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mercredi 30 novembre 2011

Les Romantiques français : des pistes de lecture (1)

Girodet : Atala de Chateaubriand


Quelques suggestions de lecture en ce qui concerne la littérature française. La liste n'est pas exhaustive et si vous voulez  la compléter dans les commentaires, vos conseils seront les bienvenus. N'oubliez par cependant de consulter la liste N2 toujours sur la littérature française que je suis obligée de publier à part à cause du chargement des dossiers. La semaine prochaine je publierai une liste sur la littérature anglaise, allemande, russe ...

 Le  début du romantisme  (1800-1815)

Le romantisme a été longuement préparé au XVIII°siècle par des écrivains comme Jean-Jacques Rousseau (La Nouvelle Héloïse 1761) ou Bernardin de Saint-Pierre (Paul et Virginie 1788).  Mais c'est madame de Stael et François-René de Chateaubriand qui sont les initiateurs du Romantisme en France. Après la Révolution, avec ses espoirs et ses violences, après les changements inéluctables de l'ancien monde,  apparaît ce sentiment d'insatisfaction métaphysique, composante fondamentale de l'âme romantique, source de mélancolie, du recours au rêve. Germaine de Stael avec De la Littérature (1800) et De l'Allemagne (1810), Chateaubriand avec le Génie du Christianisme (1802) sont les fondateurs du mouvement  et incarneront le début du  Romantisme.


Lectures possibles :
Les romans épistolaires et féministes de madame de Stael : Corinne et l'Italie (en partie autobiographique), Delphine.
Chateaubriand : Atala, René, Mémoires d'Outre-Tombe (le premier où il raconte son enfance et son adolescence  est très agréable à lire.)
                                               
Le romantisme 

 La bataille d'Hernani

La Restauration (1814) et la chute de l'Empire (1815) aggravent "le mal du siècle" et l'insatisfaction  profonde d'une jeunesse qui se voit privée à la fois de ses rêves de gloire liés à l'Empire et des libertés. Aussi la poésie lyrique de Lamartine avec les Méditations en 1820 correspondant à cette sensibilité romantique vont remporter un vif succès. Mais c'est dans le domaine du théâtre que la lutte contre le classicisme et la liberté des règles va être le plus intense. La fameuse bataille d'Hernani, drame romantique de Victor Hugo consacre la victoire du Romantisme en 1830. C'est l'apogée du Romantisme.
On a coutume de dater le déclin du romantisme de l'échec des Burgraves, drame de Victor Hugo, en 1843, ou encore de la révolution de 1848 et du coup d'état de 1851 qui amène le Second Empire. Et certes l'évolution de la société de la seconde moitié  du siècle, la révolution industrielle, la foi dans le progrès, le culte de la science, amènent un changement des mentalités qui se marquent en littérature par les mouvements littéraires comme le réalisme ou le naturalisme. Cependant le romantisme n'est pas mort, il évolue vers ce que l'on a appelé le surnaturalisme avec Nerval, Nodier, Aloysius Bertrand... des écrivains comme George Sand, Hugo... continuent d'écrire et  l'influence du Romantisme perdurera encore très tard dans la seconde moitié du XIX siècle.
Lectures possibles
 Lamartine : poésie,  Les Méditations, Jocelyn, Graziella (si cela n'a pas trop vieilli? )

Hugo : ses poésies, son théâtre : Hernani et Ruy Blas qui sont ses deux meilleures pièces, ses romans : Notre-Dame de Paris; les Misérables, Le dernier jour d'un condamné, L'homme qui rit..


Vigny : Les destinées, La mort du Loup, théâtre : Chatterton (je l'ai aimé quand j'étais au lycée mais je ne sais pas si je résisterai à une seconde lecture?)

Dumas : ses romans historiques : Le comte de Monte-Christo, La reine Margot, Les Trois mousquetaires...


Musset : Sa poésie, Les confessions d'un enfant du siècle,  son théâtre toujours aussi vivant sur scène : On ne badine pas avec l'amour, Les caprices de Marianne, Lorenzaccio

George Sand : Indiana, Lélia, Mauprat, Consuelo et la comtesse de Rudolstadt,  Valentine, Horace, Le meunier d'Angibault, Le compagnon du tour de France etc...
 

Théophile Gautier : Histoire du Romantisme que Gautier écrit avant de mourir et qui raconte la bataille d'Hernani, Le capitiane Fracasse, le roman de la momie, Mademoiselle de Maupin

Eugène Sue : Les mystères de Paris (très agréable à lire)


Nerval : Les chimères (poésies) Les Filles du Feu dont Sylvie, Aurélia. Surtout Sylvie!



mardi 29 novembre 2011

Invitation au romantisme : Un film, un poème, un chanteur




De temps en temps, je vous inviterai à aller voir de blog en blog les billets écrits dans le cadre du challenge romantique afin d'en découvrir les richesses et trésors. Il ne s'agira pas d'un bilan mais d'un voyage  dans l'univers romantique de la blogosphère.


Eeguab: Blogart (La Comtesse)*

UN  FILM : émois, et moi


 Il y a bien des manières d'aborder le romantisme, Eeguab nous parle d'abord de cinéma, une de ses  grandes passions, en se souvenant d'un film qui a marqué son enfance. Il m'a donné envie de voir ce film mais aussi de lire le livre dotn il est adapté en admettant que l'on puisse le trouver en traduction française : Quand Claudialucia a lancé ce beau projet j'ai eu tout de suite envie d'en être. Je ne savais pas vraiment, et ne le sais toujours pas vraiment, par quel biais j'aborderais ce périple. Mais par contre ma première intervention est l'évidence même, sur le plan cinématographique. La quintessence du Romantisme éclate d'ailleurs déjà dans le titre, Marianne de ma jeunesse. Lire la suite 


UN POEME  :  L'ombre des Valois

 Le poète bien-aimé de Eeguab, son  Poète, qui partage avec lui le même amour du Valois, est Gérard de Nerval. Eeguab a écrit une poésie pour lui rendre hommage.
 
