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jeudi 10 mai 2012

Pauline Klein : Alice Kahn




Elle est à la terrasse d'un café et elle n'attend personne. Un jeune homme s'arrête près d'elle qu'elle ne connaît pas et il l'interroge : "Anna?".  Il ne connaît pas Anna, il l'a rencontrée sur internet, c'est leur premier rendez-vous. Elle ne connaît pas Anna mais elle répond affirmativement. Alors, elle improvise, elle recueille des informations sur l'inconnue en le faisant parler, elle imagine, elle entre dans la peau du personnage. Désormais pour Williams, elle sera Anna …

Après, il faudra prendre un autre rendez-vous… Il faut tenir le rôle par petites parcelles qu'il mettra bout à bout, William, puisque c'est son nom et, de ces segments collés ensemble, il  fera quelque chose de moi, comme on fabrique un personnage avec des allumettes, en attendant de mettre le feu à l'échafaudage.

William est photographe : Son travail consiste à faire disparaître l'oeuvre photographique au profit du modèle. L'Anna qu'il voit devant lui se superpose à l'image qu'il se faisait d'elle. Chacun, à sa manière, va donc être créateur d'une femme qui ne vit que dans leur imaginaire.

Quant à la narratrice, elle existe désormais en double et peut-être en triple! En tant qu'elle-même, elle est cette enfant dont le père est parti après l'avoir rejetée violemment et qui s'est suicidé. Elle s'est créé un père imaginaire, parfait, bien sûr, tant qu'à faire! En tant qu'Anna, elle s'invente un travail, des goûts, une personnalité. Enfin, puisque qu'on lui demande quel photographe elle aime, elle "fabrique"Alice Kahn, une artiste qui va prendre vie grâce à elle.

 Alice Kahn, est le premier roman de Pauline Klein qui a travaillé dans le milieu de l'art, en particulier dans une galerie à New York. Ne vous attendez pas à une narration classique avec histoire d'amour à l'appui. Il s'agit plutôt d'une réflexion sur  l'identité, sur l'art, sur la création en général.
 Alice Kahn  crée de l'art à partir de rien. Un jour, elle entre au Musée de l'Art romantique avec un petit portrait encadré qu'elle dépose au milieu d'autres objets authentiques du musée. Je le regarde s'habituer et s'adapter à son nouveau milieu… Puis elle reprend le petit cadre en prenant bien soin d'être vue par le gardien : Le vigile s'avance rapidement vers moi avec son mauvais regard, demande que je repose l'objet immédiatement, c'est écrit juste là : "ne pas toucher". Mon petit portrait fait maintenant partie de l'exposition.

Le milieu artistique y est décrit de même que le snobisme des prétendus "connaisseurs" :  ainsi tout le monde feint d'apprécier l'oeuvre d'Alice Kahn lorsque Anna en parle sans savoir qu'elle n'existe pas! William, quant à lui, dénonce le marché de l'art qui n'a plus rien d'authentique :
Je vais te dire, les mecs qui s'y connaissent soi-disant, il sont juste bons à dépenser leur fric dans des trucs conceptuels auxquels ils ne comprennent rien pour avoir l'impression de faire partie d'un club…
On lit ce qu'on nous donne à lire, et on bouffe ce qu'on nous donne à bouffer. C'est pareil pour l'art, on n'a pas le choix que ce qu'on nous donne à voir.


Curieux petit livre que je ne comprends pas entièrement et qui est assez étrange et déstabilisant de prime abord.  L'effet de surprise dissipé, je cherche le sens et je crois le trouver dans cette phrase :  

Une image dans un cadre dont je suis spectatrice, et que je pourrais raconter, comme on raconte un rêve, à d'autres gens qui souriront, ou pas d'ailleurs, et me donneront leur interprétation, bonne ou mauvaise.

 Et si en fait, nous dit l'auteur, le monde n'était qu'une image? Et si en fait, être artiste mais aussi écrivain, c'est se trouver là pour le regarder et semer des petits cailloux en rassemblant des hasards pour en faire du sens!*

Je passe inaperçue, mais je dépose des traces de ma présence. Je vis pour me souvenir de mes moments d'absence.

Voir le billet de George

* interview de l'écrivain

mercredi 9 mai 2012

Audur Ava Olafsdottir : Rosa candida




Le jeune Arnljotur va quitter sa maison et l'Islande, pour être jardinier dans un pays éloigné où il aura à remettre en état un jardin et une roseraie magnifiques, célèbres par leur beauté, mais partiellement abandonnés depuis des années. Il laisse son père, très âgé et un peu dépassé, son frère jumeau autiste. Sa mère vient de mourir d'un accident de voiture, cette mère qu'il aimait tant et avec qui il partageait un même amour pour le jardinage et leur serre. Il laisse aussi une petite fille, bébé née d'une nuit d'amour rapide et sans suite, avec Anna qu'il connaissait à peine. Arnjoltur emporte avec lui - des boutures de Rosa Candida, une rose à huit pétales, pour les transplanter dans son jardin du bout du monde. Le récit raconte son voyage, ses rencontres, puis son installation dans ce village pittoresque au pied du monastère où Arnjoltur va  travailler. Il ne sait pas encore que Anna et son bébé vont venir le rejoindre. …

Quel livre agréable ce Rosa Candida, à lire comme une friandise qui fait du bien, comme une bulle de douceur et de tendresse dans un monde qui ne l'est pas tellement!
Ce qui fait l'intérêt du roman, ce sont les personnages attachants comme le jeune Arnljotur qui est à peine sorti de l'adolescence et déjà père, bien qu'il ne réalise pas très bien ce que cela signifie.
On pense à la mort. Quand on a un enfant, on sait qu'on mourra un jour.
Ses rapports avec les autres, sa manière d'envisager la vie, et d'assumer sa paternité, avec sérieux et gravité mais aussi avec naïveté et juvénilité, en fait un personnage charismatique et sympathique. D'autres personnages sont parfois un peu décalés voire déroutants, mais toujours très humains. Ainsi le père de Anrljodur, très âgé, au vocabulaire désuet, aux idées surannées, qui apprend à cuisiner à partir des recettes de sa femme pour continuer à vivre avec elle et parler d'elle à son fils. Ainsi ce vieux moine, le frère Thomas, un peu porté sur la bouteille, mais très attentif aux autres, qui puise les conseils et le réconfort qu'il apporte à Arnljotur non pas seulement dans la Bible mais aussi, en cinéphile averti, dans les films! Ceux-ci n'ont-ils pas réponse à tout?

On regardera Le Septième sceau demain soir, dit-il, comme ça on pourra continuer avec la mort.

