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lundi 22 octobre 2012

Rachilde : La tour d'amour, un roman sulfureux?





Née le 11 février 1860 dans la demeure familiale du Cros, dans le Périgord, Marguerite Eymery (Rachilde, en littérature) connaît une enfance et une adolescence perturbées. Son père officier de carrière qui aurait voulu un garçon ne s'occupe pas d'elle et sa mère  est dépressive et mythomane. Elle-même est victime d'hallucinations morbides qui font craindre pour sa santé mentale. Elle dit que ce sont les livres de la bibliothèque de son grand père qui l'ont sauvée. Encouragée par Victor Hugo, elle part à dix-huit ans à la conquête de Paris. Coiffée à la garçonne, vêtue en homme, audacieuse, intelligente et brillante, elle commence sa carrière littéraire en prenant le nom d'un gentilhomme suédois du XVIe siècle, Rachilde, rencontré lors d'un séance de spiritisme. Elle s'intéresse, l'une des premières, aux question d'identité sexuelles et d'inversion et fait scandale avec son roman, Monsieur Vénus (1884) où l'homme traité comme un objet tient le rôle traditionnellement dévolu aux femmes,  ce qui lui vaut d'être traduite en justice et condamnée. Cependant, ce roman qui correspond au goût décadent de la fin de siècle, assure sa célébrité et lui donne une réputation sulfureuse. Elle écrit plus de soixante romans dont La Tour d'amour qui est peut-être le meilleur.
Elle épouse Alfred Valette, ce qui lui permet de participer aux débuts de la revue symboliste le Mercure de France, lancée par son mari, dont elle deviendra la patronne. Elle exerce alors un grande influence sur la vie littéraire. Le Tout-Paris se presse à ses "mardis". Elle meurt à Paris en 1953.


 Je vous incite à aller voir chez La fée des logis, l'analyse de l'oeuvre de Rachilde dont je cite un extrait : 
Bien qu'elle soit l'auteur du pamphlet Pourquoi je ne suis pas féministe, et qu'elle tienne parfois des propos misogynes, Rachilde est l'auteure d'une oeuvre qui dérange et qui met mal à l'aise car s'inscrivant violemment contre l'ordre social et le rapport traditionnel des sexes, contre la phallocratie. De fait, ses détracteurs l'ont accusée de perversité, d'obscénité, voire de pornographie. En effet, selon eux, une femme se doit de taire ses fantasmes et ses plaisirs sous peine de manquer aux lois de la bienséance et de la convenance. Rachilde devient alors ce monstre tant redouté à l'époque de la vierge initiée qui " en sait plus long qu'une vieille femme " (in : La Marquise de Sade, Rachilde, p. 13). Aussi les mauvaises langues, confondant la vie de l'auteur et celle de ses personnages, la réalité et la fiction, la soupçonnent-elles de débauche. Se moquant de la réputation qu'on lui taille, Rachilde mène sa vie comme elle l'entend : affranchie et indépendante. 
  suite ICI

 La Tour d'amour

La tour d'amour de la "sulfureuse" Rachilde est un roman qui sidère, qui laisse pantelant. Jamais en ouvrant le livre de quelqu'un qui était pour moi une inconnue, jamais je n'aurais pensé découvrir un texte d'une telle force, servi pas un style puissant aux images hallucinatoires. Je comprends, bien sûr, que le récit ait fait scandale et je ne suis pas sûre qu'il ne choque pas, même de nos jours, les lecteurs sensibles tant il est morbide et nous entraîne dans la spirale d'une folie qui tient de la perversion. Si vous êtes de ceux-là, tant pis, mais ne me dites pas que Rachilde est un médiocre écrivain!

Bien qu'elle soit née en Périgord, ce roman fait partie de la période bretonne de Rachilde. Jean Maleux, jeune marin breton, veut se fixer après avoir bourlingué comme chauffeur sur un vapeur des ponts et chaussées. Il demande un poste de gardien de phare et  obtient le plus  terrible, le plus redoutable et le plus redouté de tous, nommé par tous les gardiens "l'enfer des enfers", le phare d'Ar-Men, au large de Brest,  appelé ici par dérision la Tour d'amour.  Ce phare battu de manière incessante par les flots,  où l'on ne peut aborder que par télésiège, est terrifiant.  Maleux y rejoint le gardien en chef,  le vieux Mathurin Barnabas, qui n'a plus quitté le lieu depuis vingt ans. Commence alors entre les deux personnages une confrontation hallucinante, une véritable descente aux Enfers.

