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samedi 26 décembre 2020

Honoré de Balzac : La vieille fille

Ecrit en 1836, édité en 1837, l’action de La Vieille Fille commence en 1816. Ce court roman s’insère dans Etudes de meurs, Scènes de la vie de Province, avant d’être réuni dans un même ensemble avec Le cabinet des Antiques.

Nous sommes à Alençon, en 1816, à l’époque de la seconde Restauration, Louis XVIII est au pouvoir. il a accordé une constitution dès la première restauration en 1814, ce qui mécontente les Ultra royalistes.
 En Province s’opposent deux hommes, vieillards sensiblement du même âge (57/58ans) qui présentent deux classes sociales, deux époques, deux partis politiques, deux personnalités totalement  opposés !

Le chevalier de Valois

 Le chevalier de Valois incarne la noblesse traditionnelle d’avant la révolution. Raffiné, il est toujours en phase avec le XVIII siècle, jusque dans sa manière de parler, de se vêtir, de penser. Intelligent, il a beaucoup de finesse pour comprendre la psychologie de ceux qu’il fréquente, nobles, bourgeois ou grisettes. Il plaît à tous, est charmant, spirituel, avenant. Complètement désargenté, il cache sa misère et se fait inviter dans le meilleur monde, jouant le rôle de pique-assiette. Libertin, il cache bien son jeu en paraissant avoir une vie sage et mesurée. Bien qu'il soit rusé, retors et habile à manipuler les gens, il est cependant moins pragmatique que son rival du Bousquier.

Du Bousquier

Du Bousquier est le représentant de la classe bourgeoise. Hommes d’affaires sous le Directoire, il s’est ruiné avec l’Empire et se réfugie en province pour faire fortune. Vulgaire, sans élégance, brutal, incapable de sentiments distingués, odieux, il représente les idées révolutionnaires et épouse le parti libéral qu’exècre Balzac. Mais en bon hypocrite, il ne lutte pas pour des idéaux mais pour lui-même, la seule personne qui l’intéresse. Il se révèle d’ailleurs un homme de progrès, très compétent, capable de transformer l’économie d’une ville, d’y apporter la modernité, ce que lui reproche Balzac.

Ces deux personnages opposés ne sont épargnés, ni l’un, ni l’autre par Balzac qui exerce son talent caricatural sur eux et les malmène avec brio ! Cependant, on voit très bien de quel côté penche l’écrivain qui, parfois, prend la parole directement et rédige une diatribe contre la royauté constitutionnelle, tout en se  plaçant du côté des ultras royalistes. 

Ainsi  du Bousquier représente : « …. cette fatale opinion qui, sans être vraiment libérale, ni résolument royaliste, enfanta les 221* au jour ou la lutte se précisa entre le plus auguste, le plus grand, le seul vrai pouvoir, la Royauté, et le plus faux, le plus changeant, le plus oppresseur pouvoir, le pouvoir dit parlementaire qu’exercent des assemblées électives. »

Une amie blogueuse m’a demandé en quoi Balzac était un réactionnaire. Il faut lire ce livre pour le comprendre ! 
"Aucun homme, en France, (du Bousquier) ne jeta sur le nouveau trône élevé en août 1830 un regard plus enivré de joyeuse vengeance. Pour lui, l’avènement de la branche cadette était le triomphe de la Révolution. Pour lui, le triomphe du drapeau tricolore était la résurrection de la Montagne, qui, cette fois, allait abattre les gentilshommes par des procédés plus sûrs que celui de la guillotine, en ce que son action serait moins violente. La Pairie sans hérédité, la Garde nationale qui met sur le même lit de camp l’épicier du coin et le marquis, l’abolition des majorats réclamée par un bourgeois-avocat, l’Eglise catholique privée de sa suprématie, toutes les inventions législatives d’août 1830 furent pour du Bousquier la plus savante application des principes de 1793." 

 
C’est pourquoi, malgré la caricature, malgré ses défauts, le noble chevalier du Valois est supérieur en tout à l’horrible Bousquier!

Non contents d’être ennemis en politique, Bousquier et du Valois vont aussi se retrouver rivaux dans leurs ambitions matrimoniales. Tous deux briguent la main de la Vieille fille, Rose-Marie-Victoire Cormon, non pour ses beaux yeux mais pour sa fortune.

A côté d’eux un jeune homme Anathase de Granson, naïf, amoureux sincère de cette femme, même s’il ne dédaigne pas la fortune, est malheureusement éconduit. Un autre personnage a aussi son importance, c'est la grisette, Suzanne.

Rose Marie Victoire Cormon

Rose-Marie-Victoire Cormon est une riche héritière qui vit dans la plus belle demeure d’Alençon avec son oncle, le grand-vicaire, Cormon. Elle représente la tradition royaliste solidement ancrée dans le terreau de l’Eglise catholique. Bourgeoise, étroite d’esprit, bigote, prude, elle est aussi inintelligente et ignore tout de la sexualité, ce qui l’entraîne à dire des inepties qui font la joie de son entourage. Elle est toujours « vieille fille » à force de refuser des partis tant sa méfiance est grande envers les adorateurs de sa fortune. Mais à la quarantaine, la question du mariage l’agite tant qu’elle devient une obsession. Toute la ville se moque d’elle. La caricature de son physique, de son ignorance, de ses ridicules est d’une grande cruauté. Mais l’on sait le mépris de Balzac pour les femmes célibataires qui se sont montrés trop difficiles pour trouver un mari; Il leur reproche de ne pas avoir rempli leurs obligations d’épouse, servir leur mari, et surtout leur devoir de mère, servir la société! La seule qualité que  reconnaît Balzac à Mademoiselle Cormon, c'est de vouloir des enfants! Mais il la punira, à la fin du roman, par là où elle a pêché, le refus du mariage ! Pas de pitié pour ces êtres inutiles !
Par contre et étonnamment, Balzac est assez anti-clérical et se montre ironique envers la dévotion portée à l’extrême, autrement dit la bigoterie, ce que j'avais noté dans Le Lys de la vallée. Dans ce roman, l’écrivain condamne le directeur de conscience de madame de Mortsauf qui en lui prêchant la vertu, l’a empêchée de vivre comme il critique cette dernière de ne pas avoir su choisir l’amour. Dans la Vieille fille, il est assez virulent et cela,  à plusieurs reprises :
« La dévotion cause une ophtalmie morale. En un mot les dévotes sont stupides sur beaucoup de points. (…) quoique le voltairien monsieur de Valois prétendît qu’il est extrêmement difficile de décider si ce sont les personnes stupides qui deviennent dévotes, ou si la dévotion a pour effet de rendre stupides les filles d’esprit. »

La vieille fille est donc bien un roman de moeurs où apparaît la vie étriquée, monotone, trop bien réglée de la Province, où sont dépeintes les différentes couches de la société, du peuple aux plus hautes classes. C’est aussi un roman politique qui décrit l’agitation de cette première partie du XIX siècle, de 1816 à 1830, et son histoire mouvementée. De plus, dans ce roman, Balzac porte l’art du portrait caricatural à un haut niveau.

