Mithan Jamshed Lam, la première femme indienne à avoir été inscrite au barreau à Bombay. Comme elles, Perveen Mistry qui  a rejoint le cabinet d’avocats de son père, devient la première femme avocate en Inde alors que seuls les hommes sont autorisés à plaider. 

L'Inde : un protectorat britannique 

 

En 1921, l’Inde est sous protectorat du Royaume-uni. C'est à ce titre que les agents politiques anglais  doivent intervenir pour régler les litiges qui surviennent dans les petits royaumes régis par des souverains indiens.

Bien que le gouvernement britannique détienne le pouvoir sur approximativement soixante et un pour cent du sous-continent, le reste de l’Inde était un patchwork de petits et grands Etats, et de possession territoriales dirigées par des Hindous, des Musulmans et quelques Sikhs. En échange d’être dispensées de la loi anglaise, de nombreuses royautés payaient des tributs aux Britanniques sous la forme de liquidités ou de récoltes.

A Satapur, dans les montagnes Sahyadri, le maharajah vient de mourir ainsi que son fils aîné dans des circonstances suspectes. L’héritier au trône est trop jeune pour régner. Les deux Maharanis, la mère et la femme du roi défunt, s’opposent en ce qui concerne l’avenir du jeune héritier et son éducation.

La reine douairière veut qu’il fasse des études au palais comme par le passé. La jeune souhaite qu’il aille étudier en Angleterre et elle insinue que la vie de son fils lui paraît menacée s’il reste sur place. Toutes deux demandent l’arbitrage du protectorat et comme l’agent politique en place, Colin Sandringham, ne peut être reçu par des femmes qui pratiquent la purdah ( séparation stricte des hommes et des femmes), Perveen Mistry, en tant  que femme et avocate,  accepte de représenter le gouvernement britannique et se rend à Satapur pour donner un avis impartial.

Une intrigue policière

C’est donc à Satapur que Perveen va accomplir sa mission non sans danger, on s’en doute ! Après sa rencontre avec Colin, elle va voyager en palanquin, ce qui n’est pas de tout repos ! découvrir l’intérieur d’un palais royal, faire connaissances des ranis, échapper à bien des dangers, tout en protégeant les enfants royaux et en risquant sa vie. Car, il s’agit d’un roman policier, ne l’oublions pas ! A ce propos, j’ai trouvé que l’action policière avait bien du mal à se mettre en place et les péripéties du drame qui se joue dans cette petite cour royale interviennent assez tardivement. Plus intéressantes sont les connaissances que nous apporte l’écrivaine sur l’Inde du début du XX siècle.

 
 Une critique de la colonisation britannique

Le livre est une  critique de l’hégémonie britannique sur l'Inde. La première réaction de Perveen quand on lui  propose cette mission est celle-ci  :  

Elle faillit lâcher sa tasse de thé. Il était hors de question qu’elle travaille pour l’Empire britannique qui maintenait l’Inde sous sa patte d’éléphant depuis le XVII siècle.

Elle qui sympathise avec les idées sur la liberté de Ghandi doit militer en cachette pour qu’une répression financière ne s’abatte pas sur le cabinet de son père. Il en est de même des souverains des petits états qui doivent accepter les mariages imposés par les Britanniques sous peine d’augmentation des impôts.

l'Inde :  coutumes, moeurs et religions

Le livre est un puits de savoir sur le vocabulaire, les moeurs et les coutumes de l’Inde, sur les fleurs et les plantes, sur la cuisine, les saveurs, sur la toilette des femmes, leurs coiffures, les cosmétiques…

Sur la religion, nous apprenons que Perveen est Parsi et zoroastrienne, religion monothéiste antérieure à l’Islam et au Christianisme dont le prophète est Zarathustra et que cette religion ne connaît ni la purdah pour les femmes, ni le système de castes comme les Hindous. Mais, même dans son milieu, il existe bien des restrictions à la liberté et elle se sent très gênée d’apprendre que Colin est célibataire et qu’elle est seule avec lui, ce qui risque de la déshonorer. Elle-même ne peut divorcer car les raisons de se séparer de son mari ne sont pas reconnues par la loi parsie et elle dépend d’une belle-mère tyrannique.