 Le récit est un huis-clos entre  Maleux et Barnabas sur ce roc abandonné de Dieu. A l'exception de quelques rares sorties de Jean Maleux qui vont d'ailleurs précipiter sa fin, les deux hommes, enfermés dans le phare comme dans une prison, affrontent la mer qui est le troisième personnage et certainement le plus puissant. Elle est parfois décrite comme une prostituée qui s'offre à tous, certaine de son pouvoir sur les hommes.
La mer délirante bavait, crachait, se roulait devant le phare, en se montrant toute nue jusqu'aux entrailles. La gueuse s'enflait d'abord comme un ventre, puis se creusait, s'aplatissait, s'ouvrait, écartant ses cuisses vertes; et à la lueur de la lanterne, on apercevait des choses qui donnaient l'envie de détourner les yeux. Mais elle recommençait, s'échevelant, toute une convulsion d'amour ou de folie. Elle savait bien que ceux qui la regardaient lui appartenaient.
Elle joue un rôle maléfique et détient le droit de vie ou de mort non seulement sur les équipages des bateaux qui viennent se briser sur les formidables écueils de la chaussée de Sein mais aussi sur les gardiens. C'est ainsi qu'après un naufrage,  ceux-ci voient passer les morts remontés à la surface, entraînés par le courant :
Tous ces cadavres tourbillonnaient autour de moi, maintenant à m'en donner le vertige. Ils n'en passaient plus, et je les voyais encore, les uns la bouche ouverte pour leur dernier appel, les autres les yeux fixés à jamais sur leur dernière étoile. Ils allaient, allaient par troupe, par file, deux à deux, six ensemble, un tout seul, tout petit comme un enfant, et ils ressemblaient à une grande noce qui s'éparpille le long du dernier branle du bal.
Dans ce décor de fin du monde, dans ce lieu battu par les tempêtes, et les vents,  les personnages vont peu à peu se dépouiller de leur humanité. Quand Jean Maleux arrive dans le phare, Mathurin Barnabas  est déjà plus proche de la bête que de l'humain. Il a oublié son alphabet , ne sait plus lire ni écrire, parle à peine. Il est repoussant, ne se lave plus, ne change plus de linge, urine contre la porte et marche parfois à quatre pattes. De plus, il est devenu un être hybride, asexué, mi homme-mi-femme.  Jean Maleux pourra-t-il résister à cette hideuse attraction?  On assiste peu à peu  à sa transformation. Rachilde nous entraîne ainsi dans les méandres de la folie qui nous est révélée progressivement et nous plonge dans l'horreur. Quand on pense avoir touché le gouffre, l'on se rend compte que l'on descend encore plus bas!
Une histoire dont on ne sort pas indemne servie par un style très visuel, vigoureux, parfois lyrique où perce à certains moments des accents à la Zola, mais le Zola visionnaire,  celui qui personnifie les éléments de la nature comme la terre dans Germinal.



Le phare d'Ar-Men

Le phare d'Ar-Men (le Roc en breton) qui se dresse au bout de la chaussée de Sein constituée d'écueils redoutables, à huit milles au large de l'île de Sein, possède une mauvaise réputation dès sa construction, une des plus longues et des plus dangereuses de l'histoire des phares. Il a fallu six années de prospection et 15 années de travaux dans les pires des conditions, avec les vagues qui balayaient le roc toutes les cinq minutes, les lames qui risquaient d'emporter les ouvriers à tout moment. Son allumage a lieu en 1881. C'est un endroit où les tempêtes sont les plus dangereuses, les courants les plus violents. Les habitants de l'île de Sein ont nommé le lieu où le phare est implanté Ar Vered Nê, le Nouveau Cimetière à cause des nombreux naufrages qui y ont lieu et un proverbe breton dit : Qui voit Sein voit la fin
La vie dans ce phare d'Ar-Men est tellement âpre et sauvage  que la folie guette les gardiens en proie à la solitude, cerné par le vent, assailli par des vagues qui montent jusqu'à la lanterne.

