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dimanche 6 septembre 2015

Pouchkine Les récits de feu Petrovitch Belkine : Le marchand de cercueils, le coup de pistolet, la demoiselle paysanne, le maître de poste


Récits de feu Ivan Petrovitch Belkine

C’est sous le nom fictif de Petrovitch Belkine que Pouchkine publie un recueil de nouvelles Les récits de feu Petrovitch Belkine (1831) dont les titres sont autant de réussites littéraires. 

Le coup de pistolet 

Alexandre Pouchkine

Le coup de pistolet est l’histoire d’un duel et surtout d’une vengeance longuement élaborée. Le narrateur, un jeune officier, raconte l’histoire de son ami Silvio, un civil, qui a un comportement  étrange. On sait peu de choses sur lui, sur son passé, sa fortune… Mais alors qu’il s’exerce tous les  jours au pistolet, devenant ainsi un des plus fins tireurs de leur cercle d’amis, il refuse de se battre en duel, se déshonorant selon les règles de cette société. Alors qu’il est rappelé impérativement chez lui, il explique au narrateur pourquoi il a refusé de se battre.  Il voulait se garder en vie pour assouvir une vengeance. 

En effet, il y a longtemps de cela, il était en rivalité  avec un jeune homme brillant et riche, amoureux comme lui de la même jeune fille, qu’il a fini par provoquer en duel. Mais ce dernier, alors que Sylvio le tient en joue, affecte de manger des cerises avec insouciance tout en crachant les noyaux vers son adversaire.

Sylvio refuse alors de tirer sur cet homme puisque la vie ne semble pas lui importer mais il garde le droit à son coup de pistolet et promet de revenir tuer son adversaire quand la vie aura plus de valeur pour lui :
« Depuis lors pas un jour ne s’est passé que je n’aie songé à la vengeance? Aujourd'hui mon heure est venue ». Je vous laisse découvrir le dénouement.
La nouvelle est un témoignage de la mentalité de ces jeunes militaires nobles qui ne manquent pas de panache mais jouent facilement avec leur vie. Désoeuvrés, hors des périodes de conflits, ils passent leur temps à jouer, à boire, à entretenir des liaisons amoureuses et à se battre en duel. On sait comment Pouchkine mourra à l’âge de 35 ans, tué en duel par un français d’Anthès, l’amant de sa femme Natalia Goncharova.  Sylvio est, comme le Hermann de La dame de Pique, un personnage en proie à une idée fixe : ici, la vengeance... et qui va jusqu'au bout  de son obsession. A noter que tous les deux ont des prénoms d'origine étrangère, ce qui est étonnant car ils personnifient ce qu'il est convenu d'appeler "l'âme russe", une sensibilité exacerbée. Silvio est  un personnage qui a eu un modèle historique : le colonel IP Liprandi.

Le marchand de cercueils 

Adrien Prokhorov, marchand de cercueils, aménage dans une nouvelle maison. Le cordonnier, Gottlieb Schultz, l’invite pour faire sa connaissance mais, au cours du repas un peu arrosé, les convives se moquent du métier de Prokhorov. Le marchand de cercueil, vexé, jure qu’il ne rendra pas l’invitation à ses voisins. Il préfère inviter ses clients, ceux qu’il enterre depuis des années. Oui, mais voilà, les morts le prennent au mot! Un conte où Pouchkine joue avec le fantastique mais non sans humour!

Le maître de poste

 Un maître de poste voit sa vie détruite quand sa fille Dounia est enlevée par un jeune noble. Le père va à la ville et cherche à récupérer Dounia mais le noble le met à la porte en lui jetant une poignée de billets. Le maître de poste mourra sans revoir sa fille avec la peur que celle-ci ne finisse sur le trottoir comme beaucoup d’autres jeunes filles enlevées de la même manière pour servir un moment les caprices du maître. Le récit est un cruel fait de société que Pouchkine inscrit dans la vie russe, avec la description des intérieurs humbles, des métiers, et des portraits vrais et douloureux de pauvres gens soumis au pouvoir des grands comme le vieux maître de poste. Il annonce le réalisme qui suivra plutôt que le romantisme de l'époque de Pouchkine.

