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mardi 24 juin 2014

Glaz 4 est paru!


Glaz le magazine numérique collectif de Gwenaelle vient de sortir. Il est consacré à la Bretagne! Ne manquez pas d'aller le lire. En voici le sommaire :

Sommaire

Flâneries Nantaises 6
Les Côtes d’Armor 10
La Gacilly, une cité d’art en pays de Redon 14
Contemplations 16
L’Ecole des Filles 22

Escales en littérature
 
Rencontre avec Fabienne Juhel 29
Le corps perdu de Suzanne Thover 34
Georges Perros, un homme discret 38
Xavier Grall 42
Anatole Le Braz 44
Ernest Renan 48
Promenade en Bretagne 50
avec Chateaubriand
Noir en Bretagne 56
Liscorno 60
 
Les Nouvelles 62
 
Les Voyageurs 63
Pourquoi le Mont-Saint-Michel est normand... 65
Le loup de la Dosenn 67
Le Renard 70

et beaucoup de belles photographies!

Gwenaelle attend vos avis et vos suggestions pour le numéro suivent : Glaz 5

dimanche 22 juin 2014

Ed McBain : Dix plus un



 
Ed Mac Bain  (1926-2005) de son vrai nom Salvatore Lombino est un auteur américain d'origine italienne qui a vécu son enfance à Harlem à New York puis dans le Bronx. Il est devenu l'un des grands maîtres du roman noir, créant des personnages récurrents, des flics travaillant dans le 87ème district d'Isola. Steve Carella est le personnage principal, inspecteur entouré de ses collègues à qui McBain a donné un passé, une personnalité, et qu'il suit non seulement dans leur vie professionnelle mais aussi dans leur vie privée et familiale.




 Chaque roman, loin de se polariser sur une seule enquête policière, montre le quotidien d'un commissariat dans la ville fictive d'Isola imaginée par l'auteur qui a pris New York pour modèle. C'est une ville avec ses quartiers riches ou miséreux; dans ces derniers se croisent, noirs, irlandais, portoricains, victimes et tueurs, prostituées et caïds, et les crimes les plus crapuleux alternent avec toutes sortes de délinquance. Ainsi il dresse le portrait d'une société où règne l'inégalité, la misère, le racisme, la violence et qui ressemble comme deux gouttes d'eau à la société new yorkaise! Et pour cause!
Steve Carella, d'origine napolitaine,  vit sa vie dans les 53 romans qui lui sont consacrés de 1956 à 2005. Il entre dans la police à 21 ans et s'il vieillit ce n'est pas au rythme de la parution des romans. Il épouse Teddy, une jeune femme, sourde et muette, qu'il aime d'un grand amour, refusant malgré les occasionsqui se présentent de lui être infidèle, l'encourageant à être complètement autonome malgré son handicap. Ils ont des jumeaux Mark et April. Il est entouré de ses partenaires que nous apprenons à connaître, Bert Kling, Meyer Meyer … et a pour patron Peter Byrnes, le chef des inspecteurs du 87ème district.
Steve Carella a été interprété à l’écran par plusieurs grands acteurs : Jean-Louis Trintignant, Burt Reynolds, Donal Sutherland, Robert Lansing…

Ed Mc Bain a utilisé plusieurs pseudonymes Evan Hunter, Richard Marsten, Hunt Collins, Curt Cannon et Ezra Hannon. Il est aussi scénariste, en particulier du film Les oiseaux d'Hitchcock d'après Daphné du Maurier.
Ten plus One (dix plus un) a été publié en 1963 et adapté à l'écran par Philippe Labro qui a transposé l'action dans la société français, à Nice, dans les années 1970.

Jeain-Louis Trintignant : Steve Carella


Le sujet :
Un "canardeur", tireur d'élite, tue l'une après l'autre des personnes qui n'ont apparemment aucun lien entre elles :  marchand de primeurs, riche avocat, homme politique en vue, prostituée, auteur … Un casse-tête pour Carrela et ses collègues jusqu'au moment où ils découvriront le fil conducteur et le drame qui est à l'origine de ces meurtres en série. Une belle exploration de toutes les couches de la société.

Dix plus un n'est pas un des meilleurs romans de Mc Bain qui s'y montre parfois un peu trop démonstratif, partant dans de grandes diatribes contre l'antisémitisme, l'injustice sociale etc.. Je préfère quand il explore les mêmes thèmes mais dans l'action, sans avoir l'air d'y toucher. D'autre part, on y apprend peu de choses sur Carella et ses collègues dont le profil reste assez flou. Pourtant,  le roman me paraît plus riche que le film de Labro quant à la critique sociale et la personnalité des victimes et du tueur.



 
La réponse est : 
Dix pour un de Mc Bain
Sans mobile apparent de Philippe Labro
Félicitations à Aifelle, Dasola, Keisha, Pierrot Bâton, Somaja, Syl .. et merci à tous ceux qui sont venus voir l'énigme.

 Samedi 28 Juin, la dernière énigme avant les vacances d'été est chez Eeguab

samedi 21 juin 2014

Un livre/un film : énigme 99




Wens En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, et le 5ème pour les mois avec cinq samedis un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.

Chez Eeguab, le 2ème et 4ème samedi du mois vous trouverez l'énigme sur le film et le livre
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
La prochaine énigme aura lieu le samedi  28 Juin chez Eeeguab. ce sera la dernière avant les vacances d'été.

Enigme 99
L'auteur du roman dont vous devez retrouver le titre est un américain d'origine italienne. Il est un des maîtres du roman noir. Il écrit sous plusieurs pseudonymes mais celui qui nous intéresse est le plus connu. D'une oeuvre à l'autre, il nous raconte le quotidien d'une équipe de policiers dans un quartier de New York. L'un de ces personnages récurrents - bien en avant que ce ne soit une mode littéraire-, américain d'origine italienne comme son auteur, porte un nom devenu célèbre dans le monde de la littérature. 
Personne ne pense à la mort par une belle journée de printemps. 
Le moment de mourir, c'est l'automne, pas le printemps. L'automne encourage les pensées macabres et incite aux songeries morbides; il flatte le désir de mort en montrant comment tout se fâne et se flétrit. L'automne est poétique comme l'enfer, rapide, succinct; il pue la moisissure et la cendre. Les gens meurent beaucoup en automne. Tout meurt beaucoup en automne.
Rien n'a le droit de mourir au printemps. Il y a une loi qui le dit : article 5006 du code pénal, mort au printemps : "quiconque mourra ou provoquera ou complotera la mort d'un tiers, ou nourrira des pensées de mort durant l'équinoxe du printemps se rendra coupable de trahison et encourra une peine de..." Ca continue dans ce style. Cet article interdit formellement la mort entre le 21 mars et le 27 juin, mais il y en a toujours qui transgressent la loi, il n'y a rien à faire.
L'homme qui sortait des bureaux de Culver Avenue était sur le point de la transgresser.

mercredi 18 juin 2014

Shakespeare : Comme il vous plaira




Contrairement à ce que je croyais, je n'avais jamais lu (ni vu) Comme il vous plaira  et comme d'habitude à la première découverte d'une pièce de Shakespeare, ce qui domine, ce sont les interrogations  qu'elle éveille en moi.

