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jeudi 18 octobre 2012

Des mots, une histoire : La cour de Recréation

Source ici  La petite écolière de Novake Moro

 La cour de récréation

Elle est là toute petite
dans la cour de récréation
Elle a un sourire timide ouvert
A la vie
La belle occasion de chanter
Et puis de rire, de danser
dans la cour de récréation
Elle  va l'apprendre, la vie
palanquin de tous nos soucis
en raccourci et en un cri
Fourbe,
Et le jouet qu'on lui arrache,
Et la main qui frappe et meurtrit.

Marasme. 

Devrais-je apprendre à cette enfant
Que l'amour n'est plus de rigueur?

Elle a la vitalité de l'amour
elle fait partie de ceux
 
Qui font confiance
Qui ne connaissent pas  
La pauvreté du sentiment
Et les prétentions du plus fort
La glauque obstination de la violence
                    infligée au sein maternel.

Elle fait partie de ceux qui baissent la tête,
quand ils reçoivent des coups
Parce qu'on n'a pas mis dans leur tête ...
La haine.
 

Irréparable?

Devrais-je apprendre à cette enfant
Que l'amour n'est plus de rigueur?

Quel thuriféraire moqueur
quelle infirmière de l'espoir
Et quel décret ministériel
Faux thaumaturge du devoir
Pourront nous chanter les louanges
de la cour de récréation?

Devrais-je apprendre à cette enfant
Que l'amour n'est plus de rigueur?



Je reprends après quelques mois d'absence l'atelier d'Olivia.  Voici les mots imposés : j'en ai laissé deux de côté!
thuriféraire – pauvreté – prétention – vitalité – infirmière – devoir – marasme – raccourci – palanquin – occasion – irréparable – cambrousse – fourbe – glauque – pigouiller – ministériel.

mercredi 17 octobre 2012

Henri Pollès : Sophie de Tréguier



Henri Pollès est né en 1909 à Tréguier (Côtes d'Armor). Son père, ingénieur de la navigation, est  nommé  à Nantes . C'est dans cette ville qu'il fait ses études secondaires. Il se découvre une passion précoce de collectionneur, amassant entre autres choses, timbres, cartes postales, programmes, boîtes d'allumettes et mêmes billets de tramway Tous les étés, il retrouve sa ville natale où il imagine son héroïne, Sophie de Tréguier. Parallèlement à sa vie littéraire, Pollès s'engage un temps dans le débat politique et dans le journalisme?. Il collabora au journal Giustizia e liberta, publication italienne contre le fascisme et fit un reportage sur L'Espagne pour le magazine Vendredi.  Connaissant des jours de misère, déçu du peu de succès littéraire et d'avoir plusieurs fois raté le Goncourt, Henri Pollès mit sa carrière littéraire de côté et devint courtier en livres, à la fois pour avoir un revenu stable et assouvir sa grande passion de collectionneur. Ce n'est qu'après presque vingt ans de silence, en 1982, qu'il publia de nouveau un roman lequel lui valut le prix Paul Morand de l'Académie française. Il est décédé  en 1994 dans l'incendie de sa maison et son corps est inhumé dans le cimetière de Tréguier.
Bibliophile éclairé, Henri Pollès avait une impressionnante collection d'ouvrages. 30 000 de ses livres firent l'objet d'un don en1988 la ville de Rennes, sauvant ainsi une partie de sa collection inestimable des flammes qui plus tard ravagèrent son pavillon de Brunoy (Essonne)

Des titres : Toute guerre se fait la nuit, Amour, ma douce mort, Le Fils de l'auteur, Sur le fleuve de sang vient parfois un beau navire..

Sophie de Tréguier

Les livres des auteurs bretons du XIX siècle ne cessent de me surprendre. Ils nous révèlent une Bretagne dure, âpre, où la vie est une lutte, ou les gens sont austères, durs et méfiants, repliés sur eux-mêmes, cruels et parfois primitifs. Je vais bientôt écrire à ce propos sur des romans comme Le crucifié de Keraliès de Le Goffic, le gardien du feu d'Anatole le Braz, ou La tour d'amour de Rachilde..
Sophie de Tréguier (1933) de Henri Pollès qui se passe dans la première partie du XX siècle est aussi un livre cruel, non pas comme les précédents où la dureté côtoient la folie, mais plus subtilement, plus insidieusement. Cela n'en est pas moins efficace!

Sophie est une charmante jeune fille de santé fragile et d'une grande gentillesse. Sa mère, commerçante, tient une épicerie et économise sur tout pour faire une dot à sa fille qu'elle couve d'un amour possessif, insensible aux sentiments de Sophie qu'elle est bien incapable de comprendre. Son père, artisan, est avant tout un bon à rien et un ivrogne mais pas méchant. Il vénère aussi sa fille mais dilapide l'argent que gagne la mère. Voilà pour la famille! Quant aux Trégorrois, ils adorent les ragots, ils connaissent la vie de chacun et les commérages médisants sont "si amusants, si pittoresques, et la chronique du mal est tellement plus variée et attrayante que celle du bien". Bons paroissiens au demeurant! Bref! ils ne se privent pas de dire du mal des uns et des autres et Sophie n'échappera pas à leur méchanceté qui finira par la tuer. Surtout quand elle tombe amoureuse de Yves, le bel officier de marine, et que celui-ci l'abandonne pour une fille en meilleure santé et plus riche qu'elle!

Sophie de Tréguier est un drame même s'il n'y pas de meurtres ni de violence physique, de sentiments emportés et excessifs, un drame sans bruit ni fureur, discret et étouffé. Celui-d'une jeune fille trop sensible, trop douce,  qui a peur de faire du mal à sa mère en la quittant, qui fait toujours passer ceux qu'elle aime avant elle-même. Henri Pollès décrit avec précision, comme une étude clinique, comment la méchanceté et la calomnie peuvent tuer. Les gens, le fiancé, lâche et influençable, la mère, égoïste et avare, les commères mal intentionnées, ne sont pas des barbares ou des brutes, ce sont des êtres médiocres, intéressés, égoïstes... bref! des gens "normaux" mais des meurtriers tout de même.

