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vendredi 5 février 2021

Carlos Fuentes : En inquiétante compagnie

 

Carlos Fuentes est un écrivain mexicain. Le livre que je présente ici est, d’après la quatrième de couverture, « dans un genre inhabituel ».  C’est ce que je ne saurais dire puisque c’est le premier livre que je lis de lui. Il s’agit d’un recueil de nouvelles qui exploite le thème du fantastique, de la folie, de la mort, des vampires d’où le titre « En inquiétante compagnie ».

 Je n’ai pas apprécié toutes les nouvelles. Voici mes trois préférées.


Dans L’amoureux du Théâtre, le personnage, un jeune mexicain solitaire installé à Londres, shakespearien passionné, tombe amoureux d’une jeune fille qu’il voit évoluer de sa fenêtre, dans l’appartement voisin. Non seulement, ils n’échangeront aucune parole mais elle refuse de rencontrer son regard. Plus tard, en allant au théâtre, il découvre qu’elle joue le rôle d’Ophélie dans Hamlet. Mais elle est réduite au silence par un metteur en scène mégalomane qui est aussi acteur  narcissique et ne lui permet pas de parler ! Jusqu’ici ça va, je suis en terrain connu avec le In du festival d’Avignon ! J’ai moi-même assisté à une mise en scène du roi Lear où une Cordélia baîllonnée, en tutu et sur pointes, ne pouvait prononcer une seule parole, misogynie assumée (?) par le metteur en scène Olivier Py !
Mais dans la nouvelle de Carlos Fuentes, il y a autre chose : Ophélie est-elle vraiment la jeune femme observée à la fenêtre ? Est-elle réellement muette ? Meurt-elle sur scène comme le croit le personnage ? Quelle est cette fleur qu’elle lance à notre jeune spectateur, symbole de la vie, et qui ne se fâne jamais ? Pourquoi les journaux racontent-ils des mensonges sur ce qui s’est passé au théâtre?  A moins que le jeune mexicain n’ait sombré dans la folie ? C’est au lecteur de conclure.
Une autre de ces nouvelles qui s’intitule En bonne compagnie  fait écho ironiquement au titre général du recueil. A la mort de sa mère qui vit en France, à Paris, son fils Alexandro de la Guardia va rejoindre ses deux tantes à Mexico. Deux bien étranges vieilles demoiselles qui ne veulent pas se croiser tout en vivant dans la même maison et qui demandent à leur neveu de ne jamais entrer par la porte principale mais par une entrée plus discrète à l’arrière. Que veulent-elles cacher ? Pourquoi toutes ces cachotteries et bizarreries ? Sont-elles folles, dangereuses ? Pourquoi semblent- elles parler à un petit garçon et non à un adulte quand elles s’adressent à lui ? 

Dans Calixta Brand, la jeune fille, personnage éponyme de la nouvelle, est une jeune américaine venue au Mexique pour poursuivre ses études de langue. Estéban, jeune hidalgo de bonne famille l’épouse. Mais il est très vite jaloux de l’intelligence, de la culture et de la supériorité intellectuelle et morale de sa femme. La haine va peu à peu remplacer l’amour. C’est une des nouvelles qui pourrait ne pas être fantastique si ce n’était la fin. L’analyse des sentiments du jeune homme, la peinture d’un monde machiste où la femme doit rester à sa place et où l'homme doit dominer, le mépris manifesté aux inférieurs, sont ancrés dans une classe sociale imbue d’elle-même. La cruauté des rapports humains et le personnage fier et digne de la femme en font un texte très intéressant.
Mais c’est vraiment avec La chatte de ma mère, la Belle au bois dormant, et la dernière nouvelle, Vlad (dracula) que nous plongeons dans le fantastique (trop) attendu avec l’apparition de morts-vivants, les cercueils des vampires cachés dans l’obscurité d’un tunnel et les morsures dans le cou. J’ai moins aimé ces trois nouvelles parce que le fantastique y est plus affirmé et ne laisse pas au lecteur la liberté d’imaginer et d’apporter sa réponse personnelle.
Donc ce recueil n’est pas un coup au coeur pour moi et il me faudra lire d’autres nouvelles de Carlos Fuentes pour mieux le connaître.

Mexique : Carlos Fuentes Macías

Carlos Fuentes Macías naît au Panama en 1928  mais est de nationalité mexicaine. Ses parents sont diplomates d'origine mexicaine. Il partage son enfance entre Quito, Montevideo, Rio de Janeiro, Washington, Santiago du Chili et Buenos Aires. Adolescent, il retourne vivre au Mexique où il fait des études de droit à l'Université de Mexico. Il les poursuit à l'Institut de hautes études internationales et du développement de Genève. 
Il commence par écrire des nouvelles et publie ainsi Jours de carnaval en 1954. Il publie son premier roman en 1958, La Plus Limpide Région, qui critique la société mexicaine. Il poursuit son œuvre avec d'autres romans comme Le Chant des aveugles, Peau neuve, Terra Nostra, La Tête de l'hydre et Le Vieux Gringo qui lui offrent une renommée internationale.
Il a écrit des essais critiques comme La Maison à deux portes et Cervantès ou la Critique de la lecture ainsi que des essais politiques comme Temps mexicain. Ses essais sur la politique et la culture paraissent également dans le journal espagnol El País. Il est un critique virulent de l'impérialisme culturel et économique des États-Unis, en particulier vis-à-vis de l'Amérique latine.
Son roman Terra Nostra a obtenu en 1977 le prix Rómulo Gallegos, la plus haute distinction littéraire d’Amérique latine. Carlos Fuentes a reçu en 1987 le prix Cervantes, la plus haute distinction littéraire de langue espagnole, pour l’ensemble de son œuvre. (Wikipédia)


 

Rufino Tamayo, peintre mexicain

(1899-1991)


Bien sûr, quand on parle de peintres mexicains, on pense tout de suite, à Frida Kahlo et Diego Rivera.

Diego Rivera
 
Frida Khalo

Mais  c'est un peintre que je ne connais pas que je veux présenter ici  et que je découvre sur le net : 

 Rufino Tamayo
(1899-1991)

Rufino Tamayo est né à Tlaxiaco (Oaxaca) le 25 août 1899 et est mort à Mexico le 24 juin 1991. 