221*  En mars 1830, le roi  menace les députés  qui s'opposent au gouvernement réactionnaire qu'il met en place avec à sa tête Polignac; 221 d'entre eux lui présente une adresse rappelant au gouvernement les droits de la Chambre. Le roi s'empresse de la dissoudre. Le 27 juillet 1830, il dissout une assemblée nouvellement élue malgré sa volonté. Il rédige les ordonnances de Saint Cloud qui rétablissent la censure, interdisent la  liberté de la presse, modifient le cens pour éliminer la bourgeoisie. Le 27, 28, 29 ont lieu les Trois Glorieuses, révolution qui chasse Charles X du trône; Il abdique le 3 août 1830. Le duc d'Orléans monte sur le trône.

 

 J'ai trouvé un site qui explique dans quels romans de La Comédie Humaine l'on retrouve les personnages de La vieille fille ICI.

Du Bousquier : 57 ans en 1816, est le rival heureux de Valois. Il monte des entreprises sous la Révolution et mène grande vie jusqu'au Directoire, dont l'une en association avec un Minoret (Entre savants). Ruiné en 1800 (La Bourse) il se retire à Alençon, sa ville natale, où il devient le chef du parti libéral. Son mariage avec Mlle Cormon en fait, vers 1838, le maître d'Alençon (Béatrix).
–  Rose-Marie-Victoire Cormon : elle atteint la quarantaine en 1816. Vieille fille à son corps défendant, l'ironie du romancier la fait Présidente de la Société de Maternité. Son mariage, comme on sait, la laisse « fille », et vouée aux « nénuphars », selon le mot de Suzanne, qu'elle soit l'épouse de du Bousquier ou de son alter ego du Croisier (Le Cabinet des Antiques).
Suzanne : …. et ses vieillards, « personne assez hardie » pour disparaître d'Alençon « après y avoir introduit un violent élément d'intérêt » . Une beauté normande, grisette en province, lorette à Paris. Elle y fait carrière sous le nom de Mme du Valnoble, emprunté à la rue Val-Noble, où demeure Mlle Cormon (Illusions perdues, Un début dans la vie, Une fille d'Ève). Elle rêve, adolescente, au destin de Marie de Verneuil (Les Chouans). C'est elle qui procure à Esther les fatales perles noires (Splendeurs et misères des courtisanes). On apprend dans Béatrix son mariage, en 1838, avec le journaliste Théodore Gaillard. La tournée parisienne des Comédiens sans le savoir commence chez elle.
Chevalier de Valois : à Alençon. Il a 58 ans en 1816. En 1799, il était, dans l'Orne, le correspondant des Chouans (Les Chouans), et réapparaît à ce titre dans L'Envers de l'histoire contemporaine. « Adonis en retraite » il échoue in extremis auprès de Rose Cormon, et deviendra l'un des habitués du Cabinet des Antiques ; c'est dans ce roman qu'il mourra, en 1830, après avoir accompagné Charles X à Cherbourg, sur le chemin de  l'exil.
 


LC initiée par Maggie Ici avec : Rachel ICI
 

vendredi 25 décembre 2020

Joyeux Noël 2020

Cyanotype d'Aurélia Frey

 Je vous souhaite de bonnes fêtes de Noël ! Et pour le plaisir des yeux et de l'esprit, fleurs et poésie !

 Rien qui m'appartienne
Sinon la paix du coeur
Et la fraîcheur de l'air.


Haïku de Kobayashi Issa(1763-1827) 

 

Cyanotype d'Aurélia Frey

 Quand souffle le vent du nord -
Les feuilles mortes
Fraternisent au sud.

Haïku de Yosa Buson

                                                                                               (1716 - 1783)

Cyanotype d'Aurélia Frey

Sans savoir pourquoi
J'aime ce monde
Où nous venons pour mourir.

Haïku
Natsume Sôseki
1867-1907

Cyanotype d'Aurélia Frey

Feuille morte au vent
de temps en temps
le chat la retient de sa patte

Haïku de Kobayashi Issa
(1763-1827)

samedi 19 décembre 2020

Olivier Norek : Impact

 

J’ai lu tous les romans policiers d’Olivier Norek et j’ai apprécié cet écrivain comme peintre de notre société dans ce qu’elle a de noir et de plus actuel, les cités du 93, la Jungle de Calais …  mais je commence à rendre compte de ces lectures par le dernier paru Impact. Son thème, l'écologie,  me paraît le plus urgent à découvrir !

Au début, j’ai cru qu’il s’agissait d’une dystopie tant le monde qui s’ouvrait devant moi était inimaginable : le delta du Niger, route des oléoducs, au sol imbibé de pétrole, empoisonné par les métaux lourds, la pollution qui gagne l’air, génère des maladies, provoque des pluies acides, s’attaque à tout,  la végétation, la faune et les êtres humains. Des dizaines de décès par semaine, des villages entiers qui se vident, des charniers de corps humains susceptibles de  provoquer des pandémies… Le pétrole prend quinze ans de leur vie à chaque individu
« Ils sont un million et demi, et comme, c’est la seconde génération qui subit cette pollution, ce sont en tout quarante-cinq millions d’années qui leur ont été volés.
L’image d’un vampire géant, insatiable, courbé au-dessus de ce point d’Afrique, aspirant d’un seul coup quarante-cinq millions d’années en une seule et même population alimenta l’écoeurement de Solal. »

Pirogues abandonnées, englouties dans la boue du pétrole

Et bien, non, ce n’est pas une dystopie, c’est ce qui se passe actuellement dans le monde. Voir Ici Voyage au coeur des marées noires en pays Ogoni. Le livre d'Olivier Norek est un immense cri d’alarme qui nous oblige à prendre conscience; certes, nous le savons, la planète est en danger, mais c’est une chose de le savoir, c’est une autre d’assister à la catastrophe de visu. Ce que ce roman nous oblige à faire.

Olivier Norek construit son roman sur des faits qui non seulement sont irréfutables mais sont chaque fois corroborés par des articles de journaux ou des études auxquels il nous renvoie à la fin du livre, preuve de la véracité et de l’actualité de ses dires. Nous y retrouvons aussi les déclarations des grands capitalistes responsables de cette mort programmée : le PDG de Total d’un cynisme écoeurant, les banques françaises qui réinvestissent massivement dans l’énergie fossile... Est dénoncée aussi la pusillanimité des politiques devant ceux qui détiennent réellement le pouvoir.
Mais n’allez pas croire que les capitalistes qui s’enrichissent au dépens de la survie de l’humanité ne sont pas conscients de ce qu’ils font :

Toutes les terres vierges sont en passe d’être achetées. Dans le Colorado, des centaines de tunnels souterrains accueillent des appartements à quatre millions de dollar l’unité. Au Kansas, les architectes ont érigé un immeuble de 15 étages dans un ancien silo à missiles. Les logements à trois millions l’unité sont partis en moins d’un mois. A Las Vegas pour dix-huit millions de dollars, vous pouvez vous offrir un bunker à huit mètres de profondeur avec piscine et forêt d’arbres. De même en Nouvelle-Zélande.
Le New York Times titre : le survivalisme, un business florissant pour les ultra-riches.