 J'avoue que j'ai été assez déstabilisée par le style de l'auteur surtout quand il imite le parler français des bretons trégorrois! Je n'ai pas aimé non plus l'intervention de l'auteur-narrateur, à plusieurs reprises, comme si le lecteur ne pouvait comprendre seul. C'est souvent en moraliste qu'il analyse les sentiments. La voix qui se fait entendre est désabusée, sans illusions, voire misanthrope. Ces accents d'indignation m'ont gênée! Pourtant je me suis laissée prendre par l'histoire car les sentiments de la jeune fille sont très bien analysés. Peu à peu, l'on prend conscience qu'elle n'est pas de taille à lutter et qu'une prison morale se referme sur elle. Sophie est une jeune fille qui vit de rêves et la réalité ne peut être à leur hauteur, elle se révèlera toujours décevante. Une Emma Bovary vertueuse et confite en dévotion en pays breton mais une Emma tout de même!
 La description de la société bretonne est intéressante et il y a même des scènes de genre comme cette messe du dimanche où l'on vient faire admirer sa toilette, ou la foire de la Saint-Yves, ou le mariage campagnard... Les légendes, les superstitions, les rencontres avec l'Ankou, cet auxiliaire de la mort, et  les revenants  hantent les esprits.. Paganisme et religion catholique se confondent souvent.

A noter que Pollès avec ce roman a été en concurrence avec le Céline de Voyage au bout de la nuit pour le prix du roman populaire en 1932. C'est lui qui l'a emporté!










mardi 16 octobre 2012

La légende de la ville d'Ys : lecture commune pour le challenge breton





Quand des flots Ys  émergera
Paris submergera sera

Voilà ce que dit la légende et c'est une excellente raison de  nous intéresser à Ys, cette mythique  et enchanteresse cité engloutie par la mer et dont on situe,  traditionnellement, l'emplacement dans la baie de Douarnenez.

Avec Aymeline-Arieste, nous avons décidé d'une lecture commune  de deux titres qui relatent cette histoire et qui s'intègrera dans nos deux challenges : celui d'Aymeline Les Mondes imaginaires et le mien,  Challenge breton.
Il s'agit de deux versions de La légende de la ville d'Ys  contée par Charles Guyot et du roman de Gabriel Jan : Ys, le monde englouti.

Ces lectures peuvent éventuellement  être poursuivies pour ceux que cela intéresse par une incursion vers les autres versions de la légende d'Ys que cela soit dans le domaine des textes ou des arts, peintures, chants, opéra, musique, BD...


J'ai mis ces titres en livres voyageurs et vous pouvez dès maintenant vous inscrire s'ils vous intéressent.


La lecture est prévue pour Le 25 Novembre mais nous pouvons, s'il en est besoin,  adapter les dates si vous nous rejoignez. Serez-vous des nôtres?




LC :  
Aymeline
 Miriam
  Gwen
Claudialucia
???

lundi 15 octobre 2012

Wladimir et Olga Kaminer
 : La cuisine totalitaire



Quand j'ai reçu La cuisine totalitaire, un livre de Wladimir et Olga Kaminer, tous deux d'origine russe, naturalisés allemands avant la réunification, j'ai eu deux réactions :   


Un livre de cuisine! Il ne pouvait tomber plus mal, dans l'antre d'une réfractaire aux petits plats mijotés (réfractaire à la confection des petits plats, pas à leur saveur!)


Et quel titre! La cuisine totalitaire m'a paru d'emblée racoleur, de style anticommuniste primaire, comme si le communisme était responsable de la manière de cuisiner des peuples qui formaient l'ex-URSS. A moins que le régime ne soit la cause de la pénurie des matières premières et dans ce cas-là comment attirer des lecteurs avec un livre de cuisine du manque! Pas très alléchant, dans ce cas? C'est ce qui m'a semblé parfois en lisant certaines recettes qui ne paraissent pas très recherchées! 

Cependant en dehors des recettes culinaires, nous sont présentées dix des quinze républiques de l'ex-Union soviétique dans une introduction de quelques pages pour chacune : La Russie du Sud, l'Arménie, la Géorgie, l'Ukraine, la Sibérie, l'Azerbaïdjan, l'Oubékistan, le Tatarstan, la Lettonie, la Biélorussie .... A cette présentation des pays succède des anecdotes humoristiques racontée par Wladimir Kaminer sur son vécu culinaire.  C'est parfois assez amusant, jugez plutôt : 


quand il parle de ses souvenirs d'enfance :

 De toutes les attractions culinaires de mon enfance, le plat qui aura marqué ma mémoire est le kholodets, un mélange de soupe et de plat de viande qui ressemble à un aspic mais infiniment meilleur...Bien que ma mère insistât sur l'unicité de sa recette héritée de sa grand-mère, il m'était arrivé de voir le même plat chez d'autres. Ma grand-mère avait dû révéler le secret de sa recette au reste de la population.

 
Ou encore quand il fait table rase de tous les clichés rencontrés au sujet de la cuisine : 
Aujourd'hui tous les enfants savent (...) que les français ne laissent aucune grenouille passer sans lui sauter dessus... Dans cette gastronomie des préjugés, mes compatriotes ne sont pas en reste. Grâce au caviar et au pelménis, ils prouvent qu'ils ont un goût raffiné.(... ) Mais Comme n'importe quel être sensé, le Russe préfère cent fois accompagner sa vodka d'un cornichon ...

