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lundi 12 mai 2014

Analdur Indridason : La rivière noire/ Kristin Baldursdottir : l'esquisse d'un rêve /Södeberg : Le jeu sérieux



Je suis comme le Lapin d'Alice, toujours en retard, à courir après l'heure et après les livres que je n'ai pas encore commentés. Mais voilà, ils s'entassent, ils s'entassent et si je ne fais pas quelque chose je vais mourir ensevelie. Alors je vais imiter quelques amies blogueuses qui m'en ont donné l'idée et je réunis plusieurs titres dans ce billet, des lectures  faites il y a déjà un ou deux mois et plus!

L'ISLANDE

La rivière noire de Arnaldur Indridason




Arnaldur Indridason est né à Reykjavik en 1961. Diplômé en histoire, il est journaliste et critique de cinéma. Il est l’auteur de romans noirs couronnés de nombreux prix prestigieux, publiés dans trente-sept pays.

Avec La rivière noire d'Arnaldur Indridason nous partons en Islande et retrouvons l'équipe d'Erlendur à Reikjavik mais sans Erlendur parti dans le Nord sur les traces de son enfance et de son frère perdu. L'auteur a voulu s'intéresser cette fois à l'une de ses collaboratrices, Elinborg.
Le thème  : un jeune homme est découvert mort dans son appartement ; il a dans la poche de sa veste des cachets de Rohypnol, la drogue du viol. Un châle découvert sous le lit oriente l'enquête vers une jeune femme que le violeur a entraînée chez lui mais qui ne se souvient de rien. Est-elle la meurtrière?
Mon avis : 
L'intrigue est assez complexe et l'enquête est une occasion pour l'auteur de dénoncer les dysfonctionnements de la justice islandaise qui ne semble pas considérer le viol comme un crime; ceux qui sont arrêtés subissent une peine légère de prison et ressortent peu de temps après, libres de recommencer. C'est ce qui m'a intéressée dans le roman.
j'ai trouvé par contre, que le personnage d' Elinborg, même si nous entrons dans son intimité, était beaucoup moins réussi que celui d'Erlendur. L'écrivain a fixé quelques traits de son caractère, comme son amour de la cuisine, mais le tout paraît assez  superficiel et répétitif. Un livre moins réussi donc, à mon avis, que les précédents du même auteur : La femme en vert ou La cité des jarres.

Kristin Baldursdottir : l'esquisse d'un rêve Karitas Livre 1




Avec L'esquisse d'un rêve (Karitas livre 1) mais je n'ai pas lu Karitas livre 2 : l'art de la vie) nous restons encore en Islande. Il ne s'agit plus pourtant d'un livre policier mais d'une saga familiale qui dépeint la vie d'une famille pauvre vivant dans une ferme au nord-ouest de l'Islande. Après la disparition en mer du père, marin, la famille entreprend un long voyage en bateau pour atteindre la ville d'Akureyri,  au nord du pays, où la mère veut envoyer ses enfants à l'école persuadée de l'utilité des études.
Mon avis :
Le roman présente une description magistrale d'une Islande populaire au début du XX siècle et des difficiles conditions de vie et de travail des saleuses de harengs dont les mains corrodées par le sel, présentent des plaies qui ne se referment pas. L'héroïne, Karitas, exceptionnellement douée pour le dessin, n'aurait aucune chance d'échapper à sa condition si elle n'était remarquée par une artiste venue s'installer près de chez elle et qui l'envoie étudier aux Beaux-Arts à Copenhague.
L'écrivaine brosse de beaux portraits de femmes, de la mère qui maintient l'unité de la famille, animée par une volonté farouche, économisant chaque sou pour payer les chaussures, envoyer ses enfants à l'école, de Karitas  (qui semble avoir eu pour modèle la propre grand mère de l'auteure) et de ses soeurs, en particulier de la fière Halldora qui refuse d'épouser l'homme de sa vie parce qu'il a trop tardé à faire sa demande.
Un roman très plaisant à lire qui permet de faire connaissance d'une Islande maintenant disparue et de réfléchir au rôle de la femme dans ce pays au début du XX siècle.


Voir la très intéressante interview de Kristin Baldusdottir sur la condition féminine en Islande de nos jours. A noter : les femmes ont obtenu le droit de vote en Islande en 1915, en France en 1947!! Oui, je sais nous étions et nous sommes toujours un pays affreusement conservateurs! Mais tout n'est pas rose en Islande non plus pour les femmes actuelles dont la situation a connu une régression certaine.




SUEDE

Le jeu sérieux de Södeberg




Hjalmar Söderberg , romancier, auteur dramatique, poète et journaliste, est né à Stockholm le 2 juillet 1869. Il meurt en 1941 à Copenhague. Contemporain de Strindberg, il fut aussi réputé que lui dans les pays scandinaves où il demeure l’un des écrivains du XIXe siècle les plus lus. En France, pendant longtemps on ne connaissait que sa pièce, Gertrud, que Dreyer a adaptée pour le cinéma. La parution de Égarements en 1895 provoque le scandale, et lui vaut d’être accusé de pornographie. En 1907, Söderberg est obligé de quitter la Suède. Il s’installe au Danemark, et cet exil marque le début de son détachement vis-à-vis de la littérature. Journaliste, il a critiqué le nazisme avec véhémence, écrivant longuement à ce sujet dans le quotidien libéral, très anti-nazi, suédois Göteborgs Handels- och Sjöfartstidning.

Présentation de l'éditeur :
Dans Le Jeux sérieux, Söderberg fait un magnifique portrait de femme, d’une exceptionnelle liberté, d’une étonnante universalité. Lydia vit pour l’amour, comme Gertrud, elle n’accepte aucune compromission. L’écrivain ne porte aucun jugement, il regarde vivre son personnage, et ce regard la magnifie, la rend inoubliable. Lorsque le roman commence, Lydia a 18 ans, elle est amoureuse d’Arvid Stjärnblom, qui l’aime également. Elle a confiance en lui, elle est prête à l’attendre, attendre qu’il termine ses études, qu’il trouve sa voie… Mais Arvid « ne supporte pas que quelqu’un l’attende ». La jeune fille finit par épouser un vieil homme riche. Arvid, de son côté, épouse sa maîtresse qui attend un enfant. Le temps passe, rythmé par l’histoire mondiale : les journaux commentent l’Affaire Dreyfus, la scission entre la Suède et la Norvège, la crainte d’une guerre mondiale… Arvid est devenu un grand critique musical. Un jour, à l’opéra, Lydia occupe la loge voisine de la sienne… Avant de se donner à lui, la jeune femme lui écrit une lettre où elle explique pourquoi elle s’est mariée, son désir d’être fidèle à son mari battu en brèche par l’ignoble comportement de cet homme lorsqu’elle lui a annoncé qu’elle attendait un enfant. Et surtout, elle lui annonce qu’elle va quitter son mari pour vivre pleinement leur histoire d’amour.
« — Te souviens-tu que je t’ai demandé, l’après-midi au Continental, si tu aimais ta femme ? — Oui. — Te souviens-tu de m’avoir répondu : “Je l’aime à la manière luthérienne” ? — Oui. Lydia pâlit. Mais sa pâleur était lumineuse. — Viens, dit-elle. Moi, tu peux m’aimer à la manière païenne ! »
« Le Jeu sérieux est le seul roman d’amour qui compte dans notre littérature », a écrit un critique suédois. Oserons-nous aller au-delà de ce jugement et dire simplement que Le Jeu sérieux est un des plus beaux romans d’amour de la littérature mondiale ?