C’est pourquoi le personnage principal du roman, Virgil Solal, qui n’a plus rien à perdre à la mort de son bébé victime de la pollution, va imaginer un plan machiavélique pour attirer attention de la population sur les responsables de la  destruction de la planète ou plutôt - comme il est dit -  de la disparition de la race humaine, car notre bonne vieille planète continuera à rouler dans l’espace sans nous. C’est là qu’interviennent le capitaine Nathan Modis et Diane Meyer, psychologue et  profileuse, qui cherchent à empêcher Solal d'exercer sa vengeance médiatisée sur les coupables et de commettre des meurtres en direct. Il s’agit, bien sûr, d’un roman policier où le lecteur comme les policiers sont amenés à considérer Solal comme un assassin un peu particulier, dont on comprend les revendications sans toutefois être d'accord avec les méthodes.

Inutile de vous dire que c’est l’aspect écologiste qui m’a le plus intéressée, plus que l’histoire policière. Bien sûr, on peut trouver ce roman démonstratif. Il l’est et ne s’en cache pas ! Néanmoins, il est assez fort pour nous ouvrir les yeux et nous faire prendre conscience  du système dans lequel nous vivons et de l’immoralité totale des capitalistes qui dominent le monde.  

 "Nous survivons dans un monde de financiers où les 1% les plus riches détiennent deux fois plus que le reste de l'humanité."  Et ils décuplent leur fortune au détriment de la planète.

Si Total et les autres investissent  timidement dans les énergies renouvelables, c'est pour se tenir prêts quand il n'y aura plus de pétrole à exploiter. En attendant, ils veulent utiliser les énergies fossiles jusqu'à la fin tant qu'elles leur rapporteront de l'argent.

 Dans trente ans, entre la pollution, le manque d'eau potable, les famines et la montée des eaux, cinq milliards d'êtres humains seront en péril, et nous sommes huit milliards.


mardi 15 décembre 2020

Jane Austen et Honoré de Balzac : Orgueil et préjugé et La femme abandonnée

Portrait (controversé) de Jane Austen à l'âge de douze ans
 

A quelques années de distance en France et en Angleterre, Jane Austen et Honoré de Balzac présentent leur vision de la société provinciale. Balzac décrit la petite noblesse normande, ancré dans une ville, Bayeux, une noblesse imbue de ses privilèges, convaincue de sa supériorité mais bien éloignée de la brillante noblesse parisienne. Austen est le peintre de la "gentry" anglaise rurale, dont la rente reste attachée à ses propriétés terriennes. La France de Balzac est très ancré dans ce début du XIX avec la restauration de la monarchie alors que Jane Austen  tout en présentant les mutations de la société liées à son époque est encore tournée vers le XVIII siècle. L'histoire respective de leur pays, les écarts entre les époques, les modes de vie, les séparent. Pourtant les deux textes ont de grandes ressemblances quant aux moeurs de la société. En voilà deux extraits, l’un de La femme abandonnée de Balzac paru en 1832, l’autre de Orgueil et préjugés de Jane Austen paru en 1813 mais écrit en 1796.


 Balzac la femme abandonnée 1832

Le baron Gaston de Nueil, parisien, est obligé de s’exiler en Province, en Normandie, pour des raisons de santé.
Quand Gaston de Nueil apparut dans ce petit monde, où l’étiquette était parfaitement observée, où chaque chose de la vie s’harmonisait, où tout se trouvait mis à jour, où les valeurs nobiliaires et territoriales étaient cotées comme le sont les fonds de la Bourse à la dernière page des journaux, il avait été pesé d’avance dans les balances infaillibles de l’opinion bayeusaine. Déjà sa cousine madame de Sainte-Sevère avait dit le chiffre de sa fortune, celui de ses espérances, exhibé son arbre généalogique, vanté ses connaissances, sa politesse et sa modestie. Il reçut l’accueil auquel il devait strictement prétendre, fut accepté comme un bon gentilhomme, sans façon, parce qu’il n’avait que vingt trois ans; mais certaines jeunes personnes et quelques mères lui firent les yeux doux. Il possédait dix-huit mille livres de rente dans la vallée d’Auge, et son père devait tôt ou tard lui laisser le château de Manerville avec toutes ses dépendances. Quant à son instruction, sa valeur personnelle, à ses talents, il n‘en fut pas seulement question. Ses terres étaient bonnes et les fermages bien assurés; d’excellentes plantations y avaient été faites; les réparations et les impôts étaient à la charge des fermiers; les pommiers avaient trente-huit ans; enfin son père était en marché pour acheter deux cents arpents de bois contigus à son parc, qu’il voulait entourer de murs : aucune espérance ministérielle, aucune célébrité humaine ne pouvait lutter contre de tels avantages.

Orgueil et préjugé Jane Austen 1813

Les cinq filles de Mrs Bennett

C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie de se marier, et, si peu que l’on sache de son sentiment à cet égard, lorsqu’il arrive dans une nouvelle résidence, cette idée est si bien fixée dans l’esprit de ses voisins qu’ils le considèrent sur-le-champ comme la propriété légitime de l’une ou l’autre de leurs filles.
–Savez-vous, mon cher ami, dit un jour Mrs. Bennet à son mari, que Netherfield Park est enfin loué?
Mr. Bennet répondit qu’il l’ignorait.
–Eh bien, c’est chose faite. Je le tiens de Mrs. Long qui sort d’ici.
Mr. Bennet garda le silence.
–Vous n’avez donc pas envie de savoir qui s’y installe! s’écria sa femme impatientée.
–Vous brûlez de me le dire et je ne vois aucun inconvénient à l’apprendre.
Mrs. Bennet n’en demandait pas davantage.
–Eh bien, mon ami, à ce que dit Mrs. Long, le nouveau locataire de Netherfield serait un jeune homme très riche du nord de l’Angleterre. Il est venu lundi dernier en chaise de poste pour visiter la propriété et l’a trouvée tellement à son goût qu’il s’est immédiatement entendu avec Mr. Morris. Il doit s’y installer avant la Saint-Michel et plusieurs domestiques arrivent dès la fin de la semaine prochaine afin de mettre la maison en état.
–Comment s’appelle-t-il?
–Bingley.
–Marié ou célibataire?
–Oh! mon ami, célibataire! célibataire et très riche! Quatre ou cinq mille livres de rente! Quelle chance pour nos filles!
–Nos filles? En quoi cela les touche-t-il?
–Que vous êtes donc agaçant, mon ami! Je pense, vous le devinez bien, qu’il pourrait être un parti pour l’une d’elles.
–Est-ce dans cette intention qu’il vient s’installer ici?
–Dans cette intention! Quelle plaisanterie! Comment pouvez-vous parler ainsi?... Tout de même, il n’y aurait rien d’invraisemblable à ce qu’il s’éprenne de l’une d’elles. C’est pourquoi vous ferez bien d’aller lui rendre visite dès son arrivée.