La demoiselle paysanne  

Lisa, une jeune fille romanesque et indépendante, nourrie de romans anglais, se déguise en paysanne pour faire connaissance d’Alexeï, fils de son voisin. Le père de ce dernier, le propriétaire Ivan Pétrovich Bérestov, et le père de la jeune fille, Grigory Ivanovich Mouromsky, sont fâchés! Comme il se doit les deux jeunes gens tombent amoureux l’un de l’autre. Pendant ce temps les pères se rabibochent et décident de marier leurs enfants … mais le jeune homme refuse obstinément car il veut épouser sa paysanne! Un récit on ne peut plus romanesque que Pouchkine raconte avec humour et avec une certaine distanciation, se moquant gentiment de ses amoureux et prenant le lecteur à parti, si bien que celui-ci est complice et rit du dénouement qui n’est une surprise… pour personne! Pouchkine parle d'une manière plaisante et légère d'un thème récurrent à la littérature du XIX siècle : l'influence de la lecture de romans sur les jeunes filles en fleurs! ( Mode comédie douce-amère avec Northanger Abbey de Jane Austen; tragique avec Emma Bovary de Flaubert)

La tempête de neige

La tempête de neige fait aussi partie de ce recueil. Voir mon billet :  La tempête de neige Pouchkine et Tolstoï

Avec ces cinq nouvelles qui mettent en valeur la prose et la langue russe jusqu'alors dédaignés par les intellectuels, Pouchkine ouvre à la nouvelle et au roman russe une voie qui se révèlera d'une grande richesse. Il nous offre en même temps un tableau passionnant des classes sociales à travers des personnages du peuple ou des nobles, et nous renseigne sur de nombreux détails de la vie quotidienne en Russie à son époque.




mercredi 2 septembre 2015

Alexandre Pouchkine : La dame de pique



La dame de Pique ( Пиковая дама) est une nouvelle de Pouchkine que j’ai étudiée pour mon mémoire de maîtrise, c’est à dire il y a fort longtemps. Je l’ai relue avec un vif plaisir pour me plonger dans un bain de culture russe avant mon départ à Moscou et à Saint Pétersbourg  prévu pour le 15 septembre.

Comme quoi la rentrée littéraire n’empêche pas le retour de temps en temps aux bons vieux classiques!! Et pourquoi les deux seraient-ils antinomiques comme le pensent par fois certain(e)s d’entre vous?

 Le récit

Au cours d’une soirée consacrée au jeu, à Saint-Pétersbourg, chez son ami Naroumov, le comte Tomsky raconte à ses amis l’histoire de sa grand mère la comtesse Anna Fedotovna. Celle-ci a été, dans sa jeunesse, une beauté célèbre, courtisée par tous et qui adorait le jeu. En visite à Paris, elle perd une partie de sa fortune aux cartes et confie son désarroi au comte de Saint Germain, un aventurier qui prétend avoir des pouvoirs d’alchimiste. Celui-ci lui indique le secret des trois cartes qui feront sa fortune mais à condition qu’elle ne rejoue plus jamais.
Ce récit enflamme l’imagination de Hermann, un ami de Tomsky, dont la fortune est médiocre. Il séduit la pupille de la comtesse, Lisaveta Ivanovna, pour s’introduire dans les appartements de la vieille dame qu’il menace avec son pistolet afin de lui extorquer son secret. Mais cette dernière, terrassée par la peur, meurt sans le lui révéler. Le soir de l’enterrement d’Anna Fedotovna, son spectre apparaît à Hermann pour lui donner la combinaison gagnante qui lui permettra, en faisant fortune, de sortir de sa condition. Et je vous laisse découvrir la suite!

Romantisme ou antiromantisme?

La dame de Pique adaptation  de Tchaïkowsky
Romantique, Alexandre Pouchkine l’est, par son appartenance à une époque, le début des années 1800, et à une classe sociale, noble, désoeuvrée, aisée, très occidentalisée.
 Ainsi le tableau qu’il nous donne de la société pétersbourgeoise dans La dame de Pique, est  celle d’une jeunesse dorée à la sensibilité exacerbée qui brûle sa vie en beuveries et aux cartes. Hermann semble être le parfait exemple de ce héros romantique, un peu en marge des autres par son milieu plus modeste, et en proie à une obsession qui va le conduire à la folie.
Le thème fantastique qui est introduit dans ce récit convient donc au genre romantique :  l’apparition du spectre de la comtesse,  la révélation des trois cartes qui supposent l’intervention de puissances occultes et peut-être même l’existence d’un pacte satanique. Et puis il y a l'image de cette Dame de pique, qui dans le langage des cartes est la personnification de la mort.

