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lundi 1 mai 2017

Stendhal : Nouvelle : Mina de Vanghel



 "Mina de Vanghel naquit dans le pays de la philosophie et de l'imagination, à Kœnigsberg. Vers la fin de la campagne de France, en 1814, le général prussien comte de Vanghel quitta brusquement la cour et l'armée. Un soir, c’était à Craonne, en Champagne, après un combat meurtrier où les troupes sous ses ordres avait arraché la victoire, un doute assaillit son esprit : un peuple a-t-il le droit de changer la manière intime et rationnelle suivant laquelle un autre peuple veut régler son existence matérielle et morale? "

Voilà un doute fâcheux pour un militaire qui vaut au comte de Vanghel d’être surveillé de très près par la police de Berlin et d’être confiné dans ses terres où il s’occupe en bon philosophe de l’éducation de sa fille Mina.
Après cela, à la mort du comte, vous comprendrez quel va être le caractère de la jolie Mina et ses idées peu conventionnelles et indépendantes que la lecture des romans a encore exaltées. Aussi lorsque le Grand-duc de C. qui l’a attirée à la cour veut lui faire faire un mariage d’argent, la belle qui ne veut épouser qu’un homme digne d'une grande passion s’enfuit à Paris avec sa mère. Malgré ses nombreux soupirants, lorsqu’elle tombe amoureuse, c’est d’un homme marié, Monsieur de Larcay. Après la mort de sa mère, elle est prête à tout pour conquérir cet homme et rien ne saura l’empêcher de vivre sa passion.

L’ironie stendhalienne

« Un peuple a-t-il le droit de changer la manière intime et rationnelle suivant laquelle un autre peuple veut régler son existence matérielle et morale? » Stendhal exprime ici son attachement bonapartiste et son hostilité à la restauration d’une monarchie française qui appelle à l’aide une armée étrangère pour se battre contre son propre peuple.. Il y a une certaine ironie de la part de Stendhal d’attribuer à un officier allemand cette révélation soudaine surtout après une bataille aussi sanglante !

L’ironie, Stendhal l’exerce aussi au dépens de la bonne société française. Si la politesse des  grandes dames est parfaite, il n’y aucune possibilité de faire des progrès dans leur amitié. C’est ce qu’il nomme la « sauvagerie polie » des françaises
« Au travers de toutes ces imaginations allemandes, Mina, qui avait dix-huit ans, commençait à avoir des éclairs de bon sens; elle remarqua qu’elle ne pourrait parvenir à se lier avec aucune femme française. »
 Quant aux français, voilà ce qu'en pense Mina  :
 J’admire leur esprit brillant, chaque jour leur ironie si fine me surprend et m’amuse ; mais ne les trouvez-vous pas empruntés et ridicules dès qu’ils essaient de paraître émus ? Est-ce que jamais leur émotion s’ignore elle-même ?

A la froideur et la superficialité  de ce peuple, il faut ajouter l’hypocrisie : « Alfred, sans croire beaucoup à la religion, trouvait qu’il était de mauvais ton de n’en pas avoir. »

Mais Stendhal ne ménage non plus la société allemande, du moins celle des courtisans lorsque, au début de la nouvelle, il remarque que ces derniers, malgré les beaux yeux de Mina, sont beaucoup moins empressés auprès d’elle quand ils apprennent qu’elle a attiré l’inimitié du grand-duc.

Une héroïne romantique

Film de Maurice Calvel : Mina de  Vanghel/ Odile versois

Si Stendhal est critique envers la société française, il s'intéresse aussi à l'analyse psychologique de son personnage principal Mina de Vanghel. La nouvelle paraît en 1827. Son héroïne annonce déjà Mathilde de la Mole dans Le Rouge et le Noir (1830). Comme elle, elle est issue de la noblesse et très consciente de sa caste, de sa richesse et de sa beauté; comme elle, elle est très orgueilleuse et prête à tout braver pour aller jusqu’au bout de sa passion. Ce sont deux tempéraments exaltés qui placent les sentiments au-dessus des conventions, de la morale et de la bienséance. Mais contrairement à Mathilde dont l’orgueil ne pourrait s’abaisser au mensonge et à la bassesse, Mina est capable de tout, même d’actes vils et mesquins pour se venger.
 Stendhal attribue à l’âme allemande le grain de folie qui est celui de Mina quand elle se déguise en servante pour parvenir à ses fins : « Mina n’était nullement agitée par les idées de voir et la crainte du ridicule »; Alors que, dit-il, un français manquerait dans la même situation "de courage ou de constance". Le trait de caractère principal de Mina semble bien être la déraison comme le prouve la suite du récit.

Une fin lapidaire

 
film de Maurice Barry, Maurice Clavel : Mina  en servante

Comme je l’ai déjà noté dans les nouvelles de Stendhal, la fin la nouvelle est d’une rapidité déconcertante. Après un long développement  qui brosse un tableau de la société, peint le caractère de l'héroïne et raconte la naissance de sa passion,  ses intrigues, le dénouement intervient en cinq lignes d’une brutalité totale. La dernière phrase met un point final au destin de Mina d’une manière lapidaire dans un refus de l’émotion et de l’effet, à l’opposé de l’épanchement romantique.



vendredi 21 avril 2017

Judith Perrignon : Victor Hugo vient de mourir



Victor Hugo vient de mourir ! Oui, je sais, ce n’est pas un scoop ! Et nous savons tous que le décès du poète en 1885 et ses obsèques ont eu un retentissement national et international immense et ont suscité une énorme émotion tant auprès du gouvernement que du peuple. Mais ce que nous savons moins et Judith Perrignon va nous en faire un compte rendu animé au cours d’un récit bouillonnant de vie, de drames et de fracas, c’est tout ce qui tourne autour de cet événement, toutes les implications politiques, religieuses, humaines de cet événement hors du commun : la Mort du Poète ! Ce  petit livre très réussi nous mène donc d’étonnement en étonnement.

