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samedi 7 mars 2009

Paulo Coelho : Le pèlerin de Compostelle (1)



Pour préparer mon voyage en Espagne et en particulier à Galice, je viens de lire Le Pèlerin de Compostelle de Paulo Coelho. J'avoue que le livre m'a tout d'abord laissée perplexe. Pourquoi? Que pouvais-je attendre de ma lecture connaissant un peu l'auteur? Une description et une présentation historique de ce chemin? Non, bien sûr! sinon je me serais contentée de mon guide touristique! En fait, je voulais surtout partager par le biais de la lecture une expérience vécue! Et sur ce point, le livre de Paul Coelho répondait au centuple à mon attente! Alors d'où me venait cette réticence?

Je m'attendais, bien sûr, après l'Alchimiste, à une démarche spirituelle et religieuse. Je voulais savoir au cours de ce parcours de 700 km que Coelho entreprend avec un guide à travers les Pyrénées, de Saint Jean Pied de Port à Saint Jacques de Compostelle, ce que je pouvais partager avec lui d'un point de vue humaniste même si je n'ai pas ses convictions religieuses. De plus, Paulo Coelho m'offrait un point de vue différent de celui de Cees Nooteboom après ma re-relecture du livre de l'auteur néerlandais : Le Labyrinthe du Pèlerin, mes chemins de Compostelle, qui retrace la quête spirituelle d'un homme sans dieu à la recherche de lui-même.

En fait, il faut bien le dire, ce qui m'a profondément gênée dès le début du récit, c'est l'appartenance de l'écrivain à une secte nommée RAM et le but même de son voyage, la recherche de l'épée qui, pense-t-il, lui donnera des pouvoirs occultes. Forcément, tout ce que j'ai appris des sectes, fait que je regarde avec suspicion, ceux qui déclarent en faire partie, qu'ils en soient les victimes ou les instigateurs. J'avoue avoir eu bien du mal à assumer l'aspect "illuminé" du voyage de Paul Coelho, les visions, les phénomènes occultes, productions de lumière, lévitation, les rencontres avec des "démons", le gitan, l'enfant, et le chien, l'obéissance aveugle au guide même lorsqu'il te donnera l'ordre de tuer, les humiliations, la mise en danger volontaire, le recours à la souffrance du corps pour libérer l'esprit. Ces dernières pratiques rejoignant celles qui avaient cours jadis dans certains ordres catholiques et chez les saints et les ascètes. Car finalement, Paulo Coelho montre, à plusieurs reprises, la correspondance entre le RAM et le christianisme et même entre les diverses religions. Un des Mages qu'il rencontre sur le chemin de Compostelle est d'ailleurs un prêtre.

Enfin, je me suis dit que s'il s'agissait d'une oeuvre de fiction, j'aurais lu le livre en m'intéressant à ce qui, sous le couvert de l'aventure, pouvait se rapporter à l'humain. Nonobstant mes réticences, j'ai donc continué ma lecture et et je m'y suis intéressée, découvrant, contre toute attente, dans le cheminement du disciple et son maître, une belle leçon d'humanisme.

Ainsi il y a dans l'apprentissage initiatique du RAM, certains exercices qui ne font pas obligatoirement appel à l'occulte mais à l'observation, la concentration, l'imagination : exercice de l'audition, exercice de la semence, exercice des ombres. Ils permettent d'affiner ses sens, de faire le vide dans son esprit pour se libérer des soucis quotidiens, de faire le tri entre ce qui a de l'importance et ce qui est factice et vain, d'établir un contact étroit avec la nature afin de se sentir en communion avec elle, et de renaître à une vie nouvelle.

Parmi toutes les sensations que j'ai éprouvées dans ma vie, je ne peux oublier cette première nuit sur le chemin de Saint Jacques. .. J'ai regardé la voie lactée qui montrait l'immense chemin que nous allions parcourir. En d'autres circonstances, cette immensité aurait été cause d'une grande angoisse et j'aurais eu terriblement peur de ne pas être capable de réussir, de ne pas être à la hauteur. Mais aujourd'hui, j'étais une semence et j'étais né de nouveau... je pouvais naître autant de fois que je voulais, jusqu'à ce que mes bras soient assez grands pour étreindre la terre d'où j'étais venu.
Le guide, Pétrus, va au cours de ce long voyage lui montrer la voie de la sagesse et la grandeur de la vie. Ainsi il lui apprend que l'homme qui tue ses rêves ne désire plus que la mort :

L'homme ne pourra jamais cesser de rêver. Le rêve est la nourriture de l'âme comme les aliments sont la nourriture du corps... La seule manière de sauver nos rêves est d'être généreux envers nous-mêmes.
Son enseignement est celui de la sagesse, du discernement et du bon sens :

Nous voyons toujours le meilleur chemin à suivre, mais nous ne prenons que celui auquel nous sommes accoutumés

 Il est toujours bon d'avoir une activité lente avant de prendre une décision importante dans la vie, a-t-il dit. Les moines zen écoutent les rochers grandir. Moi, je préfère pêcher.
Mais tout en lui montrant le chemin, Il l'avertit qu'un disciple ne doit pas suivre aveugément les pas de son maître, que chacun a sa manière de conduire sa vie, de surmonter les difficultés. Il affirme de cette manière la liberté de l'homme et il a cette belle formule  :

Enseigner c'est montrer ce qui est possible. Apprendre, c'est rendre possible à soi-même

Enfin, c'est sur le mont Cerebor, au pied de la croix, presque à la fin de son pèlerinage, que Paulo Coelho, dont le but était de conquérir des pouvoirs occultes, comprend le sens de son voyage :

J'étais orgueilleux de ma sagesse, Tu m'as fait parcourir le chemin que tous peuvent parcourir, et découvrir ce que tout le monde saurait s'il prêtait un peu d'attention à la vie. Tu mas fait voir que la quête du bonheur est personnelle, et qu'il n'y a pas de modèle que nous puissions transmettre aux autres.

 Aujourd'hui cette compréhension est ce que je possède de plus précieux : l'extraordinaire se trouve sur le chemin des hommes ordinaires.

Voir texte 2

jeudi 5 mars 2009

Alexander McCall Smith : Mma Ramostwe, la première femme détective du Bostwana et d’Afrique!