Aux étangs émergeant d'une brume à damner

Quand le cerf coléreux de nos chemins cognait

Sa fureur et ses hargnes

Sous les hêtres et le ciel

Et qu'automne en ses eaux

Tendait les bras déjà

A ta douleur, toi, Nerval mon ami...




UN CHANTEUR: L'homme en ex-île



 S'il y a un chanteur français qui me paraît digne du joli challenge initié par Claudialucia il me  semble que c'est lui. Cela n'engage que moi (phrase que j'écris souvent, très souvent, nécessaire, nécessaire). Il me faut vous dire que j'écoute peu de chanson française, sauf les piliers, bien entendu. Mais bien d'autres chansons de William Sheller, par ailleurs grand musicien et compositeur "néo-romantique", feraient l'affaire : William Sheller Guernesey. Lire la suite et écouter la chanson

Et pour terminer une devinette : Qui peut expliquer le titre du blog de Eeguab Blogart (La Comtesse)?




lundi 28 novembre 2011

Saneh Sangsuk : Venin



Avec cette nouvelle Venin je découvre Saneh Sangsuk, écrivain thailandais. Ce livre raconte l'étonnante l'histoire de" Patte folle" comme le nomment les habitants mal intentionnés de son village, petit garçon estropié, et de sa lutte avec une gigantesque cobra de quatre mètres de long. Maintenant le serpent enroulé autour de son corps à bout de bras, la main enserrant le cou du monstre, il parcourt le village à la recherche d'un secours.
Ce récit est court, très ramassé. Il est d'abord précédé d'une présentation de l'enfant et de sa famille dans le contexte d'un  village. Le petit garçon n'a plus qu'un bras à la suite d'un accident et il a développé une grande force physique dans son bras unique. Il garde les vaches de ses parents et rêve à son avenir. il sera montreur de marionnettes et possède déjà un don particulier pour animer des figurines fabriquées  avec de la paille de riz. La vie du village, ses dissensions, les croyances qui animent chacun et qui les déchirent forment une première partie rapide qui laisse place  à l'apparition du serpent monstrueux.
Et c'est là le vrai sujet de la nouvelle. La lutte de l'enfant contre le serpent racontée sobrement est d'une grande intensité. On a l'impression d'être confronté à un combat mythique, celui de  l'être humain face à une force supérieure presque divine. Le serpent n'est-il pas envoyée par la Mère des Eaux, un monstre surgit des entrailles de la terre ? C'est ainsi que l'on peut le voir même si  Saneh Sangsuk a pris soin de dénoncer  au préalable les fausses croyances des villageois dominés par un devin simulateur et fourbe.
L'art de l'écrivain pour maintenir un suspense haletant est très habile. Parfois, il  nous entraîne à la limite de l'angoisse puis il nous laisse respirer   lorsque l'enfant, qui a envie de relâcher l'étreinte de sa main (mais sait que cela lui sera fatal),  arrive à s'évader par la pensée. L'angoisse revient pourtant, lancinante car penser à autre chose affaiblit le combattant et il a besoin d'être lucide pour continuer le combat. Nous sommes ainsi maintenus en haleine, avec l'espoir que les parents ou les villageois  viendront apporter de l'aide au  petit garçon. Nous  sommes  ainsi menés jusqu'à épuisement et puis soudain, tout se dénoue avec une rapidité surprenante. Trente et une pages sont nécessaires à décrire ce combat, dix lignes suffisent pour  en donner le dénouement. On pense au procédé utilisé par Victor Hugo dans sa légende des siècles "Le lendemain Aymeri prit la ville". Mais contrairement au poème de Hugo, le récit de Saneh Sansuk n'est pas épique, tout au moins stylistiquement, il est au contraire, d'une retenue remarquable, phrases courtes et sobres, sans émotion ou pathos. Et c'est de ce style épuré que la nouvelle tire sa force.
Quand le cobra projeta son corps vers le haut à nouveau, le petit d'homme se dressa d'un bond lui aussi. Les yeux du petit d'homme se révulsèrent, sa bouche béa pleine du vacarme d'un silence assourdissant. Il était trop terrorisé pour prendre la fuite. Il était tout à son jeu. Les cris des autres petits d'hommes sonnaient comme dans un rêve. Fuis, mais Fuis donc, Patte Folle! Fuis! La furie du serpent ne fit qu'augmenter.  Il se dressa plus haut encore. Sa tête se rétracta vers l'arrière comme un grand arc tendu à l'extrême. Sa gueule s'ouvrit grande, révélant des crocs recourbés et luisants. Le vent continuait à souffler en rafales. (...) Un milan planait haut dans le ciel, lançant son cri suraigu d'affamé tandis qu'il faisait demi-tour pour regagner son aire inaccessible.. Le cri du Milan n'avait pas pris fin que le serpent frappait de toutes ses forces.


dimanche 27 novembre 2011

Un livre, un Jeu : réponse à l'énigme n° 12 Pierre Very : les disparus de Saint Agil



Je décerne le César Chiche-Capon à  : Aifelle. Eeguab, Keisha, Dominique, Maggie, Lireau jardin, Dasola, Miriam, Loup rayé ... Bravo à tous et merci pour votre participation.

Pierre Very : Les disparus de Saint-Agil
Christian-Jaque : Les disparus de Saint-Agil, acteur américain d'origine autrichienne : Eric Von Stroheim voir chez WENS

Vous avez tous vu le film (génial) mais le roman est un peu moins connu. Paru en 1935, il est en partie autobiographique puisque Pierre Véry y raconte ses souvenirs d'adolescence au pensionnat Sainte-Marie de Meaux juste avant la guerre de 1914. 
Il va sans dire, écrit-il, qu'aucun des évènements mystérieux qui constituent la trame des Disparus ne s'est jamais produite à Sainte-Marie, au grand jamais! Le directeur et les professeurs étaient tous des honnêtes gens du monde, les plus affectueux, et les plus dévoués.
Mais ce qui a réellement existé, c'est  la société secrète de Chiche-Capon qui  se composait de trois membres,  le N°22, le n°7 et le N° 95 comme dans le roman.
J'étais le n° 95, ajoute-t-il. je rêvais déjà d'écrire des romans.(...) Le n° 22 était mon ami Georges Ninaud... Ninaud était l'aspirant globe-trotter/ Le n°7 était l'aspirant-détective. Du N° 7 et de ses activités sur cette planète, je ne puis rien révéler."
Tous les trois sont arrivés à réaliser leur rêve de carrière mais un seul, l'aspirant Globe-Trotter Ninaud, est allé aux Etats-Unis - ce pays dont l'amour les unissait- et à voyager dans le vaste monde! Quand Pierre Véry l'a vu reparaître un jour, des années après, il s'exprimait en anglais avec aisance mais avait presque oublié le français qu'il parlait avec un atroce accent yankee.

