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samedi 27 août 2011

Les plumes de l'été chez Asphodèle




Et voilà le dernier jour de Les Plumes de l'été ... dernier pour l'instant! Merci à Asphodèle d'avoir animé ce jeu qui lui a donné tant de travail. Je programme ce texte et viendrai voir les vôtres lundi, dès mon retour chez moi, à Avignon. 

Les mots en H qu'il fallait intégrer aujourd'hui m'ont donné bien du fil à retordre :


HÉSITER – HURLEMENT – HUMAIN – HÉLICOPTÈRE – HIRSUTE – HÉCATOMBE – HONNEUR – HONGROISE – HASCHISCH – HARMONIE – HUMBLE – HÉRISSON – HYPOTHÈSE – HUMILIATION – HANTER – HARIDELLE – HASARD – HYÉMAL (E) ou HIÉMAL(E) – HALO.



Petites voyageuses hirsutes

Légers hélicoptères, petites voyageuses hirsutes
Humbles ailettes,
            Hésitent et volètent
Plumetis d'oie, valse de l'air
Au hasard du souffle qui guette
Hérissons de duvet candide,
            Harmonie, ô soeurs lumineuses
        
 Fleurs du pissenlit…


Quand vient l'hécatombe hiémale
vous n'êtes plus qu'une hypothèse,
L'humiliation de l'absence
 Et un hurlement qui me hante
Le halo d'un saint qui s'efface
sur la fresque du temps qui passe
Une haridelle de la vie,
le souvenir d'un souvenir
            Le souvenir d'une Harmonie,           

Fleurs du pissenlit


Quand l'humain en moi se dissout
Résine dorée
    qui m'englue
Valse hongroise puis bacchanale
Honneur perdu de mon esprit,
Haschish, mot qui crisse et qui crache
Triste est la fleur du cannabis
            Fleurs du Mal, ô fleurs ténébreuses


Alors, du Temps, les voyageuses
humbles ailettes au souffle qui guette
Plumetis d'oie, neige éphémère
Petits soleils de mon enfance
Je pense à vous...
            Harmonie, ô soeurs lumineuses

Fleurs du pissenlit





vendredi 26 août 2011

Kundera : La plaisanterie


Je viens de lire La Plaisanterie (1967) de  Milan Kundera dans une traduction révisée  par Claude Courtot et l'auteur lui-même.  Milan Kundera explique, en effet, qu'il a été horrifié par une  première traduction française qui ne respectait pas son style et même réécrivait le roman. C'est pourquoi  il a revu le texte français une première fois en 1980, une autre en 1985 avec l'aide de Claude Courtot. Dans une note à la fin de cette édition, il déplore que ce livre, sorti en France au moment de l'invasion de Prague par l'armée russe, n'ait été lu que d'un point de vue politique, dans l'éclairage de l'actualité et il ajoute : "Or aujourd'hui les rumineurs de l'actualité ont depuis longtemps oublié le Printemps de Prague ainsi que l'invasion russe. Grâce à cet oubli, paradoxalement, La Plaisanterie va pouvoir redevenir enfin ce qu'il a toujours voulu être : roman et rien que roman."
Hélas! j'ai bien peur -  pour moi qui viens de lire le livre si tôt après les révélations faites sur le passé de Kundera et sur sa possible dénonciation d'un jeune homme opposé au régime-  que l'actualité ne m'ait rejointe et c'est sous cet éclairage  politique que j'ai d'abord reçu ce roman!  Mais pas seulement! Car La Plaisanterie, on s'en rend compte assez vite, dépasse l'actualité et se révèle être une réflexion sur l'homme en général et sur le sens que celui-ci peut donner à sa vie.
Les premières questions qui viennent à l'esprit en lisant La Plaisanterie concernent les rapports de l'individu avec un régime totalitaire? Comment celui-ci est-il amené à adhérer à l'idéologie en place, sacrifiant parfois amitiés, amours, conscience? Qu'est-ce qui explique qu'une dictature puisse avoir un tel pouvoir sur l'individu? Pourquoi la délation est-elle une constante dans un tel système?
Comment ne pas voir, en effet, qu'un des thèmes centraux du récit est la trahison :
Dans La Plaisanterie, une jeune fille, Marketa, suit un stage de formation du parti. Son amoureux, un brillant étudiant communiste, Ludvik Jahn, lui envoie en guise de plaisanterie et pour se  moquer de son enthousiasme de néophyte, une carte avec quelques mots qui, pris au premier degré, font de lui un ennemi du régime. Commencent alors la mise à l'écart, l'inexorable défection des amis, leur trahison, sa condamnation lors d'un procès mené par un autre étudiant Pavel Zamenek, jusque là son ami. Ludvik, exclus du parti, interdit d'études, est envoyé à l'armée, dans un corps disciplinaire qui rassemblent les ennemis du régime, et doit travailler à la mine. Sa vie, brisée, va être désormais marquée par la haine et la vengeance. L'intérêt du roman est encore renforcé par le changement de point de vue selon que Ludvik, Héléna, Jaroslav ou Kostka présentent le récit. Cette variation de focale permet de pénétrer dans la conscience de chacun et d'avoir plusieurs visions des évènements donc plusieurs "vérités".
Nous découvrons les facettes multiples et complexes des personnages et les motivations  de leur trahison qui révélent parfois les recoins les plus noirs de l'âme humaine :  l'intérêt, l'ambition, la fascination du pouvoir, le fanastisme autrement dit la certitude d'avoir raison et l'idée que la fin justifie les moyens, la lâcheté, l'égoïsme, la peur d'être mis au ban de la société ...  mais d'autres aspects, pourtant,  sont, à priori, tout à fait positifs : La révolte contre l'injustice, l'idéalisme, la fidélité à une idée, la foi en une société meilleure...  Ainsi Marketa n'a aucune honte d'avoir montré la carte de Ludvik Jahn aux camarades de la direction qui surveillent le courrier. Communiste, elle a foi dans le parti à l'égal d'un fanatique envers sa religion. Elle juge  le jeune homme coupable donc elle le dénonce mais, par honnêteté, elle refuse de céder à la pression de Pavel Zemenek,  qui, lui,  apparaît comme un vaniteux, ambitieux qui aime plaire et qui jouit du  pouvoir qu'il exerce sur les autres. Elle est prête à soutenir Ludvik s'il s'avoue coupable, agissant selon un stéréotype romantique un peu ridicule. Mais dans tous les cas, elle reconnaît au Parti le droit de surveiller ses pensées et sa vie privée puisque la réussite du communisme et du bonheur des peuples dépendent de ce contrôle. Tout se passe, en effet,  comme si le parti s'emparait de la conscience de l'individu qui ne s'appartient plus, perd son sens critique, sa liberté et devient conformiste par obligation ou par choix. Il doit se couler dans un moule et si, comme Ludvik, il n'y parvient pas tout à fait, les séances de critiques et d'autocritiques sont là pour le remettre dans le droit chemin. C'est ainsi que Ludvik se voit reprocher des "résidus d'individualisme", "son mauvais comportement avec les femmes" "sa froideur envers autrui".
"Et comme une étrange fatalité, un tel germe veillait sur la fiche de renseignements de chacun, oui, de chacun d'entre nous."  
Le roman est donc une analyse fouillée de la manière dont un régime totalitaire broie l'individu dans une société où  la victime finit toujours par se sentir coupable et par collaborer avec son bourreau et cela quel que soit le pays ou l'origine de la dictature, communisme, nazisme, totalitarisme religieux ...  et cette desciption n'est donc pas seulement liée à l'histoire de Prague et de la Tchécoslovaquie.
Mais le roman est aussi une réflexion générale sur la vie, sur la vacuité de l'existence, la déréliction des individus dans un monde que ne semble être qu'une gigantesque farce, vision pessimiste et noire d'une société où l'amour semble impossible, où l'amitié ne peut survivre, où la souffrance est intense mais profondément inutile et surtout pas rédemptrice. Même la haine échoue car Ludvik, incapable d'aimer  -il brutalise Lucie et la perd - est animé par une haine qui reste sa seule raison de vivre mais qui lui échappe :
"Comment lui expliquer que je peux pas me réconcilier avec lui?(Zamenek) Comment lui expliquer qu'en le faisant je romprai mon équilibre intérieur. Comment lui expliquer que ma haine envers lui contrebalance le poids du mal qui est tombé sur ma jeunesse.. Comment lui expliquer que j'ai besoin de haïr""
Son ennemi a changé de camp et reconnaît ses torts, tous les idéaux de sa jeunesse se dégonflent comme des ballons de baudruche, même le vocabulaire véhiculant des idées pour lesquelles il a tant souffert, n'a plus cours. La jeune maîtresse de Zemenek juge que c'est un vocabulaire de vieux. L'art populaire qu'il a défendu avec son ami musicien Jaroslav ne rencontre que désintérêt; la jeunesse sans idéal, bruyante et vulgaire, se saoule dans les bars.
Il y a un ironie féroce dans ce roman. La vie est absurde : Ludvik passe à côté de l'amour véritable, celui de Lucie, trop habité par la haine qu'il cultive en lui. Sa "vengeance" pitoyable et mesquine envers Zemenek se retourne contre lui -encore une autre mauvaise plaisanterie- et c'est justice puisqu'il se sert d'Héléna comme d'un objet, sans avoir aucune considération pour ses sentiments. Héléna rate lamentablement son suicide. L'on ne sent aucune tendresse de l'auteur pour ses personnages. Il les maltraite constamment, les amène jusqu'au bout de leur vie pour mieux nous faire ressentir combien ils sont passés à côté d'elle en privilégiant ce qui est secondaire et non ce qui est essentiel. Ludvik en fait le constat lucide :
"Nous vivions Lucie et moi dans un monde dévasté; et faute d'avoir su le prendre en pitié, nous nous en étions détournés, aggravant ainsi et son malheur et le nôtre. Lucie si fort aimée, si mal aimée, c'est cela que tu es venue me dire au bout des ans? plaider la compasion pour un monde dévasté?"
Jaroslav lui-même, le personnage le plus sympathique du roman rate sa mort car celle-ci, non plus, n'a pas de sens "et l'idée m'envahit qu'un destin souvent s'achève avant la mort, que le moment de la fin ne coïncide pas avec celui de la mort.." 
Ce qui a paru avoir une signification se vide de son contenu et c'est en cela que La Plaisanterie rejoint l'universel car le roman pose la question qui est celle de tout homme au moment du bilan: pourquoi ai-je vécu?

