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samedi 14 avril 2018

Sarah Perry : Le serpent de l'Essex



Angleterre, fin du XIXe siècle. Cora Seaborne, une jeune veuve férue de paléontologie, quitte Londres en compagnie de son fils Francis et de sa nourrice Martha pour s’installer à Aldwinter, dans l’Essex, où elle se lie avec le pasteur William Ransome et sa famille. Elle s’intéresse à la rumeur qui met tout le lieu en émoi : Le Serpent de l’Essex, monstre marin aux allures de dragon apparu deux siècles plus tôt, aurait-il resurgi de l’estuaire du Blackwater ? C’est ce que portent à croire la mystérieuse disparition d’un homme à la veille du nouvel an, puis celle de la petite Naomi Banks, fille d’un batelier du village. (Quatrième de couverture)

L'essex

Le roman de Sarah Perry Le serpent de l’Essex paru aux éditions Christian Bourgois, n’est pas un roman fantastique contrairement à ce que le titre pourrait laisser à penser. C’est  un livre qui explore les peurs ancestrales ancrées dans les esprits et qui resurgissent lors de périodes particulières à notre histoire.  C’est l’analyse de la superstition toujours prête à renaître et à embrumer les esprits même ceux des plus raisonnables. C’est l’éternel duel entre l’obscurantisme et l’esprit scientifique à cette époque victorienne où les découvertes des fossiles sur les plages de l’Essex (il est souvent question de Mary Anning* qui a découvert les fossiles des dinosaures) viennent corroborer les thèses de Darwin et apporter la preuve scientifique de l’évolution des espèces. Les deux thèses sont portées, dans le roman, d’une part par Cora, naturaliste, et pas William Ransome, le pasteur, un homme de foi.

Rivière de Blackwater où se cache le serpent
A ces thèmes passionnants s’ajoutent celui de la liberté féminine et du statut de la femme à l’époque victorienne. L’écrivaine veut montrer, à travers le personnage de Cora Seaborne, éprise de science et de paléontologie, que la société victorienne n’était pas aussi corsetée que ce que l’on veut bien le dire. Mais l’on ne peut s’empêcher de penser que si Cora est si marginale, si libre par rapport à sa classe sociale et son époque, c’est parce qu’elle a eu le bonheur de perdre son mari ! Et oui, elle est veuve et heureuse de l’être et riche ! Beaucoup de conditions pour gagner le droit d’être libre !

Enfin la misère sociale est aussi abordée par l’intermédiaire de la lutte contre les logements insalubres, sales, dégradés où s’entasse le petit peuple de Londres.  C’est Martha, la gouvernante de Cora, issue du peuple, qui mène cette bataille avec argent du riche Spencer, amoureux d’elle !

Si j’ai bien aimé les personnages secondaires comme le médecin, Luke Garett, les enfants, Naomi, Jo, et Francis, et l’épouse du pasteur, Stella, j’ai été peu en empathie avec Cora Seaborne, qui m’a déplu. Et pourtant, elle est féministe, donc, je devrais être en accord avec elle, mais son désir de liberté s’accompagne d’une insensibilité à la peine des autres qui me choque. Quant à William Ransome, le pasteur, je n’arrive pas vraiment à le cerner. Je crois que ce qui me gêne, c’est le présupposé de l’écrivaine qui veut affranchir cette homme d’église des interdits victoriens à propos de la sexualité. Du ce fait, je n’arrive pas trop à croire en ce personnage parce que même à notre époque de grande liberté sexuelle (?) un homme qui trompe sa femme mourante (et qu’il aime) sera tourmenté par la culpabilité. Je n’ai pas trop compris ce personnage.

Ce roman est donc très bien écrit, riche et souvent complexe au niveau de l’analyse psychologique et des sentiments. A priori, il avait tout pour m’intéresser. Mais, tout en reconnaissant ses qualités, je n’ai pu m’y investir totalement et je suis restée partiellement en dehors. Quelques longueurs, la froideur de l’analyse et ce désir de l’écrivaine de n’être pas là où on l’attend, en particulier pour l’histoire d’amour et la vision de l’époque victorienne, expliquent peut-être ce ressenti.