 
Il peut-être aussi critique et pratiquer un humour noir :  

Sans oublier les centrales nucléaires biélorusses qui fournissaient de l'électricité à la moitié de l'Union soviétique.. D'année en année les pommes de terre ne cessaient de grossir, la population rayonnait.

 
Ou encore plutôt lourd et caricatural : 

Le Sibérien moyen, homme ou femme, est grand et fort. (...) Je crois que dans le cas de  la Sibérie, la taille est un réaction naturelle aux conditions de vie très dures. Les gens sont aimables et discrets. Mais il faut dire qu'ils ne se font  quasiment jamais agresser. A quoi bon chercher des noises à un homme qui a des mains aussi grosses que des lunettes de toilettes?

 Mais d'une manière générale les textes de présentation, pas plus que les recettes, ne m'ont convaincue. La Cuisine Totalitaire ne m'a pas vraiment séduite.




dimanche 14 octobre 2012

Un livre/ Un film : Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses





Réponse à l'énigme n° 43
 Le livre : Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos
 Le film : Les liaisons dangereusesde Stephen Frears

Bravo à :Aifelle, Dasola, Eeguab; Jeneen; Keisha, Miriam, Pierrot Bâton, Somaja.

Merci à tous !




Le roman de Choderlos de Laclos (1741-1803) s'inscrit dans le genre littéraire très à la mode au XVIII ème siècle, le roman épistolaire :  Crébillon,  Marivaux, Rousseau, Voltaire..
Dans le roman épistolaire, il n'y a pas de narrateur, ce qui laisse au lecteur une grande liberté de choix et d'interprétation. C'est à lui de se faire une idée sur la véritable personnalité des personnages en recoupant toutes ces messages pour percevoir leur duplicité ou au contraire leur sincérité. C'est au lecteur aussi de reconstituer le récit selon la chronologie des lettres. Mais si le lecteur "travaille" beaucoup, il ne peut le faire que parce que l'écrivain maîtrise le genre. Il faut à celui-ci beaucoup d'habileté dans la rédaction de ces missives qui doivent refléter par le style, le caractère, l'âge, la position sociale de son personnage. Ainsi les lettres de la jeune Cécile de Volanges montre sa naïveté, son ignorance du monde et donc sa fragilité, tout comme celles de Mme de Merteuil laissent apparaître le calcul, le cynisme, la cruauté. Dès lors le lecteur s'aperçoit que le portrait flatteur de Mme de Merteuil par Cécile est en décalage avec celui de cette grande dame quand elle est sincère. Il s'agit donc d'un jeu social. Chacun dans la société jour un rôle et porte un masque, à part, peut-être les victimes, Cécile de Volanges et Madame de Tourvel.
De la même façon, l'auteur doit aussi dominer la construction de l'intrigue qui se met en place à travers les écrits des personnages comme un puzzle dont l'auteur seul à le dessin complet en tête. Cette variation des points de vue donne sa richesse au roman. Dans cette société mondaine du XVIII ème siècle qui privilégie la parole brillante, où l'expression du sentiment est toujours un peu ridicule et est sacrifiée à l'esprit, on comprend pourquoi le roman par lettres a eu un tel succès.

Quelques thèmes importants
Le libertinage : Le roman de Choderlos de Laclos met en scène des personnages libertins. Il faut l'entendre ici non comme une philosophie empreinte d'épicurisme et refusant les contraintes religieuses mais au sens du XVIII siècle qui est avant tout celui d'une société du paraître. Les dames du monde doivent obéir à des codes moraux. Il suffit qu'elles se montrent vertueuses pour qu'elles soient en règle avec la société même si ce n'est qu'une vertu de façade. C'est le cas de Madame de Merteuil qui peut fonctionner comme elle le fait à condition que personne ne le sache. Lorsque ses agissements seront révélés, elle perdra sa position dans le monde. Les libertins sont donc avant tout des "acteurs" qui doivent se composer un rôle et bien le tenir, ce sont aussi des manipulateurs qui tirent les ficelles en coulisse et plient les êtres fragiles à leur volonté. Ce pouvoir qu'ils exercent sur les autres leur donne un ego surdimensionné, un orgueil, un sentiment de supériorité qui les amènent à mépriser leurs victimes.
Critique de la société
Le libertinage décrit par Laclos est donc avant tout hypocrisie et mensonge. C'est de de la part de l'auteur, une critique virulente d'une société sans morale, qui n'a de souci que pour l'apparence de la respectabilité et qui a des héros à son image. On comprend donc que le roman, malgré l'immense succès qu'il eut à l'époque auprès du public, ait été jugé scandaleux. Le capitaine de Laclos a eu, en effet, quelques problèmes avec sa hiérarchie militaire! Pourtant Laclos ne ressemble absolument pas à Valmont. Non seulement, il n'est pas un séducteur mais il n'a jamais été amoureux que d'une femme, la sienne!

Critique de la condition de la femme

Les deux complices Valmont et Mme de Merteuil sont égaux dans le cynisme, l'hypocrisie et la cruauté. Mais ils ne le sont pas socialement. Valmont, lui, peut se permettre d'avoir une mauvaise réputation même si pour séduire les femmes, il dit être calomnié, il feint la vertu, la sincérité des sentiments. Mme de Merteuil, elle, doit feindre l'amabilité, la bonté, la sagesse. La révélation de ses turpitudes causent sa perte. Les deux personnages ne sont pas sur le même pied car la femme est considéré comme inférieure. Madame de Merteuil l'apprend à ses dépens. Quant aux jeunes filles, on voit comment leur éducation de jeune oie blanche dans les couvents les laisse sans défense contre les prédateurs. Maintenir une fille dans l'ignorance n'est donc pas la bonne manière de lui enseigner la vertu, semble-dire de Laclos; C'était déjà la leçon de Molière et son Agnès de L'école des femmes.
Voir Wens pour le film

samedi 13 octobre 2012

Un livre/ Un film : énigme n° 43





Pour les nouveaux venus : De quoi s'agit-il?