Mon avis :
Avec Le jeu sérieux, je comprends que Södeberg ait pu choquer les mentalités de l'époque car le portrait de cette jeune femme Lydia est surprenant. Il s'agit d'une femme libre, qui refuse l'hypocrisie et se donne à Arvid par amour dès lors qu'elle pense ne plus rien devoir à son mari dont le comportement brutal et l'égoïsme l'ont déçue. Mais que dire de ses infidélités répétées vis à vis d'Arvid et surtout de la manière dont elle paraît se jouer de lui? Et c'est là qu'elle cesse d'être seulement une femme libre pour devenir énigmatique aux yeux de son amant mais aussi du lecteur. On dirait bien un jeu du chat et de la souris, elle trompe, dissimule, demande pardon, l'obtient pour mieux mentir encore. Pourquoi? Est-elle libre ou sournoise voire dépravée, se réjouissant de la souffrance qu'elle inflige? C'est ce qui donne son explication au titre qui est un oxymore car s'il s'agit d'un jeu, il ne cesse d'être cruel et trouble.







vendredi 9 mai 2014

Louise Erdrich : Dans le silence du vent



Ojibwe par sa mère, germano-américaine par son père, Louise Erdrich a grandi sur une réserve indienne du Dakota du Nord. Considérée comme l’un des plus importants écrivains américains contemporains, elle bâtit, livre après livre, une œuvre forte et singulière, couronnée de nombreux prix dont le National Book Critics Award pour Love medecine ou les National Book Award et American booksellers Award pour son nouveau roman Dans le silence du vent (élu un des 10 meilleurs livres de l’année 2012 par l’ensemble de la presse américaine).
Louise Erdrich, pour son roman Dans le silence du vent, a remporté le prix de littérature traduite de la ville de Brignoles et figure dans la dernière sélection du prix des libraires du Québec, catégorie « Romans hors Québec ».

Dans son  roman Dans le silence du vent Louise Eldrich s'attaque à un sujet qui lui tient en coeur et qu'elle porte en elle depuis des années, celui des viols des femmes amérindiennes. Un cri de révolte, un appel aux consciences quand on sait que deux femmes sur trois subissent ces actes brutaux et que ceux-ci demeurent pour la plupart impunis. En effet, dans les réserves, la justice indienne ne peut s'appliquer à un homme blanc, or ce sont en majorité ceux-ci qui se rendent coupables de cette violence faite aux indiennes.
Pour autant Louise Eldrich n'est pas tombée dans le piège du roman polémique et démonstratif qui finit par se réduire à une idée mais elle a écrit un roman sensible bien que sans pathos dont le héros principal n'est pas la femme violée mais un garçon. C'est en effet, d'après le point de vue de Joe, son fils âgé de 13 ans, que le lecteur découvre le viol et ses conséquences sur la mère qui souffre dans son âme et sa chair et se réfugie dans le mutisme mais aussi sur toute la famille, son mari et son enfant et toute la communauté. Ce qui est arrivé à sa mère, Joe le vivra comme une bouleversement total, une sorte de séisme qui va définitivement modifier sa conception de la vie et le projeter dans l'âge adulte; désormais, il y aura un avant et un après le viol. Un roman d'initiation donc, en même temps que psychologique, mais d'une violence absolue car le jeune garçon n'aura de cesse de trouver le coupable pour venger sa mère. Il y a des manières plus humaines, plus douces, de quitter le monde de l'enfance! A côté de cette brutalité extrême, nous verrons aussi agir le racisme au quotidien, moins terrible, peut-être, mais qui sape les bases de la confiance en soi, qui fait mal insidieusement. Ainsi quand Joe va rendre visite à sa mère hospitalisée hors de la réserve, il se heurte aux réflexions de femmes blanches  méprisantes qui ne supportent pas la mixité : Vous les indiens, vous n'avez pas d'hôpital, là-bas? On ne vous en construit pas un neuf? Le roman se double d'une enquête policière, d'abord menée par le père de Joe qui est juge dans cette réserve du Dakota, puis par le jeune garçon qui constate l'impuissance de son père.

J'ai  beaucoup aimé ce roman même si je l'ai trouvé plus classique et donc moins original que La malédiction des colombes un livre polyphonique qui m'avait emballée par la diversité de ses personnages extrêmement typés et attachants, par une conception romanesque très neuve. C'est le premier livre de la trilogie dont Dans le silence du vent est le second.  Il reste mon préféré. Mais le sujet de Dans le silence du Vent est prenant, l'intrigue bien construite, le style efficace et fort, la psychologie des personnages bien analysée. Depuis Février 2013, comme le souligne Louise Eldrich, les lois ont changé et la justice indienne dans les réserves peut désormais s'exercer sur les blancs. On ne peut douter que ce roman, en dénonçant une société raciste et  inégalitaire, une justice à deux vitesses, ait  contribué à servir  la cause des femmes indiennes.


ELLE. Alors, pourquoi une seule voix, celle de Joe, quand tous vos autres livres sont des romans choraux ?
Louise Erdrich. Je voulais aussi raconter, dans « The Round House », comment une vie peut basculer en un instant. C’est pourquoi j’aime le titre français, « Dans le silence du vent ». Ils sont si rares et forts, ces moments de silence, dans les grandes plaines du Dakota ! Quand ça vous tombe dessus, vous êtes seul au monde et toute votre vie défile sous vos yeux. Le roman ne pouvait s’écrire qu’à la lumière d’une telle révélation. Ce moment où le temps s’arrête et où Joe prend conscience du drame qui vient de se jouer. Soudain, il est face à son destin – et le roman peut commencer.

ELLE. Que retenez-vous de ce personnage, maintenant que le livre est derrière vous ?
Louise Erdrich. Ce livre n’est pas derrière moi. Depuis que je l’ai terminé, je suis hantée par la voix de Joe et je pense encore qu’il reviendra dans l’un de mes prochains romans. Après tout, « Dans le silence du vent » est le deuxième volet d’une trilogie sur la violence et la fin de l’innocence. Sur une jeunesse sacrifiée par les crimes des adultes. Cette histoire entamée avec « La Malédiction des colombes » n’est pas encore terminée. Dans le troisième tome, que je suis en train d’écrire, la justice sera bel et bien restaurée.