 La misère du peuple à Satapur est aussi évoquée ainsi que la responsabilité des rois qui se préoccupent bien peu d’améliorer le sort de leurs sujets.

 La condition féminine en Inde en 1921

 La condition féminine est au centre du l’intrigue. Les femmes de religion hindoue vivent dans le zénana, partie réservée aux femmes et explique Vandana, femme indienne émancipée, un des personnages secondaires du roman, :    

« La purdah n’est pas un privilège mais une vie de restriction. La maharani peut voyager à quelques kilomètres pour prier au temple familial- mais quand elle s’y rend, son palanquin doit être fermé par des rideaux. Personne ne doit voir son visage »

 
Le roman est féministe et l’on y voit une femme avocate compétente qui va statuer en faveur d’une autre femme et montrer que celle-ci, pour peu qu’elle ait droit à l’instruction, peut gouverner et n’est en aucun cas inférieur à l’homme.

En résumé et à mon avis, un roman à lire plus pour tout ce que l’on apprend sur l’Inde de cette époque que pour l’intrigue policière !
 

 

LC avec Maggie ICIDoudoumatous ICI,  Rachel


mercredi 21 juin 2023

Stefan Zweig : Balzac


 Stefan Zweig considérait que la biographie qu’il avait entreprise de Balzac serait son oeuvre capitale. Il y travailla pendant dix ans accumulant les documents, reprenant inlassablement - comme le faisait Balzac lui-même- les textes qu’il avait rédigés, découvrant sans cesse d’autres nouveaux aspects du sujet. En 1933, face à la montée du nazisme, il s’enfuit à Londres, puis au Brésil, laissant tout derrière lui, y compris ce manuscrit inachevé. Quand il se suicide en 1942, son éditeur et ami, Richard Friedenthal, reprend les documents éparpillés en divers lieux, les rassemble et accomplit un long travail de révision dès 1943, au milieu des bombes.

La comédie humaine


Et c’est vraiment une somme que cette biographie de Balzac ! Stefan Zweig nous amène dans ce livre énorme à la découverte de l’homme physique avec ses faiblesses, ses vanités, ses outrances, et de l’écrivain soulignant sa force de travail et sa puissance visionnaire.  C’est ainsi qu’il a pu créer en un temps record, en vingt ans, et au prix d’un travail de Titan, un univers reproduisant la société de son temps, avec la représentation, du haut en bas de l’échelle, de toutes les classes sociales, de tous les métiers et la peinture de la nature humaine dans tous ses aspects psychologiques, dans toute son infinie variété. Un Démiurge ! Balzac est conscient du caractère unique de son oeuvre et de son immensité. C’est ainsi qu’il écrit, avec lucidité, dans la préface réunissant ses romans :  

L’immensité d’un plan qui embrasse à la fois l’histoire et la critique de la société, l’analyse de ses maux et la discussion de ses principes, m’autorise, je crois, à donner à mon ouvrage le titre sous lequel il paraît aujourd’hui : La Comédie humaine. Est-ce ambitieux ? N’est-ce que juste ? C’est ce que l’ouvrage terminé, le public décidera.

C’est Dante et sa Divine Comédie qui a inspiré à Balzac le titre de la sienne. La comédie humaine n’a pas pu être achevée. La mort interrompt son oeuvre prématurément. Balzac est victime de son incroyable mode de vie ! Il s’éteint à l’âge de 51 ans, épuisé, usé par sa démesure, par le travail incessant, par les nuits sans sommeil à son bureau, la consommation abusive de café, son poids excessif, et ses tourments. Il ne devait pas être de tout repos, en effet, d’être si endetté qu’il lui fallait vivre caché, fuir d’un logement à l’autre pour échapper aux créanciers ou se réfugier en catimini chez des amis ! Mais l’homme a un optimisme et une joie de vivre qui lui permettent de rebondir chaque fois.


L’homme et l’écrivain

Honoré de Balzac dans sa robe de chambre de travail

Ce que j’ai apprécié dans cette biographie, c’est que Stefan Zweig, malgré son admiration fervente pour Balzac qu’il considère comme le plus grand écrivain de son époque ( et non Victor Hugo ? Cela se discute ! ) n’occulte ni les faiblesses de l’homme qui se répercutent sur l’oeuvre, ni celles de l’écrivain.  Il me permet de mieux comprendre pourquoi j’ai parfois des réserves quand je lis certains des romans de Balzac.