*(voir Prodigieuses créatures de Tracy Chevalier) 


Sarah Perry est née en 1979 dans l’Essex. Son premier roman, After Me Comes the Flood, a figuré parmi les sélections du Guardian First Book Award, du Folio Prize et a remporté le Anglian Book of the Year en 2014. Elle vit à Norwich. Le Serpent de l’Essex est son premier roman traduit en français.

jeudi 12 avril 2018

Sandor Marai et Michel-Ange dans La nuit du bûcher

Michel Ange : La pieta de Rome

Dans La nuit du bûcher de Sandor Marai (Voir Ici), le moine défroqué s'enfuit de Rome et passe par Florence pour se réfugier à Genève.
Après avoir vu la Pieta de Rome sculptée par l'artiste dans sa jeunesse, il découvre celle de Florence, oeuvre du sculpteur âgé.

Michel Ange : La Pieta de Florence

"Dans la cathédrale sur la grande place j’ai vu la Pieta que cet artiste romain au nez cabossé a sculptée. Mais cette Pieta florentine n’est pas aussi douce ni sereine que la romaine. (..) 

La Pieta de Rome

"Au-dessus du groupe s’élève la figure d’un vieillard encapuchonné et vêtu d’une cape -on dit que le sculpteur qui l’a réalisée dans sa vieillesse a taillé dans la pierre le visage de cette statue à son image. Ce vieil homme ne demande rien. Il se contente de regarder. Il pose son regard sur les souffrants, sur La Vierge et sur le corps humain supplicié. Aucune expression de colère sur son visage. En contemplant cette statue, je me suis souvenu des mots du padre Alessandro quand il avait mentionné que le vieux maître écrivait des poèmes, dont l’un évoquait la lumière que l’homme ne perçoit qu’au-delà de la mort. En m’attardant sur le visage pierre, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que, dans la réalité de la mort, cette lueur s’éteint. Celui qui croit que l’on peut mêler notre Seigneur aux querelles humaines est d’un égoïsme et d’une bêtise coupables. Les hommes sont des nigauds en espérant qu’ils peuvent entraîner Dieu dans la misère humaine et lui demander de prendre parti, de s’engager, de punir et de récompenser. Le regard du vieil homme plonge dans l’abîme avec l’indifférence de celui qui n’espère plus aucune réponse de Dieu. Dans la Pieta de Rome, le visage de la Vierge Marie à la fois apaisé et douloureux dit encore que le Sacrifice a quelque signification. Le vieillard de la Piété florentine a l’air de savoir, lui, que le Sacrifice n’a aucun sens."

La pieta de Florence Michel Ange
En observant cette statue de marbre dans la grande église de Florence, je me suis rendu compte que cette figure-là, je l'avais vue dans la réalité, quelques jours auparavant et vivante : l'hérétique*, l'homme que les confortatori harcelaient dans la cellule du condamné à mort à la Tor di Nona pour qu'il abjure, fixait lui aussi l'espace de cette manière indifférente. On dirait que les grands artistes -comme fut Michel-Ange- perçoivent la réalité non pas dans le monde mais à l'intérieur, à l'intérieur d'eux-mêmes. Je ne comprends rien à tout cela mais je rapporte la façon dont je l'ai perçu.

* Giordano Bruno

mercredi 11 avril 2018

Nancy Guibert/ Stéphanie Augusseau : Un mur si haut



Fiche de lecture d'Apolline

 Apolline a 8 ans et elle est en CE1. Elle vous présente aujourd'hui une fiche sur un livre lu en classe, dans le cadre du concours annuel des Incorruptibles qui demandent aux enfants d'élire leur livre préféré parmi les six choisis par des éditeurs, des bibliothécaires et des libraires. Chaque niveau vote. 



Titre du livre :

Un mur si haut
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Auteur du livre : Nancy Guilbert

 Illustrations : Stéphanie Augusseau
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Edition : Des ronds dans l'O jeunesse

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Résumé du livre par Apolline



C'est deux petits enfants Plume et Timy et ils sont les meilleurs amis du monde. Un jour, Le Roi Bleu du village de Plume et le Roi Blanc du village de Timy se fâchent et se disputent pour un morceau de terre. Ils décident de construire un mur entre les deux villages et de ne plus jamais s'adresser la parole. Les deux enfants ne peuvent plus se voir. Du coup, Timy essaie de fabriquer une corde pour passer le mur mais le mur est très haut. Plume pleure. Ils décident de s'envoyer des ballons messagers mais...