ELLE. C’est pour transmettre que vous écrivez ?
Louise Erdrich. Il ne faut jamais oublier que le crime originel de ce pays est d’avoir tenté d’effacer les territoires indiens et de nous réduire au silence. Notre histoire est faite d’âpres négociations pour continuer d’exister. Dans le Dakota du Nord, mon grand-père était le chef de la tribu Chippewa de Turtle Mountain, et il a dû user, toute sa vie, de tactiques et de stratégies pour préserver notre réserve et l’aider à trouver sa place dans la culture américaine. Tous mes livres lui rendent hommage, quelque part, car ils luttent contre l’oubli et la perte de notre identité. J’écris pour que les Indiens survivent.

D'autres avis :  
Kathel
Aifelle
Chez Valérie un avis négatif

Clara
Lili
Editions Albin Michel



jeudi 8 mai 2014

Jean-Marc Mathis : Lucien, le pingouin musicien




Le livre de Lucien, le pingouin musicien de Jean-Marc Mathis aux éditions Pocket jeunesse réunit trois aventures d'un petit pingouin amusant et aventureux.

Il vit sur la banquise dans un igloo percé de deux fenêtres rondes comme des yeux. Dans la première histoire, Lucien  contemple le ciel étoilé et décide de jouer de la trompette pour la lune qui est si seule là-haut! Oui, mais voilà, les notes de musique ne montent pas si haut et retombent lamentablement sur le sol. Lucien vivra bien des mésaventures avant d'atteindre son but.
Enhardi par son succès, Lucien décide de s'adresser au soleil mais là, c'est un défi qui le dépasse et Lucien risque d'y perdre la vie. Heureusement… mais chut, je vous laisse découvrir la suite.
La troisième histoire, enfin, voit Lucien enlevé par des bandits et enfermé dans un zoo. Grâce à un bonhomme de neige sauvage, il parviendra peut-être, lui et son ami Fernand, l'ours blanc, a regagné sa chère banquise? Espérons-le! Je ne vous en dis pas plus et vous laisse sur cet affreux suspense.

Les personnages de ce petit livre joliment coloré appartiennent au domaine de la BD, le pingouin avec son nez "comme un bâton ou une carotte" (dixit ma petite-fille Léonie à qui j'ai lu le livre), la lune avec sa bouche de guingois et son nez retroussé, et de même l'ours blanc avec sa trogne épaisse ou les malfaiteurs patibulaires qui enlèvent le pauvre Lucien.

Les histoires sont contées rapidement et font mouche si j'en juge par les réactions de Léonie (4 ans).
Elle sont amusantes  : les colères de Lucien qui fait exploser sa trompette pour atteindre la lune,  son injure préférée qui a beaucoup plu à Léonie… Elles sont aussi parfois un peu inquiétantes (mais pas trop, ouf!)  : Le petit pingouin victime de la chaleur dans le désert devient tout vert et s'évanouit : oui, il faut se couvrir la tête pour affronter le soleil!  Et elles font réfléchir : Lucien et Fernand sont enfermés dans un zoo et pour eux il s'agit d'une prison.
Le vocabulaire est simple mais introduit des mots qui nous ont permis de parler du pôle Nord,  des animaux qui le peuplent, de la banquise, des igloos …
Bref! ce livre a été un moment agréable de partage avec ma petite fille et nous les avons toutes lues deux fois d'affilé!.





Merci à Masse critique Jeunesse Babelio et aux éditions Pocket jeunesse

mardi 6 mai 2014

Susan Fletcher : Reflets d'argent





Susan Fletcher est née à Birmingham en 1979. Les Reflets d'argent est déjà son quatrième roman, après Un bûcher sous la neige, Avis de tempête et La Fille de l'Irlandais (tous disponibles chez J'ai lu), qui s'est vendu à plus de 50 000 exemplaires en France et a reçu le prestigieux prix Whitbread (l'équivalent du Médicis au Royaume-Uni). De plus en plus connue et reconnue en France, Susan Fletcher confirme à chaque nouveau roman un talent hors norme et s'impose à présent parmi les écrivains de la nature, comme une voix singulière, sensible et rare.

Une légende raconte qu'il y a très longtemps un homme, pleurant son amour perdu, entendit en marchant sur une plage de l'île de Parla, une voix portée par le vent, ces mots comme soufflés par la mer : l'espoir existe. Il se tourna alors vers la mer, et vit un homme au loin, flottant à son aise dans l'eau déchaînée. L'homme plongea et ne reparut pas. Il avait une queue de poisson. Certains le prirent pour un fou, d'autres le crurent, car cette île avait toujours charrié drames et miracles, et porté les hommes qui y vivaient comme des éléments naturels, composant sa force. L'homme retrouva celle qu'il aimait et vieillit avec elle sur les rives de l'île. Ce jour-là, sur cette même rive, le jeune Sam Lovegrove découvre le corps d'un inconnu, il s'approche terrorisé, croyant faire face à un cadavre. Puis recule en criant, car l'homme n'est pas mort. Colosse battu par les vagues, l'homme a survécu. Sam court chercher son père, son oncle et son cousin, pour l'aider à transporter le corps chez l'infirmière de l'île, Tabitha. Pour Tabitha, comme pour les quatre hommes, cette apparition est troublante, tout comme les cheveux noirs et la barbe de cet inconnu, qui réveillent les souvenirs d'un disparu. Personne n'a revu Tom depuis quatre ans. Et à présent que la rumeur de l'apparition se répand sur l'île, de proche en proche, jusqu'à la veuve de Tom, les légendes semblent tout à coup plus réelles, les hommes semblent soudain réécrire l'histoire de l'île, ramasser ses mythes sur le rivage, leurs espoirs bouillonnant dans les flots comme autant de reflets d'argent sous le vent.

L'homme d'Aran de O' Flaherty

Cet homme recueilli dans la mer, venu de nulle part -aucun naufrage n'a été signalé - est-il l'homme-poisson des légendes, venu redonner courage aux habitants de l'île, leur insuffler l'espoir?

 Parla, l'histoire d'une île

 

île d'Aran
Le roman de Susan Fletcher ne se résume pas et c'est pourquoi j'ai mis en exergue  cette présentation de l'éditeur qui dit l'essentiel mais qui n'est que l'écume du livre.
Car Reflets d'argent entre légende et réalisme, c'est aussi l'histoire d'une île que la narratrice nomme Parla et qui est le véritable personnage du roman : Parla avec la présence obsédante de la mer, les landes battues par la tempête et les embruns où la vie est difficile, avec son peuple rude de marins ou d'éleveurs qui s'accroche à cette terre à la fois belle et inhospitalière, Parla qu'ils rêvent parfois de quitter mais dont ils ne peuvent se détacher.
Et puis ces habitants cessent vite d'être anonymes et deviennent des individualités que nous apprenons à connaître dans leur vie quotidienne avec les blessures de leur passé qui les retiennent prisonniers aussi sûrement que les murs d'une prison, leurs souffrances mais aussi les joies.