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.

Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
Pendant les vacances, nous arrêtons le jeu Un livre/ Un film.

Enigme 43

L'énigme était difficile la semaine dernière? Nous compensons aujourd'hui avec ce texte devenu un classique du roman épistolaire du XVIII siècle. Je laisse la parole dans cet extrait à une des héroïnes tout juste sortie du couvent :

Je ne sais encore rien, ma bonne amie. Maman avait hier beaucoup de monde à souper. Malgré l'intérêt que j'avais à examiner, les hommes surtout, je me suis fort ennuyée. Hommes et femmes, tout le monde m'a beaucoup regardée, et puis on se parlait à l'oreille ; et je voyais bien qu'on parlait de moi :
Cela me faisait rougir ; je ne pouvais m'en empêcher. Je l'aurais bien voulu, car j'ai remarqué que quand on regardait les autres femmes, elles ne rougissaient pas ; ou bien c'est le rouge qu'elles mettent, qui empêche de voir celui que l'embarras leur cause ; car il doit être bien difficile de ne pas rougir quand un homme vous regarde fixement.
Ce qui m'inquiétait le plus était de ne pas savoir ce qu'on pensait sur mon compte. Je crois avoir entendu pourtant deux ou trois fois le mot de jolie :
Mais j'ai entendu bien distinctement celui de gauche ; et il faut que cela soit bien vrai, car la femme qui le disait est parente et amie de ma mère ; elle paraît même avoir pris tout de suite de l'amitié pour moi. C'est la seule personne qui m'ait un peu parlé dans la soirée. Nous souperons demain chez elle.





vendredi 12 octobre 2012

Alice Dekker : Chardin, la petite table de laque rouge

Une dame qui prend le thé.

"Je n'ai eu d'autre désir que de faire naître le sentiment grâce à des volumes, à des couleurs et a des formes. Toucher, émouvoir, attendrir, révéler à chacun, l'ignorant comme le connaisseur, la poésie qui frémit dans les choses les plus humbles, dans les scènes les plus banales…"
Voilà les paroles que Alice Dekker prête à au peintre des natures mortes, dans son livre Chardin, la petite table de laque rouge paru aux éditions Arléa.
L'écrivain imagine que l'artiste vieillissant, s'adresse à son fils disparu dans une longue lettre, bilan de sa vie, pour lui révéler tout ce qu'il a tu sur lui-même jusqu'alors, lui si réservé, si pudique. Le peintre nous y apparaît en tant qu'homme avec ses qualités : son grand amour pour sa femme qu'il a épousé sans dot malgré l'opposition de leurs familles; son deuil profond à la mort de celle-ci. C'est elle, attablée à une table de laque rouge, qui figure dans le tableau une dame qui prend le thé. C'est aussi un travailleur méticuleux, un artiste honnête qui peint peu car il est toujours à la recherche de la perfection. Mais il n'est pas sans faiblesses pourtant : quand déçu par son fils, il l'oblige à renoncer au testament de sa mère, sa vanité, parfois, qui le pousse à la recherche des honneurs. Comme tout artiste, Jean Simeon Chardin a des doutes sur son talent et il a besoin de se l'entendre confirmer. Ceci nous introduit dans la vie artistique du XVIII siècle à une époque où les arts sont classés dans une hiérarchie très stricte sur laquelle veille scrupuleusement l'Académie royale, la peinture historique représentant le sommet de cet art. Chardin y fut admis comme "peintre dans le talent des animaux et des fruits", c'est à dire au bas de l'échelle, lui qui délaissant l'héroïque, ne prenait ses modèles que dans le quotidien :
 Et pourtant, si beaucoup dédaignaient la banalité de l'original, ils allaient bel et bien en admirer la copie, et en être les premiers surpris.




Ce roman, d'un tableau à l'autre, mis en perspective avec les autres peintures de son siècle, nous permet de mieux connaître l'oeuvre de Jean Simeon Chardin et surtout de mieux la comprendre, en ce qu'il transcende la réalité et l'anoblit. Et comme celui-ci, héritier des peintres flamands et de Vermeer, fait partie de mes peintres préférés du XVIII ème français, je dois dire que j'ai aimé ce petit livre qui en fait le tour.  


Chardin, héritier de ....


Vermeer







mercredi 10 octobre 2012

Emmanuelle Urien : Tous nos petits morceaux





Dans son recueil Tous nos petits morceaux, Emmanuelle Urien nous en met plein vue tout comme les miroirs de ses nouvelles qui reflètent la vie des gens et nous révèlent sur eux beaucoup plus que nous ne souhaiterions parfois pour notre tranquillité d'esprit!

Le livre est composé d'une douzaine de récits qui  sont tous reliés entre eux par le premier : Eclats de miroirs dans laquelle nous voyons un femme entreposer  des miroirs de toutes formes et de toutes tailles dans une cave obscure. Nous ne saurons la raison de cette étrange collection qu'à la fin mais, en attendant, chaque miroir, touché par un rayon de soleil qui filtre par le soupirail et se déplace selon les heures de la journée, donne un aperçu de ce qu'il a vécu! Et ce n'est pas toujours rose une vie de miroir, le lecteur va vite s'en apercevoir!

