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samedi 12 juillet 2014

Après la pluie... Compagnie En chemins



Depuis Lundi avec ma petite fille Léonie (4 ans) et nous écumons les spectacles pour enfants.  Voici une de nos pièces préférées!

Après la pluie de la Compagnie En chemins est vraiment une belle réussite  pleine de poésie et de surprises.
Madeleine, une grand-mère marionnette, vieille dame fragile et délicieuse, vit dans sa maison avec un grand jardin. Là, elle voit  les saisons défiler..  Les trois comédiens qui sont aussi musiciens et chanteurs dotés de fort belles voix initient les enfants à la musique classique et aux airs d'opéra, Mozart, Tchaïkovsky, Vivaldi, Bach… tandis que de jolies inventions scénographiques font appel à tous les sens et à l'imagination des enfants  :  les feuilles virevoltent, la pluie nous mouille, la neige recouvre la campagne, le soleil hâle nos visages …  Un beau spectacle plein de finesse. A voir!

Le spectacle commence à 9H20 à La Condition des Soies.  Du 5 au 27 Juillet Relâche le 15




mercredi 9 juillet 2014

Heinrich Von Kleist : Le prince de Hombourg au festival d'Avignon



source     Le prince de Hombourg à la cour d'Honneur du Palais des Papes

Le Prince de Hombourg de Kleist mis en scène par Giorgio Barberio Corsetti m'a déçue car  les acteurs, à l'exception du comédien qui interprète l'électeur Palatin, ne m'ont pas paru dominer les difficultés de cette immense scène de la Cour d'Honneur, on les entend à peine et ils paraissent pour la plupart écrasés par la majesté des lieux. Quant au metteur en scène, il  m'a semblé sacrifier le sens à l'esthétique.
Ce spectacle, en effet, utilise la vidéo et la musique pour créer des effets d'une  grande beauté :  superbe instant, celui où le prince monté sur un cheval de lumière se lance fougueusement dans la bataille, la façade du palais des Papes éclaboussée de taches de sang et de traînées de feu qui suggèrent la violence de la guerre. Visions de cauchemar, les masques grotesques dont l'image projetée sur le mur s'anime, menaçante, quand le prince de Hombourg est jugé en cour martiale.. Moment de grâce, arrêt sur l'image, une voix pure s'élève, suspendue, chantant le poème de Verlaine, le ciel est par dessus le toit au-dessus de la prison du prince.

Mais une fois que s'efface cette beauté ponctuelle, j'ai parfois eu l'impression que la recherche esthétique était ce qui importait le plus à Giorgio Barberio Corsetti et qu'il ne répondait pas toujours aux questions que posent la pièce et, en particulier, le personnage du prince de Hombourg.  Il faut dire que celui-ci est complexe. Voilà un héros romantique, prince et fils adoptif de l'électeur Palatin, officier, amoureux de sa cousine, qui est prisonnier des codes d'honneur de sa classe sociale mais ne paraît pas capable de les assumer. Il est en train de dormir, en pleine crise de somnambulisme, quand ses soldats, eux, sont prêts à partir pour la bataille, il rêve lorsqu'on lui donne des instructions militaires. Plus tard, il n'est pas assez discipliné pour dompter son impatience et il se lance à l'assaut de l'armée ennemie sans en avoir reçu l'ordre. Il est à la fois courageux, fougueux, passionné lorsqu'il s'agit de combattre mais se révèle lâche lorsqu'il est condamné à mort pour désobéissance; il est pris d'une peur panique au point qu'il s'humilie, pleure, supplie, renie son amour, ses engagements, pour avoir la vie sauve; l'honneur n'a plus aucun sens pour lui. Mais il est aussi capable de noblesse et après s'être ressaisi, il finit par obéir au code d'honneur de son rang; enfin quand il est gracié… il s'évanouit!  Que de paradoxes, quelle étrange comportement aux antipodes du héros romantique de Victor Hugo, de Hernani par exemple, qui, lui, est "une force qui va"!  On comprend pourquoi les contemporains de Kleist ont crié au scandale : ce héros romantique est plutôt un anti-héros et nous-mêmes, spectateurs, nous nous interrogeons sur l'étrangeté de ce personnage, sur sa ressemblance avec Kleist qui a démissionné de l'armée et s'est donné la mort peu de temps après parution de sa pièce.

Face à ce personnage, on a l'impression que le metteur en scène est hésitant et oscille entre satire et sérieux. Ainsi, pour souligner le caractère rêveur du prince, G. B. Corsetti le fait jouer presque parodiquement, ce qui provoque le rire, comme s'il voulait tourner le personnage en dérision.  Dans la grande scène ou le prince est pris d'une terreur sans nom devant la fosse ouverte qui va être la sienne et refuse la mort, il y a un tel refus de l'émotion que le si beau texte de Kleist est sacrifié, presque murmuré, en partie inaudible, comme si les acteurs se parlaient à eux-mêmes sans se soucier du spectateur.  Le prince finit pas ne plus nous intéresser et l'ennui surgit là où l'on devrait être touché.
 
Je lis dans France -Info  la phrase suivante : "Très clairement, Giorigio Barberio Corsetti s'est affranchi du texte de Kleist écrit en 1810.".  Très franchement, si c'est un compliment, je me demande bien pourquoi car enfin pourquoi choisir de mettre en scène un texte si on n'a pas envie de le mettre en valeur?


Challenge théâtre chez Eimelle


lundi 7 juillet 2014

Nicolas Gogol : le Revizor festival Avignon 2014



Le Révizor de Gogol Le petit Louvre Chapelle des Templiers. Mise en scène Ronan Rivière et Aymeline Alix. 20H05

Je n'avais jamais eu l'occasion de voir jouer Le Revizor sur scène bien que je l'ai lue et appréciée depuis longtemps. Cette pièce de Gogol est une comédie mordante qui dénonce la corruption du pouvoir et s'appesantit sur les malversations et les incompétences du bourgmestre et de ses subordonnés d'une ville d'une province éloignée de Saint Peterbourg. Ceux-ci ne songent qu'à s'en mettre plein les poches sans aucun scrupule et sans se soucier aucunement du bien-être de leurs concitoyens; on voit que si l'action se situe en Russie au XIX siècle, elle est toujours d'une actualité brûlante!
L'auteur imagine, en effet, qu'un jeune noble ruiné, qui ne peut payer ses dettes, est pris, par les notables de la ville, pour un Révizor, c'est à dire un inspecteur envoyé par le tsar et cette fois-ci incognito. Ils reçoivent le jeune homme en le comblant d'attentions et achètent autant qu'ils le peuvent son indulgence. Celui-ci, un fieffé coquin, comprend bien vite le quiproquo, joue le jeu et empoche l'argent. Il séduit même la fille du bourgmestre puis s'en va tandis que les notables comprennent leur erreur; c'est alors que le vrai Revizor arrive sur les lieux.
La satire de Gogol est féroce. Aucun de ces personnages ne s'en tire avec honneur, ce sont tous des êtres corrompus et bas, méprisables et ridicules. La noblesse pas plus que la bourgeoisie ne sont épargnées. Cependant il s'agit d'une comédie et Gogol tient à nous faire rire même si ce rire n'est pas dépourvu d'amertume.
Dans la mise en scène de Ronan Rivière, l'humour n'est peut-être pas assez présent, les acteurs disent  leur texte trop rapidement,  et il  n'y a pas assez de nuances dans le jeu ni de temps de respiration qui permettrait de savourer les dialogues, d'en faire ressortir le comique. Et c'est dommage car la représentation présente des qualités.  La scénographie qui recrée un univers assez noir, entre ombre et lumière, et les personnages rigides, sanglés dans des uniformes sombres, rendent bien l'aspect pessimiste de la pièce. La troupe est homogène et il n'y a pas de faiblesse au niveau du jeu.