 Bien qu'il ait peint des peintures murales avec des sujets révolutionnaires, art mural dont Diego Rivera avec  Siqueiros y Orozco étaient les plus grands représentants au Mexique, Rufino Tamayo s'est démarqué des artistes de sa génération en créant un style personnel.

Bien qu'on le considère souvent comme un artiste ultra-mexicain en raison de son approche des cultures préhispaniques, il a vécu à Paris dans les années 50 et s'est parfaitement intégré dans le mouvement culturel de l'époque.

Dualidad peinture murale

 "Dualidad » est un des muraux les mieux conservés de Tamayo; il se trouve au Musée National d’Anthropologie et d’Histoire. C’est une impressionnante fresque peinte en 1964, de 12 mètres de large, que les visiteurs peuvent admirer à l’auditorium Jaime Torres Bodet.
Tamayo s’inspira de la cosmogonie náhuatl des opposés et complémentaires pour interpréter la mythologie précolombienne; l’œuvre fut aussi le résultat du contexte politique et social de l’époque."

 

 

Moon dog  Rufino Tamayo

 
 

 

 




mercredi 3 février 2021

José Maria Arguedas : Diamants et silex

 

José Maria Arguedas est un auteur péruvien que je découvre au cours de ce mois de littérature latino-américaine, un livre entièrement différent de celui que je viens de commenter La faute au bouc de Marie Vargas Llosa... C’est d’ailleurs ce dernier qui préface ce petit bijou littéraire, intitulé Diamants et silex .

"L’Apurimac  est sillonné par les fleuves les plus profonds et les plus mélodieux du Pérou; des fleuves anciens, puissants, aux flots d’acier, qui ont découpé les Andes dans leur partie la plus haute- silex et diamants- et ont forgé des abîmes aux rives desquelles l’homme tremble, ivre de vertige, en contemplant les eaux argentées qui s’écoulent sous les arbres suspendus."

 Mario Vargas Llosa nous explique que José Maria Arguedas, est au centre des deux cultures qui divisent le Pérou, celui de la plaine et des villes, de langue espagnole, et celui de la sierra où vivent les indiens quechuas attachés à leur langue, leur traditions, proches de la nature, mais obligés par la misère à servir chez les maîtres qui les considèrent comme à peine humains. Cette double culture est pour Arguedas un déchirement puisque « l’enracinement entre ces deux mondes antagonistes a fait de lui un déraciné » écrit Mario Vargas Llosa.

Mais c’est aussi pourquoi José Maria Arguedas sait nous parler avec tant de poésie et d’amour de ce peuple vivant au coeur de la Cordillère des Andes, au milieu des pics enneigés, et de cette langue chargée d’images : "Le quechua qu’il entendait était semblable à celui qu’on parlait dans les petites vallées à fruits "de l’intérieur", dans son village. C’est là que naissent les fleuves amazoniens, que se forment les longues veines qui font une entrée tonitruante dans les gorges creusées entre les chaînes de montagnes. Le quechua qu’Irma utilisait pour s’adresser  à lui avait le parfum de ces fleuves, des oiseaux qui les survolent en jouant, piaillant et appelant les êtres humains."

Mariano est un indien quechua que son frère envoie à la ville car c’est un Simple, c’est à dire un arriéré mental, une charge, donc, pour la famille. Il est aussi un musicien harpiste hors du commun, ce qui lui permet de toucher au coeur, dès son arrivée, le propriétaire le plus riche en terres et en indiens de la ville, Don Aparicio. Celui-ci le prend chez lui à une condition, c’est qu’il ne jouera jamais que pour lui et chez lui. Pour Don Aparicio, un être tourmenté, débauché, jamais en paix, cruel et fantasque, la musique de Mariano s’adresse à son âme. On peut comprendre, dès lors, que la transgression de cet ordre pourrait avoir des conséquences néfastes. Quand arrive dans la ville une nouvelle venue, une jeune fille blonde, très belle, le drame est prêt à éclater.

Nous sommes donc dans la structure du conte traditionnel mais qui se déroulerait dans un monde réaliste où les fées n’ont pas cours et où leur baguette n’a pas de pouvoir. Don Aparicio est tout puissant, sa fortune le place au-dessus des lois, nul ne peut s’opposer à lui. Il séduit, voire enlève, les filles des montagnes, en fait ses maîtresses aussitôt remplacées par d’autres. Mais si réalisme il y a, le jeune homme apparaît aussi magnifié par le style de l’écrivain ou par le regard de ses amoureuses, comme un prince de légende, noble d’allure si ce n’est de coeur, monté sur son étalon noir Faucon, aussi fougueux que lui. D'une manière générale, la peinture de cette société basée sur l’inégalité sociale et raciale, d’une férocité implacable envers les indiens, est transcendée par la plume de l’écrivain, parfois d'un lyrisme puissant, taillée à la fois dans le diamant et le silex, noir et étincelant, brillant et dur.
Et puisque la musique y est omniprésente, il y a deux tonalités dans le roman, celle en mode majeur, éclatante, qui s'attache à Don Aparicio et  révèle la montagne, et celle en mode mineur qui  résonne pour Mariano si sensible à la détresse et à la souffrance des autres, humains, animaux ou plantes... Etcette petite musique lancinante crée une tristesse, une nostalgie qui gagne le lecteur. 

Un très beau roman poétique, inattendu, magique et profondément humain.

Et voici encore un passage qui est l’un des plus étonnants moments du roman : il concerne les vingt harpistes la ville : "La nuit du 23 juin, ces musiciens descendaient le long des ruisseaux torrentiels qui se jettent dans le fleuve principal, ce grand fleuve profond dont les eaux rejoignent la côte. Là, sous les grandes cataractes que les torrents façonnent dans la roche noire, les harpistes « écoutaient ». C’est la seule nuit de l’année où l’eau, en tombant sur la pierre et en roulant ses éclats brillants crée des mélodies nouvelles ! Chaque maître harpiste a sa Pak’cha * secrète. Il s’avance de face, caché sous les grands panaches des roseaux; certains se suspendent aux troncs des poivriers, au-dessus de l’abîme où le torrent s’engouffre et pleure. Le lendemain, et pendant toutes les fêtes de l’année chaque harpiste joue des mélodies inédites."