Un hymne à la nature 

 

île d'Aran : Innishmore (source )
Dans ce roman l'on retrouve donc la belle plume de Susan Fletcher qui m'avait tant séduite dans Un bûcher sous la neige, cette façon qu'elle a de faire faire appel à tous les sens, en jouant sur les variations de lumière,  les contrastes des couleurs, les dominantes de gris et les noirs coupés ça et là par le toit rouge cerise de l'école, le jaune de la porte d'une maison, les reflets d'argent de la mer. Elle nous fait sentir les odeurs, les gifles du vent qui balaye l'île, le froid piquant qui mord les mains et le visage… Et c'est vraiment dans ce registre qu'elle excelle, dans cet amour de la nature qu'elle sait si bien transmettre.

Les reproches faites au roman

 

L'homme d'Aran de O'Flaherty
J'ai vu que l'on reprochait à l'écrivaine soit d'avoir trop chargé les personnages, de leur avoir fait porter sur les épaules trop de drames familiaux, d'épreuves personnelles, de haine de voisinage, soit au contraire d'être trop résolument optimiste, en permettant à ses personnages de se libérer, de surmonter leur chagrin, d'oublier les querelles et de se parler. Personnellement pour bien connaître une région montagnarde dure et austère à cause du climat, une région qui n'est pas une île mais qui est longtemps restée isolée à cause des conditions climatiques et des communications, je sais combien les rigueurs d'un pays modifient les caractères, les forgent et les durcissent. L'adaptation à une île ou à un montagne où l'on doit se battre pour survivre me paraît similaire et je ne suis pas surprise de rencontrer ce petit monde de Susan Fletcher, un microcosme livré à ses rancoeurs et ressassant ses douleurs.

Entre réalisme et merveilleux : la difficulté du choix

 

L'homme d'Aran de O' Flaherty
J'adhère moins pourtant à l'optimisme de l'auteure, à la grande réconciliation, aux langues qui se délient, aux relations qui se renouent… sauf si nous restons dans le merveilleux de la légende. Et c'est là à mon avis, la faiblesse du roman, en tout cas ce qui me gêne. C'est que Suzan Fletcher n'a pas su trancher entre réalisme et conte. L'homme-poisson qui réconcilie tout le monde, redonne vie et amour, était crédible tant qu'il restait mystérieux, un homme légende venu de la mer qui aurait dû repartir de même sans que l'on sache vraiment comment. Mais l'auteure introduit une explication réaliste, en faisant de son personnage un homme du quotidien, qui a voulu mourir après avoir perdu l'amour de sa vie (mais qui retombe tout de suite amoureux dès qu'il est sur l'île, ce qui ne tient pas au niveau psychologique ), un homme qui quitte l'île sur un ferry!  Elle en fait un homme banal ce qui tue le Merveilleux et la poésie et du coup elle nous force à nous interroger sur la vraisemblance psychologique de ses personnages et à en douter.  Et c'est vraiment ce qui m'a déçue dans ce livre malgré les qualités évidentes d'écriture et cette sensibilité envoûtante à la nature qui font de Susan Fletcher une écrivaine que j'aime beaucoup.  


Nota : Un Bûcher sur la neige reste mon préféré et je n'ai pas encore lu La fille de l'irlandais..
Si j'ai illustré ce billet par les photos de l'île d'Aran, c'est que Parla et les îles avoisinantes m'y font irrésistiblement penser.


Clara

Hélène lecturissime

Sur la route de Jostein

Les éditions PLON



dimanche 4 mai 2014

Retour de vacances : Les Cévennes, George Sand et le marquis de Villemer

A la demande d'une visiteuse de mon blog, une vue d'ensemble de la maison lozérienne

La grange à gauche, c'est chez moi et la maison à droite, celle de JackCactus, le sculpteur de totems


La maison aux Totems



L'atelier aux totems


Retour de vacances! Merci à toutes celles qui m'ont rendu visite dans mon blog et m'ont laissé des commentaires pendant mon absence!

La Lozère, Mes Cévennes en ce mois d'Avril, début mai? l'horreur... quand le ciel s'abat sur vous, quand les nuages, le vent du nord, du sud, de l'ouest, le froid, la pluie, la grisaille concourent à faire de ces quelques jours une épreuve... oui, à ce moment-là, tout m'afflige et me nuit et conspire à me nuire! Attendre les éclaircies pour sortir les enfants, se vêtir de plusieurs couches de vêtements pour lutter contre le froid! Pour moi, c'est l'hiver avignonnais lorsqu'il est... mauvais! Alors, comme je comprends mon grand père qui a quitté ce pays au début du XXème siècle pour s'en aller vivre sa vie loin de la terre où il est né! 
Pourtant que la montagne est belle! Car dans ce petit hameau situé à 1100 mètres d'altitude, ce que je considère comme l'hiver, c'est le printemps! Les prés sont verts, émaillés de primevères et de boutons d'or; les premiers narcisses pointent leur tête. Les genêts dorent les flancs des montagnes.

les couleurs du printemps

Les genêts et, sur le versant , en face, les verts des sapins et des feuillus.

Promenade au milieu des genêts
Cueillette des orchidées sauvages

Bon, me direz-vous mais que vient faire George Sand ici? Et bien le hasard a voulu que la LC  proposée par Eimelle à laquelle se sont jointes George, Miriam, et qui devait être une pièce de théâtre, s'est révélé un roman, en partie épistolaire, dont l'intrigue se passe à Paris d'abord puis dans les Cévennes.


George Sand : Le marquis  de Villemer

Il ne s'agit pas des Cévennes comme l'on entend cette région du massif Central de nos jours, située  dans les départements de la Lozère et du Gard, mais de la Cévenne au sens large, telle qu'on la définissait à l'époque de George Sand et qui englobait jusqu'à la Haute Loire avec le Mont Mézenc, le Mont Gerbier de Jonc. C'est dans ces lieux, en effet, et non loin du Puy en Velay, que se réfugie l'héroïne de notre roman fuyant Paris. Quoiqu'il en soit j'ai eu l'impression que George Sand était avec moi en lisant cet extrait!

Les sommets des Cévennes sont souvent chargés de vapeurs glaciales, et quand le vent les balaye, la pluie se rabat sur les bassins. Dans la saison où nous sommes c'est un éternel caprice; des combinaisons de nuées fantastiques, des éclipses subites de soleil et puis des clartés d'une limpidité froide qui ramènent la pensée à ces rêves de la première aube de notre monde, quand la lumière fut créée, c'est à dire quand l'atmosphère terrestre, dégagée de ses tourmentes, laissa percer les rayons du soleil sur la jeune planète éblouie.