Pour des raison financières et pour se rendre indépendant de ses parents Balzac écrit, dans sa jeunesse, des romans feuilletons médiocres dans un style relâché et sentimentaliste qui se ressent dans nombre de ses romans postérieurs. Zweig, dans son culte pour l’écrivain, parle même de prostitution à propos de ces textes ! Balzac en était conscient puisqu’il n’a jamais signé cette sous-littérature que par des noms d’emprunt. Le style de Balzac explique Zweig a longtemps porté les marques de ce relâchement quand il a enfin écrit sous son nom et est devenu un écrivain célèbre. Il ne se défait de ces défauts que dans les grands romans de la fin dans les années de 1841 à 1843 : La Rabouilleuse, une Ténébreuse affaire, Les illusions perdues, Splendeurs et misères des courtisanes, et surtout ces deux titres :  la Cousine Bette, le cousin Pons… Le biographe analyse les plus grands romans de l’écrivain et nous révèle ainsi ses réussites et son talent.

Car ces deux romans Le cousin Pons et la Cousine Bette, sortis du plan primitif des Parents pauvres, sont ce qu’il a produit de plus grand. Ici, au sommet de sa vie, Balzac atteint le plus haut sommet de son art, jamais son regard ne fut plus clair, sa main d’artiste plus sûre, plus impitoyable. (…)  En eux plus de faux idéalisme, plus de ce romantisme doucereux qui rend pour nous irréelles et par suite sans action plus d’une de ses oeuvres antérieures.

Balzac, à la suite d’affaires catastrophiques sera toute sa vie endetté!  Sa fuite en avant, son style de vie dispendieux, sont responsables du fait que ses dettes non seulement s’accumulent mais se démultiplient si bien qu’il n’a pour solution que d’écrire toujours plus de livres pour gagner toujours plus d’argent sans jamais parvenir à assainir ses finances. On ne peut pas écrire autant, pressé par la manque d'argent, et n'écrire que des chefs d'oeuvre  aussi tous les romans de Balzac ne sont pas au même niveau !

De plus, Zweig souligne le snobisme de l’écrivain à propos de la noblesse. Il est le Stefan Bern de son époque mais avec le génie en plus !  Petit-fils de paysans, il ajoute une particule à son nom, se réclamant indûment des Balzac d’Entraygues, orne son carrosse d’un blason auquel il n’a aucun droit et devient la risée du Tout-Paris. Légitimiste, il est le larbin de tout ce qu’il y a de plus réactionnaire dans Paris. Son admiration des grandes dames le rend servile et n’est égal qu’au mépris qu’il éprouve pour les femmes du peuple ou les bourgeoises.  Zweig parle à son propos d’une vanité puérile et ridicule. Son arrivisme s’accompagne d’un manque de goût évident, d’un luxe ostentatoire. Evidemment, tout ceci marque son oeuvre.

Mais il rattrape tout cela par la force de sa volonté qui le maintient à son bureau : Balzac, alors qu’il est maladroit en société, a une intelligence supérieure pour l'analyser et en révéler les dessous. Il comprend tout de l’âme humaine et possède une vision lucide de tous les rouages de la société. C’est un géant de la littérature !

Dans ces romans de la période de maturité, les manies mondaines et aristocratiques qui rendent si pénibles les oeuvres de la précédente période, disparaissent progressivement; Son regard a peu à peu appris à pénétrer la prétendue haute société qu’il adorait avec le respect involontaire du plébéien. Les salons du Faubourg Saint Germain ont perdu de leur magie.


Un hommage à Stendhal


Ce qui m’a réconcilié avec Balzac, aussi, c’est qu’il reconnaît le génie de Stendhal, qui était tout à fait méconnu dans les années 1825 -1840. Et là, quand il s’agit de littérature, il cesse d’être mesquin ! Il lui rend un vibrant hommage. Avec Hugo et dans un style complètement opposé, Stendhal est mon écrivain préféré de l'époque de Balzac.