Mais l’ironie Pouchkiniennne vient démentir le romantisme du récit. Et d’abord avec Hermann! Ce dernier pourrait être le prototype du héros romantique, amoureux et fougueux; il fait une cour assidue à la jolie Lisaveta, mais n’a pas d'autre but que de satisfaire sa cupidité, son désir de faire fortune. La manière dont il abuse la jeune fille en fait un être froid et calculateur.
Le style de Pouchkine aussi est aux antipodes du romantisme, un style classique (l’écrivain est un admirateur de Voltaire), simple, sans flamboyance, qui ne recherche pas l’effet. Bien  au contraire, il en prend le contrepied. Mais pour être dépouillé, il n’en est pas moins efficace, témoin la description saisissante de la toilette de la vieille princesse. La vieillesse qui jaunit sa peau, la sénilité qui rend ses lèvres pendantes et affecte tout son corps d’un tremblement mécanique, en font un spectacle bien plus horrible que la mort elle-même. Finalement la réalité est plus effrayante que le fantastique, la vivante plus repoussante que le spectre!

Il faut lire le dénouement de La dame de Pique pour comprendre ce refus de la dramatisation. La fin est si volontairement plate, elle contraste si violemment avec ce qui précède, qu’il me semble y voir l’expression d’un sentiment de dérision de la part de son auteur. Les héros sont terre à terre et conformistes. A l’exception de Hermann, ils continuent leur vie, comme si rien ne s’était passé. La passion de Lizévata pour Hermann, ses sentiments exaltés nourris par ses lectures et son imagination enflammée semblent complètement oubliés. Lizaveta entre dans les rangs, avec un retour au correctement social, au bon ton.

La dame de pique est une des plus célèbres nouvelles de Pouckine. Elle a été adaptée à l’opéra dans par Piotr Ilitch Tchaïwkosky.
Je vous parlerai bientôt de Les Récits de feu Ivan Petrovitch Belkine de Pouchkine

La dame de pique opéra de Tchaïkowsky

 Je suis allée voir l'opéra de Tchaïkowsky d'après l'oeuvre de Pouchkine à l'opéra de Saint Petersbourg. Voici quelques photographies.

Saint Petersbourg L'opéra ancien à droite et contemporain à gauche
L'opéra ancien à droite et contemporain à gauche

l'opéra contemporain Intérieur

Opéra de Saint Petersbourg La salle de concert : arrivée du public représentation de La dame de PIque
La salle de concert : arrivée du public

La fosse d'orchestre

Opéra de Saint petersbourg Partition de la dame de pique pupitre du chef d'orchestres
Partition de la dame de pique pupitre du chef d'orchestres Saint Petersbourg

Opéra  de Saint Petersbourg la dame de pique tchaïkovsky Fin de la représentation
Fin de la représentation




jeudi 22 mai 2014

Alexandre Pouchkine : La fille du capitaine




Alexandre Sergueïevitch Pouchkine est un poète, dramaturge et romancier russe né à Moscou en 1799 et mort à Saint-Pétersbourg en  1837 Il était l'arrière-petit-fils d'Abraham Hanibal, un prince éthiopien au destin étonnant, capturé par des marchands d'esclaves au service des Ottomans et devenu le filleul de Pierre le Grand. En 1820, pour avoir écrit quelques poèmes séditieux, il est condamné à l'exil au Caucase par le tsar Alexandre Ier. L’influence de Byron se retrouve dans Le Prisonnier du Caucase (1821) qui décrit les coutumes guerrières des Circassiens, La Fontaine de Bakhtchirsaraï (1822) qui traduit l’atmosphère du harem et des évocations de la Crimée, et enfin Les Tziganes (1824).  Un nouvel exil à Mikaïlovskoïe lui permet de finir Eugène Onéguine (1823-1830), d’écrire sa tragédie Boris Goudounov (1824-1825), de composer les « contes en vers » ironiques et réalistes.