Le Roi blanc tombe malade et la fleur des merveilles qui peut soigner le Roi Blanc est dans le village des Bleus. Du coup, le docteur Blanc dit qu'il faut cette fleur pour soigner son Roi. Plume et Timy essaient alors de casser le mur avec tous les habitants pour se voir et aller chercher la fleur. Un jour, le Roi Bleu entend un grand bruit et voit de la fumée noire s'échapper du mur. Le mur s'est effondré et tous les habitants se réjouissent car ils ont retrouvé tous les copains.


Et mon histoire est finie... enfin l’histoire de Nancy Guilbert ! 


J’ai beaucoup, beaucoup aimé ce livre. C’est une histoire réelle parce que c'est comme le mur de Berlin et c'est la même histoire que Plume et Timy.
Au début ils sont tristes à cause du mur. Si ça m'arrivait, moi aussi je serais triste, je me sentirais enfermée. Et je voudrais voir mon amie Olga. Et je casserais le mur.
A la fin ils sont joyeux et c'est ça qui m'a rendue heureuse.
J’ai aimé l’illustration parce qu'en fait les habitants du pays des Blancs ont un costume bleu et ceux du pays des Noirs ont un costume blanc. J'aime les contraires. J'aime bien les animaux dessinés parce que j'aime leurs couleurs, ils sont très poétiques.
Mon passage préféré est quand les deux rois se réconcilient et qu'ils décident de partager la terre pour la donner aux animaux.

La morale de l'histoire est qu'il ne faut pas se disputer ni faire la guerre et il faut être amis pour la vie..

L'avis de la grand-mère




Un mur si haut fait partie des livres préférés d’Apolline dans l’excellente sélection des incorruptibles proposés aux classes de CE1.
L’histoire racontée ici - et mise à la portée des enfants- est bien d’actualité, hélas! puisqu’elle faire référence non seulement au mur de Berlin mais aussi à tous ces murs qui s’érigent dans le monde pour interdire le passage des migrants. Apolline a très bien compris et c’est pourquoi l’histoire l’a touchée et elle a été tout de suite en empathie avec les personnages du livre. Les illustrations sont magnifiques avec ces camaïeux de beige, de marron, de roux sur lesquels tranchent le bleu des vêtements et du ciel. Ce qui a beaucoup plu à Apolline c’est que les personnages vêtus de blanc sont noirs et ceux habillés en bleu sont blancs. Histoire d’abolir les différences et de monter combien la couleur de la peau a peu d’importance quand il s’agit de paix et d’amitié.  Un très bel album.

La classe de CE1 d'Apolline a voté. Le livre qui est arrivé en premier est Aimé. Apolline a de la peine, dit-elle, parce que son coup de coeur Cinq minutes et des sablés ne l'a pas emporté.


Voir le concours des Incorruptibles et le gagnant de la  sélection pour les  CE1


lundi 9 avril 2018

Sandor Marai : La nuit du bûcher



Dans La nuit du bûcher de Sandor Marai paru aux éditions Albin Michel, nous sommes à Rome en 1598 au temps de l’Inquisition.
Le narrateur qui écrit à un des frères de son ordre est un moine espagnol du monastère des Carmes d’Avila. On sait dès la première page qu’il ne reviendra jamais à Avila. Il nous reste à apprendre pourquoi.
Inquisiteur, il est envoyé à Rome par son supérieur pour prendre des leçons auprès du Saint-Office catholique romain. L’inquisition espagnole, en effet, pourtant zélée comme chacun sait, accusait un peu de retard par rapport à Rome dans la chasse des hérétiques et leur punition. C’est avec beaucoup de sérieux et de conviction que notre jeune moine s’instruit. Pendant ces deux années d’étude, les tortures, la manière d’obtenir des rétractations et des repentirs, et les différentes façons de brûler les impies, n’ont plus de secrets pour lui. C’est ainsi qu’il aide les inquisiteurs romains et les confortateurs, laïcs qui les assistent, à sauver l’âme des hérétiques en livrant leur corps à la flamme du bûcher pour les purifier. L’ombre de Torquemada règne sur eux et ils sont persuadés de venir en aide au supplicié en l’arrachant à l’hérésie et donc à la damnation. Les autodafés leur apportent à tous le réconfort du devoir accompli. Et pourtant le jour où le narrateur voit brûler Giordano Bruno, il sait qu’il ne pourra plus reprendre la vie monastique à Avila au sein de l’Inquisition espagnole. Je ne vous en dis pas plus !