Et Arnljotur a bien besoin de ce père spirituel, lui qui se pose tant de questions sur la mort, sur le sexe.
"Que veux-tu dire quand tu prétends penser continuellement à la mort?
- Comme ça, de sept à onze fois par jour - ça dépend des jours. Le plus, c'est tôt, le matin, quand je viens d'arriver au jardin, et puis tard le soir, dans mon lit." (…)
Je m'attends plus ou moins à ce qu'il me demande combien de fois je pense au corps et au sexe.(…)
S'il m'avait interrogé sur les plantes, la réponse aurait été la même. Je pense autant aux plantes qu'au sexe et qu'à la mort.

J'ai beaucoup aimé aussi les passages où le jeune homme parle de l'Islande à une étrangère. Comment décrire son pays, en effet, quand on a très peu de vocabulaire. Il faut trouver des équivalences et la beauté de ce pays renaît sous les mots du jeune islandais qui devient poète :

Je trouve qu'il est important que cette jeune fille étrangère - je dis jeune fille comme mon vieux père- se représente une plage de sable vaste et déserte, sans aucune trace de pas, et puis rien d'autre que la mer sans fin avec, peut-être, la crête des vagues qui écume au loin et puis le ciel infini par dessus. Je dis infini deux fois de suite parce que j'ai envie de lui faire comprendre ce que c'est de poser le pied dans aucune trace, d'aucun homme sur le sable noir de la grève…

Et c'est peut-être ce regard de poète qui donne au roman son charme, sa drôlerie, son étrangeté. Mais si l'écrivaine adopte un parti pris résolument optimiste (trop, diront certains!) elle ne tombe jamais dans la mièvrerie. Un roman  charmant.

Editions Zulma : Rosa candida

mardi 8 mai 2012

David Lodge : La Vie en sourdine

La vie en sourdine est le dernier roman de David Lodge dans lequel il a mis beaucoup de lui-même à commencer par sa surdité et la mort de son père.
Le titre anglais Deaf Sentence de même que les  phrases mal comprises et déformées par la surdité (ce qui donne lieu à des quiproquos incessants) sont difficiles à traduire sinon intraduisibles, comme l'écrivain le reconnaît lui-même, d'où l'hommage à ses traducteurs Maurice et Yvonne Couturier.
Le titre joue en effet, sur le jeu de mot entre death : mort et deaf : sourd.* La surdité est bien une condamnation à mort : mort sociale d'abord puisque l'impossiblité de suivre une conversation oblige Desmond, le héros du livre, professeur de linguistique retraité, à renoncer à une vie mondaine mais aussi à des conférences internationales qui auraient donné sens à sa vie et maintenu intacts ses centres d'intérêt intellectuels. Mort aussi car en s'enfonçant dans la surdité, Desmond s'engage  dans la vieillesse, sur un chemin où il n'y plus de retour possible.

lodge-1.1243778203.jpgDe plus le tragique de cette infirmité réside paradoxalement dans le fait  qu'elle est ... comique! Dans la comparaison qu'il dresse entre cécité et surdité, lors d'une brillante, érudite  et humoristique démonstration, Lodge démontre, en effet, combien le sourd fait rire ou irrite alors que l'aveugle s'attire attention, aide et commisération.
Le tragique par opposition au comique. Le poétique par opposition au prosaïque. Le sublime par rapport au ridicule.
Les prophètes et les voyants sont aveugles -Tirésias par exemple- mais jamais sourds. Imaginez-vous en train de poser une question à la Sybille et recevant pour toute réponse un : "quoi? Quoi?" irascible.
C'est ainsi que David Lodge explore, avec un humour parfois grinçant et  par l'auto-dérision, cette tranche de vie  des plus de 60 ans, qui se manifeste à travers son personnage par le besoin de trouver un sens à sa vie, malgré la cessation d'activité - selon la périphrase pudique qui désigne la retraite-  cessation de vie pourrait-on dire- encore aggravée par la surdité, qui lui donne l'impression d'être mis au rencart; par la baisse de la libido surtout lorsqu'on a une femme plus jeune, résolument active, par les dernières tentations sexuelles sous les traits d'une jeune étudiante un peu spéciale; par une visite à Auschwitz  qui est un écho à la mort du père et de sa première femme, Maisie, par la naissance d'un petit-fils qui rétablit un instant l'équilibre précaire...
Et enfin, il décrit, autre thème majeur, les rapports avec son père dans toute leur complexité,  révélant le fossé  social et intellectuel qui s'est créé entre le vieil homme qui a quitté l'école à quatorze ans et dont il dresse un portrait haut en couleur et lui, le fils,  universitaire distingué, relations douloureuses entre amour et refus, entre amour et culpabilité jusqu'à la maladie qui occulte les facultés mentales du vieillard et enfin sa mort.
On le voit le roman traite de thèmes tragiques  et pourtant  l'écrivain avec pudeur, dignité, refus de l'attendrissement, nous amène à en rire.
Un très beau roman, donc, où David Lodge aborde les problèmes d'un homme de son âge dans un récit qui alterne la première et la troisième personne comme pour mieux affirmer qu'il s'agit bien de lui mais aussi d'un autre, d'un journal intime mais aussi d'un roman, et, somme toute, d'une histoire qui nous concerne tous, jeunes et vieux, et que nous serons tous amenés, un jour ou l'autre, à expérimenter.
Les évènements de ces deux derniers mois ne cessent de déclencher en moi des échos et des résonnances de ce genre : la bougie votive vacillant dans l'obscurité parmi les gravats du crématoire d'Auschwitz et la bougie que j'ai mise sur la table de chevet de Maisie lorsqu'elle s'est endormie définitivement; les pyjamas d'hôpital et les uniformes rayés des prisonniers; le spectacle du corps nu et ravagé de papa sur le matelas de l'hôpital lorsque j'ai aidé à le laver et les photos granuleuses de cadavres nus entassés dans les camps de la mort. L'expérience de ces dernières semaines m'a servi en queque sorte de leçon. "La surdité est comique, la cécité tragique", ai-je écrit  plus tôt dans ce journal intime, mais maintenant il me paraît plus significatif de dire que la surdité est comique et la mort tragique, parce que définitive, inévitable, impénétrable.

*Le titre français, s'il ne peut rendre compte entièrement de ce jeu de mot, est très habile : La vie en sourdine joue, en effet, sur le jeu entre les mots sourd et sourdine, ce dernier impliquant que la vie a perdu son éclat,  son retentissement, qu'elle va être jouée en demi-teintes, avec un bémol à la clef. C'est aussi une annonciation de la mort qui passe par de nombreux renoncements.