Les similitudes entre les deux textes sont évidentes. Dans l’un comme dans l’autre, il est question d’un jeune homme riche qui s’installe en province. Il y est bien reçu mais avec une certaine indifférence par les hommes. Par contre et immédiatement, les mères et les jeunes filles sont très intéressées : « lui firent les yeux doux », et l’on s’aperçoit dans les deux cas que c’est sa richesse qui plaide en sa faveur. Personne ne connaît encore Bingley, personne ne se préoccupe de la valeur morale ou intellectuelle du baron de Nueil mais tous savent déjà le montant de ses rentes et le détail de ses propriétés. Dans La femme abandonnée, c’est la tante du jeune homme qui donne ces renseignements, dans Orgueil et préjugé, c’est une Mrs Long. Dans les deux, les commérages vont bon train et le but est le même :  le mariage de ces demoiselles avec un bon parti !

Oh! mon ami, célibataire! célibataire et très riche! Quatre ou cinq mille livres de rente! Quelle chance pour nos filles!

Certes, la sensibilité et le style de Jane Austen et Honoré de Balzac sont très éloignés l'un de l'autre mais ils sont tous les deux des observateurs perspicaces de leur société, des satiristes qui en relèvent les défauts et les faiblesses. Ils dénoncent dans les deux textes, l’avidité, le matérialisme, l’importance accordé à l’argent qui joue dans ces classes nobles ou bourgeoises un rôle prépondérant.

Balzac en tant que narrateur omniscient observe la société normande d'un point de vue extérieur. C'est en peintre et en moraliste qu'il dresse ce tableau. Dans cette nouvelle, il conserve un ton froid et détaché, presque scientifique, comme un ethnologue étudierait la vie humaine ou un entomologue celles des insectes. Il est loin, ici, de certaines descriptions qui, dans ses autres romans, lui ont valu le qualificatif de réalisme visionnaire.

Austen, en dédoublant le point de vue sous forme de dialogue entre le mari et son épouse nous donne une scène de comédie de moeurs dans laquelle s'exerce son ironie acérée, si efficace.  Après la célèbre introduction caractéristique de son style et de son esprit mordant : C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie de se marier ... Jane Austen introduit le dialogue entre Mr Bennet, esprit caustique et critique, qui feint l'indifférence et fait preuve d'une fausse naïveté : Nos filles ? En quoi cela les touche-t-il? Est-ce dans cette intention qu'il est venu ici ? et Mrs Bennet, trop sotte pour comprendre qu'il se moque d'elle, incarnant à elle seule l'étroitesse de sa classe sociale, la superficialité et le caractère intéressé. Que vous êtes donc agaçant, mon ami! Je pense, vous le devinez bien, qu’il pourrait être un parti pour l’une d’elles.

C’est aussi le statut de la femme qui y est montré. Le seul avenir des jeunes filles  est dans le mariage sinon elles restent à la charge de leur famille, parentes pauvres. Ce qui fut le cas de Jane. On connaît le mépris, voire la haine de Balzac, pour les vieilles filles ! D'autre part, si elles revendiquent leur choix et prennent un amant, elles sont mise au ban de la société comme la vicomtesse de Bauséant. D’où leur empressement à se marier et le souci constant des mères à qui incombe la chasse aux maris. Austen n’est pas romantique (même si c'est l'impression que cherchent à donner les adaptations hollywoodiennes de ses romans en affadissant ses propos ) et elle rejoint Balzac lorsqu’il faut montrer que, dans leur société, l’amour n’a aucune part dans le mariage et que seules les questions d’intérêt priment. Ainsi, dans La femme abandonnée, Gaston de Nueil est attiré par madame de Beauséant parce qu’elle a tout sacrifié à l’amour  : « Il n’avait point encore rencontré de femme dans ce monde froid où les calculs remplaçaient les sentiments, où la politesse n’était plus que des devoirs »

Dans les deux oeuvres on s'apercevra aussi que les héros de la nouvelle et du roman, tous les deux très jeunes, refusent cette vision mercantile du mariage. Gaston de Nueil est un romantique qui tombe amoureux d'une femme qu'il ne connaît pas encore parce que c'est une amoureuse, sincère, libre et indépendante bien que bafouée. Plus tard, il reniera ses sentiments de jeunesse pour obéir aux règles de la société mais sa mort prouvera qu'il avait tort.

Elizabeth Bennet a trop  d'orgueil et le sens de sa dignité pour tomber amoureuse d'un homme qui la méprise et pour vouloir l'épouser par intérêt. Comme Jane Austen, sa créatrice, elle préfère le célibat. C'est, pour elle, la raison qui prime sur les sentiments en véritable héroïne austenienne anti-romantique. Le dénouement du roman qui fait d'elle une femme amoureuse et comblée ne dément pas la vision lucide de Jane Austen sur la société, elle qui fait dire à Mrs Bennet : 

Mon enfant bien-aimée, s’écria-t-elle, je ne puis penser à autre chose. Dix mille livres de rentes, et plus encore très probablement. Cela vaut un titre.

Et finalement les deux textes se conclut de la même manière :

... aucune espérance ministérielle, aucune célébrité humaine ne pouvait lutter contre de tels avantages.


dimanche 13 décembre 2020

Montaigne : le dictionnaire amoureux

 

Devinez ce que mon mari va m’offrir pour Noël ? Du moins, je l’espère, et je laisse traîner des messages subliminaux, écrits ou oraux, un peu partout, sur « Le dictionnaire amoureux de Montaigne » dans le style : Dans La grande librairie, mercredi, il était question de
Je vous dirai si le message a été entendu … après les fêtes !

André Comte-Sponville, philosophe, est un amoureux inconditionnel de Montaigne et comme il le disait dans l’émission de François Busnuel sur France V :  « Lisez Montaigne en français contemporain, lisez-le dans la langue de la renaissance mais avec une orthographe moderne car le texte est vraiment complexe à lire en ancien français, mais lisez-le ! »  
Alors que les autres invités s’étonnaient que Montaigne soit peu étudié au lycée et que les jeunes le connaissent si peu, il expliquait que les professeurs de philo le considéraient comme un littéraire, donc ils laissaient ce soin aux professeurs de lettres qui, eux, le considéraient comme un philosophe et le renvoyaient  etc…
En réalité, il n’en est rien ! Ce ne sont pas les professeurs qui décident du programme mais le ministre au-dessus d’eux.
Or, pourquoi les lycéens de ma génération connaissaient tous - plus ou moins - mais connaissaient Montaigne ? Parce qu’à époque, on étudiait en extraits tous les grands écrivains de tous les siècles à partir du Moyen-âge jusqu’au XX siècle ! Seules les pièces de théâtre de Molière, Racine, Corneille étaient étudiées en oeuvres complètes de la 6 ème à la terminale !
Ah! on s’est assez moqué de nos incontournables manuels des Lagarde et Michard ! Pourtant cela donnait à tous les élèves de France la même culture, la même connaissance des écrivains français, libre ensuite aux plus curieux d’aller creuser au-delà et de lire les oeuvres complètes ! Et oui, certains allaient plus loin : quand on aime la lecture, ce n’est pas un pensum ! Mais comment le faire si l’on ignore même jusqu’au nom de l’écrivain !
Pour en revenir à André Comte-Sponville, il explique combien Montaigne est un philosophe remarquable car il a une ouverture et une liberté d’esprit hors du commun, il n’impose rien, ne prétend pas détenir la vérité, il cherche avec nous et ce qu’il cherche c’est comment vivre sa vie car celle-ci est difficile. Et il parvient à transmettre son amour de la vie. Un grand philosophe donc et un grand écrivain car il utilise une langue imagée, savoureuse, vivante, imaginative, absolument réjouissante.