* cascade

Pérou : José Maria Arguedas

José Maria Arguedas
 

José Maria Arguedas Altamirano est un écrivain, un anthropologue, un ethnologue, un poète, un traducteur et un universitaire péruvien né le 18 janvier 1911 à Andahuaylas (Apurimac) dans la montagne au Sud du Pérou. Il est fils naturel d’un avocat itinérant Victor Manuel Arguedas Arellano, Cuzqueño et de Doña Victoria Altamirano Navarro, femme métis et aristocrate de San Pedro en Andahuaylas. À la mort de sa mère, il a deux ans et il reste avec sa grand-mère paternelle ; son père se remarie avec une riche veuve qui a aussi des enfants. Il sera victime des mauvais traitements de sa marâtre. Celle-ci l'oblige à dormir avec les indiens. C'est auprès d'eux qu'il découvre la culture et la langue quechua. 

Ses nouvelles et ses contes le rangent parmi les grands représentants de la littérature péruvienne. Il est le promoteur d'un métissage des cultures andine d'origine quechua et urbaine d'origine européenne.
Toute l’œuvre de José María Arguedas est marquée par la dualité linguistique et culturelle entre l’espagnol et le quechua. Toujours fidèle à la tradition quechua de son enfance, il a vécu l’expérience du Pérou divisé entre monde andin indien et dominé et monde côtier hispanophone et dominant. N’étant jamais tout à fait parvenu à surmonter ce déchirement culturel, malgré sa réussite professionnelle et souffrant de dépression nerveuse, il se suicide à Lima le 2 décembre 1969. Sa fin tragique en a fait le symbole à la fois de tous les clivages de la société péruvienne et de la nécessaire réconciliation qu’il a prônée dans son œuvre, mais si difficilement vécue dans sa chair.   (Wikipédia)

 


José Sagobal peintre péruvien, indigéniste (1888/1956)

Et puisque j'en suis à la découverte de la littérature péruvienne, je suis allée faire un petit tour du côté de l'art et je vous présente Jose Sagobal, peintre  péruvien du XX siècle, indigéniste. Comme José Maria Arguedas, il défend la culture et les traditions des indiens et souhaitent voir leurs droits reconnus  par le gouvernement péruvien. Il a contribué avec les écrivains, les peintres qui ont rejoint le mouvement indigéniste, à faire évoluer les mentalités.








lundi 1 février 2021

Mario Vargas Llosa : La fête au bouc


  La fête au Bouc de Mario Vargas Llosa est depuis longtemps sur mes étagères et je ne me décidais pas à lire ce roman politique sur la dictature de Rafael Leonidas Trujillo à Saint Domingue. Je craignais que cela ne soit trop rébarbatif ou trop démonstratif. C’est donc dans le cadre du défi lancé par Ingammic ICI et Goran ICi nous invitant à explorer la littérature latino-américaine, que j’ai découvert ce livre et là il n’était plus possible de résister à la force et à l’habileté narrative d’un grand écrivain qui vous tient en haleine et vous retourne comme une crêpe !

Le récit se déroule dans la partie orientale de l’île Hispanolia, dans la République de Saint Domingue dont la frontière divise en deux l'île avec, à l’ouest,  Haïti. Nous sommes en 1961, date de l'attentat contre Trujillo, mais l'écrivain va nous promener du présent au passé et inversement, sans ordre chronologique,  depuis la prise de pouvoir du dictateur et jusqu'après sa mort.

"L'ouvrage est caractéristique du roman du dictateur, représenté entre autres par Miguel Ángel Asturias (El señor Presidente), Augusto Roa Bastos (Moi, le Suprême) et Gabriel García Márquez (L'Automne du patriarche)" (Wikipédia). 

Le roman présente des personnes fictifs mais fortement ancrés dans l’histoire du pays comme Urania Cabral et son père Agusto Cabral, ministre de Trujillo. Urania revient voir son père mourant à Saint Domingue après trente cinq années d’exil aux Etat-Unis, absence pendant laquelle elle a toujours refusé de répondre à ses lettres et à celles de sa famille. Pourquoi revient-elle ? Elle se le demande elle-même mais ce n’est certainement pas par amour si l’on en juge par la violence qui émane de ses propos quand elle parle à celui qui fut son père, certes, mais surtout l’ancien ministre de Trujillo…  

Rafael Leonidas Trujillo

Face à ces personnages fictifs, des personnages historiques comme le dictateur Rafael Leonidas Trujillo qui a fait régner la terreur à Saint Domingue, rebaptisée alors, Ciudad Trujillo, de 1930 à 1961, et ses ministres dévoués jusqu’à la servilité : emprisonnement, tortures, assassinats, massacre des immigrants haïtiens, viols, accaparation des biens et des terres des opposants et des industries, main mise sur la presse et tous les moyens de communication, culte de la personnalité… D’autres personnages historiques aussi, sont ceux qui en 1961, ont fomenté l'attentat contre le dictateur.
Mais peu à peu, le réel et la fiction se mélangent et tous deviennent les héros d’un roman puissant qui nous fait revivre toutes ces années de dictature, mêlant les différentes strates du présent et du passé. La technique narrative de l’auteur est surprenante. Dans un même paragraphe, nous passons de la vision subjective du « je », - le personnage se raconte-, au « Il » du narrateur extérieur - le personnage est vu - ; de plus, les points de vue se multiplient, les uns et les autres sont observés et racontés par plusieurs personnages, amis, ennemis, victimes, bourreaux,  dressant une multiplicité de portraits et de récits qui submergent le lecteur  de sensations et d’émotions.
De même, à certains moments de la narration, le présent et le passé sont mis sur un seul plan et ont lieu en même temps. Ce procédé donne des scènes saisissantes, comme celles où Urania racontent à sa tante et à ses cousines pourquoi elle a fui Saint Domingue et où nous assistons à la fois à son récit au passé et à son déroulement dans le présent, ce  qui a pour effet de dédoubler la scène en lui donnant une force inouïe.
Le récit est donc puissant, en particulier lorsqu’il interroge sur le pouvoir. Comment expliquer la fascination exercée par le dictateur sur la collectivité et sur l’individu ? La peur ne suffit pas à expliquer cet amour, cette admiration, cette soumission au chef !  Urania dit qu’elle peut comprendre pourquoi le peuple se laisse berner, pris dans le culte de la personnalité, privé par son manque d’instruction d’un jugement clair, obnubilé par la propagande mensongère du gouvernement, coupé de la réalité par l’absence de médias. La Boétie au XVI siècle en arrivait  déjà à cette conclusion, entre autres  car lui aussi pensait que l'explication en était plus complexe :