jeudi 25 août 2011

La Voleuse de livres de Markus Zusak


La Voleuse de livres de Markus Zusak a reçu le prix Mille pages de la Jeunesse mais que l'on ne s'y trompe pas, ce livre n'est pas seulement destiné aux enfants, il peut être lu par tous et a une portée universelle. Il parle d'enfants de milieux modestes qui sont apparemment comme tous les autres, allant à l'école, se bagarrant avec les copains, jouant au football dans les rues du quartier, voleurs de pommes à leurs heures. Mais voilà! Nous sommes en Allemagne en 1939, les filles et les garçons sont enrôlés dans les jeunesses hitlériennes et apprennent le culte du Fürher et lorsque la guerre éclate l'apocalypse se déclenche.
Pas étonnant, alors, que ce soit la Mort qui prenne la parole et "Quand la Mort vous raconte une histoire vous avez tout intérêt à l'écouter." Le ton est donné! Surtout que nous ne sommes pas loin de Dachau et qu'il est impossible à tous d'ignorer le sort réservé aux juifs, que le père de Liesel, communiste, a disparu, que celle-ci voit mourir son petit frère dans le train qui l'amène chez des inconnus et que sa mère l'abandonne, pour la sauver, bien sûr, avant d'être déportée à son tour... mais quand on est une fillette d'à peine plus de neuf ans, peut-on accepter cela? Ce n'est pas sans souffrances qu'elle comprendra peu à peu ce qui se passe autour d'elle et pourra porter un jugement.
Pourtant Liesel, dans son malheur, va être entourée d'amour et de compréhension. Rosa et Hans Huberman, les parents adoptifs sont de magnifiques figures, extrêmement attachantes. Surtout le père, Hans Huberman, un simple ouvrier, qui entoure Liesel de son affection et lui apprend à lire. Si la petite voleuse de livres a commencé sa carrière dans le cimetière où elle a enterré son frère, (je vous laisse découvrir le titre du premier livre qu'elle a volé!) elle continuera par la suite pour satisfaire son amour de la lecture.. D'autres personnages aussi sont très réussis, d'une grande humanité, le jeune voisin, un garçon aux "cheveux jaune citron", nommé Rudy, Max, le juif que les Huberman cachent dans leur cave au péril de leur vie. C'est ce que j'aime particulièrement dans ce roman : au milieu du désespoir le plus noir, l'espoir survit grâce à l'amour. A la fin de sa vie, Liesel revoit "la longue liste des existences qui s'étaient mêlées à la sienne. Parmi elles, lumineuses comme des lanternes, il y avait Hans et Rosa Huberman, son frère, et le garçon dont les cheveux auraient à jamais la couleur du citron."
 Et puis il y a la Mort, personnage omniprésent, qui voit tout, qui sait tout de notre pauvre humanité, de notre folie, de la barbarie dont sont capables les hommes et si ses commentaires sont parfois d'un humour macabre, son récit retentit tristement, douloureusement, imprégné d'une lassitude infinie.
Ainsi l'originalité dont fait preuve l'écrivain en plaçant la Mort au centre du roman, en la choisissant comme narrateur, n'est pas gratuite. Elle renforce l'intensité dramatique du récit, elle nous permet de ne pas rester spectateur extérieur à l'action. Elle nous fait pénétrer dans les consciences, lire les pensées intimes des gens, assister sur tous les fronts, dans tous les pays en même temps, à la folie meurtrière engendrée par la terrible idéologie nazie. L'inversion des rôles, c'est la Mort qui a peur et non le contraire, pour être surprenante et humoristique, n'en est pas moins très forte. Elle permet d'accentuer encore l'horreur de ce qui s'est passé pendant la seconde guerre mondiale et cela justifie le propos général du roman qui est résumé par le jugement de la Mort sur l'Humanité :

