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mardi 17 avril 2012

Un moment à Pékin de Lin Yutang : De l’enfance à la maturité



 Un moment à Pékin de Lin Yutang, livre divisé en deux Tomes :  1, Enfances chinoises et 2, Le triomphe de la vie.

Le roman, une vaste fresque historique, commence en Juillet 1900 avec la révolte des boxers encouragée par l'impératrice Tseu Hi et finit pendant l'invasion de la Chine par le Japon en 1937 qui lance sur les routes des milliers de chinois fuyant l'envahisseur. Les dernières pages du roman se déroulent au nouvel an 1938 et c'est là que nous laissons les personnages dans l'incertitude de  leur destin (et pourtant heureux) non sans un certain regret.

Après la chute de la dynastie mandchoue et l'abdication de son dernier empereur Pouyi-Yi, âgé de trois ans, Lin Yutang s'attache à nous décrire la situation politique de la Chine, dénonçant la corruption de régimes successifs, avides de pouvoirs et de richesses, incapables de faire l'unité nationale, souvent soumis au Japon et achetés par lui. Au cours de cette période troublée, la Chine avec son immense territoire et la diversité de ses cultures, déjà démembrée par les puissances étrangères qui grignotent son territoire, doit subir la domination de plus en plus brutale des Japonais. Très en retard au point de vue économique et refusant l'évolution des mentalités, la Chine voit s'affronter les libéraux, souvent des intellectuels instruits dans des universités américaines ou japonaises et les conservateurs, en particulier la caste des mandarins, qui défendent leurs privilèges et restent attachés aux traditions. Elle voit émerger aussi un sentiment national qui  pousse le pays tout entier à résister à l'envahisseur japonais, ce que l'auteur décrit avec un certain lyrisme dans la dernière scène du livre où Moulane, l'une des principales héroïnes, fuyant l'armée japonaise, croise des soldats chinois se rendant au front  et chantant :

"Nous ne reviendrons pas/Avant que nos montagnes et nos fleuves nous aient été rendus!"  En se rapprochant d'eux, Moulane fut saisie d'une étrange et nouvelle émotion. Elle comprit que c'était un sentiment de bonheur, un sentiment de triomphe. (...) Il ne s'agissait pas seulement des soldats mais de cette grande colonne en marche dont elle était une partie. Elle avait un sens de sa nation comme elle ne l'avait jamais eu si fortement auparavant, d'un peuple uni par une fidélité commune, et qui, bien que fuyant devant l'ennemi commun, était pourtant un peuple dont la patience et la force étaient pareilles aux dix mille lis de la Grande Muraille et aussi permanente.(...) Car le vrai peuple chinois est enraciné dans ce sol qu'il aime. Elle fit quelques pas et prit sa place au milieu d'eux.

Je ne prétends pas résumer en quelques lignes l'Histoire de la Chine telle que l'a décrite Lin Yutang avec tant de minutie, tant de détails, tant de précisions et surtout de nuances, sachant qu'il s'agit d'un "pavé' de plus de 1400 pages. Ce qui me frappe surtout c'est qu'au-delà du sérieux de l'historien, il ne s'agit pas seulement d'un livre d'Histoire mais d'un roman qui nous amène à partager la vie des personnages, à vivre à travers eux les soubresauts qui agitent la Chine. Et c'est là, l'art de Lin Yutang, de faire en sorte que, en nous tenant en haleine, la vie quotidienne des gens, leurs sentiments, les évènement particuliers qui les affectent ne soient en réalité que le reflet des mouvements internes qui révolutionnent ce grand pays.

L'auteur a choisi de peindre cette période historique à travers deux grandes familles (et ceux qui gravitent autour)  assez représentatives de toutes les tendances mais d'une manière nuancée, sans systématisme.

Il y a d'abord la famille YAO dont le chef est Yao Sseu-ane, riche marchands de thé et de médecines, assez ouvert aux idées nouvelles : c'est lui qui refuse que sa deuxième fille, Moulane, ait les pieds bandés, lui qui envoie ses fils, Tijen et Afei en Angleterre, lui qui encourage ses filles, Moulane et Mocho, à étudier.

Taoïste, il réalisera son désir le plus cher,  "la conquête du moi " "grâce à la contemplation", en s'exilant loin de sa famille pour vivre une vie ascétique. Sa fille, Moulane, connaîtra la même expérience, quoique dans des ciconstances, différentes au cours de l'exode, à la fin du roman, par un contact humain avec cette grande communauté d'hommes et de femmes. Et elle comprendra - c'est  le sens de la philosophie de son père Yao mais aussi de Lin Yutang- que :

Tel était le triomphe de l'esprit humain. Il n'existe pas de catastrophe si grande que l'esprit ne puisse s'élever au-dessus d'elle, et par cette ampleur même, la transformer en quelque chose de grand et de radieux.

Au cours de leur voyage vers le sud pour fuir l'arrivée des boxers à Pékin, au tout début du roman, Moulane est enlevée par une femme boxer. Elle est recueillie par la Famille TSENG  dans laquelle elle entrera plus tard en se mariant avec le troisième fils, Sunya. Le père, Tseng Wampo, riche mandarin, haut fonctionnaire, confucianiste, représente la tradition et refuse la modernité et l'évolution des mentalités en particulier en ce qui concerne la conception de la famille. Jusqu'au bout ses belles-filles, Mannia, la veuve vierge, épouse du premier fils mort le jour du mariage, Moulane, Senteur vague, seconde épouse du deuxième fils, devront rendre à sa femme et à lui-même, qu'elles respectent d'ailleurs, les services qui leur sont dus.

Autour des ces deux familles, gravitent la Famille FENG, Feng Tsé-ane étant le  frère  de madame Yao, et père de Jade Rouge, une des quatre beautés de la famille, extrêmement raffinée et érudite, la famille SOUN, neveu de grand-mère Tseng dont la fille est Mannia. Celle-ci est l'incarnation de la femme de l'ancien régime, les pieds bandés, élevée dans la pure tradition. La famille KOUNG, amie des Yao :  la veuve Kuong a deux enfants, un fils Lifou qui joue un grand rôle dans le roman et une fille Houane-erth qui incarne les idées révolutionnaires.

La dernière famille NIOU, est l'occasion pour Lin Yutang, de nous présenter cette classe de fontionnaires sans scrupules, entassant des richesses et opprimant le peuple : Niuo Sseuto, ministre des finances, dit le Dieu des richesses, madame Niou dite Grand'Mère cheval, qui régente son mari et le pousse au mal. Enfin leurs enfants qui sont tout aussi corrompus : Houaiyou, le fils vendu aux japonais, Souyoun, la fille qui mène une vie dissolue et fait, avec l'aide des japonais, le commerce de l'opium; Toungyou qui se rendra si odieux qu'il sera puni de mort.

De tous dépend une foule de serviteurs et d'esclaves dont on devine aisément la misérable condition, soumis à des maîtres qui ont un pouvoir sinon absolu du moins exorbitant sur eux, même s'ils sont, chez Moulane, traités avec humanité. Mais le roman n'a pas pour but de nous montrer la souffrance du peuple.