challenge Théâtre Eimelle

dimanche 6 juillet 2014

Tchekhov : Une demande en mariage suivi de L'ours festival Avignon 2014




Une demande en mariage et l'ours de Tchekhov à Essaïon-Avignon. Mise en scène de Sophie Parel avec Philippe Collin, Roger Contebardo, Sophie Parel 17H25

Une demande en mariage est une petite comédie en un acte de Tchekhov, très réussie et très amusante. Tchekhov y épingle la société rurale, celle des riches propriétaires terriens viscéralement attachés à leur terre, et met en scène le choc de deux caractères explosifs, Lomov et Natalia Stepanovna, personnages dont la tête près du bonnet promet une vie conjugale mouvementée… s'ils finissent par se marier!

En attendant Lomov vient demander Natalia Stepanovna en mariage; il est très bien reçu par le père Stepan Stepanovitch  et Natalia semble toute prête à agréer sa demande. Oui, mais voilà, à condition que Lomov ne prétende pas que le pré aux vaches est à lui, alors que tout le monde sait, Natalia en est persuadée, qu'il est à son père et à elle!

A la fois comédie de caractère et comédie sociale, ce petit bijou de Tchekhov est servi par une mise en scène enlevée, efficace, et absolument hilarante, et par trois comédiens dynamiques qui mettent en valeur à la fois le côté comique, les travers ridicules, la mesquinerie des personnages et leur caractère emporté. Chacun est parfait dans le rôle qui lui est imparti. Le rythme endiablé va crescendo pour le plus grand plaisir du spectateur. Une vraie réussite!
Un bémol pourtant pour L'ours,  qui se passe dans le même milieu de propriétaires terriens et avec les mêmes interprètes. A l'origine il s'agit de deux pièces indépendantes mais la mise en scène prend le parti d'en faire la suite de Une demande en mariage… et pourquoi pas? Cela fonctionne très bien. Mais j'ai trouvé les acteurs qui interprètent Smirnov, l'ours, et Louka, le serviteur, beaucoup moins convaincants dans ces rôles qu'ils ne le sont dans ceux du père et du prétendant dans Une demande en mariage. Seule Sophie Parel  est égale à elle-même, c'est à dire volcanique, que ce soit dans le rôle de Natalia ou d'Elena.



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samedi 5 juillet 2014

Festival OFF d'Avignon : L'aide-Mémoire de JC Carrière à Essaïon-Avignon


L'aide-Mémoire de Jean-Claude Carrière à Essaïon-Avignon : mise en scène de Pierre Courtois avec Guylaine Laliberté et Michel Laliberté  14H15


Il s'agit d'une pièce de jeunesse de Jean-Claude Carrière créé en 1968.

Un célibataire endurci, homme d'affaires, vit seul dans sa garçonnière en multipliant les conquêtes féminines dont il note le nom sur un aide-mémoire pour mieux s'en souvenir. Un jour, une jeune femme s'introduit chez lui, à la recherche d'un certain monsieur Ferrand. Et la mystérieuse inconnue s'installe dans son petit studio et elle s'incruste! Qui est-elle? Peut-on croire à tout ce qu'elle raconte?  

En 1968, la pièce pouvait  passer pour subversive car la jeune femme met à mal les institutions du mariage et du travail, les valeurs "sacrés" de la société de l'époque. Cet aspect s'est un peu émoussé ; reste donc l'intérêt que l'on porte aux personnages, à Jean-Jacques, collectionneur de femmes, qui prend conscience peu à peu du vide de sa vie, entre un travail sans âme et l'absence de relations sincères, le manque d'amour. Le personnage a une vie carrée, ordonnée, travail dans la journée, bringue la nuit. Peu de zones d'ombres si ce n'est cet aide-mémoire qui fait de lui un Dom Juan bien triste, un macho qui pourrait être tout à fait inintéressant si... Si le comédien Michel Laliberté ne faisait sentir sa fragilité et l'émotion qui s'empare de lui au moment où il se sent touché par un sentiment qu'il ne connaît pas et qui lui redonne une humanité et un sens. Quant à elle, Suzanne, Guylaine Laliberté, elle reste mystérieuse jusqu'au bout et nous restons sur nos interrogations. Tout à tour, ingénue, enfantine, séductrice, manipulatrice. Son interprétation subtile ne nous permet pas de savoir qui elle est vraiment.

Le sujet est un peu mince et paraît léger mais les deux comédiens excellents, cisèlent ce dialogue brillant et en font ressortir les moindres nuances, l'humour, l'émotion, la naissance de l'amour vécu comme une folie douce. Ils nous font goûter la saveur de ce duo verbal et c'est un moment théâtral fort agréable!

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Les deux spectacles du In qui devaient ouvrir le festival In d'Avignon vendredi 4 Juillet ont donc été annulés, ce qui fait que je ne verrai pas Coup Fatal de Alain Platel.   Ce soir samedi 5 Juillet, par contre, je serai dans la cour d'honneur du palais des Papes pour Le prince de Hombourg de Kleist  et J'ai encore trois autres pièces vues dans le OFF à vous présenter : Une demande en mariage et Le Revizor  et j'ai vu  aussi Le roi se meurt  au théâtre des Halles mis en scène par Alain Timar..





Challenge théâtre chez Eimelle

jeudi 3 juillet 2014

le festival d'Avignon IN et OFF 2014 : coup d'envoi Vendredi 4 juillet et les avant-premières gratuites du OFF


image du festival 2013

Demain vendredi 4 juillet 2014 commence, en principe, le festival IN d'Avignon et les avant-premières du festival OFF. Les intermittents se sont prononcés avec une écrasante majorité contre la grève tout en ne renonçant pas à des actions ponctuelles pour faire connaître leurs revendications.. Pourtant,  hier, mercredi 3  juillet, les grévistes ont empêché la répétition du Prince de Hombourg qui doit ouvrir le festival dans la Cour d'Honneur.  Donc tout reste aléatoire.
Pour ma part, voilà le programme de ma journée du 4 juillet.