Cela peut faire sourire, écrit Pierre Very a propos de cette admiration pour les Etats-Unis,  mais, en ce temps-là, aux yeux de la plupart des jeunes, l'Amérique était paré de mille et un prestiges de l'imagination sous les signe de jack London, de Curwood et n'oublions pas l'humour!- de Mark Twain et de O. Henry. L' Amérique le pays des gratte-ciel et des gangsters (Oh,  Nick Carter!...), des cow-boys et des indiens (Oh! Buffalo Bill!...), des trappeurs et des chercheurs d'or....

Dans le roman le 95 s'appelle Mathieu Sorgue. Il est le premier à disparaître. Le deuxième est le N° 22, Philippe Macroy et le troisième, le n°7, est André Baume. Mais les trois enfants sont-ils partis pour réaliser leur projet fabuleux, atteindre les Etats-Unis par n'importe quel moyen ou ont-ils été enlevés comme se le demande André Baume juste avant sa propre disparition? Et par qui? Que se passe -t-il dans ce pensionnat où ont lieu tous ces évènements étranges car aux trois disparitions va bientôt s'ajouter une mort violente. L'intrique policière et le suspense sont bien menés.

Le roman a cette saveur  et ce charme de l'adolescence quand on croit encore très fort aux rêves et que l'on cultive le secret. Les jeunes garçons se réunissent dans la salle de science en présence de Martin Squelette, ils ont des signes de ralliement comme celui de Chiche-Capon, ils se saluent avec ce mot de passe Longue vie et dollars!, prépare leur futur voyage aux Etats-Unis avec le catalogue des Armes et cycles de Saint Etienne comme beaucoup d'autres enfants l'ont fait  avec eux!

Et c'est à ces enfants que Pierre Véry dédie son livre : A l'intention de tous ceux qui, étant enfants, ont, dans tous les internats de France et du monde, fondé des "Sociétés secrètes"....
Et de tous ceux qui continuent d'en fonder, grâce à Dieu... aussi longtemps qu'il y aura des enfants!
A quel âge est destiné ce livre? Les héros ont seize ans mais, en 1914, ils paraissent par leur comportement beaucoup moins âgés.  Cela s'explique par le fait que les adolescents de Saint-Agil n'avaient pas les mêmes moyens de documentation, de communication que maintenant. A cette époque  les voyages étaient encore très rares et les moyens de transport rendaient les distances encore plus grandes que de nos jours. Bref! dans le roman ils réagissent comme des enfants de 10-12 ans. Et c'est bien à cet âge-là, à mon avis, que le livre s'adresse. Je l'avais d'ailleurs fait lire avec succès à mes élèves de sixième et cinquième. j'ai lu, d'autre part, dans un blog, qu'une petite fille de neuf ans ne voulait pas le lire car elle avait peur de Martin Squelette!




samedi 26 novembre 2011

Un livre, un Jeu : énigme n° 12



Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.

Chez Wens ICI vous devez trouver le film et le réalisateur et un des comédiens,chez moi le livre et l'auteur.

Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs qui n'auront gagner que la gloire de participer (avouez que c'est beaucoup!) sera donnée le Dimanche.
 
Enigme n° 12

 Le livre qui  fait depuis de nombreuses années les délices des adolescents est un roman policier paru en 1935. L'histoire se déroule avant la première guerre mondiale dans un pensionnat des garçons.
 
Le numéro 95 ferma les yeux et s'appliqua à respirer fort, avec régularité. Il n'avait pu réprimer un tressaillement lorsqu'il avait perçu que la porte s'ouvrait. La lueur bleuâtre était trop faible pour que l'on pût voir tourner le bouton de porcelaine. Aussi, malgré que le numéro 95 attendît ce grincement, et peut-être justement en raison même de l'impatience avec laquelle il l'attendait, en avait-il ressenti une secousse nerveuse.
L'homme était entré, avait refermé. Le numéro 95 entendait s'élever autour  de lui les respirations de ses camarades : certains extraordinairement légères, d'autres rauques, encombrées.
L'homme circulait entre les couchettes. Toutes les cinq secondes, le numéro 95 se demandait en quel point du dortoir le personnage pouvait se trouver.

jeudi 24 novembre 2011

François-René de Chateaubriand : Mémoires d'Outre-tombe (2)


Pour la citation du jeudi continuons ensemble la lecture de ce premier volume des Mémoires d'Outre-Tombe dans lequel Chateaubriand narre son enfance. Ce passage célèbre raconte les soirées passées au château de Combourg ainsi que les nuits dans le donjon isolé où l'enfant était relégué à l'écart des autres.

