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jeudi 1 septembre 2011

Laurent Gaudé : le soleil des Scorta, Actes Sud



Il y avait longtemps que je voulais lire un roman de Laurent Gaudé et le challenge de Calypso :  un mot, des titres... m'a donné l'occasion, puis que ce mot était soleil, de découvrir l'oeuvre la plus célèbre de cet écrivain : Le soleil des Scorta.
Agréable découverte que ce roman tant par le style de l'auteur qui sait rendre l'atmosphère d'un pays à la terre aride et ingrate que par sa parfaite connaissance des mentalités d'un petit village des Pouilles, Montepuccio. C'est à travers les tribulations des membres de la famille Scorta, de la fin du XIXème siècle à nos jours, que nous que nous découvrons la vie de cette population bien souvent réduite à l'exil pour échapper à la misère.


Le récit commence par le viol de Immacolata Biscotti par le bandit Luciano Scorta Malcazone qui le paie de sa vie. De cette union naît Rocco Scorta qui parviendra à s'enrichir par le vol, le pillage et le crime. Sa richesse lui permettra d'obtenir le respect des villageois mais à sa mort, il déshérite ses enfants pour donner sa fortune à l'Eglise et les précipite dans la misère. Les frères, Domenico, Giuseppe et Raffaele,le frère d'adoption, et leur soeur Carmela,  après s'être fait refouler des Etats-Unis, décident d'unir leur force pour pouvoir s'en sortir dans le village qui les a vus naître. Ils forment désormais avec leurs époux et épouses respectifs, leurs enfants, un clan soudé et solidaire, qui place le nom des Scorta comme une priorité. Le commerce du tabac, la contrebande aussi, vont leur permettre de vivre.

Une des plus grandes qualités du roman réside dans l'empathie que l'on sent de la part de l'écrivain pour ces hommes et ces femmes qui ont la mentalité parfois primaire de ceux qui doivent arracher leur subsistance aux cailloux mais qui rachètent leur âpreté par une instinctive dignité. La famille Scorta avec ses faiblesses, et ses secrets forcent la sympathie par l'amour qu'ils se portent les uns aux autres, leur solidarité sans faille, leur désir de transmettre à leur descendance ce qu'ils considèrent comme essentiel. Ce sont des êtres pauvres mais fiers, facilement blessés mais durs à la souffrance comme le dit Carmela, souvent intransigeants avec eux-mêmes. Il y a de très belles scènes qui placent certains de ses personnages au niveau de héros de tragédie dont ils ont la grandeur malgré leur humble origine. L'histoire d'amour entre Elia et Maria est splendide : fierté de la jeune fille qui refuse d'être considérée comme une marchandise, force morale d'Elia qui détruit sa seule richesse pour repartir à zéro et offrir à son épousée une vie qu'il aura construite lui-même. La mort-suicide de Donato dans sa barque, l'attitude de Carmela qui s'enferme dans le mutisme pendant de nombreuses années, le crime de Raffaelle et son amour perdu, tout donne l'impression d'assister à travers cette famille à une grande tragédie antique brûlée par le soleil. Car le soleil est un des personnages principaux du récit, l'emblème même des Scorta dont il rythme la vie de la même manière qu'il pèse sur tout le village et impose sa loi implacable.
Voilà ce que dit Domenico à son neveu Elia  qui renonce à quitter le pays : Il fait trop beau. Depuis un mois, le soleil tape. Il était impossible que tu partes. Lorsque le soleil règne dans le ciel à faire claquer les pierres, il n'y a rien à faire. Nous l'aimons trop, cette terre. Elle n'offre rien, elle est plus pauvre que nous, mais lorsque le soleil la chauffe, aucun d'entre nous ne peut la quitter. Nous sommes nés du soleil, Elia. Sa chaleur, nous l'avons en nous. D'aussi loin que nos corps se souviennent, il était là, réchauffant nos peaux de nourrissons. Et nous ne cessons de le manger, de le croquer à pleine dents. Il est là, dans les fruits que nous mangeons. Les pêches. Les Olives; Les oranges. C'est son parfum. Avec l'huile que nous buvons, il coule dans nos gorges. Il est en nous. Nous sommes les mangeurs de soleil.