Un des grands plaisirs que j'ai retiré de Un moment à Pékin provient de  la description des coutumes, des traditions, des légendes, de la philosophie chinoises. Lin Yutang, même s'il est gagné par les idées nouvelles - il a étudié aux Etats-Unis, à Leipzig et écrit son livre en anglais- est trop érudit pour rejeter en bloc la richesse, le raffinement extrême de cette grande civilisation. Il nous en fait un tableau coloré,  plaisant et gourmet. Il nous amène à participer aux joutes d'esprit que disputent les jeunes gens dans la plus grande tradition de la littérature ancienne; il nous promène dans le luxe et la richesse des jardins et des maisons, nous invite aux mariages somptueux de Moulane ou de Mocho, ou aux  longues et solennelles funérailles du père Soun ou du vieux Tseng, nous fait goûter non seulement au luxe de l'esprit mais des sens, cuisine raffinée de Moulane, caresse des étoffes fines et soyeuses, éclat des couleurs  et des senteurs de la nature, perfection des bibelots de jade et des bijoux. D'autre part, il y a un personnage à part entière dans ce roman, c'est Pékin,  ville éponyme, une cité qui sert de cadre à l'action pendant une grande partie du roman et  qui est décrite avec beaucoup d'amour. Ainsi lorsque les parcs et les jardins du palais sont ouverts au public en 1912, une des distractions de Moulane est d'aller s'y promener avec son mari.

Si comme on le dit, le but de Lin Yutang est de faire découvrir sa civilisation aux étrangers et de la leur faire aimer, il a pleinement réussi.

Editions Philippe Picquier : Un moment à Pékin

lundi 16 avril 2012

Les impressionnistes américains (2) au Metropolitan Museum de New York

Childe Hassam :  Célia Thaxter's Garden, isles of Shoal, Maine


Après avoir présenté les photographies prises au MET de New York des tableaux de Mary Cassat dans un premier billet, ICI je continue avec les oeuvres impressionnistes américaines découvertes dans ce grand musée.
L'impressionnisme  apparue en France dès les années 1860, se développe aux Etats-Unis dès 1880.
Les peintres américains subirent l'influence de l'impressionnisme français, soit comme Mary Cassat et John Singer Sergent en allant étudier en France, dans les années 1870,  et en rencontrant les grands maîtres français, Edgar Degas, Claude Monet... , soit comme William Meritt Chase en découvrant les oeuvres impressionnistes françaises lors de grandes expositions qui eurent lieu aux Etats-Unis.  En 1886, William Meritt Chase, avec une série de tableaux célébrant la lumière des parcs de New York, de paysages de Long Island, de Shinnecock, devient le plus grand peintre impressionniste de son pays sans en être sorti. Dans les années qui suivirent de nombreux artistes américains rejoignent Claude Monet à Giverny où celui-ci s'est installé en 1883.

John Singer Sargent  (1856–1925)

Sargent le goût de la nouveauté auprès de  son ami Monet comme le prouve ce tableau intitulé : "Deux jeunes filles à l'ombrelle". Cependant, grand admirateur de Frans Hals et de Vélasquez, il demeure, d'une façon générale,  plus classique. Il est reconnu comme un grand portraitiste même s'il a peint aussi des paysages et des scène militaires pendant la première guerre mondiale. Le portrait de madame X  (madame Gautreau), qu'il aimait particulièrement, fut très mal reçu à l'exposition de 1884 à Paris. Il l'avait peint sans l'accord de la dame et avait laissé volontairement une bretelle de la robe glisser sur l'épaule. Cette erreur scandaleuse fut réparée par la suite, la bretelle remise en place, mais la sensualité du tableau valut à Sargent la fin de ses commandes françaises. Il partit s'installer à Londres. Le tableau de Madame X  resta dans l'atelier de l'artiste et ne fut acheté par le Metropolitan qu'après la mort de madame Gautreau en 1916.

Two grils with parasols (1888)

Sergent : Portrait de madame X

 William James Glackens ( 1870-1938)

William Glackens fit de nombreux séjours en Europe, en particulier à Paris. Il s'intéresse aux scènes de rue (the green tram) et aux scènes de vie de la middle-class américaine comme dans Hiver à Central Park.


green train



 Central Park : winter

Robert Reid (1862-1929)

L'artiste suggère une analogie  entre la fragilité de la femme et des fleurs qui l'entourent. Ce tableau rappelle le panneau mural  intitulé Senteur, qui constitue une partie de la série intitulée Les Cinq sens peinte en 1897 pour la bibliothèque des congrès de Washington combinant à la fois son intérêt pour l'impressionnisme et pour le mouvement mural.

William Meritt Chase (1849-1916)

William Meritt Chase peint ici une scène intime et paisible de sa vie de couple : Alice, sa femme cousant pour "the little one", un de leurs cinq enfants, dans leur maison d'été à Shinnecock, dans la ville de Southampton, Long Island, New York. Même s'il peint un intérieur, Chase s'intéresse à la lumière qui pénètre dans la pièce et à la fenêtre qui s'ouvre sur le jardin, traitant ainsi le sujet comme une scène de plein air. J'aime bien le désordre qui règne autour de la jeune femme et ce bout de papier (tissu?) qui traîne par terre, suggérant que celle-ci ne pose pas mais qu'elle est surprise dans son quotidien.

Chase : For the little one


Chase

Childe Hassam (1859-1935)

Childe Hassam peint ici Union Square l'une des plus importantes places culturelles et commerciales de New York, située à la jonction de Broadway et de Bowery Road. La neige donne une impression douce et ouatée mais la tache rouge du tramway, les silhouettes noires des voitures embouteillées et des passants qui traversent n'importe comment donnent un animation intense à la scène.

Union Square, Hiver


Surf, Isles of Shoal

Les impressionnistes américains ont continué à travailler jusqu'en 1920 même si le goût pour l'impressionnisme avait alors diminué.  En 1910 émerge un  réalisme urbain avec l'école Aschan  bientôt démodé dès 1913 avec l'exposition d'Avant-garde de L'Armory Show.


dimanche 15 avril 2012

Un Livre/ Un film : réponse à l'énigme N° 29 Kazuo Ishiguro Les vestiges du jour






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Les gagnants sont :  Aifelle, Alain, Dasola, Dominique, Eeguab, Keisha,  Maggie, Marie-Josée, Somaja,  Thérèse

Le roman : Kazuo Ishiguro Les vestiges du jour
Le film : James Ivory Les vestiges du jour

Merci à tous et toutes pour votre participation ....






Kazuo Ishiguro est né en 1954 à Nagasaki et arrive en grande Bretagne à l'âge de cinq ans.
Il est l'auteur de six romans : Lumière pâle sur les collines; un artiste du monde flottant, les vestiges du Jour ( 1989); L'inconsolé; Quand nous étions orphelins; Nocturnes. Il a été décoré de l'ordre de l'Empire britannique pour ses services rendus à la littérature en 1995. En 1998, la France le fait chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres. Il vit à Londres  à l'heure actuelle.