Mma Ramostwe, c'est cette femme née de l'imagination d'Alexander McCall Smith, écrivain britannique né au Zimbabwe, qui ouvre la première (et la seule!) agence de détective du Bostwana dans la capitale de Gaborone.
Je viens de lire les trois premiers livres de la série : Mma Ramotswe détective; Les larmes de la girafe; vagues à l'âme au Bostwana.... et ma foi! je me suis laissée prendre par le charme et la fraîcheur de ces histoires qui ont surtout pour but de nous faire découvrir un pays, des coutumes et des mentalités.
Surprenant, ces romans qui vont à l'encontre de toutes les modes! Amateurs de récits violents, de psychopathes en série, vous serez déçus! Car Mma Ramostwe traite d'affaires bien ordinaires, de femmes ou de maris trompées, de pères qui exploitent leurs filles, par exemple. Ses enquêtes font penser parfois aux contes traditionnels africains où tout peut être résolu par le bon sens, l'observation, l'intuition et la bonne volonté. Parfois aussi, Precious Ratmostwe emploie des méthodes peu orthodoxes pour résoudre le problème,tout ceci narré avec humour et légèreté.
514m62vg42l_sl500_ss75_.1236266768.jpgLe  ton malicieux qui ne manque pas d'attrait est un des atouts du roman. Ainsi la grosse Mma Ratmoswe s'énorgueillit d'avoir une constitution traditionnelle africaine. Pour elle, être gros est un signe de bonne santé. C'est pourquoi, elle fait des reproches à la femme de ménage de son fiancé Mr JLB Matekoni :
Si vous le nourrissez aussi bien que vous le dites, pourquoi est-il si maigre? Quand on prend bien soin d'un homme, il engraisse. C'est comme avec le bétail. Tout le monde sait cela.
Les discussions philosophiques ou littéraires, autour d'un thé rouge, de la détective et de sa secrétaire sont souvent amusantes :
Cette Mma Bovary est bien bête! Les hommes ternes  font de très bons maris! Ils restent toujours loyaux et il n'y pas de risques qu'ils partent avec une autre.
Les personnages issus de milieu populaire sont attachants avec leur naïveté, leur bonté, leur désir de garder intacte l'âme de l'Afrique, de se préserver du matérialisme, de l'individualisme et de l'égoïsme du monde industrialisé.
Les rapports sociaux entre les gens de milieu modeste sont faits de fraternité et de solidarité : tel le fiancé de Mma Ratmostwe, Mr J.L.B. Matekoni, garagiste au grand coeur, qui ne peut résister lorsque la directrice de la ferme des orphelins le sollicite; ou encore Précious Ramotswe qui ne cesse d'accorder des promotions à sa secrétaire au lieu de la renvoyer, son agence étant au bord de la faillite.
Pourtant sous cette légèreté apparente apparaissent les réalités du pays et ses difficultés,  la pauvreté qui poussent les hommes à l'exil :
Nous faisons ainsi connaissance du père de Precious qui a travaillé dans les mines de 61oz4i1ywil_sl500_ss75_.1236266835.jpgdiamants en Afrique du Sud soumis à l'exploitation la plus totale, à des conditions de travail dangereuses, en butte au racisme des contremaîtres blancs; Il a économisé toute sa vie pour acheter un troupeau qui constituera l'héritage de sa fille et lui permettra de créer son agence. Il meurt les poumons ravagés par la poussière des mines.
Il y est question aussi de la condition de la femme que l'ardente Précious Ratmostwe défend avec véhémence même si des changements se font sentir dans le Boswana. Mma Ratmostwe a été élevée par un tante qui a voulu qu'elle soit instruite :
Il existait un parti politique auquel les femmes pouvaient adhérer, même si quelques hommes regardaient cela d'un mauvais oeil, estimant que c'était chercher des ennuis. Les femmes commençaient à parler entre elles de leur condition. Aucune ne remettant en cause l'autorité masculine...
Et certes la vie n'est pas facile pour elles : la tante de Precious a été répudiée par son mari parce qu'elle était stérile et est méprisée par les propres femmes de sa famille
Elles l'avaient traitée avec mépris parce qu'une femme abandonnée par son mari méritait presque toujours son sort.
Mma Ramotswe, veuve maintenant, a épousé un musicien alcoolique qui la battait; sa secrétaire, la brillante Mma Makutsi, sortie première de son école, n'a pu trouver de travail chez les employeurs masculins parce qu'elle était laide.
Et puis il y a aussi les difficultés inhérentes au pays comme la sècheresse. Le manque de pluie peut ruiner des exploitations tournées vers l'élevage :
Il semblait que les pluies seraient bonnes cette année, un bienfait pour lequel on priait tous. Pluies abondantes étaient synonymes d'estomacs pleins, tandis que sècheresse signifiait vaches maigres et faibles récoltes
Enfin on ne peut rester insensible à la description des paysages et à leur beauté :
Elle allait atteindre l'embranchement pour Mochudi, là où la route commençait sa descente douce vers la source du Limpopo, lorsque le soleil entama sa course au-dessus des plaines. L'espace de quelques minutes, le monde baigna dans des tons vibrants de jaune et d'or : les Kopje (collines), la panoplie des cimes des arbres, l'herbe sèche de la saison passée, au bord de la route, la poussière elle-même... Le soleil, grosse boule rouge, sembla tout d'abord suspendu à l'horizon puis il se libéra et prit son envol sur l'Afrique. Alors revinrent les couleurs naturelles du jour et Mma Ramotswe aperçut au loin les toits familiers de son enfance, et les ânes au bord de la route, et les maisons dispersées çà et là parmi les arbres.

mercredi 4 mars 2009

Poésie : Joubarbes


Je découvre souvent en lisant des blogs ou des chroniques des textes qui me parlent,  dont j’aime l’idée et l’écriture. J’ai envie de les conserver pour les relire. j’ai décidé de les “collectionner”. 
Le blog Pêle-Mêle  de Jeandler  est  dédié à la nature et la poésie, une belle alliance entre l'image et les vers qui célèbrent la beauté des plantes et des arbres dans leur simplicité et leur humilité.
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Les joues bien roses