Dès l’annonce de sa fin prochaine, des milliers de personnes se pressent auprès de sa demeure, hommes politiques, célébrités, membres du gouvernement,  grands de ce monde, mais aussi les obscurs :

"Viennent tous ceux qui ne laisseront aucune trace. Ils ne sont pas les moins tristes, ces ouvriers et ces ouvrières s’arrêtant un instant sur le chemin du travail et demandant sous la porte du petit hôtel : Comment va-t-il?"

Dans les jours qui suivront le décès  « C’est la marée montante devant la maison du poète. La foule est de plus en plus considérable. »

Les implications religieuses

Le Panthéon

Bien avant sa mort, lorsque sa fin est annoncée, le combat idéologique de l’Eglise commence ! Il s’agit d’obtenir que Victor Hugo fasse amende honorable et demande les derniers sacrements. Il faut le récupérer sur son lit de mort pour montrer au peuple que le poète s’est repenti et a regretté sa conduite anticléricale.

« Si Hugo persiste à refuser l’extrême-onction, quel dangereux signal envoyé aux foules et au reste du monde. »

Or, si sa foi en Dieu est vive, Hugo a toujours méprisé les prêtres, ceux qui sont du côté des puissants et des riches, insensibles à la misère et aux souffrances du peuple. Jusqu’à son dernier souffle, il a répété : « pas de prêtre » !
« Un mot de lui, un prêtre auprès de lui, et ce sont les Lumières qui s’éteignent, les dévotions qui se vengent, chacun le sent, le sait, chacun tire le mourant pour le faire tomber de ce côté. »
L’enjeu est immense ! Aussi lorsque l’évêque Freppel se présente en confesseur pour forcer la porte du moribond, les parents et amis de Hugo l’empêchent d’accéder jusqu’à lui. Plus tard, quelques jours après sa mort, lorsque le cadavre de Hugo mal embaumé se couvrira de taches obligeant à la fermeture prématurée du cercueil, les représentants de l’église feront courir le bruit que Dieu s’est détourné de lui et l’a puni ! La bataille ne s’arrête pas là et continue avec la laïcisation de l’église Sainte Geneviève définitivement enlevée au culte pour devenir le Panthéon qui accueillera le grand homme mais tout ceci non sans remue-ménage et scènes de comi-tragédie aigre-douce.

Les implications politiques

Les Funérailles de Victor Hugo : arrivée du cortège au Panthéon
Les enjeux politiques sont nombreux et si différents que l’on l’impression d’une toile d’araignée aux fils inextricablement enchevêtrés dans laquelle chacun s’empêtre et cherche  à tirer le cadavre à soi. De l’extrême droite à l’extrême gauche, même les royalistes, même les Bonapartistes, c’est « l’unanimité nationale » il faut rendre les honneurs au Grand Homme mais…

La République embourgeoisée, dévoyée par son culte de l’argent, s’inquiète, voit le spectre de la révolution s’agiter devant elle.. Qui sait ce que vont faire  les ouvriers ? Comment contenir le peuple?
 Et les autres ?  Les anarchistes  veulent défiler avec le drapeau noir marqué du vers de Hugo : « Le peuple a sa colère  et le volcan sa lave qui dévaste d’abord et qui féconde après » ;  les communards avec le drapeau rouge sur lequel sera inscrit Amnistie. Même si ces derniers en veulent à Hugo de ne pas les avoir soutenus au moment de l’insurrection, ils lui sont redevables de l’asile qu’il a donnée chez lui aux membres de la Commune vaincue, de son intervention pour sauver Louise Michel et de ses demandes d’amnistie réitérées en faveur des communards. Des rumeurs d’attentat circulent; la tension monte. La cavalerie tire sur la foule composée d’anarchistes, de communards, des tailleurs en grève, de la chambre syndicale des menuisiers qui s’était réunie  dès le premier dimanche au cimetière du Père Lachaise pour une journée du souvenir. Morts rapidement enterrés, nombreux blessés. Le gouvernement a gagné son épreuve de force avant même que commencent les commémorations de deuil officielles !

Le catafalque de Victor Hugo à L'Arc de Triomphe

Et la République prend des mesures : Le drapeau noir et le drapeau rouge seront interdits.  Les funérailles auront lieu le lundi 1er Juin 1885, un jour où les ouvriers seront au travail et non le dimanche. Si bien que les ouvriers, ceux que Victor Hugo a passé sa vie à défendre, ne seront pas présent à l’enterrement de leur poète. Mais, le dimanche 31 Mai,  précédant la cérémonie, ils pourront défiler devant le catafalque du poète exposé à l’Etoile, une journée interrompue d’hommages qui se terminera la nuit par une orgie dans les rues de Paris. Qu’importe ? La police ferme les yeux. Il vaut mieux que les misérables bafouent les bonnes moeurs plutôt que l’ordre bourgeois !

Arrivée du cortège rue Soufflot
 Et c’est ainsi que Hugo « n’est plus que le héros impuissant de ses obsèques ».  Le défilé sera immense : deux millions de personnes. Les derniers arriveront au Panthéon quatre heures après la mise au tombeau du poète.
Le gouvernement est satisfait,  le ministre Targé, le préfet, les commissaires de police, les membres du parlement sont rassurés : « la foule chantait, les ouvriers étaient parqués dans leurs ateliers, les drapeaux colorés étaient confisqués et le plus applaudi des chars étaient celui de l’Algérie » préfigurant la lutte coloniale qui allait s’ouvrir pour « conquérir, pomper, pomper, écraser et voler ». Et non comme certains veulent bien nous le faire accroire aujourd’hui encore, par altruisme et pour doter les Algériens de routes et des bienfaits de notre civilisation !
Le lendemain le journal La Bataille titrait : On a fait au poète des Misérables des obsèques de Maréchal. On ne dégrade pas mieux un homme ».