Republié de mon ancien blog

lundi 7 mai 2012

La Liseuse de Paul Fournel




 Robert Dubois est éditeur, un éditeur en difficulté et dont la maison vient d'être rachetée. Car le problème avec Dubois c'est qu'il aime trop la littérature et que ses choix ne se portent pas toujours sur des auteurs qui se vendent mais sur des auteurs qu'il aime. Pour lui - être éditeur- ce n'est pas comme vendre des petits pains ou n'importe quel objet de consommation! En attendant, il croule sous des piles de manuscrits à la recherche d'un nouveau Proust même si, comme chacun sait, le phénomène reste rare, même si l'on court le risque, en plus, de ne pas le reconnaître! 
Un jour, Valentine, jeune stagiaire, entre chez lui et lui apporte une liseuse, un des ces instruments modernes, un e-Book, un I-pad, ou l'on ne sait quoi, dans lequel on peut enregistrer tous les manuscrits. L'éditeur, sceptique, interroge la jeune fille :

-Et j'avance comment?
- On tourne les pages dans le coin d'en bas avec le doigt.
-Comme un bouquin?
-Oui, c'est le côté ringard du truc. Une concession pour les vieux. Quand on ne se souviendra plus des livres, on se demandera bien pourquoi on avance comme ç
a.

Le ton est donné, vous l'avez compris, ce roman est plein d'humour et chaque page est un petit délice à croquer avec gourmandise! Si Robert Dubois représente la vieille génération, celle du papier, des amoureux des livres, et s'il se méfie de cet objet dangereux, la liseuse, surtout quand il s'endort dans sa lecture et qu'elle le blesse au nez, il n'est pas passéiste pour un sou! Désormais, c'est muni d'une liseuse, et donc léger, que Dubois part en week end dans sa maison de campagne avec Adèle, son épouse, pour lire des manuscrits. Et comme Robert Dubois a un esprit ouvert et qu'il aime la jeunesse, il aide Valentine et ses copains, tous stagiaires chez lui, à créer une maison d'édition en utilisant ces nouvelles technologies. Et des idées, ces jeunes de la nouvelle génération n'en manque pas! Cela donne lieu à des situations hilarantes comme lorsque Valentine apprend à Robert Dubois que Le Clezio a accepté de les aider en écrivant pour eux. Stupeur de Dubois qui interroge, sidéré :

-Le Clézio?
-Oui, le Clézio, le beau monsieur écrivain qui a gagné le prix Nobel. Le Mauricien blond.
- Comment tu as eu Le Clézio?
- Je lui ai demandé un rendez-vous, je l'ai rencontré, je lui ai demandé ce que je voulais. Il a réfléchi un moment. Il m'a dit oui….


Un culot d'autant plus amusant que la même Valentine, par contre, meurt de peur quand il s'agit de parler pour la première fois à une jeune écrivaine dont elle a aimé le livre, un premier. Pleine de trac, elle interroge son patron :

-Bon, je vais téléphoner. Comment on s'adresse aux auteurs?
-Par leur nom. Globalement, ce sont des êtres humains.

De l'humour, oui, mais pas seulement, Paul Fournel nous montre aussi les coulisses de l'Edition où l'aspect financier prime désormais, bien souvent, sur d'autres considérations et surtout sur celles de qualité et d'authenticité. Le nouveau directeur de la maison d'édition, Meunier, est un gestionnaire, pragmatique. Son but, faire entrer de l'argent! L'édition devient un marché comme les autres. La guerre entre les maisons d'édition, les intrigues pour passer à la télévision, dans les émissions littéraires, les jalousies, l'égo malmené des écrivains, tout n'est pas rose dans ce milieu et les coups bas ne sont pas rares. La médiocrité y règne parfois en maître. Et un certain pessimisme pointe sous la désinvolture apparente. Un jour Dubois se trouve dans une librairie, quelqu'un s'approche de lui et lui pose cette question qui sonne comme un glas :

Vous n'êtes pas Robert Dubois, le vieil éditeur?
Et puis il y a des moments graves, la vie… et la mort. Car c'est de cela qu'il est question! Elle survient, ici, sournoise, alors que l'on ne l'attend pas et pourtant l'on s'aperçoit qu'elle était là, bien (trop) présente. Mais heureusement, il y a les livres, ceux que l'on a toujours voulu lire, les grands, les universels, ceux qui aident à vivre, un rempart contre le malheur et la solitude, car être vivant, c'est lire!  :

Et lorsque j'aurais terminé la lecture du dernier livre, je tournerai la dernière page et je déciderai seul si la vie devant moi vaut la peine d'être lue.

 Avec La liseuse, Paul Fournel a écrit un bel hymne à la littérature que tous les amoureux des livres  devraient apprécier. Un bon roman!

dimanche 6 mai 2012

Un livre/Un film : Réponse à l'énigme N° 32 : La jeune fille et la perle : Vermeer, Tracy Chevalier, Proust






Le film de Webber  et le tableau de Vermeer

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Gagnent un Vermeer authentique :  Aifelle,  Dasola,  Eeguab,  Gwen, Jeneen,  Lire au jardin, Maggie, Marie-Josée, Miss Léo, Pierrot Bâton,  Shelbylee, Somaja, Tilia.

Le roman : Tracy Chevalier : La jeune fille à la perle

Le film :  Peter Webber : La jeune fille à la perle

Merci à tous et toutes pour votre participation ....



Le roman est  né de la fascination de Tracy Chevalier pour Vermeer et en particulier pour le tableau intitulé La jeune fille à la perle. On ne sait pas qui a servi de modèle réellement. Certains spécialistes pensent qu'elle peut être une des filles de Vermeer, d'autres une servante. Tracy Chevalier tranche et imagine qu'il s'agit effectivement d'une servante qu'elle nomme Griet. Elle lui prête vie en la dotant d'une identité et d'une histoire.
La  structure du récit respecte l'ordre chronologique des évènements et présente plusieurs grandes dates :

1664 :  Le père de Griet est ouvrier dans une fabrique de faïence mais il perd la vue dans un accident de travail et ne peut subvenir aux besoins de sa famille et de ses trois enfants. Griet s'engage comme servante chez les Vermeer. Commence alors une dure vie de labeur dans cette famille de six enfants. Mais la découverte de l'atelier de Vermeer, où elle doit faire le ménage sans déplacer un objet la remplit d'aise. En faisant le marché, elle fait connaissance d'un jeune boucher Pieter qui voudrait bien l'épouser. Bientôt, elle apprend que la peste sévit dans le quartier où habitent ses parents mais sa maîtresse ne lui donne pas l'autorisation de les rejoindre. Sa petite soeur Agnès meurt.

1665 : Chez les Vermeer, le peintre demande de plus en plus son aide à Griet car elle manifeste un goût esthétique sûr et a le sens des couleurs. Il lui apprend à préparer les piments.. L'admiration, la complicité et bientôt l'amour platonique  mais non dépourvu de sensualité qu'elle porte à son maître lui permet de supporter les difficultés de la vie et ces instants passés avec lui deviennent une trouée de beauté dans la grisaille de son existence. Cela lui permet de repousser sans se plaindre les avances brutales de Van Ruijven, le commanditaire de Vermeer,  les méchancetés de  Cornélia, la deuxième fille du maître.