Le Grand Turc s’est bien avisé de cela que les livres et la doctrine donnent plus que tout autre chose aus hommes, le sens de se reconnoistre, et d’hair la tirannie; j’entens qu’il n’a en ses terres gueres de gens scavants, ni n’en demande. (  De la servitude volontaire)

Mais comment ceux qui ont l’instruction, les classes sociales supérieures, instruites, éclairées, peuvent-ils perdre toute volonté, toute dignité, toute morale, pour complaire au despote ? se demande Urania. Il y a l’argent, l’intérêt, l’attrait du pouvoir, certes, mais encore quelque chose au-delà, qui touche au plus profond de la personnalité, quelque chose qui fait que l’on n'est rien sans le regard bienveillant du despote, que c'est lui qui vous fait exister !
Un grand roman, donc ! 

Et surtout, ne faites pas comme moi,  n’ayez pas peur de Mario Vargas Llosa !

Pérou : Mario Varga Llosa

Mario Vargas Llosa

Mario Varga Llosa est un écrivain péruvien naturalisé espagnol. Il est l’auteur de romans, de pièces de théâtre, de biographies et d’essais politiques. Il a reçu le prix Nobel de littérature en 2010.
Il a été un écrivain engagé toute sa vie, d’abord proche du communisme, il soutient Fidel Castro. Ensuite déçu par la révolution cubaine, il se tourne vers le libéralisme. En avril 2011, lors des élections présidentielles péruviennes, il appuie le vote du candidat nationaliste Ollanta Humala. En 1990, il se présente à la présidence de la république péruvienne à la tête d’une formation Le Front démocratique mais il perd, face à Alberto Fujimori qui dirigera le Pérou de 1990 à 2000. Plus tard il s’affirmera comme conservateur, ultra-libéraliste, selon ses détracteurs, soutenant les régimes de José María Aznar en Espagne et même de Silvio Berlusconi en Italie. (Wikipédia)

Quelques titres :
La ville et les chiens(1963) , La maison verte (1966), Conversation à la cathédrale(1969) , La tante Julia et le scribouillard( 1977), La guerre de la fin du monde (1982), Qui a tué Palomino Molero ?(1986), la fête au bouc (2000),




jeudi 28 janvier 2021

Kiran Millwood Hargrave : Les graciées

 

1617, Vardo, au nord du cercle polaire, en Norvège. Maren Magnusdatter, vingt ans, regarde depuis le village la violente tempête qui s'abat sur la mer. Quarante pêcheurs, dont son frère et son père, gisent sur les rochers en contrebas, noyés. Ce sont les hommes de Vardo qui ont été ainsi décimés, et les femmes vont désormais devoir assurer seules leur survie. Trois ans plus tard, Absalom Cornet débarque d'Ecosse.
Cet homme sinistre y brûlait des sorcières. Il est accompagné de sa jeune épouse norvégienne, Ursa. Enivrée et terrifiée par l'autorité de son mari, elle se lie d'amitié avec Maren et découvre que les femmes peuvent être indépendantes. Absalom, lui, ne voit en Vardo qu'un endroit où Dieu n'a pas sa place, un endroit hanté par un puissant démon. Inspiré de faits réels, Les Graciées captive par sa prose, viscérale et immersive.
Sous la plume de Kiran Millwood Hargrave, ce village de pêcheurs froid et boueux prend vie. (quatrième de couverture )

Le mémorial des Sorcières à Vardo Par  Louise Bourgeois et  Peter Zumthor

La chasse aux sorcières en Norvège et en particulier dans l’île de Vardo au nord du cercle polaire, dans le Finnmark, a réellement existé pendant une grande partie du XVII siècle et non seulement en Norvège où elle a été d’une violence extrême mais dans toute l’Europe. Christian IV, roi du Danemark, dont dépendait la Norvège, voulait que les habitants, en particulier les Samis, abandonnent leurs traditions et leurs rites et se soumettent strictement à la religion protestante. Le roi nomme un ambassadeur écossais, John Cunningham, qui va entreprendre la chasse aux sorcières en s’entourant d’hommes zélés et fanatiques. Absalom Corner, personnage fictif, est l’un d’entre eux. Inquisiteur,  intolérant, intransigeant et misogyne, il traque l’hérésie partout, encourageant les unes et les autres à la délation, semant le trouble dans les esprits ! Le processus est très bien décrit, il est celui de tout pays où s’exerce la tyrannie, et l’angoisse s’installe en même temps que la privation de liberté, l’interdiction de penser, la peur de trop en dire, l’obligation de suivre les offices et de rentrer dans le rang.

Or, les femmes de Vardo qui ont perdu leur mari et qui ont dû assumer le travail des hommes, en particulier la pêche pour pouvoir survivre, vont être des proies faciles et toutes désignées. Outre que certaines se vêtent en homme pour accomplir ces travaux, elles affichent une indépendance suspecte au yeux de l’église en sortant de la bienséance et du rôle qui leur est assigné. Un climat malsain s’installe dans l’île, les accusations tombent et les procès commencent.

Kiran Millwood Hargrave peint avec beaucoup de vérité la vie de ces femmes sur cette île rude, hostile, rongée par les vents, une vie primitive où vivre est une lutte de tous les jours. Les personnages sont intéressants Maren encore toute jeune qui perdu son père et son frère dans le naufrage, sa belle soeur Dannia qui est Sami, Kirsten, trop indépendante, pas assez soumise, pas assez prudente, et puis les autres femmes du village qui vont réagir en fonction de leur caractère, de leurs croyances, de leurs mesquineries et jalousie. L’arrivée Ursa, l’épouse malheureuse de Absalom Cornet, qui détone au milieu de ces pauvres femmes de pêcheur, va introduire un regard neuf sur le drame qui se déroule dans cette île.