Les vestiges du jour, oeuvre adaptée par James Ivory avec à la fois une grande fidélité et un talent très personnel, (le propre d'un grand réalisateur et d'une excellente adaptation), présente l'histoire de Stevens narrée par le personnage lui-même, à un âge avancé. Stevens y raconte la fin d'une époque, celle des grands majordomes dont il a fait parti, responsable d'une nombreuse domesticité et, en même temps, la fin d'une classe sociale, celle d'une noblesse extrêmement riche, dont le sens de l'honneur et de la dignité réglaient la vie quotidienne et forçaient l'admiration de leurs subalternes. Le destin individuel de Stevens, avec son refus des émotions, est étroitement mêlé à l'Histoire de son pays. Son maître, Lord Darlington, dans les années 1920, organisait des conférences chez lui et recevait  de hauts personnages jusqu'à la guerre de 1940.

Le récit commence en 1956 lorsque Darlington Hall est vendu à un américain, Mr. Farraday. Stevens qui doit réorganiser la maison avec peu de domestiques, reçoit une lettre de l'ancienne intendante de Darlington, Miss Kenton qui semble vouloir reprendre du service après s'être séparée de son mari. Stevens va entreprendre un voyage pour retrouver cette femme, en espérant la ramener. Tout au cours de voyage, de longs retours en arrière nous permettent de retourner dans le passé.

Intérêt historique : Le fonctionnement de ces nobles maisons est absolument étonnant. On ne se doute pas de ce que représente la gestion d'une telle domesticité, la compétence et les qualités nécessaires à un majordome pour la bonne marche, au quotidien, d'une demeure comme celle-là et l'habileté, la précision, la rigueur, qu'exige le bon déroulement  d'une réception lorsque le maître reçoit. Aucune erreur ne peut être tolérée. Il est obligatoire d'établir un plan, nous explique Stevens, et de prévoir plusieurs solutions de substitution en cas d'anicroches! Si cet aspect-là du livre est passionnant, le film sait rendre à merveille l'activité de ruche qui règne dans les cuisines, la salle à manger, les chambres à coucher... Tout est réglé au millimètre près, comme dans une chorégraphie précise, que la mise en scène d'Ivory souligne brillamment.
La mentalité de ce domestique est tout aussi étonnante à nos yeux. Ce qui caractérise un grand majordome précise Stevens est la dignité. Celui-ci doit être capable de maîtriser ses émotions dans n'importe quelle condition. De plus, il doit être loyal et servir son maître sans le juger. Servir est donc pour Stevens un beau et noble métier, d'autant plus qu'en exerçant ses talents pour son maître, il sert aussi son pays. Mais corollairement, le maître doit être digne d'être servi. Le majordome doit pouvoir se dire :  "Cet employeur incarne tout ce que je trouve noble et intelligent. Dorénavant, je me consacrerai à son service"
 Qu'en est-il du personnage de Lord Darlington d'après ce critère. En 1923, quand il invite des représentants des gouvernements anglais, français, américains, allemands, c'est dans le but  de réparer l'injustice et l'humiliation infligées aux allemands par l'armistice de 1914.  Par la suite, on le verra, au cours des années, se compromettre avec le régime nazi, tout en croyant encore  préserver la paix et la justice. Peu à peu la propagande antisémite agit sur lui, même s'il le regrette plus tard et cherche à réparer son erreur.
Le voyage  de Stevens va l'amener à une prise de conscience tragique, un constat d'échec : Ce n'était pas du tout un mauvais homme. Et au moins a-t-il eu le privilège de pouvoir dire à la fin de sa vie qu'il avait commis ses propres fautes. C'était un homme courageux. Il a choisi un certain chemin dans la vie, il s'est fourvoyé, mais il l'a choisi lui-même; il peut au moins dire ça. Pour ma part, je ne suis pas en mesure de le dire. Vous comprendrez j'ai eu confiance. J'ai fait confiance à sa seigneurie. au long de toutes ces années où je l'ai servie, j'ai été convaincu d'agir de façon utile. Je ne peux même pas dire que j'ai commis mes propres fautes. Vraiment - on se demande- où est la dignité là-dedans?
Intérêt psychologique : Le roman est aussi l'histoire d'une vie gâchée. Stevens est  un homme qui ne peut jamais exprimer ses sentiments et qui même se refuse à se les avouer à lui-même. Il passe ainsi à côté de l'amour, refusant de comprendre les sentiments de Miss Kenton.
La fin du livre est très triste non seulement dans la scène où il dit adieu à Miss Kenton mais aussi dans celle (absente dans le film) où, assis sur un banc, il se confie à un inconnu pour constater l'échec de sa vie sentimentale mais surtout professionnelle à laquelle il a tout sacrifié.
Le film, quant à lui, rend avec finesse toutes les nuances psychologiques indiquées par le roman car il est superbement servi par les acteurs, Emma Thompson et surtout Anthony Hopkins dont la gestuelle, la moindre expression du visage, révèlent sans en avoir l'air tout ce qu'il ressent mais aussi le combat intérieur qu'il doit mener à tout moment contre lui-même.
La fin, dans le livre comme dans le film, permet pourtant un lueur d'espoir. La vie doit continuer et Stevens doit apprendre à accepter les mutations irréversibles de la société. Dans le roman, il décide donc, en retournant à Darlington, d'adopter le style nouveau réclamé par son maître américain : "le badinage", c'est le terme qu'il emploie. Autrement dit, notre majordome va apprendre à être un peu moins empesé et à plaisanter!! Dans le film, Ivory reprend cette idée, en montrant Stevens lançant une plaisanterie à son maître. L'acteur révèle par son attitude corporelle ce changement subtil. Pas besoin de nous en dire plus. C'est là que l'on voit le génie de celui qui adapte un livre : remplacer les mots, voire les phrases, par une image.

Challenge de Calypso : Le titre devait présenter le mot jour

samedi 14 avril 2012

Un livre/un film : énigme n° 29




Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.

Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
 
Enigme n°29

Le roman qui a été adapté au cinéma est d'un auteur d'origine japonaise, installé en Angleterre. Au cours d'un voyage, un  vieil homme se remémore le temps passé et fait le bilan de sa vie.

Ce n'était pas du tout un mauvais homme. Et au moins a-t-il eu le privilège de pouvoir dire à la fin de sa vie qu'il avait commis ses propres fautes. C'était un homme courageux. Il a choisi un certain chemin dans la vie, il s'est fourvoyé, mais il l'a choisi lui-même; il peut au moins dire ça. Pour ma part, je ne suis pas en mesure de le dire. Vous comprenez, j'ai eu confiance. J'ai fait confiance à sa seigneurie. Au long de toutes ces années où je l'ai servie, j'ai été convaincu d'agir de façon utile. Je ne peux même pas dire que j'ai commis mes propres fautes. Vraiment - on se demande- où est la dignité là-dedans?

jeudi 12 avril 2012

Que disent-ils de la politique? Du XVI au XVIII


 Deux citations qui me paraissent  établir des vérités très complémentaires mais que nous n'avons pas encore fait nôtres :

Montaigne : "Les lois se maintiennent en crédit non parce qu'elles sont justes, mais parce qu'elles sont lois."