"J'aurais voulu parler à la voleuse de livres de la violence et la beauté, mais qu'aurais-je pu dire qu'elle ne sût déjà à ce sujet? J'aurais aimé lui expliquer que je ne cesse de surestimer et de sous-estimer l'espèce humaine, et qu'il est rare que je l'estime vraiment. J'aurais voulu lui demander comment la même chose pouvait être à la fois si laide et si magnifique, et ses mots et ses histoires si accablants et si étincelants."

Un beau livre donc, au style surprenant, poétique mais non dénué d'ironie, où la tendresse alterne avec la cruauté.

A propos de La Voleuse de Livres j'ai découvert une interview très intéressante de l'écrivain australien sur le site :  Oh! éditions.
En voici un passage :
"Parlez-nous du personnage de la Mort.
Je voulais que la Mort soit à la fois différente et semblable à nous. Je voulais que la Mort fasse partie des grands éléments, au même titre que le ciel, les nuages, les arbres. Je voulais aussi qu’elle soit vulnérable. Elle a beaucoup de points communs avec les hommes, notamment leur face sombre. Une fois, je l’ai décrite effrayée par les hommes, je sais que j’avais le ton juste, bien que ce renversement de situation soit inattendu : pour une fois, c’est la Mort qui avait peur des hommes et non pas, comme c’est souvent le cas, l’inverse."
Le thème de l'amour contrepouvoir de la Mort :
"Dans La Voleuse de livres, la Mort dit nous raconter l’histoire d’une petite fille. Mais ne croyez-vous pas qu’un des messages du roman – au-delà de l’histoire – est la façon dont l’amour et la bonté peuvent avoir une sorte de pouvoir sur la mort ?
Je me suis essentiellement concentré sur le fait que l’homme porte en soi à la fois une grande beauté et une grande monstruosité, et tout notre combat est de faire émerger la beauté dont on est détenteur. Je crois, comme le dit le vieil adage, que la mort donne à la vie tout son prix. Savoir que nous ne sommes pas ici pour toujours nous fait apprécier les choses et ce sont souvent les démonstrations de bonté et d’amour qui, à la fin, nous définissent."
Voir le reste de l'interview en cliquant sur le lien:
http://www.oheditions.com/spip.php?page=interview&id_article=71



mardi 23 août 2011

Julia Leigh : Ailleurs


 Le livre de Julia Leigh Ailleurs est très serrée, condensé. Il tient plus de la nouvelle que du roman : peu de développement, pas d'analyse psychologique, pas d'explication ou si peu mais les faits bruts, denses, présentés avec une grande intensité. De cette brièveté, de cette épuration du style, naît la force du récit.
Les faits : dans une vaste demeure, en France, où vit la grand mère et ses serviteurs, arrive une femme, venue d'Australie, avec ses enfants. Elle fuit la brutalité de son mari en se réfugiant chez sa mère.  Son frère, accompagné de sa femme portant un petit "paquet" dans les bras, vient bientôt les rejoindre.
Les personnage principaux sont rarement nommés par leur prénom surtout Olivia qui est désignée comme "la femme", Andrew et Lucy comme "le petit garçon", "la petite fille". C'est presque comme s'ils étaient désincarnés ou plutôt comme s'ils étaient entre parenthèses, dans un lieu entre vie et mort, les limbes. Par contre la petite morte, l'enfant qui n'a pas eu le temps de vivre, accède au statut de personne par son prénom, Alice.
Le récit est encadré par deux paysages : L'un, aux couleurs délavées, représente "une campagne  sans relief, laide", plate. Situé au début de l'histoire, il correspond à l'arrivée de la femme avec ses deux enfants dans la demeure familiale, devant un portail fermé qui ne veut pas s'ouvrir pour l'accueillir.  L'autre, à la fin du récit, est le  jardin "animé et transformé par la lumière du soleil", au milieu des arbres taillés, des parterres de roses, de lotus; il représente le renouveau, l'espoir qui renaît en chacun d'entre eux, avec l'acceptation de la mort. il faut  en effet, ce sacrifice pour que tous puissent se remettre à vivre.
Entre les deux, une impression d'étouffement morbide, de trouble, de désespoir. Tous  les adultes sont blessés dans leur corps, dans leur âme. La plupart du temps ils sont vus à travers le regard du petit garçon, et c'est pourquoi ils paraissent  incompréhensibles, secrets. Parfois, pourtant, le narrateur permet au lecteur de surprendre des conversations qui lui donnent quelques clefs pour comprendre. L'enfant, lui, manque de repères, il est pris dans la violence de  sentiments qui le dépassent d'où  son désir de fuite pour se sauver lui et sa soeur. De là vient parfois l'étrangeté qui oblige le lecteur à suppléer par l'imagination aux lacunes volontaires du récit.
Le récit joue ainsi sur le fil du rasoir, il est toujours en suspens au bord de l'abîme et crée une sensation de malaise jusqu'au dénouement. Beaucoup de force dans ce roman!