Un roman qui a des qualités dans les descriptions, dans les portraits, et qui explore une époque historique terrible ! D’où vient qu’il ne m’a pas laissé entièrement convaincue ? Peut-être est-ce l’histoire d’amour que j’ai trouvé un peu "cucu" et mal venue. Elle arrive à un moment fort et affaiblit le récit. Elle paraît en trop. Peut-être aussi parce que j’ai déjà lu des livres sur le thème de sorcières et sur la Norvège qui décrivent cette période et qui m’ont déjà secouée. Mais c’est surtout, je crois, parce que je suis restée extérieure au récit. Certes, le sort de ces femmes m’a horrifiée mais je les ai regardées sans jamais être avec elles ! Dommage car les blogs se sont enflammés pour ce roman et  moi, et moi, et moi… 

mardi 26 janvier 2021

André Comte -Sponville : Le dictionnaire amoureux de Montaigne

J'ai publié dimanche un billet sur le livre de Frans de Waal qui s'intitule : Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l'intelligence des animaux ICI 

 L'éthologue et primatologue Frans de Waal y explique comment, malgré les études scientifiques menées auprès des animaux et ceci pendant toute une vie, il se heurte, lui et les autres éthologues,  à l'hostilité et aux préjugés de ceux qui ne veulent pas reconnaitre les résultats de ces recherches pour des raisons idéologiques, religieuses ou tout simplement par orgueil, persuadés que l'Homme ne peut être que supérieur.

Or, en consultant le dictionnaire amoureux de Montaigne à la lettre A pour Animaux,  je lis la synthèse présentée par André Comte-Sponville sur ce thème et constate combien l'ouverture d'esprit et l'intuition  du philosophe du XVI siècle le rapprochent (malgré des différences) du scientifique du XXI ème siècle : Frans de Waal.

"Pour Montaigne, écrit A C-S , " les humains en font partie (des animaux), sans privilège aucun."N'est-ce pas un misérable animal que l'homme?" (I, 30)" Les autres animaux que nous appelons les bêtes sont nos confrères et nos compagnons que nous ne comprenons pas plus que ce qu'ils nous comprennent. C'est ce qui devrait nous interdire de les juger."  (II 12)

L'homme refuse de reconnaître l'intelligence des animaux : mais "connaît-il par l'effort de l'intelligence, les branles internes et secrets des animaux ?" Et par quelle comparaison d'eux à nous, conclut-il la bêtise qu'il leur attribue ? (II 12) Montaigne leur prête, au contraire une conscience, une intelligence et une volonté comparable aux nôtres. Il ne croit pas que l'instinct chez les bêtes fasse tout, ni qu'il ne fasse rien chez nous."

Les bêtes "ont plusieurs conditions qui se rapportent aux nôtres : de celle-là, par comparaison, nous pouvons tirer quelque conjecture; mais de ce qu'elles ont de particulier, que savons-nous ce que c'est ?"(II, 12)

 Pendant tout le XX siècle et même en ce début du XXI siècle, Montaigne aurait été considéré avec mépris et accusé d'anthropomorphisme. Mais s'il parvient, en vivant au XVI siècle, à rejoindre les scientifiques du XXI siècle, c'est parce qu'il cherche toujours autant qu'il est possible à se débarrasser des préjugés, qu'il se méfie de l'orgueil des humains. Dans sa lutte contre l'anthropocentrisme, il faut dire qu'il remet en question la Bible, ce qui n'était pas sans danger. Frans de Waal et ses pairs aussi se heurtent à l'obscurantisme mais ils ne risquent plus d'être censurés par le pape !

Peut-être aussi est-ce parce qu'il aime les animaux et vit avec eux ? Tous les "humains" qui vivent avec des chats et des chiens, n'ont pas besoin des scientifiques pour savoir que leurs compagnons éprouvent des émotions et sont intelligents ! Mais laissons parler Montaigne : 

Quand je me joue à ma chatte, qui sait si elle passe son temps de moi, plus que je fais d'elle? Nous nous entretenons de singeries réciproques : si j'ai mon heure de commencer et de refuser, aussi a-t-elle la sienne.

Je vais rapporter ici un passage où Montaigne, citant Plutarque, explique comment un chien qui voulait boire de l'huile au fond d'une cruche jette des cailloux dans le récipient jusqu'au moment où il peut atteindre le liquide qui est monté jusqu'au bord. 

Cela, qu'est-ce, si ce n'est l'effect d'un esprit bien subtil ? On dit que les corbeaux de Barbarie en font de mesme, quand l'eau qu'ils veulent boire est trop basse (....) Mais cet animal rapporte, en tant d'aultres effects, à l'humaine suffisance, qui si je voulais suyvre par le menu ce que l'expérience en a apprins, je gaignerois ayseement ce que je maintiens ordinairement, qu'il se trouve plus de différence de tel homme à tel homme, que de tel animal à l'homme."

Cela me fait rire parce que Frans de Waal a réalisé cette expérience ( de l'eau que l'on ne peut atteindre) avec des singes et des enfants humains, et les singes s'en sont mieux sortis que nos têtes blondes ! 

 Enfin à la lettre B comme Bénignité (douceur) est cité le passage suivant : 

Il y a un certain aspect qui nous attache, et un général devoir d'humanité, non aux bêtes seulement qui ont vie et sentiment, mais aux arbres mêmes et aux plantes. Nous devons la justice aux hommes, et la grâce et la bénignité aux autres créatures qui en peuvent être capables (d'en bénéficier). Il y a quelque commerce entre elles et nous, quelque obligation mutuelle. (II, 11)


dimanche 24 janvier 2021

Frans de Waal : Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l'intelligence des animaux ?