Montesquieu : "Une chose n'est pas juste parce qu'elle est loi. Mais elle doit être loi parce qu'elle est juste."

Camilo José Cela : Les nouvelles aventures et mésaventures de Lazarillo de Tormes



Dans Les nouvelles aventures et mésaventures de Lazarillo deTormes, Camilo Jose Cela s'inspire du grand roman picaresque espagnol du même nom, classique du XVI °siècle, écrit par un auteur anonyme.

Le picaro, est un type traditionnel dans la littérature espagnole. Il s'agit d'un mauvais garçon, orphelin, né dans les plus basses classes de la société, misérable mais rusé et habile, qui gagne sa vie en volant ou en mendiant au cours de son errance de ville en ville. Il rencontre des personnages caractéristiques dont il devient le serviteur, le complice et bien souvent la victime... En France, le Picaro a inspiré Lesage et son Gil Blas de Santillane au XVIII siècle.
Camilo Cela obéit, avec cette oeuvre contemporaine, à tous codes du roman picaresque. Son personnage, Lazarillo de Tormes, qui se croit descendant du premier parce qu'il porte le même nom, est abandonné par sa mère chez des chevriers. Il n'a jamais connu son père. Il est élevé à la dure dans la montagne  et devient dès l'âge de huit ans apte à gagner sa vie, travail pénible souvent récompensé par des coups; aussi dès qu'il le peut, il s'enfuit, quittant subrepticement sa famille d'accueil pour partir à l'aventure sur les routes. Il rencontrera successivement des personnages haut en couleurs, brigands, fripons, menteurs, qui deviendront ses maîtres : musiciens ambulants, hidalgo poète, mendiant philosophe, romanichels, sorcière...
Comme il se doit dans la tradition picaresque, le récit est raconté par le héros du roman devenu vieux. Le narrateur âgé finit toujours aussi démuni, misérable, soulignant, et c'est la conclusion amère de cette l'histoire, qu'un pauvre ne peut échapper à sa condition :
Si j'ai commencé la vie plein d'entrain et si je l'achève accablé il faut en accuser le peu d'habileté que Dieu m'a donné pour ce genre de lutte et ne pas oublier qu'on ne peut demander au peuplier de produire des poires ni aux fontaines des chemins de laisser couler du vin. Lazarillo, le personnage de Cela est peut-être un fripon, c'est sûr, et comment pourrait-il en être autrement puisqu'il n'a connu que la misère et le manque d'amour? Pourtant si ce qu'il fait n'est pas toujours sympathique, il ne peut nous laisser indifférent car il y en en lui une étincelle de franchise, de bonté, de solidarité qui ne demande qu'un peu d'amitié pour s'éveiller. La mort du  seul maître qui soit bon pour lui, le prêtre philosophe, est pour lui un arrachement. C'est un moment tragique du livre où la narration de Camilo Jose Cela serre le coeur. 
Jamais je n'eus un père à aimer, ni un ami avec qui pleurer dans le malheur, en dehors du pénitent Félipè. alors -Dieu sait si ce n'était pas un pressentiment de la solitude qui devait toujours être la mienne,- une telle douleur me bouleversa, j'éprouvai un chagrin si aigu que je crus mourir moi-même devant ce spectacle qui blessa profondément ma volonté : la mort de mon maître, une de deux seules personnes de bien que j'aie rencontrées dans ma vie.Lazarillo est aussi capable d'acte de courage même s'il ne sait trop comment il y parvient. Il est semblable en cela à l'Humanité capable du plus grand Bien comme du plus grand Mal.
Alors, je ne réfléchis à rien, absolument à rien et je compris que dans la vie on ne réfléchit qu'aux petites choses. Les grandes choses, les rares grandes choses, les rares grandes choses nous les faisons sans y penser.
Ainsi lorsqu'il s'enfuit, une fois encore, pour échapper à la brutalité des bohémiens, il emmène avec lui Marie et son bébé, jeune femme maltraitée par ses maîtres, le chien Colosse et l'ours Ragusain qui l'ont bien mérité et à qui il parle comme des amis.
Finalement comme tous les romans picaresque, ces Nouvelles aventures et mésaventures de Lazarillo de Tormes nous montrent un héros profondément solitaire, qui ne connaît que la faim et la violence au milieu d'une société indifférente. Ce qu'il a certainement de neuf par rapport à l'oeuvre du XVI siècle, c'est que l'on ne sent pas l'acceptation de cet état de choses. L'auteur du XVI siècle partait d'une réalité qui était la normale dans une société que l'on décrivait cruelle et terrible mais sans la remettre en cause, l'important étant de ne pas mourir de faim. Camillo Jose Cela, au XX°siècle, montre, lui, une société inégalitaire basée sur l'égoïsme, l'hypocrisie, dans laquelle, que l'on soit mendiant ou nanti, l'homme ne cherche qu'à tirer profit du plus faible. Ainsi le pharmacien fait travailler Lazarillo sans le payer et le gruge comme l'ont fait les musiciens de rue qui lui ont volé son petit pécule. Le livre se termine donc sur un constat amer et pessimiste qui est certainement une remise en cause  de cette société  et qui témoigne dans tous les cas d'une empathie avec les malheureux.
J'eus de bons et de mauvais moments; je connus des jours heureux et des semaines de malheur; je jouis d'une bonne santé et souffris de faim plus que jamais..
Conter ce long chemin, pourquoi? Il fut le sentier épineux de tous ceux qui me ressemblent...



Camilo Jose Cela
Né en 1916 dans un petit village de Galice, Camilo Jose Cela fit ses études à Madrid, et entra à la faculté de Droit. Il fonda la très importante revue Papeles de son  Armadans. Membre de l'académie espagnole de la langue depuis 1957, il a écrit une trentaine de livres parmi lesquels La ruche publié en 1958. Il a obtenu le Prix Nobel de littérature.



Roman lu dans le cadre du challenge de les 12 d'Ys : les prix Nobel

mercredi 11 avril 2012

Nouvelles new-yorkaises (3) : Jerome Charyn, Chante, Shaindele, chante






Le recueil intitulé Nouvelles new-yorkaises dans Folio bilingue présente trois nouvelles  de  Francis Scott Fitzgerald (voir ICI,)  Henry Miller  ICI, et Jerome Charyn.