Le sujet de la pièce

Mais d'abord le sujet de la pièce.Voici la présentation du livre de poche de Yves Bonnefoy à laquelle j'ajoute quelques précisions :

Chargé de l'éducation de son jeune frère Orlando depuis la mort de leur père, Olivier le déteste assez pour se réjouir qu'il puisse périr lors d'un corps à corps avec un lutteur. Mais Orlando triomphe sous les yeux de Rosalinde  et s'éprend d'elle. La jeune fille pourtant doit partir maintenant que son père, le vieux duc, a été chassé du pouvoir par son frère. Sous un déguisement de garçon - elle prend le nom de Ganymède- elle gagne la forêt d'Ardennes où s'est réfugié le vieux duc avec les compagnons qui lui sont restés fidèles. Sa cousine Clélia, fille du nouveau maître, décide de la suivre, travestie en bergère sous le nom d'Aliéna. Elles vont vivre dans la forêt une vie pastorale, entourées de bergers. Mais elles retrouvent bientôt le duc et sa cour, Orlando, puis son frère Olivier maintenant repenti.
C'est en 1599 que Shakespeare écrit cette comédie pastorale et gaiement romanesque : une pièce à prendre pour le plaisir, « comme il vous plaira ». Mais après la composition de ses sonnets, et avant l'écriture des grandes tragédies, ce n'est pas une pièce que l'on puisse isoler. Réflexion sur l'amour et la condition féminine, elle nous montre, écrit Yves Bonnefoy, "qu'un Shakespeare n'est jamais en repos » : « La facilité même, quand elle semble régner dans son écriture, c'est aussi et peut-être d'abord ce qu'il emploie à un projet plus sérieux, et qui vient de loin et qui va loin. »
 

Edition et traduction d'Yves Bonnefoy.

Un personnage principal féminin  sous le déguisement d'un homme

Yves Bonnefoy choisit pour résumer la pièce de partir du personnage d'Orlando, l'amoureux de Rosalinde! Ce qui est surprenant! Rosalinde est, en effet, le personnage principal, et même si elle prend le déguisement d'un garçon, c'est elle qui mène l'action, qui dicte leur conduite aux autres personnages et qui les domine  tous par son esprit et le verbe. Cela est incontestable! 
Pour gagner sa liberté, assurer sa protection et celle de sa cousine Célia,  la jeune fille, il est vrai, est travestie en homme. On peut se demander si Rosalinde obéit ainsi à des codes sociaux : pour être l'égale de l'homme, la femme doit-elle abandonner son identité féminine, se comporter en homme?   (On pense aussi à George Sand ). Pourtant, c'est bien en tant que femme qu'elle s'affirme comme indépendante mais il semble qu'il y ait un passage obligé par le travestissement (lié à la condition féminine de l'époque) pour qu'elle puisse accéder ainsi à la liberté d'action mais aussi de parole et de sentiment : Rosalynde n'est pas une prude jeune fille, elle fait allusion à la sexualité gaillardement, a la langue bien pendue, elle raille et domine son amoureux. De plus, elle décide elle-même de celui qui sera son époux même si elle prétend qu'elle le choisit parce que son père l'approuverait!

Le travestissement : homosexualité, androgynie ou simple tradition littéraire?

Walter Howard Deverell

D'autres personnages féminins de Shakespeare sont travestis en homme. Ainsi la Viola de La nuit des rois. il s'agit d'une tradition romanesque mais le travestissement et les débats amoureux qui s'en suivent soulèvent néanmoins la question de l'identité sexuelle. Orlando courtise Ganymède comme si elle était une femme (ce qu'elle est mais il ne le sait pas) alors qu'il pense que c'est un homme. La bergère Phébé est amoureuse de Ganymède qu'elle prend vraiment pour un homme. On voit se reproduire les mêmes méprises dans La nuit des rois. Peut-on parler d'une attirance homosexuelle comme certains critiques le pensent? Rosalinde prend le nom de Ganymède, ce jeune homme si beau que Zeus lui-même en tomba amoureux; il l'enleva en se métamorphosant en aigle et en fit son amant. Le choix de ce nom n'est donc pas anodin (de même que celui de Célia qui devient Aliena : l'étrangère).


J'ai lu une autre explication possible dans un article du Salon littéraire ICI  :

Encore une fois, ce n'est pas l'homosexualité qui prend le masque de l'hétérosexualité mais l'hétérosexualité qui prend le masque de l'homosexualité. Ce que nous dit Shakespeare est que dans un monde magique, c'est-à-dire un monde parfait, les sexes ne devraient jamais se tromper. On n'imagine pas Adam et Eve homosexuels ! Dès qu'il y a homme et femme, il y a différence, amour, vie - et c'est pourquoi couper la scène de l'hymen du cinquième acte comme le font la plupart des metteurs en scène revient à dénaturer la pièce, sinon à en censurer son sens profond.

Cette affirmation s'appuie peut-être (?) sur le mythe platonicien de l'androgynie. Au commencement les êtres humains sont doubles, mi-homme, mi-femme. Mais ils provoquent la colère des Dieux. Zeus les punit en les partageant en deux moitiés qui toujours auront le souvenir de leur origine et la nostalgie de la séparation.