serrées l’une contre l’autre

sourire aux lèvres

Les soeurs sont à l’abri

au chaud au creux du rocher

samedi 21 février 2009

Christian Bobin : La Folle allure


La Folle allure de Christian Bobin est l'histoire de Lucie, (ou Aurore, Belladone, Marie, Ludmilla, Angèle...) ou peu importe le prénom choisi par l'héroïne au cours de ses fugues réitérées.
Petite fille, elle vit dans un cirque, est amoureuse d'un loup dans les yeux duquel elle voyage.
 Mon premier amour a les dents jaunes. Il entre dans mes yeux de deux ans, de deux ans et demi. Il se glisse par la prunelle de mes yeux jusqu'à mon coeur de petite fille, où il fait son trou, son nid, sa tanière.
A la mort du loup, commencent les fugues de la fillette. Là, elle va découvrir une vérité fondamentale pour elle : personne, non, jamais personne ne pourra la contraindre à faire ce qu'elle ne veut pas.
Très jeune, elle se marie et et prend des amants.
Ce ne sont pas vraiment des fugues. J'ai médité là-dessus, après la remarque de ma mère : si je ne disparais plus c'est que je n'ai plus besoin de disparaître. Le mariage est encore la meilleure façon pour une femme de devenir invisible.
Elle divorce. Après un début de carrière dans le cinéma, elle renonce à tout et se réfugie dans un hôtel pour écrire le livre que nous sommes en train de lire. Au cours de cette retraite elle retrouve son ange aux cheveux rouges et aux ailes un peu fripées.
Le travail de mon ange est de me détacher du monde (et de moi) en me donnant une puissante envie de dormir.(...) l'écriture faisait partie de ce sommeil.
A la fin de cette expérience elle sent qu'elle a enfin grandi, qu'elle a enfin pu être elle-même. Mais pour cela, il faut échapper à ceux qui vous aiment.
On ne peut pas grandir avec les autres. On ne peut grandir qu'en faisant des choses dont on ne leur rendra pas compte. Cette part là, est la part de l'ange- ou du loup.
Dans le rétroviseur de sa vie, elle peut donc apercevoir ce  trio charmant, vraiment la fine équipe, un loup aux dents jaunes, un ange aux cheveux rouges, et le gros, le gros imperturbable..
Le gros, c'est Bach.
Le gros plein de notes. Si je préfère sa musique à toutes les  autres, c'est parce qu'elle est délivrée du sentiment. Pas de chagrin, pas de regret, pas de mélancolie : juste la mathématique des notes comme le tic tac des balanciers de l'horloge.
Et au-delà du récit, il y a le style de Bobin, le regard attentif qu'il porte au monde pour en dénoncer la beauté, l'amour du détail, de la précision, comme s'il se livrait à un fin travail de ciseleur, l'analyse des sentiments qu'il nous livre une fois sortis de leur gangue et qui demande patience, calme et retrait hors du monde.
Quelques réflexions que j' aime :
Les yeux des hommes sont plus changeants que ceux des loups. Ce qu'on y voit est beaucoup plus terrible.
Ce n'est pas qu'il y ait deux mondes, celui des riches et celui des pauvres. C'est bien plus fort que ça : il n'y a qu'un seul monde, celui des riches et, à côté ou en arrière, le bloc informe de ses déchets.
Elle est éternelle ma mère. Je sais bien que la mort entrera un jour dans son corps et que l'âme en sortira pour ne pas manquer d'air, pour continuer à battre la campagne, ailleurs, autrement. Je sais bien mais en attendant ce jour, je prends un plaisir fou à entendre sa voix, l'entendre pas l'écouter, les mots n'ont pas une si grande importance, qu'avons-nous à nous dire dans la vie, sinon bonjour, bonsoir, je t'aime et je suis là encore, pour un peu de temps vivante sur la même terre que toi.

vendredi 20 février 2009

Shan Sa : Le vent vif et le glaive rapide


Le Vent vif et le glaive rapide est un recueil de poèmes de Shan Sa, pseudonyme qui signifie en chinois : bruissement du vent dans la montagne La jeune écrivain chinoise est l'auteur notamment de La Joueuse de go.

Le titre est contenu dans cet avant-dernier poème du recueil où Sahn Sa regarde vers ses origines :

Le vent vif et le glaive rapide
Sont les seules bénédictions
de mes aïeux.

Le thème de l'origine, du pays lointain, associé bien souvent au thème du vent, est très vivace dans cette fin du recueil où la jeune femme après avoir chanté les joies puis les souffrances de l'amour trahi, se tourne vers ce qu'il y a d'immuable en elle, ce qui est ancré à tout jamais, échappe à l'aléatoire,

Prends soin de ce corps
Trois mille âmes l'ont habité
Il te conduit
Vaisseau large
De la rivière à la mer
De la mort à la renaissance.


et exprime la nostalgie de l'exilée :

Le vent du nord
Fait sangloter les oiseaux
Est-ce le chant de mon pays
Qui appelle ses âmes errantes?

lundi 2 février 2009

Surdité du bord de mer…


Je découvre souvent en lisant des blogs ou des chroniques des textes qui me parlent, que je trouve intéressants, dont j'aime l'idée et l'écriture. J'ai envie de les conserver pour les relire. J'ai parfois envie aussi d'y répondre pour dire mon accord ou mon désaccord, pour noter mes réaction personnelles, bref, j'ai décidé de "collectionner" pour réfléchir ou réagir. Il s'agit d'une sorte de recueil dont j'aurai glané les feuilles de-ci, de-là et que je retrouverai dans Ma Librairie.

                                                       Le coquillage Gustave Moreau

Ce texte écrit par Sophie Poirier dans son blog L'Expérience du désordre m'a touchée parce qu'il me rappelle combien la vie est fragile, le bonheur éphémère.

Parce que mon oreille gauche s'était bouchée soudainement (j'entendais la mer dans le coquillage, sans le coquillage), l'ORL après avoir soigné mon ouïe pertubée (je n'ai rien contre entendre l'océan et les vagues, bien au contraire, mais seulement quand je suis face à la mer…), donc il m'a soigné pour une perte d'ouïe à l'oreille gauche et il m'a prescrit un IRM.

C'est ce tube dans lequel tu entres allongé, tu restes immobile, là comme ça, la tête coincée, tu te prends facilement pour un cadavre dans son cercueil alors forcément tu flippes un peu… Le radiologue te met dans la main une poire qui sert de lien avec le monde extérieur. Au cas où tu paniques…

Elle m'a dit :  Vous pouvez fermer les yeux. C'est ça qui fait peur. Donc conseil : garder les yeux ouverts (comme dans la vie, tu changes rien, tu restes vigilant et attentif)
Ils ont bricolé une sorte de petit miroir au-dessus de toi. Si tu regardes, tu vois ce qu'il y a devant le tube, des écrans, des gens qui passent, un bout de ton orteil qui dépasse… C'est beaucoup mieux que l'obscurité.

Ça dure un quart d'heure. De temps en temps, une sirène retentit, comme si la machine avait détecté de quoi sonner l'alerte. Au début j'ai cru qu'ils écoutaient de la techno, mais non c'est le bruit des machines. Avis aux amateurs de musique façon Pierre Henry, il y a du son et du rythme à aller enregistrer.

Après, le chef des IRM vient te dire le résultat. Pour moi c'est normal. Monsieur Piton me l'annonce vite fait, dans un petit bureau. Mon amoureux est, lui, dans la salle d'attente.

J'imagine si le pire était dit, là, dans ce bureau comme celui du KGB, toute seule. Et après le parking de la clinique, -5° dehors, un amoureux ébahi et toi qui pleures…
C'est donc ainsi qu'on peut apprendre des très mauvaises nouvelles. C'est moche.

Au lieu de ça, on a fait les veinards, on a ri, oui, oui, j'ai bien un cerveau.