« Certes nous inquisiteurs espagnols voués à servir le Saint-Office connaissons bien des choses. Mais j’ai été surpris de constater à quel point la surveillance romaine est bien plus développée et efficace que chez nous. (…) Alors s’est déroulé lentement devant moi le jeu d’une prévoyance magnifique orchestrée par la Sainte Inquisition en vue de surveiller la vie privée des gens, ici, à Rome mais aussi sur l’ensemble du territoire italien, partout où s’active l’Inquisition. J’ai été empli d’admiration et de zèle en me rendant compte à quel point tout ce que l’on accomplit chez nous en Espagne sur ce plan-là est imparfait et primitif. La plupart du temps nous nous contentons de brûler tous ceux qui sont soupçonnés d’hérésie et ne peuvent attester de leur innocence. Ici à Rome, on est plus exigeant : on veut débusquer chez chacun le moindre manquement à servir les buts de l’inquisition. Les indolents sont tout aussi dangereux que les hérétiques actifs et véritables... »

Le roman est donc une dénonciation des horribles pratiques de l’Inquisition. La violence est soulignée par la sérénité et la bonne conscience des inquisiteurs et de leurs complices. Mais bien vite, sous la description de ce fanatisme religieux, apparaît au second degré, la dénonciation des totalitarismes vécus par Sandor Marai, du nazisme au stalinisme.

L’habileté de Sandor Marai - qui fait la force du roman-  est nous faire découvrir l’Inquisition non par l’intermédiaire d’un détracteur mais au contraire par quelqu’un qui y adhère entièrement ! D’où une ironie féroce  qui frappe le lecteur de plein fouet quand le narrateur s’extasie sur les mérites supérieurs de l’Inquisition romaine par rapport à l’espagnole et sur la perfection du système mis en place pour encourager la délation, les souffrances des prisonniers, et l’interdiction de penser par soi-même!
 Ce roman passionnant se termine par une très belle déclaration sur la liberté dans laquelle Sandor Marai exprime sa foi en l’homme et dans le triomphe de la pensée.

« Il est à craindre que tant qu’un tel homme* existe quelque part, il soit vain de faire frire les autres sur le gril, de les cuire dans l’huile et de les casser sur la roue. J’avais appris que la Sainte Cause était plus important que tout, qu’il fallait un Seul Berger et un Seul Troupeau. Mais c’était avant d’être frappé comme par la foudre par un doute effrayant : un homme peut compter plus qu’un troupeau »


* Giordano Bruno a existé. La photographie de la première de couverture aux éditions Albin Michel représente sa statue érigée sur le campo del Fiori à l’endroit où il a été brûlée comme hérétique en 1600.
Giordano Bruno est un ancien dominicain, humaniste et philosophe, proche des idées  de Copernic, il publie des écrits jugés blasphématoires. Torturé, gardé prisonnier pendant huit ans ,  il n’accepte pas de de rétracter et meurt sur le bûcher .



Sándor Márai, né Sándor Grosschmid de Mára (Márai Grosschmid Sándor Károly Henrik en hongrois) le 11 avril 1900 à Kassa, qui fait alors partie du Royaume de Hongrie dans l'Empire austro-hongrois (aujourd'hui Košice, en Slovaquie), et mort le 22 février 1989 à San Diego, aux États-Unis, est un écrivain et journaliste hongrois (Wikipedia)

dimanche 8 avril 2018

Julos Beaucarne : En voyant naître cet enfant ...

Paulo, fils de Pablo Picasso

Chaque fois que je lis ou que j'écoute cette chanson de Julos Beaucarne, poète et chanteur belge, je me sens touchée par ces paroles qui célèbrent la naissance comme un miracle :  l'enfant comme une somme de tous ceux qui ont existé avant lui, souvenir de visages aimés;  l'enfant comme une continuité de l'espèce humaine, échappé à tant de dangers;   l'enfant, enfin, qui nous prolonge, comme une promesse de bonheur dans un monde qui va mal.


Pieter Breughel l'Ancien (1525-1569) : Noce paysanne

En voyant naître cet enfant
Je voyais du fin fond des siècles
Tous mes ancêtres, tous mes parents
Dans ce petit corps renaître
Je revoyais leurs maisons
Aujourd'hui en démolition
Et les buildings qui essayaient
De nous les faire oublier

Par quel hasard ce bel enfant
A survécu à toutes guerres
Guerre de Troie, guerre de Cent Ans
Échauffourées meurtrières ?
Par quelle fissure du temps
S'est-il glissé jusque maintenant
Défiant la mort, le fer, le vent
Hérode et les tueurs d'enfants ?