 

Qu’est-ce qui distingue l’esprit d’un homme de celui d’un animal ? La capacité de concevoir des outils ? La conscience de soi ? L’emprise sur le passé et le futur ? Au fil des dernières décennies, ces thèses ont été érodées ou même carrément réfutées par une révolution dans l’étude de la cognition animale.
Voici des pieuvres qui se servent de coques de noix de coco comme outils ; des éléphants qui classent les humains selon l’âge, le sexe et la langue ; ou Ayumu, jeune chimpanzé mâle de l’université de Kyoto, dont la mémoire fulgurante rivalise avec celle des humains. Sur la base de travaux de recherche effectués avec de nombreuses espèces, Frans de Waal explore l’étendue et la profondeur de l’intelligence animale, longtemps sous-estimée.
Dans ce livre passionnant, le célèbre éthologue invite à réexaminer tout ce que l’on croyait savoir sur l’intelligence animale… et humaine.
L’essai de l’éthologue  Frantz de Waal. : Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l'intelligence des animaux ?  est, par bien des aspects, passionnant. (Quatrième de couverture)

Frantz de Waal, professeur  de psychologie à l’université Emory, docteur en biologie est aussi directeur du Living Links Center au Yerkes National Primate Research Center à Atlanta. Spécialiste des primates qu’il a passé des dizaines d’années à étudier en laboratoire mais aussi parfois dans la nature, il s’est intéressé aussi de très près à de nombreuses autres espèces.  Il rassemble ici les résultats des expériences qui ont lieu dans le centre dont il est le directeur et il recueille ceux de ses collègues dans le monde.

Ses recherches sur la cognition animale lui ont permis de faire des découvertes, de les vérifier, de les recouper avec celles d’autres chercheurs pour rester au plus près de la rigueur scientifique. Elles ont abouti à une constatation : oui, l’animal est intelligent, d’où ce titre provocateur :  Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l’intelligence des animaux ?
Provocateur, certes, mais justifié ! car il se heurte, et les autres chercheurs avec lui, au refus voire au rejet  des philosophes, des scientifiques marqués par le behaviourisme ou partisans de l’animal-machine, il doit faire face aux accusations « d’anthropomorphisme, de romantisme, d’antiscience. »

Frans de Waall n’est pas un précurseur, il parle de ceux qui, avant lui, ont eu cette approche ouverte et sans préjugés de l’animal, à commencer par Charles Darwin, Konrad Lorenz, Jakob Von Uexküll, Donald Griffin et tant d’autres.

Quant à l’anthropomorphisme, nous dit Frans de Waal , c’est une notion dépassée. En réalité, « Il ne s’agit pas de comparer les humains aux animaux, mais une espèce animale - la nôtre- à une multitude d’autres espèces  car « il est indéniable que les humains sont des animaux ». « Je considère la cognition humaine comme une variété de la cognition animale. »

La cognition correspond, en fait, à l’adaptation d’une espèce à son milieu. Elle sera donc différente selon les espèces. Dire que l’une est supérieur à l’autre ne tient donc pas compte de la nécessité pour chacune d’assurer sa survie selon son milieu. Certes les humains ont le langage mais les animaux aussi, l’éthologie a permis de l’étudier;  certes, ils sont les seuls à avoir l’écriture et la pensée abstraite mais les autres animaux ont développé des qualités spécifiques, l'odorat pour certains, l’ouïe pour les chauves-souris, la mémoire pour le corbeau ou l’écureuil, -  supérieure puisqu'il qui est capable de retrouver les 20 000 pignons qu’il a cachés pour l’hiver dans des centaines d'endroits différents -  pour d'autres, les fourmis et les termites, la pensée collective, la cohésion de l’espèce… 
 Chaque espèce présente donc des qualités exceptionnelles que ne possèdent pas obligatoirement les autres.

Frans de Waal étudie donc les capacités cognitives des primates mais aussi des oiseaux et autres animaux… au point de vue de la socialisation, de la capacité d'empathie, d’émotion, du deuil, de la transmission des savoirs inter-espèce, de l'utilisation des outils, de la mémoire, de l’aptitude à acquérir de nouveaux savoirs, de leur habileté avec les nombres, de leur anticipation du futur ... L’essai s’appuie sur de nombreuses expérimentations qui sont souvent accompagnées de croquis pour plus de clarté. Et c'est bluffant ! Oui, bluffant de voir de quoi sont capables les animaux !
Mais il constate que, chaque fois que l'on découvre une compétence à un animal, compétence considérée jusqu'alors comme le propre de l'Homme, les détracteurs sont nombreux. Puis, lorsqu'ils sont obligés de s’incliner devant l’évidence, ils s’efforcent de redéfinir ce qui fait l'humain par d'autres compétences. Tout se passe comme s'il leur était insupportable de faire tomber les barrières qui séparent les espèces et de reconnaître que nous sommes des animaux parmi les autres ! Il n’y a plus de science qui tienne face à l’obscurantisme religieux, aux préjugés, à l’orgueil démesuré de l’homme.

J'aime beaucoup les conclusions qu'en tire Frans de Waal

" Redéfinir l'homme ne passera jamais de mode, et on saluera chaque nouvelle définition d'un : "mais oui, c'est ça!". Il y a encore plus honteux que cette manie humaine de se frapper orgueilleusement la poitrine - autre comportement typique des primates - c'est la tendance à dénigrer les autres. Et pas seulement les autres espèces : pensons à la longue histoire du mâle "caucasien" qui se déclare génétiquement supérieur à tout le monde. Le triomphalisme ethnique franchit les frontières de notre espèce lorsque nous décrivons les Néandertaliens comme des brutes épaisses...."

Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l'intelligence des animaux ?  est donc très intéressant et novateur. Il enrichit notre connaissance du monde animal et en cela, il est  passionnant. Par contre j’ai trouvé  la structure du livre un peu répétitive et touffue.

Lire aussi  Qu'est-ce qui fait sourire les animaux ? de Carl Safina. Voir ICI

Le chimpanzé Ayumu

Frans de Waal présente l'expérience réalisée par le primatologue Tetsuro Matsuzawa à Tokyo avec un chimpanzé nommé Ayumu dont la  mémoire étonnante rivalise avec celle des humains et la surpasse. Il n'a jamais été battu !