Documenté, précis, cultivé, vivant, ce petit livre m’a donné beaucoup de plaisir et, ce qui ne gâche rien, il a parfois des accents hugoliens. Jugez plutôt !

« La République ce jour-là étouffait l’homme révolté. La phrase était en cage. »




Le 2 août 1883, Victor Hugo avait remis à son ami Auguste Vacquerie, dans une enveloppe non fermée, les lignes testamentaires suivantes, qui constituaient ses dernières volontés pour le lendemain de sa mort.
Je donne cinquante mille francs aux pauvres. Je désire être porté au cimetière dans leur corbillard.

Je refuse l'oraison de toutes les églises; je demande une prière à toutes les âmes.
Je crois en Dieu.
VICTOR HUGO.



lundi 10 avril 2017

Stendhal : Souvenirs d’un gentilhomme italien




 Après un arrêt maladie suivi d'un voyage à Bordeaux pour voir l'Itinéraire des photographes voyageurs, je reviens dans mon blog avec cette nouvelle de Stendhal.

Souvenirs d’un gentilhomme italien est une nouvelle qui peut passer pour un court roman. C’est la première oeuvre romanesque de Stendhal et elle parut à Londres dans un journal anglais en 1826.

Stendhal donne la parole à un italien né à Rome « de parents qui occupaient dans cette ville un rang honorable : à trois ans, j’eus le malheur de perdre mon père, et ma mère, encore dans la fleur de la jeunesse, étant disposée à contracter un second mariage, confia le soin de mon éducation à un oncle qui n’avait pas d’enfants. »
Le récit se passe entre les deux occupations de l’Italie par les armées françaises républicaines en 1797 et napoléonienne en 1807. A cette date, Napoléon fait enlever le pape et le retient prisonnier. Après la défaite de l’empereur et le retour du pape à Rome en 1814, le gentilhomme partira en exil pour ne jamais plus revenir dans son pays natal.

La critique de l’oppression religieuse

Le pape Pie VII : il excommunie Napoléon
 L’enfance du narrateur est marquée par la bigoterie voire le fanatisme religieux  de son oncle .

Cela donne lieu à une scène mémorable, peinte avec un grand talent qui ouvre le récit du gentilhomme  : « …les prêtres voyants que les armées françaises menaçaient d’une invasion les Etats de l’Eglise, commencèrent à répandre le bruit que l’on voyait les statues en bois du Christ et de la Vierge ouvrir les yeux; la crédulité populaire accueillit avec confiance ce pieux mensonge; on fit des processions, on illumina la ville, et tous les fidèles s’empressèrent d’aller porter leur souffrances à l’église. Mon oncle, curieux de voir lui-même le miracle dont on disait tant de bruit, forma avec tous les gens de la maison une procession, se mit en tête en habit de deuil et un crucifix à la main, et je l’accompagnai en portant une torche allumée. »

A cette scène en clair-obscur si pittoresque en succède une autre d’un ironie féroce : Un couple arrive devant la statue de la Vierge avec un enfant boiteux. Ils implorent la guérison de leur fils puis commandent  à l’infirme de jeter ses crosses sur lesquelles il s’appuyait tant bien que mal :
« Le pauvre enfant obéit, et, privé de son support, il tomba de la hauteur de quatre marches, la tête contre le pavé. Sa mère, au bruit de sa chute, accourut pour le relever, elle conduisit aussitôt à l’hospice de la Consolation, pour faire panser sa blessure, et le pauvre enfant gagna une contusion sans cesser d’être boiteux. » »
Le narrateur subit de mauvais traitements dans le collège religieux où les maîtres se soucient peu de l’instruction de leur esprit mais du salut de leur âme. Et lorsqu’il se rebelle il est envoyé au couvent de Saint-Jean et Saint-Paul « espèce de prison correctionnelle où les détenus vivent à leur frais » d’où il en sort à moitié mort.

A l’arrivée de Napoléon lorsque les couvents et monastères sont fermés, on découvre les richesses incalculables qui y sont entassés alors que les pauvres sont dans l’indigence. «Quelques uns auraient pu entretenir des douzaines de famille, et sept ou huit moines en dévoraient le contenu. »
« Ce fut une mesure salutaire que celle qui rendit au travail et à la société ces pieux fainéants qui, dans leur voluptueuse oisiveté, n’avaient d’autres soucis que le soin de leur bien-être »

On voit que l’écrivain va très loin dans sa critique. Et même s’il n’admire pas tout ce que fait Napoléon et qu’il « le juge sévèrement » il ne peut que se féliciter de certaines de ses mesures.
Ainsi, Stendhal dont nous connaissons l’amour de l’Italie, va se livrer à une critique en règle de la superstition, la bigoterie et l’obscurantisme religieux. Il dénonce le clergé italien fanatique et le pouvoir tout puissant du pape qui enferme le peuple dans un carcan religieux et intellectuel. Les pauvres sont maintenus dans l’ignorance, soumis à l’Inquisition, et Stendhal décrit l’inégalité criante entre un clergé richissime qui freine le progrès et l’évolution de la société et une population misérable et illettrée. C’est tout ce que Stendhal déteste dans ce pays qu’il aime tant, dont il admire les Arts et aime les habitants et où il se sent si bien par ailleurs.