 Certaines de ces nouvelles sont fortes, très noires, comme Le signe du miroir, La corde pour le pendre,  Psyché et Tanatos, Le jeu du miroir, Témoins spéculaire ... Ils ne sont pas rassurants, en effet, ces miroirs, témoins de nos faiblesses, nos mensonges, notre déchéance, témoins aussi de notre mort!  Il se font le reflet de nos souffrances, la peur de vieillir,  la solitude, la folie... Pourtant certains finissent par nous paraître sympathiques comme celui, tout petit, tout modeste, de L'article de la mort, récit qui oscille entre noirceur et humour. Ce dernier n'est autre que le miroir des morts, celui que l'on applique sous le nez du défunt pour vérifier qu'aucun souffle ne s'en échappe!  Pauvre miroir qui rêve de refléter un nez de vivant!

Emmanuelle Urien fait preuve d'une idée originale en mettant en scène toutes ses vies dans le reflet d'un miroir. Son recueil est un brillant exercice de style, rédigé d'une plume alerte, où la difficulté de vivre se révèle être l'un des thèmes principaux.

Merci Clara pour cette belle lecture


lundi 8 octobre 2012

Challenge breton : Les participants




 Le challenge breton est ouvert. Vous pouvez vous inscrire. Je publie ici la liste des premiers participants et billets sur la Bretagne.

George Sand disait en parlant des écrivains bretons : Génie épique, dramatique, amoureux, guerrier, tendre, triste, sombre, naïf, tout est là! En vérité aucun de ceux qui tiennent une plume ne devrait  rencontrer un breton sans lui ôter son chapeau."

et Michel Lebris écrit : " Que serait un voyage sans le livre qui l'avive et en prolonge la trace - sans le bruissement de tous ces livres que nous lûmes avant de prendre la route? Samarcande, Trébizonde, tant de mots, dès l'enfance, qui nous furent comme des portes, tant de récits, tant de légendes !

Voir une liste non exhaustive des livres qui peuvent être lus dans le cadre du challenge breton.  N'hésitez pas à nous donner des conseils et nous communiquer d'autres titres! ICI
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Aifelle






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Aymeline

La légende d'ys de Charles Guyot

Ys, le monde englouti de Gabriel Jan






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Clara

Fabienne Juhel : les oubliés de la lande

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Claudialucia


  1. Remorques, Roger Vercel (Brest)
  2. Les noces noires de Guernaham, Anatole le Braz
  3. Le sang de la sirène, Anatole le Braz (Ouessant)
  4. La fée des grèves, ( 1) , Paul Féval (Bretagne et Normandie : autour du Mont Saint Michel)
  5. La fée des grèves Paul Féval ( 2) (Bretagne et Normandie : autour du Mont Saint Michel)
  6. Le gardien du feu Anatole Le Braz 
  7. La tour d'amour de Rachilde 
  8. Ys, le monde englouti de Gabriel Jan  
  9. La légende de la vile d'Ys de Charles Guyot
  10. Marcof le Malouin  de Ernest Capendu  
  11. Sophie de Tréguier de Henri Pollès 
  12. Le gardien du feu de Anatole LeBraz 
  13. Becherel la cité du livre en Bretagne
  14.  Dinan (rencontre entre blogueurs
  15.  Ernest Renan : la vérité sera un jour la force
  16. Perros Guirec et la côte de granit rose
  17. René Guy Cadou : L'enfant précoce (poème)
  18. Félicité Lamennais : le plus puissant de tous les leviers...(citation)
  19. Bretagne les enclos paroissiaux(2)
  20. Bretagne les enclos paroissiaux (1)
  21. Jean-Pierre Boullic : Iroise (poème)
  22. Douarnenez : Rencontres entre blogueurs
  23. Eugène Guillevic : Je connais l'étrange variété du noir (poème)
  24. Anatole Le Braz : Chanson pour la Bretagne :( poème)
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Elora

Présentation du challenge

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Eeguab






Le Tempestaire de  Jean Epstein  : Alors la mer se calma

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Gwenaelle







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 Jeneen







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Keisha










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Lystig

La trilogie de L'auberge du bout du monde





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Mazelannie

1. Le championnat d'insultes en breton






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Mireille chez Claudialucia

Jean-Marie Deguignet : Mémoires d'un paysan Bas-Breton

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Miriam





1. La fée des grèves Paul Féval
2. Le gardien du feu Anatole Le Braz 
3 Ys, le monde englouti de Gabriel Jan
4. La légende de la ville d'Ys de Charles Guyot 
5. Les demoiselles de Concarneau de Simenon 

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Nathalie

Les chouans Honoré de Balzac

souvenirs d'enfance et de jeunesse d'Ernest Renan(LC)





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Oncle Paul









  1. Les Loups de la Terreur, Béatrice Nicodème (Brocéliande)
  2.  Le Réveil des Menhirs, Gabriel Jan
  3. Ys, le Monde englouti, Gabriel Jan  (Douarnenez?)
  4. Les Filles de Roz-Kelenn, Hervé Jaouen
  5.  Ceux de Ker-Askol, Hervé Jaouen 
  6.  Flora des Embruns Herve Jaouen

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Wens

1. Remorques de Grémillon d'après Vercel (Brest)
 2. Les enclos paroissiaux (Cornouailles et Léon)
 3. Le chien jaune de Simenon (Concarneau)
 4. Nuits assassines à Paimpol  de Michèle Corfdir (Paimpol)

dimanche 7 octobre 2012

Un livre/ Un film :John Buchan : Les Trente-neuf marches




Réponse à l'énigme n° 42
 Le livre ; Les Trente-neuf marches de John Buchan
 Le film : Les Trente-neuf marches d'Alfred Hitchcock

Bravo à : Dasola, Eeguab,  Jeneen, Keisha, Pierrot Bâton

Merci à tous ceux qui ont cherché parfois en vain mais ce sera pour la prochaine fois!