Mais je pense à la vie qui est courte, souvent brutale. Aux autres qui sont sortis d'ici sans fous rires, avec les vertiges et les peurs.
Je pense à mon père aussi.

mardi 20 janvier 2009

Un film de Paul Newman : De l’influence des rayons gamma…


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J'ai revu avec un grand plaisir le film de Paul Newman intitulé : De L'influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites. Je l'ai vu à sa sortie en 1973 puis il a disparu des écrans mais surtout pas de ma mémoire.  Et le voilà qui sort à nouveau, restauré dans les cinémas d'arts et d'essai, un peu partout en France. J'avais peur que, les années passant, il ne soit plus à la hauteur de mon souvenir, ce qui n'est pas le cas! Une aubaine, donc, qu'il ne faut pas manquer!
Paul Newman adapte le roman de Paul Zinder qui obtint le prix Pullitzer en 1971. Il dirige ici sa femme, Joanne Woodward, remarquable dans le rôle de Madame Hunderfer, une femme d'une quarantaine d'années, qui vit dans un quartier modeste d'une petite ville américaine, paumée, aigrie, enfermée dans ses rêves, pathétique dans ses essais infructueux pour s'en sortir. Elle manie un humour intelligent mais noir et caustique qui n'épargne personne et surtout pas elle-même. Elle élève, toute seule, deux filles, Ruth, 17 ans, rebelle, victime de crises d'épilepsie et Mathilda, une écolière de 13 ans, extrêmement douée, qui étudie l'influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites.
La majorité du récit a lieu en milieu urbain et en particulier à l'intérieur de la maison, un décor sombre, encombré et négligé à l'image de la mère qui traîne en peignoir toute la journée, cigarette à la bouche, lisant des petites annonces, échaffaudant des projets sans jamais les mettre en oeuvre. Impression d'enfermement, d'étouffement. La seule scène qui est  tournée en pleine nature n'apporte aucun soulagement car le personnage se retrouve alors, avec l'intervention du policier, ancien camarade de classe, en présence de son passé et de son échec.
Le film montre donc une tranche de la vie de ces trois femmes, les Trois Marguerites (c'est le nom que madame Hunderfer veut donner au salon de thé qu'elle n'ouvrira jamais) et analyse sous forme de métaphore l'influence du comportement de la mère sur les deux filles au fur et à mesure que celle-ci s'enfonce  dans le désespoir... On devine aisément qu'elles ne s'en sortiront pas indemnes.
Comme celui de la mère, les personnages de Ruth et Mathilda sont passionnants et très biens servis par les jeunes actrices, Roberta Wallace (Ruth) et Nell Potts (Mathilda), la  propre fille de Paul Newman. La fragilité de l'aînée, sa répulsion devant la vieillesse et la mort, sa peur de ressembler à sa mère, se révèlent malgré son insolence rebelle, sa cruauté. La cadette avec sa passion pour la science que son professeur lui fait découvrir d'une manière poétique, sa résistance calme et têtue, apporte au récit une bouffée d'air dans ce film très noir.
Les rapports entre la mère et les filles sont analysés avec finesse et subtilité, dans toute leur complexité : l'amour de la mère pour ses filles, sa fierté pour la réussite de sa cadette, mais peut-être aussi le désir inconscient de la voir échouer, sa souffrance, sa rancoeur, ses frustrations;  les sentiments d'humiliation de l'aînée, la honte qu'elle éprouve envers sa mère, ce qui la pousse à la parodier lors d'un sketch improvisé en  classe (une scène d'un férocité incroyable); la force morale de la plus jeune qui préserve, intacte, sa foi dans l'avenir, dans la beauté de ce monde. Son discours, simple et poétique, lors de la remise des prix, porte le sens du film. Il continue en voix off sur le visage lumineux de la fillette, dernière image qui fait naître l'espoir.

Courtney Hunt : Frozen River






Frozen River est le premier long métrage de Courtney Hunt et il a des qualités incontestables.
Et d'abord le sujet car il ne nous parle pas de la grande et brillante Amérique mais de pauvres gens qui luttent pour assurer le lendemain, de classes sociales en difficulté, voire opprimées, représentées par deux femmes : Ray, la blanche, caissière à mi-temps dans une supérette, que son mari a abandonnée pour aller dépenser l'argent du mobil-home qu'elle comptait acheter. Lia, l'indienne Mohawk, à qui on a retiré la garde de son enfant. Tous deux n'ont qu'un espoir : gagner assez d'argent, l'une pour loger décemment ses deux fils et leur faire manger autre chose que des pop corn, l'autre pour reprendre son bébé à la grand-mère et pouvoir l'élever dignement. Et comme nous sommes dans une région frontière entre les Etats-Unis et le Canada , séparée par un grand fleuve gelé, de là à faire passer des clandestins chinois, il n'y a qu'un pas, vite franchi! Si l'on peut dire car il s'agit de traverser en voiture cette immense étendue de glace avec la hantise d'être prises par la police fédérale ou tribale, et la peur de voir la glace céder sous le poids.

Admirablement interprétées par Mélissa Leo qui a d'ailleurs obtenu un prix au festival de Saint Sebastien 2008 et Misty Upham, l'indienne, les deux personnages sont très forts, très attachants ainsi que les enfants. C'est aussi une belle histoire d'amitié.

Le film fonctionne sur l'angoisse qu'éprouve le spectateur à chaque traversée qui sera peut-être, pense-t-il, la dernière et l'on ressent la force de cette nature toute puissante et sur l'inquiétude quant à l'avenir des enfants que l'on sent menacés.

S'il y a une faiblesse dans le film, elle consiste en son dénouement qu'il vaut mieux ne pas révéler ici car l'intérêt du film en serait émoussé. Pourtant, je peux dire qu'il m'a déçu et que je ne l'ai pas trouvé vraisemblable.

dimanche 18 janvier 2009

Nébuleuse du coeur, nébuleuse de l’âme


Je découvre souvent en lisant des blogs ou des chroniques des textes qui me parlent, que je trouve intéressants, dont j'aime l'idée et l'écriture. J'ai envie de les conserver pour les relire. J'ai parfois envie aussi d'y répondre pour dire mon accord ou mon désaccord, pour noter mes réaction personnelles, bref, j'ai décidé de "collectionner" pour réfléchir ou réagir. Il s'agit d'une sorte de recueil dont j'aurai glané les feuilles de-ci, de-là et que je retrouverai dans Ma Librairie.





Van Gogh : nuit étoilée



Nébuleuse du coeur, nébuleuse de l'âme


Dans Le Monde, j'ai lu ce beau texte, une chronique de Beltégeuse:

Il parle de l'interférence entre science et poésie, paraphrasant et adaptant la célèbre formule de Rabelais : "Science sans conscience n'est que ruines de l'âme". Et ce faisant, il atteint lui-même à la poésie. En voici un large extrait:

Pour moi, le Graal a pris la forme de deux nébuleuses : la Nébuleuse du cœur et la Nébuleuse de l'âme.

Mon vertige vous indiffère ? Vous voulez du scientifique, du vrai, et surtout ni poésie ni littérature ? Bon, comme vous voudrez...