Je m’arrêterai là, je n’ai pas encore lu le livre ! Mais je reviendrai vous en parler bientôt !

Il nous fait redécouvrir Montaigne, écrivain de génie, talentueux philosophe, humain d’exception que l’on aurait tant aimé connaître : « quel esprit plus libre, plus singulier, plus incarné ? Quelle écriture plus souple, plus inventive, plus savoureuse ? Quelle pensée plus ouverte, plus lucide, plus audacieuse ? Celui-là ne pense pas pour se rassurer, ni pour se donner raison. Ne vit pas pour faire une œuvre. Pour quoi ? Pour vivre, c’est plus difficile qu’il n’y paraît, et c’est pourquoi aussi il écrit et pense. Il ne croit guère à la philosophie, et n’en philosophe que mieux. Se méfie de "l’écrivaillerie" et lui échappe, à force d’authenticité, de spontanéité, de naturel. Ne prétend à aucune vérité, en tout cas à aucune certitude, et fait le livre le plus vrai du monde, le plus original et, par-là, le plus universel. Ne se fait guère d’illusions sur les humains, et n’en est que plus humaniste, Ni sur la sagesse, et n’en est que plus sage. Enfin il ne veut qu’essayer ses facultés (son titre, Essais, est à prendre au sens propre) et y réussit au-delà de toute attente. Qui dit mieux ? Et quel auteur, plus de quatre siècles après sa mort, qui demeure si vivant, si actuel, si nécessaire ? » (quatrième de couverture)
 



jeudi 10 décembre 2020

Hannelore Cayre : La daronne

 

Quel livre ! La daronne de Hannelore Cayre, est un policier hors norme !  Hors norme par le personnage, cette Patience Portefeux, fille d’un malfrat qui se retrouve dans la dèche pour élever ses deux filles à la mort de son mari. Hors norme par le style, cette langue acide, féroce, qui passe la société  française, la justice, les magistrats au vitriol et ceci avec un humour noir défiant toute concurrence.

Patience Hortefeux est interprète d’arabe pour le ministère de la justice et elle passe son temps à traduire les conversations des dealers ! Elle a besoin d’argent pour élever ses filles et d’encore plus encore pour maintenir sa mère dans un EPHAD qui est un gouffre budgétivore sans fond.
C’est donc sans beaucoup d’état d’âme qu’elle glisse du côté obscur de la force (et oui, j’ai des références cinématographiques grâce à mon petit-fils) et lorsque l’occasion se présente, elle récupère une grosse cargaison de shit et la cache dans sa cave! Mais il faut vendre la marchandise et la voilà devenue la daronne, pourvoyeuse pour les petits dealers des quartiers parisiens.

Immoral ce roman ? Ou plutôt amoral ? oui ! Bien sûr !  Mais pas plus que le ministère de la justice qui emploie Patience au noir, pas plus que ce juge qui condamne l'ouvrier arabe dont le travail n'est pas déclaré.
… j’étais payée au noir par le ministère qui m’employait et ne déclarait aucun impôt.
C’est d’ailleurs assez effrayant quand on y pense, que les traducteurs sur lesquels repose la sécurité nationale, ceux-là même qui traduisent en direct les complots fomentés par les islamistes de cave et de garage, soient des travailleurs clandestins sans sécu, ni retraite.

Et tout est ainsi au demeurant, dans ce pays où règne l’hypocrisie, tous ceux qui détiennent un pouvoir, ceux qui chassent les dealers, punissent les drogués, policiers, avocats, magistrats, mais dont les fils, sinon eux-mêmes, sont les premiers à se défoncer !
Tolérance zéro, réflexion zéro, voilà la politique en matière de stupéfiants pratiquée dans mon pays pourtant dirigé par des premiers de classe. Mais heureusement, on a le terroir… Etre cuit du matin au soir, ça au moins c’est autorisé. Tant pis pour les musulmans, ils n’ont qu’à picoler comme tout le monde s’ils ont envie de s’embellir de l’intérieur.

Hannelore Cayre se fait un plaisir de fustiger tout ce qui ne tourne pas rond et elle n’épargne rien, le racisme, la société de consommation qui fait de l’argent un but en soi, l’acharnement thérapeutique… Les scènes dans les maisons de retraite, les rapports avec sa mère démente, la souffrance de la vieillesse, la détresse prolongée de ces fins de vie, tout cela, sous l’humour noir et la causticité, laisse percer une profonde humanité.   

Un policier à découvrir absolument !
 

mardi 8 décembre 2020

Dane Mc Dowell : L' herbier de Marcel Proust


 L’Herbier de Marcel Proust est un beau livre de Diane Mc Dowell, paru aux Editions Flammarion, préfacé par  Jean-Jacques Aillagon et splendidement illustré par Djohr
Toute l’oeuvre de Proust foisonne de références aux herbes, aux fleurs. Son oeuvre est une recueil littéraire de plus de six cents végétaux mais chacun correspond, à travers la métaphore, a une vérité plus profonde qui évolue tout au cours de son oeuvre. Il fut initié à la botanique par le curé d’Illiers-Combay et portait toujours avec lui un compagnon de poche La Flore de Gaston Bonnier.

Djohr : la pervenche
 

 "Appuyant et développant l’idée maîtresse de Marcel Proust qui se comparaît à un botaniste moral, la flore évolue, s’assombrit, se fane et réapparaît sous une expression poétique inattendue pour accompagner en toute logique la conclusion du Temps retrouvé."

C’est pourquoi le livre est divisé en quatre grandes divisions pour suivre cette évolution : Les fleurs de l’innocence, Les fleurs de salon, Les fleurs du mal, l’herbier de la mémoire. Chacune rend compte du cheminement de Marcel Proust à travers la mémoire, de l’enfance ou l’innocence, à la vie mondaine des salons, jusqu’à l’enfermement du malade, époque des fleurs vénéneuses, de l’asthme, de la drogue, de la lutte contre la mort afin de terminer La Recherche. Enfin, viennent les fleurs de la mémoire qui transportent le voyageur dans le souvenir du passé.

Ces fleurs sont au centre d’une synesthésie où les sons, les couleurs se rejoignent, véritable symphonie musicale,  débauche de bleus, de mauves, de roses, ou de blancs, de formes, de grâce, mais aussi de senteurs bien que, à ce sujet,  Proust reste prudent, exploitant sa mémoire olfactive, obligé de fuir les fleurs parfumées car une crise d’asthme a failli l’emporter à l'âge de neuf ans dans le jardin de ses jeunes années à Illiers.