1666 : Vermeer peint le portrait de la jeune fille en cachette de sa femme, Catherina, et lui fait porter ses perles avec la complicité de Maria-Thins, la mère de Catherina. Cette dernière, jalouse, chasse Griet qui perd sa place sans que le maître fasse un geste en sa faveur.

1667:  Griet à épousé  Pieter.  Après la  mort de Vermeer,  elle retourne retourne chez lui. Il lui a légué les perles par testament. Griet vend les perles et avec l'argent paie les dettes de son maître.


Johannes Vermeer : Vue de Delft

Un roman historique : Tracy Chevalier s'est largement documentée sur la vie et l'oeuvre de Vermeer mais aussi sur la société du XVII ème siècle à Delft.
La ville est alors un ville riche qui vit du commerce  de la faïence. Ceci est représenté dans le roman par le carreau de faïence que son père donne à Griet quand elle quitte la maison. Les ouvriers sont pauvres malgré un dur travail. La journée commence à l'aurore et se termine si tard que le père, épuisé, n'a plus le courage de manger quand il rentre chez lui.Ses bras sont marqués par les brûlures occasionnées par les fours.  Lorsque le père a un accident de travail et qu'il ne peut plus travailler, la famille sombre dans la misère malgré une aide - trop insuffisante- de la Guilde. Griet explique qu'ils n'ont pas mangé de viande depuis des mois.

Tracy Chevalier  sait aussi faire vivre la ville Delft, animer les rues, les marchés,

Chacune de ces étroites maisons de brique, chacun de ces toits rouges en pente raide, chacun de ces canaux verdâtres, chacune de ses portes demeuraient à jamais dans mon esprit, minuscule mais distinct.

Johannes Vermeer : La ruelle

La ville est partagée entre deux communautés religieuses. L'une dominante, les protestants, l'autre minoritaire, les catholiques, peu nombreux et seulement tolérés dans la ville. Cela va poser bien des problèmes à Griet qui est protestante et vivre dans une maison catholique l'inquiète. Le tableau représentant le Christ en Croix entouré de la Vierge et des saints, qui orne la salle, la sidère.

Cette pièce resterait toujours pour moi la pièce de la crucifixion. Jamais je ne m'y sentis à l'aise.

L'écrivain nous fait pénétrer dans les maisons bourgeoises que nous connaissons par les tableaux de l'âge d'or (XVII siècle hollandais), salles aux fenêtres formées de petits carreaux lumineux, avec leurs cuivres brillants, leurs lourdes tentures en velours ou en soie, les meubles noirs marquetés, le sol au carrelage coloré et vernissé, luisant de propreté, mais aussi dans l'envers du décor, celui des servantes. Nous voyons quel est le travail que Griet doit accomplir, sa position sociale, qui est au bas de l'échelle, les humiliations, les offenses qu'elle est obligée d'accepter pour ne pas perdre sa place et ne pas réduire sa famille à la misère.


Le film
Si la vision historique et sociale est réussie dans le roman, le film l'est tout autant de ce point de vue. Les images nous font pénétrer dans des tableaux vivants et surtout dans les intérieurs des peintures de Vermeer. Les lumières, les couleurs sont splendides et font de ce film un enchantement, imitation parfaite de l'atmosphère du Maître.
Il est dommage que le réalisateur sacrifie les personnages secondaires des enfants à quelques exceptions prêts. A part Cornélia  qui a un rôle important, on n'aperçoit et on entend que très peu les autres. Ils auraient pu constituer un second plan qui aurait donné vie et authenticité à la maison de Vermeer doté de six enfants. Ce n'est pas rien! Tracy Chevalier, elle, a eu le talent de les faire vivre par petites touches de manière à ce qu'ils fassent un contrepoint discret mais permanent au récit.

Une histoire d'amour douloureuse et un roman d'initiation

Griet la narratrice est aussi le personnage principal. Si elle a beaucoup de bon sens, est sérieuse et minutieuse et est habituée au travail domestique chez sa mère, elle n'en est pas moins une très jeune fille, inexpérimentée. Elle n'a jamais quitté sa famille et la séparation est difficile. Elle a  seulement 16 ans. Naïve, spontanée, elle ne sait pas cacher ses sentiments. Dotée d'un solide sens moral et de principes, elle va vite perdre ses illusions sur la société. L'apprentissage qu'elle va recevoir chez Vermeer, n'est pas seulement celui du travail. Elle y apprend aussi l'humiliation, les violences quand elle doit se défendre des agressions de Van Ruiyven. Elle apprend aussi quelle est sa place : au bas de l'échelle sociale. Elle comprend que, servante, elle n'a droit à aucune considération. Son maître, même s'il est troublé par sa beauté, même si elle le surprend par son intelligence et sa sensibilité, l'utilise, la manipule. Il n'hésite pas à la sacrifier à sa femme lorsque le tableau est terminé. Griet s'enfuit de cette maison,  C'est une expérience qui la marque pour la vie. Lorsqu'elle a vendu les perles et payé les dettes du Maître, Griet conclut par cette phrase désenchantée  :

La dette désormais réglée, je ne lui aurais rien coûté. Une servante, ça ne coûtait rien.

 Scarlett Johansson

Le film
L'interprétation de Scarlett Johanson  dans le film est sublime. Elle intériorise tous ses sentiments,  les laissant  deviner à travers une attitude corporelle, un regard. L'indentification avec la jeune servante est parfaite, la métamorphose qui fait de la figure vivante une icône peinte est fabuleuse!

J'ai beaucoup moins aimé Colin Firth (que les fans de l'acteur me le pardonne... si c'est possible) dans le rôle de Vermeer. Il n'y aucune évolution dans son jeu. Du début à la fin, il joue ce rôle d'homme accablé, renfrogné, au regard vaguement neurasthénique. Son visage est peu expressif.

Un hommage à la peinture de Vermeer

Tracy Chevalier fait allusion à plusieurs tableaux de Vermeer.


La laitière :
Taneke se redressa, un bonnet à la main et me dit : Le maître a fait une fois mon portrait, tu sais. Il m'a représentée en train de verser du lait. Tout le monde a dit que c'était son plus beau tableau.
Il y eut bien chez les Vermeer, une servante illettrée qui s'appelait Tanneke Everpoel. Un rapport de police mentionne que celle-ci sauva Catarina "enceinte au dernier degré" des coups que lui portaient son frère Willem Bolnes. Ce récit est rapporté dans le roman de Tracy Chevalier. Mais on ne peut être certain que la laitière soit bien Tanneke.





La femme à l'aiguière que Griet appelle la fille du boulanger ; celle-ci à froid pendant les poses et Griet doit aller lui chercher une chaufferette. C'est le tableau que Vermeer est en train d'exécuter lorsqu'il demande à Griet quelle est la  couleur des nuages.