Rachilde s'appuie sur des documents très précis pour écrire son roman. Le journal L'Illustration de Juin et Juillet 1896 a fait plusieurs reportages sur ce phare, ( sa construction, les conditions de vie des gardiens...) à la suite du naufrage du grand paquebot anglais le Drummond-Castle dans la nuit du 17 au 18 Juin. Il avait à son bord 250 personnes dont 3 seulement ont pu être recueillies vivantes. Rachilde change le nom du bateau qui devient le Dermond-Nesle et utilise les détails techniques pour la description. Tout le reste bien sûr est de l'ordre de son imagination et participe de son univers littéraire qualifié de "décadent" mais où tout est avant tout symbolique et reflète nos peurs les plus profondes.


Deuxième édition du challenge des fous par L'ogresse de Paris

lundi 8 octobre 2012

Challenge breton : Les participants




 Le challenge breton est ouvert. Vous pouvez vous inscrire. Je publie ici la liste des premiers participants et billets sur la Bretagne.

George Sand disait en parlant des écrivains bretons : Génie épique, dramatique, amoureux, guerrier, tendre, triste, sombre, naïf, tout est là! En vérité aucun de ceux qui tiennent une plume ne devrait  rencontrer un breton sans lui ôter son chapeau."

et Michel Lebris écrit : " Que serait un voyage sans le livre qui l'avive et en prolonge la trace - sans le bruissement de tous ces livres que nous lûmes avant de prendre la route? Samarcande, Trébizonde, tant de mots, dès l'enfance, qui nous furent comme des portes, tant de récits, tant de légendes !

Voir une liste non exhaustive des livres qui peuvent être lus dans le cadre du challenge breton.  N'hésitez pas à nous donner des conseils et nous communiquer d'autres titres! ICI
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Aifelle






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Aymeline

La légende d'ys de Charles Guyot

Ys, le monde englouti de Gabriel Jan






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Clara

Fabienne Juhel : les oubliés de la lande

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Claudialucia


  1. Remorques, Roger Vercel (Brest)
  2. Les noces noires de Guernaham, Anatole le Braz
  3. Le sang de la sirène, Anatole le Braz (Ouessant)
  4. La fée des grèves, ( 1) , Paul Féval (Bretagne et Normandie : autour du Mont Saint Michel)
  5. La fée des grèves Paul Féval ( 2) (Bretagne et Normandie : autour du Mont Saint Michel)
  6. Le gardien du feu Anatole Le Braz 
  7. La tour d'amour de Rachilde 
  8. Ys, le monde englouti de Gabriel Jan  
  9. La légende de la vile d'Ys de Charles Guyot
  10. Marcof le Malouin  de Ernest Capendu  
  11. Sophie de Tréguier de Henri Pollès 
  12. Le gardien du feu de Anatole LeBraz 
  13. Becherel la cité du livre en Bretagne
  14.  Dinan (rencontre entre blogueurs
  15.  Ernest Renan : la vérité sera un jour la force
  16. Perros Guirec et la côte de granit rose
  17. René Guy Cadou : L'enfant précoce (poème)
  18. Félicité Lamennais : le plus puissant de tous les leviers...(citation)
  19. Bretagne les enclos paroissiaux(2)
  20. Bretagne les enclos paroissiaux (1)
  21. Jean-Pierre Boullic : Iroise (poème)
  22. Douarnenez : Rencontres entre blogueurs
  23. Eugène Guillevic : Je connais l'étrange variété du noir (poème)
  24. Anatole Le Braz : Chanson pour la Bretagne :( poème)
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Elora

Présentation du challenge

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Eeguab






Le Tempestaire de  Jean Epstein  : Alors la mer se calma

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Gwenaelle







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 Jeneen







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Keisha










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Lystig

La trilogie de L'auberge du bout du monde





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Mazelannie

1. Le championnat d'insultes en breton






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Mireille chez Claudialucia

Jean-Marie Deguignet : Mémoires d'un paysan Bas-Breton

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Miriam





1. La fée des grèves Paul Féval
2. Le gardien du feu Anatole Le Braz 
3 Ys, le monde englouti de Gabriel Jan
4. La légende de la ville d'Ys de Charles Guyot 
5. Les demoiselles de Concarneau de Simenon 

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Nathalie

Les chouans Honoré de Balzac

souvenirs d'enfance et de jeunesse d'Ernest Renan(LC)





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Oncle Paul









  1. Les Loups de la Terreur, Béatrice Nicodème (Brocéliande)
  2.  Le Réveil des Menhirs, Gabriel Jan
  3. Ys, le Monde englouti, Gabriel Jan  (Douarnenez?)
  4. Les Filles de Roz-Kelenn, Hervé Jaouen
  5.  Ceux de Ker-Askol, Hervé Jaouen 
  6.  Flora des Embruns Herve Jaouen