Que le vent souffle d'Afrique
Qu'il souffle du Nouveau Monde
Ce sont fusils qui crépitent
Bazookas pan-pan qui grondent
Échapperons-nous, dites-moi,
À cette grande razzia ?
Mon enfant, viens dans mes bras
Fais dodo tout contre moi

Toi qui cherches, toi qui doutes
La vérité s'étiole
À la croisée des sept routes
Y a le nouveau dieu pétrole
On sacrifie sur l'autel
Des petits enfants à la pelle
Le monde fait hara-kiri
Babel fait florès aujourd'hui

Le trac du monde se détraque
Je ne sais quel parti prendre
Face à la Grande Mitraque
D'un monde malade à pierre fendre
J'essaie vite, en cachette
Avant qu'on ne coupe l'herbette,
De bâtir une maison
Sur le sable de mes chansons


Berthe Morisot : mère et enfant

Poème publié dans le cadre du mois belge organisé par Anne et Mina



lundi 2 avril 2018

Bilan du mois de Mars 2018

Gilles Sacksick, peintre français contemporain
Dans le cadre de ce mois de La littérature des pays de l'Europe de l'Est organisée par Eva, Patrice et Goran, j'ai découvert (ou relu) des écrivains passionnants, véritables pépites d'or, et exploré la littérature de pays européens que je n'avais jamais eu l'occasion de lire !  Merci aux  trois organisateurs pour cet échange fructueux ! J'ai engrangé une provision de titres d'auteurs que je ne connais pas en allant lire les blogs des participants et je suis loin d'avoir terminé les livres dont j'avais fait provision pour ce challenge !


 Les écrivains Russes 



Ivan Tourgueniev  : Pères et fils  Ici










Nicolas Leskov :  Lady Mabecth au village











Nicolas Leskov : Le vagabond ensorcelé







Les écrivains Tchèques



Ota-Pavel : Comment j'ai rencontré les poissons












Leo Perutz : le judas de Léonard






samedi 31 mars 2018

Andrzej Stasiuk : Pourquoi je suis devenu écrivain


 Dans Pourquoi je suis devenu écrivain, paru en 1998, l’écrivain polonais Andrzej Stasiuk, raconte les souvenirs des années 1970 et 1980 dans son pays sous le régime communiste. C'est le premier volet d’un récit autobiographique dont le second porte le titre de Un vague sentiment de perte. 
C’est sur la suggestion de Sibylline et pour participer à l'écrivain du mois de Lecture et écriture  (ici) et dans le cadre du mois sur la Littérature de l’Europe de l’Est,  que je l'ai lu.

J’ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce livre. Cela tient au style déconcertant, petites phrases courtes, sèches, froides, sans aucun développement, aucune analyse des faits, encore moins des sentiments. Et parfois l’impression que l’auteur saute du coq à l’âne, comme si une phrase chassait l’autre, on est averti de ses goûts musicaux, c’est un amoureux du rock,  point à la ligne, sans plus d’explication, on passe à autre chose !

Bon ! J’ai commencé par m’ennuyer ferme d’autant plus que ces jeunes gens ( c’est à dire Stasiuk et ses amis car il refuse de dire « je » et emploie le « nous » ) s’ennuient eux-mêmes, désœuvrés, sans but, refusant la contrainte et l’autorité :

« Nous passions notre temps à glander, à faire des allers-retours entre les deux places de la Vieille-Ville. »

A mes yeux, rien ne se passe, rien d’intéressant n’arrive. A part des cuites mémorables, des bagarres, des moments de travail qui alternent avec des moments de pénurie que l’amitié et la solidarité aident à faire passer. Il décrit d’ailleurs ses amis et en dresse des portraits  pittoresques. Ils sont tous aussi fous que lui !