Balzac écrit : " J’ai déjà lu, dans Le Constitutionnel, un article tiré de la Chartreuse qui m’a fait commettre le péché d’envie. Oui, j’ai été saisi d’un accès de jalousie à cette superbe et vraie description de la bataille que je rêvais pour Les scènes de la vie militaire, la plus difficile portion de mon oeuvre; et ce morceau m’a ravi, chagriné, enchanté, désespéré. "

Et Zweig commente : "Rarement le regard magique de Balzac s’est manifesté plus splendide qu’ici, où parmi les milliers et les milliers de livres de son temps, c’est justement celui-là, le plus ignoré, qu’il vante. Il célèbre comme un chef d’oeuvre, comme le plus grand chef d’oeuvre de son époque, La Chartreuse de Parme... qu’il appelle  " le chef d’oeuvre de la littérature des idées".


L’entourage de Balzac

Laure de Berny, la Dilecta

Stefan Zweig peint aussi des portraits passionnants des femmes et des amis qui ont joué un rôle dans la vie de Balzac : sa mère qui ne l’a jamais aimé. Zweig la peint sans complaisance comme une petite bourgeoise méchante, dépourvu d’instinct maternel, proche de ses sous, à l’esprit étriqué et conventionnel. Dans une autre biographie de Balzac écrite par Titiou Lecoq ICI, celle-ci prend la défense de Madame Balzac. Ce ne devait pas être de tout repos d’être la mère de cet énergumène et celui-ci a toujours fait appel à elle quand il avait besoin de ses services pour mieux la critiquer après.
Stefan Zweig brosse aussi un beau portrait de madame de Berny, le premier amour de Balzac, la Dilecta ! Et un autre, sévère, de Madame de Hanska, la grande dame russo-polonaise, vaniteuse, égoïste et superficielle.

Cette biographie nous apprend beaucoup sur Balzac et son oeuvre et elle est aussi très agréable à lire. En fait, elle se lit comme un roman et c’est bien de cela qu’il s’agit, le roman d’une vie, et ce personnage hors du commun nous réserve bien des surprises. D’autre part, découvrir ou redécouvrir la genèse de chaque livre est passionnant. Un livre à lire !

 Oeuvres de Balzac  dans ce blog ICI


 Le Balzac de Stefan  Zweig est ma participation à la Quinzaine de Balzac chez Patrice et Eva;  et la Barmaid des lettres du 15 juin au 30 Juin

 

 

Ceci est le premier livre lu pour le challenge Les épais de l'été initié par Taloiduciné chez Dasola. Il remplace le challenge de Brize que celle-ci a souhaité arrêter après 11 années. Du 21 Juin au 29 Septembre.

Balzac de Stefan Zweig : 664 pages


POUR LES EPAIS DE L'ETE QUI VEUT FAIRE UNE LC AVEC MOI A RENDRE LE 25 SEPTEMBRE : LA CHARTREUSE DE PARME de STENDHAL. 

 Je ne l'ai pas lu depuis très longtemps et une relecture ne me déplairait pas !

 


Si vous voulez me rejoindre inscrivez-vous dans les commentaires.



mercredi 14 juin 2023

Robert Louis Stevenson : La flèche noire



Dans La flèche Noire, Robert Louis Stevenson nous entraîne à nouveau dans un roman historique. Cette fois, l’action se déroule à la fin du règne d’Henri VI. Après avoir perdu les possessions françaises, Henri VI est atteint d’aliénation mentale. Commence alors en 1455 une guerre civile appelée la Guerre des Deux-Roses entre deux clans prétendants au trône, celui de  la « Rose rouge » (Lancastre) et celui de la « Rose blanche » (York). Le guerre des deux roses se termine en 1485 avec la bataille de Bosworth et la mort de Richard III de la maison d’York. C’est un Tudor, Henri VII, chef du parti Lancastre, qui lui succède.
 

Richard III
 

Dans ce roman, Stevenson confronte des personnages imaginaires et historiques. Ainsi le héros; Dick, devient un moment le bras droit du « bossu sanguinaire », duc de Gloucester, futur Richard III, immortalisé par Shakespeare.