                                         Une comédie pastorale qui critique la pastorale

 
roman pastoral d'Honoré d'Urfé France XVII°

Comme il vous plaira a une source romanesque Rosalynde de Lodge qui appartient au genre de la pastorale. Cette dernière idéalise la vie à la campagne présentée comme idyllique. Les moeurs des bergers dépourvus d'artifice, innocents et purs contrastent avec le manque de simplicité de la ville, la corruption et les vices qui y règnent. Cette opposition existe dans Comme il vous plaira qui semble donc obéir aux lois du genre mais chaque fois que le thème est présenté, un personnage prend aussitôt le contre pied :

Ainsi, le vieux duc dans la scène 1 de l'acte II magnifie cette vie dans les bois en des termes poétiques  mais il en souligne les duretés :

Le vieux duc.—Eh bien ! mes compagnons, mes frères d’exil, l’habitude n’a-t-elle pas rendu cette vie plus douce pour nous que celle que l’on passe dans la pompe des grandeurs ? Ces bois ne sont-ils pas plus exempts de dangers qu’une cour envieuse ? Ici, nous ne souffrons que la peine imposée à Adam, les différences des saisons, la dent glacée et les brutales insultes du vent d’hiver, et quand il me pince et souffle sur mon corps, jusqu’à ce que je sois tout transi de froid, je souris et je dis : « Ce n’est pas ici un flatteur : ce sont là des conseillers qui me convainquent de ce que je suis en me le faisant sentir. » On peut retirer de doux fruits de l’adversité ; telle que le crapaud horrible et venimeux, elle porte cependant dans sa tête un précieux joyau Notre vie actuelle, séparée de tout commerce avec le monde, trouve des voix dans les arbres, des livres dans les ruisseaux qui coulent, des sermons dans les pierres, et du bien en toute chose.

Cette opposition se retrouvera déclinée à deux voix par Amiens et Jacques, les deux gentilhommes de la suite du vieux duc dans la scène 5 de l'acte II

Amiens 
Chanson
Toi qui fuis l’éclat de la cour,
Des champs féconds préférant la parure,

Heureux des mets que t’offre la nature,

Viens habiter avec moi ce séjour.

Dans ce bocage,

Sous cet ombrage,

Point d’ennemi que l’hiver et l’orage.

Jacques.
(Il chante.)
S’il arrive par hasard
 
Qu’un homme soit changé en âne ;

Quittant son bien et son aisance

Pour suivre une volonté obstinée,

Duc dàme, duc dàme, duc dàme,

Il trouvera ici

D’aussi grands fous que lui

S’il veut venir ici.

Amiens.—Que signifie ce duc ad me ?

Jacques.—C’est une invocation grecque pour rassembler les sots dans un cercle.

Enfin sur le mode comique, le fou Touchstone reprend à lui tout seul cette opposition dans la scène 2 de l'acte III

Corin—Et comment trouvez-vous cette vie de berger, monsieur Touchstone ?

Touchstone.—Franchement, berger, par elle-même, c’est une bonne vie ; mais en ce que c’est une vie de berger, c’est une pauvre vie. En ce qu’elle est solitaire, je l’aime beaucoup ; mais en ce qu’elle est retirée, c’est une misérable vie : ensuite, par rapport à ce qu’on la passe dans les champs, elle me plaît assez ; mais en ce qu’on ne la passe pas à la cour, elle est ennuyeuse. Comme vie frugale, voyez-vous, elle convient beaucoup à mon humeur ; mais en ce qu’il n’y a pas plus d’abondance, elle contrarie beaucoup mon estomac ....
acte III scène2

Mais si cette pastorale contient une critique de la pastorale, il n'en reste pas moins que cette forêt des Ardennes (En France?) où se réfugient tous les personnages, lieu fantaisiste où poussent des palmiers et vivent des lions est tout de même un monde magique, une sorte d'Eden. Là, les êtres humains finissent par revenir à la bonté primitive de l'homme d'avant la Chute. Ainsi Frederic, l'usurpateur, se convertit soudainement; Olivier qui souhaitait la mort d'Orlando revient à de bons sentiments. Nous sommes donc bien au-delà de la vraisemblance, entre le rêve et le réel, comme dans Le songe d'une nuit d'été mais en moins cruel,  un univers où la bonté triomphe, où tout finit bien.

Une pièce sur l'amour courtois qui se moque de l'amour courtois

Plus que politique, Comme il vous plaira est avant tout une comédie où l'amour joue un rôle primordial. Elle se conclura d'ailleurs par quatre mariages célébrés par la déesse Hymen. Mais si les amoureux y tiennent un langage précieux et doivent subir des épreuves selon la plus grande tradition de l'amour courtois, Shakespeare se plaît à se moquer de ses conventions et il confie aux femmes le rôle de les critiquer.
Ainsi lorsque Orlando énamourée compose des vers qu'il accroche aux branches des arbres, Roslynde convient qu'il s'agit de bien mauvais vers.
Quant à la bergère Phébé poursuivi par les assiduités du berger Sylvius qu'elle n'aime pas, ce vocabulaire précieux la met carrément en colère et c'est avec une grande vivacité qu'elle condamne cet excès de langage qui n'a d'égal que la fausseté des sentiments :
 Phébé
 Tu me dis que le meurtre est dans mes yeux ; cela est joli à coup sûr et fort probable que les yeux, qui sont la chose la plus fragile et la plus douce, à qui le moindre atome fait fermer leurs portes timides, soient appelés des tyrans, des bouchers, des meurtriers. C’est maintenant que je fronce les sourcils de tout mon cœur en te regardant ; et si mes yeux peuvent blesser, eh bien, puissent-ils te tuer dans ce moment ! Maintenant fais semblant de t’évanouir ; allons, tombe.—Si tu ne peux pas, oh ! fi, fi, ne mens donc pas, en disant que mes yeux sont des meurtriers. Montre la blessure que mes yeux t’ont faite. Égratigne-toi seulement avec une épingle, et il en restera quelques cicatrices ; appuie-toi seulement sur un jonc, et tu verras que ta main en gardera un moment la marque et l’empreinte : mais mes yeux, que je viens de lancer sur toi, ne te blessent pas ; et, j’en suis bien sûre, il n’y a pas dans les yeux de force qui puisse faire du mal. Acte III scène 6

Et Rosalynde surenchérit :
Orlando.—Alors il faut que je meure en ma propre personne.

Rosalinde—Non, vraiment, mourez par procuration : le pauvre monde a presque six mille ans, et pendant tout ce temps, il n’y a jamais eu un homme qui soit mort en personne, pour cause d’amour, s’entend. (...) Mais tout cela n’est que des mensonges ; les hommes sont morts dans tous les temps, et les vers les ont mangés ; mais jamais ils ne sont morts d’amour. Acte IV scène 1

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On pourrait encore parler d'autres thèmes de Comme il vous plaira : celui des frères ennemis ( le vieux duc et Frédéric,  Olivier et Orlando), thème cher à Shakespeare que l'on retrouve aussi dans La Tempête ou Hamlet, le rôle du fou et de Jacques, l'importance du nombre :  les quatre vitesses du temps, les sept âges de la vie, les trois leçons de morale, les sept variétés de la mélancolie, les sept degrés du démenti et tant d'autres... mais il faut que je m'arrête en remerciant Shakespeare de me questionner autant et du plaisir qu'il me donne!