"Synesthésie jubilatoire et presque désespérée puisque tout n’est qu’intermittence : beauté, amour, mémoire et même la douleur. Posée de multiples touches impressionnistes, la sensibilité à fleur de peau colore un paysage selon un éclairage toujours différent."

Djohr :  le seringa
 
Chaque fleur est replacée dans l'oeuvre et laisse place à un large développement qui analyse ce qu'elle signifie  aux yeux de Marcel Proust. Je vous donne quelques rapides extraits.

Les fleurs de l'innocence

 

Djohr : la fleur de l'aubépine

Pour Marcel Proust la floraison l'aubépine au printemps  à une portée mystique, quasi religieuse : "La haie formait comme une suite de chapelles qui disparaissaient sous la jonchée de leurs fleurs en reposoir..". Plus tard, à l' adolescence, l'aubépine est associée à des plaisirs plus sensuels, "jeune fille en robe de fête au milieu de personnes en négligé". La cristallisation d'un premier amour prend la forme, la couleur et l'odeur de la fleur. "Je leur demandais des nouvelles de ces fleurs, ces fleurs de l'aubépine pareilles à de gaies jeunes filles étourdies, coquettes et pieuses."

Les fleurs de salon   

 

Djohr : Le géranium

Albertine est "une brune aux grosses joues qui poussait une bicyclette" et dont les joues roses ont "cette teinte cuivrée qui évoque l'idée d'un géranium" et "son rire évoquait aussi les roses carnations, les parois parfumées contre lesquelles il semblait qu'il vint de se frotter et dont, âcre et sensuel et révélateur comme une odeur de géranium, il semblait transporter avec lui quelques particules pondérables, irritantes et secrètes." 

Rose le géraniume incarne la tentation mais en blanchissant, il retrouve pureté et virginité. Ainsi les premiers accords de la sonate de Vinteuil évoquent des fleurs blanches au narrateur et la suite de la mélodie ressemble à " la soierie embaumée d'un géranium.".

 Les fleurs du mal

 

Djohr : Le datura
 

Le datura est un plante toxique utilisé en pharmacologie pour l'insomnie et l'asthme. Proust  abusait de la poudre de datura qui était versée dans une soucoupe et allumée avec une bougie par la servante Céleste Albaret. La fumée qui s'en dégageait était censée dégager les bronches et empêcher le déclenchement des crises d'asthme mais maintenait le malade dans la dépendance. Dans la Recherche, la duchesse de Guermantes les cultive en pots et Cocteau associait Proust "à l'odeur de sépulcre" que la plante dégageait.

L'herbier de la mémoire

 

Djohr : le tilleul

Le tilleul nous place devant l'un des textes les plus célèbres de la Recherche du Temps perdu et de la littérature

"Et dès que j'eus reconnu le goût du morceau de madeleine trempé dans le tilleul que me donnait ma tante (quoique je ne susse pas encore et dusse remettre à bien plus tard de découvrir pourquoi ce souvenir me rendait si heureux), aussitôt la vieille maison grise sur la rue, où était sa chambre, vint comme un décor de théâtre s'appliquer au petit pavillon, donnant sur le jardin, qu'on avait construit pour mes parents sur ses derrières (ce pan tronqué que seul j'avais revu jusque là) ; et avec la maison, la ville, depuis le matin jusqu'au soir et par tous les temps, la Place où on m'envoyait avant déjeuner, les rues où j'allais faire des courses, les chemins qu'on prenait si le temps était beau."

Voilà donc un ouvrage plaisant et dont on ne se lasse pas, de ceux que l'on ne peut lire en une seule fois mais dont on savoure la lecture et que l'on feuillette pour la beauté de l'illustration. Il ravira les amoureux de Proust et des fleurs mais aussi tous les amateurs de beaux livres !

 

dimanche 6 décembre 2020

David le Bailly : L’autre Rimbaud

J’avais repéré ce livre, L'autre Rimbaud de David Le Bailly,  à la rentrée littéraire en septembre et je voulais le lire parce que, bien sûr … Rimbaud !
Cette biographie ne porte pourtant pas sur Arthur mais sur son frère aîné Frédéric, celui qui figure sur la photo de communiants des deux frères qui n’ont qu’un an de différence. L’auteur, David le Bailly, a été surpris de découvrir que la présence de Frédéric avait été effacée de l’image pour ne laisser la place qu’au petit génie, au poète précoce, bref ! à Arthur.

Frédéric et Arthur Rimbaud
 Pourquoi ce silence autour de Frédéric ? Qu’a-t-il fait pour provoquer le rejet de la mère qui n’admire qu’Arthur, le mépris de sa soeur Isabelle qui se fait l’exécutrice testamentaire du poète et, au passage, fait main basse sur l’héritage d’Arthur au détriment de l’aîné.

David le Bailly mène l’enquête pour savoir comment expliquer la disparition de ce frère dont Arthur a pourtant partagé les jeux, liés par une complicité qui les réunit, enfants, autour de la détestation de la mère.

Dès l’enfance où les deux frères fréquentent le même lycée, l’un se révèle si doué qu’il force l’admiration non seulement de ses condisciples mais aussi de ses professeurs. L’autre, Frédéric n’a pas la même aptitude aux études, de là à dire qu’il est idiot, il n’y a qu’un pas qu’ont allègrement franchi les biographes d’Arthur plein de mépris pour l’humble Frédéric et son métier, conducteur de coche et porteur de bagages.
Les portraits croisés des personnages nous font découvrir un Frédéric, modeste, malheureux, poursuivi par la vindicte de sa mère, dominatrice, orgueilleuse, avare, imbue de sa personne et de son rang social (c’est une riche propriétaire terrienne). Haineuse, elle mène un combat épique pour empêcher Frédéric d’épouser la femme qu’il aime, de trop basse extraction selon elle. Ce sont des  scène fortes dans le livre, étonnantes tant elles montrent la haine qu’elle peut porter à son fils, son délire de supériorité, mais aussi, à cette époque, la toute puissance des parent sur les enfants. Intérêt historique : Frédéric a plus de trente ans et la loi l’empêche de se marier si sa mère ne l’y autorise pas !

L’hypocrisie de la société bourgeoise, bien pensante, qui va à la messe tous les dimanches mais obéit à une morale conventionnelle et dénuée de sincérité, est aussi très bien décrite. La soeur et la mère s’appliquent, à la mort d’Arthur, à réécrire la légende du poète, gommant ses frasques de jeunesse, les scandales qu’il a provoqués, la rébellion qu’il affichée, faisant de lui une repenti qui se rachète par une vie de pureté tout en exerçant le métier respectable de commerçant. C'est dégoulinant de bonnes pensées !

Arthur lui-même n’en sort pas grandi qui participe par ses lettres à sa mère ou à sa soeur au mépris du frère à qui il n’écrit jamais. Si l’on n’a pas de réponse sur le fait qu’il ait abandonné brutalement la poésie, on voit cependant que sa préoccupation essentielle, devenir riche, est bien loin des aspirations du jeune homme visionnaire et inspiré qu’il a été jadis.  
Ajoutez que l’on y rencontre Verlaine, un autre allumé, celui-là aussi !