Richard Shelton ou Dick, orphelin, est le pupille de Sir Daniel Brackley. C'est un prêtre, Sir Olivier Oates, qui a assuré son instruction. Le jeune homme est reconnaissant envers les deux hommes qu'il considère comme ses bienfaiteurs. Pourtant, Sir Daniel, est un opportuniste qui est une fois Lancastre, une autre fois York si le vent  tourne.  
Contrairement à ce qui se passe dans Kidnapped, le contexte historique a peu d’importance, la Guerre des deux roses ne passionne pas l’écrivain. Elle ne sert que de cadre au récit qui est avant tout une histoire de vengeance et d’amour mais aussi un roman d'initiation où le jeune héros, sincère, naïf, bien que courageux et valeureux chevalier, va apprendre ce qu'est la trahison et prendre conscience du mépris des Grands envers le peuple et de l'horreur de la guerre.
 

On apprend bien vite que Sir Daniel et Sir Olivier sont détestés dans la région en raison des exactions qu’ils ont commises, spoliations, tortures et crimes. Les hommes qu'ils ont dépouillés se cachent dans les bois, deviennent hors-la-loi et vivent de rapines, échafaudant des projets de vengeance. Un jour, une flèche noire tue l’un des soldats de Sir Daniel et une liste de noms apparaît qui proclame la mise à mort du seigneur, du prêtre et de leurs partisans.

Dick n’est pas sans rappeler le héros de Sherwood quand, apprenant que son tuteur a tué son père et ne l’a recueilli que pour s’approprier sa fortune, il décide de rejoindre les Flèches noires. Une vie d’aventures commence alors. Le jeune homme veut venger son père et délivrer son amour, une jeune fille noble prisonnière de Sir Daniel.

Le roman présente des passages inattendues et pleins d'humour, ainsi la fuite de Dick en compagnie d’un jeune garçon John, qui lui colle aux basques, et avec qui il se dispute tout le temps. Or, celui-ci n’est autre qu’un fille, Jeanne ! Le lecteur le sait et une connivence entre lui et l’écrivain se crée au dépens de notre héros dont on se moque gentiment et ceci à plusieurs reprises, tant il est maladroitement sincère et gauche face aux femmes. Et bien entendu, il finit par tomber amoureux de Jeanne, lui qui avait une aversion affichée pour le mariage. De plus, il faut bien l’avouer, c’est agréable aussi, dans un roman d'aventures, une fille qui n'est pas nunuche et qui participe !

Il y a aussi des moments de bravoure comme la rencontre avec le lépreux, la bataille de Shoreby avec Richard III, et surtout cette virée en mer catastrophique où Dick est responsable de la mort de ses hommes, de la perte du bateau qui plonge le capitaine à qui il l’a volé dans la misère. Et là un beau passage où Richard passant de l’enfance à l’âge adulte, prend conscience de ses responsabilités et comprend combien les gens humbles ont à souffrir des actions de leurs supérieurs.

"Dick fut saisi de vains remords et de pitié; il chercha à prendre la main du capitaine, mais Ablaster l’évita.
- Non dit-il, laissez. Vous avez joué au diable avec moi, que cela vous suffise.
Les mots s’arrêtèrent dans la gorge de Richard, il vit à travers ses larmes, le pauvre vieux hébété par la boisson et le chagrin, s’en aller en chancelant, tête baissée, par la neige, son chien sans qu’il y prît garde, gémissant sur ses talons; et pour la première fois Dick commença à comprendre le jeu terrible que nous jouons dans la vie, et comment aucune réparation ne peut changer une chose une fois faite ni y remédier."

Un roman que j’ai pris un vif plaisir à lire même si je lui préfère Kidnapped. Que j'aurais aimé le découvrir quand j'étais enfant !



 

samedi 10 juin 2023

Robert Louis Stevenson : Kidnapped ou les aventures de David Balfour et Catriona




La vie est une vraie comédie. On parle des anges qui pleurent; j’ai toujours pensé, au contraire, qu’ils se tiennent les côtes en voyant ce qui se passe sur notre globe; mais je m’étais promis de dire toute la vérité, quand j’ai entrepris cette histoire, et j’ai tenu ma promesse » Catriona

Les aventures de David Balfour

Dans le roman de Stevenson Kidnapped, traduit tout simplement par Enlevé, David Balfour a perdu sa mère dans son enfance. Il a seize ans à la mort de son père, modeste directeur d'école, et se retrouve seul et sans ressources. C'est alors que le pasteur lui remet une lettre de son père lui demandant de rejoindre son oncle, un certain Ebenezer Balfour, esquire de Shaws, dont le jeune garçon n'a jamais entendu parler. David apprend ainsi qu'il a de la famille et de plus qu'il est noble.