Trois pièces du festival OFF

 

Le Roi se meurt de Ionesco par l'Académie de théâtre de Shangaï
 Parmi les avant-premières gratuites du OFF,  j'ai choisi celles-ci :

Au théâtre des Halles

11H : Le Roi se meurt de Ionesco par l'Académie de théâtre de Shangaï

Essaïon-Avignon

14H 15 L'aide-mémoire de Jean-Claude Carrière par Essaïon Theatre

17h25 la demande en mariage et l'ours de Tchékhov

Mon premier spectacle du IN 

 

Coup fatal d'Alain Platel
 22h Coup fatal Platel cour du lycée saint Joseph.

 Avant-premières gratuites

 

cour du théâtre des Halles

J'ai fait des recherches et j'ai trouvé une liste de théâtres qui proposent des avant-premières gratuites

La Fabrik Théâtre avec “Les oreilles du loup” d’Antonio Ungar, à 10 h 45 ; à 12 h 15 la pièce de Molière “Monsieur de Pourceaugnac” ; à 16 h “La Mégère apprivoisée” de Shakespeare ; à 18 h 30 “Journal d’un fou” de Gogol et enfin à 20 h 30 “Les Misérables” de Victor Hugo avec les marionnettes du Kronope, ceù dernier spectacle à 5 €, les autres sont gratuits. (Résas. 04 90 86 47 81).
Le Théâtre des Halles propose “Le Roi se meurt” à 11 h de Ionesco et à la même heure “Le Temps suspendu de Thuram” et “O vous Frères humains” à 16 h d’Albert Cohen, tous les spectacles sont gratuits (Résas. 04 32 76 24 51).
Golovine à 10 h 45 présente “Bonjour ma chérie” solo de danse, à 18 h 40 “Noir debout et d’obus” danse afro antillaise et à 22 h 20 “Les Irrévérencieux” mix de Commedia dell’arte, Human beatbox et danse, (Résas. 04 90 86 01 27).
Le Théâtre des Remparts ouvre ses portes toute la journée pour tous ses spectacles, et la générale est publique et gratuite : à 10 h 30 “Espérances”, à 11 h 30 “Le Maître et le Chanteur”, à 13 h 20 “Zao”, à 14 h 55 “Moi qui marche”, à 16 h 30 “Mystère” spectacle de marionnettes, A 17 h 40 “Les demeurés”, à 19 h 10 “Sourd toujours”. Le soir place aux créations 2014 avec à 20 h 45 “Voyage en Troika” et à 22 h 10 “A la vie à la mort”. (Résas. 09 81 00 37 48 ou 04 90 85 37 48.)
Le Théâtre du Bourg-Neuf présente également quelques spectacles le 4 juillet en générale publique : “Amour et piano” à 12 h 30, une comédie avec des textes de Victor Hugo, gratuit. “L’homme poubelle” à 16 h, spectacle à l’humour grinçant, gratuit à partir de 12 ans. “Maghrébien que mal” conte à 17 h 30 et “Aime- moi” à 21 h au sujet des femmes battues (16, 11 € réduit). Résas. 04 90 85 17 90.

Le forum : toute la programmation

Essaïon-Avignon : toute la programmation sauf deux pièces Le paquebot Tenacity et Racine par la racine

Théâtre Notre -Dame : toute la programmation



Challenge en scène chez Eimelle

lundi 30 juin 2014

Molière : L'école des femmes et la critique de l'école des femmes


Isabelle Adjani interprète Agnès dans l'Ecole des femmes

Dans L'école des femmes, Arnolphe, un vieux célibataire obsédé par la peur du cocuage, prétend qu’une femme ne peut être vertueuse et fidèle que si elle est ignorante et sotte. Aussi, pour avoir une épouse qui ne le mette pas en danger, il fait élever sa jeune pupille, Agnès, hors du monde, en la maintenant dans la plus profonde ignorance, sous la garde d’un valet et d’une servante qui sont comme elle.  Elle a maintenant 16 ans et il est décidé à l'épouser.
La jeune Agnès, malgré l'isolement dans lequel elle est tenue, aperçoit un jour, par la fenêtre, un beau jeune homme, Horace, qui la salue. Elle lui répond avec innocence et se laisse émouvoir par la prestance du jeune homme et ses protestations d' amour. Mais Horace, qui est le fils d'un ami d'Arnolphe,  prend le barbon pour confident  et lui avoue son amour. Arnolphe ne va avoir de cesse d'empêcher les deux jeunes gens de s'aimer mais chaque fois ses tentatives se soldent par un échec. Et bien sûr l'amour triomphe tandis que la jeune fille se libère et accède à la connaissance en même temps qu'à l'amour.

L'école des femmes


L'école des femmes est une pièce des des plus passionnantes de Molière en ce qui concerne le thème de la femme, une belle réflexion sur la condition féminine au XVIIème siècle et sur la légitimité des aspirations des femmes à la connaissance et au choix de leur époux. Elle est très riche à tous les égards et Arnolphe en barbon amoureux (il a 45 ans!) est un personnage complexe, odieux et touchant, ridicule et tragique à la fois dans son amour pour la jeune fille. Mais c'est à Agnès que je vais m'intéresser dans ce billet : un magnifique personnage de femme qui s'éveille à la vie et à la pensée par le miracle de l'amour. Car dit Horace :

Il le faut avouer, l’amour est un grand maître :
Ce qu’on ne fut jamais il nous enseigne à l’être ;
 (III, 4, )

 Arnolphe prend en charge Agnès à l'âge de 4 ans dans le but avoué de la faire élever pour en faire son épouse; on voit déjà qu'aucune loi ne protège une fillette orpheline, issue d'un milieu pauvre, de la concupiscence de l'adulte.

Dans un petit couvent, loin de toute pratique,
Je la fis élever, selon ma politique,
C’est-à-dire ordonnant quels soins on emploierait,
Pour la rendre idiote autant qu’il se pourrait.
Dieu merci, le succès a suivi mon attente.. Acte I scène 1


Agnès est donc maintenue dans l'isolement et l'ignorance par un tuteur qui  se réserve le droit d'agir envers elle comme si elle n'avait pas d'existence propre, de volonté :

En un mot, qu’elle soit d’une  ignorance extrême ;
Et c’est assez pour elle, à vous en bien parler,
De savoir prier Dieu, m’aimer, coudre, et filer. (Acte I scène 1)


Il veut donc en faire sa "chose", une poupée docile et malléable. C'est ce qu'il exprime très clairement dans la scène 3 de l'acte III :

Je ne puis faire mieux que d’en faire ma femme.
Ainsi que je voudrai je tournerai cette âme ;
Comme un morceau de cire entre mes mains elle est,
Et je lui puis donner la forme qui me plaît. (III, 3, )


 Complexe de Pygmalion? Non, plutôt la  folie d'un homme en proie à son obsession,  - ici la peur d'être un mari trompé- , et qui comme tous les personnages de Molière se laisse gouverner par son idée fixe (Harpagon, Tartuffe, Alceste, Dom Juan...). 

Agnès Sourdillon (Agnès) et Pierre Arditti (Arnolphe)

 En 2001, au festival d'Avignon, le metteur en scène Didier Bezace soulignait le tragique de cette Agnès interprétée par Agnès Sourdillon, qui apparaissait comme une poupée de son secouée et manipulée par Arnolphe (Pierre Arditti), une marionnette dont il tirait les ficelles.