 

Jerome Charyn : Chante, Shaindel, chante


La nouvelle de Jerome Charyn, Chante, Shaindele, chante, nous transporte dans en 1943, dans un vieux théâtre de Henry Street d'East Broadway. Elle raconte l'histoire de Shaindele, une petite chanteuse du Bronx (où est né J. Charyn) a quinze ans. Son père l'oblige à se produire sur scène sous le déguisement d'un garçon, avec les seins bandés. Exploitée par un père dont elle est la source de revenue grâce à sa voix exceptionnelle, convoitée par les hommes âgés, violée par une bande de voyous, elle est une victime sans en avoir conscience, habituée de la misère et du manque d'amour, et par conséquent, sans jamais se plaindre. Elle ne se révolte qu'une fois, lorsque amoureuse du jeune poète juif, Notte, elle affirme sa féminité et exige de pouvoir porter un soutien-gorge. Son seul bonheur est de chanter sur scène en pensant à Notte pour oublier ce public obscène et avide mais conquis par son talent.
Vous l'avez compris l'intrigue ne se déroule pas du bon côté de Broadway au milieu des lumières, des paillettes et de la gloire. Le théâtre dans lequel se produit Shaindele est dans un piteux état, les rats et les cafards courent entre les fauteuils et le balcon s'écroule sur la foule. Il s'agit surtout de l'histoire d'une enfance volée, maltraitée. Le père de Shaindele la soustrait aux inspecteurs scolaires en déménageant sans arrêt de la même manière que le directeur s'appuie sur ses relations pour empêcher la fermeture de son théâtre par les inspecteurs des sapeurs-pompiers. J.Charyn établit un parallèle entre le déclin du Music Hall dans ces années 40, l'effondrement du théâtre Henry Street et la vie de Shaindele qui ne peut espérer aucun rayon d'espoir dans sa jeune vie.
Je me suis posée des questions sur la nationalité du personnage de Shaindele. Au début, j'ai pensé que la fillette était irlandaise:

Dans les Shamrocks Gardens (Théâtre du Bronx), j'étais soit la petite Annie Rooney, la fierté de Kilearney, soit Mary O' Reilly, la reine du comté de Cork.

Pourtant, elle chante parfaitement en yiddish.
Mais au Loew's Pitkin ou au Théâtre de Henry Street, j'étais Shaindele Berkovsky, la Molly Picon* d'East Broadway.
Elle semble donc juive. Mais le tailleur juif qui lui apprend les chansons en yiddish présente son père comme un goy. Cependant, comme sa tante s'appelle Giuseppa, elle pourrait être italienne. Enfin, quand elle retourne dans son quartier du Bronx, à Webster avenue, elle rencontre un prêtre qui lui reproche de ne plus venir à la messe. Catholique donc, irlandaise ou italienne?

  Dans tous les cas que l'on se déplace du Bronx à East Broadway, la nouvelle se fait le reflet du peuplement des quartiers à New York et des différentes vagues d'immigration. Selon où elle se produit la jeune fille doit plaire à des populations qui représentent le "melting pot" new-yorkais (devrait-on dire selon le mot des nords américains eux-mêmes "le salad bowl" ou la "macédoine" des quartiers de New York?) où chaque nouvel arrivant se regroupe selon sa nationalité et où tous coexistent (on le sait parfois difficilement) sans se mélanger.


mardi 10 avril 2012

Nouvelles new-yorkaises (2) : Henry Miller , Le 14° dictrict

Le Pont de Brooklyn




Le recueil intitulé Nouvelles new-yorkaises dans Folio bilingue présente trois nouvelles  de  Francis Scott Fitzgerald (voir ICI,)  Henry Miller et Jerome Charyn

 

Henry Miller : le 14° district

 

Le 14° district est une nouvelle de Henry Miller absolument éblouissante et surprenante au niveau du style et des images.

Elle commence ainsi : Je suis un patriote - du 14° district, Brooklyn, où je fus élevé. Le reste des Etats-Unis n'existe pas pour moi, sauf en tant qu'idée, histoire, ou littérature.

Miller y raconte son enfance dans les rues de Brooklyn : Naître dans la rue signifie vagabonder toute sa vie, être libre. Signifie accident et incident, drame et mouvement. Signifie par dessus tout le rêve.

Cette enfance, dans un quartier modeste où les cheminées d'usine crachent la suie qui se dépose partout, où les ouvriers fondeurs qui travaillent dans les usines de boîte de conserves portent dans leur peau, incrustée jusque dans la mort, la marque noire de la fournaise des forges, est décrite d'une manière très réaliste. Elle est pourtant sublimée par l'imagination de l'enfance. Les gamins des rues qui sont ses amis deviennent  à ses yeux éblouis les héros de son univers :

Napoléon, Lénine, Capone -fiction que tout cela. Napoléon ne m'est rien comparé à Eddie Carney, qui le premier me pocha l'oeil. Je n'ai jamais rencontré personne d'aussi princier, d'aussi royal, d'aussi noble que Lester Readon lequel, rien qu'en descendant la rue, inspirait terreur et admiration.

Puis soudain au milieu de cette évocation, il y a un tournant. Le narrateur âgé prend conscience que l'enfance a disparu : on s'aperçoit pour la première fois que les ans se sont envolés, que tout cela est à jamais disparu et ne vivra plus que dans la mémoire. L'évocation claire et joyeuse de la jeunesse disparaît avec l'intrusion de la maturité qui est terrifiante. Toute la vie n'est vécue qu'à travers le prisme des premiers souvenirs, il y a fragmentation du moi, jamais plus nous ne serons entiers comme lorsque nous étions enfants :

On  se levait entier le matin, et le soir on plongeait dans un océan, complètement englouti, accroché aux étoiles et à la fièvre du jour écoulé.

Et tout conduit inexorablement à la décrépitude et à la mort. Nous sommes semblables à ce rongeur animant sans cesse la roue de sa cage ou  selon de l'image de Shakespeare, à des acteurs sur le théâtre de la vie :

On tourne  et retourne en rond dans une cage circulaire au roulement de la canonnade; le théâtre est incendié et les acteurs ne cessent pas de débiter leur texte; la vessie éclate, les dents tombent, mais le gémissement plaintif du clown est pareil au bruit de la chute des pellicules. On tourne par nuits sans lunes dans la vallée des cratères, vallée des feux éteints et des crânes blanchis, des oiseaux sans ailes.

Cette seconde partie de la nouvelle est absolument éblouissante  stylistiquement, nous sommes entraînés dans un tourbillon d'images fortes, hardies, originales, et désespérément noires, un vrai feu d'artifice où Brooklyn et ses usines, son pont, Coney Island deviennent des entités vivantes prêtes à nous dévorer.

On marche dans la rue de la nuit, et le pont se dresse contre le ciel comme une harpe, et les yeux gangrenés de sommeil corrodent les bicoques de leur feu, déflorent les murs; l'escalier s'effronde dans un brouillard confus et les rats dégoulinent..

Je regarde le sourire blanc-de-lait de l'aboyeur, ce sourire fanatique sorti de l'incendie du Pays des Rêves*, et puis j'entre tranquillement dans le ventre ouvert du dragon**.


On pourrait peut-être reprocher à ce passage la longueur un peu répétitive de ces évocations mais le lecteur reste pantelant devant une telle puissance visionnaire et une tel jaillissement poétique.