À la mort du tsar Alexandre Ier, Nicolas Ier le prend sous sa protection et lui permet de revenir à Moscou. De cette époque date Poltava (1828), poème à la gloire de Pierre le Grand. Il reprend sa vie oisive et épouse Natalia Gontcharova. (18 février 1831). Il entame réellement sa maturité et écrit en prose : Les Récits de Buekjube (1830) qui décrivent la vie russe et son roman historique La Fille du capitaine (1836) où il retrace la révolte de Pougatchev. De cette dernière période datent encore les « petites tragédies » : Le Chevalier avare (1836) sous influence Shakespearienne, Le Convive de pierre (1836) reprend le thème de Don Juan, et enfin le célèbre poème du Cavalier de bronze (1833).
Il mourut à l’âge de trente-huit ans, des suites d'une blessure reçue lors d'un duel avec un officier français, le baron d’Anthès, qui était son beau-frère, et qui aurait courtisé sa femme. Lermontov écrivit alors : "La Mort du poète". source


Le récit

Le jeune Piotr Andréievitch Griniov, fils d'une famille noble, est le héros de ce court roman d'Alexandre Pouchkine. Il est âgé de dix sept ans quand son père décide de l'envoyer au service non pas à Peterbourg comme le jeune homme l'espérait mais à Orenbourg, une forteresse militaire au sud de l'Oural, région de cosaques. Il part avec son fidèle serf Savelitch. Au cours de  long voyage il rencontre un moujik mystérieux qui lui sert de guide pour échapper à une tempête de neige. En guise de remerciement Piotr donne son touloupe de lièvre à cet homm  trop légèrement vêtu, un don qui lui sauvera la vie comme on le verra par la suite. Arrivé à la forteresse de Biélogorsjkaïa, il fait connaissance du capitaine Ivan Kouzmitch Mironova commandant de la forteresse, de son épouse  Vassilisa Iegorova et de leur fille, Maria Ivanovna. Il se lie d'amitié avec l'officier Chvabrine qui devient son ami avant de devenir son rival auprès de Maria. Car on s'en doute, Piotr tombe amoureux de la fille du capitaine et veut l'épouser à la grande colère du père du jeune homme. C'est alors qu'éclate la révolte d'Emilian Pougatchev.


Le contexte historique

Emilian Pougatchov

Le roman publié en 1836  se situe à la fin du XVIII siècle, au moment ou le cosaque Emilian Pougatchev, après s'être auto proclamé Tsar sous le nom de  Pierre III, organise l'insurrection des cosaques du Yaïk (ancien nom de l'Oural)  auxquels se joignent des Tatares, des Bachkirs, des Kazakhs et des serfs désireux de secouer le joug de l'esclavage. D'abord considéré comme un ennemi négligeable, Pougatchev emporte des victoires militaires (il a servi dans l'armée russe), s'empare de forteresses de l'Oural puis assiège Orenbourg. La tsarine Catherine II le prend alors au sérieux et concentre ses forces sur l'usurpateur. Celui-ci abandonné par la noblesse cosaque qui voit d'un mauvais oeil les serfs s'allier à eux, est défait en septembre 1774 et exécuté en Janvier1775.
C'est dans ce contexte que se déroule l'histoire des amours contrariés de Piotr Andriévitch Griniov et de Maria Ivanovna Mironova. Pouchkine qui s'est documenté sur  Pougatchov dont il voulait écrire l'histoire mêle dans ce roman des connaissances historiques précises et des éléments purement romanesques.  Le "bandit" Pougatchov dont Pouchkine décrit par ailleurs la cruauté, devient sous la plume de l'écrivain un personnage complexe, capable d'amitié et de reconnaissance, pratiquant une forme d'honneur, de fidélité à la parole donnée, qui pour ne pas être russe et noble, n'en est pas moins sympathique. L'on peut sentir de la part de Pouchkine, libéral exilé pour ses écrits par le tsar Alexandre Ier, une certaine admiration envers cet homme qui a lutté contre l'autoritarisme tsariste.