A première vue, rien de vraiment poétique là-dedans : vastes concentrations de gaz et de poussières où des étoiles se sont formées, ces deux nébuleuses répondent aux doux noms d'IC 1805 et IC 1848 tirés des « Index Catalogues » de John Louis Emil Dreyer, astronome danois friand du climat irlandais et grand collectionneur d'amas d'étoiles (1852-1926).

 Plus précisément, il s'agit de deux nébuleuses brillantes à émission dont la première est située à 6150 années lumière de la terre et mesure 180 années lumière dans sa plus grande longueur tandis que l'autre se trouve à 6550 années lumière et s'étend sur 200 années lumière. Ces objets célestes nichent dans le cinquième des six bras de notre galaxie (« le bras de Persée »).

Trop scientifique ? Je vous fais pourtant grâce des ascensions, déclinaisons, positions galactiques et autre taille angulaire de la nébuleuse en minutes d'arc...

Vous êtes content du résultat ? Pas moi : science sans désir ne serait-elle pas ruine de l'esprit ? Peut-on se contenter de passer son chemin en faisant table rase du sens poétique de la vie ? Peut-on lire les catalogues d'astronomie en dédaignant les dénominations littéraires des objets célestes ? Évidemment non.

Je me suis donc demandé si les « Index Catalogues » n'avaient pas produit, par le seul effet de leur sécheresse sidérale, un résultat proprement aberrant : installer la pensée artistique au cœur de notre galaxie.

La consultation d'extraordinaires photographies de cette zone de l'univers m'a convaincue du contraire : la nébuleuse IC 1805 a vraiment la forme d'un cœur même si  la taille de l'organe effraie l'imagination (180 années lumière soit 55,21 parsecs soit 1,703.1015 km ou encore un million sept cent trois mille milliards de kilomètres...).

Mais quid de la seconde ? Comment représenter cette âme rétive à toute description ?

Au sein des amas d'étoiles, la pensée poétique rejoint l'anthropomorphisme scientifique car la Nébuleuse de l'âme porte aussi le nom de « Nébuleuse du fœtus ».

Forme d'un enfant dans le ventre de sa mère, forme d'un enfant dans le ventre de l'espace sidéral, l'âme c'est le vivant rejoignant l'infini...



L’écriture comme un miroir du monde…


Je découvre souvent en lisant des blogs ou des chroniques des textes qui me parlent, que je trouve intéressants, dont j'aime l'idée et l'écriture. J'ai envie de les conserver pour les relire. J'ai parfois envie aussi d'y répondre pour dire mon accord ou mon désaccord, pour noter mes réaction personnelles, bref, j'ai décidé de "collectionner" pour réfléchir ou réagir. Il s'agit d'une sorte de recueil dont j'aurai glané les feuilles de-ci, de-là et que je retrouverai dans Ma Librairie.



                                           L'écriture comme un miroir du monde


J'ai lu dans le blog de Chantal Serrières :  Ecritures du monde cette belle définition de l'écriture :

Miroir promené  tout au long du chemin, à la manière de Stendhal nous relatant la “Chronique de 1830″, dans “Le rouge et le noir”, elle n’est autre que le reflet à l’infini de nous-mêmes. Chaque événement politique d’hier et d’aujourd’hui, chaque avancée dans le futur, chaque fait divers, chaque lieu et chemin empruntés, chacun de nos états-d’âme, se reflètent et bougent à travers  les signes tracés qui les transcrivent.

 Finalement, et pour en revenir à la question initiale, le seul pouvoir de la littérature, n’est-il-pas de réfléchir le monde pour mieux nous en consoler?

mardi 13 janvier 2009

JMG Le Clezio : Ritournelle de la faim


JMG Le Clézio a écrit La Ritournelle de la faim à la mémoire de sa mère dont il raconte l'histoire. Nous faisons connaissance d'Ethel, petite fille, visitant l'exposition coloniale avec son grand-oncle,  nous la voyons, écolière, avec son amie russe, Xénia, nous découvrons sa famille, d'origine mauricienne, face à la montée du nazisme et de l'antisémistisme. Puis c'est la ruine de la famille dont est responsable le père d'Ethel, Alexandre, c'est le temps des premières amours, de la guerre, de l'Occupation qui la voir partir à travers la France jusqu'à Nice où elle connaît les privations et la faim. Enfin son mariage avec Laurent et son départ pour le Canada.
Le récit court donc sur une partie de la vie d'Ethel correspondant à la première moitié du XXème siècle et à cette montée inexorable de la haine et de la violence. Il s'achève après la guerre. Il est encadré par deux textes, l'un au début du roman en guise de prologue, l'autre à la fin, deux textes nostalgiques qui laissent la parole à l'écrivain.
A l'enfant d'abord :
Je connais la faim, je l'ai ressentie. Enfant, à la fin de la guerre, je suis avec ceux qui courent sur la route à côté des camions américains...
L'autre, à l'homme mûr revenant sur les traces des victimes du nazisme, du Vel' d'Hiv', aujourd'hui disparu et celles tout aussi effacées de la jeune Ethel  ...
J'ai écrit cette histoire en mémoire d'une jeune fille qui fut malgré elle une héroïne à vingt ans."
et qui voit dans le  Boléro de Ravel l'image de cette époque terrible :
Le Boléro n'est pas une pièce de musique comme les autres. Il est une prophétie. Il raconte l'histoire d'une colère, d'une fin. Quand il s'achève dans la violence, le silence qui s'ensuit est terrible pour les survivants étourdis.
De beaux accents d'émotion dans ces deux textes comme sont forts aussi ces passages du roman qui décrivent l'affection et la complicité liant Ethel à son grand-oncle, leur découverte magique de la maison mauve, et le rêve commun de l'enfant et du vieillard, celui de reconstruire ce pavillon de l'Inde française achetée par l'oncle à l'exposition coloniale. Des moments saisissants aussi dans la description de Nice pendant la guerre avec ce peuple de misérables qui, tels des fantômes déchus, hantent la fin des marchés à la recherche, sous les étals, de rognures et de  restes  avariés.
Cependant, si j'ai aimé ces passages, mon avis est mitigé sur La Ritournelle de la Faim. Je sais que des critiques lui ont reproché une impression de déjà vu. Et certes, j'ai lu beaucoup de mémoires consacrés à cette période mais, après tout, comme le disait Pascal à propos du manque  d'originalité d'un sujet : "Quand on joue à la paume, c'est d'une même balle dont se sert l'un l'autre, mais l'un la place mieux"
Non, ce qui m'a gênée, c'est l'inégalité entre ces temps forts où les personnages se construisent et vivent devant nous et d'autres que j'ai ressenti comme une rupture dans le récit : en particulier,  les pages qui montrent la famille d'Ethel et rapportent sous forme de notes non rédigées les réflexions entendues par Ethel et consignées sur son carnet.  Ces chapitres intitulés Conversation de salon qui reflètent les idées politiques de  chacun et  font allusion aux évènements sont un  parti-pris de l'auteur mais elles m'ont démobilisée et peu intéressée. J'ai eu un sentiment d'inachèvement comme s'il s'agissait d'un résumé. D'autre part, les réactions du la jeune fille, les sentiments de colère ou de révolte qu'elle pourrait éprouver face à la malhonnêteté de son père, à son incompétence et sa légèreté, ne sont pas suffisamment analysés. A plusieurs reprises, on aimerait en savoir plus, pénétrer davantage dans son intimité. J'ai eu l'impression que l'auteur ne s'était pas toujours impliqué, qu'il était resté en surface, gêné par la réalité du personnage et s'interdisant de faire appel à son imagination pour suppléer aux lacunes de la biographie. C'est pourquoi, je n'ai pas ressenti une émotion soutenue et mon attention s'est parfois relâchée.
Ainsi si certains passages ont une force et une émotion incontestables, d'autres m'ont parfois déçue.