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Wens

1. Remorques de Grémillon d'après Vercel (Brest)
 2. Les enclos paroissiaux (Cornouailles et Léon)
 3. Le chien jaune de Simenon (Concarneau)
 4. Nuits assassines à Paimpol  de Michèle Corfdir (Paimpol)

jeudi 4 octobre 2012

Paul Féval : La fée des Grèves (2): Le Mont Saint Michel, Tombelène et le Couesnon

Le Mont Saint Michel dans Les très riches heures du duc de Berry (XV°)

 Le Mont Saint Michel était originellement appelé Mont Tombe. Aubert, évêque d'Avranches fait construire l'abbaye sur le Mont au VIII ième siècle lorsque l'archange Saint Michel lui apparaît pour le lui demander. L'église est consacrée en 709.
L'enluminure de Les très riches heures du duc de Berry montre à quoi devait ressembler le Mont Saint Michel à l'époque où se situe le roman de Paul Féval La fée des grèves au XV siècle, sous François 1er, duc de Bretagne et  sous le règne du roi de France, Charles VII.
Et le voici aujourd'hui Septembre 2012

 Paul Féval le décrit ainsi en cette année 1450 lorsque François 1er se rend au Mont pour obtenir  du ciel "le repos et le salut de l'âme de son de M. Gilles, son frère, mort à quelque temps de là au château de la Hardouinays"*.

Au sortir de la porte d’Avranches, ce fut un spectacle magique et comme il n’est donné d’en offrir qu’à ces rivages merveilleux.
Un brouillard blanc, opaque, cotonneux, estompé d’ombres comme les nuages du ciel, s’étendait aux pieds des pèlerins depuis le bas de la colline jusqu’à l’autre rive de la baie, où les maisons de Cancale se montraient au lointain perdu.
De ce brouillard, le Mont semblait surgir tout entier, resplendissant de la base au faîte, sous l’or ruisselant du soleil de juin.
Vous eussiez dit qu’il était bercé mollement dans son lit de nuées, cet édifice unique au monde ! et quand la brume s’agitait, baissant son niveau sous la pression d’un souffle de brise, vous eussiez dit que le colosse, grandi tout à coup, allait toucher du front la voûte bleue :
La ville de Saint-Michel, collée au roc et surmontant le mur d’enceinte, la plate-forme dominant la ville, la muraille du château couronnant la plate-forme, le château hardiment lancé par-dessus la muraille, l’église perchée sur le château, et sur l’église l’audacieux campanile égaré dans le ciel !


 Le cloître

À mesure qu’on montait, le roman disparaissait pour faire place au gothique, car l’histoire architecturale du Mont-Saint-Michel a ses pages en ordre, dont les feuillets se déroulent suivant l’exactitude chronologique.
Le soleil de midi éclairait le cloître, qui apparut aux pèlerins dans toute sa riche efflorescence : Un carré parfait, à trois rangs de colonnettes isolées ou reliées en faisceaux qui se couronnent de voûtes ogivales, arrêtées par des nervures délicates et hardies.
Le prodige ici, c’est la variété des ornements dont le motif, toujours le même, se modifie à l’infini dans l’exécution, et brode ses feuilles ou ses fleurs de mille façons différentes, de telle sorte que la symétrie respectée laisse le champ libre à la plus aimée de nos sensations artistiques : celle que fait naître la fantaisie. 


La flèche

La basilique de Saint-Michel n’était pas entièrement bâtie à l’époque où se passe notre histoire. Le couronnement du chœur manquait; mais la nef et les bas côtés étaient déjà clos. L’autel se dressait sous la charpente même du chœur qui communiquait avec le dehors par les travaux et les échafaudages.
Le duc François s’arrêta là. Il ne monta point l’escalier du clocher qui conduit aux galeries, au grand et au petit Tour des fous et enfin à cette flèche audacieuse où l’archange saint Michel, tournant sur sa boule d’or, terrassait le dragon à quatre cents pieds au-dessus des grèves**. 