Dans la saison où nous sommes, c'est un éternel caprice...

L'intrigue 

 Caroline de Saint-Geneix, après la mort de son père qui ne lui laisse aucune fortune et la disparition de son beau-frère, le mari de sa soeur Camille, qui meurt ruiné, doit se placer comme demoiselle de compagnie chez la marquise de Villemer, une vieille femme impotente, bonne mais imbue de sa caste et pleine de préjugés nobiliaires. De ses deux mariages, elle a deux fils, le duc Gaetan, charmant, dispendieux, séducteur et noceur, qui dilapide sa fortune et celle sa mère; et Urbain, le marquis de Villemer, un jeune homme mélancolique, de santé fragile, savant, qui consacre sa vie à l'étude et écrit un livre sur l'histoire de France. Il a eu une maîtresse, morte en couches, qui lui a laissé un fils mis en nourrice et dont il cache l'existence. Le marquis, altruiste, sacrifie une partie de sa fortune pour payer les dettes de son frère aîné et assurer une vie décente à sa mère. Quant au duc, toujours impénitent, il cherche à séduire Caroline mais en vain. Il cesse pourtant de lui faire des avances quand il comprend que le marquis aime sincèrement la jeune fille. Mais le mariage est-il possible entre la demoiselle de compagnie, sans fortune et sans titre,  et le noble et riche marquis? Camille blessée par la réaction de la marquise s'enfuit dans les Cévennes pour se réfugier chez sa nourrice. Mais Urbain la suit jusque là...

Un sujet traditionnel

On voit que le sujet choisi est  traditionnel au XIX  siècle : les soeurs Brontë, obligées de gagner leur vie en se plaçant comme gouvernantes, ont vécu cette situation qu'elles font revivre dans leurs romans respectifs; on se dit que chez Thomas Hardy, la tragédie serait au rendez-vous, avec une jeune servante séduite, enceinte, rejetée et mourant dans un fossé. 

 Un  roman optimiste et féministe

Mais George Sand est avant tout optimiste et elle a foi en la nature humaine. Sa Caroline, intelligente, lucide, instruite, pleine de dignité, sait mettre ses sentiments sous le joug de la raison. Elle sera de taille à résister à ce Dom Juan qui s'amuse à séduire les femmes, à les perdre de réputation, parce qu'il les méprise et ceci d'autant plus, si elles occupent une position subalterne. Urbain de Villemer découvre en elle, une femme cultivée, une âme soeur, avec laquelle il peut partager des idées et des discussions philosophiques. L'auteure ne se prive pas, d'autre part, de critiquer un autre type de femmes ambitieuses, rouées et superficielles qui n'ont de cesse de s'établir dans la bonne société en flattant, mentant, intriguant sans cesse, type incarné dans le roman par Léonie, l'amie de couvent de Caroline. Le roman est donc féministe même si la vision de la femme parfaite obéit à certaines conventions du XIX siècle : Caroline doit être vertueuse, dévouée. Douce et maternelle, elle soignera le marquis malade et admirera son génie, elle aimera son enfant comme une vraie mère. Elle doit aussi reconnaître qu'elle agit par orgueil et abandonner ce sentiment pour répondre à cet amour, ce qui passe par le sacrifice et l'oubli de soi-même : Je vous aime plus que ma fierté et que mon honneur! J'ai été assez orgueilleuse, assez cruelle et vous avez trop souffert par ma faute."

Un roman critique sur la noblesse

Le roman est un prétexte aussi à George Sand pour exposer ses idées sur la société et la noblesse. Elle fait du marquis de Villemer, historien, le défenseur de la cause du peuple spolié par les nobles : Ce fils d'une grande maison longtemps privilégiée, nourri de dans l'orgueil de la race et le dédain de la plèbe, apportait devant la moderne civilisation l'acte d'accusation du patriciat, les pièces du procès, les preuves d'usurpation, d'indignité ou de forfaiture, et prononçait la déchéance au nom de la logique et de l'équité, au nom de la conscience humaine, mais surtout au nom de l'idée chrétienne évangélique.

George Sand critique les préjugés, les hypocrisies de la noble société parisienne, leurs fastueuses réceptions mondaines et leurs dépenses ostentatoires pour tenir leur rang dans le monde. La marquise Villemer doit d'ailleurs quitter Paris pendant six mois chaque année pour s'exiler à la campagne afin de se reposer mais aussi pour renflouer ses finances. George Sand oppose à ce mode de vie factice, superficiel, une vie saine à la campagne, des plaisirs simples, et la joie de vivre proche de la nature.

Un roman intéressant mais qui présente quelques faiblesses dans la construction romanesque qui repose parfois un peu trop sur le hasard et les coïncidences; il est aussi peut-être trop optimiste car la plupart du temps les bergères n'épousent pas les princes! Il se révèle donc un peu trop romantique au sens où on prend parfois le mot, c'est à dire sentimental!  Mais il est agréable à lire!

chez George


lundi 21 avril 2014

Longue Pause en Lozère dans la maison aux totems

Totem de JackCactus
Jack Cactus totem


Et oui, je pars une quinzaine de jours avec livres et bagages et petits-enfants dans mon  hameau lozérien. Je logerai dans ma maison qui est aussi appelée La maison des Totems, oeuvres de JackCactus







Bonnes vacances à tous!

dimanche 20 avril 2014

Un livre/un film : L'homme qui rit de Victor Hugo


Gwynplaine


J'ai déjà publié dans mon blog un billet et de nombreuses citations sur un des romans de Victor Hugo que j'aime le plus : L'homme qui rit  que nous avons repris pour l'énigme du samedi, Wens et moi.