Pourtant, je continue ma lecture car ce style m’interpelle et finit par m’intéresser; je me demande ce qu'il me rappelle. Je penche pour certains écrivains américains quand Stasiuk répond lui-même à ma question en me disant que s’il a « pompé » sur quelqu’un c’est plutôt sur Céline.
Mais à force « d’oublier » d’aller à l’école, « d’oublier » d’aller travailler, il va lui arriver de gros problèmes car « oublier » de rentrer de permission quand on est dans l’armée, cela s’appelle déserter !  Voilà donc notre futur écrivain en prison et pas n’importe laquelle, une prison militaire dont l’organisation est calquée sur un camp de concentration. Et quand il parle du régime carcéral militaire et des gradés, c’est bien l'ironie et la hargne céliniennes que l’on retrouve :

«  Et me voilà de nouveau devant des pantins qui s’agitaient comme dans un cirque (..) Garde-à-vous ! A terre ! Rampez ! Debout ! Exécution ! … Bref la vieille rengaine, car, dans ce domaine, il est quasi impossible d’être inventif. J’ai réussi tant bien que mal à rejoindre le reste des condamnés, regroupés dans une immense salle pleine à craquer. Puis, de but en blanc, j’ai demandé à quoi on jouait. »

 A ce stade du récit, je commence à être de plus en plus sensible à l’humour noir qui se dégage des ces pages, à la violence de cette société privée de liberté - n'oublions pas que nous sommes dans la Pologne communiste  -. Je comprends que le seul moyen de résister, c’est la passivité, c’est le refus de coopérer, de rentrer dans les rangs.
Mais ce qui me frappe le plus, c’est l’utilisation de la  litote que Stasiuk porte au niveau de l’art !  De même que Voltaire  désigne la prison comme  des « appartements d’une extrême fraîcheur », Stasiuk quand il est jeté au cachot pour rébellion écrit  :
« Ma cellule était très chic. Je pouvais faire un pas dans le sens de la longueur, et un demi-pas dans le sens de la largeur. Dans un coin il y avait des toilettes. Et un châlit, bien sûr. En planches. Pour la nuit j’avais une couverture.
Heureusement, je n’avais pas de corvée à faire. Je restais donc assis. Ou bien debout. Je faisais quelques pas sur place. Je m’allongeais. Trois fois par jour j’avais droit à une gamelle. Des cailloux et des vers. »

C’est là que les petites phrases sèches, réduites, prennent du poids, et parce qu’elles paraissent anodines, elles soulignent la dureté de l’incarcération et la déshumanisation. En fait, plus il subit de violence, plus son style devient minimaliste : « après un petit passage à tabac » !

La seconde partie du roman correspond à la libération de Stasiuk. Nous sommes en 1980, le premier syndicat libre Solidarnosc a vu le jour. L’écrivain entre dans la clandestinité et il travaille de temps en temps mais toujours en dilettante;  il va pourtant peu à peu se mettre à écrire des livres, à la demande de son ami qui organise la résistance, pour témoigner de la prison, écrits qui ne seront pas publiés.
Sa vie est toujours aussi bohème, il refuse toujours autant les contraintes, il est toujours aussi épris de liberté, aussi fou comme lorsqu’il grimpe sur la flèche d’une grue pour y accrocher un drapeau et l’humour noir est toujours présent. Il parle de ses lectures, des écrivains qu’il aime ou non; Genêt le déçoit, il adore Beckett.  Ce qui me m’étonne le plus dans cette partie, ce sont les réflexions du narrateur sur  la société polonaise libérée du communisme. Le livre est publié en effet en 1998 et reflète son désenchantement :

« Aujourd’hui, nous avons enfin la liberté, mais les gens sont asservis comme jamais auparavant. Dans le passé alors que nous étions totalement privés de liberté, chacun faisait ce que bon lui semblait. En tout cas les personnes de mon entourage « .

Cela peut paraître un paradoxe mais c’est ce que ressent l’écrivain. Oui, l’on sent la nostalgie d’une époque révolue « Quelle merveille ces années 1980 ! » par contraste avec une société devenue conformiste, où la pression sociale est très forte, ou chacun doit entrer dans le rang, tant au point de vue du travail, que des exigences vestimentaires, de ce que l’on attend de l’individu. Le temps aussi a changé, il est pressé, alors que jadis il se fragmentait et s’étirait lentement.

Finalement et même si la lecture n’a pas été aisée, je suis heureuse d’être allée jusqu’au bout de ce livre et d’en avoir compris l’intérêt. Ce qu’il faut bien en avoir en tête en le commençant c’est qu’il ne sera pas conforme à ce que l’on attend habituellement d’une autobiographie ou d’un récit de souvenirs. L’auteur lui même nous en avertit :

« J’ai vécu une histoire d’amour. Du sérieux. Je ne vais pas en parler ici, ceci n’est pas un journal intime mais une chronique d’un certain état d’esprit ».