Vie à Combourg-journées, soirées

Ce torrent de paroles écoulé, j’appelais la femme de chambre, et je reconduisais ma mère et ma sœur à leur appartement. Avant de me retirer, elles me faisaient regarder sous les lits, dans les cheminées, derrière les portes, visiter les escaliers, les passages et les corridors voisins. Toutes les traditions du château, voleurs et spectres, leur revenaient en mémoire. Les gens étaient persuadés qu’un certain comte de Combourg, à jambe de bois, mort depuis trois siècles, apparaissait à certaines époques, et qu’on l’avait rencontré dans le grand escalier de la tourelle ; sa jambe de bois se promenait aussi quelquefois seule avec un chat noir.
Mon donjon
La fenêtre de mon donjon s'ouvrait sur la cour intérieure ; le jour, j'avais en perspective les créneaux de la courtine opposée, où végétaient des scolopendres et croissait un prunier sauvage. Quelques martinets qui, durant l'été, s'enfonçaient en criant dans les trous des murs, étaient mes seuls compagnons. La nuit, je n'apercevais qu'un petit morceau du ciel, et quelques étoiles. Lorsque la lune brillait et qu'elle s'abaissait à l'occident, j'en étais averti par ses rayons, qui venaient à mon lit au travers des carreaux losangés de la fenêtre. Des chouettes, voletant d'une tour à l'autre, passant et repassant entre la lune et moi, dessinaient sur mes rideaux l'ombre mobile de leurs ailes. Relégué dans l'endroit le plus désert, à l'ouverture des galeries, je ne perdais pas un murmure des ténèbres. Quelquefois, le vent semblait courir à pas légers ; quelquefois, il laissait échapper des plaintes ; tout à coup, ma porte était ébranlée avec violence, les souterrains poussaient des mugissements, puis ces bruits expiraient pour recommencer encore. A quatre heures du matin, la voix du maître du château, appelant le valet de chambre à l'entrée des voûtes séculaires, se faisaient entendre comme la voix du dernier fantôme de la nuit. Cette voix remplaçait pour moi la douce harmonie au son de laquelle le père de Montaigne éveillait son fils.
L'entêtement du comte de Chateaubriand à faire coucher un enfant seul au haut d'une tour pouvait avoir quelque inconvénient ; mais il tourna à mon avantage. Cette manière violente de me traiter me laissa le courage d'un homme, sans m'ôter cette sensibilité d'imagination dont on voudrait aujourd'hui priver la jeunesse. Au lieu de me chercher à me convaincre qu'il n'y avait point de revenants, on me força de les braver. Lorsque mon père me disait d'un sourire ironique : « Monsieur le Chevalier aurait-il peur ? » il m'eût fait coucher avec un mort. Lorsque mon excellente mère me disait : « Mon enfant, tout n'arrive que par la permission de Dieu ; vous n'avez rien à craindre des mauvais esprits, tant que vous serez bon chrétien », j'étais mieux rassuré que par tous les arguments de la philosophie.




mercredi 23 novembre 2011

Mercredi romantique : Camilo Castelo Branco : Amour de perdition


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Librairie Lello de Porto (intérieur)

C'est dans cette librairie réputée de Porto, classée patrimoine national, que j'ai découvert Amour de Perdition de Camilo Castelo Branco, une des oeuvres romantiques  les plus célèbres du Portugal. Porté plusieurs fois à l'écran, le roman a été adapté entre autres par Manuel  de Oliveira, film, paraît-il, magnifique.

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Camilo Castelo Branco, écrivain portugais, écrit Amour de Perdition en prison. C'est sa passion pour Ana Augusta Placido qui le conduit là. La jeune fille que Camilo Castelo Branco a rencontrée dans un bal à Porto est mariée par son père, et malgré son inclination pour le jeune homme, à un riche commerçant plus âgé qu'elle. Huit après ce  mariage, elle le rejoint à Braga et devient sa maîtresse. Les deux amants poursuivis pour adultère prennent la fuite. La jeune femme, à la demande de son mari, accepte d'entrer au couvent pour échapper à la justice et au scandale mais Camilo l'en délivre. Ana est arrêtée en 1860 et le jeune homme se rend à la police peu après. Ils sont tous les deux incarcérés à la Prison de la Relation à Porto.

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Prison de la Relation à Porto (aujourd'hui, Centre portugais de la photographie)

A propos de Amour de Perdition, Camilo Castelo Branco dira plus tard : " J'ai écrit ce roman en quinze jours, les plus tourmentés de ma vie".
Le récit se situe au début du XIXème siècle, soit un demi-siècle avant la détention du jeune homme à la prison de la Relation, et a beaucoup en commun, on le comprend, avec la propre histoire de l'écrivain.
Il raconte l'amour contrarié de l'oncle de Camilo, Simon Antonio Bothelo,  épris de sa jeune voisine, Thérèse d'Alburquerque. Le père de Thérèse, Tadeu d'Alburquerque, est  ennemi de celui de Simon, le juge  Domingos Bothelo à qui il voue une haine farouche. Il lui reproche, en effet, de lui avoir fait perdre son procès. Abusant de son pouvoir paternel, il veut contraindre sa fille à épouser son cousin Balthazar. La jeune fille refuse de se plier à la décision de son père. Tadeu décide de l'enfermer dans un couvent. Simon pourrait enlever sa bien-aimée mais persuadé que le destin de sa famille est de connaître le malheur à cause de l'amour, il décide d'accepter sa destinée tout en restant le maître. Il  tue Balthazar, choisissant ainsi la prison et la mort. La toute-puissance de son père commuera la peine capitale en exil. Il mourra sur le navire qui l'amène au bagne et qui a jeté l'ancre face au couvent où Thérèse est en train de s'éteindre. En parallèle à cette héroïne noble, femme forte et déterminée, Camilo Castelo Branco  brosse le portrait d'un autre personnage féminin, Mariana. Elle aussi figure majeure du roman, Mariana est issue du peuple. Servante de Simon, éprise de son maître sans rien espérer en retour,  elle l'assiste sans faiblir dans le malheur, acceptant même de le suivre au bagne, et se jette dans la mer pour ne pas lui survivre.