Acte IV scène 1 Les sept variétés de la mélancolie
Jacques.—Je n’ai pas la mélancolie d’un écolier, qui vient de l’émulation ; ni la mélancolie d’un musicien, qui est fantasque ; ni celle d’un courtisan, qui est vaniteux ; ni celle d’un soldat, qui est l’ambition ; ni celle d’un homme de robe, qui est politique ; ni celle d’une femme, qui est frivole ; ni celle d’un amoureux, qui est un composé de toutes les autres : mais j’ai une mélancolie à moi, une mélancolie formée de plusieurs ingrédients, extraite de plusieurs objets ; et je puis dire que la contemplation de tous mes voyages, dans laquelle m’enveloppe ma fréquente rêverie, est une tristesse vraiment originale. 

 Acte II scène 7 Les sept âges de l'homme

Jacques.—Le monde entier est un théâtre, et les hommes et les femmes ne sont que des acteurs ; ils ont leurs entrées et leurs sorties. Un homme, dans le cours de sa vie, joue différents rôles ; et les actes de la pièce sont les sept âges[13]. Dans le premier, c’est l’enfant, vagissant, bavant dans les bras de sa nourrice. Ensuite l’écolier, toujours en pleurs, avec son frais visage du matin et son petit sac, rampe, comme le limaçon, à contre-cœur jusqu’à l’école. Puis vient l’amoureux, qui soupire comme une fournaise et chante une ballade plaintive qu’il a adressée au sourcil de sa maîtresse. Puis le soldat, prodigue de jurements étranges et barbu comme le léopard[14], jaloux sur le point d’honneur, emporté, toujours prêt à se quereller, cherchant la renommée, cette bulle de savon, jusque dans la bouche du canon. Après lui, c’est le juge au ventre arrondi, garni d’un bon chapon, l’œil sévère, la barbe taillée d’une forme grave ; il abonde en vieilles sentences, en maximes vulgaires ; et c’est ainsi qu’il joue son rôle. Le sixième âge offre un maigre Pantalon[15] en pantoufles, avec des lunettes sur le nez et une poche de côté : les bas bien conservés de sa jeunesse se trouvent maintenant beaucoup trop vastes pour sa jambe ratatinée ; sa voix, jadis forte et mâle, revient au fausset de l’enfance, et ne fait plus que siffler d’un ton aigre et grêle. Enfin le septième et dernier âge vient unir cette histoire pleine d’étranges événements ; c’est la seconde enfance, état d’oubli profond où l’homme se trouve sans dents, sans yeux, sans goût, sans rien. 

LC avec Maggie et Miriam







vendredi 13 juin 2014

Pause Lozère


Pendant quelques jours, je serai là! A bientôt!

dimanche 8 juin 2014

Homère : L'odyssée

Ulysse contant ses aventures accompagné d'un aède

Je n'ai pas l'intention de présenter l'Odyssée, ce long poème d'Homère, l'un des livres les plus importants de notre patrimoine littéraire; il fait partie de ceux qui ont construit les mythes fondateurs de notre civilisation. Je souhaite plutôt en conseiller la lecture à ceux ou celles qui ne l'ont pas encore lu. On en retarde souvent la lecture! Pourquoi? Peut-être parce que l'on connaît trop bien les récits si souvent rencontrés, peut-être parce que l'on a peur de s'ennuyer?  
Et bien il faut savoir que le livre du divin Homère est passionnant et que son style ou plutôt sa traduction quand elle est réussie est d'une grande poésie, pleine d'images, et possède un rythme, une mélodie, un souffle épique qui portent le lecteur.


Cratère : L'Odyssée

Il y a eu un grand nombre des traductions du poème d'Homère. Pour ma part, je possède deux exemplaires de l'Odyssée que je vais vous présenter. Non, ce ne sont pas des livres précieux ni très anciens mais je les aime.

Le premier appartenait à mes parents et est paru en 1948 au club du livre, collection Les portiques, aux presses de l'Entreprise à Paris. La traduction est de Victor Bérard et la préface de Jean Bérard. C'est dans ce livre que j'ai lu pour la première fois l'Odyssée et éprouvé la beauté du texte et des images. Depuis j'ai su que cette traduction avait de nombreux détracteurs : elle s'éloigne un peu trop du texte si j'en crois les critiques et n'est donc pas fidèle. Certains la trouvent lourde..



 Le second exemplaire est paru en 1973 à Paris chez l'éditeur Jean de Bonnot dans un traduction de Leconte de Lisle (1861). Il paraît que le poète est très fidèle au texte mais beaucoup pense que la traduction de Philippe Jaccottet qui date de 1955  est la plus réussie et la plus élégante.

Pour ma part, comme je ne connais pas la traduction de Jaccotet, je continue donc à avoir une préférence pour celle de Bérard; ce que j'aime en elle c'est la musicalité des vers (hexamètres) et le goût pour l'archaïsme des mots et de la phrase. Mais n'ayant jamais étudié le grec, je ne saurais vous dire si j'ai raison. Je vous donne juste un petit aperçu.


 
Le buste de Homère


Le poème d'Homère commence par une invocation à la Muse : chant 1

Victor Bérard 
C'est l'homme aux mille tours, Muse, qu'il faut me dire, Celui qui tant erra quand de Troade*, il eut pillé la ville Sainte, Celui qui visita les cités de tant d'hommes et connut leur esprit, Celui qui, sur les mers, passa par tant d'angoisses, en luttant pour survivre et ramener ses gens.  Hélas! même à ce prix, tout son désir ne put sauver son équipage : ils ne durent la mort qu'à leur propre sottise, ces fous qui, du Soleil, avaient mangé mes boeufs; c'est lui, le Fils d'en haut, qui raya de leur vie, la journée du retour.
Viens , ô fille de Zeus, nous dire à nous aussi, quelqu'un de ces exploits. 
* Troie

Leconte de Lisle

Dis-moi, Muse, cet homme subtil qui erra si longtemps, après qu'il eut renversé la citadelle sacrée de Troie. Et il vit les cités de peuples nombreux, et il connut leur esprit ; et, dans son coeur, il endura beaucoup de maux, sur la mer, pour sa propre vie et le retour de ses compagnons. Mais il ne les sauva point, contre son désir; et ils périrent par leur impiété, les insensés ! ayant mangé les boeufs de Hèlios Hypérionade. Et ce dernier leur ravit l'heure du retour. Dis-moi une partie de ces choses, Déesse, fille de Zeus.