Entre le Mont Saint Michel et Tombelène 

Les gens de la rive disent que le deuxième jour de novembre, le lendemain de la Toussaint, un brouillard blanc se lève à la tombée de la nuit.
C’est la fête des morts.
Ce brouillard blanc est fait avec les âmes de ceux qui dorment sous les tangues.
Et comme ces âmes sont innombrables, le brouillard s’étend sur toute la baie, enveloppant dans ces plis funèbres Tombelène et le Mont-Saint-Michel.
Au matin, des plaintes courent dans cette brume animée; ceux qui passent sur la rive entendent :
—    Dans un an ! Dans un an !
Ce sont les esprits qui se donnent rendez-vous pour l’année suivante.
On se signe. L’aube naît. La grande tombe se rouvre, le brouillard a disparu.


Autour du Mont Saint Michel
Ces défauts de la grève forment quand la mer monte, des espèces de rivières sinueuses qui s’emplissent tout d’abord et qu’il est très difficile d’apercevoir dès la tombée de la brune, parce que ces rivières n’ont point de bords.
L’eau qui se trouve là ne fait que combler les défauts de la grève.
De telle sorte qu’on peut courir, bien loin devant le flot, sur une surface sèche et être déjà condamné. Car la mer invisible s’est épanchée sans bruit dans quelque canal circulaire, et l’on est dans une île qui va disparaître à son tour sous les eaux.
C’est là un des principaux dangers des lises ou sables mouvants que détrempent les lacs souterrains.

 Tombelène
 
Le mont Tombelène est plus large et moins haut que le Mont-Saint-Michel, son illustre voisin.
À l’époque où se passe notre histoire, les troupes de François de Bretagne avaient réussi à déloger les Anglais des fortifications qui tinrent si longtemps le Mont-Saint-Michel en échec. Ces fortifications étaient en partie rasées. Il n’y avait plus personne à Tombelène.
C’était sur le rocher de Tombelène, parmi les ruines des fortifications anglaises, que monsieur Hue de Maurever avait trouvé un asile, après la citation au tribunal de Dieu, donnée en la basilique du monastère.( Voir La fée des Grèves (1) ICI)


 Tombelène et les lises vus d'une meurtrière du Mont Saint Michel

Quand Reine, l'héroïne, la fée des Grèves  s'enfonce dans les lises de Tombelène, son amoureux aperçoit la scène du haut du Mont Saint Michel à travers un tube qui provoque l'incrédulité de chacun car il permet de voir de près, comme par magie, ce qui est fort loin. Un tube miraculeux!

Aubry mit son oeil au hasard à l'une des extrémités.
Il vit distinctement les vaches qui passaient sur le Mont-Dol, à quatre lieues de là.
Un cri de stupéfaction s'étouffa dans sa poitrine.
Le tube fut dirigé vers le point sombre qui tranchait sur le sable étincelant. Cette fois, Aubry laissa tomber le tube et saisit sa poitrine à deux mains.
-Reine ! Reine ! dit-il ; Julien et Méloir ! ! ! Au risque de se briser le crâne, il se précipita à corps perdu dans l'escalier de la plate-forme. (...)
Bientôt, on put le voir galoper à fond de train sur la grève. Il tenait à la main la lance de Ligneville. Devant lui, un grand lévrier noir bondissait. Ils allaient, ils allaient.- C'était un tourbillon ! Jeannin avait dit :
-Dans dix minutes, la mer couvrira ce point noir. Ce point noir, c'était Reine.


   Le Couesnon

Que venez-vous quérir sur les domaines du Roi ? demanda monsieur de Ligneville.
-Nous venons, par la volonté de notre seigneur le duc, répondit Corson, quérir monsieur Hue de Maurever, coupable de trahison.
-Et portez-vous licence de franchir la frontière ?
-De par Dieu ! monsieur de Ligneville, riposta Corson, quand notre seigneur François a sauvé votre sire des griffes de l'Anglais, il a franchi la frontière sans licence.
Ligneville fit un geste. Ses soldats se rangèrent en bataille. Hue de Maurever perça les rangs.
-Messire, dit-il, si ces gens de Bretagne veulent s'en retourner chez eux en se contentant de ma personne et en laissant libres tous les pauvres paysans de mes anciens domaines, je suis prêt à me livrer en leurs mains.
-Donc, pour ce, franchissez la rivière de Couesnon**, messire, répliqua Ligneville ; sur la terre du Roi, on ne se rend qu'au Roi.
       

*M Gilles, le frère de François 1er de Bretagne (qui était aussi son héritier), a été incarcéré par son frère. Il fut retrouvé étranglé dans sa cellule. On n'a jamais pu savoir si c'était sur l'ordre du Duc.  Mais ce dernier est  mort quelques mois après.