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Prison de la Relation Porto

Ainsi ce récit d'amour fou, de violence, met en scène des êtres entiers, passionnés, qui ne veulent pas composer avec leur destin et préfèrent la mort.
On a souvent comparé Amour de perdition à  Roméo et Juliette. Mais le roman est bien ancré dans la société portugaise. Il faut lire la préface de Jacques Parsi -qui est aussi le traducteur de l'ouvrage aux éditions Actes Sud - pour comprendre que tous ces évènements qui nous paraissent appartenir à la tradition un peu conventionnelle du romantisme sont non seulement rejoints mais dépassés par la réalité. Amour contrarié, mariage forcé, enfermement dans un couvent, sombre machination, enlèvement, duel, meurtre, ont été vécus par Camilo et par plusieurs de ses amis. La noirceur du roman est le reflet de la jeunesse de cette moitié du XIXème siècle qui sort perdante d'une guerre civile* où ses idéaux ont été foulés aux pieds.
Au-delà de l'histoire d'amour, j'ai été frappée par  l'âpreté de la peinture sociale. Dans cette société, la  la loi du plus fort est de mise. On n'hésite pas à se débarrasser de celui qui gêne et on peut le faire impunément si l'on appartient à une famille puissante et surtout si la victime est de condition modeste. Ainsi, lorsque Simon tue les sbires de son rival, avec  son complice, le maréchal-ferrant Jean da Cruz, celui-ci lui fait remarquer que s'ils sont pris, Simon s'en sortira blanchi grâce à son père, le juge, tandis que lui ira à la potence. La description du premier couvent où est enfermée Thérèse est d'une férocité incroyable. Les religieuses hypocrites et doucereuses, sont pleines de fiel les unes envers les autres. Elles dénigrent leurs compagnes dès que celles-ci ont le dos tourné, tout en cultivant leur propre vice : alcool, goinfrerie, amants. La Mère Supérieure couche avec le chapelain et s'endort en faisant ses prières. Thérèse en conclut que si elle veut apprendre la vertu elle doit aller partout sauf dans un couvent.
*Révolte populaire de 1846 qui se prolongea par une guerre civile de neuf mois contre le gouvernement des frères Cabral
Camilo Castelo Branco : Amour de perdition  traduit du portugais par Jacques Parsi édit Actes Sud Babel 2000 roman paru en 1861
voir article ici
Biographie : extrait de l'article de wikipédia
La vie agitée de Camilo, comme on l'appelle affectueusement, a été aussi riche en événements et aussi tragique que celle de ses personnages : fils naturel d'un père noble et d'une mère paysanne, il est très tôt resté orphelin. Marié à seize ans avec Joaquina Pereira, il connut d'autres passions tumultueuses, dont l'une le mena en prison : celle pour Ana Plácido qui devait devenir sa compagne. Fait vicomte de Correia-Botelho en 1885, pensionné par le gouvernement, il connut cependant une fin de vie des plus pénibles : perclus de douleurs et devenu aveugle, il finit par se suicider.
À travers son œuvre très féconde (262 volumes), Castelo Branco s'est intéressé à presque tous les genres : poésie, théâtre, roman historique, histoire, biographie, critique littéraire, traduction. On y retrouve le tempérament et la vie de l'auteur : la passion fatale s'y lie au sarcasme, le lyrisme à l'ironie, la morale au fanatisme et au cynisme, la tendresse au blasphème.(...)
Cet écrivain à l'imagination vive, au style communicatif, naturel et coloré, au vocabulaire riche et nuancé, est un maître de la langue portugaise. Amour de perdition, publié en 1862, est, d'après Miguel de Unamuno le plus grand roman d'amour de la Péninsule Ibérique.

 
Billet paru dans mon ancien blog, rédigé  après un voyage au Portugal.
 
 

mardi 22 novembre 2011

Invitation au romantisme : Chateaubriand, ridicule?



 De temps en temps, je vous inviterai à aller voir de blog en blog les billets écrits dans le cadre du challenge romantique afin d'en découvrir les richesses et trésors. Il ne s'agira pas d'un bilan mais d'un voyage  dans l'univers romantique de la blogosphère.

                                                   LE BLOG DE MELISANDE

Nous avions parlé de Chateaubriand avec Miriam la semaine dernière. Continuons avec Mélisande qui écrit sur lui un billet irrévencieux et malicieux qui démomifie le Grand Homme. Le titre? 
                                        

Après avoir lu  le Chateaubriand de Ghislain Diesbach,  Mélisande écrit :
 
"De ce portrait de Chateaubriand fait pas de Diesbach, j'ai retenu surtout la dimension parfois comique du personnage. Le  Chateaubriand que nous connaissons tous, c'est  celui des mémoires, celui qui pose pour la postérité drapé de sa mélancolie parfois ostentatoire comme un génie funèbre venant prophétiser la fin de temps. La biographie ne s’arrête pas à cette dimension, elle se plait aussi à nous dépeindre le Chateaubriand de tous le jours, parfois un peu ridicule. 
On apprend par exemple (c'est Madame de Boigne qui rapporte cette anecdote dans ses mémoires) que Chateaubriand avait de nombreuses admiratrices."   Lire la suite ICI.




Arnold Böcklin peintre suisse symboliste (1827-1901)


Et oui, notre grand homme se plaisait  à prendre des poses et ceci me rappelle ce voyage fait à la Fontaine du Vaucluse en Novembre 1802 qu'il relate ainsi en 1838 pour les Mémoires d'Outre-Tombe (2ème partie, livre 14, chapitre 2)

J'allais en Vaucluse cueillir aux bords de la Fontaine des bruyères parfumées et la première olive que portait un jeune olivier. On entendait dans le lointain les sons du luth de Pétrarque, une canzone solitaire échappée de la tombe continuait à charmer le Vaucluse d'une immortelle mélancolie et des chagrins d'amour d'autre fois.

Ce que Chateaubriand a oublié, c'est cette lettre  écrite à son ami M. de Fontanes, le 6 Novembre 1802,  peu après la promenade, dans laquelle il se plaint prosaïquement des conditions de la visite et ajoute : 

Quant à Laure, la bégueule, et Pétarque, le bel esprit, ils m'ont gâté la Fontaine.





Petite supplique aux romantiques de notre challenge :
 
 
Laissez-moi les liens vers vos blogs dans les commentaires de LA LISTE DES PARTICIPANTS (logo colonne de gauche de mon blog, en haut, en première position. Cliquez sur l'image). Merci.

lundi 21 novembre 2011

Jack London : Construire un feu



Construire un feu de Jack London  réunit plusieurs récits de Jack London dont la nouvelle éponyme.