 L’écrivain, poète et journaliste polonais Andrzej Stasiuk est né en 1960 à Varsovie. En 1992, ses débuts littéraires sont très remarqués. Bientôt, il fuit la célébrité et la capitale pour s’établir dans un petit village aux confins du sud-est de la Pologne. Considéré comme le chef de file de la littérature polonaise contemporaine, il collabore à diverses revues littéraires et culturelles. Outre des recueils de poésie et quelques pièces de théâtre – dont une seule a été traduite en français (Les barbares sont arrivés, Éditions théâtrales avec France Culture, 2008), il est l’auteur d’une quinzaine de livres dont quatorze sont traduits en français et en d’autres langues. L’œuvre de Stasiuk a souvent été récompensée, notamment en Pologne mais aussi en Allemagne. En France, la tonalité inimitable de sa prose ainsi que son amour profond pour l’arrière-cour de l’Europe a suscité beaucoup d’enthousiasme.



jeudi 29 mars 2018

Andrus Kivirähk : L’homme qui savait la langue des serpents



L’homme qui savait la langue de serpents de l’écrivain estonien Andrus Kivirähk paru aux éditions Le Tripode,  est un livre assez étonnant pour ne pas dire délirant au niveau de l’imagination. Il a d’ailleurs reçu le prix de l’imaginaire 2014.
La quatrième de couverture nous annonce que le roman paru en 2007 nous ramène à l’époque médiévale en Estonie. Et c’est vrai, mais dans un moyen-âge totalement réinventé et fantastique.



Au Moyen-âge, en effet, les chevaliers-templiers d’origine germanique envahissent l’Estonie. C’est le début de la domination des nobles d’origine allemande qui soumettent les estoniens et les asservissent. Les moines qui les accompagnent, en convertissant le peuple au christianisme, finissent de leur ôter toute liberté. Mais c’est aussi d’un passé plus proche dont il est question.  Au cours du vingtième siècle, en effet, l’Estonie a subi des invasions successives qui ont placé le pays, tour à tour, sous le joug  des allemands et des russes, des nazis et des soviétiques. La langue des Estoniens, d’origine finno-ougrienne, est proche du finnois et du hongrois, les langues sames en font partie. Si elle est redevenue langue officielle depuis l’indépendance définitive de la République estonienne en 1991, 69% seulement de la population la parle, alors que 30% parle le russe.

Consciente que ce conte fantastique était une transposition de la réalité je me suis efforcée d’aller chercher ces renseignements sur l’histoire de L’Estonie pour mieux comprendre le roman avant de me rendre compte qu’une postface en expliquait toutes les subtilités et dévoilait son aspect pamphlétaire !

Partir d’un passé médiéval…


Le narrateur, Lemeet, qui est aussi le personnage principal du roman est le dernier des habitants de la forêt à parler la langue des serpents. C’est son oncle qui la lui a apprise quand il était encore un jeune enfant. Cette langue très difficile lui permet de se faire comprendre non seulement des serpents mais aussi des animaux qui viennent lui offrir leur vie quand il a besoin de se nourrir. Mais depuis que les « hommes de fer », ont envahi le pays, les habitants quittent la forêt pour adopter la vie des paysans et vivre au village. Les Estoniens, « peuple de la forêt » renient ainsi leurs origines et oublient leur langue. Le jeune garçon assiste au départ de son meilleur ami Pärtel, puis de tous ses voisins. Bientôt il reste seul dans la forêt avec sa mère, sa soeur ainsi qu’un autre couple fanatisé qui vénère les génies de la forêt. Ce sont les parents de Hiie, l’amie d’enfance de Leemet. Quant à Ulgas, le Sage, un vieillard à moitié fou, il décide de faire un sacrifice humain pour apaiser les divinités sylvestres. C’est ainsi que Leemett sauvera la jeune Hiie, proie toute désignée du Sage, et qu’ils découvriront tous les deux leur amour. Mais Leemett ne connaîtra jamais le bonheur. Il est le dernier d’un monde qui s’effondre autour de lui et qui est voué à disparaître.

En passant par le conte philosophique...