L’Odyssée, traduction Philippe Jaccottet


 Ô Muse, conte-moi l’aventure de l’Inventif, celui qui pilla Troie, qui pendant des années erra, voyant beaucoup de villes, découvrant beaucoup d’usages, souffrant beaucoup d’angoisses dans son âme sur la mer pour défendre sa vie et le retour de ses marins sans en pouvoir sauver un seul, quoi qu'il en eût ; par leur propre fureur ils furent perdus en effet,ces enfants qui touchèrent aux troupeaux du dieu d'En Haut, le Soleil qui leur prit le bonheur du retour...
À nous aussi, Fille de Zeus, conte un peu ces exploits !

Et vous quelle version préférez-vous?




La traduction de Jaccottet



 
La réponse est : 
L'Odyssée d'Homère le  porcher se nomme Eumée.
Le film ; Ulysse de Mario Camerini avec Kirk Douglas, Sylvana Mangano, Antony Quinn....
Félicitations à nos Pénéloppe qui sont aujourd'hui :  Aifelle, Asphodèle, Dasola, Miriam, Pierrot Bâton,Thérèse...

 Samedi14 Juin, l'énigme est chez Eeguab


samedi 7 juin 2014

Un livre/un jeu : énigme 97





Wens En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, et le 5ème pour les mois avec cinq samedis un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.

Chez Eeguab, le 2ème et 4ème samedi du mois vous trouverez l'énigme sur le film et le livre
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
La prochaine énigme aura lieu le samedi 14 Juin chez Eeeguab.

Enigme n°97
 
Ce texte antique qui est un des mythes fondateurs de notre civilisation ne vous sera pas trop difficile à trouver, je pense. Vous devrez me dire le titre de cette oeuvre et le nom de l'aède qui  conte ces aventures et aussi une question supplémentaire : quel est le personnage qui prend la parole dans l'extrait ci-dessous?
 
 
Étranger, il ne m'est point permis de mépriser même un hôte plus misérable encore, car les étrangers et les pauvres viennent de Zeus et le présent modique que nous leur faisons lui plaît ; car cela seul est au pouvoir d'esclaves toujours tremblants que commandent de jeunes rois. Certes, les Dieux s'opposent au retour de celui qui m'aimait et qui m'eût donné un domaine aussi grand qu'un bon roi a coutume d'en donner à son serviteur qui a beaucoup travaillé pour lui et dont un Dieu a fait fructifier le labeur ; et, aussi, une demeure, une part de ses biens et une femme désirable. Ainsi mon travail a prospéré, et le Roi m'eût grandement récompensé, s'il était devenu vieux ici ; mais il a péri. Plût aux Dieux que la race des Hélénè eût péri entièrement, puisqu'elle a rompu les genoux de tant de guerriers !

mardi 3 juin 2014

Horace Walpole : Le château d'Otrante




Dans la préface du roman gothique Le château d'Otrante  d'Horace Walpole, Paul Eluard salue cette oeuvre ainsi :

 “Le château d’Otrante est un drame plastique, la forme la plus amère, la plus rugueuse, mais aussi la mieux taillée du malheur en amour. Seuls immortels, les désirs vont leur chemin, malgré d’extraordinaires obstacles, malgré les rideaux du sang et les miroirs vides, la nature exclue, l’existence approximative, la vue inutile, les ancêtres vomis par l’Enfer, malgré la peur, l’héroïsme, la férocité, malgré le marbre des tombeaux et les squelettes, les désirs sans cesse au fil de la mort, cherchent à briser avec l’imaginaire.
  Horace Walpole a été le précurseur du Roman noir : de Maturin (pour la mise en scène), de Lewis (pour la précipitation passionnée des événements), d'Ann Radcliffe (pour l’atmosphère et le droit à l’absurde) et même d’Achim d’Arnim (pour la froideur dans le bizarre). Et quelques-uns des grands pans d’ombre du Château d’Otrante alimentent le terrible feu qu’allumèrent Sade, Poe et Lautréamont pour échapper au néant. Comme il n’y a qu’une grandeur, cela assure à jamais la gloire d’Horace Walpole.”
   

Le sujet
L’action du roman Le Château d’Otrante se déroule à Otrante, dans le Salento, au sud de l’Italie.
 Il commence avec la mort de Conrad, le fils de Manfred, le jour même de son mariage, tué par la chute d'un casque géant tombé du ciel. En raison des implications politiques du mariage, Manfred décide de divorcer de sa femme Hippolita et d’épouser Isabella, la fiancée de Conrad. Une antique prophétie affirme cependant que le château et la seigneurie sur Otrante seront perdus pour ses détenteurs lorsque le vrai propriétaire sera devenu trop grand pour l’habiter. Le second mariage de Manfred sera perturbé par une série d’événements surnaturels comme l’apparition de membres surdimensionnés, des fantômes, du sang mystérieux et d'un vrai prince. (source)

Mon avis :
Je voulais lire ce roman fondateur du gothique parce que je savais l'importance qu'il a eu sur le mouvement romantique français mais aussi dans la littérature en général et encore au XX siècle sur le surréalisme français.
Je comprends pourquoi l'étrangeté du récit a frappé l'imagination et alimenté toute une littérature fantastique en permettant aux écrivains comme aux lecteurs de se  libérer du rationalisme pour goûter ces romans noirs où la mort rôde dans des paysages en ruines, où les fantômes,  les statues s'animent et procurent des émotions fortes : Walter Scott, Balzac, Victor Hugo, Nodier, Gautier, Sand pour ne citer qu'eux... mais aussi le roman policier de nos jours et tant d'autres s'en sont largement inspiré. 
 Mais de mon point de vue, non seulement ce roman "terrifiant" ne fonctionne pas mais je ne le trouve ni bien construit, ni bien écrit. Je suis cependant heureuse de le connaître d'un point de vue de l'histoire littéraire! Mais alors que j'avais pu apprécier le roman gothique de Ann Radcliffe avec le mystère d'Udolphe, je dois dire que Le château d'Otrante ne m'a pas convaincue du tout.

 LC avec Miriam ICI



dimanche 1 juin 2014

Maylis de Kerangal : Réparer les vivants



Réparer les vivants :  le titre fait référence à un extrait de Platonov de Tchekhov : Que faire Nicolas? Réparer les vivants et enterrer nos morts. Et le roman de Maylis de Kerangal est bien l'histoire d'une réparation, celle d'une transplantation cardiaque. Il  a obtenu plusieurs prix et des critiques élogieuses voire dithyrambiques de la presse. D'où vient que je ne suis pas arrivée à partager totalement cet enthousiasme collectif?