lundi 8 décembre 2008

Le discours du prix Nobel : JMG Le Clezio et Pierre Assouline



Pour avoir entendu JMG Le Clézio s'exprimer en public, l'avoir vu répondre aux questions des journalistes, je sais qu'il n'est pas un bon orateur et qu'il supporte mal de paraître. Il aime la solitude, il se sent plus à l'aise avec des gens modestes dit-on de lui. Voilà qui le rend sympathique. Et n'est-ce pas bien ainsi ? Pourquoi lui reprocher ses silences? Il est écrivain, pas orateur.
Ceci dit, j'ai aimé le discours prononcé à Stockholm par Jean-Marie G. Le Clezio à la remise du prix Nobel de littérature et ceci quoi qu'en pense Pierre Assouline. Voir  La République du livre  .
Je l'ai aimé  parce qu'il est angoissé, sincère et modeste, quand il s'interroge sur le rôle de l'écrivain et de la littérature dans le monde actuel. Pour Le Clézio, l'écrivain sait désormais, contrairement à ses prédécesseurs "engagés" dans une lutte qu'ils croyaient utile, qu'il n'a pas le pouvoir de changer le monde. Alors pourquoi écrire? C'est la question qu'il se pose et à laquelle il répond avec honnêteté. Il y de très belles pages dans ce discours, dignes de ce grand écrivain, ce que Pierre Assouline lui-même reconnaît.
C'est pourquoi j'ai été désagréablement surprise par le ton condescendant que ce dernier emploie à son égard:
 "Le Clézio a donc fait du Le Clézio, ce dont on ne saurait le blâmer. Mais du Le Clézio dernière manière, même si l’on retrouvait dans ces douze pages intitulées “Dans la forêt des paradoxes”, quelques lueurs de l’auteur du Procès-verbal, de L’Extase matérielle et de La Guerre. Appliqué, didactique, aussi boutonné que son auditoire et par moment inspiré."
Libre à lui de ne pas aimer ce texte, encore faut-il le traiter avec respect.  En effet, quand j'ai lu le discours complet de Le Clézio, je me suis aperçue que le procédé employé par P.Assouline qui consiste à isoler des phrases afin d'en montrer la platitude ou le ridicule pour dévaloriser l'écrivain est loin d'être fair play. Séparée de son contexte, une idée peut paraître incohérente, voire ridicule, alors qu'elle ne l'est pas dans son développement. D'autre part, sur un discours de douze pages, il est facile de trouver quelques passages qui ne soient pas au même niveau. C'est vraiment vouloir s'acharner que de guetter ces quelques faiblesses dans un texte qui présente par ailleurs des moments forts.
"L’incipit est banal" dit Pierre Assouline  en citant le texte de Le Clézio :
Pourquoi écrit-on ? J’imagine que chacun a sa réponse à cette simple question. Il y a les prédispositions, le milieu, les circonstances. Les incapacités aussi. Si l’on écrit, cela veut dire que l’on n’agit pas. Que l’on se sent en difficulté devant la réalité, que l’on choisit un autre moyen de réaction, une autre façon de communiquer, une distance, un temps de réflexion.
Ne pourrait-on pas dire que l'incipit est simple, clair et sans prétention? Mais passons sur cette différence d'appréciation qui est liée à la seule subjectivité..
Ce qui n'est pas le cas lorsque Pierre Assouline parle "des lapalissades" de Le Clezio en citant  :
D’abord, parce que la littérature est faite de langage. C’est le sens premier du mot : lettres, c’est-à-dire ce qui est écrit.
Et certes, séparée de ce qui précède et de ce qui suit, cette phrase apparaît comme un évidence voire comme une lapalissade. Mais replacez-la dans le discours et elle prend tout son sens et son importance.
Jugez plutôt : Conférence de J.M.G. Le Clézio 
7 décembre 2008
"La littérature – c’est là que je voulais en venir – n’est pas une survivance archaïque à laquelle devrait se substituer logiquement les arts de l’audiovisuel, et particulièrement le cinéma. Elle est une voie complexe, difficile, mais que je crois encore plus nécessaire aujourd’hui qu’au temps de Byron ou de Victor Hugo. (...)
D’abord, parce que la littérature est faite de langage. C’est le sens premier du mot : lettres, c’est-à-dire ce qui est écrit. En France, le mot roman désigne ces écrits en prose qui utilisaient pour la première fois depuis le Moyen Age la langue nouvelle que chacun parlait, la langue romane. La nouvelle vient aussi de cette idée de la nouveauté. A peu près à la même époque, en France, l’on a cessé d’utiliser le mot rimeur (de rime) pour parler de poésie et de poètes – du verbe grec poiein, créer. L’écrivain, le poète, le romancier, sont des créateurs . Cela ne veut pas dire qu’ils inventent le langage, cela veut dire qu’ils l’utilisent pour créer de la beauté, de la pensée, de l’image. C’est pourquoi l’on ne saurait se passer d’eux. Le langage est l’invention la plus extraordinaire de l’humanité, celle qui précède tout, partage tout. Sans le langage, pas de sciences, pas de technique, pas de lois, pas d’art, pas d’amour. Mais cette invention, sans l’apport des locuteurs, devient virtuelle. Elle peut s’anémier, se réduire, disparaître. Les écrivains, dans une certaine mesure, en sont les gardiens. Quand ils écrivent leurs romans, leurs poèmes, leur théâtre, ils font vivre le langage. Ils n’utilisent pas les mots, mais au contraire ils sont au service du langage. Ils le célèbrent, l’aiguisent, le transforment, parce que le langage est vivant par eux, à travers eux et accompagne les transformations sociales ou économiques de leur époque."
Pierre Assouline dénonce "les contradictions" de Le Clézio  :
La culture à l’échelle mondiale est notre affaire à tous. Mais elle est surtout la responsabilité des lecteurs, c’est-à-dire celle des éditeurs.
Encore une fois lisons la suite du texte et l'on verra pourquoi, si la littérature est l'affaire de tous, elle est aussi celle des éditeurs et des lecteurs. Rien de contradictoire dans cette affirmation si on prend le soin de lire le paragraphe où l'auteur explicite sa pensée.