L’auteur, en suivant les traces de son personnage qui l’intéresse aussi à titre privé, mêle à son enquête des considérations personnelles - mais en même temps universelles- qui l’amènent à s’interroger sur les rapports entre mère et fils, et ceux , ô combien conflictuels, entre frères.

Un livre intéressant !

vendredi 4 décembre 2020

Balzac : La femme abandonnée

Le personnage de la vicomtesse de Bauséant est un personnage important de La Comédie humaine. Dans Le père Goriot  on l'y voit tenir un brillant salon parisien où il est de bon ton de paraître et n’y est pas reçu qui veut. Mais lorsqu’elle est abandonnée par son amant, elle quitte son mari et vient se réfugier à Bayeux. Mise au ban de la société pour sa scandaleuse conduite et son indépendance, elle vit orgueilleusement retirée dans ses appartements. Balzac lui consacre cette courte nouvelle intitulée La Femme abandonnée. Le second personnage est le jeune baron Gaston de Nueil, parisien lui aussi, mais en exil à Bayeux pour des raisons de santé. Il s’ennuie à mourir dans cette société provinciale étriquée et rigide. Aussi lorsqu’il entend parler la vicomtesse, son imagination fait le reste et il en tombe amoureux sans l'avoir encore rencontrée. Il finira par devenir son amant et vivre avec elle mais …

Avec sa vive imagination et sa promptitude à tomber amoureux, le baron me fait penser au Julien Sorel de Stendhal. Surtout dans la scène où renvoyé par la vicomtesse et raccompagné à la porte de la demeure par un serviteur, il comprend que son honneur est en jeu et son orgueil le pousse à la témérité. Mais la comparaison s’arrête là, Julien étant un roturier peu habitué à la société mondaine, ce qui n’est pas le cas de Gaston de Nueil.

L’intrigue de cette nouvelle est légère, assez convenue et m'a laissée un peu sur ma faim. Toute sa valeur réside à mes yeux dans deux éléments :

La conclusion de la nouvelle

La brutalité de la chute racontée en une phrase et d’un ton entièrement détaché, crée un choc, conclusion lapidaire, inattendue, de cette histoire d’amour. C’est dommage que Balzac ne se soit pas arrêté à cette phrase, ce qui aurait donné une plus grande force au dénouement qui me rappelle la manière de Victor Hugo dans La légende des siècles : et le lendemain Aymerillot prit la ville. Mais Balzac n’est pas Hugo (et réciproquement)  et il parle ici en moraliste! C'est pourquoi la conclusion est suivie  par des considérations dignes d’un entomologiste sur la nature humaine, la femme amoureuse.

La satire de la vie provinciale

Ce que j’ai le plus apprécié dans La femme abandonnée, c’est la satire acide de la société provinciale qui est décrite avec une méchanceté étudiée. Dans ses romans, Balzac nous montre la société en action, dans la nouvelle, il nous en fait la synthèse et nous la décrit comme une carte du ciel, avec ses planètes tournant autour du soleil. Or ce dernier est ici un astre bien faible en province et Balzac a des formules acérées  pour le décrire :
"C’était d’abord la famille dont la noblesse, inconnue à cinquante lieues plus loin passe, dans le département, pour incontestable et de la plus haute antiquité…"  "Cette espèce de  famille royale  au petit pied " " Cette famille fossile" " Le chef de cette race illustre est toujours un chasseur déterminé. Homme sans manières, il accable tout le monde de sa supériorité nominale…"
"Sa femme a le ton tranchant, parle haut, a eu des adorateurs, mais fait régulièrement ses pâques; elle élève mal ses filles et pense qu’elles seront toujours assez riches de leur nom. "

"Puis viennent les astres secondaires" :
Ceux qui gravitent autour de la noblesse ancienne, une noblesse récente  plus à la mode mais tout aussi conventionnelle et figée, dans un autre style, les gentilshommes campagnards, les membres du clergé tolérés pour leur fonction mais roturiers donc inférieurs.
Et Balzac de conclure :
La vie de ces routinières personnes gravite dans une sphère d’habitudes aussi incommutables que le sont leurs opinions religieuses, politiques, morales et littéraires.

Bien entendu pour le réac Balzac, la supériorité parisienne même s'il s'agit de la noblesse n'est pas à démontrer et tout ce qui s'attache à la province est dénigrée. Mais comme il n'épargne pas, non plus, les parisiens, disons que c'est acceptable !

 Lecture commune (oui, je suis en retard !)

initiée par Maggie Ici

Miriam Ici 

Céline Ici


dimanche 22 novembre 2020

Christophe Lambert : L'agence Pendergast : Le prince des ténèbres tome 1

 

J'ai eu ma petite-fille à la maison pendant une semaine, son papa étant malade. C'est moi qui lui ai fait classe pendant son absence forcée à l'école. Son institutrice lui a donné ce livre : L'agence Pendergast de Christophe Lambert. C'est le premier d'une série qui compte pour l'instant 5 tomes. Il fait partie de la sélection des incorruptibles qui propose à des classes des lectures appropriées à leur âge avant de voter pour leur livre préféré. (Voir ici)

 Fiche de lecture d' Appoline, le pseudonyme  choisi par ma petite fille (10 ans).

 Titre  : L'agence Pendergast : Le prince des ténèbres tome 1

Nom de l'auteur : Christophe Lambert

Nom de l'illustrateur : Florent Sacré

 160 pages

 Editions Didier-jeunesse

Sean, orphelin, est devenu pickpocket car il a été élevé par un bandit nommé Bill le Boucher. Un jour, il vole la montre d'Archibald Pendergast et celui-ci le poursuit, le retrouve, lui propose un marché : de travailler pour lui à l'agence Pendergast, chasseuse de monstres paranormaux.

Les amis de Sean sont Célia, monsieur Pendergast et le savant Gégé. Ses ennemis sont Joé l'indien, Bill le Boucher, le comte Vlad, c'est à dire Dracula, et, bien sûr, tous les autres êtres paranormaux. 

J'aime ce roman parce qu'il est fantastique et qu'il y a du suspense. En même temps,  il y a des moments amusants. Le personnage de Sean m'a plu parce qu'il est gentil, attentionné et courageux.

J'ai trouvé que l'histoire était courte et facile à lire. Elle est intéressante et je recommande ce livre à la lecture.

La statue de la Liberté et Ellis Island

L'avis de la grand-mère

L'agence Pendergast, c'est un peu l'histoire du roman de Charles Dickens, Olivier Twist, mais transposée aux Etats-Unis, à New York, et adaptée au fantastique.

Nous sommes en 1893, et Sean Donovan dont les parents ont été tués par des indiens, a été recueilli par un truand, Bill le Boucher, qui lui apprend le métier de pickpocket. Mais le petit garçon a le coeur trop sensible, voler les personnages âgées ou les pauvres qui ont déjà du mal à survivre, très peu pour lui !  C'est pourquoi il ne peut payer à Bill le tribut mensuel que celui-ci lui demande, ce qui met l'enfant en danger. D'autre part, Archibald Pendergast à qui il a volé sa montre lui laisse le choix entre rejoindre son agence ou aller en prison. 