Il passa un bleu pâle sur la jupe de la jeune femme et celui-ci se transforma en un bleu moucheté de noir, que l'ombre de la table rendait plus foncé, et qui s'éclaircissait près de la fenêtre. Au mur, il ajouta de l'ocre jaune laissant entrevoir du gris, le rendant lumineux mais non pas blanc.

 La dame à l'aiguière semble une réplique de La laitière mais transposée dans un milieu différent. L'une des scènes se passe dans une cuisine, l'autre dans un salon, à la cruche en poterie répond l'aiguière, à la chaufferette posée par terre, la boîte à bijoux sur la table, à la simple nappe, un lourd tapis rouge, à la robe en gros drap usagé, la robe en satin de soie que l'on appelle caffa en Hollande.  La coiffe blanche à longs pans de la dame est en lin fin immaculée, celle de la laitière est plus grossière. L'aiguière, précieuse, en vermeil doré, posée sur un bassin est un riche legs de Maria Thins à sa fille Catarina. Bien que la femme soit d'une condition supérieure à  celle de la laitière, on ne peut répondre avec certitude à cette question :  La dame à l'aiguière est-elle Catarina?*

* d'après un article de Michel Daubert




Le concert où Van Ruiyven a réellement posé.

Une jeune femme joue du virginal. Elle porte un corselet jaune et noir.... une jupe de satin blanc et des rubans blancs dans les cheveux. Debout dans la partie incurvée de l'instrument, une autre femme chante, une partition à la main. Elle porte un peignoir vert garni de fourrure au-dessus d'une robe bleue . Entre les deux femmes, un homme est assis, il nous tourne le dos..
"Van Ruiyven, interrompit mon père
-Oui. On ne voit que son dos, ses cheveux et sa main posée sur le manche du luth.
-Il en joue bien mal, s'empressa d'ajouter mon père.
-Oui, très mal. Voilà pourquoi il nous tourne le dos; pour nous cacher qu'il n'est même pas capable de tenir son luth correctement.



La jeune fille au verre de vin

Rappelle-toi la dernière fois avait insisté Maria Thins, soucieuse de lui rafraichir la mémoire. Oui, la servante! Souviens -toi de Van Ruijven et de la servante à la robe rouge!
Il semblerait que Van Ruijven ait voulu qu'une de ses filles de cuisine pose pour lui pour un tableau. Ils l'ont vêtue  d'une des robes de son épouse et Van Ruyjven a veillé à ce qu'il y ait du vin dans le tableau pour la faire boire chaque fois qu'ils posaient. Bien sûr elle s'est retrouvée enceinte de Van Ruijven avant que le tableau soit terminé.


Mrs Van Ruijven : La dame au collier de perles

Lorsque Griet, à la demande de son maître, regarde dans la boîte noire :

Je voyais la table, les chaises, le rideau jaune dans l'angle, le mur noir sur lequel etait accrochée la carte, le pot céramique miroitant sur la teble, la coupe en étain, la houpette, la lettre.
Le lendemain :
Si jusque-là je n'avais remarqué que d'infimes changements, cette fois j'en  remarquais un bien évident, la carte, accrochée au mur, derrière la femme, avait été retirée du tableau et aussi du décor. Le mur était nu. Le tableau n'en paraissait que plus beau, plus sobre, les contours de la femme ressortaient mieux sur cet arrière-plan qu'était le mur.

Un vrai bijou une fois de plus, disait Van Rujven, vous plaît-il ma chère? demanda-t-il à son épouse.
-Bien sûr, répondit-elle. La lumière du jour qui entrait par les fenêtres éclairait son visage, la rendant presque belle.



La jeune fille en jaune écrivant une lettre

Je respirai à peine puis d'un geste rapide, je tirai sur le devant de la nappe bleue, donnant ainsi l'impression qu'elle sortait de l'ombre, puis j'en rabattis un pan, dégageant un angle de table devant le coffret à bijoux. j'arrangeai les plis, puis je reculai pour voir l'effet produit. L'étoffe ainsi pliée suivait la forme du bras tenant la plume.


Marcel Proust et Johannes Vermeer

 




 Marcel Proust admirait Vermeer. Dans à La recherche du temps perdu, voilà ce qu'il écrit sur Vue de Delft :
Enfin, il fut devant le Ver Meer, il se le rappelait plus éclatant, plus différent de tout ce qu'il connaissait, mais où, grâce à l'article du critique*, il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et, enfin la pernicieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étourdissements augmentaient; il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu'il veut saisir, au précieux petit pan de mur. "C'est ainsi que j'aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune."

*Critique : Jean-Louis Vaudoyer



Challenge de Shelbylee 


samedi 5 mai 2012

Un livre /Un film : Enigme n°32



Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.

Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
 
Enigme n°32
Ce roman initiatique est écrit par une romancière américaine contemporaine et raconte l'histoire d'une jeune fille vivant au XVII siècle qui fait l'expérience difficile de la vie. Je n'en dis pas plus, le texte qui suit est explicite :

Toutes ces années passées à aller chercher de l'eau, à essorer des vêtements, à laver par terre, à vider des pots de chambre, sans espoir d'entrevoir la moindre beauté, couleur ou lumière dans ma vie, défilèrent devant moi comme une immense plaine, au bout de laquelle on apercevrait la mer sans jamais pouvoir l'atteindre.  S'il ne m'était plus possible  de travailler avec  les couleurs, sil ne m'était plus possible d'être auprès de lui, je ne savais comment je pourrais continuer à travailler dans cette maison.

jeudi 3 mai 2012

Des mots, une histoire : Un parfum d'Eternité



Goya : Saturne dévorant ses enfants

Un parfum d'Eternité

Elle bégaye, l'Eternité
Elle joue à tu et à toi... avec moi!

Merveilleuse, elle se pare des plumes de l'oiseau
Elle se mire dans le soleil, L'Eternité,
Elle me fait de l'oeil. Il n'est jamais trop tard,
Elle agite les clochettes du muguet
Comme un prélude à un duel amoureux,
Distille la lettre de son parfum
Comme dans un film interdit, aux images sans tain,
Princesse déchue, L'Eternité,
Vieille catin aux rondeurs du temps passé
Avec son pelage râpé,  fugitif,
mité
                   galeux
                                       toxique
 Elle fond sur moi,
Charriant avec elle comme la Tornade,
Un goût de carnage, et de chairs déchirées,
Et son parfum d'Eternité.



 Les mots imposés pour l’édition 63 de Des mots, une histoire d'Olivia sont
 tard – pelage – lettre – muguet – tornade – prélude – oiseau – temps – plateau – duel – éternité – bégayer – toxique – merveilleuse – soleil – film – fugitif – interdit – carnage. J en'ai pas employé le mot plateau.