La culture, je le disais, est notre bien commun, à toute l’humanité. Mais pour que cela soit vrai, il faudrait que les mêmes moyens soient donnés à chacun, d’accéder à la culture. Pour cela, le livre est, dans tout son archaïsme, l’outil idéal. Il est pratique, maniable, économique. Il ne demande aucune prouesse technologique particulière, et peut se conserver sous tous les climats. Son seul défaut – et là je m’adresse particulièrement aux éditeurs – est d’être encore difficile d’accès pour beaucoup de pays. A Maurice le prix d’un roman ou d’un recueil de poèmes correspond à une part importante du budget d’une famille. En Afrique, en Asie du Sud-Est, au Mexique, en Océanie, le livre reste un luxe inaccessible. Ce mal n’est pas sans remède. La coédition avec les pays en voie de développement, la création de fonds pour les bibliothèques de prêt ou les bibliobus, et d’une façon générale une attention accrue apportée à l’égard des demandes et des écritures dans les langues dites minoritaires – très majoritaires en nombre parfois – permettrait à la littérature de continuer d’être ce merveilleux moyen de se connaître soi-même, de découvrir l’autre, d’entendre dans toute la richesse de ses thèmes et de ses modulations le concert de l’humanité.
Pierre Assouline raille aussi ce qu'il appelle (quelle formulation méprisante!) :  "des retards à l’allumage" :
Nous vivons, paraît-il, à l’ère de l’internet et de la communication virtuelle”
"Retards à l'allumage"! Ce que veut souligner Le Clezio par ce "paraît-il" c'est qu'il n'y a qu'une toute petite partie de notre Monde qui vit à cette ère. Il veut mettre en valeur le clivage entre l'apparence et la réalité.
Nous vivons, paraît-il, à l’ère de l’internet et de la communication virtuelle. Cela est bien, mais que valent ces stupéfiantes inventions sans l’enseignement de la langue écrite et sans les livres ? Fournir en écrans à cristaux liquides la plus grande partie de l’humanité relève de l’utopie. Alors ne sommes-nous pas en train de créer une nouvelle élite, de tracer une nouvelle ligne qui divise le monde entre ceux qui ont accès à la communication et au savoir et ceux qui restent les exclus du partage ? De grands peuples, de grandes civilisations ont disparu faute de l’avoir compris. Certes de grandes cultures, que l’on dit minoritaires, ont su résister jusqu’à aujourd’hui, grâce à la transmission orale des savoirs et des mythes. Il est indispensable, il est bénéfique de reconnaître l’apport de ces cultures. Mais que nous le voulions ou non, même si nous ne sommes pas encore à l‘âge du réel, nous ne vivons plus à l’âge du mythe. Il n‘est pas possible de fonder le respect d’autrui et l’égalité sans donner à chaque enfant le bienfait de l’écriture.
On pourrait encore donner d'autres exemples de ces phrases isolées, détournées de leur sens.  Mais comme elles portent sur des points de détails et non sur l'essentiel, on passerait à côté du discours qu'il vaut mieux aller lire dans son intégralité pour se faire une idée :  Dans la forêt des paradoxes
Car finalement ce que reproche Pierre Assouline à Le Clézio et ce qu'il ne peut lui pardonner, c'est tout simplement d'être Le Clézio !  Relisons, en effet, cette phrase d'Assouline  :
" Le Clézio a donc fait du Le Clézio, ce dont on ne saurait le blâmer. Mais du Le Clézio dernière manière, même si l’on retrouvait dans ces douze pages intitulées “Dans la forêt des paradoxes”, quelques lueurs de l’auteur du Procès-verbal, de L’Extase matérielle et de La Guerre."
Qu'il le dise! C'est son droit de critique mais en respectant le texte de l'autre.
Influencé par les cultures orales des peuples parmi lesquels il a vécu, JMG Le Clézio "dernière manière" utilise, en effet, la forme du conte (je viens de lire Poisson d'or) qui, pour paraître moins provocateur, moins tourmenté que le Le CLézio "première manière", n'en est pas moins une façon d'appréhender le monde,  une peinture de la condition humaine. Il explique son évolution vers cette nouvelle forme dans un passage de son discours qui est d'ailleurs très beau :
  Et voilà que les mythes venaient à moi, régulièrement, presque chaque nuit. Près d’un feu de bois construit sur le foyer à trois pierres dans les maisons, dans le ballet des moustiques et des papillons de nuit, la voix des conteurs et des conteuses mettait en mouvement ces histoires, ces légendes, ces récits, comme s’ils parlaient de la réalité quotidienne. Le conteur chantait d’une voix aigüe, en frappant sa poitrine, son visage mimait les expressions, les passions, les inquiétudes des personnages. Cela aurait pu être du roman, et non du mythe. Mais une nuit est arrivée une jeune femme. Son nom était Elvira. Dans toute la forêt des Emberas, Elvira était connue pour son art de conter.
(...) Mais il m’est resté beaucoup plus que de la nostalgie, la certitude que la littérature pouvait exister, malgré toute l’usure des conventions et des compromis, malgré l’incapacité dans laquelle les écrivains étaient de changer le monde. Quelque chose de grand et de fort, qui les surpasse, parfois les anime et les transfigure, et leur rend l’harmonie avec la nature. Quelque chose de neuf et de très ancien à la fois, impalpable comme le vent, immatériel comme les nuages, infini comme la mer. 
Et pour finir je ne résiste pas à citer la fin de son discours, une fin vibrante et pleine d'espoir qui prouve que oui, décidément, la littérature peut exister!
Dans tout son pessimisme, la phrase de Stig Dagerman sur le paradoxe fondamental de l’écrivain, insatisfait de ne pouvoir s’adresser à ceux qui ont faim – de nourriture et de savoir – touche à la plus grande vérité. L’alphabétisation et la lutte contre la famine sont liées, étroitement interdépendantes. L’une ne saurait réussir sans l’autre. Toutes deux demandent – exigent aujourd’hui notre action. Que dans ce troisième millénaire qui vient de commencer, sur notre terre commune, aucun enfant, quel que soit son sexe, sa langue ou sa religion, ne soit abandonné à la faim ou à l’ignorance, laissé à l’écart du festin. Cet enfant porte en lui l’avenir de notre race humaine. À lui la royauté, comme l’a écrit il y a très longtemps le Grec Héraclite.
voir texte sur Poisson d'Or de Le Clézio
Voir texte sur Ritournelle de la faim Le Clézio
* photo press- conference septembre 2008 vue sur wikipedia

dimanche 7 décembre 2008

Jean-Louis Fournier : Où on va papa?






Faire rire, "C'est le plus court chemin d'un homme à un autre", affirme Jean-Louis Fournier.