lundi 22 août 2011

Jim Thompson : Le lien Conjugal


Le Lien conjugal de Jim Thompson est un roman noir qui offre une vision pessimiste de l'humanité : gangsters sans scrupules, meurtriers sans états d'âme, sans code de l'honneur en vigueur pourtant, à ce qu'on dit, dans le milieu. Dans ce roman, on tue celui qui fut un partenaire s'il a cessé de vous convenir ou de vous servir, ou si l'on commence à avoir des doutes sur lui... et les doutes ne manquent pas.
Carter Mc Coy, dit Doc, vient de sortir de prison et organise un braquage avec l'aide de sa femme, Carol, de son associé Ruddy Torrento et d'un "bleu" qui apprend le métier mais sera supprimé à la première occasion.
Les trois personnages vont fuir dans une course à travers les Etats-Unis qui doit les amener à franchir la frontière. Si Ruddy Torrento surnommé Crâne de Tarte en raison de sa tête aplatie, est une brute primaire mais dangereuse, marquée par une enfance aux mains de tortionnaires, Doc représente le cerveau. Il est réfléchi, intelligent, chanceux et sympathique et sait utiliser ses qualités pour gagner les gens à sa cause, endormir la méfiance. Il est très amoureux de sa femme et réciproquement; Carol n'a pas plus de scrupules que lui lorsqu'il s'agit de se débarrasser de ceux qui les gênent. Mais la méfiance va naître entre eux et ils vont arriver à avoir peur l'un de l'autre.
L'auteur témoigne d'une grande maîtrise d'écriture, en particulier, pour ne citer qu'une scène, lorsque Carol, obligée de se cacher dans une caverne, pénètre dans un boyau rocheux, long et étroit, et doit y demeurer, allongée, pendant quarante-huit heures dans une obscurité  totale. Elle est alors en proie  - et le lecteur avec elle- à une crise de panique insurmontable. Le style est si précis, si violent, faisant appel à tout le vocabulaire des sens, que nous sommes plongés dans l'angoisse, suffoquant comme si nous étions enfermée vivants dans un cercueil dont il serait impossible de soulever le couvercle.
La plus grande partie du roman est très réaliste mais finit en fable : Le manipulateur sera manipulé, trouvera plus fort que lui et recevra le juste châtiment. Ainsi, le couple Mac Coy parviendra à atteindre un pays sur lequel règne un tyran qui les oblige à dépenser toute leur fortune pour lui, les déshumanise toujours un peu plus, jusqu'au moment où, ruinés, ils finiront par être rejetés et détruits. Vision d'une société avide de profit, qui ne s'intéresse qu'aux riches, qui exploite les individus, les pousse à la consommation avant de les consommer eux-mêmes quand ils n'ont plus de raison d'être! Vous avez dit... Capitalisme?

dimanche 21 août 2011

Pablo Neruda : Oh! long Train de Nuit


Paul Delvaux : Le viaduc


Oh! long Train de Nuit
souvent
au Sud en direction du Nord,
au milieu des ponchos mouillés,
des céréales,
des bottes que la boue raidit,
en Troisième,
tu as déroulé la géographie.
C'est peut-être alors que j'ai commencé
la page terrestre,
que j'ai appris les kilomètres
de la fumée,
l'étendue du silence.
Pablo Neruda : Mémorial de l'île Noire (1964. extraits)




Les compagnons Troubadours  de  Celsmoon:
Edelwe, Mango, Abeille, Emmyne, Chrestomanci, Mariel, Laurence , Ankya, Herisson08, Anjelica , George, Uhbnji , Fleur, Esmeraldae, Armande, Satya, Zik, Lystig, Amos, Bookworm, Emma, Julien, Marie, Yueyin , Soie , Alex , Hambre , Katell , Mathilde, Schlabaya, Hilde, Saphoo, La plume et la page, Tinusia, Chrys, Roseau, MyrtilleD, Cagire, Caro[line], L’or des chambres, Violette, claudialucia, Séverine, Maggie, Sev, Azilis.

Poème publié dans mon ancien blog

samedi 20 août 2011

Tom Wolfe : Un Homme, un vrai


Tom Wolfe a dit de lui-même qu'il voulait être "le greffier du siècle" et il s'appuie pour cela sur un énorme travail de documentation. Avec son roman paru en mai 2000 sous le titre "A man in full" traduit par : "un Homme, un vrai", il rédige donc un roman réaliste à la Zola, écrivain qu'il admire et dont il a parfois les outrances mais aussi le talent, une oeuvre pourtant bien ancrée dans notre temps.
Ici, c'est la ville d'Atlanta et sa population dont Tom Wolfe dresse les actes en "greffier" méthodique. Le tableau de cette ville du Sud, marquée par son passé malgré son gigantesque effort de modernisme et sa volonté évidente de concurrencer New York au niveau culturel et économique, est minutieusement brossé. Nous sommes amenés à visiter la ville, des plus basses couches sociales aux plus hautes, des zones les plus déshéritées où survit une population noire adonnée à la misère, la drogue et la violence aux beaux quartiers habités par les Blancs et dont le luxe défie l'imagination. Et ce clivage toujours existant entre les noirs plus nombreux (le maire est noir) et les blancs minoritaires mais qui possèdent l'argent, crée une situation explosive... Et donc, sur le point d'exploser, en effet, quand Le footballeur noir, Fareek Fanon, est accusé d'avoir violé une fille blanche de la haute société.
Le personnage central est Charlie Croker, d'origine modeste, promoteur immobilier de génie, devenu une des plus grandes fortunes de la ville mais que sa mégalomanie accule à la faillite, personnage fascinant d'une puissance extraordinaire, à la fois charismatique et odieux, arriviste et vulgaire, patron exploiteur qui licencie ses ouvriers sans aucun état d'âme, incarnant dans toute son horreur les relents du passé esclavagiste de la ville, machiste, homophobe, antisémite... et pourtant incontestablement courageux. C'est à lui que l'on va proposer ce marché : témoigner en faveur de Fareek Fanon ou perdre sa fortune.
Tout autour de lui gravite une foule de personnages principaux ou secondaires dont l'histoire nous est contée dans des chapitres parallèles selon le procédé cher à Tom Wolfe .
Il y a Inman Armholster, l'homme le plus riche et le plus en vue d'Atlanta, Roger II White (Roger Too White comme l'appelle ses camarades), avocat noir à qui ses frères de race reprochent d'être trop "beige", Wess Jordan, le maire de la ville qui a perdu ses illusions (et son honnêteté) quant à la politique, Raymond Peepgass, cadre secondaire d'une des grandes banques d'Atlanta, brûlant de prendre sa revanche sur les grands de ce monde, Harry Zale, collègue de Peepgass... Tout un peuple de vautours prêts à fondre sur leur proie dès qu'ils sentent une faiblesse chez elle et une occasion de gagner de l'argent sur son dos.
Enfin, vient Conrad Hansley, qui est le seul véritable être humain de ce roman finalement très pessimiste car il décrit des rapports humains qui ne sont régis que par l'argent, une société où l'amitié n'existe pas, où seule la position sociale a de l'importance.
Victime de Charlie qui le licencie de l'usine de congélation où il travaillait, Conrad va se retrouver en prison. C'est là qu'il s'efforce de rester un homme parmi des brutes sanguinaires qui ont perdu tout sens des valeurs et qui sont dressés pour le meurtre et le viol. Paradoxalement, c'est un livre sur les stoïciens qui va sauver Conrad et c'est avec Epictète que le jeune homme trouve la force de résistance nécessaire. Au milieu de cet enfer, la voix de ce grec venu d'au-delà des siècles retentit dans sa cellule d'une façon étrangement moderne. Et ces propos infiniment beaux guident le jeune homme qui est à mon avis celui qui donne le titre au roman : Un Homme, un vrai.
Je sais que mon interprétation est très personnelle et va à contre courant des critiques qui pensent que le titre fait référence à Charlie et à son attitude finale. Pour moi, le revirement de Charlie ne suffit pas à faire de lui "a man in full" et à effacer ce qu'il est réellement. D'ailleurs sa personnalité n'a pas changé puisque l'on apprendra, dans l'épilogue, qu'il se débrouille encore à faire de l'argent avec le discours d'Epictète. Non, l'homme véritable, c'est Conrad, celui qui a le courage d'affronter les pires conditions de travail dans l'entreprise de Charlie Croker pour nourrir sa famille, celui qui préfère être envoyé en prison plutôt que de plaider coupable alors qu'il est innocent, le seul qui se porte au secours du prisonnier violé par une brute, celui qui essaie toujours d'être en accord avec sa conscience.
Si parfois Tom Wolfe m'apparaît comme un peu lourd quand il veut faire passer certaines idées, je pense qu'il possède un réel talent dans l'art de construire un univers, de faire s'entrecroiser les fils de vies qui nous paraissent toutes non seulement crédibles mais aussi passionnantes.
Certes sa conception du roman est traditionnelle mais elle est pleinement réussie. A travers cet ouvrage, la société américaine est violemment mise en cause, avec ses monstrueuses inégalités, le racisme latent ou refoulé toujours prêt à refaire surface, le capitalisme sauvage qui foule aux pieds l'individu, les milieux financiers d'une âpreté impitoyable.
De plus, Tom Wolfe a l'art de peindre certaines scènes avec une telle puissance d'évocation que j'ai été complètement captivée, incapable de me décrocher de ma lecture. Je pense, entre autres, à la description du travail dans l'unité de congélation qui apparaît comme une antichambre de l'enfer ou aux scènes de délire collectif qui ont lieu la nuit dans la prison de Santa Rita.
Un bon roman dont la lecture est vraiment prenante et qui rend compte d'une réalité américaine bien loin de l'image édifiante que l'on veut nous en donner aujourd'hui.