Dans l'acte I scène 2,  l'on voit en effet, qu'il a réussi. Agnès apparaît d’une incroyable innocence, une petite sotte qui demande "si les enfants qu'on fait se faisaient par l'oreille". Elle ne s'ennuie jamais, dit-elle, et semble passer sa vie à coudre des chemises et des cornettes, sans distraction, sans même pouvoir rencontrer une personne sensée, en dehors des deux nigauds qui lui servent de geôliers. Elle vit son emprisonnement comme une chose naturelle puisqu'elle n' a jamais connu autre chose. Elle ne souffre pas car elle n'est pas maltraitée;  elle est endormie dans un espace sans consistance, une belle au bois dormant en dehors de la vie.
 Mais les sentiments qu'elle commence à éprouver pour Horace, la font, on va le voir bien vite, évoluer.  Elle s'éveille à la sensualité et est troublée par la nouveauté d’une telle expérience :

Il jurait qu’il m’aimait d’une amour sans seconde,

Et me disait des mots les plus gentils du monde,

Des choses que jamais rien ne peut égaler,

Et dont, toutes les fois que je l’entends parler,

La douceur me chatouille et là-dedans remue

Certain je ne sais quoi dont je suis tout émue. (II, 5, v. 559-564)

Désormais c'est en vain qu'Arnolphe essaie d'employer la crainte pour la remettre dans le droit chemin et lui fait étudier la liste des devoirs du mariage.

Il est aux enfers des chaudières bouillantes
Où l’on plonge à jamais les femmes mal vivantes. (III, 2, v. 727-728)

Elle reçoit Horace dans sa chambre, elle répond à son amour malgré les menaces que son tuteur fait peser sur elle. Peu à peu, elle se révolte, et avec intelligence et vivacité, elle retourne les préceptes de son tuteur contre lui-même lorsqu' il lui reproche de suivre un galant pour se marier :

J’ai suivi vos leçons, et vous m’avez prêché
Qu’il se faut marier pour ôter le péché.

 La naïveté d'Agnès  et sa franchise sans détour sont des  ressorts comiques car elles  renvoient Arnolphe  à sa propre responsabilité. C'est lui qui a voulu que Agnès ne sache rien de l'amour.

Elle va même plus loin, en refusant d'être considérée comme un ingrate et  déclare qu'elle ne doit rien à un homme qui l'a traitée comme une esclave.  Elle semble même ignorer la cruauté dont elel fait preuve  en lui répondant comme elle le fait...  à moins qu'elle n'en soit parfaitement consciente et manifeste ainsi sa colère et sa révolte :

Chez vous le mariage est fâcheux et pénible
Et vos discours en font une image terrible :
Mais las! Il le fait lui si rempli de plaisirs
Que de se marier il en donne l'envie Acte IV scène 4

Elle prend  aussi conscience de l'étendue de son ignorance et du fait qu'elle est un sujet de raillerie pour les autres. Elle  souffre d'être tenue pour sotte et ose le dire en face à son tuteur accédant ainsi au tragique de l'existence.

Croit-on que je me flatte et qu'enfin dans ma tête,
Je ne juge pas bien que je suis une bête?
Moi-même j'en ai honte et dans l'âge où je suis
je ne veux plus passer pour sotte si je puis. (Acte V scène 4)

Dans la scène 8 de l'acte V,  elle  ne veut plus être celle qui accepte passivement les ordres d'un maître et cherche à prendre en main son destin quitte à mettre ses jours en danger. Ainsi la domestique, Georgette, vient avertir Arnolphe de la rebellion d'Agnès :

Monsieur si vous n'êtes auprès
Nous aurons de la peine à retenir Agnès,
Elle veut à tous coups s’échapper, et peut-être
Qu’elle se pourrait bien jeter par la fenêtre. Acte V scène 8


L'évolution d 'Agnès est achevée. Elle est devenue adulte. C'est une femme consciente, intelligente et courageuse qui lutte pour son amour et pour sa liberté.


La critique de l'école des femmes

 

L'école des femmes est parue en 1662 et a obtenu un vif succès populaire avec de très nombreuses représentations. Elle a suscité aussi de violentes controverses menées par les détracteurs de Molière, des mondains qui déclarent la pièce trop leste et peu respectueuse de la morale, et aussi par d'autres comédiens  (la troupe des grands comédiens de l'Hôtel de Bourgogne) jaloux de Molière. C'est la fameuse querelle de L'école des femmes. Celui-ci décide de répondre à ses ennemis par une oeuvre  d'un acte intitulée : La critique de l'école des femmes.
Dans son salon, Uranie et Elise, sa cousine, reçoivent des amis qui représentent les différents types de la société mondaine parisienne, Climène, précieuse et prude,  le petit marquis ridicule et fat, Lysisdas, l'auteur jaloux, Dorante, l'honnête homme. Toutes les conservations roulent sur le même sujet : la pièce de Molière que tout le monde critique mais que tout le monde va voir! Uranie et Dorante prennent la défense de la pièce et récuse l'accusation d'obscénité. La suite du débat portesur les règles que l'on reproche à Molière de n'avoir pas respectées, ce qui est vrai, par exemple pour la règle des trois unités.  La réponse que donne Molière est un véritable manifeste  qui donne un aperçu global de ses idées sur le théâtre.

Réponse sur le respect des règles : scène 6

Dorante.- Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles dont vous embarrassez les ignorants, et nous étourdissez tous les jours. (...) Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire ; et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n’a pas suivi un bon chemin.


Uranie.- Pour moi, quand je vois une comédie je regarde seulement si les choses me touchent, et lorsque je m’y suis bien divertie, je ne vais point demander si j’ai eu tort, et si les règles d’Aristote me défendaient de rire.

Réponse sur la hiérarchie des genres . Le XVII siècle considérait la comédie comme inférieure à la tragédie scène 6

Uranie.- Ce n’est pas mon sentiment, pour moi. La tragédie, sans doute, est quelque chose de beau quand elle est bien touchée ; mais la comédie a ses charmes, et je tiens que l’une n’est pas moins difficile à faire que l’autre  .

Dorante.- Assurément, Madame, et quand, pour la difficulté, vous mettriez un plus du côté de la comédie peut-être que vous ne vous abuseriez pas. Car enfin, je trouve qu’il est bien plus aisé de se guinder sur de grands sentiments, de braver en vers la Fortune, accuser les Destins, et dire des injures aux dieux, que d’entrer comme il faut dans le ridicule des hommes, et de rendre agréablement sur le théâtre les défauts de tout le monde. Lorsque vous peignez des héros, vous faites ce que vous voulez ; ce sont des portraits à plaisir, où l’on ne cherche point de ressemblance ; et vous n’avez qu’à suivre les traits d’une imagination qui se donne l’essor, et qui souvent laisse le vrai pour attraper le merveilleux. Mais lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d’après nature; on veut que ces portraits ressemblent ; et vous n’avez rien fait si vous n’y faites reconnaître les gens de votre siècle. En un mot, dans les pièces sérieuses, il suffit, pour n’être point blâmé, de dire des choses qui soient de bon sens, et bien écrites : mais ce n’est pas assez dans les autres ; il y faut plaisanter ; et c’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens.