Ayumu est un jeune mâle qui, en 2007, a ridiculisé la mémoire humaine. Entraîné sur un écran tactile, il arrive à se souvenir d'une série de chiffres de 1 à 9 et à la taper dans l'ordre correct bien qu'ils apparaissent sur l'écran dans une disposition aléatoire et soient remplacés pas des carrés blancs dès qu'il commence à taper. Ayant mémorisé les chiffres, Ayamu touche les carrés dans le bon ordre. La réduction de la durée d'apparition des chiffres à l'écran ne semble pas le perturber, alors que les humains deviennent d'autant moins précis que le laps de temps raccourcit.


Si vous avez le temps, n'hésitez pas à regarder Ayumu et à vous mesurer à lui !


jeudi 21 janvier 2021

Antoine Choplin : Nord-Est

Dans Nord-est d'Antoine Choplin, des hommes, Garri, le sage, Jammar, le taciturne, Emmet le jeune adolescent naïf, Saul le poète muet, quittent le camp pour atteindre les plaines du Nord-est et il faut pour cela escalader de hautes montagnes, un long et pénible périple qui va solliciter leurs forces jusqu’à l’épuisement. Ils seront rejoints au cours du voyage par Ruslan, chercheur de pétroglyphes, inscriptions gravées dans la pierre par des hommes depuis longtemps disparus et par Tayna un jeune femme à la recherche de l’homme qu’elle aime, parti lui aussi vers ces plaines.

Petroglyphes

Le lecteur se pose des questions : Que faisaient ces personnes dans ce camp de prisonniers où la poésie même était interdite? Pourquoi sont-ils libres maintenant? Qui organise, et comment, la distribution de nourriture en camion? Pourquoi toutes ces maisons en ruines, brûlées par l’homme ou par un mystérieux cataclysme, qu’ils découvrent en chemin ? Vont-ils trouver le salut dans les plaines du Nord-est ? L’écrivain ne donne aucune explication. Le lecteur ne peut qu’imaginer.
Alors nous voyageons avec eux, sans avoir de réponses et sans chercher plus loin, pris dans la même urgence d’atteindre un but incertain. Peu à peu nous comprenons que ce voyage s’apparente à une quête mythique et que se poser des questions serait vain. Nous partageons la marche, les difficultés, les peines de nos compagnons taciturnes, peu enclins à se confier. Nous devinons leurs blessures secrètes. La poésie naît de  ce tête à tête avec la nature, des rencontres faites en route, de ces pétroglyphes qui s’effacent mais qu’il faut essayer de fixer avant leur effacement total, parce qu’il est important de sauvegarder la mémoire, fut-ce au péril de sa vie. Des passages saisissants nous touchent particulièrement, comme la mort du Vieux cheval, l’adieu à un de leur compagnon, le sacrifice de la chevelure de Tayna, la descente de la pierraille, l’ancien manège étouffé par la végétation. De belles scènes, très humaines, racontées avec sobriété et pudeur. Antoine Choplin a un style concis, de petites phrases courtes, au présent de l’indicatif. A priori, ce n’est pas le style que je préfère mais il a ici une force étonnante qui vous retient captif.  
Et la lecture du livre devient prenante, urgente, et l'on n'a plus envie de la quitter.

mercredi 20 janvier 2021

Jack London : quatrième bilan


Voici le quatrième bilan du challenge Jack London. Merci  à tous et toutes pour vos participations! je pensais qu'il était peut-être temps de fermer ce challenge, certains d'entre vous avouant leur lassitude. Et  puis non ! Beaucoup soufflent un peu mais ont l'intention de continuer leur lecture. 
Donc avis aux participants et à ceux qui auraient envie de s'inscrire maintenant, il est toujours temps, l'aventure London continue jusqu'à la fin Mars 2021 et plus si vous le désirez.
 
Pour ma part, j'aimerais bien relire les livres de mon enfance, L'appel de la forêt et Croc blanc, que j'ai laissés de côté au début du challenge pour découvrir le London qui m'était inconnu.

Je rappelle en quoi consiste ce challenge  :  Il s'agit de découvrir et de commenter des romans, des nouvelles et des essais de Jack London. On peut aussi lire des BD, voir des films qui sont des adaptations de ses oeuvres, et s'intéresser à sa biographie.
 
  La seule contrainte est de venir mettre un lien dans mon blog pour que je puisse noter les oeuvres lues et venir vous lire. (Pour trouver la page ou déposer les liens, cliquez sur la vignette du challenge Jack London dans la colonne de droite de mon blog).
 

 Les  titres les plus lus

Dans les livres les plus lus et les plus appréciés il y a son roman en partie autobiographique Martin Eden considéré bien souvent comme son chef d'oeuvre. 6 billets  Miriam a présenté aussi la critique du film de Pietro Marcello, l'adaptation moderne du livre.

Sa nouvelle Construire un feu  6 billets dont deux sur la BD de Chabouté, magnifique adaptation de cette nouvelle.

 Son essai Le peuple d'en bas ou le peuple de l'abîme, un témoignage réaliste et poignant de la misère du peuple à Londres 5 billets 

Le vagabond des étoiles, le roman qui a permis la réforme les conditions de détention dans les pénitenciers. Marylin présente une belle adaptation du livre avec la BD de Riff Reb. 5 billets 

 Lu pendant la pandémie son roman d'anticipation La peste écarlate a frappé les esprits et la comparaison avec notre époque a été très intéressante. 4 billets 

Et puis...

 Lili, elle est la seule a voir lu ce roman La vallée de la lune,  a peiné à le terminer et les idées de Jack London lui ont donné la nausée !

Les participants au challenge 

 


Aifelle   Le goût des livres   

 
 
 
 
 
 

 

 

 


 
 
 
 
 
 

   



 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 





 
 
 
 
 




Electra La plume d'Electra




 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
  
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

lundi 18 janvier 2021

Margaret Atwood : Graine de sorcière


Vous aimez le théâtre ? Vous idolâtrez Shakespeare ? Vous avez un faible pour sa pièce si étrange et complexe : La tempête ? Alors ce livre est pour vous et c’est un pur régal !