*Pays des Rêves : endroit de Cosney Island, le Lunapar de New York, dévasté par un incendie. Tout brûla, tigres et lions compris. Le bonimenteur y devint fou.

** Le dragon : attraction de Cosney Island, ici symbole pour Miller de la mort qui nous avale et nous digère.

lundi 9 avril 2012

Nouvelles new-yorkaises (1) : Francis Scott Fitzgerald, Rags Martin Jones et le Prince de Galles


John Singer Sergent (MET) : Mr et Mrs Isaac Newton (1884)


Le recueil intitulé Nouvelles new-yorkaises dans Folio bilingue présente trois nouvelles  de  francis Scott fitzgerald,  Henry Miller, Jerome Charyn


F. S. Fitzgerald : Rags Martin-Jones et le Prince de Galles

Miracle! J'ai lu celle-ci en anglais! Le style élégant de Scott Fitzgerald m'a paru aisé à lire.
Le récit tient quelques lignes : Rags Martin-Jones, une riche et belle héritière, arrive à New York après des années passées en Europe.  Elle est attendue par John M. Chestnut, jeune homme de la bonne société, amoureux d'elle depuis des années et qui ne l'a jamais oubliée. Mais celle-ci feint d'abord de ne pas le reconnaître et lorsqu'il vient lui rendre visite à  son hôtel, elle lui déclare que les américains n'ont aucune imagination et qu'aucun ne sera capable de devenir son mari. John Chestnut va tout faire pour lui démonter le contraire.

L'intrigue se déroule dans les milieux huppés et snobs de la grande société New-Yorkaise que connaît bien l'écrivain. Rags Martin-Jones vit dans les hôtels de luxe comme le Ritz, fréquente Tiffany, possède une malle à parfums et s'achète des orchidées par douzaines. Un milieu brillant mais superficiel où l'on devient facilement blasé et où l'ennui guette. Les moyens employés par John Chesnut pour séduire la jeune fille sont bien sûr pleins d'humour et à la hauteur du compte en banque du jeune monsieur! Ce qui n'est pas peu dire! J'ai trouvé l'intrigue bien mince et un peu légère, du style Cendrillon chez les riches!

Ce qui m'a le plus intéressée dans la nouvelle c'est New York, personnage discret mais primordial, et bien sûr le style de l'écrivain qui manie humour, légèreté, distanciation, avec brio sans avoir l'air d'y toucher!
Voilà l'arrivée du Majestic, un grand paquebot appartenant à la White Star Line co-propriétaire du Titanic, qui voyageait de Southampton à New-York :

"Le Majestic fendait les eaux du port de New York par une beau matin d'Avril. Il renifla au nez des remorqueurs et des bacs à l'allure de tortue, adressa un clin d'oeil à un jeune yacht aguicheur, et, d'un coup de sirène revêche, écarta de son chemin un transport de bestiaux puis il s'amarra à son quai personnel avec autant de manières qu'une grosse dame qui s'assied..."

L'ironie de Fitzgerald qui s'exerce sur "l'élite du monde" en présentant  ainsi la première vision de Rags :
Puis il y eut une pause. Puis le capitaine, Sir Howard George Wtichcraft, apparut au bastingage, flanqué de quelque chose qui aurait pu être un tas de somptueux renards argentés. 
Rags Martin-Jones ...

Ironie encore dans la confrontation entre les classes sociales :

L'élite du monde, debout sur le pont, agitait idiotement la main en direction des parents pauvres qui attendaient, sur le quai, les gants de Paris."

Du Ritz situé dans la Madison Avenue nous nous déplaçons jusqu'au restaurant en terrasse, "largement ouverte sur la nuit" que l'on appelle "Le trou dans le ciel" où il fait toujours bon en toute saison  même en plein coeur de l'hiver grâce à "une nouvelle invention qui empêche la montée de l'air".
L'écrivain nous amène ensuite dans un autre gratte-ciel où se situe (modestement) le bureau de John Chesnut et qui échafaude '"trente étages volumineux avant de se rétrécir en un gracieux morceau de sucre d'un blanc éblouissant. Puis il projetait encore trente mètres plus haut une mince tour oblongue en un dernier élan fragile vers les ciel. On voit que tout est fait pour éblouir la jeune fille.

Ce qui peut avoir servi de modèle à Fitzgerald est peut-être le Singer Buiding construit en 1908 qui était le plus haut bâtiment (187m) à cette époque. Il fut démoli en 1968 et un autre gratte-ciel fut construit à sa place The One Liberty Plazza (237 m) qui fut gravement endommagé par l'attentat du World Trade Center.

La nouvelle de Fizgerald a pour mérite de nous montrer une époque où les riches et les intellectuels, écrivains, artistes, étaient très attirés par la culture européenne et aimaient visiter le vieux continent et s'y installer de nombreuses années. Les paquebots leur offraient des voyages luxueux aux antipodes de ceux qui amenaient les immigrés misérables, exilés de chez eux.  Rags Martin-Jones  menace de repartir de New York à peine installée, son amoureux lui prouve que la ville est à la hauteur de ses inspirations et lui promet de grandes émotions.




dimanche 8 avril 2012

New York : Broadway, le quartier des théâtres et poésie avec Sarah Teadsdale

 Broadway, le quartier des théâtres


 Amsterdam Theater (détail sculpture)


 Pendant mon séjour à New York, ma fille cadette m'a invitée dans un théâtre de Broadway, pour assister à un spectacle musical : Mary Poppins, une comédie que je connaissais bien pour l'avoir vue ( du moins le film de Walt Disney!) et écoutée en boucle, des dizaines de fois, quand elle était enfant! C'est un spectacle charmant, plein d'humour, avec des ballets très enlevés, des décors et des lumières réussies et de belles voix.

Ballet des ramoneurs dans Marie Poppins


  Dès la fin du XIXème siècle, le quartier des théâtres vint se fixer autour de Broadway, au niveau de la 42ème rue et, dans les années 1920, on vit aussi fleurir d'immenses palais du cinéma dans le secteur de Times Square. Ce lieu est extrêmement animée de jour comme de nuit. Tout ruisselle de lumières.
 Le New Amsterdam Theatre  où nous avons vu cette comédie musicale est de toute beauté avec ses verrières et ses décorations intérieurs Art Nouveau.  Il fut construit en 1903 et ouvrit ses portes avec une pièce de Shakespeare : Le songe d'une nuit d'été. Il appartint jadis à Florenz Ziegfeld, célèbre directeur de revues et de comédies musicales qui y donna ses plus grands spectacles inspirés des Folies Bergères de Paris, les Ziegfeld Follies, splendides revues que Vincente Minelli fait revivre en 1946 dans un film du même nom. 

 En face de l'Amsterdam Theater, le New Victory Theater (1898) est le plus vieux théâtre de NY. Près de l'Amsterdam, Le Lyric, lui, est son grand rival.  Douglas Fairbank  s'y produisit. C'est là que les Marx Brothers créèrent la pièce de George Kaufman, The Cocoanuts. L'Amsterdam Theater et le New Victory se disputèrent, à l'époque, le concours de Fred Astair et sa soeur.
A l'heure actuelle, le New Amsterdam présente des spectacles produits par Disney et le Victory offre des spectacles jeune public.