Mais La critique de L'école des femmes n'est pas seulement un manifeste. C'est aussi une comédie avec des portrait qui ressemblent, où Molière entre comme il faut dans le ridicule des hommes et d'une manière agréable, pour nous faire rire.

LC avec Maggie 


Challenge En scène chez Eimelle

vendredi 27 juin 2014

Jean-Christophe Bailly : La légende dispersée, anthologie du romantisme allemand

Philippe Otto Runge peintre, théoricien de la peinture romantique :  




La légende dispersée est une anthologie du romantisme allemand de Jean-Christophe Bailly dans une réédition 2014 aux éditions Bourgois. Si le romantisme français m'est familier, je connais mal la littérature allemande romantique qui a eu une telle influence sur les écrivains de notre pays au début du XIX siècle. D'où le choix  de ce livre pour la découvrir.

L'homme n'est pas seul à parler - l'univers aussi parle -tout parle - des langues infinies. Novalis

Mais d'abord pourquoi ce titre? Il évoque la façon dont le romantisme allemand est né, s'est propagé non en ligne droite, mais par ondes, par retour sur soi-même, interférences entre différents genres, sans système, unique et en même temps multiple. Le romantisme allemand, en effet, n'est pas à proprement dit un "mouvement" car il n'éprouve pas le besoin d'établir des règles et des lois contrairement au romantisme français, au contraire il refuse les limites. Il est en fait un moment fugace mais brillant où sous l'influence de la Révolution française, les écrivains portèrent l'idée de liberté au plus haut degré; il ne s'agit pas d'une révolution au sens social ou politique mais spirituelle aux formes multiples, une prolifération des sens entre les différents genres de la littérature mais aussi entre les sciences, l'art, la philosophie, une construction d'un mythe qui se propage, qui se démultiplie, se brise en éclats d'où le titre du livre que Jean-Christophe Bailly explique  ainsi : "La légende dispersée est le nom romantique que j'avais donné à ce mouvement d'émancipation, à cette dissémination à la fois éperdue et rassemblée du sens".

Cette anthologie qui ne se veut pas exhaustive introduit d'abord les précurseurs du romantisme  : Moritz, Jean-Paul, Fichte, Hölderlin. Puis sont présentés trois lieux distincts, Iéna, Heidelberg, Berlin, qui correspondent chacun à une époque du romantisme, trois périodes fluctuantes qui montrent le cheminement et l'évolution du romantisme, qui se succèdent rapidement et ne se donnent aucune structure  : "et très vite le vent les souffle comme si les individus eux aussi étaient des grains de pollen, des fragments d'une entité qui doit rester invisible pour que les ondes puissent continuer à se propager des uns aux autres…"

Iéna en 1798  est l'explosion initiale : Novalis, Wackenroder, Tieck, August Schlegel, Friedricf Schegel, Schelling, Schleiermacher,

Heidelberg quelques années plus tard, / Et Berlin   Bonaventura,  Günderode, C Bretano, B. Brentano, Arnim, Kleist, CD Friedrich, PO Runge, Hoffmann, Chamisso, la Motte-Fouqué, J.Kerner

Enfin viennent les derniers noms d'un romantisme tardif :  Eichendorff, Waiblinger, Grabbe, Lenau.

Outre les caractéristiques principales du romantisme allemand, la multiplicité de ses voix originales,  cette anthologie m'a permis de retrouver des noms qui m'étaient connus, Novalis, Hoffmann, Kleist, Friedrich, Runge,  Lenau… et de rencontrer des auteurs qui me donnent envie d'aller plus loin dans leur découverte : par exemple Karl Philipp Moris (Anton Reiser), Tieck (Frantz Sternblad ou Eckbert le blond) ou Chamisso (la merveilleuse histoire de Peter Schlemihl).


Philipp Moritz (Anton Reiser)

"Le caractère limité de l'individu lui était sensible.
Il ressentait cette vérité : de tous les millions d'êtres qui sont  et qui ont été on n'est jamais qu'un seul.
Son désir était souvent de s'imaginer en totalité dans l'être et dans l'esprit d'un autre -quand d'aventure dans la rue, il passait tout près d'un autre homme qui lui était complètement étranger- la pensée de l'étrangeté de cet homme, de la totale ignorance que l'un avait du destin de l'autre, devenait si vive que, dans la mesure où la bienséance le permettait, il s'en approchait de plus près qu'il pouvait pour accéder un instant à son atmosphère et voir s'il ne pourrait pas traverser la paroi qui séparait des siens les souvenirs et les pensées de l'étranger."


Casper Friedrich : deux hommes contemplant la lune

Mais moi je me tourne vers la Nuit sacré, l'ineffable, la mystérieuse nuit. Là-bas gît le monde, au creux d'un profond sépulcre enseveli -vide et solitaire est sa place. Aux cordes du coeur bruit la profonde mélancolie. Que je tombe en gouttes de rosée, que je m'unisse à la cendre! Lointains du souvenir, voeux de la jeunesse, rêves de l'enfance, de toute une longue vie l'inutile espérance et les brèves joies se lèvent dans leurs vêtements gris, pareils à la brume du soir quand le soleil s'est couché. Ailleurs, dans d'autres espaces, la lumière a déployé ses tentes d'allégresse. Pourrait-elle jamais ne retourner vers ses fils qui l'attendant avec la foi de l'innocence?
 Novalis Hymnes à la nuit 






Merci à Dialogues Croisés et aux éditions Bourgois


mardi 24 juin 2014

Glaz 4 est paru!


Glaz le magazine numérique collectif de Gwenaelle vient de sortir. Il est consacré à la Bretagne! Ne manquez pas d'aller le lire. En voici le sommaire :

Sommaire

Flâneries Nantaises 6
Les Côtes d’Armor 10
La Gacilly, une cité d’art en pays de Redon 14
Contemplations 16
L’Ecole des Filles 22

Escales en littérature
 
Rencontre avec Fabienne Juhel 29
Le corps perdu de Suzanne Thover 34
Georges Perros, un homme discret 38
Xavier Grall 42
Anatole Le Braz 44
Ernest Renan 48
Promenade en Bretagne 50
avec Chateaubriand
Noir en Bretagne 56
Liscorno 60
 
Les Nouvelles 62
 
Les Voyageurs 63
Pourquoi le Mont-Saint-Michel est normand... 65
Le loup de la Dosenn 67
Le Renard 70

et beaucoup de belles photographies!