Avec L'homme qui rit, Victor Hugo écrit un roman-somme qui se veut historique, philosophique et poétique, un énorme livre de plus de 700 pages qui draine sur son chemin, comme un fleuve immense et puissant, toutes les idées de l'écrivain sur l'oligarchie, sa suffisance et son égoïsme féroce, et sur la misère du peuple représenté ici par le personnage de Gwynplaine qui en est l'allégorie. Pour la force de l'évocation, il n'y a qu'un Hugo pour parvenir ainsi au sommet. Quant aux excès du roman, ils sont le revers de la médaille en quelque sorte. Il s'agit, en effet, d'une oeuvre complexe, touffue, démesurée - ou plutôt à la mesure du génie de Hugo - de son immense érudition, de sa puissance visionnaire. Le lecteur peut lui reprocher ses longues digressions qui coupent le récit au moment les plus pathétiques, ses répétitions, une systématisation des effets de style, ses redites dans les idées, son insistance toujours amplifiée et même certaines lourdeurs. Il est probable que si je l'avais lu plus jeune, j'aurais envoyé le bouquin promener car il demande de la bonne volonté. Si c'est un roman d'aventures, en effet, il est aussi beaucoup plus et bien autre chose!  Il faut donc le lire en prenant son temps, en goûtant les richesses, sans impatience, sans avoir envie de courir au récit. Il est alors passionnant malgré certaines faiblesses. Et puis comme toujours le style riche, foisonnant de Victor Hugo mis au service de son engagement politique, de son indignation devant l'injustice, de sa compassion pour les opprimés, me fait vibrer. LIRE LA SUITE ICI





 

Félicitations à ?  :  Comme nous sommes en Lozère et problablement sans connection, nous ne pouvons noter ici le nom de ceux qui ont trouvé qu'il s'agissait de :
Le roman  : L'homme qui rit de Victor Hugo
Le film :  L'homme qui rit de  Jean-Pierre Améris

Voir le film Chez Wens  ICI

samedi 19 avril 2014

Un livre/Un film : énigme du samedi




Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, et le 5ème pour les mois avec cinq samedis un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.

Chez Eeguab, le 2ème et 4ème samedi du mois vous trouverez l'énigme sur le film et le livre
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
Samedi  26 Avril la prochaine énigme, N° 93, aura lieu chez Eeguab mais pas d'énigme le samedi 3 mai car Wens et moi nous serons en Lozère!


Enigme N° 92

Une énigme facile pour ce samedi :  le roman adapté est l'oeuvre d'un des plus grands écrivains français du XIX siècle. Bon maintenant, vous savez! Reste à trouver le titre du roman qui a déjà été largement commenté dans ce blog. Une petite citation et vous reconnaîtrez?


Milords, vous êtes en haut. C'est bien. Il faut croire que Dieu a ses raisons pour cela. Vous avez le pouvoir, l'opulence, la joie, le soleil immobile à votre zénith, l'autorité sans borne, la jouissance sans partage, l'immense oubli des autres. Soit. Mais il y a au-dessous de vous quelque chose. Au-dessus peut-être. Milords, je viens vous apprendre une nouvelle. Le genre humain existe.

Voir chez Wens 

vendredi 18 avril 2014

Selma Lagerlöff : Le merveilleux voyage de Nils Holgerson





Je voulais relire Le merveilleux voyage de Nils Holgerson depuis longtemps aussi ai-je sauté sur l'occasion offerte par une lecture commune avec Lounima .

J'avais lu ce livre, en effet, il y a une trentaine d'années et je me souvenais d'un véritable coup de coeur mais aussi d'un "petit" roman de trois cents pages environ. Aussi ai-je été surpris en recevant la nouvelle édition de poche de me retrouver face à un "pavé" de 600 pages; j'ai donc compris que je n'avais lu jusque là qu'une version abrégée de ce livre qui est considéré comme l'un des plus grands classiques de la littérature suédoise.

J'avoue que j'ai d'abord un peu de mal à retrouver l'enchantement que j'avais éprouvé à la première lecture mais je me suis aperçu bien vite, ayant peu de temps en ce moment, que c'est parce que je ne le lisais pas avec assez d'assiduité. C'est un roman où il faut se plonger, qu'il ne faut pas lâcher pendant des heures pour pouvoir se laisser entraîner dans la magie des aventures du petit Nils, méchant garnement, transformé en Poucet, puni de sa cruauté envers un Tomte, minuscule personnage doté de pouvoirs magiques. C'est sur le dos de Martin, un jars domestique, que Nils Holgerson va effectuer un long voyage jusqu'en Laponie avec des oies sauvages, menées par la vieille et sage Akkar.

Si ce roman résulte d'une commande faite par le ministère de l'éducation à Selma Lagerloff pour faire connaître leur pays aux petits suédois, il va vite se révéler bien plus qu'un ouvrage pédagogique. Certes, il est basé sur des connaissances géographiques et historiques solides, Selma Lagerlöff a voyagé dans le pays, recueilli des légendes et des récits, et vous pouvez suivre sur une carte ce périlleux et extraordinaire voyage à travers ce vaste pays mais il est bien plus que cela, animé par un souffle poétique propre à la grande écrivaine suédoise.

Avec Le merveilleux voyage de Nills Holgerson, Selma lagerlöff écrit un hymne poétique à son pays et à la nature, aux grandes étendues couvertes de glace, aux sombre forêts profondes,  aux montagnes aux pics acérés, aux côtés déchiquetées par la mer qui se fragmentent en myriade de petits îlots, aux grandes plaines agricoles mais aussi à l'industrie qui fait la richesse de la Suède, au minerai de Fer sans qui l'homme ne serait rien. L'auteure nous introduit aussi dans le monde animal et  nous le fait découvrir dans la variété de ses espèces et de ses moeurs mais sans jamais prendre un parti scientifique. Au contraire, et bien qu'elle manifeste une grande connaissance, en particulier des oiseaux, nous sommes dans un monde où les animaux parlent, se comprennent, se font les messagers des airs et de la terre. Tous participent au merveilleux de la nature de la même manière que tous ces petits êtres malfaisant ou bénéfiques, Trolls, Tomtes, qui peuplent le folklore suédois. Des légendes viennent se mêler au réel, composant à l'intérieur du roman de nombreux petits récits, comme une mise en abyme, un conte dans le conte, plein de charme et d'intérêt : ainsi l'histoire du vieux cheval et de son maître avare, celui du carnard Jarro servant d'appeau, celui du renard, du petit Matts et de sa grande soeur … Et bien d'autres encore qui constituent un grand plaisir de lectures.
Ajoutons encore à cela qu'il s'agit d'un roman d'initiation car le petit Nils Holgerson, gamin malfaisant, cruel, paresseux, incapable d'amour, va faire l'expérience de la solidarité, de l'amitié, du courage et du dévouement en même temps que de la faim, du froid et de la peur.  Il va aussi comprendre et apprécié son appartenance à la race humaine et reviendra transformé chez lui, auprès de ses parents.
Un très beau livre qui est à juste titre considéré comme le chef d'oeuvre de Selma Lagerlöff.

LC avec Lounima ICI

mardi 15 avril 2014

Jean-Charles Nodier : La fée aux miettes





jean-Charle Nodier par Guérin

Jean- Charles Emmanuel Nodier (1780-1844) est un romancier qui a eu une grande importance dans le mouvement romantique français. Il était d'ailleurs en rivalité avec Victor Hugo à la tête du Cénacle.
La fée aux miettes, roman fantastique, fut publié en 1832.