Des personnages attachants et vivants


Deux jeunes héros romantiques

Les personnages de deux jeunes amoureux sont attachants et charmants bien qu'un peu conventionnels. Tous deux sont dotés des qualités qui font les héros romantiques de l'époque :  Piotr est  courageux, ardent, sincère, généreux, fidèle à la parole donnée, il a le sens de l'honneur, se bat en duel pour les beaux yeux de sa belle. Quant à ses faiblesses, ce sont celles d'un tout jeune homme et donc pardonnables car il a un bon fond et s'en repent! C'est peut-être grâce à ces défauts liés à son inexpérience et son impétuosité qu'il échappe à la convention pour devenir tout à fait humain.
Maria, la petite Macha, est une poltronne qui a peur de tout comme le dit sa mère mais elle aussi à le sens de l'honneur; ainsi elle refuse d'épouser le jeune homme si le père n'y consent pas mais elle a un rôle assez fade dans la première partie; elle disparaît ensuite dans le récit au profit du jeune homme  qui est en fait le véritable héros du récit même si le titre semble dire le contraire. C'est dans la dernière partie qu'elle devient plus intéressante et que la "poltronne" affirme sa personnalité et son courage. Lorsque, prisonnière, elle préfère mourir plutôt que d'épouser Chvabrine contre son gré, lorsqu'elle se fait aimer des parents du jeune homme par sa simplicité et sa dignité, lorsqu'elle se rend, enfin, près de l'impératrice Catherine II pour sauver la vie de celui qu'elle aime.

Des personnages secondaires bien campés

J'aime beaucoup aussi les parents de Maria. Issus d'une classe moins élevée que celle des Griniov,  plus populaires et sans fortune, ils  sont criants de vérité dans leur manière de s'exprimer, la simplicité de leur vie, leurs querelles de vieux couple indissolublement lié pourtant par un amour qui ne recule devant aucun danger quand la forteresse est attaquée par Pougatchov. La manière dont Vassilisa Iegorova, une maîtresse femme, mène son mari par le bout du nez et de même les soldats qui obéissent à "la commandante", permet quelques délicieuses scènes de comédie; ce qui n'empêche pas la grandeur du personnage quand elle rejoint son mari dans la mort. 

Bien, dit la commandante. D'accord, envoyons Macha. Quant à moi, ne rêve même pas de me le demander. Je ne partirai pas. Pour rien au monde, en mes vieux jours, je ne me séparerai de toi et n'irai chercher une tombe solitaire dans une terre étrangère. Ensemble on a vécu, ensemble on mourra.

Des personnages du peuple savoureux

Mais là où Pouchkine excelle, c'est quand il brosse le portrait  des classes populaires, des paysans, et en particulier, ici, du serf Savelitch qui a éduqué Piotr Andriévitch et l'aime comme un fils. Pouchkine a le don de faire parler les hommes du peuple. Il peint à merveille le mélange de soumission absolu de l'esclave au maître, les gémissements et les plaintes du serviteur qui s'estime mal traité, les grommellements mécontents quand le petit se conduit mal introduisant ainsi des petits moments de comique répétitif comme lorsque Savelitch reproche à Piotr Andréiévitch d'avoir donné sa pelisse de lièvre "presque entièrement neuve" à un brigand; ce qui n'empêche pas les éclats de courage pleins de grandeur quand il s'agit de défendre l'enfant qui est sous sa garde.

L'exotisme du récit

La justice de Pougatchov

Et puis comme d'habitude il y a le charme des récits d'aventure russes, le long voyage en traîneau dans la steppe et l'inévitable tempête de neige comme dans la nouvelle du même titre de Pouchkine ou de Tolstoï;  ce qui correspond à une réalité russe et fait passer sur nous, lecteurs, le frisson glacé de l'aventure

Le vent entre temps devenait d'heure en heure plus violent. Le petit nuage s'était transformé en un gros nuage blanc, qui montait lourdement, grandissait et par degrés envahissait le ciel. Une neige fine commença à tomber, puis soudain elle se déversa en gros flocons. Le vent se mit à hurler, la tourmente se déchaîna. Instantanément le ciel sombre se confondit avec la mer de neige. Tout disparut. (…) Je regardai par la portière de la Kibitka : tout n'était que ténèbres et tourbillons.

Le siège d'Orenbourg, les "forçats défigurés par les tenailles du bourreau" (on leur arrachait les narines jusqu'à l'os en signe d'infamie) travaillant aux renforcements des murailles de la forteresse, la famine, la maladie qui déciment les assiégés, les bandes de Pougatchov avec ses moujiks armés de gourdins, ses criminels évadés des mines sibériennes, ses cosaques chargeant sur leurs chevaux kirghizes, et par dessus tout la figure du faux tsar Pougatchov lui-même rendant la justice, tout concourt à faire de cette histoire un récit d'aventure passionnant et qui excite non seulement l'imagination du lecteur mais aussi celle du jeune héros!