Les plumes de l'été chez Asphodèle



Je suis toujours en vacances jusqu'au début Septembre  et je  n'ai toujours pas internet.  Je programme donc mon texte commançant par des mots en G.
GIRAUMON – GAMBADER – GARAGE – GIVRE – GARGOUILLE – GAMBIT – GALOP – GABARIT – GLORIOLE – GALIPETTE (S) – GALLINACÉ – GRILLE – GLAND – GROTESQUE – GEMIR – GOURMAND – GODILLOT – GRAVE – GRILLON – GALIMATIAS – GIROFLE –


La ronde des mots en G

Garage, Gabarit, Grillon
déclinent leur identité,
Gambit, Godillot, Giraumon
Chantent les mots en G

Quant à moi, grotesque gargouille
de mes yeux  de gallinacé
semblables aux glands d'un chêne altier
Du haut des tours de Notre-Dame
Je vous regarde gambader.

Des galipettes dans l'herbette
Des girofles et des giroflées

Vous qui aimez tant la gloriole
Au grand galop vous avancez
Gourmands de paroles et d'ivresse
 de galimatias, de promesses

Mais quand le givre sur vos têtes
Grave, vous a blanchi le chef
Derrière la grille du Temps
C'est alors que vous gémissez!

Fini galipettes dans l'herbe
Fini girofle et  giroflées

Garage, Gabarit, Grillon
déclinent leur identité,
Gambit, Godillot, Giraumon
pleurent les mots en G.


 Jeu d'écriture d'Asphodèle

vendredi 19 août 2011

Milan Kundera : L’ignorance



L'ignorance met en scène deux émigrés d'origine tchèque, l'une, Iréna, installée à Paris, l'autre, Josef, au Danemark. Tous deux se retrouvent dans l'avion qui va les ramener à Prague après vingt ans d'exil. Dans cette Tchéquie post-communiste, ils partent à la recherche de leur passé respectif, de leur famille, de leurs amis et de leurs souvenirs.
C'est le thème du Grand Retour à la manière d'Ulysse qui lui aussi pendant vingt ans n'a eu de cesse de regagner Ithaque et de retrouver Pénéloppe, le thème de la nostalgie glorifiée par Homère mais qui, somme toute, nous dit Milan Kundera, se révèle bien décevante car il est impossible de faire revivre le passé
"On ne comprendra rien à la vie humaine si on persiste à escamoter la première de toutes les évidences : une réalité telle qu'elle était quand elle n'est plus, sa restitution est impossible."
La mémoire est incapable de ressusciter le passé car elle n'a pas de dimension temporelle. Elle est figée sur des images immobiles qui ne se déroulent pas puisqu'elles n'ont pas la durée. C'est en vain, par exemple, que Josef va essayer de faire revivre les souvenirs de sa femme disparue.
Le roman de Kundera nous livre donc une réflexion sur la mémoire humaine pour en constater la pauvreté.
"Elle n'est capable de retenir du passé qu'une misérable petite parcelette sans que personne ne sache pourquoi justement celle-ci et non pas une autre, ce choix, chez chacun de nous, se faisant mystérieusement, hors de notre volonté et de nos intérêts"
Ainsi Iréna se souvient très bien de Josef qui était amoureux d'elle et à qui elle a renoncé pour épouser son fiancé, Martin, dont elle maintenant veuve. Elle a toujours eu l'impression d'être passée à côté du grand amour. Josef, lui, ne se souvient pas du nom d'Iréna même s'il feint le contraire par politesse d'abord et peut-être aussi par calcul, plus tard, pour mieux la mettre dans son lit. Comment expliquer ses particularités de la mémoire?
"L'un se souvient de l'autre plus que celui-ci ne se souvient de lui; d'abord parce que la capacité de la mémoire diffère d'un individu à l'autre(....) mais aussi parce qu'ils n'ont pas l'un pour l'autre la même importance.
Le retour d'Iréna et de Josef dans leur pays natal est donc un échec et ils vont de même échouer dans la tentative de nouer entre eux des liens amoureux. Chacun retournera dans son pays d'accueil avec la certitude d'avoir été floué. C'est ce qu'a dû éprouver Ulysse en rentrant auprès des siens.
Alors de quoi peut-on être certain? Cerainement pas de l'avenir qui se dérobe à nous :
 Toutes les prévisions se trompent, c'est l'une des rares certitudes qu'il a été données à l'homme. Mais si elle se trompent, elles disent vrai sur ceux qui les énoncent, non pas sur leur avenir mais sur leur temps présent; Pendant ce que j'appelle la première vingtennie (entre 1918 et 1938) les Tchèques ont pensé que leur République avait devant elle un infini. Ils se trompaient mais, justement parce qu'ils se trompaient, ils ont vécu ces années dans une joie qui a fait fleurir leurs arts comme jamais auparavant. Après l'invasion russe, n'ayant pas la moindre idée de la fin prochaine du communisme, de nouveau ils se sont imaginé habiter un infini et ce n'est pas la souffrance de leur vie réelle mais la valeur de leur avenir qui a pompé leurs forces, étouffé leur courage et rendu cette troisième vingtennie si lâche, si misérable.
Donc le présent est tout aussi difficile à appréhender que l'avenir.
L'homme ne peut être sûr que du moment présent. Mais est-ce bien vrai? Peut-il vraiment le connaître, le présent? est-il capable de le juger? Bien sûr que non. Car comment celui qui ne connaît pas l'avenir pourrait-il comprendre le sens du présent? Si nous ne savons pas vers quel avenir le présent nous mène, comment pourrions-nous dire que ce présent est bon ou mauvais, qu'il mérite notre adhésion, notre méfiance ou notre haine?
Ainsi, au final, la seule certitude que nous puissions avoir est celle de notre ignorance à propos du monde qui nous entoure et de ce que nous sommes.
Je viens de noter ici ce que le roman -du moins tel que je l'ai compris et reçu- signifie pour moi; maintenant, il y a ce que j'ai ressenti. Les deux livres de Milan Kundera dont je parle dans ce blog La Plaisanterie et l'Ignorance sont riches à analyser, on a l'impression de ne pas arriver à les saisir dans leur intégralité, c'est donc un plaisir pour l'intelligence; mais pas un plaisir pour les sentiments. Le pessimisme de Kundera est tel que je referme toujours ses romans avec le moral en berne. Les personnages sont affectivement desséchés, ils n'ont aucune chance d'être heureux, de trouver un sens à leur vie. Les rapports humains oscillent entre l'indifférence ou l'égoïsme, l'envie ou la haine. Les rapports amoureux sont fichus d'avance. Les femmes, parfois, veulent y croire, sont plus sincères, mais en vain. Elles apparaissent souvent comme des victimes des hommes, ceux-ci étant particulièrement odieux. Tous sont des êtres tourmentés, enfermés en eux-mêmes, dans un monde qui n'a rien à envier à l'enfer dantesque.