L’admiration du brigand


Remarquable aussi la description du fier brigand Spatolino que le gouvernement français en Italie finit par capturer par traîtrise. On sent que l’admiration de Stendhal va à cet homme qui a tant de panache devant la mort, refusant le prêtre avant son exécution, et tant de répartie au point de provoquer le rire chez ses détracteurs!
Bien sûr, la figure du brigand, du rebelle, qui se dresse contre l’autorité, est un thème très romantique, c’est le Hernani de Hugo. Mais au-delà de toute recherche dramatique et théâtrale, on comprend que Spatolino représente pour Stendhal cette opposition à la mainmise étouffante de l’Eglise sur les consciences et à l’outrageuse richesse des grands qui oppriment le peuple. Peut-être cet intérêt pour un rebelle trahit-il aussi celui qu’il éprouve pour les Carbonari qui lui vaut d’être chassé d’Italie en 1826.

On dit que cette nouvelle est inachevée car elle s’arrête au moment du départ du Gentilhomme pour un autre pays. Je ne le pense pas. Disons que ce qui intéressait Stendhal, c’est la période italienne de son personnage. La suite est une autre histoire! 




lundi 27 mars 2017

Stendhal : Le philtre, nouvelle

Henri Beyle : Stendhal

Je suis en train de lire les nouvelles de Stendhal et je vous parlerai d’abord de celle intitulée Le Philtre imité de l’italien Sylvia Malaperta.

Nous sommes en 182… Une nuit, à la sortie d’un café, Liévin, un jeune officier dont le régiment est en garnison à Bordeaux, voit un jeune femme s’échapper d’une maison et tomber à ses pieds. Il la relève et s’aperçoit qu’elle est en chemise.  Elle lui demande de l’aide contre les hommes qui se sont introduits chez elle et elle le supplie de lui trouver une tenue décente. Le jeune homme l’amène chez lui et, respectueux, la laisse seule. Il revient le lendemain matin avec des vêtements et s’aperçoit alors que la jeune femme, Léonor, est d’une grande beauté. Il tombe amoureux d’elle ! Celle-ci lui raconte son histoire. Mariée à un mari vieux et jaloux, elle a pris pour amant un homme de condition inférieure, sans scrupules, qui l’a abandonnée en lui volant ses biens et l’a laissée aux mains de malfrats à qui elle a pu échapper.

Un récit romantique

Francisco de Goya : Isabel Lobo Velasco de Porcel
Le récit est éminemment romantique et paraît contenir  le germe de quelques romans stendhaliens :  Un jeune officier, ce pourrait être Fabrice del Dongo, vient chevaleresquement en aide à une jeune femme en détresse. Comme Julien Sorel, il est pauvre et n’est pas sans faiblesses dès que l’on touche à son orgueil. Ainsi, il hésite à la secourir de peur du ridicule si ces amis le voyait avec une fille dévêtue dans la rue. Son sens de l’humanité ne prévaut que de peu !  Mais quand il entend son accent et comprend qu’elle est espagnole son imagination s’enflamme; on sait que, pour les jeunes têtes romantiques, les espagnoles sont d’un exotisme irrésistible et dotées d’un caractère passionnée. Sa seule crainte :  « Mais si elle était laide ! ».
Léonor est à la hauteur de l’imagination de l’officier, d’une grande beauté, mal mariée, victime d’un  amant qui a abusé de son amour. Elle a quitté la sécurité et le confort d’un riche foyer, détruit sa réputation. Elle ne sait pas où aller mais elle aime toujours ! C’est elle aussi un héroïne romantique dont la passion fatale et le courage sont hors du commun.

Une chute brutale 

Caspar David Friedrich

A la fin, elle avoue à  Lievin qu’elle ne cessera jamais d’aimer cet homme malgré son infâmie. "Peut-être m’a-t-il fait prendre un philtre, me disais-je, car je ne puis le haïr ». Liéven est désespéré par cet aveu. Après ce récit déjà très ramassé, tout se précipite. Le dénouement intervient brutalement, une chute qui, je ne vous le cache pas, m’a laissée perplexe :

-Il n’est qu’un moyen de me guérir, c’est de me tuer, lui dit-il en la couvrant de baisers.
- Ah! ne te tue pas, mon ami ! lui disait-elle.
On ne l’a plus revu. Léonor a fait profession au couvent des Ursulines.

Et voilà, c’est tout! j’avoue que ce dénouement lapidaire me cause bien des surprises, pour ne pas dire une certaine déception.

Je sais bien que le romantique Stendhal refusait les excès romantiques et que son style est parfaitement maîtrisé, très classique et très retenue quand ses personnages ne le sont pas. De plus, l’écrivain n’utilise jamais les ressorts  tragiques de l’émotion, l’apitoiement ou les larmes et veut rester à distance. Mais pour cette nouvelle, moi, je suis restée sur ma faim.

***

J’ai trouvé un essai d’explication dans une communication de  Béatrice Didier que vous pouvez lire  ICI qui s’intitule Le statut de la nouvelle chez Stendhal.
J’y apprends, entre autres, que Le Philtre n’est pas imité d’un récit italien comme Stendhal l’affirme mais est l’adaptation d’un ouvrage littéraire français de Paul Scarron. Béatrice Didier y explique que dans la plupart des nouvelles de Stendhal, le lecteur a plutôt l’impression de lire un petit roman. Il n'en est pas de même pour Le Philtre et Le coffre et le revenant, l’un imité de Paul Scarron, l’autre de Prosper Mérimée où Stendhal suit un schéma narratif préétablie  : « on assiste à un resserrement de l’intrigue et une rapidité du tempo qui n’appartiennent peut-être pas au registre purement stendhalien. »

Cette semaine, je vous présenterai une autre nouvelle de Stendhal: Souvenirs d'un gentilhomme italien qui présente un intérêt plus grand du moins à mes yeux.

jeudi 9 février 2017

Victor Hugo : Bon conseil aux amants

L'ogre (détail du Chat botté) de Gustave Doré


Bon conseil aux amants est un poème de Victor Hugo. Il montre que le poète n'était pas toujours sérieux au cas où vous en auriez douté !