Louis Bayard : L'héritage de Dickens




Avec L'héritage de Dickens, Louis Bayard nous livre un roman policier sur fond historique qui est aussi un hommage à Charles Dickens

Vous vous souvenez du pauvre enfant infirme et souffreteux, rencontré dans Un conte de Noël de Charles Dickens, Timothy Cratchit? Le père du jeune garçon travaillait chez Mr Scrooge, un vieillard, avare et dur,  qui le payait si mal qu'il n'avait même pas de quoi faire vivre sa famille, et encore moins  faire soigner son fils!  Vous vous souvenez comment ce soir de Noël, Mr Scrooge voit apparaître trois spectres qui vont lui révéler l'affreuse solitude qui sera la sienne s'il continue à être aussi pingre et sans coeur? Et comment Scrooge revenu à de bons sentiments se fait le protecteur de la famille Cratchit et de Tim en particulier qu'il fait opérer.
Si vous n'avez pas oublié ce petit garçon exemplaire et méritant, vous aurez le plaisir de retrouver le jeune garçon devenu adulte, de savoir ce qui lui est arrivé et quelles ont été ses relations avec le "bon" Mr Scrooge  que nous retrouvons comme personnage secondaire du roman.
Vous n'avez pas lu ce conte? Ce n'est pas grave! Cela ne vous empêchera pas d'apprécier ce roman qui se passe à l'époque victorienne à Londres et dans lequel l'auteur se plaît à nous faire une peinture  de la société de cette période et nous introduit ainsi dans les bas fonds de la ville, là où un riche lord dépravé va chercher ses victimes. Car il s'agit d'un thriller sur fond historique, le suspense se mêlant à l'Histoire d'une heureuse façon.

Nous sommes en 1860, vingt ans après le récit raconté dans Un Conte de Noël, Timothy Cratchit à la mort de son père se retrouve sans le sou, refusant de quémander de l'aide à son tuteur, Scrooge. Il trouve à se loger gratuitement dans un bordel contre des leçons de lecture dispensées à la tenancière, Mrs Sharpe, qui souffre d'être analphabète. Entre deux cours, il gagne un peu d'argent en allant repêcher les noyés de la Tamise avec son vieil ami le capitaine Gully. Cependant, Tim, est bouleversé de découvrir des cadavres de petites filles portant une  lettre mystérieuse tatouée sur le corps. Il est bien le seul à s'émouvoir; la police a bien d'autres choses à faire que  de retrouver le meurtrier de misérables orphelines que personne ne vient réclamer! Sa rencontre avec Philomela, une petite italienne, poursuivie par un homme inquiétant, va le lancer dans un enquête qui mettra sa vie en péril... et pas seulement la sienne! Il est aidé dans sa quête par le capitaine Gully et par Colin, un petit Gavroche londonien qui n'a pas froid aux yeux!

L'intrigue à rebondissements, témoigne d'une imagination fertile. Louis Bayard nous malmène, nous secoue, nous tire d'un danger rocambolesque pour nous précipiter dans un autre, nous balade dans un roman noir où sévissent des êtres sordides et sans pitié. Nous sommes dans un roman à la Wilkie Collins ou à la Eugène Sue. Les personnages  sont bien sympathiques même lorsqu'il sont un peu filous comme l'est Colin. Les méchants sont ... méchants à souhait!  Bref! un plaisir de lecture qui n'est pas à bouder!
La description de Londres à l'époque victorienne avec ses bas-fonds, ses ruelles sordides, ses pauvres habitations, ses enfants des rues, est très vivante. On retrouve bien  la misère que décrivait Dickens et le petit Colin est un personnage qui pourrait figurer dans la troupe des enfants voleurs de Olivier Twist. Louis Bayard peut même aller plus loin dans la description en peignant la vie dans un bordel, ses prostituées mais aussi ses bons bourgeois ou nobles hypocrites qui les fréquentent, description que la société victorienne prude et bien pensante, à l'époque de Dickens, n'aurait pu admettre dans un roman.
Et puis il y a le plaisir, bien sûr,  d'une lecture au second degré, en retrouvant Tim mais aussi Scrooge, plaisir de faire des retours en arrière par rapport au Conte de Noël de Dickens. Et force est de constater que Louis Bayard  s'est fait un malin plaisir de revisiter le conte moral de Dickens, et non sans ironie, de traiter les personnages à sa manière, avec irrévérence envers l'aspect édifiant du conte.



Louis Bayard est un écrivain américain, auteur de Un oeil bleu pâle, La tour noire... 


Ce roman se déroule à l'époque victorienne et rend hommage à Dickens. Il mérite donc de figurer dans le challenge d'Aymeline

mercredi 2 mai 2012

Anne Brontë : Agnès Grey,



 Anne Brontë par sa soeur Charlotte

Enfin! J'ai pu lire le roman de Anne Brontë, Agnès Grey, grâce aux livres gratuits chargés sur mon Kindle, complétant ainsi ma connaissance des talentueuses soeurs Brontë.

Agnès Grey est la fille d'un pasteur modeste. Sa mère, une lady, a dû rompre avec sa famille pour pouvoir se marier. Cette femme, digne et courageuse, vit modestement avec son mari et ses filles dont l'amour compense, à ses yeux, la perte de sa fortune et de son rang social. Mais le pasteur qui sent sa santé décliner cherche à accroître ses revenus pour ne pas laisser sa famille dans l'embarras. Peu doué pour les affaires, il fait faillite. Sa fille Agnès, pour aider ses parents, se place alors comme éducatrice dans une famille de riches parvenus puis de nobles ruraux. Elle fait ainsi le dur apprentissage de la servitude et c'est avec persévérance qu'elle affronte les difficultés de la vie faite de travail et d'humiliations. Cela ne l'empêche pas de ressentir un doux sentiment pour le vicaire de M. Weston. Mais celui-ci saura-t-il distinguer la jeune fille au milieu des nobles demoiselles qui la méprisent?

 Anne, écrivain et poète, née en 1820, la dernière des six enfants Brontë, est loin de la sensibilité exacerbée d'Emily, du romantisme morbide et sauvage des Hauts de Hurlevent, de ses personnages farouches et sombres, de son irrespect des convenances et du bon goût. Elle n'est pas non plus, comme la Charlotte de Jane Eyre, qui flirte avec la folie et la mort dans un château lugubre qui cache ses secrets.. Si elle ressemble à Charlotte, c'est plutôt à celle qui a écrit Le Professeur, enseignante dans une pension de jeunes filles et amoureuse du professeur de ces demoiselles.