Gwenaelle attend vos avis et vos suggestions pour le numéro suivent : Glaz 5

dimanche 22 juin 2014

Ed McBain : Dix plus un



 
Ed Mac Bain  (1926-2005) de son vrai nom Salvatore Lombino est un auteur américain d'origine italienne qui a vécu son enfance à Harlem à New York puis dans le Bronx. Il est devenu l'un des grands maîtres du roman noir, créant des personnages récurrents, des flics travaillant dans le 87ème district d'Isola. Steve Carella est le personnage principal, inspecteur entouré de ses collègues à qui McBain a donné un passé, une personnalité, et qu'il suit non seulement dans leur vie professionnelle mais aussi dans leur vie privée et familiale.




 Chaque roman, loin de se polariser sur une seule enquête policière, montre le quotidien d'un commissariat dans la ville fictive d'Isola imaginée par l'auteur qui a pris New York pour modèle. C'est une ville avec ses quartiers riches ou miséreux; dans ces derniers se croisent, noirs, irlandais, portoricains, victimes et tueurs, prostituées et caïds, et les crimes les plus crapuleux alternent avec toutes sortes de délinquance. Ainsi il dresse le portrait d'une société où règne l'inégalité, la misère, le racisme, la violence et qui ressemble comme deux gouttes d'eau à la société new yorkaise! Et pour cause!
Steve Carella, d'origine napolitaine,  vit sa vie dans les 53 romans qui lui sont consacrés de 1956 à 2005. Il entre dans la police à 21 ans et s'il vieillit ce n'est pas au rythme de la parution des romans. Il épouse Teddy, une jeune femme, sourde et muette, qu'il aime d'un grand amour, refusant malgré les occasionsqui se présentent de lui être infidèle, l'encourageant à être complètement autonome malgré son handicap. Ils ont des jumeaux Mark et April. Il est entouré de ses partenaires que nous apprenons à connaître, Bert Kling, Meyer Meyer … et a pour patron Peter Byrnes, le chef des inspecteurs du 87ème district.
Steve Carella a été interprété à l’écran par plusieurs grands acteurs : Jean-Louis Trintignant, Burt Reynolds, Donal Sutherland, Robert Lansing…

Ed Mc Bain a utilisé plusieurs pseudonymes Evan Hunter, Richard Marsten, Hunt Collins, Curt Cannon et Ezra Hannon. Il est aussi scénariste, en particulier du film Les oiseaux d'Hitchcock d'après Daphné du Maurier.
Ten plus One (dix plus un) a été publié en 1963 et adapté à l'écran par Philippe Labro qui a transposé l'action dans la société français, à Nice, dans les années 1970.

Jeain-Louis Trintignant : Steve Carella


Le sujet :
Un "canardeur", tireur d'élite, tue l'une après l'autre des personnes qui n'ont apparemment aucun lien entre elles :  marchand de primeurs, riche avocat, homme politique en vue, prostituée, auteur … Un casse-tête pour Carrela et ses collègues jusqu'au moment où ils découvriront le fil conducteur et le drame qui est à l'origine de ces meurtres en série. Une belle exploration de toutes les couches de la société.

Dix plus un n'est pas un des meilleurs romans de Mc Bain qui s'y montre parfois un peu trop démonstratif, partant dans de grandes diatribes contre l'antisémitisme, l'injustice sociale etc.. Je préfère quand il explore les mêmes thèmes mais dans l'action, sans avoir l'air d'y toucher. D'autre part, on y apprend peu de choses sur Carella et ses collègues dont le profil reste assez flou. Pourtant,  le roman me paraît plus riche que le film de Labro quant à la critique sociale et la personnalité des victimes et du tueur.



 
La réponse est : 
Dix pour un de Mc Bain
Sans mobile apparent de Philippe Labro
Félicitations à Aifelle, Dasola, Keisha, Pierrot Bâton, Somaja, Syl .. et merci à tous ceux qui sont venus voir l'énigme.

 Samedi 28 Juin, la dernière énigme avant les vacances d'été est chez Eeguab

samedi 21 juin 2014

Un livre/un film : énigme 99




Wens En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, et le 5ème pour les mois avec cinq samedis un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.

Chez Eeguab, le 2ème et 4ème samedi du mois vous trouverez l'énigme sur le film et le livre
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
La prochaine énigme aura lieu le samedi  28 Juin chez Eeeguab. ce sera la dernière avant les vacances d'été.

Enigme 99
L'auteur du roman dont vous devez retrouver le titre est un américain d'origine italienne. Il est un des maîtres du roman noir. Il écrit sous plusieurs pseudonymes mais celui qui nous intéresse est le plus connu. D'une oeuvre à l'autre, il nous raconte le quotidien d'une équipe de policiers dans un quartier de New York. L'un de ces personnages récurrents - bien en avant que ce ne soit une mode littéraire-, américain d'origine italienne comme son auteur, porte un nom devenu célèbre dans le monde de la littérature. 
Personne ne pense à la mort par une belle journée de printemps. 
Le moment de mourir, c'est l'automne, pas le printemps. L'automne encourage les pensées macabres et incite aux songeries morbides; il flatte le désir de mort en montrant comment tout se fâne et se flétrit. L'automne est poétique comme l'enfer, rapide, succinct; il pue la moisissure et la cendre. Les gens meurent beaucoup en automne. Tout meurt beaucoup en automne.
Rien n'a le droit de mourir au printemps. Il y a une loi qui le dit : article 5006 du code pénal, mort au printemps : "quiconque mourra ou provoquera ou complotera la mort d'un tiers, ou nourrira des pensées de mort durant l'équinoxe du printemps se rendra coupable de trahison et encourra une peine de..." Ca continue dans ce style. Cet article interdit formellement la mort entre le 21 mars et le 27 juin, mais il y en a toujours qui transgressent la loi, il n'y a rien à faire.
L'homme qui sortait des bureaux de Culver Avenue était sur le point de la transgresser.

mercredi 18 juin 2014

Shakespeare : Comme il vous plaira




Contrairement à ce que je croyais, je n'avais jamais lu (ni vu) Comme il vous plaira  et comme d'habitude à la première découverte d'une pièce de Shakespeare, ce qui domine, ce sont les interrogations  qu'elle éveille en moi.

Le sujet de la pièce

Mais d'abord le sujet de la pièce.Voici la présentation du livre de poche de Yves Bonnefoy à laquelle j'ajoute quelques précisions :

Chargé de l'éducation de son jeune frère Orlando depuis la mort de leur père, Olivier le déteste assez pour se réjouir qu'il puisse périr lors d'un corps à corps avec un lutteur. Mais Orlando triomphe sous les yeux de Rosalinde  et s'éprend d'elle. La jeune fille pourtant doit partir maintenant que son père, le vieux duc, a été chassé du pouvoir par son frère. Sous un déguisement de garçon - elle prend le nom de Ganymède- elle gagne la forêt d'Ardennes où s'est réfugié le vieux duc avec les compagnons qui lui sont restés fidèles. Sa cousine Clélia, fille du nouveau maître, décide de la suivre, travestie en bergère sous le nom d'Aliéna. Elles vont vivre dans la forêt une vie pastorale, entourées de bergers. Mais elles retrouvent bientôt le duc et sa cour, Orlando, puis son frère Olivier maintenant repenti.
C'est en 1599 que Shakespeare écrit cette comédie pastorale et gaiement romanesque : une pièce à prendre pour le plaisir, « comme il vous plaira ». Mais après la composition de ses sonnets, et avant l'écriture des grandes tragédies, ce n'est pas une pièce que l'on puisse isoler. Réflexion sur l'amour et la condition féminine, elle nous montre, écrit Yves Bonnefoy, "qu'un Shakespeare n'est jamais en repos » : « La facilité même, quand elle semble régner dans son écriture, c'est aussi et peut-être d'abord ce qu'il emploie à un projet plus sérieux, et qui vient de loin et qui va loin. »
 

Edition et traduction d'Yves Bonnefoy.