** Paul Féval fait une erreur ; La flèche actuelle n'a été construite qu'en 1899 

***Le Mont était rattaché depuis l'époque de Charlemagne au diocèse d'Avranches, en Neustrie. En 867, le traité de Compiègne attribua l'Avranchin à la Bretagne : c'était le début de la période "bretonne" du mont Saint-Michel. L'Avranchin, tout comme le Cotentin ne faisaient pas partie du territoire concédé à Rollon lors de l'établissement des Normands en 911 - le mont Saint-Michel restait provisoirement breton. Il l'était encore en 933 lorsque Guillaume Ier de Normandie récupéra l'Avranchin : la frontière était alors fixée à la Sélune, fleuve côtier qui se jetait à l'est du Mont.
Quelques décennies plus tard, en 1009, la frontière sud de l'Avranchin (et, partant, de la Normandie) fut déplacée jusqu'au Couesnon, fleuve côtier dont l'embouchure marqua pendant des siècles la limite officielle entre la Normandie et la Bretagne (bien avant d'être remplacée par une limite topographique fixe).

L'histoire et la légende se brouillent à cette date. Les textes de l'époque ne précisent pas le sort du mont Saint-Michel (ni sa localisation par rapport au Couesnon), mais son rattachement à la Normandie est attesté quelques décennies plus tard, et il est déjà effectif lorsque Guy de Thouars incendie le Mont en avril 1204.
Or, une légende affirme que le Couesnon, lors d'une de ses fréquentes divagations, se serait mis à déboucher à l’ouest du Mont, faisant ainsi passer ce dernier en Normandie. Si cette légende est exacte, le Mont aurait été situé à l'ouest du Couesnon en 1009 et la divagation du Couesnon se situerait quelques décennies plus tard. Si elle est fausse, le Couesnon se jetait déjà à l'ouest du mont Saint-Michel en 1009. (source Wikipedia)





jeudi 27 septembre 2012

Anatole Le Braz : Les noces noires de Guernaham




C'est dans le manoir de Guernaham dans la commune Le Vieux-Marché, au sud de Lannion, Côtes d'Armor,  qu'Anatole Le Braz nous transporte avec cette courte nouvelle.

Manoir de Guernaham (détail)


Emmanuel Prigent est un jeune homme pauvre. Il s'est engagé comme domestique  à Guarnaham, chez  Renée-Anne Guyomar,  une cousine éloignée qui a épousé Constant Dahorn. Ce dernier, un ivrogne brutal la maltraite.  Emmanuel veille discrètement sur la jeune femme, l'arrachant parfois aux brutalités de son vieux mari. A la mort de celui-ci, Prigent devient chef de labour de la jeune et riche veuve et l'aide à entretenir le grand domaine.  La jeune femme, élevée en demoiselle, est vite courtisée par des voisins de son rang, ce qui provoque la jalousie muette et la tristesse du jeune homme. Une barrière sociale sépare les jeunes gens. Emmanuel se ferme et se replie dans une solitude douloureuse mais digne. Il  refuse désormais de participer aux soirées dans la vieille demeure et s'absente chaque soir à la même heure. Renée-Anne dépite sans trop savoir pourquoi. Un soir, elle le suit en cachette, pensant qu'il va voir une autre femme et elle découvre....