jeudi 18 août 2011

Alberto Manguel : Dans la forêt du miroir

Alice et le lapin blanc John Tiennel


Imaginer, ce n'est pas mentir. Imaginer, c'est quand on raconte une histoire vraie mais on sait qu'elle est fausse me dit mon petit-neveu qui a cinq ans. Un mot d'enfant?


Oui! Mais voilà ce que je lis Dans la forêt du miroir*: Essais sur les mots et sur le monde d'Alberto Manguel et ce sera la citation de ce jeudi :

Les enfants savent ce que la plupart des adultes ont oublié, que la réalité, c'est tout ce qui nous paraît réel. Que bien qu'on ne puisse nier le monde extérieur (ainsi que l'a démontré le Dr Johnson en frappant du pied une pierre), on peut par un éclairage et un arrangement nouveaux lui donner la signification que nous voulons.
*lecture en cours
la citation du jeudi initiée par Chiffonnette.

mercredi 17 août 2011

Comment peut-on être français? de Chahdortt Djavann



 Après La Muette  de Chahdorrt Djavann, écrivaine iranienne, réfugiée en France depuis 1993, voici 
Comment peut-on être français? Ce roman en partie autobiographique raconte l'histoire d'une jeune iranienne, Roxane,  arrivant à Paris pour fuir son passé et le fanatisme religieux de son pays.


Le roman débute comme un conte et finit en tragédie dans un glissement progressif vers la tristesse et la noirceur.
C'est d'abord l'arrivée de la jeune femme et sa découverte de Paris. Elle  se sent heureuse devant tant de beauté, exaltée de se sentir si libre, de pouvoir aller tête nue dans les rues de Paris sans être sous la surveillance de la police des moeurs ou sans craindre le harcèlement et la lubricité habituels des hommes de son pays. Paris, c'est d'abord pour elle, ces grands hommes qui se nomment Hugo, Molière, Voltaire, Balzac... Paris, ses monuments historiques, ses promenades au bord du fleuve,"l'or de toitures et des statues, les reflets de la ville dans la Seine", Paris et l'abondance de ses cafés, des bistros, des restaurants, Paris et ses supermarchés  regorgeant  de marchandises qui consacrent définitivement la différence entre le tiers monde et les autres pays .
"Pour Roxane qui avait rêvé des années de cette contrée magique, qui pour y arriver avait attendu des années et traversé des frontières à pied, ça n'allait pas de soi qu'il y eût des gens qui vivaient depuis toujours à Paris, des gens qui étaient nés à Paris. Une évidence si évidente était l'étrangeté la plus étrange qui fût pour Roxane.
Comment peut-on naître à Paris?"
Puis la jeune femme se trouve aux prises aux difficultés rencontrées par les immigrés.  Une vie étriquée dans une chambre de bonne de 10m2, des petits boulots qu'elle doit multiplier pour gagner seulement de quoi survivre. Elle découvre un art de vivre léger et agréable qui lui est refusé par manque de moyen financier et aussi parce qu'elle est marquée par une éducation qui  lui refuse le droit d'être heureuse :
"Qu'y a-t-il de mal, après tout, à vouloir jouir de l'existence? La misère, que je sache, n'est pas une vertu, mais un malheur. Les tartuffes qui font de la misère vertu pensent surtout à la vertu des autres et savent quant à eux se protéger de la misère."
Roxane s'attaque à l'apprentissage de la langue française qu'elle aime mais qui lui échappe car elle voudrait la vivre par l'intérieur comme si elle était française, pour oublier son passé iranien. Ses difficultés, ses doutes, l'angoissent et la rongent inexorablement. On ne peut se renier soi-même sous peine de se perdre.  Des allers-retours  par le souvenir entre la France et l'Iran, entre présent et passé  révèlent peu à peu le vécu  la jeune femme.  Ainsi au style allègre, humoristique du début  a succédé un  ton grave désespéré  : "je courais en avant pour fuir mon passé, mais il courait plus vite que moi, il m'a rattrapée."
Et pourtant, elle aime la France et surtout Paris  "Mon coeur est à Paris. C'est à Paris que je peux vivre. ". Mais ce qui lui pèse le plus dans notre pays, ce n'est pas le manque d'argent mais la solitude :
"Pour pleins de bonnes intentions qu'ils soient, beaucoup de français manquent d'attention et vous pouvez dépérir à côté d'eux, vous consumer à petit feu et glisser insensiblement à la dernière extrémité sans qu'ils s'en aperçoivent, vous gratifiant imperturbablement le matin d'un "ça va?" sans curiosité et le soir d'un "salut!" sans attente, trop préoccupés d'eux-mêmes ou trop accablés de soucis."
Au cours de ses études, elle rencontre Montesquieu et les Lettres Persanes. Ce texte est une révélation et elle décide d'écrire à l'auteur comme au seul ami qu'elle ait en France. Le prétexte des lettres est une dénonciation du totalitarisme religieux et de la violence qui est faite aux femmes en Iran. Le comment peut-on être persan? de l'un renvoie donc au comment peut-on être français? de l'autre. Comme Charles de Montesquieu critiquaient les persans pour mieux juger de la société française de l'époque, Roxane critique les français pour mieux s'attaquer au manque de liberté de la société iranienne. Ainsi les jeunes filles ou jeunes gens peuvent être arrêtés et emprisonnés pour indécence.
 "Les attitudes coupables sont en règle générale : une mèche de cheveux de la jeune femme qui dépasse, le maquillage de la jeune femme, le rire de la jeune femme en plein milieu d'une rue, car en pays d'islam la voix de la femme doit se faire discrète, l'échange d'un regard amoureux entre les  jeunes  mariés surpris par  l'oeil attentif d'un passdaran, ou encore le fait que les jeunes mariés aient eu la vulgaire idée occidentale de se donner la main."
"Bien que tout soit interdit dans ce pays, tout y est possible. La bourgeoisie petite ou grande, les riches nouveaux ou anciens boivent de l'alcool, baisent sans être mariés (mais sans jamais l'avouer), regardent les dvd et les chaînes câblées, font des fêtes ou hommes et femmes dansent ensemble. Dans les quartiers pauvres, cent fois plus nombreux et cent fois plus peuplés, la prostitution , l'héroïne, les trafics de tout genre, les viols de tout genre et surtout le viol des fillettes font des ravages."
Toutes les lettres de Roxane ne sont pas rédigées de la même manière même si elle s'identifie constamment à la Roxane des Lettres persanes. Elle a parfois le ton naïf d'une petite fille, s'excusant de ses fautes d'orthographe. Il ne faut pas oublier que la plume est  supposée tenue par une étudiante modeste s'adressant à un grand philosophe. Mais elles prennent bien vite un ton très juste lorsqu'elle parle de notre société de consommation, de l'égoïsme et de  l'individualisme du monde occidental. Et elles empruntent le style du pamphlet, révoltée et âpre, quand elle parle du régime des mollahs, et de la condition de la femme en Iran, des malheurs du peuple iranien.
Je pense qu'aucun lecteur ne peut rester indifférent aux propos de  l'écrivain.