Un personnage principal féminin  sous le déguisement d'un homme

Yves Bonnefoy choisit pour résumer la pièce de partir du personnage d'Orlando, l'amoureux de Rosalinde! Ce qui est surprenant! Rosalinde est, en effet, le personnage principal, et même si elle prend le déguisement d'un garçon, c'est elle qui mène l'action, qui dicte leur conduite aux autres personnages et qui les domine  tous par son esprit et le verbe. Cela est incontestable! 
Pour gagner sa liberté, assurer sa protection et celle de sa cousine Célia,  la jeune fille, il est vrai, est travestie en homme. On peut se demander si Rosalinde obéit ainsi à des codes sociaux : pour être l'égale de l'homme, la femme doit-elle abandonner son identité féminine, se comporter en homme?   (On pense aussi à George Sand ). Pourtant, c'est bien en tant que femme qu'elle s'affirme comme indépendante mais il semble qu'il y ait un passage obligé par le travestissement (lié à la condition féminine de l'époque) pour qu'elle puisse accéder ainsi à la liberté d'action mais aussi de parole et de sentiment : Rosalynde n'est pas une prude jeune fille, elle fait allusion à la sexualité gaillardement, a la langue bien pendue, elle raille et domine son amoureux. De plus, elle décide elle-même de celui qui sera son époux même si elle prétend qu'elle le choisit parce que son père l'approuverait!

Le travestissement : homosexualité, androgynie ou simple tradition littéraire?

Walter Howard Deverell

D'autres personnages féminins de Shakespeare sont travestis en homme. Ainsi la Viola de La nuit des rois. il s'agit d'une tradition romanesque mais le travestissement et les débats amoureux qui s'en suivent soulèvent néanmoins la question de l'identité sexuelle. Orlando courtise Ganymède comme si elle était une femme (ce qu'elle est mais il ne le sait pas) alors qu'il pense que c'est un homme. La bergère Phébé est amoureuse de Ganymède qu'elle prend vraiment pour un homme. On voit se reproduire les mêmes méprises dans La nuit des rois. Peut-on parler d'une attirance homosexuelle comme certains critiques le pensent? Rosalinde prend le nom de Ganymède, ce jeune homme si beau que Zeus lui-même en tomba amoureux; il l'enleva en se métamorphosant en aigle et en fit son amant. Le choix de ce nom n'est donc pas anodin (de même que celui de Célia qui devient Aliena : l'étrangère).


J'ai lu une autre explication possible dans un article du Salon littéraire ICI  :

Encore une fois, ce n'est pas l'homosexualité qui prend le masque de l'hétérosexualité mais l'hétérosexualité qui prend le masque de l'homosexualité. Ce que nous dit Shakespeare est que dans un monde magique, c'est-à-dire un monde parfait, les sexes ne devraient jamais se tromper. On n'imagine pas Adam et Eve homosexuels ! Dès qu'il y a homme et femme, il y a différence, amour, vie - et c'est pourquoi couper la scène de l'hymen du cinquième acte comme le font la plupart des metteurs en scène revient à dénaturer la pièce, sinon à en censurer son sens profond.

Cette affirmation s'appuie peut-être (?) sur le mythe platonicien de l'androgynie. Au commencement les êtres humains sont doubles, mi-homme, mi-femme. Mais ils provoquent la colère des Dieux. Zeus les punit en les partageant en deux moitiés qui toujours auront le souvenir de leur origine et la nostalgie de la séparation.


                                         Une comédie pastorale qui critique la pastorale

 
roman pastoral d'Honoré d'Urfé France XVII°

Comme il vous plaira a une source romanesque Rosalynde de Lodge qui appartient au genre de la pastorale. Cette dernière idéalise la vie à la campagne présentée comme idyllique. Les moeurs des bergers dépourvus d'artifice, innocents et purs contrastent avec le manque de simplicité de la ville, la corruption et les vices qui y règnent. Cette opposition existe dans Comme il vous plaira qui semble donc obéir aux lois du genre mais chaque fois que le thème est présenté, un personnage prend aussitôt le contre pied :

Ainsi, le vieux duc dans la scène 1 de l'acte II magnifie cette vie dans les bois en des termes poétiques  mais il en souligne les duretés :

Le vieux duc.—Eh bien ! mes compagnons, mes frères d’exil, l’habitude n’a-t-elle pas rendu cette vie plus douce pour nous que celle que l’on passe dans la pompe des grandeurs ? Ces bois ne sont-ils pas plus exempts de dangers qu’une cour envieuse ? Ici, nous ne souffrons que la peine imposée à Adam, les différences des saisons, la dent glacée et les brutales insultes du vent d’hiver, et quand il me pince et souffle sur mon corps, jusqu’à ce que je sois tout transi de froid, je souris et je dis : « Ce n’est pas ici un flatteur : ce sont là des conseillers qui me convainquent de ce que je suis en me le faisant sentir. » On peut retirer de doux fruits de l’adversité ; telle que le crapaud horrible et venimeux, elle porte cependant dans sa tête un précieux joyau Notre vie actuelle, séparée de tout commerce avec le monde, trouve des voix dans les arbres, des livres dans les ruisseaux qui coulent, des sermons dans les pierres, et du bien en toute chose.

Cette opposition se retrouvera déclinée à deux voix par Amiens et Jacques, les deux gentilhommes de la suite du vieux duc dans la scène 5 de l'acte II

Amiens 
Chanson
Toi qui fuis l’éclat de la cour,
Des champs féconds préférant la parure,

Heureux des mets que t’offre la nature,

Viens habiter avec moi ce séjour.

Dans ce bocage,

Sous cet ombrage,

Point d’ennemi que l’hiver et l’orage.

Jacques.
(Il chante.)
S’il arrive par hasard
 
Qu’un homme soit changé en âne ;

Quittant son bien et son aisance

Pour suivre une volonté obstinée,

Duc dàme, duc dàme, duc dàme,

Il trouvera ici

D’aussi grands fous que lui

S’il veut venir ici.

Amiens.—Que signifie ce duc ad me ?

Jacques.—C’est une invocation grecque pour rassembler les sots dans un cercle.

Enfin sur le mode comique, le fou Touchstone reprend à lui tout seul cette opposition dans la scène 2 de l'acte III

Corin—Et comment trouvez-vous cette vie de berger, monsieur Touchstone ?