Le roman est en grande partie autobiographique. Anne Brontë, fille de pasteur, s'inspire de son expérience de gouvernante dans des maisons bourgeoises. Elle ne laisse, en aucun cas, libre cours à son imagination. Comme Agnès Grey, elle entre comme préceptrice chez des gens qui la chassent après quelques mois. Puis elle reste au service d'une autre famille pendant des années. Son récit est donc réaliste et même moralisateur. Elle y parle de l'éducation des enfants, donne son avis de pédagogue, déplore le manque de cohérence des parents dans l'éducation de leur progéniture et dénonce leur incapacité à leur inculquer des principes moraux.
Anne, dont c'est le premier roman,( elle en a écrit deux) a l'art du portrait. Elle parvient à saisir les traits de caractère de ses personnages pour bien les camper, mette en valeur ce qui les distingue, peindre leurs travers, leurs faiblesses ou leurs forces.  Elle peut même avoir la dent dure envers ces riches nobles, ces dames uniquement préoccupées de paraître, ces clergymen plus soucieux de briller et de faire fortune que de servir Dieu.

M. Hatfield avait coutume de traverser rapidement la nef, ou plutôt de la traverser comme un ouragan, avec sa riche robe de soie voltigeant et frôlant la porte des bancs, et de monter en chaire comme un triomphateur monte dans le char triomphal; puis se laissant tomber sur le coussin de velours dans une attitude de grâce étudiée, de demeurer dans un silencieux prosternement pendant un certain temps... ensuite de retirer un joli gant parfumé pour faire briller ses bagues aux yeux de l'assistance, passer se doigts à travers ses cheveux bien bouclés, tirer un mouchoir de batiste.... 

On voit qu'elle utilise la satire avec une certaine férocité!  En cela, elle ressemble un peu à Jane Austen, l'humour en moins! Elle ne manie pas comme cette dernière l'ironie savoureuse qui fait des oeuvres de Jane Austen des petits bijoux d'intelligence et de finesse, bref, elle n'égale pas la grande romancière mais elle a un talent incontestable pour peindre les milieux sociaux. Elle sait le faire sans tomber dans le manichéisme, en sachant rendre les nuances. Les jeunes filles dont elle s'occupe ont chacune leurs défauts mais Agnès ne peut s'empêcher d'éprouver pour elles un certaine affection et même parfois de la compassion. Ainsi Rosalie, coquette, frivole, légère qui fait tout pour s'attirer les compliments de ses cavaliers servants tout en n'ayant que du dédain pour eux, surtout s'ils sont pauvres, sera la victime de son caractère et de l'éducation liée à son milieu. Elle épousera un homme riche et titré mais pervers et cruel qui fera son malheur.
Anne Brontë sait aussi peindre les humiliations subtiles que doit subir au jour le jour une subalterne. Elle montre combien le mépris des grands fait du mal quand on n'a pas d'autre avenir que de les servir, et combien leur indifférence est plus difficile, encore, à supporter que leur méchanceté. Agnès Grey, quand ses jeunes maîtresses sont avec leurs amies et leurs soupirants n'existe pas. Sa présence est niée, personne ne la voit, ni ne lui parle. Elle est effacée, gommée. Ce qui n'empêche pas ces hauts personnages de l'exploiter malgré leur richesse en la sous-payant, ni d'avoir eux-mêmes les défauts qu'ils ne supporteraient pas chez leur employée!

Et si, en parlant, leurs yeux venaient à se poser sur moi, il semblait qu'ils regardassent dans le vide, comme s'ils ne me voyaient pas où étaient très désireux de paraître ne pas me voir...
Pourtant, n'allez pas voir en Anne Brontë, une révolutionnaire ni même une contestataire! Elle déplore qu'Agnès soit traitée comme une simple domestique parce qu'elle juge sa position supérieure! Pauvre, certes, mais fille de pasteur, bien éduquée, vertueuse, ayant les manières pour vivre dans le monde, instruite, elle aime les livres et est une bonne latiniste, Agnès est humiliée que l'on ne reconnaisse pas sa juste valeur.
D'autre part, Anne Brontë fait preuve d'un sentiment féministe discret en dénonçant les brutalités d'un mari qui a le droit de négliger sa femme, de mener une vie dissolue et  d'exercer sur elle son autorité sans qu'elle ait son mot à dire. Pour Anne, une femme doit être intelligente et instruite. Pour le reste, elle a des idées conventionnelles sur l'éducation des filles. Ainsi Mathilde qui aime l'équitation et a une passion pour les chevaux et la chasse, qui imite le langage et les attitudes des hommes, est jugée comme mal éduquée. Il lui faudra obéir aux règles de bienséance, de retenue, et renoncer à ses goûts pour remplir comme elle le doit son rôle de femme.
Quant à l'amour, comme chez Jane Austen et aux antipodes d'Emily Brontë, Anne pense qu'il doit être raisonnable, contrôlé et vertueux. Il est fondé sur l'estime et la valeur de chacun.

Les soeurs Brontë représentent la frontière entre romantisme et réalisme de l'époque victorienne.  Si Emily me paraît très romantique par sa violence,  les sentiments exacerbés, la peinture des paysages âpres et déserts, l'aspect torturé de ses personnages, nous voyons combien les préoccupations, les idées et le style d'Anne Brontë en sont éloignés tout au moins dans ce livre. Reste à lire son deuxième roman : La locataire de Wildfell Hall... si je le trouve en français!


Publication par le groupe Ebooks libres et gratuits
adresse du site : http://www.ebooksgratuits.com

Challenge victorien de Aymeline

mardi 1 mai 2012

De retour à Avignon



Lozère


Me voilà de retour et mon blog reprend normalement dès demain. La Lozère sous la pluie, le vent, le froid.. des paysages hivernaux...  Pire que sur la photo!

lundi 30 avril 2012

Christian Bobin : le temps passé à lire…La Folle Allure


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Helen Galloway Mc Nicoll : premier peintre impressionniste canadien
Musée des Beaux-Arts Montréal

Le temps passé à lire n'est pas vraiment du temps. Allant d'une page à l'autre, je passe des frontières, j'entre dans des maisons endormies, c'est la fugueuse en moi qui lit et aucun gendarme ne peut la retrouver avant qu'elle ait atteint la dernière phrase, levé la tête vers le ciel qui était bleu au début du premier chapitre et qui maintenant est noir. J'ai vingt-sept ans mais les lecteurs n'ont pas d'âge. Il n'y a qu'une enfance laissée à ses jeux dans la rue, bien après dix heures du soir.
La Folle Allure de Christian Bobin

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     Auguste Renoir : Claude Monet 1873
             musée des Beaux-Arts de Washington

dimanche 29 avril 2012

Un Livre/Un film : Madame Le Prince de Beaumont La belle et la Bête



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Nous publierons à notre retour la liste des vainqueurs
Le conte : La belle et la Bête de Madame Le Prince de Beaumont :
La pièce de théâtre :  la belle et le Bête d'Alexandre Arnoux
Le conte : La chatte blanche de madame d'Aulnoy
Le film : La belle et la Bête de Jean Cocteau ; acteur Jean Marais; chef opérateur : Alekan

Merci à tous et toutes pour votre participation ....



