Le 26 octobre 2008, le Vent-qui-est-dedans s'est libéré de Tony Hillerman pour aller saluer le nouveau jour. A quatre-vingt-trois ans, le "grand ami du Peuple" a quitté le Cinquième Monde. Sa, Celle-qui-apporte-le-Grand-Âge, est venue le chercher. J'entends les voix de Première Femme et de Premier Homme qui vont s'affaiblissant sur les Quatre Montagnes Sacrées où s'efface peu à peu le hurlement de Coyote... Avec Tony Hillerman s'arrêtent aussi les aventures du lieutenant Joe Leaphorn et de Jim Chee, policiers Navajo, enfants de son esprit.
Si vous aimez le roman policier ethnologique ainsi que l'on a nommé ce genre nouveau, n'hésitez pas! Lisez Tony Hillerman dans l'ordre chronologique, si possible, pour pouvoir suivre les étapes de la carrière de Joe Leaphorn, et les grands moments de sa vie, l'amour qu'il porte à sa femme, son deuil... puis l'arrivée tardive, quelques romans plus tard, de Jim Chee, policier lui aussi, jeune homme proche de son peuple, qui veut devenir Medecine-man et exécuter les rites guérisseurs, les peintures sèches, la Voie du Sommet-de-la-Montagne ou celle de la Bénédiction... Deux héros que l'on retrouve d'un livre à l'autre et que l'on reconnaît comme des amis, heureux d'avoir de leurs nouvelles, désolés des coups durs que la vie leur inflige.
Le pays que décrit Tony Hillerman est d'une beauté aride, poussiéreuse, colorée, appelé Fours Corners là où, fait unique dans le pays, les frontières séparent quatre Etats, Arizona, Utah, Colorado, Nouveau-Mexique; c'est la plus grande réserve d'indiens des Etats-Unis limitée par les Quatre Montagnes Sacrées qui correspondent grossièrement aux quatre points cardinaux. La parfaite connaissance du Dineh, le Peuple (c'est le nom que se donnent les Navajos) et l'empathie que Tony Hillerman éprouve envers lui rend la lecture de ses livres passionnante.
Mais le meilleur hommage que l'on puisse rendre à un écrivain est de lui laisser la parole :
Dans Porteurs de Peau, Jim Chee vit dans une maison mobile. Un chatte abandonnée par des estivants a fait son apparition près de chez lui pendant l'hiver. Elle est maigre, efflanquée..
Chee doutait de pouvoir approcher suffisamment la chatte pour parvenir à mettre la main sur elle et il n'avait pas essayé. Il y avait trop du navajo traditionnaliste en lui pour intervenir dans la vie d'un animal sans avoir une raison de le faire. Mais il était curieux. Un animal comme celui-là, élevé et nourri parmi les hommes blancs saurait-il retrouver assez de ses instincts de chasseur pour survivre dans le monde des Navajos? Sa curiosité s'était graduellement muée en une admiration sans exagération. Avant le début de l'été, l'animal avait acquis la sagesse en même temps que les traces dans sa chair. Il avait cessé de donner la chasse aux chiens de prairie et se concentrait sur les petits rongeurs et les oiseaux. Il avait appris comment se cacher, comment s'échapper. Il avait appris à s'endurcir et à survivre.
Dans Blaireau se cache, Jim Chee se rend à l'hôpital où Nakaï, un shaman, est en train de mourir d'un cancer. Celui est sous oxygène, relié par "des tubes à la vie" et par des fils "aux ordinateurs mesurant le Vent Sacré"...
Il replaça le masque sur son visage, inhala de l'oxygène, l'ôta à nouveau.
-Les bilagaana (les hommes blancs) ne comprennent pas la mort. C'est l'autre extrémité du cercle, pas une chose contre laquelle il faut combattre et lutter. As-tu remarqué que les hommes meurent juste à la fin de la nuit, quand les étoiles brillent encore à l'ouest et qu'on peut apercevoir l'éclat de Garçon de l'Aube, à l'est sur les montagnes? C'est pour que le Vent Sacré qui est en eux puisse aller bénir le nouveau jour. J'ai toujours pensé que je mourrai comme ça. Pendant l'été. A notre campement dans les Chuska. Avec les étoiles au-dessus de moi. Avec mon vent-qui-est-dedans qui se libère. Et non pas en agonisant enfermé dans...
Dans
Coyote attend, Joe Leaphorn vient de perdre sa femme, Emma. Il demande à Jim Chee d'exécuter pour lui
la Voie de la Bénédiction et des peintures sèches qui contraindraient " les puissances à rendre Joe Leaphorn à une vie apportant "la beauté tout autour de lui"...
Puis Jim Chee avait sorti de sa jish (sa bourse à médecine) en peau de daim le petit sac de cuir qui était sa bourse des Quatre Montagnes, deux jeux de bâtons de prières, une boîte de tabac à priser qui contenait des pointes de flèches en silex, et une demi-douzaine de petits sacs de pollen. Il avait solennellement dessiné les contours des traces de pas sur le sol et inscrit dedans à l'aide du pollen les symboles des rayons du soleil sur lesquels Leaphorn allait marcher. Derrière Chee, par la porte du Hogan qui s'ouvrait sur l'est, Leaphorn voyait les remparts déchiquetés des monts Carrizo qui réflétaient le rose du crépuscule. Il avait respiré la fumée du pin pignon qui montait des feux de cuisson faits par les proches d'Emma et par ses propres amis venus se joindre à lui pour ce voyage dans le monde spirituel de son peuple.
Voir deux sites :
Tony Hillerman polarnoir
Billet programmé en novembre 2008 dans mon ancien blog