Le narrateur rencontre dans une maison "des lunatiques" de Glagow un vieux fou, le charpentier Michel, à la recherche de la Mandragore qui chante. Ce dernier lui raconte son histoire.
Au temps de la jeunesse de Michel à Granville, vivait une pauvre vieille qui venait mendier les restes des repas des écoliers. C'est pour cela que les garçons, fascinés par cette femme qui parle de nombreuses langues et semble posséder dans leur imagination des dons surnaturels,  l'ont surnommée La fée aux miettes. Un jour, Michel sauve la Fée aux miettes dans la baie du mont Saint-Michel, et lui promet de l'épouser à sa majorité, promesse faite par légèreté ou par raillerie...
Il embarque ensuite comme charpentier sur La reine de Saba. Le bateau fait naufrage, Michel, rejeté sur un île, découvre que la fée aux miettes l'a suivi, cachée dans son sac. Elle lui offre un portrait d'elle, sous les traits d'une jeune femme, Belkiss, si éblouissante qu'il en tombe amoureux.
Après  toutes sortes d'aventures fantastiques, Michel finit par épouser la Fée aux miettes. Le jour, elle lui apparaît sous les traits de la vieille femme qu'il connaît bien. La nuit, sous les traits de Belkiss qui n'est autre que la Reine de Saba, il reçoit la visite d'une femme en tout point belle et voluptueuse. Mais, pour que ce bonheur dure, il lui faut trouver la mandragore qui chante.

La fée aux miettes et Michel, le charpentier

Conte de fées, récit fantastique, le roman est aussi implanté dans le réel avec des descriptions de Granville et de la Baie du Mont Saint Michel, de la pêche aux coques, du métier de charpentier, de l'asile d'aliénés de Glasgow. Nodier y fait l'éloge du travail qui permet de gagner sa vie honnêtement et d'éviter l'oisiveté, un éloge rationnel, un peu à la Voltaire. Mais l'irrationalité du récit prend de plus en plus d'importance. 
Avec ce roman on pourrait penser que Nodier trace le cheminement d'un esprit en proie aux hallucinations, qui se perd dans ses rêves, et n'est plus en contact avec la réalité. Mais le propos de Charles Nodier est plus complexe. Le narrateur nous laisse dans le doute. Quand Nodier fait intervenir un scientifique, le docteur de la maison de santé, il le peint comme un homme ridicule. Ainsi la démonstration du savant quant au fait que la mandragore ne peut pas chanter est pédante et amphigourique. On ne peut le prendre au sérieux. Et alors? Si c'était Michel qui avait raison? Si le monde du rêve était plus important et même plus "vrai" que celui de la réalité?
En redonnant sa liberté au rêve, à l'onirisme, Charles Nodier se place bien en précurseur du romantisme et l'on comprend ce que lui doivent Gérard de Nerval, Victor Hugo lui-même et plus tard les surréalistes. Mais le rêve côtoie de près la folie.  Nodier qui est d'une sensibilité excessive - peut-être liée à l'usage de l'opium dans sa jeunesse- Gérard de Nerval qui explore la folie dans son Aurélia, Victor Hugo dans ses séances de spiritisme, et plus tard Maupassant en ont fait l'expérience.





Dans cet univers traditionnel de marins et de charpentiers, sans doute, comme dans les contes, un peu idéalisé, les rêveries et les visions de Michel jettent un trouble que les gens mis en scène interprètent comme de la folie. Mais le récit est celui, à la première personne, de Michel. S’il reflète les paroles d’autrui sur son comportement et sur la fée aux miettes, il donne à ressentir comme véritables les sentiments et les visions qui sont les siennes. Comment ne pas le croire, bien que cela semble impossible ? Belkiss apparaît-elle vraiment lorsqu’il ouvre le médaillon ? la fée a-t-elle le pouvoir de modifier le sort des marins ou cela n’est-il qu’une coïncidence ? Comment se met-il à lire l’hébreu, à entendre la langue canine de l’île de Man ? Il y a six mois qu’il a quitté ses chantiers et la famille de Finewood en leur abandonnant ses possessions, six mois qu’il recherche la mandragore chantante... Et comme le souligne la conclusion « Elle n’explique rien ». Le récit est donc à prendre ou à laisser, on retrouve l’opposition des deux discours, celui du psychiatre appuyé sur ses certitudes médicales et ses citations, qui définit la mandragore d’après Linné et selon les anciens usages, et d’autre part l’évasion inexplicable de Michel de cet endroit clos. Reste qu’on ne peut se fier totalement à ceux qui l’ont vu s’envoler avec une fleur chantante. On demeure dans le fameux « je sais bien... mais quand même » et le roman articule de façon originale « les illusions » du lunatique et la réalité, en donnant une prime de plaisir aux illusions joyeuses des « amants et des poètes ».



lundi 14 avril 2014

Bordeaux : Festival Itinéraires des photogaphes voyageurs


Kike Aspano Geometrias en equilibrio : Institut Cervantes


Olivier Brossard In a deeper road : Galerie Arrêt sur l'image

Joanna Chudy Silesian Ulysses : Voyageurs du monde

Ma visite de Bordeaux se termine avec ce billet sur Itinéraires des photographes voyageurs, festival qui était en fait le but de mon voyage. Je vous  ai présenté en tête de ce billet trois images pour lesquelles j'ai eu un coup de coeur mais ce ne sont pas les seules! La 24 ème édition de ce festival 2014 organisé par Nathalie Lamire-Fabre et par Vincent Bengold réunit du 1er au 30 Avril, 14 photographes sur le thème du voyage. 


Nathalie Lamire-Fabre, Alain Juppé, et Vincent Bengold :  vernissage Salle capitulaire Cour Mably

Vendredi 4 Avril en soirée et pendant toute la journée du samedi 5 jusqu'à 20H nous avons assisté aux vernissages de ces expositions en présence des artistes. La découverte des images accrochées dans dix lieux différents s'alliaient ainsi à la visite de la ville hors des sentiers battus. Un véritable marathon culturel, passionnant et enrichissant, tant il permettait de rencontrer des tempéraments artistiques divers, tant la démarche de chacun était singulière :  
... du documentaire comme celui de Thierry Girard, au Japon après le Tsunami (Après le fracas et le silence)... 


Thierry Girard : Après le fracas et le silence : Salle capitulaire Cour Mably

... du témoignage écologique comme Terrain vague d'Emmanuelle Coqueray. Ce qui est frappant dans certaines images d'Emmanuelle Coqueray, c'est l'importance attachée à la couleur, au rendu de la matière. Vues de loin les images peuvent évoquer la beauté de la nature, nous projeter dans un ciel étoilé ou dans l'abstraction, vues de près elles révèlent l'horreur : matériaux polluants, poisons, incendie, dépotoirs...