 Pougatchov était assis dans un fauteuil sur le perron de la maison du commandant. Il portait un cafetan rouge à la cosaque bordé de galons. Un haut bonnet de zibeline à glands d'or était enfoncé jusqu'à ses yeux étincelants. Son visage me semble connu. Les chefs cosaques l'entouraient.

Un petit livre passionnant et vraiment très agréable à lire!



Lecture commune avec Miriam ICI


 

jeudi 16 janvier 2014

Léon Tostoï et Alexandre Pouchkine : La tempête de neige




Dans le cadre de la semaine Russe de Marilyne de Lire et Merveilles, nous avons décidé d'une lecture commune sur Léon Tolstoï ce jeudi 16 Janvier. Maryline à choisi Les cosaques et moi La tempête de neige et autres récits.


Troïka Nicolas Vassiliev

Cette lecture de Tolstoï m'a amené par curiosité à lire aussi la nouvelle de Alexandre Pouchckine qui porte le même titre et elle est si différente de celle de Léon Tolstoï que j'ai eu envie de présenter les deux dans ce billet.

Léon Tolstoï : Ilya Femorovitch Répine (1887)

Dans La tempête de neige publié en 1856, Tolstoï évoque le  souvenir d'un voyage nocturne entrepris pendant l'hiver 1854-1855 dans l'immense steppe balayée par le vent et la neige alors qu'il revenait en Russie après son service comme officier dans le Caucase. La tempête de neige fait rage, le froid devient plus intense et le conducteur de la troïka perd son chemin. Son maître lui ordonne de retourner au relais mais après avoir rencontré un groupe de trois traîneaux du courrier postal, il décide de les suivre, se fiant à leur grande expérience. C'est ce voyage dans la neige, en aveugle, qui paraît durer une éternité, que nous raconte l'écrivain.

Hiver : Alexis Savrasov

Au niveau de l'action, on pourrait dire qu'il ne se passe rien, aucun événement,  si ce n'est le voyage qui est en lui-même une aventure! Tolsoï refuse de jouer sur le sensationnel, sur les émotions, les sentiments d'angoisse et de peur et pourtant lui et les cochers risquent leur vie.
Le paysage qui défile est longuement décrit dans sa monotonie et sa beauté inhospitalière et les efforts du conducteur de tête pour retrouver le chemin sont rapportés avec précision mais sans effet particulier.  L'écrivain observe, donne des détails précis, sur l'attelage d'une troïka, par exemple, les différents sons de ses clochettes.
 Trois clochettes- une grande au milieu, au son de framboise, comme on dit, et deux petites, accordées en tierce. Le son de cette tierce de de cette quinte chevrotante qui résonnait dans l'air était extrêmement  frappant et étrangement agréable dans cette steppe déserte et inhabitée.

Ce qui intéresse l'écrivain, ce n'est pas l'aspect insolite, dangereux, aléatoire de ce qu'il est en train de vivre mais l'analyse des sentiments, l'étude psychologique qu'il mène en observant des personnages qu'il décrit minutieusement, moujiks frustes, durs à la tâche, habitués à la souffrance et endurants.
Cette description, plus que des émotions, fait naître des sensations. Nous entendons le crissement des patins sur la glace, le hurlement frénétique du vent. Nous nous sentons englués dans un monde qui paraît sans frontière, à la limite du réel, engourdis par le froid intense, perdus dans un univers qui semble être aux confins des mondes habités.
Le vent paraît changer de direction : tantôt il vous souffle en plein visage  et vous colle les yeux avec la neige, tantôt il joue à vous agacer en vous couvrant la tête du col de votre pelisse puis, l'air de se moquer, vous frappe le visage, tantôt il vient de derrière en s'engouffrant dans une crevasse. On entend sans arrêt le crissement léger des sabots et des patins sur la neige et le tintement des clochettes qui faiblit lorsque la neige est profonde.

Le récit présente aussi une particularité curieuse due à l'immense talent de l'écrivain, c'est  cette faculté de glisser du présent au passé, de ressusciter, au milieu de la steppe glaciale, une belle journée d'été à Iasnaïa Poliana, la propriété où Tolstoï a passé sa jeunesse, élevé par sa tante Tatiana. Au personnage du cocher, se substitue celui du vieil intendant, à la neige, la vision de fleurs odorantes et du soleil brûlant. Et le drame d'une noyade survient dans ce paysage lumineux brusquement assombri. Si bien que l'évènement surgit là où on l'attend, dans la steppe désolée, mais par cette journée paisible chaude. Comme le voyageur blotti dans son traîneau, caché sous sa pelisse, nous oublions la neige, le froid et glissons dans un autre monde loin dans l'espace et dans le temps.