Hélas, la rencontre avec Ebenezer est plus qu'inquiétante. Le personnage avare, détesté dans la région, a un comportement bizarre envers son neveu qui lui fait craindre pour sa vie. David finit par comprendre que son oncle a usurpé le titre d'esquire et qu'en fait, c'est lui l'héritier du titre et du domaine. Sous prétexte d'une visite chez le notaire pour régulariser la situation, Ebenezer se débarrasse de son neveu en le vendant à un négrier qui le conduit en esclavage dans une île lointaine. C'est le début des aventures à bord du navire jusqu'au jour où le capitaine et ses seconds recueillent un naufragé, manifestement gentilhomme, portant une ceinture pleine d'écus qui provoque la convoitise de l'équipage. Il s'agit de Alan Brech Stewart et sa fortune, sacrée à ses yeux, est destinée aux chefs des clans qu'il s'apprêtait à rejoindre en France. David prend le parti de cet homme qui se révèle un combattant expérimenté, féroce et endurci. Ils tiennent en respect l'équipage qui finit par se rendre mais le bateau s'échoue sur des écueils de la côté écossaise. Tous deux se retrouvent en Ecosse traqué par les soldats du roi. Aventures périlleuses, souffrances du corps et de l'âme, le jeune homme n'est pas préparé à cette vie angoissante et rude de proscrit. Peu à peu va se nouer entre David et Alan une amitié indéfectible, traversée d'orages et de brouilles, au cours de laquelle chacun sera prêt à donner sa vie pour son ami.

 


 

Dans Catriona, l'histoire continue et David s'emploie, parfois au péril de sa vie, à sauver ses amis. Il lui faut permettre à Alan de quitter secrètement le pays pour gagner la France et témoigner en faveur de James Stewart, l'oncle d'Alan, injustement accusé d'un meurtre. De plus, il tombe amoureux d'une jeune fille nommée Catriona, fille d'un Highlander proscrit, et comme tous les deux ont du caractère, leur relation fait parfois des étincelles ! J'ai beaucoup aimé aussi la conclusion du roman.

Ces deux romans d'aventures sont enlevés, riches en rebondissements, en dangers de toutes sortes, en personnages principaux attachants et d'autres, secondaires, nombreux, haut en couleurs.

L'Histoire d'Ecosse


La bataille de Culloden (1746)

Pour suivre le roman de Stevenson Kinapped et sa suite Catriona il faut d’abord réviser un peu son histoire et dans ce cas particulier celle de l’Ecosse. Et c'est passionnant !

Nous sommes en 1751 peu après la bataille de Culloden au cours de laquelle, en 1746, la défaite sanglante des Highlanders écossais sonne le glas définitif des rebellions qui se sont succédé dans le pays pour rétablir le trône des Stuart. Une répression féroce s'abat sur les Highlanders.

Charles Edouard Stuart, appelé Bonnie prince Charlie, successeur de son père Jacques III dans la prétention au trône d'Angleterre et d'Ecosse, retourne en exil. Les chefs higlanders sont arrêtés et massacrés, certains parviennent à s'enfuir et se réfugient en France. Ceux qui restent sont soumis à des spoliations de la part de l'Angleterre, confiscation des terres, paiements de lourds impôts, interdiction de parler le gaélique, de porter le Kilt et le tartan, de jouer de la cornemuse. Tout est fait pour détruire la structure clanique. Il y a d'ailleurs dans le roman un scène pittoresque et amusante mais aussi très forte, un morceau de bravoure, où deux hommes s'affrontent dans un concours de cornemuse qui leur tient lieu de duel pour vider leur querelle.

Dans ce récit, Stevenson crée un personnage fictif David Balfour mêlé bien involontairement et à son corps défendant au destin et aux tourments des Higlanders. Et l'auteur campe à côté de David, un personnage historique bien connu, Alan Breck Stewart.