Félix est un grand metteur en scène, dans le style de ceux qui brillent et sévissent à la fois au Festival d’Avignon : Brillent parce qu’ils débordent  d’idées, n’hésitent pas à provoquer, à secouer les habitudes du public, à le mettre dans l’inconfort ! Sévissent parce que leurs provocations se font parfois au détriment de l’émotion, de l’authenticité du sentiment, et, ce qui est pire du sens, quand le metteur en scène cherche à se mettre lui-même en valeur au préjudice de l’auteur.
Quoi qu’il en soit Félix est directeur artistique du festival canadien de Makeshiweg et il laisse à son ami Tony l’entière responsabilité de la direction financière, des contacts avec les décisionnaires, avec les réseaux sociaux et les pouvoirs politiques. Cela ne l’intéresse pas.
C’est au moment où il monte La Tempête qu’il dédie à Miranda, sa fillette de trois ans qui vient de mourir, que Tony, s’appuyant sur un ministre de ses amis, prend le pouvoir et le démet de ses fonctions.  Seul Lonnie, le bras droit de Tony, lui manifeste un peu de sympathie.

Félix part se cacher loin de la ville, louant sous un faux nom un ancien bâtiment désaffecté où personne ne viendra le chercher. C’est son île déserte où il survit malgré le vide énorme, le chagrin dévastateur que lui a laissé la mort de sa petite fille survenue après celle de son épouse Nadia. Passent les années. Le fantôme de Miranda vit et grandit à côté de lui jusqu’à atteindre l’âge de la Miranda shakespearienne, quinze ans ! Félix réagit enfin et trouve un emploi dans une prison. Dans le cadre d’un programme pédagogique, il va enseigner le théâtre aux détenus. L’heure de la vengeance a sonné.*

Caliban de William Hogarth

La suite est une pure gourmandise, les discussion des détenus sur les personnages, leur manière de les voir révèlent les richesses de La Tempête tout en introduisant la vie et l’humour.
Chacun va juger en fonction de son instruction ou de son bon sens, de son âge, de son milieu social, de son passé plus ou moins mouvementé, des violences subies, de la pauvreté. C’est ainsi que Caliban, le fils de la sorcière Sycorax, devient pour certains la victime de la violence contre les peuples et les pauvres, le champion de la lutte des classes : Graine de sorcière, c’est lui qui donne son titre au roman. C’est ainsi qu’Ariel, l’esprit de l’air et ses petites fleurs, est une « tapette » que personne ne veut incarner, c’est ainsi aussi que les comédiens n’ont le droit de jurer que s’ils emploient les injures de Shakespeare et l’on s’aperçoit alors de la richesse de la langue du dramaturge dans ce domaine-là aussi !

Ariel, l'esprit de l'air

Quant à la vengeance proprement dite, je vous la laisse découvrir. Ne perdez pas de temps à vous demander si elle est réaliste. Nous sommes au théâtre et nous devons en accepter les conventions. Par contre, elle est d’une ingéniosité brillante car chaque personnage du roman va devenir personnage de la pièce ; ce qui nous révèle l’actualité de La Tempête, la constance à travers les siècles de la nature humaine tiraillée entre la lumière et l’obscurité, la pérennité du combat entre le Bien et le Mal et la corruption du pouvoir.

J’ai beaucoup aimé aussi quand les comédiens répondent à la question : que se passe-t-il après le dénouement de la Tempête ? Les réponses sont toutes d’un grand intérêt et donnent encore de nouveaux éclairages au texte comme si le génie de Shakespeare ne pouvait s’arrêter à la fin de la pièce.

Le livre est un donc un vibrant hommage à Shakespeare, il montre combien son théâtre s’adresse à tous, il peint la force de la littérature qui interroge, remue, change les mentalités de chacun.

À partir d’aujourd’hui, vous êtes des comédiens. Vous allez tous participer à une pièce ; chacun aura sa fonction, les anciens vous le diront. La Troupe du pénitencier Fletcher ne donne que des pièces de Shakespeare, parce que c’est le moyen le meilleur et le plus complet d’apprendre le théâtre.Shakespeare a quelque chose pour tout le monde, parce que son public regroupait tout le monde, des plus hauts placés jusqu’aux plus modestes et vice-versa."

* Si vous connaissez l'intrigue de la pièce de Shakespeare, vous avez noté la similitude existant entre Graine de sorcière et  Félix et  La Tempête et  Prospero. Si vous ne la connaissez pas, il y a un résumé de la pièce à la fin du roman de Margaret Atwood.

Et puis je vous renvoie à ce résumé et cette image d'une mise en scène donnée en 2017 par la compagnie Les têtes de Bois au festival d'Avignon. Voir ICI

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Dépossédé du duché de Milan, Prospero a trouvé refuge avec sa fille Miranda sur une île inconnue : là, régnant en maître sur le « sauvage » Caliban, il a appris l’art de la magie et dominé Ariel, un esprit de l’air.

Un jour, il déclenche une tempête qui fait s’échouer le navire transportant ses puissants ennemis : son propre frère, Antonio l’usurpateur ; Alonso, le roi de Naples, qui l’a trahi, accompagné de son frère Sébastien et de son fils Ferdinand ; Gonzalo l’ancien conseiller loyal de Prospero et tout leur équipage. Les rescapés se retrouvent en divers points de l’île, saufs mais séparés, ignorants du sort des autres.

La vengeance de Prospero est en place : tourmentés, les naufragés deviennent des marionnettes aux mains du cruel magicien. Sur cette île (dés) enchantée où les mauvais esprits croisent les bons génies, la tragédie du monde se rejoue : chacun, le temps d’un orage, sera confronté à lui-même…

J'ai écrit un billet sur cette pièce et cette mise en scène à l'époque ICI

Autres billets sur La Tempête dans mon blog  :

https://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2012/08/la-tempete-au-festival-davignon-par-le.html

https://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2012/07/de-la-tempete-de-skakespeare-the.html

Chez Myriam : La tempête d'Aimé Césaire  Ici

Prélude pour la Tempête de Shakespeare /L’Île de Prospero L.Durrell ICI

Qui veut (re)lire avec moi La Tempête en LC ? Disons pour le  mois d'Avril ?

 
Ariel