Il a raison comme nous le prouve son livre Où on va papa? dans lequel il parle pour la première fois de ses  deux enfants handicapés, Mathieu et Thomas, afin "de les mettre en lumière" :
"Un livre que j'ai écrit pour vous. Pour qu'on ne vous oublie pas, pour que vous ne soyez pas seulement une photo sur une carte d'invalidité."

Et c'est par le rire qu'il communique avec nous, c'est par le rire que nous sommes tout de suite à l'unisson, par le rire que nous pénétrons dans le no man's land de sa souffrance. Une souffrance telle que l'on sent très bien qu'il pourrait ne jamais en revenir s'il n'y avait l'humour, l'auto-dérision... Et de ce rire naît une émotion qui ne fera jamais appel à la pitié, sentiment que l'auteur jugerait offensant, mais à une totale empathie.

Ce qui n'empêche pas ce rire d'être douloureux voire terrifiant. Car Jean-Louis Fournier sait nous transmettre d'abord toute la souffrance physique et morale de ses fils, de Mathieu qui n'a jamais su sourire, de Thomas  qui peut répéter cent fois de suite : "Où on va papa?" sans jamais retenir la réponse, des deux garçons enfermés dans leur corset d'acier, le corps meurtri. Et puis il y a le désespoir du père! Il ne vivra jamais les joies des autres parents;  et quand il énumère tout ce qu'il ne connaîtra pas, le lecteur  prend conscience qu'avoir des enfants qui ne souffrent pas d'un handicap,  loin d'être un dû, loin d'être naturel, est une sorte de conte de fées, une chance extraordinaire! Il décrit aussi l'ambivalence de ses sentiments envers ses fils handicapés, de l'amour à la haine... désirs de mort, fulgurances d'amour.

Mais que l'on ne s'y trompe pas, ce livre même s'il témoigne, n'est pas seulement un témoignage! C'est une oeuvre littéraire forte qui me fait parfois penser, non par le sujet, mais par la construction, aux tableaux sociaux, aux portraits que dressait un moraliste comme La Bruyère au XVIIème siècle. Où on va papa? est construit, en effet, par petits chapitres indépendants qui égrènent chacun un thème, de la présentation à la chute qui crée une surprise, voire un choc auprès du lecteur, chute qui exige beaucoup de maîtrise dans l'art d'écrire.

Cette chute  peut-être tour à tour :

un rire de dérision  :

Quand je parle de mes enfants, je dis qu'ils ne sont "pas comme les autres". Ca laisse planer un doute. Einstein, Mozart, Michel Ange, n'étaient pas comme les autres.
Qui va  de pair avec la cruauté

J'ai pensé que quand ils seraient grands, je leur donnerai un grand rasoir coupe-chou. On les enfermerait dans la salle de bains et on les laisserait se débrouiller avec leur rasoir. Quand on n'entendrait plus rien, on irait avec une serpillère nettoyer la salle de bains.. J'ai raconté ça à ma femme pour la faire rire.
un cri de souffrance et d'amour

Quand je pense que je suis l'auteur de ses jours, des jours terribles qu'il a passés sur Terre, que c'est moi qui l'ai fait venir, j'ai envie de lui demander pardon.
 un aveu d'impuissance

Je n'ai pas eu de chance. j'ai joué à la loterie génétique, j'ai perdu.

Et puis il y aussi la douceur, la tendresse

"J'espère quand même que mises bout à bout, toutes leurs petites joies, Snoopy, un bain tiède, la caresse d'un chat, un rayon de soleil, un ballon, une promenade à Carrefour, les sourires des autres, les petites voitures, les frites... auront rendu le séjour supportable."
Le style très concis, ramassé, d'une simplicité épurée, refuse l'émotion facile et renforce le propos. Jean-Louis Fournier définit ainsi sa manière d'écrire :

"Une phrase, c'est un mur de pierres sèches. Pas de ciment. Quand les mots se cognent, ça fait des étincelles."
Effectivement! Chaque phrase composée la plupart du temps de propositions indépendantes, est courte, rapide, sobre, sans fioritures, sans mots superflus, et porteuse de sens.

De plus, on se souvient que Jean-Louis Fournier à été le coauteur des Minutes de Cyclopède, grand ami de Desproges, amateur de l'absurde. Et il a l'art douloureux de  mettre en avant l'absurdité de la vie telle qu'il la ressent devant les épreuves que subissent ses fils, devant l'inutilité de ses efforts, et aussi dans la confrontation  de ses rêves avec la réalité.

mercredi 3 décembre 2008

Le bon usage des compliments de Alexander McCall Smith





Le bon usage des compliments d'Alexander McCall Smith est le premier roman que je lis de cet auteur qui m'était totalement inconnu mais dont le livre était mis en valeur par les bibliothécaires de la Médiathèque Ceccano à Avignon. Alors pourquoi pas? Pour connaître, il faut bien, un jour, commencer.

J'avoue que j'ai un peu de mal  à présenter ce livre. Je suis, en effet, tombée sur le dernier tome (il y en a eu trois avant) de la série consacrée à la détective-philosophe, Isabel Dalhousie, une femme d'une quarantaine d'années, riche, séduisante, intelligente et qui a tendance à toujours se mêler des affaires des autres. Je  ne connaissais pas les personnages, ni leurs rapports entre eux, ceux d'Isabel avec sa nièce Cat, ou encore avec Jamie... Arrivée ainsi dans un livre sans être présentée aux principaux protagonistes, n'est pas  toujours facile. Pourtant  quand il s'agit des  bouquins d'Hillerman, de Mankell, de Vargas ..  je n'ai jamais été gênée  de les lire dans le désordre! Mais il faut bien reconnaître que Le bon usage des compliments n'est pas au même niveau et l'on se dit que les premiers tomes éclaireraient voire étofferaient un peu les personnages..

Isabel vit à Edimbourg. Elle est directrice de la Revue d'Ethique Appliquée. C'est donc plus en philosophe qu'elle mène ses recherches qu'en détective. Dans cette enquête elle cherche à découvrir si le tableau qu'elle a cherché à acquérir à une vente aux enchères, attribué à un peintre écossais, est authentique. Le sujet est prétexte à explorer une île des Hébrides, Jura, ce qui est la partie la plus intéressante du récit. Ni roman policier donc, ni roman philosophique, les réflexions sur l'éthique n'étant jamais très approfondies, Le bon usage des sentiments ne m'a pas déplu mais ne m'a pas enthousiasmée non plus.

Par contre, j'ai lu des critiques  enthousiastes sur une autre série écrite par Alexander McCall Smith qui a pour héroïne, Mma Precious Ramotswe, détective du Botswana, et qui compte huit volumes. A lire un jour!

Série Isabel Dalhousie : Le club des philosophes amateurs/Amis, Amants et chocolats /Une question d'attitude/ Le bon usage des compliments