Bon conseil aux amants

Un brave ogre des bois, natif de Moscovie
Était fort amoureux d'une fée et l'envie
Qu'il avait d'épouser cette dame s'accrut
Au point de rendre fou ce pauvre cœur tout brut

L'ogre, un beau jour d'hiver, peigne sa peau velue
Se présente au palais de la fée et salue
Et s'annonce à l'huissier comme prince Ogrousky
La fée avait un fils, on ne sait pas de qui

Elle était ce jour-là sortie et quant au mioche
Bel enfant blond nourri de crème et de brioche
Don fait par quelque Ulysse à cette Calypso
Il était sous la porte et jouait au cerceau

On laissa l'ogre et lui tout seuls dans l'antichambre
Comment passer le temps quand il neige en décembre
Et quand on n'a personne avec qui dire un mot ?
L'ogre se mit alors à croquer le marmot

C'est très simple, pourtant c'est aller un peu vite
Même lorsque on est ogre et qu'on est moscovite
Que de gober ainsi les mioches du prochain
Le bâillement d'un ogre est frère de la faim

Quand la dame rentra, plus d'enfant. On s'informe
La fée avise l'ogre avec sa bouche énorme
"As-tu vu, cria-t-elle, un bel enfant que j'ai ?"
Le bon ogre, naïf, lui dit : "Je l'ai mangé"

Or c'était maladroit. Vous qui cherchez à plaire
Ne mangez pas l'enfant dont vous aimez la mère.


Version de Julos Beaucarne, chanteur et poète belge, dont je n'ai pu trouver l'interprétation savoureuse sur you Tube.




mardi 20 décembre 2016

Victor Hugo : Torquemada


Torquemada est un drame en quatre actes et en vers de Victor Hugo écrit en 1869 et publié en 1882  en réaction à de nouveaux pogroms en Russie. Il fait partie du recueil Théâtre en Liberté qui  rassemble 4 drames et 5 comédies. Nous avons déjà lu ensemble la pièce Mangeront-ils au cours d'une lecture commune pour le challenge Victor Hugo. 
Torquemada n'a jamais été donnée du vivant de l'auteur. Le moine dominicain Tomás de Torquemada (1420-1498) qui fut le premier inquisiteur est un personnage historique.

L'intrigue

Tomas Torquemada, premier inquisiteur espagnol
Le moine espagnol Torquemada, considéré comme hérétique, est emmuré vivant. Il  est délivré par don Sanche et doña Rosa, de jeunes gens purs et innocents qui ont été élevés ensemble et ont découvert l'amour qu'ils ont l'un pour l'autre.  Pris de pitié pour le sort affreux qui attend le moine,  ils le délivrent.
Torquemada part à Rome où il obtient l'absolution du pape et revient en Espagne pour y fonder l'inquisition.  Cependant le roi Ferdinand amoureux de Rosa veut la séparer de son amoureux. Il les envoie au couvent et cherche à tendre un piège à don Sanche pour le tuer. Son premier ministre, le comte de Fuentel, les délivre et les confie à Torquemada. Celui-ci reconnaît en eux ses deux sauveurs  mais lorsqu'il apprend que ceux-ci l'ont délivré à l'aide d'une vieille croix pour soulever la pierre de sa prison, il décide de sacrifier leurs "corps" sur le bûcher pour sauver leurs "âmes".

Le sens

Avec le personnage de Torquemada, Hugo critique avec virulence le fanatisme religieux et l'intolérance. Au personnage de Torquemada qui fonde la religion sur la peur, il oppose saint François de Paule, un ascète, un saint, pour qui la religion ne peut reposer que sur l'amour.
Sa critique du pouvoir monarchique s'exerce à travers les personnages de Isabelle et Ferdinand d'Espagne, les rois catholiques, personnages tout aussi implacables.



Il y a dans cette pièce tardive de Victor Hugo (il avait quatre-vingt ans quand il la publie)  de grands moments où les vers flamboyants rappellent le jeune romantique Hugo. Le personnage de  l’inquisiteur espagnol est un personnage impressionnant. Il incarne le fanatisme porté à la plus haute puissance car Torquemada va jusqu’au bout de sa logique et de sa foi pervertie. Puisque brûler des corps, c’est sauver des âmes, il tient la promesse qu’il a faite aux jeunes gens en les « sauvant » c’est à dire en les livrant au feu.

L'inquisition Espagnole

La critique au moment de la parution en 1882  a reproché à Hugo ses erreurs en ce qui concerne l'histoire et la psychologique. Dans La Revue des deux mondes Louis Ganderax écrit  :

« L’interprétation du poète, si éloignée qu’elle soit de la vérité historique, l’est encore plus de la vraisemblance humaine : elle est justement contraire à la psychologie du chrétien. Comment un chrétien pourrait-il croire qu’en brûlant un hérétique, il le sauvera contre son gré ? Pour que la douleur de la chair profite à l’esprit, il faut que l’esprit l’accepte et l’offre au Seigneur ; le supplice n’a pas la valeur morale du martyre, et le ciel n’admettra pas ce racheté malgré lui.
Donc ce Torquemada n’est ni vrai, ni possible ..…  »  

 Louis Ganderax semble oublier que le fanatique ne raisonne pas comme un être normal. De plus, si comme il le dit, le personnage perd en vérité psychologique, il gagne, je pense, au point de vue dramatique. Le poète a voulu faire de ce moine un symbole du fanatisme religieux, il a voulu frapper les esprits en créant un personnage monstrueux dont le raisonnement échappe à la part d’humanité que chacun porte en soi. L'Histoire nous apprend que ces raisonnements existent ! Torquemada me fait penser à Savonarole à Florence et plus près de nous à Hitler. De ce fait, ce moine illuminé a une telle force qu’il met en relief tout ce qu’il y a d’atroce dans l’Inquisition. Il représente tout ce que hait Victor Hugo, l’intolérance, la haine de l’autre, l'atteinte à la liberté, le rejet de ceux qui n’obéissent pas à la norme, la volonté de domination des esprits. Torquemada n’est plus un homme, c’est un monstre et l’on pourrait en dire autant des autres personnages, les rois catholiques : Isabelle et Ferdinand qui représentent le pouvoir monarchique absolu …  ou presque absolu car les souverains doivent se courber devant le pouvoir religieux.