Article publié de mon ancien blog Ma librairie vers  celui-ci.

mardi 16 août 2011

Gens de Dublin : James Joyce et John Huston

Le  film de John Huston : Gens de Dublin est l'adaptation de la célèbre nouvelle de James Joyce, la dernière du recueil, dont le titre anglais est : The Dead, Les Morts.
Dans leur vieille maison, deux vieilles dames, tante Kate, tante Julia et leur nièce Marie Jane, professeur de piano, reçoivent leurs parents, amis et élèves pour la fête de l'Epiphanie. La soirée en apparence festive, au cours de laquelle bals, musique, chants, repas, propos mondains se succèdent joyeusement, laisse pourtant dès le début entrevoir quelques fêlures révélant la fin d'une époque, la disparition d'un monde qui refuse d'évoluer.
En effet, dans cette société policée où les conversations sont superficielles et convenues, Freddy Malins, alcoolique, dont tous redoutent les éclats, introduit une note dissonante avec des propos jugés de mauvais goût. Il y aussi Miss Ivors, patriote irlandaise, farouche indépendantiste, qui part avant le repas pour assister à une réunion politique. Et puis Gabriel, le neveu, l'homme de la maison, chargé de découper l'oie, de prononcer le discours d'usage, apparemment en accord avec cette société, mais que l'on sent brimé dans ses aspirations, étouffé dans ses désirs d'un ailleurs. Enfin, sa femme, Gretta, qui semble traîner une mélancolie et une insatisfaction inavouées. A l'issue de cette soirée pourtant réussie, une chanson traditionnelle irlandaise The Lass of Aughrim La fille d'Aughrim, chantée par un des visiteurs, ténor lyrique, va être révélatrice des sentiments que Gretta n'a cessé d'éprouver pour un jeune homme mort à dix sept ans par amour pour elle.  Gabriel prend conscience  alors qu'il est passé à côté de sa femme sans la comprendre, à côté de l'amour aussi, que sa vie n'a été que convention. Suit une méditation sur la mort au rythme de la neige qui tombe sans cesse et semble s'épandre faiblement sur tout l'univers comme à la venue de la dernière heure sur tous les vivants et les morts.
Notons pourtant que cette méditation sur la mort n'est pas exempte d'humour sous la satire et malgré la tristesse. Huston, comme Joyce, éprouve de l'amour pour ces personnages, une tendresse qui nous met en empathie avec eux et nous fait sourire, amusés. La scène où tante Kate, par exemple, s'énerve contre le pape qui a interdit aux femmes de participer aux choeurs dans les églises, celle où les deux vieilles dames et leur nièce, émues, pleurent en écoutant le discours de leur neveu sont réussies. Tous les acteurs principaux et secondaires sont par ailleurs excellents.


Film de John Huston


Huston, amateur de littérature, grand admirateur de Joyce, apporte à la nouvelle son point de vue, sa parfaite maîtrise cinématographique et son talent dans un film où l'image, le mouvement, le son, ne sont jamais purement esthétiques mais porteurs de sens.
Si cette adaptation brillante est très fidèle à l'auteur, elle est pourtant très personnelle. En effet,  le cinéaste a porté cette oeuvre très longtemps en lui, toute sa vie, il a voulu l'adapter. Or, c'est juste avant sa mort, en Février 1987, quand il se sait condamné, sous respiration artificielle et en fauteuil roulant, qu'il va réaliser ce qui sera son dernier film. Et il signe ici une oeuvre admirable.
Admirable d'abord dans la présentation des personnages, dans l'art de la caméra de nous révéler la vérité de chacun sous les apparences et ceci avec finesse, sans jamais appuyer, par un regard, une expression, un geste de la main. Par le mouvement aussi : les personnages passent d'un pièce à l'autre comme s'ils ne voulaient pas se laisser saisir, pour échapper aux conventions, au regard de l'autre; au cours d'une danse, d'une quadrille, ils se fuient et se rejoignent échangeant des propos aigre-doux par dessus la tête des autres danseurs; enfin, moment sublime entre tous, la caméra quitte le visage de la tante Julia en train de chanter un air de Bellini :  Parée pour les noces, monte les escaliers, pénètre dans la chambre de la vieille dame, effleure les objets qui s'y trouvent, vieilles photographies, bible et rosaire, bibelots de porcelaine fragiles, qui résument la vie de la vieille dame. L'air surannée chantée par cette voix chevrotante accompagne la vision de ces images du passé annonçant la mort prochaine.
A plusieurs reprises, le cinéaste nous surprend et provoque une émotion profonde en jouant sur le son et l'image. Je pense à la voix off qui chante The Lass of Aughrim; la caméra se fixe alors sur Gretta qui descend l'escalier lentement, subjuguée par la chanson, elle oscille entre la jeune femme et Gabriel au pied de l'escalier : regard triste de Gretta vers l'étage supérieur d'où provient la voix du ténor, regard de Gabriel sur sa femme figée dans l'attente, regards qui ne se rencontrent jamais et  montrent l'incompréhension entre les deux époux. Enfin et surtout au dénouement lorsque la voix off  de Gabriel exprimant ses pensées intérieures s'élève et se déroule (le texte est magnifiquement dit) sur les images de paysages noyés dans la nuit, de ruines et de cimetières lentement recouverts par la neige.