Certes le roman a des qualités : il nous raconte avec une précision rigoureuse toutes les étapes d'une transplantation cardiaque de la mort accidentelle du jeune surfeur, Simon, à la greffe de la malade qui va recevoir le coeur, Claire. Ce sujet est délicat et pourrait glisser dans le pathos;  les précisions médicales, la chronologie  qui se met en branle à partir du moment où le jeune homme est déclaré en mort cérébrale jusqu'à l'opération chirurgicale, pourrait paraître fastidieuse; il n'en est rien! Maylis de Kerangal sait éviter ces pièges et déroule devant nous 24 heures de cette odyssée médicale en parvenant à nous intéresser. L'auteur a aussi le mérite de poser toutes les questions affectives, religieuses et philosophiques que soulève le don d'organe. Les réactions des parents de Simon, leur réticence, leur hésitation, montrent combien le corps reste étroitement lié à l'âme dans les mentalités, le coeur, en particulier, tenu pour le siège de sentiments.

Là où j'ai un peu achoppé, c'est d'abord sur les personnages; ils n'existent pas vraiment, ils sont des représentants  de l'humanité: les parents, la petite amie, les copains, le médecin, l'infirmier … Ils ne m'ont jamais intéressée en tant qu'être humains. Admettons que ce soit le sujet qui impose cela. L'analyse clinique ne permet pas la vie, l'émotion. Et puis il y a surtout la volonté  de l'écrivain d'écrire non pas au ras du sol, au ras de l'humain, mais au niveau cosmique. Il y a une amplification rendu par le style qui transcende le don des organes et en particulier du coeur pour en faire une Grande Messe, un don religieux. La transplantation se fait épopée, pas étonnant que l'on en arrive au mythe avec la convocation des images du Christ, de la Grèce antique et d'Ulysse.. Un style très travaillé, très esthétique, manquant de simplicité, de silence, de recueillement. Bien sûr, c'est un art maîtrisé, l'écrivaine a du talent dans son domaine… J'admire, mais voilà, cela ne me touche pas parce que, dans le fond, le jeune homme, Simon, il peut mourir, le lecteur n'éprouve rien!

Voir Nadael


Un style qui s'éloigne de l'humain pour prendre une dimension cosmique
La catastrophe s'est propagée sur les éléments, les lieux, les choses, un fléau, comme si tout se conformait à ce qui avait eu lieu ce matin, en arrière des falaises, la camionnette peinturlurée écrasée à pleine vitesse contre le poteau et ce jeune type propulsé tête la première sur le pare-brise, comme si le dehors avait absorbé l'impact de l'accident, en avait englouti les répliques, étouffé les dernières vibrations, comme si l'onde de choc avait diminué d'amplitude, étirée, affaiblie jusqu'à devenir une ligne plate, cette simple ligne qui filait dans l'espace se mêler à toutes les autres, rejoignait les milliards de milliards d'autres lignes qui formaient la violence du monde, cette pelote de tristesse et de ruines, et aussi loin que porte le regard, rien, ni touche de lumière, ni éclat de couleur vive, jaune d'or, rouge carmin, ni chanson échappée d'une fenêtre ouverte, ni odeur de café, parfum de fleurs ou d'épices, rien, pas un enfant aux joues rouges courant après un ballon, pas un cri, pas un seul être vivant pris dans la continuité des jours, occupé aux actes simples, insignifiants, d'un matin d'hiver …. 


Un style épique, l'apparition du mythe
Et les cicatrices en travers de l'abdomen rappellent un coup mortel- la lance au flanc du Christ, le coup d'épée du guerrier, la lame du chevalier. Alors est-ce ce geste de coudre qui a reconduit le chant de l'aède, celui du rhapsode de la Grèce ancienne, est-ce la figure de Simon, sa beauté de jeune homme issu de la vague marine, ses cheveux pleins de sel encore et bouclés comme ceux des compagnons d'Ulysse qui le troublent, est-ce la cicatrice en croix, mais Thomas commence à chanter.


Sylire et Lisa

Glendon Swarthout : Homesman



Homesman de Glendon Swarthout aux éditions Gallsmeister, que l'on peut traduire par un néologisme -  le rapatrieur - , est celui qui va être chargé de rapatrier vers l'est, dans leur famille, quatre femmes qui ont perdu la raison pendant un hiver particulièrement rigoureux dans les Grandes Plaines de l'Ouest des Etats-Unis au Nebraska. Cet homme, Briggs, n'est ni altruiste, ni volontaire! Disons qu'il y est obligé parce que Mary Bee l'a sauvé de la pendaison auquel ses vols l'avaient condamné et qu'il a juré de lui obéir. Mary Bee, une femme courageuse, a accepté de convoyer les malades à la place de leur mari. Mais elle se sent bien seule et peu apte à mener à bien sa tâche, c'est pourquoi elle s'adjoint les services de ce voleur qui ne lui inspire pourtant aucune confiance. La longue marche à travers les grands espaces déserts  commence.

Un récit loin des images d'Epinal

Nous sommes au XIX siècle siècle, la conquête de l'Ouest continue mais cela ne va pas sans dommage surtout pour les femmes qui viennent de l'Est, habituées à une vie moins rude, et qui se retrouvent isolées dans des fermes sans voisinage, coupées de du monde pendant des hivers longs, d'une rigueur extrême. En plus de des conditions de vie difficiles, de la neige, du froid, de l'inconfort des maisons, de la faim quand les provisions viennent à faire défaut et qu'une épidémie s'abat sur le troupeau, elles ont à subir des grossesses non désirées et à répétition, à accoucher toute seule et sans aide, à assister, impuissantes, à la mort de leurs enfants, et parfois à composer avec la violence physique ou morale que leur inflige leur mari. L'écrivain nous montre un monde dur pour tous mais en particulier pour les femmes, une société où la solidarité et le partage n'existent pas toujours.
C'est la première fois qu'un livre consacré au western décrit avec autant de réalisme le sort de ces femmes de pionniers qui souvent nous a été présenté à travers des images d'Epinal, héroïques et fortes face aux dangers ou bien faibles héroïnes mourant de mort violente. Mais la vie quotidienne, banale, sordide, faite de solitude, de petites souffrances répétées, et de désespoirs insondables, c'est cela que ce roman a le mérite de nous décrire. Et il y réussit très bien.