Quant à la vérité historique, Louis Ganderax a certainement raison. Victor Hugo a une grande connaissance de l'Espagne, un pays qu'il a visité, qu'il aime, et sa culture est immense.  C'est pourquoi ses didascalies sont très précises sur le décor et les costumes mais elles trahissent avant tout une  préoccupation esthétique et poétique.  Lorsque la vérité historique le gêne, il la sacrifie volontiers à l'Idée ou au Sens qu'il veut donner. C'est avant tout un poète, un visionnaire et il écrit ici un texte engagé qui dénonce les abus de pouvoir de l’église et de la royauté. La pièce est  évidemment une démonstration et parfois elle l’est un peu trop à mon goût ! je n’ai pas aimé par exemple le passage ou Torquemada rencontre Saint François de Paule et la discussion théologique qui s’ensuit et qui est trop démonstrative. De plus  cette scène ne sert pas l’intrigue, elle l’arrête.
   Pourtant Victor Hugo voulait que le drame peigne le « vrai» , soit conforme à « la nature », en mêlant comme dans la vie, « le sublime au grotesque », « le bien et le mal », « le tragique et le comique". Mais le drame finalement a été bien autre chose du moins chez Victor Hugo. La conception antithétique de la vie, le noir et le blanc, l’ombre et la lumière, qu’il développe dans toute son oeuvre, romans, poésies, dessins, et pas seulement dans le théâtre, a été animée par le souffle du grand poète. Loin de refléter la réalité, le drame frappe l’imagination, l’exalte, donne une dimension décuplée à l’intrigue d’où naît la beauté.
 Finalement Louis Ganderax a raison sur certains points mais pour moi sa critique passe à côté de ce qu'est le drame hugolien ! Ce qu'il y a de bien c'est qu'il ne pourra pas me répondre et me mettre en difficulté.  Après tout le pauvre homme a écrit cela en 1882 (ICI La revue des deux mondes), il y a prescription ! Et il fallait un certain courage pour critiquer Victor Hugo, vénéré comme un prophète, à l’époque ! 

Lecture commune  avec :

Miriam, Nathalie , Margotte 






dimanche 20 novembre 2016

Victor Hugo La légende d'un siècle de Giorda



Je pensais que la LC  sur Victor Hugo de ce dimanche 20 Novembre concernait la tragédie de Torquemada une des pièces du recueil Théâtre en liberté.  Je me rends compte un peu tard que notre lecture portait sur la biographie de Victor Hugo et que Torquemada était pour le mois de décembre.
Catastrophe ! Du coup je vous présente une biographie,  en direction des plus jeunes, que j’avais sous la main et que j’ai eu le temps de relire car le livre est rapide. Je me donne donc le temps de choisir une autre biographie que je vous présenterai par la suite.

Victor Hugo, la légende d’un siècle de Giorda, chez Hachette, est un livre que l’on ne trouve plus que d’occasion. Il est destiné aux enfants à partir de 11 ans et suivi d’un dossier sur Victor Hugo et les enfants.
Joseph Leopold Hugo, père de Victor

La vie de Victor Hugo est racontée pour être lue donc par un public jeune en insistant sur l’enfance  et la jeunesse d’Hugo : ses parents ne s’entendant pas, ils ont été séparés, lui et ses frères, tour à tour et à plusieurs reprises, de leur mère ou de leur père ou encore mis en pension. C’est ce qui explique la présence, c’est du moins la thèse de l’auteur, de nombreux enfants malheureux et orphelins dans les romans de Victor Hugo : Cosette, Gavroche, Esméralda volée à sa mère, Marie dans Le dernier jour d’un condamné ou dans Quatre-vingt treize les trois petits, orphelins de père, séparés de leur mère, que découvrent les soldats républicains dans un taillis vendéen.
La jeunesse de Hugo aux Feuillantines avec ses frères et Adèle Foucher et ses jeux d’enfants dans le jardin ou dans le grenier de cet ancien couvent sont aussi mis en valeur par le poème si connu, Aux Feuillantines extrait des Contemplations

 Mes deux frères et moi nous étions tous enfants.
Notre mère disait : jouez mais je défends
Qu’on marche dans les fleurs et qu’on monte à l’échelle.

Léopoldine

Le récit du voyage en Espagne et qui a marqué à tout jamais l’imagination de Victor Hugo quand il était enfant, en particulier avec sa mère qui allait rejoindre son père, général de brigade  et gouverneur de Guadalajara et l'hostilité des espagnols subissant l'occupation et les massacres naopléoniens, est aussi un moment de bravoure.
L’histoire d’amour d’abord contrarié avec Adèle puis son mariage, la démence d’Eugène, son frère, qui était en rivalité  littéraire et amoureuse avec lui, la naissance de ses enfants  et son ascension  littéraire alors qu’il est encore si jeune, lui le héros de Hernani, sa rencontre avec Juliette Drouet, la mort de Léopoldine... sont autant d'évènements qui sont présentés avec simplicité  aux enfants.