lundi 15 août 2011

Arni Thorarinsson : Le dresseur d’insectes


Après la lecture des romans d'Arnaldur Indridasson, écrivain islandais, que j'aime beaucoup,(la femme en vert, l'homme du  lac, la cité des jarres ) j'avais très envie de découvrir son compatriote Arni Thorarinsson.
Le Dresseur d'insectes est le second roman de cet auteur après Le Temps de la Sorcière que je n'ai pas lu. Les deux livres présentent le personnage principal, Einar, correspondant local du Journal du soir à Akureyi et peuvent être lus séparément car des allusions à l'ouvrage précédent nous apprennent des bribes du passé d'Einar, de sa fille Gunnsa et son petit ami Rabbi.
Dans ce roman Einar va être entraîné dans une enquête  qu'il mènera avec et en parallèle avec la police. Il s'agit du meurtre de Pandora, une jeune fille retrouvée dans un maison "hantée", meurtre signalée par une vieille femme, Victoria, sorte de clocharde alcoolique qui traîne derrière elle un lourd passé  et qui semble avoir pris le journaliste comme confident. Avant qu'elle ait eu le temps de démasquer les assassins de Pandora, Victoria est assassinée dans une clinique de désintoxication où elle s'est retirée. C'est à Einar qu'il revient la tâche de démasquer les coupables.
Le roman présente des qualités, la première consistant dans la présentation de la société islandaise qui n'est pas  tout à fait rose. C'est un euphémisme! La description de la grande fête  des commerçants de Akureyri  qui draîne une foule immense venu de tous les coins du pays dans cette petite ville provinciale est, en effet, une occasion pour Ani Thorarinsson de dénoncer la montée de la violence, du racisme, de la corruption, le règne de l'argent, les méfaits de la drogue et de l'alcoolisme  en Islande. Il rejoint Arnaldur Indridasson dans la peinture pessimiste qu'il dresse de cette société qui se durcit, perd tous repères, toutes ses valeurs.
De plus le style de l'écrivain nous réserve de bonnes surprises, des passages forts avec un art certain pour les formules percutantes. Ainsi en référence à la chanson des Kinks, Victoria :
Long ago life was clean /Sex was bad and obscene  (...)/Victoria was my queeen
Il écrit :  L'ancienne société décrite par Ray Davies a depuis longtemps disparu. Je me demande par quoi elle a été remplacée.  Docteur Jekkill ne brime plus Mister Hyde, c'est Mister Hyde qui brime docteur Jekill.
De plus il utilise l'humour, la dérision,  notamment quand il voit vivre sa fille de seize ans, qui  ne cesse de le dérouter et sur laquelle il exerce une autorité défaillante :
"La pire chose qui soit arrivée à l'humanité est la decouverte de l'adolescent" affirmait mon professeur d'anglais au lycée (... ) Ce professeur d'anglais n'était évidemment q'un foutu réac. Pour ma part, j'ai toujours éprouvé plus de symptathie envers les rejetons qu'envers leurs parents. La lutte des adolescents pour leur indépendance devint une menace pour les parents qui perdirent tout pouvoir et considérèrent bientôt qu'il n'existait qu'une seule chose plus difficile que d'élever un enfant : parvenir à se montrer exemplaire. (p 290)  :
 ... où quand il prend en charge le jeune photographe du journal, Agust Orn,  neveu du commissaire, un adolescent à principes (un peu trop!), revêche et malheureux,  et qu'il règle avec maestria les problèmes de l'adolescent avec sa mère.
Comment se fait-il donc, que malgré toutes ces qualités, je n'ai pas entièrement adhéré à ce  roman?
D'habitude, dans un bon roman policier, je n'apprécie pas outre mesure les histoires de psychopathes, de meurtres en série, les détails violents et sordides qui sont censés faire frissonner comme nous en servent Fred Vargas et Henning Mankell. Pourtant ces écrivains figurent parmi mes auteurs préférés de romans policiers au même titre que Arnaldur Idrindasson auquel je peux encore rajouter Jean Claude Izzo et dans un tout autre style Tony Hillerman. C'est que je suis surtout sensible au style, à  l'univers de ces auteurs, à l'atmosphère qui s'en dégage, aux personnages attachants et complexes, que nous voyons évoluer au fil des ans, et à  l'humour (celui de Fred Vargas, en particulier, que j'adore). En fait, ce n'est pas l'intrigue qui m'importe le plus!
Mais dans Le dresseur d'insectes, je n'ai pas été complètement séduites par les personnages qui n'ont pas assez d'épaisseur, qui paraissent un peu stéréotypés, fixés une fois pour toutes par quelques termes qui semblent les résumer.  Il n'y a pas les nuances et la finesse d'analyse que je trouve chez les écrivains précités, ni l'évolution psychologique au fur et à mesure de l'action.  Et de ce fait, l'intrigue va dominer et comme elle ne m'a pas passionnée, la lecture du roman m'a parfois déçue. Le récit s'étire inutilement sans que l'on n'apprenne rien de nouveau. On sent trop  le travail de l'auteur qui recule sans cesse le moment de nous révéler des indices car le roman serait terminé. Par exemple, dans le centre de désintoxication, le journaliste s'en va sous un prétexte peu convaincant, après avoir glané quelques renseignements; on a l'impression que ce passage est placé là simplement pour décrire en quoi consiste une cure mais au détriment de l'action et aussi de l'atmosphère qui manque de magie.  Du coup, il aurait mieux valu un roman plus court mais plus dense.
En résumé, si j'ai été sensible aux qualités certaines du livre, je ne suis pas encore convaincue; reste à voir comment l'écrivain et ses personnages évolueront dans les prochains ouvrages.

dimanche 14 août 2011

Gérard de Nerval, Fantaisie


John William Waterhouse


Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre
Qui pour moi seul a des charmes secrets.

Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C'est sous Louis-Treize... - et je crois voir s'étendre
Un côteau vert que le couchant jaunit;

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs.

Puis un dame, en sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens
Que, dans une autre existence, peut-être,
J'ai déjà vue - et dont je me souviens!

Poème publié de mon ancien blog  au nouveau


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