Des personnages loin des lieux communs

 Au départ, les personnages correspondent à des types : la femme de tête, seule, autoritaire, qui mène sa ferme d'une main ferme (Mary Bee), le voleur, hors la loi sans morale et sans éducation (Briggs), le pasteur, le forgeron... Mais bien vite ils échappent au lieux communs et cessent d'être des stéréotypes. Sans entrer dans les détails pour ne pas révéler la suite, on s'aperçoit que la femme et le brigand sont des êtres plus complexes que ce que l'on pensait, ce qui nous ménage des surprises au cours du récit. Le lecteur ne reste donc pas dans le cadre confortable du western classique. Les personnages évoluent selon leur caractère, leur éducation, les aléas du voyage, les difficultés rencontrées. Ils ne sont pas toujours là où on les attendait mais ils nous paraissent vrais, humains avec leurs forces et leurs faiblesses.

Une nature loin d'être idyllique

Homesman est donc un récit d'aventures qui sort des sentiers battus. Les grands espaces couverts de neige, à la végétation rare, au sol gelé, dur comme la roche, qui ne permet pas d'enterrer les corps des morts de l'hiver, sont synonymes de prison. L'immensité, les horizons sans limites, paradoxalement, ne procurent pas une impression de liberté mais d'oppression. Les individus se replient sur eux-mêmes, perdent leur vitalité et l'espoir.

J'ai beaucoup aimé la lecture de ce beau roman. Peut-être le film de Tommy Lee Jones paraît-il parfois un peu confus en ce qui concerne l'histoire des femmes devenues folles par excès de malheur? C'est plus détaillé dans le roman. Mais les acteurs qui interprètent les personnages sont excellents et la mise en images procure un sentiment d'angoisse en refusant tout idéalisme.


 
La réponse est : 
roman : Glendon Swarthout : Homesman
 film :     Tommy Lee Jones Homesman
Félicitations à Aifelle, Dasola, Eeguab, Kathel, Keisha, Pierrot Bâton, Somaja, Syl et merci à tous

Je mets le livre en voyageur pour ceux qui le souhaitent
 Samedi 7 Juin, l'énigme est toujours chez nous









Merci à la Librairie dialogues et aux éditions Gallmeister

samedi 31 mai 2014

Un livre/ Un film : Enigme 96





Wens En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, et le 5ème pour les mois avec cinq samedis un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.

Chez Eeguab, le 2ème et 4ème samedi du mois vous trouverez l'énigme sur le film et le livre
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
Samedi 7 Juin la prochaine énigme aura lieu à nouveau chez Wens et Claudialucia et le samedi 14 Juin chez Eeeguab.

Enigme n°96

Publié à la fin des années 80 par un auteur américain ce roman a obtenu plusieurs prix aux Etats-Unis. Il a été traduit une fois en français dans une édition maintenant épuisée. Il est paru récemment dans une nouvelle traduction qui conserve le titre anglais et dans une célèbre édition connue pour ses romans sur la nature et les grands espaces. Voir Wens pour le film.

Il l'aperçut à plus de deux kilomètres, une tache noire sur fond blanc près de la maison. Il réfléchit en chevauchant. Il avait entendu dire par les voisins qu'elle se tenait souvent de la sorte par temps clément, scrutant les grands espaces dans l'espoir de voir-quoi? Un bison? Un cavalier? Une file de chariots? Ou bien un miracle, un arbre qui pousserait, rien qu'un arbre pour lui rappeler sa terre d'origine? Il se demanda s'il existait une façon de mesurer la solitude.

mercredi 28 mai 2014

Ian Manook : Yeruldelgger / Harlan Coben: Dans les bois


 
Comme je suis toujours à la recherche de temps, je vous présente deux polars en même temps. Je ne vous cache pas que ma préférence va au premier.
 

Ian Manook a sûrement été le seul beatnick à traverser d'Est en Ouest tous les États-Unis en trois jours pour assister au festival de Woodstock et s'apercevoir en arrivant en Californie qu'il s'ouvrait le même jour sur la côte Est, à quelques kilomètres à peine de son point de départ. C'est dire s'il a la tête ailleurs. Et l'esprit voyageur!
 Journaliste, éditeur, publicitaire et désormais romancier, Yeruldelgger est son premier roman, et le premier opus d'une série autour du personnage éponyme qui nous conduit des steppes oubliées de Mongolie aux bas-fonds inquiétants d'Oulan-Bator.
Il vit à Paris.


Quatrième de couverture
 
 
Le corps enfoui d’une enfant, découvert dans la steppe par des nomades mongols, réveille chez le commissaire Yeruldelgger le cauchemar de l’assassinat jamais élucidé de sa propre fille, Kushi. Peu à peu, ce qui pourrait lier ces deux crimes avec d’autres plus atroces encore, va le forcer à affronter la terrible vérité. Il n’y a pas que les tombes qui soient sauvages en Mongolie. Pour certains hommes, le trafic des précieuses « terres rares » vaut largement le prix de plusieurs vies. Innocentes ou pas.


Dans ce thriller d’une maîtrise époustouflante, Ian Manook nous entraine sur un rythme effréné des déserts balayés par les vents de l’Asie Centrale jusqu’à l’enfer des bas-fonds d’Oulan-Bator. Il y avait la Suède de Mankell, l’Islande d’Indridason, l’Ecosse de Rankin, il y a désormais la Mongolie de Ian Manook !


 

Avant de vous dire pourquoi j'ai aimé Yerudlegger, je vous donne un aperçu d'un article intitulé : Dix bonnes raisons de ne pas lire Ian Manook. Allez le lire car il est à savourer  :

D’abord Ian Manook est tellement vieux que sa boîte à synapses ne doit plus être très étanche. Pense un peu : ce type est né dans la première moitié du dernier siècle du millénaire précédent !

Ensuite c’est un pur et dur ex-soixante-huitard, du genre baba-cool voyageur qui nous a pourri notre belle jeunesse d’aujourd’hui pour pouvoir fumer la sienne en kaléidoscope aux quatre coins du monde.

Juste pour te dégoûter définitivement de ce gus, note bien ça. Dans toute l’histoire des millions de siècles de l’humanité, du Big Bang jusqu’au marécage hollandais, il n’y a eu qu’une infinitésimale période d’une vingtaine d’années pendant lesquelles il y avait  déjà la pilule et pas encore le SIDA. Et ce salopard a eu juste vingt ans pendant cette période-là, si tu vois ce que je veux dire !
 
ou encore...
Et voilà qu’après avoir taras-boulbé notre belle jeunesse il nous gengiskhanise nos illusions en mongolisant ces fiers nomades que nous aurions tant aimé garder dans leur spectaculaire misère vagabonde devant l’objectif irisé de nos Canon 5D Mark 2 dont chaque exemplaire suffirait à leur offrir un troupeau.