Cet Higlander qui  a d'abord servi dans les troupes anglaises du roi Georges II, a rejoint le soulèvement jacobite à la bataille de Culloden. Il est l'homme à abattre pour les anglais, un déserteur, un traître qui vit en France, désormais officier dans les troupes écossaises de l'armée française. Sa tête est mise à prix. Il revient clandestinement dans son pays pour lever les loyers des chefs de clan exilés en France.

 Alan Stewart a grandi sous la garde de son oncle James of the Glen d'Appin, chef du clan des Stewart d'Appin. Nous rencontrons ce personnage historique dans des circonstances tragiques qui appartiennent à l'Histoire de l'Ecosse et au récit de notre roman ! Il s'agit de l'affaire qui a secoué toute l'Ecosse et l'Angleterre à l'époque, le meurtre d'Appin. Le 14 Mai 1752, Collin Campbell de Glenure, surnommé le Renard rouge, venu percevoir les loyers des Stewart d'Arshiel, mesure très impopulaire, est abattu. Alan Beck est accusé du meurtre.

 Stevenson nous raconte dans Kidnapped et Catriona, comment, condamné à mort par contumace, Alan échappera aux soldats royaux et parviendra à gagner la France grâce à son ami Balfour. Par contre, James of the Glen d'Appin est arrêté. Bien que sa culpabilité ne soit pas établie, il est jugé par le clan ennemi Campbell, rallié aux anglais, qui prononce son arrêt de mort. Dans Catriona, Stevenson détaille pour nous les enjeux politiques et les dessous de ce jugement injuste qui, même de nos jours, est encore contesté, avec des demandes de réhabilitation toujours repoussées !

Un Hommage aux Highlanders

 

Les clans des Higlanders : tenue traditionnelle

David et Alan sont très différents l'un de l'autre. Alan est un homme de petite taille (ce qui le vexe), il n'a pas de titre, c'est pourquoi il se vante de porter le nom d'un roi (Stewart a donné le nom de Stuart). Il a la figure tavelée marquée par la variole (Berck est un surnom qui signifie, le Tacheté). Il est fanfaron, très content de lui-même et il n'est pas bon paraître se moquer de lui. Il est d'un courage et d'une endurance extrême, manie l'épée en grand maître, est ardent au combat dont il fait une sorte de jeu, peu enclin à s'effaroucher devant quelques cadavres de plus. En bon Highlander, la mort de ses ennemis lui paraît justifiée, le vol lui semble nécessaire à cause de la misère, défendre le voleur ou le criminel aussi puisqu'ils sont poursuivis par les anglais ! Il faut bien s'entraider, c'est un devoir. Il a pourtant un solide sens de l'honneur mais à la manière des Hautes-Terres ! Il se dévouera pour un ami ou pour son chef de clan jusqu'à la mort, il est fidèle à la parole donnée.

David est beaucoup plus jeune et plus sensible. Il n'a pas connu la guerre et est horrifié d'avoir tué des membres de l'équipage lors du combat. Le sang, les corps gisant sur le pont du navire le rendent malade. C'est un protestant et même un puritain.  Il ne boit pas d'alcool et refuse les jeux de carte, perdition de l'âme, et son ami lui conseille de se laisser un peu aller, parfois. C'est un lowlander, fidèle au roi Georges, un bon whig, tout le contraire d'Alan Beck. Pour lui, les Highlanders sont des espèces de brigands sans foi ni loi, voleurs de bétail, criminels, opposés au pouvoir légitime. Son sens de l'honneur est exigeant et même si, parfois, il souhaite se désolidariser d'Alan Beck pour sauver sa vie, il ne le fera pas et rougit d'avoir de telles pensées. Il est rancunier et pardonne difficilement les offenses.  Mais son courage pour affronter les épreuves forcent l'admiration de son camarade plus âgé. Finalement avec leur sale caractère, leurs défauts et leurs qualités, ce sont deux personnages bien sympathiques.

Il y a une certaine forme comique qui naît de l'incompréhension mutuelle des deux personnages que tout sépare. Lorsque Alan parle d'honneur, David le regarde avec effarement. Chacun accuse l'autre de ne pas avoir de morale :

J'ai remarqué plus d'une fois que vous autres, gens des Basses-Terres, vous n'aviez pas une idée claire de ce qui est juste ou injuste.