John Buchan crée un personnage Richard Hannay  qui va revenir dans cinq de ses romans.
1915: The Thirty-Nine Steps (Les trente-neuf marches) - Les aventures de Richard Hannay
1916: Greenmantle (Le Prophète au manteau vert ou Le Manteau vert) - Les aventures de Richard Hannay 2
1919: Mr Standfast (La troisième aventure de Monsieur Constance) - Les aventures de Richard Hannay 3
924: The Three Hostages (Les trois otages) - Les aventures de Richard Hannay 4
1936: The Island of Sheep (L'Île aux moutons) - Les aventures de Richard Hannay 5

Dans Les Trente-neuf marches, Richard Hannay,  d'origine écossaise, a 37 ans. Après avoir amassé une petite fortune en Afrique du sud, il revient à Londres pour mener une bonne vie. Mais il s'ennuie vite jusqu'au jour où son voisin, manifestement traqué vient lui demander de le cacher. Il lui raconte une histoire suspecte où il apparaît qu'il est en danger car il est au courant d'un complot qui risque de mettre en péril la sécurité de la Grande-Bretagne et la paix en Europe. Hannay héberge l'homme mais le retrouve assassiné dans son appartement. Pour ne pas être accusé du crime, le jeune homme fuit. Il est bientôt poursuivi à la fois par la police et par les espions. Une inconfortable situation!


Le livre publié en 1915 est très proche du film malgré quelques petits changements et porte le même titre. L'on y retrouve certains épisodes clefs que Hitchcock a exploités : le marchand de lait, la fuite sur le pont, l'avion qui le cherche quand il est en Ecosse. Quelques transpositions sont assez légères et sans conséquence, l'espion qui est le cerveau du complot est affligé d'un tic aux yeux au lieu d'avoir une phalange absente à l'un de ses doigts comme dans le film.
Mais le génie de Hitchcock par rapport au livre est d'avoir imaginé deux personnages féminins qui décuplent l'intérêt de l'action. Ce n'est pas un homme mais une énigmatique et froide blonde, dans le style femme fatale, comme les aime le réalisateur, qui se fait assassiner chez Hannay (Robert Donat). Cette mystérieuse inconnue procure un frisson supplémentaire au spectateur. Le deuxième personnage féminin est la jeune femme au caractère bien trempée, Pamela (Madeleine Caroll), que Hannay rencontre par hasard et qu'il fait semblant d'embrasser pour échapper à ses poursuivants. C'est le début d'une histoire d'amour qui ne va pas sans chamaillerie, situations amusantes bien dosées entre érotisme et romantisme, qui laisse libre à l'humour caustique de Hitchcock. Une géniale trouvaille!


samedi 6 octobre 2012

Un livre/ Un film : énigme n° 42





Pour les nouveaux venus : De quoi s'agit-il?

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.

Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
Pendant les vacances, nous arrêtons le jeu Un livre/ Un film.


Enigme 42
 
 
Le livre publié en 1915 par un auteur anglais est très proche du film malgré quelques modifications et porte le même titre. Le personnage principal est le héros récurrent de cinq romans dont celui qui nous intéresse et qui nous promène de Londres en Ecosse.
J'avais projeté de descendre à l'une des prochaines gares, mais le train m'offrit une occasion meilleure encore, car il s'arrêta subitement à l'extrémité d'un petit pont qui enjambait une rivière mordorée. Je passai la tête par la portière : toutes les vitres des wagons étaient fermées, et pas une figure humaine ne se montrait dans le paysage. J'ouvris la portière et sautai vivement dans le fouillis de noisetiers qui bordait la voie.
Tout cela eut été parfait s'il n'y avait eu ce maudit chien, qui se mit à aboyer comme un furieux en plantant ses crocs dans mon pantalon.

jeudi 4 octobre 2012

Marguerite Duras : L'amante anglaise, premier livre de Objectif PAL noire





Avant d'ouvrir un blog, je vivais paisiblement, sereine et innocente : je ne savais pas ce qu'était une PAL*. Maintenant, elle est plus haute qu'une maison. Comment ai-je pu en arriver là?... J'allais dire comment ai-je pu tomber si bas mais le mot serait impropre! Vaine interrogation!  
Aussi quand L'Or et George ont proposé un challenge anti-pal intitulé Objectif PAL noire, avec un adorable logo, j'ai sauté sur l'occasion.

Voir  chez ces gentes damoiselles  les modalités du challenge : George et L'Or

Il s'agit de lire un ou deux (ou plus pour les courageux) livres par mois en piochant dans votre pile, sachant cependant (car il faut être lucide) que ce que vous entreprenez vous rend digne d'un héros  tout droit sorti d'un mythe grec : Vider sa PAL, c'est comme remplir le tonneau des Danaïdes mais à l'envers! Alors que le tonneau se vide sans cesse, La PAL se remplit toujours.

J'ai donc commencé à dresser une liste des livres qui attendent patiemment leur tour depuis des lustres, souvent relégués au dernier rang par d'ambitieux petits nouveaux, qui se haussent du col et intriguent pour passer devant eux!

A l'heure actuelle, la liste n'est pas encore terminée mais je vous la livre telle quelle car il est temps de s'y attaquer : VOIR ICI l'étendue du désastre!

Et pour commencer, un petit livre qui me tendait les bras depuis très longtemps en suppliant d'être enfin  lu.

Marguerite Duras  : L'amante anglaise 

 


A l'origine de L'amante anglaise, un fait divers, une femme assassinait son mari à coups de hachette. Dans le récit de Duras on découvre un morceau de corps humain dans un train; les jours suivants d'autres sont découverts dans d'autres trains. Seule la tête n'est pas retrouvée. Un recoupement ferroviaire permet de constater que la victime, une femme, après avoir été découpée en morceaux a été jetée du Viaduc de Viorne. La meurtrière, Claire Lannes, est vite retrouvée et avoue son crime. Elle a tué sa cousine Marie-Thérèse Bousquet, sourde et muette.  Mais elle est incapable de donner une explication à son geste.  Pourquoi a-t-elle tué? C'est ce qui va intéresser Marguerite Dumas.