Par ailleurs, quel auteur peut être à ce point arrogant pour laisser passer un dos de couverture qui le compare rien de moins qu’à Indridason, Mankel ou Rankin. Avoir lutté contre le mur de lave du volcan Eldfell sur l’île islandaise de Westmaneyar, avoir perdu sa virginité sur les rochers du fjord suédois de Vestervick ou avoir un beau-frère écossais qui s’est marié en kilt suffit-il à justifier de la part d’un auteur inconnu une telle prétention ?

Hilarant, non ? d'autant plus que l'article est signé par... Ian Manook lui-même ! 
 

Mon avis :

Yourte mongole

 
Ce que j'ai préféré dans le roman, bien sûr, c'est le voyage en Mongolie à l'époque actuelle, période de transition où la population est en pleine mutation, où les traditions sont  effacées par une civilisation occidentale dont les progrès techniques ne remplacent pas la perte des valeurs et de la spiritualité. Certes les nomades fuient la vie de labeur sous la yourte, la pauvreté, le manque de confort, les privations, mais lorsqu'ils arrivent dans l'enfer de la ville, c'est pour perdre toute dignité et toute morale. Ian Manook écrit sur la prostitution, les enfants des rues livrés à eux-mêmes, les malheureux qui s'entassent sous terre, près des canalisations d'eau chaude, pour survivre aux hivers rigoureux.
L'écrivain nous montre un pays qui, après avoir subi la colonisation russe, n'a pas encore conquis sa liberté, méprisé et opprimé pour des raisons économiques par la Chine ou la Corée qui viennent exploiter les ressources minières, détruisent les paysages et exploitent les ouvriers. Mais tandis que le peuple mongol est opprimé, les profiteurs sont là pour se partager les terres, établir de grandes fortunes, tout en ménageant le chinois ou Coréen qui se comportent en occupant. Au milieu de ce désordre et de cette corruption fleurissent des bandes de décérébrés néo-nazis.
J'ai aimé face à cette perte d'identité, découvrir les croyances et les traditions des anciens, le sens de l'hospitalité et toutes les valeurs humaines qui sont attachés à la vieille civilisation. Certes Ian Manook ne critique pas vraiment l'abandon de l'ancien mode de vie si difficile mais il nous fait ressentir de la nostalgie face à la fin d'un monde; cela ne va pas parfois sans humour comme dans ce passage où les nomades qui ont découvert le corps de la victime en pleine steppe se révèle des fans de New York Miami et ne veulent pas "polluer la scène de crime" !
Quant au commissaire Yeruldelgger, il est habité par la colère, ce que les moines lui apprennent à gérer. Il est fascinant par bien des côtés mais il ne me convainc pas tout à fait. C'est une sorte de surhomme qui échappe deux fois à une mort certaine, un héros à l'américaine d'une violence extrême, qui n'hésite pas à tuer si nécessaire. Ce n'est plus la justice qu'il essaie de faire triompher mais la vengeance! Je n'aimerais pas être de ses ennemis! Je trouve son amoureuse Salongo plus humaine, plus riche. Et je pense que les personnages sont parfois traités avec une distanciation qui ne permet pas toujours l'émotion et l'empathie.
 

Voir Aifelle ICI
Keisha




photoMiriam Berkley
 Né en 1962, Harlan Coben vit dans le New Jersey avec sa femme et leurs quatre enfants.
 Diplômé en sciences politiques du Amherst College, il a travaillé dans l’industrie du voyage avant de se consacrer à l’écriture.
Depuis ses débuts en 1995, la critique n’a cessé de l’acclamer. Il est notamment le premier auteur à avoir reçu le Edgar Award, le Shamus Award et le Anthony Award, les trois prix majeurs de la littérature à suspense aux États-Unis. Traduits dans une quarantaine de langues, ses romans occupent les têtes de listes de best-sellers dans le monde entier.
Le premier de ses romans traduit en France, Ne le dis à personne (Belfond, 2002) – prix du polar des lectrices de Elle en 2003 – a obtenu d’emblée un énorme succès auprès du public et de la critique. Succès confirmé avec : Disparu à jamais (2003), Une chance de trop (2004), Juste un regard (2005), Innocent (2006), Promets-moi (2007), Dans les bois (2008), Sans un mot (2009), Sans laisser d’adresse (2010) et Sans un adieu (2010), son premier roman écrit à vingt-cinq ans à peine.
Adapté au cinéma avec François Cluzet et Kristin Scott-Thomas par Guillaume Canet en 2006, Ne le dis à personne a remporté quatre Césars et s’est hissé en tête du box-office des films étrangers aux États-Unis.


Quatrième de couverture
 

Que s'est-il passé cette nuit-là ? Secrets, chantages, règlements de compte, faux-semblants... Un véritable cauchemar, mené sur un rythme effréné. Harlan Coben au sommet de son art.1985.
Paul Copeland est un jeune animateur de camp d'ados. Une nuit, alors qu'il s'est éloigné du camp pour retrouver Lucy, sa petite amie, quatre jeunes disparaissent, dont sa sœur, Camille. Seuls deux corps seront retrouvés. On attribuera la mort des ados à un serial killer qui sévissait dans la région.

Vingt ans plus tard. Paul est devenu procureur. Alors qu'il plaide dans une affaire de viol, il est appelé pour l'identification d'un corps : pour lui, pas de doute possible, il s'agit de Gil Perez, un des garçons qui avaient disparu dans les bois. Pourquoi les parents du jeune homme s'obstinent-ils à nier son identité ? Si Gil était bien vivant pendant ces vingt ans, y a-t-il un espoir pour que Camille le soit aussi ? Que s'est-il réellement passé dans les bois, cette nuit-là ?Bien décidé à résoudre enfin cette affaire qui le ronge depuis tant d'années, Paul va replonger dans les souvenirs de la nuit qui a fait basculer sa vie...


Mon avis
 
Les premières pages de ce roman, une sorte de prologue, montre un vieil homme en train de creuser des trous dans un bois. Chaque dimanche il recommence cette activité sous les yeux de son fils qui se cache pour l'épier puis il meurt. Il n'aura jamais retrouvé le corps de sa fille Camille et il a l'air de considérer son fils Paul comme responsable de la mort de la jeune fille.

Et ces quelques pages sont d'une force, d'une violence intérieure extraordinaires. Pas d'analyse, pas de délayage, des actes qui se passent d'explication, des non-dits qui traduisent le désespoir à l'état brut; un moment littéraire digne d'un grand écrivain.

Ensuite, il y a le récit proprement dit et Harlan Coben est un bon conteur. Il mène l'intrigue rondement, sait distiller le suspense, nous intéresse à ses personnages .. mais rien n'est aussi concentré, aussi puissant que ces deux ou trois pages qui ouvrent le livre !