Le petit voleur n'a pas trop le choix et entre dans l'agence Pendergast qui est située au pied de la statue de la Liberté et qui surveille l'arrivée des migrants sur Ellis Island. Car parmi le flot de personnes qui débarquent dans le port de New York, se cachent des êtres peu recommandables, paranormaux, vampires, loups garous, sorciers,  qui cherchent à infiltrer le pays. C'est le début de l'aventure pour Sean qui va être confronté au comte Vlad, c'est à dire à Dracula lui-même !

Ce roman pour la jeunesse qui est proposé par les incorruptibles aux élèves de CM2 /6ième est bien écrit et d'un niveau de lecture facile. Je pense qu'il pourrait être lu aussi par des enfants plus jeunes, bons lecteurs. Le personnage du petit garçon est attachant  mais  les autres sont pour l'instant peu développés, aussi bien celui de Célia, la métisse, et de Joé, l'indien. Pour l'instant Joé l'indien et Sean sont ennemis car le jeune héros n'aime pas les indiens. Il ne faut pas oublier comment ses parents sont morts. A la fin, du roman on pressent qu'ils vont devenir des amis, ce qui se précisera, je pense, dans les tomes suivants.

J'ai bien aimé la référence historique à Ellis Island même si ma petite fille y est restée insensible malgré mes explications ! Quant au combat de Sean et de Vlad sur la tête de la statue de la Liberté, il m'a rappelé le film d'Alfred Hitchcock, Cinquième colonne, dans lequel l'espion est poursuivi jusqu'en haut de la statue où il trouve la mort.


mardi 10 novembre 2020

Voyage Picardie/ Pas de Calais avec Victor Hugo : Abbeville Collégiale Saint Vulfran

Abbeville : Collégiale Saint Vulfran Eugène Boudin
 
Victor Hugo  continue son voyage. Après la visite des falaises du Tréport, de Mers, d'Ault, il se rend à Saint Valery d'où il prend une patache qui l'amène à Abbevile. Il y arrive la nuit.
Lisez ce texte pour le plaisir de le savourer ! Quant à moi, je ne m'en lasse pas !

Un quart d’heure après j’étais en route pour Abbeville. J’ai toujours aimé ces voyages à l’heure crépusculaire. C’est le moment où la nature se déforme et devient fantastique. Les maisons ont des yeux lumineux, les ormes ont des profils sinistres ou se renversent en éclatant de rire, la plaine n’est plus qu’une grande ligne sombre où le croissant de la lune s’enfonce par la pointe et disparaît lentement, les javelles et les gerbes debout dans les champs au bord du chemin vous font l’effet de fantômes assemblés qui se parlent à voix basse ; par moments on rencontre un troupeau de moutons dont le berger, tout droit sur l’angle d’un fossé, vous regarde passer d’un air étrange ; la voiture se plaint doucement de la fatigue de la route, les vis et les écrous, la roue et le brancard poussent chacun leur petit soupir aigu ou grave ; de temps en temps on entend au loin le bruit d’une grappe de sonnettes secouée en cadence, ce bruit s’accroît, puis diminue et s’éteint, c’est une autre voiture qui passe sur quelque chemin éloigné. Où va-t-elle ? d’où vient-elle ? la nuit est sur tout. À la lueur des constellations qui font cent dessins magnifiques dans le ciel, vous voyez autour de vous des figures qui dorment et il vous semble que vous sentez la voiture pleine de rêves.  Victor Hugo Voyage 1837

Abbeville : Collégiale Saint Vulfran
 
Si l’arrivée à Abbeville de Victor Hugo ressemble à un conte de fées, la vision que j’en ai eue ne m’a pas fait le même effet ! Dès l’entrée dans la ville commence le règne de la voiture et pourtant nous n’étions pas à l’heure de la sortie des bureaux et, en cette période de vacances, pas de lycées, de collèges ou d’écoles ouverts. Nous en avons déduit que c’était le quotidien de ce centre ville, des embouteillages partout, dans toutes les rues, y compris sur la place de la collégiale Saint Vulfran que nous voulions voir. 
Entrée de la place saint Vulfran

Place de la collégiale

Aucun effort pour chasser la voiture hors de la cité, pour donner à cette église gothique plus d’espace, plus d’aération ! Au contraire un parking et des constructions serrées qui la cernent, bâtiments d’une grande laideur qui enjambent les rues ! Toutes mes excuses aux Abbevillois pour ce que je vais dire, mais moi qui déplorais les embouteillages sur le bord du Rhône à l'heure de pointe, moi qui pensais qu’Avignon n’était pas assez « verte », c’est parce que je n’avais jamais vu le centre d'Abbeville! Dans les années 80, la place du palais des papes était, elle aussi, envahie par l'automobile juste avant la construction du parking souterrain mais... il y a près de quarante ans !

Par contre la collégiale vaut le détour et j'ai regretté de ne pas avoir eu le temps de visiter le musée Boucher de Perthes mais nous étions là pour notre "tournée" des églises gothiques !

Abbeville Portail central vu à la verticale du bas : l'entrelacs de ses dentelles

 Elle est très richement ornée et intéressante aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur et j'ai énormément aimé la statuaire. Elle est avec l’abbatiale Saint Riquier et la chapelle Saint Esprit de Rue un bel exemple du gothique flamboyant. Edifiée au XII siècle, elle contient les reliques de Saint Wulfram de Sens apporté par le comte de Ponthieu.  C’est vers la fin du  XV siècle que fut réalisé le décor gothique flamboyant. Mais l’église ne fut achevée qu’au XVII siècle, sa construction étant retardée par les guerres de religion et les invasions espagnoles. Le monument subit plusieurs restaurations : au XIX siècle pour la consolider, et après la deuxième guerre mondiale car elle fut en partie détruite par le pilonnage de l’artillerie allemande suivi d’un incendie.

Abbeville Collégiale Saint Vulfran Statuaire Portail sud

Portail Sud Marie Cléophas et ses quatre fils dont Saint jacques le Mineur

Le portail sud est celui des trois Marie : au centre la vierge Marie. A gauche Marie Cléophas et Marie Salomé à droite

Marie Salomé et ses fils Saint jacques le Majeur et Saint Jean l'évangéliste
 source

Portail central : Saint Paul et lion

A l'intérieur, on remarquera que la nef présente deux parties distinctes : la nef centrale gothique dont la voûte culmine à 35 mètres, édifiée au XV et au début du XVI siècle qui offre l'élévation de ses hauts piliers gothiques et de ses élégantes ogives. Et une partie qui date du XVII siècle et contient le choeur, présente une très belle voûte en bois semblable à la coque d'un navire.


La partie côté choeur


Les deux parties de la construction


La nef centrale côté portail central


Le portail central intérieur très ouvragé et la chaire

Une belle visite et ensuite, vite ! Nous partons pour l'abbatiale gothique de Rue !