Emmanuelle Coqueray : Terrain vague :  Actimage
Emmanuelle Coqueray : Terrain vague

... à la résolution d'une crise intérieure avec My white désert de Zaïda Kersten,

Zaïda Kersten  My white desert : Espace Saint Rémi

Zaïda Kersten, à la suite d'une crise intérieure s'isole pendant un long hiver dans une île ensevelie sous la neige, en Laponie, dans une petite cabane sans confort. Avouez que l'on croit lire un roman de Nature Writing, Désolations de David Dann ou Indian creek de Pete Fromm! Mais le mal-être, la solitude l'amènent au bord de la folie dont peu à peu elle parvient à émerger jusqu'à se reconstruire. j'ai beaucoup aimé toutes ses photographies en noir et blanc. Le format choisi, très petit, nous oblige à nous pencher sur la photo afin de pénétrer  à l'intérieur de la cabane et dans son intimité. Repliée sur elle-même comme dans une caverne, elle hiberne, à moins qu'elle ne cherche protection, foetus dans dans l'obscurité du ventre maternel? Puis les images de l'extérieur, ces grands espaces blancs, ces aurores boréales, la rencontre d'un animal solitaire, le départ en traîneau... 

Zaïda  Kesrten : My white desert

... jusqu'à la construction d'un Mirage de Bastien Dessolas et Kristof Guez, tous deux partis au Maroc, pour faire naître le "mirage" à l'aide de rayons laser qui rendent insolites les splendides paysages nocturnes.


Kristof Guez et Bastien Dessolas Mirage  : grilles jardin public


 Kristof Guez et Bastien Dessolas Mirage  : grilles jardin public
Kristof Guez et Bastien Dessolas Mirage

... ou à ce qui s'apparente à un journal de bord  : Jean-Michel Leligny explore la réalité de la France  dans son parcours intitulé : 2°20 ou la France par le milieu. Se donnant pour but de suivre le méridien de Paris (2°20) qui trace une ligne "par le milieu" du pays, il s'astreint à photographier chaque jour au cours de son voyage les paysages et les gens qu'il rencontre. Mais fidèle à son métier de journaliste il écrit sur ses photographies, véritable journal de bord que l'on suit avec intérêt. Pour lui, une photo n'a de sens qu'avec un texte. Il met aussi en regard de ses images, des titres du journal Le Monde sur l'économie, le système bancaire, la mondialisation et le décalage entre ces extraits sur le monde "d'en haut" et celui "d'en bas" est tel que jamais, on le comprend, le fossé ne sera comblé.


Jean Michel Leligny : 2°20 ou La France par le milieu : Le rocher de Palmer

Jean Michel Leligny : 2°20 ou La France par le milieu

J'ai été  fascinée,  donc, par cette diversité des regards et des voyages. Si certains ont arpenté les pays lointains (Japon, Laponie, Silésie, Maroc, Portugal),  d'autres ont trouvé près de chez eux l'espace à explorer . 
Ainsi Julie Bourge qui traque les ombres sur les murs de sa ville, révélant la beauté de la quotidienneté dans ce qui nous entoure ou Olivier Brossard qui filme de sa voiture pendant les interminables embouteillages qui le ramènent chaque jour chez lui, dessinant des paysages et une ville en noir et blanc surprenants et poétiques.

Julie Bourges  Umbra
Julie Bourges  Umbra

Olivier Brossard In a deeper road

Pour Andrea Schmidtz dans sa Vision de Dusserdolf,  c'est le paysage banal de sa ville natale qui se  se métamorphose sous la neige, les arbres aux fins rameaux noirs dénudés semblent tracer des signes mystérieux, des dessins géométriques dans la blancheur ouatée, semblables aux empreintes de petites pattes d'oiseaux dans la neige.


Andrea Schmidtz  Vision : Le rocher de Palmer
Andrea Schmidtz  Vision : Le rocher de Palmer

 D'autres artistes partent en voyage à partir d'une oeuvre littéraire comme Marine Lanier, avec La vie dangereuse de Blaise Cendrars.

Marine Lanier : La vie dangereuse 2013

Marine Lanier La vie dangereuse : Espace Saint Rémi



Marine Lanier La vie dangereuse




Aurélia Frey avec Variations suit les traces de George Sand et de ses contes de grand mère ou des légendes berrichonnes. Elle construit ainsi un monde de brumes et de clairs-obscurs, univers fantastique propice aux ombres et aux créatures issues de l'imagination populaire, passage de l'autre côté des choses, du concret à l'abstrait, du réel à l'imaginaire.


Aurélia Frey  Variations :  Marché de Lerme

Aurélia Frey  Variations

Aurélia Frey  Variations

Il faut ajouter que le voyage extérieur reflète toujours un paysage intérieur, révélant une personnalité, une identité. D'autre part, au cours de cette visite, les artistes nous ont fait part de leurs préoccupations esthétiques, philosophiques et techniques, très éloignées les unes des autres, que j'ai trouvées fort intéressantes. Yannick Vigouroux nous expliquant, quant à lui, que contrairement à beaucoup d'entre eux, il a renoncé aux moyens techniques sophistiqués pour revenir à un appareil plus rudimentaire, à la recherche de l'aléatoire. Je pensais en les écoutant à tous ceux qui affirment que la photographie en tant qu'art est à la portée de tous voire qu'elle n'est pas un art!

Yannick Vigouroux, Littoralités
Yannick Vigouroux Littoralités : Arrêt sur l'image


Et encore une pleine brassée d'images

Joanna Chudy Silesian Ulysses : Voyageurs du monde

Joanna Chudy Silesian Ulysses


Malala Andrialavidra Echoes, fragments : Porte 44 MC2A
Malala Andrialavidra, Echoes, fragments


Kike  Aspano : Geometrias en equilibrio Institut Cervantes


Kike  Aspano : Geometrias en equilibrio

Olivier Brossart : In a deeper road : Arrêt sur image galerie

Olivier Brossart : In a deeper road : Arrêt sur image galerie




Itinéraires photographes voyageurs

10 lieux • 14 expositions
Du 1er au 30 avril 2014

Vendredi 4 Avril
    •    18h30 > Rocher de Palmer à Cenon – Jean Michel Léligny et Andrea Schmitz

Samedi 5 Avril
    •    9H30 > Act’Image – Emmanuelle Coqueray
    •    10H30 > Grilles jardin public – Bastien Dessolas et Kristof Guez
    •    11H15 > Voyageurs du Monde – Joanna Chudy
    •    12H00 > Salle Capitulaire Cour Mably – Thierry Girard et Julie Bourges
    •    14H30 > Marché de Lerme – Aurélia Frey
    •    16H00 > Institut Cervantes – Kike Aspano
    •    17H00 > Espace St Rémi – Marine Lanier et Zaida Kersten
    •    18H30 > PORTE 44 MC2A – Malala Andrialavidrazana
    •    19H30 > Arrêt sur l’Image – Olivier Brossard et Yannick Vigouroux