 Mais qu'est-ce que les noces noires? Un an après la mort du conjoint ont lieu  des commémorations funèbres pour honorer la mémoire du disparu, la veuve est alors autorisée à se remarier.
 Le ton de cette nouvelle est plus léger que Le sang de la sirène que je vous ai présenté hier mais elle a beaucoup de charme car les deux jeunes gens sont attachants et l'histoire d'amour aussi. Nous nous intéressons à la Bretagne, toujours présente dans l'oeuvre d'Anatole Le Braz qui décrit les mentalités de la campagne,  les coutumes.  Nous assistons au Pardon de Saint-Sauveur; L'hiver avec ses veillées au coin du feu lui succède. Chacun y apporte son travail, les hommes du chanvre à éfibrer, les femmes leur fuseau et leur quenouille.
Le sujet m'a fait penser à un roman de Thomas Hardy Loin de la foule déchaînée où l'on voit un berger amoureux de sa riche patronne. Evidemment, la comparaison s'arrête là car il s'agit ici d'une nouvelle rapide, peu développée, donc plus superficielle, contrairement au roman de Hardy. Mais comme dans l'Angleterre victorienne, la hiérarchie sociale dans les campagnes bretonnes y est très marquée. Il y a presque autant de différence entre la propriétaire d'un riche domaine et son valet que dans la noblesse entre une princesse et un roturier! Le mariage est un marché, une négociation commerciale où la fortune, l'étendue des terres, la possession du bétail, le rang, sont minutieusement étudiées avant la demande en mariage.
Le récit d'Anatole Le Braz tient un peu du roman courtois où l'amoureux doit gagner le coeur de sa belle par sa bravoure et son dévouement. Ici "le charrueur" devra être compétent, valoriser les terres, aimer son métier mais aussi avoir des sentiments élevés qui lui suggèreront comment devenir l'égal de sa maîtresse. Les sentiments amoureux, dépit, jalousie, douleur, méconnaissance de ses propres sentiments, découverte de l'amour, sont analysés avec finesse et non sans humour. On y voit aussi la condition féminine du XIX siècle. Renée-Anne n'est libre que lorsqu'elle est veuve.  Mariée à une brute, elle doit subir ses violences qui mettent sa vie en danger. Le mari a tous les droits.

 Une lecture agréable! Petite anecdote : J'ai lu que les descendants de Prigent sont toujours les propriétaires du manoir de Guernaham.






mercredi 26 septembre 2012

Anatole Le Braz, écrivain breton / L'île d'Ouessant : Le sang de la sirène


 
Le sang de la sirène  se déroule dans l'île d'Ouessant


Anatole Le Braz  (1859_1926) est né en Bretagne dans les Côtes-d'Armor à Saint-Servais dans une famille d’instituteurs publics, défenseurs de l’idéal républicain. Il a vécu une partie de sa jeunesse en Bretagne avant d'aller faire des études lettres-philosophie à la Sorbonne. Poète et écrivain, il se passionne aussi pour le folklore de sa région et collecte de nombreuses légendes, des témoignages de la vie quotidienne. Il a été le disciple d’Ernest Renan et de François-Marie Luzel,  folkloriste.  Il s’est insurgé très tôt contre la politique d’étouffement de la langue bretonne. Féministe convaincu, véritable père fondateur du Mouvement breton dès 1898, il a toujours privilégié la plus large ouverture possible sur le monde, conjuguée à l’obsession constante de l’Au-delà et de l’Ailleurs.
Son oeuvre la plus célèbre reste : La légende la mort en basse-Bretagne (1893). Il a publié de nombreux écrits sur la Bretagne : Au pays des Pardons (1894)  Au pays d'exil de Chateaubriand (1909) des contes et nouvelles : Vieilles histoires du pays breton (1897), Contes du soleil et de la brume (1905) Le sang de la sirène (1901), Les noces noires de Guernaham, Le Gardien du feu (1900)...

Editions Terre de Brume

Le narrateur de la nouvelle Le sang de la sirène est un "Monsieur" qui débarque sur l'île d'Ouessant pour y  collecter des légendes anciennes et étudier les rites et traditions. Autrement dit, il s'agit de l'écrivain lui-même! Sur le bateau, il rencontre une belle et charmante jeune femme, Marie-Ange, "la Fleur d'Ouessant" qui semble inspirer à chacun  amour et respect.  Marie-Ange appartient à une des plus anciennes familles d'Ouessant, le clan des Morvac'h.  Pourtant une aura mystérieuse semble l'entourer et les insulaires ne parlent d'elle, malgré leur franche sympathie, qu'à mots couverts. Elle  invite le narrateur à lui rendre visite quand son époux, Jean Morvac'h, sera de retour de la pêche. Grâce à Nola, une vieille femme aux pouvoirs étranges et aux habitants de l'île, le narrateur apprend peu à peu le secret de Marie-Ange. La malédiction des Morganes, sirènes partagées entre leur état de divinités de la mer et leur état de femmes pèserait-elle sur la jeune femme?