Angelebb, Lasardine, Juliah, Calypso, Felina



vendredi 15 juillet 2011

Hella S. Haasse : Des nouvelles de la maison bleue



Dans Des nouvelles de la maison bleue de Hella H. Haasse, la maison éponyme occupe la place centrale du roman et relie les personnages entre eux et d'abord tous les habitants de ce quartier résidentiel, refermé sur lui-même, secret. La maison bleue est la propriété du professeur Lunius, de sa femme que tous appellent l'Argentine, du nom de son pays d'origine, et de leurs petites filles, Félicia, "la discrète", Nina "la pétulante". A la mort de son mari, madame Lunius part en Argentine avec ses filles et se remarie avec un compatriote conservateur proche de la dictature. La Maison bleue abandonnée à elle-même devient le repaire magique de tous les enfants du quartier.

La maison au toit bleu était donc une partie de notre réalité, un élément indispensable du paysage. Nous nous accommodions des volets clos, des pentures écaillées et de la jungle environnante, et nous nous réjoussions que les tentatives de la municipalité pour acquérir la maison soient restées infructueuses. Dans les années soixante et soixante dix la maison a joué un rôle dans le rêve et l'imagination d'innombrables enfants du quartier; ceux d'entre nous qui étaient alors à l'école primaire ou au lycée peuvent en parler.

De loin en loin les voisins de la maison bleue apprennent des nouvelles de Félicia mariée à avec un diplomate néerlandais et qui  fréquente les milieux huppés de la haute bourgeoisie. Nina  épouse un chanteur argentin, Ramon Sanglar,  et fait parler d'elle par le soutien qu'elle apporte aux mères et aux veuves des opposants de la dictature de son pays. Lorsque les deux soeurs reviennent dans la maison bleue décidée à la mettre en vente, tous vont se sentir concernés, en particulier Nora Munt et le couple Meening qui ont racheté les dépendances de la maison. Le récit raconte les retrouvailles des deux soeurs séparées depuis de longues années et les incidences directes ou indirectes de ce retour sur les habitants. Il est entrecoupé par l'intervention d'un ou plusieurs observateurs extérieurs  à la maison bleue, les voisins, qui observent les soeurs Lunius et commentent leurs fait et gestes. Comme un choeur archaïque, ce sont eux qui portent le sens du roman :

Nous voulions voir en elles, une légende vivant, le passé, mais présent, désir paradoxal. Comme si nous pouvions oublier que tout peut changer continuellement, nous-mêmes, le quartier, le monde autour de nous.

Le roman est en effet l'histoire d'une désillusion collective :  Nina qui traque son enfance dans les murs délabrés de la maison, Félicia qui essaie en vain de se rapprocher de sa soeur, Nora Munt qui veut faire revivre son amour d'adolescente pour Diederick Meening, Wanda Meening qui cherche à  s'émanciper d'un mari trop prévenant, les voisins fascinés par les deux soeurs, tous  courent à l'échec.  La destruction de la maison bleue remplacée par une maison de retraite pour vieillards fortunés est le symbole de cet impossible retour en arrière.

Le charme qui émanait de la Maison bleue et qui prêtait aux deux soeurs une aura  magique aussi longtemps qu'elles étaient ailleurs s'est retourné contre elles, est devenu maléfice, influx malin.

L'analyse de  Hella S. Hasse est conduite avec élégance et finesse. L'écrivain sait rendre le charme, le mystère de la maison (comme dans La source cachée) mais  il y a une froideur dans cette analyse qui m'empêche d'adhérer totalement au roman. Impossible d'être en empathie avec un seul des personnages ou d'éprouver de l'émotion.  Haasse parle à l'intelligence mais pas aux sentiments.