Touchstone.—Franchement, berger, par elle-même, c’est une bonne vie ; mais en ce que c’est une vie de berger, c’est une pauvre vie. En ce qu’elle est solitaire, je l’aime beaucoup ; mais en ce qu’elle est retirée, c’est une misérable vie : ensuite, par rapport à ce qu’on la passe dans les champs, elle me plaît assez ; mais en ce qu’on ne la passe pas à la cour, elle est ennuyeuse. Comme vie frugale, voyez-vous, elle convient beaucoup à mon humeur ; mais en ce qu’il n’y a pas plus d’abondance, elle contrarie beaucoup mon estomac ....
acte III scène2

Mais si cette pastorale contient une critique de la pastorale, il n'en reste pas moins que cette forêt des Ardennes (En France?) où se réfugient tous les personnages, lieu fantaisiste où poussent des palmiers et vivent des lions est tout de même un monde magique, une sorte d'Eden. Là, les êtres humains finissent par revenir à la bonté primitive de l'homme d'avant la Chute. Ainsi Frederic, l'usurpateur, se convertit soudainement; Olivier qui souhaitait la mort d'Orlando revient à de bons sentiments. Nous sommes donc bien au-delà de la vraisemblance, entre le rêve et le réel, comme dans Le songe d'une nuit d'été mais en moins cruel,  un univers où la bonté triomphe, où tout finit bien.

Une pièce sur l'amour courtois qui se moque de l'amour courtois

Plus que politique, Comme il vous plaira est avant tout une comédie où l'amour joue un rôle primordial. Elle se conclura d'ailleurs par quatre mariages célébrés par la déesse Hymen. Mais si les amoureux y tiennent un langage précieux et doivent subir des épreuves selon la plus grande tradition de l'amour courtois, Shakespeare se plaît à se moquer de ses conventions et il confie aux femmes le rôle de les critiquer.
Ainsi lorsque Orlando énamourée compose des vers qu'il accroche aux branches des arbres, Roslynde convient qu'il s'agit de bien mauvais vers.
Quant à la bergère Phébé poursuivi par les assiduités du berger Sylvius qu'elle n'aime pas, ce vocabulaire précieux la met carrément en colère et c'est avec une grande vivacité qu'elle condamne cet excès de langage qui n'a d'égal que la fausseté des sentiments :
 Phébé
 Tu me dis que le meurtre est dans mes yeux ; cela est joli à coup sûr et fort probable que les yeux, qui sont la chose la plus fragile et la plus douce, à qui le moindre atome fait fermer leurs portes timides, soient appelés des tyrans, des bouchers, des meurtriers. C’est maintenant que je fronce les sourcils de tout mon cœur en te regardant ; et si mes yeux peuvent blesser, eh bien, puissent-ils te tuer dans ce moment ! Maintenant fais semblant de t’évanouir ; allons, tombe.—Si tu ne peux pas, oh ! fi, fi, ne mens donc pas, en disant que mes yeux sont des meurtriers. Montre la blessure que mes yeux t’ont faite. Égratigne-toi seulement avec une épingle, et il en restera quelques cicatrices ; appuie-toi seulement sur un jonc, et tu verras que ta main en gardera un moment la marque et l’empreinte : mais mes yeux, que je viens de lancer sur toi, ne te blessent pas ; et, j’en suis bien sûre, il n’y a pas dans les yeux de force qui puisse faire du mal. Acte III scène 6

Et Rosalynde surenchérit :
Orlando.—Alors il faut que je meure en ma propre personne.

Rosalinde—Non, vraiment, mourez par procuration : le pauvre monde a presque six mille ans, et pendant tout ce temps, il n’y a jamais eu un homme qui soit mort en personne, pour cause d’amour, s’entend. (...) Mais tout cela n’est que des mensonges ; les hommes sont morts dans tous les temps, et les vers les ont mangés ; mais jamais ils ne sont morts d’amour. Acte IV scène 1

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On pourrait encore parler d'autres thèmes de Comme il vous plaira : celui des frères ennemis ( le vieux duc et Frédéric,  Olivier et Orlando), thème cher à Shakespeare que l'on retrouve aussi dans La Tempête ou Hamlet, le rôle du fou et de Jacques, l'importance du nombre :  les quatre vitesses du temps, les sept âges de la vie, les trois leçons de morale, les sept variétés de la mélancolie, les sept degrés du démenti et tant d'autres... mais il faut que je m'arrête en remerciant Shakespeare de me questionner autant et du plaisir qu'il me donne!

Acte IV scène 1 Les sept variétés de la mélancolie
Jacques.—Je n’ai pas la mélancolie d’un écolier, qui vient de l’émulation ; ni la mélancolie d’un musicien, qui est fantasque ; ni celle d’un courtisan, qui est vaniteux ; ni celle d’un soldat, qui est l’ambition ; ni celle d’un homme de robe, qui est politique ; ni celle d’une femme, qui est frivole ; ni celle d’un amoureux, qui est un composé de toutes les autres : mais j’ai une mélancolie à moi, une mélancolie formée de plusieurs ingrédients, extraite de plusieurs objets ; et je puis dire que la contemplation de tous mes voyages, dans laquelle m’enveloppe ma fréquente rêverie, est une tristesse vraiment originale. 

 Acte II scène 7 Les sept âges de l'homme

Jacques.—Le monde entier est un théâtre, et les hommes et les femmes ne sont que des acteurs ; ils ont leurs entrées et leurs sorties. Un homme, dans le cours de sa vie, joue différents rôles ; et les actes de la pièce sont les sept âges[13]. Dans le premier, c’est l’enfant, vagissant, bavant dans les bras de sa nourrice. Ensuite l’écolier, toujours en pleurs, avec son frais visage du matin et son petit sac, rampe, comme le limaçon, à contre-cœur jusqu’à l’école. Puis vient l’amoureux, qui soupire comme une fournaise et chante une ballade plaintive qu’il a adressée au sourcil de sa maîtresse. Puis le soldat, prodigue de jurements étranges et barbu comme le léopard[14], jaloux sur le point d’honneur, emporté, toujours prêt à se quereller, cherchant la renommée, cette bulle de savon, jusque dans la bouche du canon. Après lui, c’est le juge au ventre arrondi, garni d’un bon chapon, l’œil sévère, la barbe taillée d’une forme grave ; il abonde en vieilles sentences, en maximes vulgaires ; et c’est ainsi qu’il joue son rôle. Le sixième âge offre un maigre Pantalon[15] en pantoufles, avec des lunettes sur le nez et une poche de côté : les bas bien conservés de sa jeunesse se trouvent maintenant beaucoup trop vastes pour sa jambe ratatinée ; sa voix, jadis forte et mâle, revient au fausset de l’enfance, et ne fait plus que siffler d’un ton aigre et grêle. Enfin le septième et dernier âge vient unir cette histoire pleine d’étranges événements ; c’est la seconde enfance, état d’oubli profond où l’homme se trouve sans dents, sans yeux, sans goût, sans rien. 

LC avec Maggie et Miriam