Cette nouvelle est une fiction et le lecteur suit  avec intérêt ce qui arrive à Marie-Ange et son époux Jean mais elle témoigne aussi de la passion d'Anatole Le Braz pour le folklore breton. Nous apprenons beaucoup sur les mentalités et les moeurs des habitants d'Ouessant dont la vie est dure dans ce pays âpre et sauvage. L'omniprésence de l'océan pèse sur tous. Celui-ci, synonyme de subsistance mais aussi de tous les dangers, est étroitement lié à la mort dans un pays où le nombre de veuves est élevé et où le nom des hommes disparus en mer ne figure pas sur les stèles des tombes.  A tel point que les ouessantins ont coutume de façonner une croix en cire censée représenter  le mort  sur lequel le prêtre prononce l'absoute, suivie d'une veillée funèbre, bref! un simulacre d'enterrement : "paraît que, sans ça le noyé ne se tient pas tranquille: c'est toutes les nuits des cris, des hurlements, des insultes, un branle-bas de tonnerre de Dieu.".

On se passionne donc pour cette découverte de l'île et de ses habitants. Le style  d'Anatole  Le Braz est aussi un des plaisirs de la lecture. Tout en ayant parfois la démarche de l'ethnologue, ses descriptions précises ne manquent pas de pouvoir suggestif.

La route devant nous, plus large, plus unie, filait droit à travers les chaumes. Nul accident visible du terrain. Pas un arbre, par même un végétal arborescent. Rien qui rompît la sobre et sévère harmonie du paysage. Du point où nous étions parvenus, l'île se montrait toute, en sa nudité triste, suspendue entre ciel et mer, avec les cassures de ses rivages, le brusque arrêt de ses falaises dans l'océan..

Il devient parfois poétique et incantatoire. A  propos d'un marin disparu en mer  :

 Les autres s'en vont dans un coup de temps, dans un coup de mer... Lui s'en est allé par mer belle, sous une nuit d'étoiles. Ne dites pas : "la mer est traîtresse!". La mer n'est pas plus traîtresse que la terre. Quand la mort commande, il faut obéir. La mort est la reine du monde.

Il sait rendre l'atmosphère pesante qui règne sur ces gens écrasés par le poids des superstitions, soumis aux caprices de l'Océan, à des forces qui les dominent et qu'ils essaient d'expliquer de leur mieux par la présence du surnaturel. On sent le narrateur gagné peu à peu par l'atmosphère des lieux malgré ses a priori scientifiques. Avec lui, on glisse du réel au fantastique. Tout devient alors possible. 

J'eus l'impression d'une terre enchantée par un sommeil magique, d'un pays de rêve, empire de quelque fée invisible, de quelque Belle aux Flots Dormant. (...)

Mais le plus extraordinaire ce sont les phares, celui du Stiff sur notre droite, celui de Créac'h à notre gauche. On ne distingue que leurs feux qui ont l'air de brûler dans le vide, au-dessus des lourdes masses d'ombre. Ils ajoutent encore, si possible, à l'horreur de cette nature déchaînée, achèvent de lui donner je ne sais quoi de chaotique, d'absurde et de fou. Le stiff fait l'effet d'une lune blafarde, barbouillée de sang, qui tournerait sur elle-même, en proie au vertige de l'épouvante, tandis qu'à l'autre bout de l'île, le Créach semble une comète clouée dans l'espace, et qui s'impatiente et qui bondit.

Une lecture et une rencontre intéressantes avec un écrivain breton que j'ai découvert avec plaisir.  Et pour terminer, cerise sur le gâteau, je vous livre cette phrase que je trouve si belle et qui me touche tant.  Elle décrit la fragilité du bonheur, son caractère éphémère. A elle seule, elle justifierait la lecture du livre!
"Ne dites pas, s'écrie la précheuse au début de son improvisation, ne dites pas : " Le bonheur est sur cette demeure." Le bonheur est comme les goélands. Il se pose ici, puis là, entre deux vols; mais il fait son nid dans des lieux inconnus.."

 
J'ai lu cette nouvelle dans un recueil intitulé Gens de Bretagne tome 1 éditions Omnibus





Il existe aussi une Bande dessinée :  Le sang de la Sirène que je n'ai pas lue mais que je signale aux curieux .


 Paru le 11 Avril 2012
Album de la Série : Histoires de Bretagne
Dessinateur : Sandro Masin
Scénariste : François Debois
Auteur : Anatole le Braz
Genre : Fantastique-Etrange
Editeur : SOLEIL PRODUCTION
Collection : CELTIC
Public : Ados-Adultes

Ce billet participe à deux challenges : Celui de Lystig Vivent les régions et celui que j'initie à partir de Vendredi : Challenge breton : Littérature, Arts, Histoire.  




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