Le narrateur qui enquête sur le meurtre cherche comprendre cet acte et à cerner la personnalité de Claire en interrogeant des témoins. C'est donc à travers différents points de vue qui se recoupent, se complètent ou se contredisent que le lecteur cherche à comprendre les mobiles du crime. Le premier témoin Robert Lamy est le propriétaire du café Le Balto à Viorne, le second est le mari, Pierre Lannes, le troisième, Claire Lannes la meurtrière. En fait qui sont-ils réellement?
Avec Claire, Marguerite Duras explore  un thème qu'elle aime, celui de la folie  : la folie exerce sur moi une séduction, c'est à l'heure actuelle le seul véritable élargissement de la personne, dans le monde de la folie, il n'y a rien, ni bêtise, ni intelligence, c'est la fin du manichéisme, de la responsabilité, de la culpabilité. Le personnage "normal" Pierre finit par comprendre que c'est lui qui aurait dû être tué.
Il n'y a pas de réponse. L'écrivaine n'impose sa vérité. C'est au lecteur de se faire un idée en interprétant ces trois témoignages.  Le texte a souvent été adapté au théâtre.

* pour les bienheureux ignorants  PAL = Pile à  lire

Paul Féval : La fée des Grèves (2): Le Mont Saint Michel, Tombelène et le Couesnon

Le Mont Saint Michel dans Les très riches heures du duc de Berry (XV°)

 Le Mont Saint Michel était originellement appelé Mont Tombe. Aubert, évêque d'Avranches fait construire l'abbaye sur le Mont au VIII ième siècle lorsque l'archange Saint Michel lui apparaît pour le lui demander. L'église est consacrée en 709.
L'enluminure de Les très riches heures du duc de Berry montre à quoi devait ressembler le Mont Saint Michel à l'époque où se situe le roman de Paul Féval La fée des grèves au XV siècle, sous François 1er, duc de Bretagne et  sous le règne du roi de France, Charles VII.
Et le voici aujourd'hui Septembre 2012

 Paul Féval le décrit ainsi en cette année 1450 lorsque François 1er se rend au Mont pour obtenir  du ciel "le repos et le salut de l'âme de son de M. Gilles, son frère, mort à quelque temps de là au château de la Hardouinays"*.

Au sortir de la porte d’Avranches, ce fut un spectacle magique et comme il n’est donné d’en offrir qu’à ces rivages merveilleux.
Un brouillard blanc, opaque, cotonneux, estompé d’ombres comme les nuages du ciel, s’étendait aux pieds des pèlerins depuis le bas de la colline jusqu’à l’autre rive de la baie, où les maisons de Cancale se montraient au lointain perdu.
De ce brouillard, le Mont semblait surgir tout entier, resplendissant de la base au faîte, sous l’or ruisselant du soleil de juin.
Vous eussiez dit qu’il était bercé mollement dans son lit de nuées, cet édifice unique au monde ! et quand la brume s’agitait, baissant son niveau sous la pression d’un souffle de brise, vous eussiez dit que le colosse, grandi tout à coup, allait toucher du front la voûte bleue :
La ville de Saint-Michel, collée au roc et surmontant le mur d’enceinte, la plate-forme dominant la ville, la muraille du château couronnant la plate-forme, le château hardiment lancé par-dessus la muraille, l’église perchée sur le château, et sur l’église l’audacieux campanile égaré dans le ciel !


 Le cloître

À mesure qu’on montait, le roman disparaissait pour faire place au gothique, car l’histoire architecturale du Mont-Saint-Michel a ses pages en ordre, dont les feuillets se déroulent suivant l’exactitude chronologique.
Le soleil de midi éclairait le cloître, qui apparut aux pèlerins dans toute sa riche efflorescence : Un carré parfait, à trois rangs de colonnettes isolées ou reliées en faisceaux qui se couronnent de voûtes ogivales, arrêtées par des nervures délicates et hardies.
Le prodige ici, c’est la variété des ornements dont le motif, toujours le même, se modifie à l’infini dans l’exécution, et brode ses feuilles ou ses fleurs de mille façons différentes, de telle sorte que la symétrie respectée laisse le champ libre à la plus aimée de nos sensations artistiques : celle que fait naître la fantaisie. 


La flèche

La basilique de Saint-Michel n’était pas entièrement bâtie à l’époque où se passe notre histoire. Le couronnement du chœur manquait; mais la nef et les bas côtés étaient déjà clos. L’autel se dressait sous la charpente même du chœur qui communiquait avec le dehors par les travaux et les échafaudages.
Le duc François s’arrêta là. Il ne monta point l’escalier du clocher qui conduit aux galeries, au grand et au petit Tour des fous et enfin à cette flèche audacieuse où l’archange saint Michel, tournant sur sa boule d’or, terrassait le dragon à quatre cents pieds au-dessus des grèves**. 

Entre le Mont Saint Michel et Tombelène 

Les gens de la rive disent que le deuxième jour de novembre, le lendemain de la Toussaint, un brouillard blanc se lève à la tombée de la nuit.
C’est la fête des morts.
Ce brouillard blanc est fait avec les âmes de ceux qui dorment sous les tangues.
Et comme ces âmes sont innombrables, le brouillard s’étend sur toute la baie, enveloppant dans ces plis funèbres Tombelène et le Mont-Saint-Michel.
Au matin, des plaintes courent dans cette brume animée; ceux qui passent sur la rive entendent :
—    Dans un an ! Dans un an !
Ce sont les esprits qui se donnent rendez-vous pour l’année suivante.
On se signe. L’aube naît. La grande tombe se rouvre, le brouillard a disparu.