L'ensemble des sept nouvelles se situent dans un lieu géographique qui s'étend du Nord-Ouest du Canada jusqu'à la Colombie britannique et l'Alaska avec pour axe le Yukon. Ces paysages glacés, désertiques, qui mettent l'Homme à l'épreuve, le confrontent à la solitude et à la mort, sont les champs d'expérience d'hommes rudes, âpres, durs à la souffrance, à la nature fruste mais au courage souvent sans mesure. Ces individus sans foi ni loi, cruels et violents, trappeurs, chercheurs d'or, voyageurs, Jack London nous en brosse des portraits  forts et haut en couleurs. Ainsi dans Perdu-de-face, le personnage principal parti de Pologne, arrive en Alaska où il se joint à une bande de chasseurs de phoques barbares qui réduisent la population autochtone à l'esclavage. Mais les victimes prouveront bientôt qu'elles ne valent pas mieux que les bourreaux.

Dans toutes ces nouvelles, la nature sert de révélateur, elle confronte l'Homme à sa propre image, elle est aussi la métaphore de la Mort que chacun doit affronter.  Dans Construire un feu, un homme accompagné de son chien se sont engagés sur une piste qui longe le Yukon pris dans les glaces et  qui doit les conduire vers le refuge où l'attendent ses compagnons. Mais la route est longue, la température avoisine -75° et l'on ne s'engage jamais seul sur une piste avec un froid aussi intense.. Construire un feu devient alors un geste désespéré qui, si l'on échoue, vous condamne obligatoirement à la mort. L'homme apprendra à ses dépens que la nature ne permet pas la moindre erreur. C'est peut-être l'un des plus belles et des plus saisissantes nouvelles du recueil.

Sur un mode plus léger nous voyons dans Ce Sacré Spot, deux amis se fâcher car chacun veut refiler à l'autre le chien Spot, voleur, paresseux, batailleur qui ne pense qu'à manger!  Mais l'ironie devient cruelle avec Mission de confiance, récit dans lequel Fred Churchill est chargé de rapporter un sac à son ami Mc Donald. Il le fera  au prix d'énormes souffrances, au risque de sa vie, avant d'apprendre ce que contenait la sacoche. Jack London dans ce recueil manie, en effet, toutes les facettes de l'humour.  L'humour noir  avec  la disparition de Marcus O Brien, récit dans lequel les personnages ont  des conceptions un peu particulières de la justice. Ils estiment légitime d'expédier dans l'au-delà leur camarade s'il chante faux et offense leurs oreilles! L'humour tourne à la farce grotesque mais sanguinolente dans Perdu-la-Face où le héros pour éviter d'être torturé par les indiens invente un stratagème qui ridiculise le chef. Quant à Braise d'or, l'un des personnages féminins du recueil, elle paiera le prix fort pour sa légèreté, le cadavre de son fiancé abandonné s'invitant à sa noce. Humour noir qui glisse  vers un  fantastique macabre, vision hallucinée de ce cadavre éjecté de son cercueil et qui conduit la fiancée infidèle à la folie. 
Ainsi l'humour semble souvent inséparable du pessimisme  de Jack London souligne  les thèmes de la Nature implacable et de la Mort, celui de la barbarie de l'Homme dans un pays qui semble échapper aux lois de la civilisation. Une barbarie qui n'a d'égale que le courage car l'Homme est capable du meilleur et du pire! Un très beau recueil de nouvelles.

              Une Bande dessinée de Chabouté


Chabouté a adapté la nouvelle Construire un feu en Bande dessinée. C'est une réussite! Les dessins en noir et blanc correspondent à chaque phrase-clef de la nouvelle, décrivant le froid, la solitude de l'homme, les gestes minutieux rendus difficiles par le gel pour allumer le feu. Les plans d'ensemble qui peignent l'immensité déserte et donnent la mesure de  la petitesse de l'homme alternent avec des gros plans. Ceux-ci montrent dans le détail les souffrances endurées par le personnage, l'action terrible du froid. Les pensées sont traduites dans des bulles comme s'il s'agissait d'une voix off qui commente la situation. La beauté des dessins rend pleinement compte de cette confrontation tragique entre l'Homme et la Nature, de la disproportion entre l'être humain si frêle et la nature si puissante. Elle montre la démesure de cette lutte racontée par Jack London et comment l'homme paiera son orgueil de sa mort.
 Deux artistes de talent réunis pour une oeuvre sombre et forte.

Chez Folfaerie


Chez Sabbio

dimanche 20 novembre 2011

Guillaume Apollinaire : Automne malade

 Lozère en automne

Pour ce dimanche poétique je retrouve un de mes poètes préférés, Guillaume Apollinaire

Automne malade

Automne malade et adoré
Tu mourras quand l'ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neigé
Dans les vergers

Pauvre automne

Meurs en blancheur et en richesse
De neige et de fruits mûrs
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n'ont jamais aimé

Aux lisières lointaines

Les cerfs ont bramé

Et que j'aime ô saison que j'aime tes rumeurs

Les fruits tombant sans qu'on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille
Les feuilles
Qu'on foule
Un train
Qui roule
La vie
S'écoule




Dimanche poétique

 Les troubadours de Bookworm

Un livre, un Jeu : réponse à l'énigme n° 11 David Goodis : cauchemar/ dark passage


Nos perspicaces gagnants ont pour nom : Aifelle, Eeguab, Jeneen, Sabbio,  ...  

 Et merci à Maggie, Dasola, K'agire, Asphodèle, Lireau jardin qui ont eu le courage de participer même si le roman noir n'est pas leur tasse de thé!
Avez-vous trouvé l'énigme soulevée par Sabbio dans ses commentaires? Moi non!!
"Et bien le film à trouVer aujourd'hui et "Rebecca" ont une actrice en commun! Et c'est fou car elle a participé à de très grands projets (ciné ou radio) mais elle a aussi été la fameuse Endora dans une série de qualité moyenne, tout à la fin de sa carrière ."

 

Le roman de David Goodies et le film de Delmer Daves ont le même titre en anglais : Dark passage
Le titre français du Roman est cauchemar et le titre français du film est : Les passagers de la nuit.