Le livre s’attache à montrer d’une manière succincte les évolutions politiques de Victor Hugo : bonapartiste, ce qu'il doit à l’admiration de son père, officier d’Empire;  royaliste sous l’influence de sa mère puis Républicain avec sa découverte de la misère et en particulier de l’exploitation des enfants, de l’horreur de la peine de mort, de l’injustice sociale. Les étapes de la vie de Victor Hugo et ses idées politiques et sociales sont toujours mis en relation avec ses écrits, Les Contemplations avec la mort de Léopoldine, l’exil avec Les Châtiments, l’art d’être grand père avec ses petits enfants, son combat contre la misère, l’injustice avec Les Misérables, Notre Dame de Paris ….. Ce qui en fait une bonne biographie pour permettre aux scolaires de découvrir Hugo.

Quelques anecdotes  marquantes 

Académicien 

L'humour de Juliette : elle se moque de l'ambition de Victor Hugo voulant à tout prix devenir académicien et refusé plusieurs fois avant d'être enfin admis en 1841 :

 Toto se serre comme une grisette; Toto se frise comme un garçon coiffeur ; Toto a l'air d'une poupée modèle ;  Toto est ridicule; Toto est académicien.

Contre la peine de mort

Le dernier jour d'un condamné

Le 3 juin 1854, un criminel de Guernesey est condamné à mort et pendu dans des conditions particulièrement atroces. Victor Hugo qui est alors en exil à Jersey proteste auprès du ministre anglais de la Justice :

A L. Palmerson

Vous pendez un homme, monsieur. Fort bien. Je vous fais mon compliment. Un jour, il y a quelques années de ça, je dînai avec vous. Vous l'avez, je suppose, oublié; moi, je m'en souviens. Ce qui me frappa en vous, c'était la façon rare dont votre cravate était mise. On me dit que vous étiez célèbre par l'art de faire votre noeud.  Je vois que vous savez faire aussi le noeud d'autrui.

La popularité de Victor Hugo

Jean Valjean

Expulsé de Belgique où il s'était réfugié, Victor Hugo arrive au Luxembourg où il reçoit une foule d'admirateurs : 

"Hier, un paysan entre dans le jardin de l'hôtel Koch où j'étais. Il s'approche et me dit :

ET s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là 

Je le regarde; il ôte son chapeau.

"Salut, Victor Hugo", dit-il. Et il ajoute : "On ne dit pas monsieur."

Je lui tends la main, et le voilà qui se met à me réciter des vers de La Légende des siècles, des Châtiments et des Contemplations.

Cet homme est vieux, en blouse et en sabots, et parle bien français. Je lui ai demandé : "Qui êtes-vous? Que faites-vous?".

Il m'a répondu : "Je cultive la terre et je lis Shakespeare en anglais et Victor Hugo en français." (Choses vues)

  Et je vous rappelle  :

Pour le 20 Décembre : un drame : Torquemada (du recueil Théâtre en liberté)

Margotte,  Miriam, Nathalie, Laure, claudialucia
 

 

 

jeudi 17 novembre 2016

John Keats : La Belle dame sans merci

Peintres préraphaélites  : Frank Dicksee (1902) La Belle dame sans merci (musée de Bristol)
Frank Dicksee (1902) La Belle dame sans merci (musée de Bristol)

La Tate Britain à Londres et le musée de la ville de Bristol présentent de nombreux tableaux préraphaélites. L’un d’eux à Bristol illustre le poème de Keats, poète romantique : La belle dame sans merci.

John Keats, poète romantique, a trouvé son inspiration dans un poème du Moyen-âge d'Alain Chartier paru en 1424 qui développe un thème traditionnel : celui de la femme belle mais impitoyable qui enchaîne l’homme dans un amour sans retour puis l’abandonne, à tout jamais absent de lui-même.

Le thème de la Belle dame sans merci apparaît souvent  au cours des siècles dans la littérature et la  peinture, en particulier des préraphaélites. Ces peintres s’inspirent, en effet, du patrimoine littéraire notamment du Moyen-âge en puisant dans les vieilles légendes, dans les récits traditionnels, centres d’intérêt qu’ils partagent avec les romantiques.

La belle dame sans merci de Keats s’inscrit donc bien dans le mouvement romantique dans la mesure où il met le moyen-âge à l’honneur avec son chevalier en armes, errant pâle et solitaire dans un paysage qui incarne l’hiver des sentiments et préfigure la mort. Le chevalier est asservi à sa dame et il lui doit fidélité et dévotion. Mais l’amour et de la mort sont étroitement liés puisque au moment même où le chevalier semble pouvoir accéder à la concrétisation charnelle de l’amour, la mort apparaît avec la vision des spectres. La souffrance, l’amour éthéré et éternel sont des thèmes éminemment romantiques.

Je me faisais la réflexion que la belle dame sans merci dans notre monde actuel avait pour avatar la femme fatale des romans et des films noirs, tout aussi dangereuse pour l’homme puisqu’elle le conduit inexorablement à sa perte.
Et si l’on pousse plus loin, Eve, en tentant Adam et en le faisant chasser du paradis terrestre, ne serait-elle pas la première femme fatale et sans merci de l’humanité? C’est ce qu’ont toujours pensé les grands de l’église dont la misogynie était sans égale.
La faute des femmes, toujours, je vous dis !

Arthur Hughes : La belle dame sans merci
























Ah! qui peut te faire souffrir, chevalier en armes
Errant pâle et solitaire !
Les joncs sont desséchés au bord du lac,
Aucun oiseau n'y chante.

Ah! qui peut te faire souffrir, chevalier en armes
Si farouche et si malheureux?
Le grenier de l'écureuil est rempli,
Et la moisson est rentrée.