Autour du Mont Saint Michel
Ces défauts de la grève forment quand la mer monte, des espèces de rivières sinueuses qui s’emplissent tout d’abord et qu’il est très difficile d’apercevoir dès la tombée de la brune, parce que ces rivières n’ont point de bords.
L’eau qui se trouve là ne fait que combler les défauts de la grève.
De telle sorte qu’on peut courir, bien loin devant le flot, sur une surface sèche et être déjà condamné. Car la mer invisible s’est épanchée sans bruit dans quelque canal circulaire, et l’on est dans une île qui va disparaître à son tour sous les eaux.
C’est là un des principaux dangers des lises ou sables mouvants que détrempent les lacs souterrains.

 Tombelène
 
Le mont Tombelène est plus large et moins haut que le Mont-Saint-Michel, son illustre voisin.
À l’époque où se passe notre histoire, les troupes de François de Bretagne avaient réussi à déloger les Anglais des fortifications qui tinrent si longtemps le Mont-Saint-Michel en échec. Ces fortifications étaient en partie rasées. Il n’y avait plus personne à Tombelène.
C’était sur le rocher de Tombelène, parmi les ruines des fortifications anglaises, que monsieur Hue de Maurever avait trouvé un asile, après la citation au tribunal de Dieu, donnée en la basilique du monastère.( Voir La fée des Grèves (1) ICI)


 Tombelène et les lises vus d'une meurtrière du Mont Saint Michel

Quand Reine, l'héroïne, la fée des Grèves  s'enfonce dans les lises de Tombelène, son amoureux aperçoit la scène du haut du Mont Saint Michel à travers un tube qui provoque l'incrédulité de chacun car il permet de voir de près, comme par magie, ce qui est fort loin. Un tube miraculeux!

Aubry mit son oeil au hasard à l'une des extrémités.
Il vit distinctement les vaches qui passaient sur le Mont-Dol, à quatre lieues de là.
Un cri de stupéfaction s'étouffa dans sa poitrine.
Le tube fut dirigé vers le point sombre qui tranchait sur le sable étincelant. Cette fois, Aubry laissa tomber le tube et saisit sa poitrine à deux mains.
-Reine ! Reine ! dit-il ; Julien et Méloir ! ! ! Au risque de se briser le crâne, il se précipita à corps perdu dans l'escalier de la plate-forme. (...)
Bientôt, on put le voir galoper à fond de train sur la grève. Il tenait à la main la lance de Ligneville. Devant lui, un grand lévrier noir bondissait. Ils allaient, ils allaient.- C'était un tourbillon ! Jeannin avait dit :
-Dans dix minutes, la mer couvrira ce point noir. Ce point noir, c'était Reine.


   Le Couesnon

Que venez-vous quérir sur les domaines du Roi ? demanda monsieur de Ligneville.
-Nous venons, par la volonté de notre seigneur le duc, répondit Corson, quérir monsieur Hue de Maurever, coupable de trahison.
-Et portez-vous licence de franchir la frontière ?
-De par Dieu ! monsieur de Ligneville, riposta Corson, quand notre seigneur François a sauvé votre sire des griffes de l'Anglais, il a franchi la frontière sans licence.
Ligneville fit un geste. Ses soldats se rangèrent en bataille. Hue de Maurever perça les rangs.
-Messire, dit-il, si ces gens de Bretagne veulent s'en retourner chez eux en se contentant de ma personne et en laissant libres tous les pauvres paysans de mes anciens domaines, je suis prêt à me livrer en leurs mains.
-Donc, pour ce, franchissez la rivière de Couesnon**, messire, répliqua Ligneville ; sur la terre du Roi, on ne se rend qu'au Roi.
       

*M Gilles, le frère de François 1er de Bretagne (qui était aussi son héritier), a été incarcéré par son frère. Il fut retrouvé étranglé dans sa cellule. On n'a jamais pu savoir si c'était sur l'ordre du Duc.  Mais ce dernier est  mort quelques mois après.

** Paul Féval fait une erreur ; La flèche actuelle n'a été construite qu'en 1899 

***Le Mont était rattaché depuis l'époque de Charlemagne au diocèse d'Avranches, en Neustrie. En 867, le traité de Compiègne attribua l'Avranchin à la Bretagne : c'était le début de la période "bretonne" du mont Saint-Michel. L'Avranchin, tout comme le Cotentin ne faisaient pas partie du territoire concédé à Rollon lors de l'établissement des Normands en 911 - le mont Saint-Michel restait provisoirement breton. Il l'était encore en 933 lorsque Guillaume Ier de Normandie récupéra l'Avranchin : la frontière était alors fixée à la Sélune, fleuve côtier qui se jetait à l'est du Mont.
Quelques décennies plus tard, en 1009, la frontière sud de l'Avranchin (et, partant, de la Normandie) fut déplacée jusqu'au Couesnon, fleuve côtier dont l'embouchure marqua pendant des siècles la limite officielle entre la Normandie et la Bretagne (bien avant d'être remplacée par une limite topographique fixe).

L'histoire et la légende se brouillent à cette date. Les textes de l'époque ne précisent pas le sort du mont Saint-Michel (ni sa localisation par rapport au Couesnon), mais son rattachement à la Normandie est attesté quelques décennies plus tard, et il est déjà effectif lorsque Guy de Thouars incendie le Mont en avril 1204.
Or, une légende affirme que le Couesnon, lors d'une de ses fréquentes divagations, se serait mis à déboucher à l’ouest du Mont, faisant ainsi passer ce dernier en Normandie. Si cette légende est exacte, le Mont aurait été situé à l'ouest du Couesnon en 1009 et la divagation du Couesnon se situerait quelques décennies plus tard. Si elle est fausse, le Couesnon se jetait déjà à l'ouest du mont Saint-Michel en 1009. (source Wikipedia)