Orest Kiprensky. (Photo wikipedia.org)
Orest Kiprensky. (Photo wikipedia.org)
Alexandre Pouchkine; Orest  Kiprensky (wikipedia.org)
Orest Kiprensky. (Photo wikipedia.org)
Orest Kiprensky. (Photo wikipedia.org)

La tempête de neige de Pouchkine est tout autre. Jugez plutôt :

Maria Gravrilovna a dix-sept ans. Elle est la fille d'un riche propriétaire et passe pour un très bon parti; mais elle tombe amoureuse et réciproquement d'un jeune homme pauvre, Vladimir Nikolaïevitch. Le père s'oppose à leur union. Les deux amoureux décident alors de fuir. Ils doivent partir chacun de chez eux pendant la nuit et se retrouver dans une petite église de campagne pour se marier en secret. Mais une tempête de neige se lève. Le jeune homme perd son chemin au milieu de la tourmente et n'arrive à l'église que le matin. Celle-ci est fermée. La jeune fille est retournée chez elle et tombe gravement malade. Vladimir désespéré s'engage dans l'armée et se fait tuer dans un combat contre les troupes de Napoléon. Mais que s'est-il passé dans l'église pendant la nuit où la fiancée l'attendait. Quel est l'homme avec qui le pope a célébré son mariage?

La Tempête de neige dans le recueil Les récits de Belkine est publiée en 1831. Nous sommes en pleine période romantique. Si Pouchkine a un style classique, plein de retenue, qui refuse aussi bien l'épanchement que les grandes envolées lyriques ou le grossissement épique, il écrit pourtant une histoire romantique avec une héroïne qui obéit aux codes du genre et cela même si l'auteur manifeste pourtant une certaine ironie envers elle, un peu comme Flaubert avec Emma Bovary.

Maria Gravilovna était nourrie de romans français et par conséquent était amoureuse.

Vassili Pukirev: le mariage forcé(wikipedia.org)

Il n'en reste pas moins vrai que le récit présente une conception romantique de l'intrigue : enlèvement, séparation des amants, désespoir d'amour qui mène à la mort, mariage mystérieux et une fin pour le moins surprenante et peut-être pas tout à fait vraisemblable mais... qu'importe!. 
 Je sautai sans rien dire hors du traîneau et entrai dans l'église qu'éclairaient faiblement deux ou trois cierges. Une jeune fille était assise sur une banquette, dans un coin obscur de l'église. Une autre lui frictionnait les tempes. " Dieu soit loué, dit celle-ci, vous voilà enfin! Vous avez failli faire mourir mademoiselle." Un vieux prêtre s'approcha de moi et me demanda : "vous plaît-il que je commence?"
- Commencez, commencez, mon père", répondis-je distraitement. On soutint la jeune fille. Elle me parut jolie... Légèreté impardonnable, incompréhensible, impardonnable. Je me plaçai à côté d'elle devant le lutrin...

La différence saute aux yeux : dans Tolstoï la tempête de neige est le sujet même du récit, dans Pouckine, elle est la cause qui provoque l'aventure et le malheur des deux amants.
Contrairement à Tolstoï qui s'intéresse à l'analyse des sentiments, le récit de Pouchkine  peint un évènement extraordinaire.
Tolstoï lui-même remarquait en relisant l'écrivain qu'il avait tant admiré : " Hélas! Je dois reconnaître que la prose de Pouchkine a vieilli -non par le style mais par la manière d'exposer. Aujourd'hui, à juste titre, dans la nouvelle tendance, l'intérêt des détails du sentiment a remplacé l'intérêt des évènements eux-mêmes. (préface Folio classique)
C'est que vingt-cinq ans sépare ces récits et le goût du réalisme a remplacé le romantisme.Pour tout vous dire, moi, j'aime les deux même s'il s'agit dans les deux cas, d'une oeuvre mineure!

La fuite de Maria Gravilovna




Lecture commune sur Toltoï avec Marylin :  voir ICI
Voir aussi Seth sur Léon TolstoÏ