Dark passage est paru en 1946. David Goodies,  traduit en français par Cauchemar, est un roman noir, le second de cet écrivain, et s'il a eu une renommée fulgurante c'est que la Warner a acheté les droits du roman tout de suite. Le film paraît dès 1947 avec Humphrey Boggart et Lauren Bacall.

Vincent Parry est accusé d'avoir tué son épouse Gert. Magda, l'ancienne maîtresse de Parry, qui a découvert Gert encore vivante, affirme, en effet, que cette dernière a désigné son mari comme meurtrier avant de mourir. Au pénitencier, Parry sait qu'il n'a aucune chance de sortir un jour de prison. Il s'évade caché dans des barils transportés par un camion de livraison. Alors qu'il est poursuivi par la police, il va être secouru par une jeune femme, Irène Jansen, qui l'amène dans son luxueux appartement à San Francisco.  Malgré l'aide de la jeune femme, Vincent Parry  va devoir lutter contre une série d'évènements qui le dépassent et l'entraînent dans une spirale tragique digne du pire cauchemar.

 Contrairement à de nombreux romans noirs qui règlent leur compte à la société et en font le sujet du récit, le roman de Goodis parle d'un destin individuel. Cependant si la société n'est pas le sujet du roman, elle existe pourtant en filigrane. Le récit se déroule en 1945, il y est question de démobilisation et les hommes sont jugés en fonction de leur rôle dans la guerre. Ainsi Vincent Parry qui n'a pas été mobilisé pour des raisons de santé, est traité "d'embusqué", ce qui influence négativement le jury et pèse lourdement dans sa condamnation pour un meurtre qu'il n'a pas commis.  Les thèmes de l'injustice sociale et de l'inégalité sont aussi présents mais apparaissent sous une forme visionnaire, comme une image qui oppose l'Humanité travailleuse et opprimée enfermée dans une cage et la riche Humanité dont la vie brillante se déroule loin au-dessus de Vincent, hors de sa  portée. On a l'impression que la vision de Parry est celle d'un conte merveilleux dont il aurait été exclu.

Et un jour ces clients revenaient chez leur argent de change, ils revenaient dans des limousines étincelantes, hâlés, souriants. Lui, Parry, dans sa cage, les regardait et déplorait que ces gens aussi heureux fussent mortels, parce que la vie valait vraiment la peine d'être vécue pour ceux qui étaient riches et qui  trouvaient plaisir à tant de choses. Il aimait les voir rentrer dans la salle des cours, vêtus de complets coûteux fumant de cigares chers et parlant avec des voix de gens riches. Les observer le ravissait, parce que rien qu'à les regarder il sentait son existence tout embellie par mimétisme. Parfois, il avait envie de leur parler et regrettait de ne pas être assez hardi pour le faire.

Cette arrière-fond  souligne la tristesse et la noirceur de ce destin individuel. Vincent Parry, le héros, est pris dans un engrenage auquel il ne peut échapper. Il sort à peine d'une situation désespérée qu'il retombe dans une autre. Les morts se multiplient sur sa route. Il en vient à penser qu'il représente un danger pour ses  proches, ses amis et il en est tellement persuadé qu'il préfère éloigner de lui la femme qu'il aime pour lui éviter de partager son destin tragique. Tout ce qu'il entreprend est condamné à l'échec. On a l'impression qu'une fatalité pèse sur lui! Il pourrait être par excellence le type du héros tragique antique poursuivi par le fatum ou celui du héros romantique condamné d'avance par le destin.  Mais Pour David Goddies la fatalité n'est que sociale. On ne peut s'évader de sa cage. Les hommes sont conditionnées par le milieu dans lequel ils vivent. Pour le reste et quant à l'avalanche de cadavres, David Goodis ne croit pas à la fatalité et nous verrons qu'il nous ne proposera une explication tout à fait rationnelle. Le dénouement nous apprendra, en effet, qui s'acharne à faire condamner Vincent Parry et pourquoi. 
D'autre part, le personnage n'a rien d'un héros. Au contraire, c'est un modeste employé qui travaille dans une agence de change et qui gagne de quoi vivre très humblement, en calculant pour arriver à la fin du mois.  Il n'a pas fait d'études et quand il essaie de passer un concours pour doubler son misérable salaire, il échoue. Il n'a pas d'ambition, ni de rêves mirobolants, seulement le désir d'avoir une femme qu'il aime et qui l'attend avec amour dans leur modeste appartement. Il n'a pas non plus un physique de héros, de petite taille, il manque de force,  il n'a aucune prestance dans ses vêtements mal coupés :  l'anti-héros par excellence, le looser à qui rien ne réussit.
Comment expliquer alors qu'il puisse attirer une femme aussi riche et cultivée que Irène Jansen? On peut reprocher au roman ses invraisemblances. Irène se met en danger parce qu'elle croit Parry innocent mais elle ne le connaît pas vraiment. D'ailleurs, elle a peur de lui, au début de leur rencontre, quand elle constate que la prison l'a rendu violent. Malgré cela, elle est prête à risquer sa réputation, à faire des années de prison pour un personnage qui, à première vue, paraît bien falot. Il est vrai qu'il est innocent, ce que le lecteur sait avec certitude dès la première page, mais cela ne suffit pas à expliquer l'attitude et le dévouement d'Irène qui, elle, n'a aucune preuve.. On peut chercher, bien sûr, l'explication dans le passé de la jeune femme, dans ce père injustement accusé du meurtre de sa femme et qui est mort en prison. Mais ce n'est pas suffisant. Goodis sème des indices subtils qui montrent que les deux  personnages sont en adéquation, comme si certains signes secrets, symboliques, ne pouvaient tromper sur la personnalité profonde. Les couleurs préférées d'Irène, le mauve et le jaune, sont aussi celles de Vincent alors que l'orange est la couleur des personnages négatifs. Tous deux aiment le Jazz et Count Basie, le musicien,  les fait vibrer de la même émotion. Tous deux ont un rapport désintéressé à l'argent, Irène est riche et donne de l'argent à Vincent. Mais nous avons vu celui-ci, au début de sa vie de couple avec Gert, malgré ses difficultés financières, s'endetter pour offrir une bague à sa femme que celle-ci jette avec mépris estimant qu'elle n'a pas de valeur.  Et c'est par ce don, geste  généreux et sans calcul, que Vincent échappe à la médiocrité de sa vie. La valeur des gens est souterraine, image inversée de celle que la société nous donne en exemple.
Sur sa route, Vincent Parry rencontre des personnages qui sont prêts à l'aider, son ami George qui l'accueille chez lui malgré les risques, le chauffeur de taxi qui l'amène chez le chirurgien  esthétique sans accepter de contrepartie financière. Le monde semble divisé entre les bons et les méchants, ces derniers étant prêts à tuer soit pour de l'argent soit par vengeance. On a l'impression parfois d'être dans un univers de conte ou "les fées" viennent aider la victime mais ne sont pas assez puissantes pour luttrer contre les forces du mal.  On ne peut pas croire, non plus, à cette opération du visage faite à la sauvette et si réussie!  En fait, David Goodis s'intéresse peu à la vraisemblance du récit.  Le récit glisse même parfois vers le fantastique, Vincent parle avec les morts, avec son ami George quand il le retrouve assassiné, gisant sur le sol ou encore avec le maître chanteur qu'il vient de tuer...
Le roman baigne dans la mélancolie poignante d'une existence ratée et a des accents poétiques qui échappent ainsi au réalisme. David Goodis nous conte une belle histoire d'amour hors des contingences matérielles et si le récit est noir il est à noter qu'il se termine par une touche d'espoir. L'amour pourra peut-être triompher.