Amsterdam Theater 

 Amsterdam Theater


Amsterdam Theater


Le premier spectacle du théâtre : Le songe d'une nuit d'été

 

Broadway, Sarah Teadale 

 

Sarah Teasdale est une poétesse américaine née dans le Missouri, à Saint-Louis, en 1884. De santé fragile, elle ne put être scolarisée avant l'âge de 10 ans, et vécut ainsi sans contact extérieur dans son milieu familial. Elle développa ainsi un monde imaginaire et rêvé. Dès l'âge de quinze ans, elle commença à écrire. Son premier recueil parut en 1907. En 1918, elle obtint trois récompenses littéraires pour son recueil de poésies : Love Song.  Malade, affaiblie par une pneumonie chronique, elle se suicide à à New York en 1933. 
Dans ce poème,  elle décrit "la splendeur liquide des lumières" de Broadway, "volant au ciel des étoiles qui devaient lui appartenir."

 

Broadway : Amsterdam et New Victory Theater


 BROADWAY
 
This is the quiet hour; the theatres

Have gathered in their crowds, and steadily

The millions lights blaze on for few to see,

Robbing the sky of stars that should be hers.

A woman waits with bag and shabby furs,

A somber man drifts by, and only we

Pass up the street unwearied, warm and free,

For over us the olden magic stirs.

Beneath the liquid splendor of the lights

We live a little ere the charms is spent;

This night is ours, of all the golden nights,

The pavement an enchanted palace floor,

And Youth the player on the viol, who sent

A strain of music through an open door.


 BROADWAY
 

C'est l'heure tranquille ; les théâtres
 
Ont capté leur public, et sans répit

Les millions de lumières continuent de briller à la vue de bien peu,

Volant au ciel des étoiles qui devraient lui appartenir.

Une femme attend avec un sac et une fourrure élimée,

Un homme sombre passe, et seulement nous

Descendons la rue sans nous soucier, chauds et libres

Puisque sur nous la magie ancienne s'étend.

Sous la splendeur liquide des lumières

Nous vivons avant que le charme ne soit dissipé :

Cette nuit est la nôtre, entre toutes les nuits dorées,

La chaussée est le sol d'un palais enchanté,

Et Jeunesse, la joueuse de viole, envoie

Un accord de musique par une porte ouverte.

samedi 7 avril 2012

Un Livre/ Un film : réponse à l'énigme N° 28 Tennessee Williams, Soudain l'été dernier

Soudain l'été dernier de Martial Raysse 1963  (Centre Pompidou)

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Les gagnants sont : Aifelle, Asphodèle, Dasola, Eeguab, Jeneen, Marie-Josée,  Maggie, Shelbylee, Somaja.
La pièce de théâtre :  Soudain l'été dernier de Tennessee Williams
Le film : Soudain l'été dernier de Mankiewicz avec Elizabeth Taylor, Katherine Hepburn, Montgomery Clift

 Merci à tous et toutes pour votre participation ....





Thomas Lanier Williams, dit Tennessee Williams, est né le 26 Mars 1911 à Colombus , Mississipi  aux États-Unis. Il meurt le 25 Février 1983 à New York.
Ecrivain et dramaturge, il est engagé à Hollywood pour faire l'adaptation cinématographique d'une pièce mais peu attiré par ce travail, il écrit  un scénario refusé par la MGM. Il le transforme en pièce de théâtre et connaît le succès en 1945 avec cette première pièce : La ménagerie de verre

Seize de ses pièces ou nouvelles furent adaptées au cinéma  par les plus grands réalisateurs, entre autres : Un tramway nommé désir(1951) Baby Doll (1956)de Elia Kazan, La chatte sous un toit brûlant (1958) Doux oiseaux de jeunesse de Richard Brooks, L'homme à la peau de serpent (1960) Last of the mobile Hot shots(1970) de Sidney Lumet, La nuit de l'iguane (1964) de John Huston; Propriété interdite (1966) de Sydney Pollack,  Boom (1968) de Joseph Losey.
La dernière adaptation de son oeuvre au cinéma a lieu en 1987 :  La ménagerie de verre, film de Paul Newman avec John Malkovitch. Elle avait déjà été adaptée en 1950 par Irving Rapper.
Dans Soudain l'été dernier, Madame Venable, Violette, fait venir un chirurgien de renom chez elle et lui demande de lobotomiser sa nièce Catherine pour l'empêcher de raconter ce qu'elle appelle "des radotages" sur la mort violente de son fils, Sébastien.  Le spectateur se rend bien vite compte de l'amour exalté et équivoque de la mère pour le fils qu'elle idéalise et place sur un piédestal. Peu à peu, nous comprenons que ces voyages d'été où Sebastian entraînait sa mère, séduisante, riche et brillante sudiste, lui permettait d'attirer pour son compte de jeunes gens peu fortunés qu'il pouvait mettre sur son tableau de chasse. Mais soudain l'été dernier...  Sébastien n'invite plus sa mère, malade, à le suivre mais sa cousine, la belle et jeune Catherine. Il ne reviendra jamais de ce voyage dans un pays du Tiers-Monde (que Tennessee Williams a voulu imaginaire). Que s'est-il passé? Ce que raconte Catherine est si terrible que madame Venable est prête à tout pour la faire taire. Mrs Holly, la mère, et Georges, le frère de Catherine, uniquement préoccupés par l'argent, ne lui seront d'aucun secours.

Les pièces de Tennessee Williams sont largement autobiographiques. Elia Kazan disait : "Tout ce qui est dans sa vie est dans ses pièces et tout ce qui est dans ses pièces est dans sa vie".
Dans La ménagerie de verre, il met en scène Rose, sa soeur bien-aimée, timide, repliée sur elle-même, plongée dans le rêve, diagnostiquée plus tard comme schizophrène, et sa mère Edwina. Edwina est, quant à elle,  l'archétype,  de "la belle Sudiste", uniquement préoccupée de sa position sociale, snob dans ses aspirations, légèrement hystérique. 
Dans Soudain l'été dernier il met à nouveau en scène sa soeur Rose que sa mère a fait lobotomiser parce qu'elle avait dénoncé les attouchements sexuels que son père, un alcoolique violent, lui a fait subir.  Nul doute que dans cette pièce, Madame Venable, prête à sacrifier sa nièce Catherine pour l'empêcher de dire la vérité sur son fils, ne soit l'incarnation de la mère de Tennessee Williams! L'écrivain qui détestait son père depuis son enfance rompt définitivement avec sa famille après la lobotomisation de Rose qui reste handicapée par cette opération. Plus tard, quand ses moyens financiers le lui permettent, il prend en charge sa soeur pour qui il a toujours eu beaucoup d'affection et de qui il était si proche que l'on aurait dit des jumeaux. On comprend alors pourquoi, dans l'oeuvre de Tennessee Williams, le thème du paraître, du rang social, du qu'en dira-t-on, est primordial. A tel point que la vérité, si elle blesse les conventions et les bienséances, doit être étouffée à n'importe quel prix.  De plus, l'homosexualité de Williams qu'il a eu du mal à accepter pendant longtemps est aussi un thème présent dans sa pièce. L'homophobie, à cette époque, dans cette Amérique sudiste, est si violente que madame Venable, lui oppose un véritable déni. Elle présente son fils comme un être "chaste", se vouant à un célibat "total" "comme s'il avait prononcé ses voeux", dévoilant par ces propos, d'une manière probablement inconsciente, des relations quasi incestueuses avec son fils : J'étais vraiment le seul être dans sa vie qui pût satisfaire ses exigences. Elle est prête à tout pour éviter les révélations de Catherine sur son fils. Elle s'est mise en détruire notre légende, à démolir le souvenir de..  dit-elle en parlant de la jeune fille. Prête à la faire opérer malgré les dangers de l'intervention, prête à acheter la conscience du chirurgien puisqu'il s'agit non de la soigner mais de la faire taire. 
Le docteur
madame Venable? Je ne peux vous donner l'assurance qu'un lobotomie arrêtera son... son radotage!
 