 Dans ce roman, Andrus Kivirähk met ainsi face à face les deux religions - païenne et chrétienne- pour en démontrer le fanatisme et l’obscurantisme communs, et, des deux côtés, les superstitions et les interdits qui maintiennent les peuples dans la crainte et l’obéissance. Il confronte aussi deux idéaux, débat philosophique toujours réitéré, en opposant le village qui symbolise le progrès, avec l’utilisation des outils, et la forêt qui introduit le mythe du bon sauvage en symbiose avec la nature. Mais Andrus Kivirähk se garde bien de prendre partie en idéalisant l’un ou l’autre, les hommes qui vivent au village ne sont pas meilleurs que ceux qui sont dans la forêt, et réciproquement, et la modernité à un triste corollaire qui est l’asservissement, la fin de la liberté.
L’écrivain fait le constat d’un échec mais ce n’est pas le passé qu’il déplore ou l’avènement de la modernité, c’est le sort de l’Estonie..
Le ton est souvent nostalgique, il devient de plus en plus pessimiste et même violent.  A travers les personnages qu’il imagine nous partageons la souffrance d’un peuple qui n’a jamais pu, pendant des siècles, disposé de lui-même et être libre.

Et rencontrer la fantaisie...
 
William Stout
  
Nostalgie, tristesse oui ! Mais pas seulement ! Car le roman, comme je l’annonçais au début de ce billet, faite preuve d’une fantaisie débridée que sous-tend une ironie constante. Les délires imaginatifs de l’auteur, pleins d’humour, lui permettent d’épingler  tout ce qu’il n’aime pas. Et il ne recule devant rien quand il laisse parler son imagination !
En effet, si l’enfance et l’adolescence de Leemett, son copain Pärtel, la petite Hiie, pourraient être, à priori, celles de tout enfant « normal » dans un  roman initiatique comme un autre, on voit rapidement qu’il se passe des choses étonnantes dans la forêt des anciens estoniens. Ainsi la soeur de Leemett tombe amoureuse d’un ours comme dans les contes traditionnels ! A cette époque cela arrivait souvent aux jeunes filles ! Comment résister à un bon Nounours plein de poils qui vous fait les yeux doux ! Et d’ailleurs, qui épouser d’autres quand tous les hommes s’en vont au village ? Et que dire de l'élevage de louves ? Il paraît que leur lait est très nourrissant. Si, si ! Et des deux anthropopithèques échappés au passé, qui deviennent les amis de Leemett et font collection de poux ? L’une de ces innocentes bestioles, par croisement, atteint la taille d’un chevreuil et il faut le promener en laisse car il a besoin d’activité. Je vous l’ai dit, c’est fou et même si tout ou presque est métaphorique, l’on ne peut que s’en amuser!

Denis Dubois
Et puis, il y a la langue des serpents qui renvoie à un temps bien plus éloigné, au temps de Il était une fois… merveilleux, fantastique, où les hommes et les animaux se comprenaient et où les serpents, en particulier, étaient nos amis. Enfin, il y a aussi le mystère de cette antique salamandre endormie au fond d’une cachette que le jeune enfant espère longtemps pouvoir réveiller pour aider les estoniens à chasser leurs ennemis. Mais l’on comprend bien qu’il ne peut en être ainsi puisque les miracles et les enchantements n’existent pas dans la réalité.

Ainsi le roman peut être lu à plusieurs niveaux, roman d’aventure, roman historique,  roman d’amour, conte fantastique ou philosophique. L'écrivain propose un regard sur le passé et sur le présent de son pays dans un style qui est tour à tour satirique et humoristique, triste ou burlesque, descriptif et poétique. Une belle découverte pour mon premier roman estonien !


Andrus Kivirähk est un écrivain estonien né en 1970 à Tallin. Véritable phénomène littéraire dans son pays, romancier et essayiste, il est l'auteur d'une oeuvre multiple dont la critique et un très large public raffolent. Andrus Kivirähk écrit des romans, des nouvelles, des pièces de théâtre, des contes, des essais et des scénarios de films d'animation pour enfants. 
Traducteur :  Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, agrégé d'histoire, Jean-Pierre Minaudier enseigne en classes préparatoires littéraires, à l'Inalco et à la Maison Basque de Paris. Il est l'auteur d'une histoire de la Colombie, d'une histoire de l'Estonie et de plusieurs traductions littéraires. 
Illustrateur première de couverture  : Denis Dubois fait des collages à la manière des surréalistes, à partir de gravures anciennes. L'oeuvre reproduite en couverture a été choisie en hommage aux animaux fabuleux qui surgissent dans L'Homme qui savait la langue des serpents.