A ces mots j'éclatai de rire, et je fus fort surpris de voir Alan en faire autant, et rire aussi gaîment que moi.

Mais peu à peu la vision de David va changer et son opinion des Highlanders aussi. Le différend entre les deux hommes nous permet de mieux comprendre la mentalité des hommes des Hautes-Terres. Leur sens de l'honneur est très fort mais étroitement lié au système clanique qui fait passer la fidélité au chef et au clan avant toute loi. La détestation des « habits rouges », les soldats du roi, unit ces populations. La lutte pour survivre, pour maintenir leurs coutumes, leur langue est souterraine, oblige à la clandestinité, au secret. Le roman est un hommage aux Higlanders, à leur résistance glorieuse, à leur orgueilleuse sauvagerie, à la fierté avec laquelle ils vivent leur misère, à leur fidélité à la parole donnée, à leur courage non seulement dans la bataille mais dans les épreuves quotidiennes.

Quand Alan apprend que les fermiers highlanders paient la redevance au roi George mais qu'ils se privent pour payer une seconde redevance à leur seigneur exilé, David s'écrie :

Voilà ce que j'appelle de la noblesse ! Je suis un whig et je ne vaux guère mieux, mais j'appelle cela de la noblesse !

-Oui, dit Alan, vous êtes un whig mais vous êtes un gentleman, et c'est pourquoi vous parlez ainsi.

Il y a quelque chose que les Anglais n'ont pas pu tuer, c'est l'affection que les hommes du clan ont pour leur chef. Ces guinées en sont la preuve.

Et en fait, si Alan et David peuvent s'entendre, c'est finalement que leur conception de l'amitié et leur conception de la noblesse d'esprit se rejoignent.

Un voyage à travers l'Ecosse

 

David sur l'île de Earaid

Le récit nous conduit dans une longue traversée à pieds à travers les Highlands et permettent de belles descriptions des paysages aimés et bien connus de l'écrivain. Le naufrage a lieu sur l'île Mull, sur la côte Ouest de l'Ecosse où le jeune homme est d'abord prisonnier sur un l'îlot sauvage Earaid. Là, il souffre de froid, de faim et de solitude.

Toute l'île d'Earaid, mais encore le pays adjacent de Mull, qu'on nomme le Ross, n'est autre chose qu'une succession de blocs granitiques, entre lesquels pousse un peu de bruyère.

Il entame ensuite le voyage pour gagner Appin où il sait qu'il retrouvera Alan. Il traverse le Loch Linnhe en direction d'Appin sur un bateau de pêcheurs

Les montagnes des deux rives étaient hautes, rudes et nues, très noires et très sombres sous l'ombre des nuages, mais couvertes comme d'un réseau d'argent formé par de petits filets d'eau qui reflétaient le soleil.

Elle avait l'air d'une âpre contrée, cette contrée d'Appin, pour que les gens l'aimassent autant que le faisait Alan Breck

On peut suivre leur trajet sur une carte tant l'inéraire est précis et détaillée, bras de mer, lacs profonds, montagnes escarpées et ravinées... pour arriver à Carriden où vit le notaire qui doit faire reconnaître son titre, près d'Edimbourg où a lieu la suite du récit Catriona.

 

La carte des clans écossais

  On voit bien les Stewart d'Appin,  la puissance des Campbell, la frontière entre les Hautes et les Basses Terres.

C'est un bonheur pour moi d'avoir découvert ces deux romans passionnants. Et dire que je n'en connaissais même pas le titre avant de charger les oeuvres complètes de Stevenson dans ma liseuse. Et pourtant c'est un grand classique aussi bien en Ecosse qu'aux Etats-Unis. Je ne sais pas, par contre, si les anglais l'aiment beaucoup ! Il faut voir le nombre d'adaptations du livre au cinéma et à la télévision ! Même Michael Caine a voulu endosser le rôle d'Alan Beck, le héros national écossais ! 

 


Et si vous allez en Ecosse peut-être découvrirez-vous, non loin d'Edimbourg, sur Corstorphine Road,  la statue d'Alan Beck Stewart au côté de son ami David Balfour, la réalité historique et la fiction littéraire à égalité dans la mémoire collective écossaise ! 


Alan Beck et David Balfour