Jean Cocteau s'inspire pour réaliser La Belle et la Bête du conte de Jeanne-Marie Le Prince de Beaumont et d'une pièce de théâtre d'un écrivain belge Alexandre Arnoux (que je ne connais pas). Il emprunte certains détails au conte La chatte blanche de madame d'Aulnoy.
 Jeanne-Marie Le Prince de Beaumont est née à Rouen en 1711 dans une famille d'origine modeste. Elle épouse le marquis Le prince de Beaumont qui meurt dans un duel en 1745. Son veuvage l'oblige à gagner sa vie. En 1748, elle publie un roman Le triomphe de la Vérité et émigre en Angleterre où elle devient gouvernante d'enfants de la haute société angalise. Avec le soutien de son ami Daniel Defoe, qui l'encourage à écrire, elle fait paraître des recueils qui assurent sa célébrité. Elle  écrit des oeuvres pédagogiques et morales. Le Magasin des enfants ou Dialogues entre une sage Gouvernante et plusieurs de ses élèves de la première distinction,(Londres 1757), est un recueil de contes de fées dont La Belle et la Bête est le plus connu. Le Magasin des Adolescentes (Londres, 1760), qui lui fait suite, contient d’autres contes, des récits de la Bible et de l’histoire romaine et des conseils moraux : Elle se remarie avec M. Pichon Tyrelle un normand naturalisé anglais. Elle meurt près d'Annecy en  1780.

La Belle et la Bête conte l'histoire d'un marchand, père de trois garçons et de trois filles, dont l'une, nommée la Belle, est douce et bonne, contrairement à ses soeurs vaniteuses et méchantes. Le vieil marchand ruiné se rend à la ville où il apprend la perte du dernier de ses navires. Lors de son voyage de retour, en plein hiver, il se perd dans la forêt et découvre un château merveilleux où il est accueilli avec générosité mais sans qu'il puisse voir son hôte.. Le lendemain, au moment où il s'apprête à partir, il cueille une rose pour sa fille Belle et aussitôt une bête apparaît qui lui demande sa fille en échange de sa vie. De retour chez lui, le père conte ce récit à ses enfants et Belle accepte de partir chez la Bête pour le sauver.  Elle va vivre avec la Bête et peu à peu apprendre à l'aimer. Cet amour permettra à la Bête de se délivrer du sort jeté par une fée et de redevenir un prince.


Le conte de madame le Prince de Beaumont présente deux mondes très différents : celui de la féerie avec l'intervention du fantastique que Cocteau a exploité merveilleusement, le château enchanté, le jardin plein de roses au milieu de l'hiver et de la neige, la bague magique, le miroir qui permet de voir des scènes lointaines.

Un monde bien réel et qui est une observation de la société de son temps : un marchand ruiné par la perte de ses navires; la déchéance sociale, le bourgeois aisé devient agriculteur, des filles à marier (les soeurs de Belle) auxquelles il faut impérativement une dot, trois fils à  qui il faut donner un métier.

Le thème principal du conte est l'idée qu'il ne faut pas juger les autres sur l'apparence extérieure. Sous la monstruosité de la Bête se cache une beauté intérieure que la Belle sait discerner, apprécier et enfin aimer parce qu'elle en est digne.
La Belle et la Bête est un conte moral : La Belle qui est généreuse, bonne sera récompensée. Elle découvrira le véritable amour alors que ses soeurs envieuses, jalouses, intéressées et incapables d'aimer, seront punies et transformées en statues.

Si Jean Cocteau s'inspire principalement pour réaliser La Belle et la Bête du conte de Jeanne-Marie Le Prince de Beaumont, il emprunte certains détails au conte de La chatte blanche de madame d'Aulnoy.
 Marie-Catherine d'Aulnoy ( 1651- 1705) est l'auteur de contes merveilleux : L'oiseau bleu, La chatte blanche, La belle aux cheveux d'or,   le nain jaune, la biche au bois .... dans lesquels elle allie à la description du Merveilleux, une satire de la société française du XVII siècle.

Dans La Chatte blanche, malgré de grandes différences dans le récit, le lecteur découvre une situation analogue  à celle du  marchand magnifiquement reçu dans une demeure enchantée mais puni parce qu'il dérobe une rose. Ici, c'est un jeune prince qui est accueilli avec faste dans un riche palais mais lorsqu'il veut s'emparer d'une chaîne de diamants, il est retenu par des mains sans corps. Cocteau a pris, ici, les images des mains tenant des flambeaux et montrant le chemin à la Belle quand elle arrive dans le château de la Belle. Dans La Belle et la Bête, c'est le prince qui a été transformé en bête par une fée, dans La chatte blanche, c'est un princesse qui a été métamorphosée en chatte.


Extrait de la chatte blanche
Il revint à la porte d'or, il vit un pied de chevreuil attaché à une chaîne toute de diamants, il admira cette magnificence, et la sécurité avec laquelle on vivait dans le château: «Car enfin, disait-il, qui empêche les voleurs de venir couper cette chaîne, et d'arracher les escarboucles? Ils se feraient riches pour toujours.»
Il tira le pied de chevreuil, et aussitôt il entendit sonner une cloche qui lui parut d'or ou d'argent, par le son qu'elle rendait; au bout d'un moment la porte fut ouverte, sans qu'il aperçût autre chose qu'une douzaine de mains en l'air, qui tenaient chacune un flambeau. Il demeura si surpris qu'il hésitait à s'avancer, quand il sentit d'autres mains qui le poussaient par derrière avec assez de violence. Il marcha donc fort inquiet et à tout hasard, il porta la main sur la garde de son épée; mais en entrant dans un vestibule tout incrusté de porphyre et de lapis, il entendit deux voix ravissantes qui chantèrent ces paroles
Des mains que vous voyez, ne prenez point d'ombrage,
Et ne craignez en ce séjour,
Que les charmes d'un beau visage,
Si votre cœur veut fuir l'amour.

samedi 28 avril 2012

Un livre/un film : Enigme n° 31





 
Nous sommes absents jusqu'à mardi mais l'énigme du samedi et sa réponse le dimanche ont été planifiés! Alors il va falloir vous débrouiller tout seuls, comme des grands! Nous ne vous répondrons pas mais laissez nous des messages avec des indices pour vous aider ceux qui ont des difficultés. Quand nous reviendrons, nous mettrons à jour la liste de ceux qui ont trouvé le résultat! Enigme beaucoup plus facile, je crois, que celui de la semaine dernière!
 

mardi 24 avril 2012

Départ en Lozère


Ici !


 Nous partons en vacances en Lozère pendant quelques jours; Pas d'internet là-bas! Mais nous avons planifié les billets pour l'énigme du samedi avec la réponse le dimanche : Un Livre/Un film.
A bientôt!