Madame Venable
Peut-être que oui, peut-être que non, mais après l'opération, docteur, qui osera encore la croire?


Pour Violette Venable, la vérité n'est pas ce qui compte, c'est l'apparence! Elle se trahit en  parlant de "ma vérité"  au sujet de la mort de son fils même si elle se corrige et  rectifie :  "la vérité".

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Je ne fais pas de publicité pour Amazon mais j'y ai découvert une analyse de la pièce excellente. En voici des extraits :


Foin de généralités donc, venons-en aux deux points qui ont frappé l'auteur de ces lignes à la lecture de l'œuvre :
Premièrement, Tennessee Williams joue admirablement avec l'ambivalence « dit/non dit ». En peignant cette microsociété inconsciente de la portée de ses jugements et de ses actes, Tennessee Williams slalome avec habileté entre les piquets de l'individuel et du collectif par la dualité « absence/présence du langage », « dit/non dit », « vulgarité/bienséance ». La famille Holly (celle de la mère de Catherine et de son benêt de frère, Georges) est caractérisée par l'incapacité de taire les choses, ce qui la rend au pire vulgaire, au mieux incontrôlable ; la famille Venable, elle, se caractérise par sa propension à les taire où à les enrober de manière à les rendre acceptables. Mais en réalité, les deux sont aussi méprisables, et font montre des mêmes bas instincts (argent), des mêmes caprices (qui se matérialisent par une boisson de drugstore pour l'un, par un daïqiri pour l'autre), des mêmes radotages : l'hagiographie de son fils par Madame Venable contrecarre les « radotages » de Catherine sur les circonstances troubles de la disparition de ce très cher Sebastian.

Quelle que soit la situation symbolique des deux « camps » (les Venable dominants, les Holly quémandeurs), leurs attitudes exhalent une pourriture moite à laquelle la chaleur suffocante de la jungle reconstituée qui sert de décor à la pièce sied à merveille. L'auteur siffle la fin de cette bataille entre le « dit » et le « non dit » sur un immonde match nul. Famille Venable, moins que zéro ; famille Holly, moins que zéro. Sauf Elizabeth Taylor, euh, Catherine pardon, qui tout en s'étant fait voler ou briser sa pureté, physiquement et symboliquement, sublime le « dit » et brise les certitudes, quitte à apparaître inacceptable.
Deuxième thématique majeure, la question de l'irresponsabilité. Dans ce petit monde où tous sont complices, personne ne peut être innocent. La demi-crise de conscience qui provoque la chute de Sebastian est d'autant plus violente qu'elle reste inconsciente, diffuse, qu'elle s'insinue en lui comme un poison sans qu'il en comprenne le sens, ou presque. Pour une fois qu'il ne bouge plus, qu'il n'est pas emmené vers l'ailleurs par sa mère, qu'il marine dans ses actes, il devient vulnérable, potentiellement perméable au mal-être, à la culpabilité, sans toutefois atteindre la prise de conscience (ce serait trop facile). .... Lire la suite ici

Un Livre/ Un film : énigme N° 28




Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.

Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
 
Enigme n° 28

Le livre qui est à la base du film est une pièce de théâtre d'un auteur américain, grand dramaturge du XXème siècle, qui explore le thème de la folie :

La vie de la plupart des gens,... est-ce rien de plus qu'une traînée de déchets, chaque jour quelques déchets de plus,  de longues, longues traînées de déchets jusqu'au grand nettoyage final, la mort...? Mon fils et moi, nous construisions nos journées; chaque journée, chaque journée de notre vie, nous la sculptions comme une oeuvre d'art. Oui, nous avons laissé derrière nous une série de journées semblables à une galerie de sculptures.
 
 
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vendredi 6 avril 2012

Les plumes de l'année : Le phoenix


L'oiseau de feu de Jean Lurçat source : photo de Philippe Poix



 Le Phoenix

Onirique obsession sur ciel d'offense
Orage opale de mon coeur ordinaire
Oh! l'osmose de mon esprit à l'assaut des vagues
Oh! l'Osmose de mon esprit avec l'océan Orgue,
Octave démesuré de ses feulements, de ses grondements,
Or, la couleur de l'obligation... comme une souffrance

Oh! révolte!
Orchidée  à la gueule ouverte, à la dent acérée
Oscille au creux de mes doigts, Révolte!
Ondée, germination bienfaisante,
Ondule, Ondoie, trace ton chemin dans la nuit de l'Espoir.

Opportunité de l'oubli dans l'ombre orange de l'orme endormi
Obéissance au sommeil dans l'ombrelle de ma mémoire
Ode de la vie aux racines de l'arbre
Ode de la joie qui sourd de la pierre des âges
Oh! les sens renaissent à la promesse de l'aube
Jambes qui se déploient dans l'espace temps
Ombelles légères de mes mains
Oasis viride de mes yeux démesurés
Opulent, osé, le nez qui flaire les flammes
Offrande, Incendie, pour tous ceux
              qui
                                       renaissent 
                                                                         de leurs cendres.




 Atelier d'écriture
Jeu d'écriture chez Asphodèle  dans Les Plumes de l'année voici une liste de mots commençant par O à intégrer dans un texte : or – opale -orange – osmose – ode – obligation – offense – oh – ordinaire – orage – opportunité – ouvert(e) – onirique – obsession – ombrelle – obéissance – oubli – octave – orgue(s) – océan – orme – orchidée.

jeudi 5 avril 2012

Que disent-ils de la politique? Winston Churchill : La principale qualité d'un politicien..




Pour Winston Churchill, la principale qualité d'un politicien :  C’est la capacité de prédire ce qui va arriver demain, le mois prochain, et l’année prochaine - et, après, d’expliquer pourquoi cela ne s’est pas passé.