Le roman/ le film
Dans le film ( WENS) le héros est incarné par Humphrey Boggart. Même si l'on ne le voit pas pendant une partie du film, la caméra étant subjective jusqu'au moment où il apparaît avec son nouveau visage, il est sûr que l'acteur donne une prestance au personnage que celui-ci n'a pas dans le livre. On comprend que la belle Lauren Bacall puisse en tomber amoureuse! D'ailleurs, toute allusion à la différence sociale entre les deux personnages est gommée. On n'insiste pas non plus sur le fait que Vincent Parry accepte de l'argent de la jeune femme. La fin est légèrement différente. Dans le livre, Vincent est amené à tuer pour sauver sa vie, dans le film c'est tout à fait impossible (voir ce qui a été dit samedi dernier sur Rebecca et la censure). Dans le roman, Davis Goodis laisse un espoir, le film, lui, se termine par un happy end.
 Malgré ces quelques différences, les deux oeuvres ont toutes deux un charme fou alors même que l'on ne peut croire à l'histoire.

samedi 19 novembre 2011

Un livre, un Jeu : énigme n° 11




Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.

Chez Wens ICI vous devez trouver le film, le metteur en scène et les acteurs, chez moi, le livre.

Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs qui n'auront gagner que la gloire de participer (avouez que c'est beaucoup!) sera donnée le Dimanche.
Ce roman noir d'un auteur américain est paru en 1946.  Il s'agit du second roman de cet écrivain et il a obtenu un vif  succès puisque le livre est  immédiatement acheté par la Warner. Le film sortira sur les écrans en 1947.  En français, le titre du film et celui du roman ne porte pas le même nom. Comme dans tout roman noir,  une femme fatale mènera le héros, à sa perte. Mais une autre femme, amoureuse, lui laisse une raison d'espérer.
 L'auteur à été très souvent adapté au cinéma par de grands réalisateurs, Truffaut, Beinex, Girod, Béhat, qui aiment ses personnages de loosers

Enigme n° 11

Ne bougez pas tout de suite. N'essayez pas de parler. Ne remuez pas la bouche. Je vous ai collé du sparadrap sur le visage. Je vous ai laissé un petit espace à la hauteur de la bouche pour que vous puissiez-vous nourrir. Servez-vous d'un tube de verre et absorbez tout ce que vous voudrez, pourvu que ce soit du liquide. Si vous voulez fumer, prenez un fume-cigarette. Mais il ne faut surtout pas bouger vos lèvres ni essayer de parler.  Vous pourrez défaire les pansements dans cinq jours. Quand vous les aurez retirés, vous vous regarderez dans la glace et vous verrez un nouveau visage.

vendredi 18 novembre 2011

Des Mots, une histoire : Automne malade et adoré...

 Camille Pissaro : automne

Les mots imposés pour l’édition 46 du jeu Des mots, une histoire dans le blog d'Olivia sont  : patine – salariat – remorque – regard – poix – exécution – rompre – panais – plaisir – savoir – paix – couperet – jardin – feuille – macramé – horticulture – sens – repassage – chausson – soupir – automne – ensevelir – opiniâtre

                                         
Automne malade et adoré*

 Automne opiniâtre, tu ensevelis mon regard sous tes feuilles de macramé dorées. Dans la forêt, c'est l'exécution, couperet du temps qui passe et repasse et passe sans cesse, tu déverses la poix visqueuse des tronc d'arbres blessés. Dans le jardin, tu romps la tige des asters, tu effeuilles leurs étoiles qui scintillent dans la fumée des brumes. Tu grognes, tu rages, tu lacères les panais, tu mords la tête chevelue des choux, tu les défrises. Automne malade et adoré! Tu dis non au savoir de l'horticulture, à sa sagesse ancestrale et tandis que s'arrondissent les formes du potiron flamboyant, j'entends tes soupirs, tes regrets, ta violence qui explose comme celle du salariat opprimé. Calme-toi Automne, cesse d'être à la remorque du temps, goûte les bruissements de ton haleine, prends plaisir à la vieillée, à ses reflets de joie et de flammes au coin de la cheminée et aux petits pieds d'enfants dans leurs chaussons douillets. Sois toi-même, Automne, beau, éclatant, triomphant dans ta gangue de feux.  Patine nos coeurs, apporte à nos sens la paix et la douceur.

  *Titre dû à Apollinaire