Je vois un lis sur ton front
Avec la moiteur de l'agonie et la rosée de la fièvre ;
Et sur la joue une rose qui se flétrit
Et se fane de même rapidement -

J'ai rencontré une dame, dans les prés,
D'une grande beauté - la fille d'une fée ; -
Ses cheveux étaient longs, ses pieds légers
Et ses yeux sauvages.


Frank Dicksee (1902) détail

Je tressai une guirlande pour sa tête,
Puis des bracelets et une ceinture qui embaumait ;
Elle me regardait comme si elle m'aimait
Et poussa un doux gémissement.

Je l'assis sur mon coursier paisible
Et ne vis rien d'autre tout le long du jour ;
Car elle se penchait de côté et chantait
Une chanson de fée.

Elle trouva pour moi des racines d'un goût exquis,
Du miel sauvage et la manne de la rosée ;
Et sûrement en langage étrange elle me dit :
Je t'aime véritablement.

Waterhouse : La Belle dame sans merci
























Elle m'entraîna dans sa grotte d'elfe ;
Là, me contemplant, elle poussa un profond soupir :
Là, je fermai ses yeux sauvages et éperdus
De quatre baisers.

Et là, en me berçant, elle m'endormit
Et là, je rêvai, ah ! Malheur véritable !
Le dernier rêve que j'aie jamais rêvé,
Sur le flanc de la froide colline.

Henry Meynel























Je vis des rois pâles et des princes aussi,
De pâles guerriers - tous avaient la pâleur de la mort,
Et criaient : "La Belle Dame Sans Merci
Te tient en servage !"

Je vis leurs lèvres affamées, dans les ténèbres,
Grandes ouvertes pour me donner cet horrible avertissement ;
Et je m'éveillai et me retrouvai ici,
Sur le flanc de la froide colline.

Et voilà pourquoi je reste ici
Errant pâle et solitaire :
Bien que les joncs soient desséchés au bord du lac,
Et qu'aucun oiseau ne chante.

Les préraphaélites à la Tate Britain

Mariana de Sir John Everett Millais
"Le XIXe siècle anglais est dominé dans la peinture, par l’Académie Royale qui définit ce que doit être l’art et à quoi il doit ressembler. En 1848 un groupe de jeunes peintres remettent en question les principes enseignés et forment la Confrérie préraphaélite avec l’intention de revenir à une peinture plus proche de la nature, non formatée et en quête de perfection tant au niveau de la forme que de l’expression.

La peinture est enseignée sur le modèle classique italien dans lequel le peintre Raphaël fait figure de référence. Lorsque trois peintres décident de former un groupe portant le nom de préraphaélite, ils affirment leur volonté de revenir aux styles antérieurs à la renaissance classique : le gothique, pour sa pureté spirituelle qu’ils considèrent comme perdu à leur époque, et les styles primitifs flamand et italien de la première renaissance pour leur représentation réaliste de la nature.

Le groupe initial se forme autour des fondateurs John Everett Millais, William Hunt et Dante Gabriel Rossetti. Même si l’inspiration leur vient du passé, leur démarche est avant tout avant-gardiste et politiquement contestataire. La tradition et l’esprit victorien font figure de modèle à ne pas suivre. Leur style d’un extrême réalisme est souvent créé d’après nature, l’invention récente du tube de peinture leur permettant de sortir de l’atelier et de peindre en plein air. L’habitude de peindre en extérieur sera reprise par le groupe français qui donnera bientôt naissance au mouvement impressionniste."
  ( Histoire de l'art voir la suite ici)

John William Waterhouse : Sainte Eulalia (1885)

Goerges Frederic Watts : Hope (1866)
Edward Coley Burne Jones : Love and the Pilgrim de Burne Jones (1896_97)
L'annonciation de Dante Gabriel Rossetti (1849_50)
Arthur Hughes : April Love

Henri Wallis : Chatterton (1856)

William Hollmann Hunt : Our english coast

Préraphaélites du musée de Bristol 


Dante Gabiel Rossetti : Louisa Ruth Herbert


John Everett Millais :  The bride of Lammermoor

Wens devant le tableau de Lucy de Lammemoor

Wens (du blog En effeuillant le chrysanthème), pour les intimes Francis, et pour Asphodèle Wensounet, exprime ce qu'il pense des préraphaélites ! Il ne lui manque que la parole!

 I met a lady in the meads

Walter T. Crane : La belle dame sans merci (1865)

Et pour ceux qui veulent lire le texte en anglais :

O what can ail thee, knight-at-arms,
Alone and palely loitering?
The sedge has withered from the lake,
And no birds sing.

O what can ail thee, knight-at-arms,
So haggard and so woe-begone?
The squirrel’s granary is full,
And the harvest’s done.

I see a lily on thy brow,
With anguish moist and fever-dew,
And on thy cheeks a fading rose
Fast withereth too.

I met a lady in the meads,
Full beautiful, a fairy’s child;
Her hair was long, her foot was light,
And her eyes were wild.

I made a garland for her head,
And bracelets too, and fragrant zone;
She looked at me as she did love,
And made sweet moan

I set her on my pacing steed,
And nothing else saw all day long,
For sidelong would she bend, and sing
A faery’s song.

She found me roots of relish sweet,
And honey wild, and manna-dew,
And sure in language strange she said—
‘I love thee true’.

She took me to her Elfin grot,
And there she wept and sighed full sore,
And there I shut her wild, wild eyes
With kisses four.

And there she lullèd me asleep,
And there I dreamed—Ah! woe betide!—
The latest dream I ever dreamt
On the cold hill side.

I saw pale kings and princes too,
Pale warriors, death-pale were they all;
They cried—‘La Belle Dame sans Merci
Hath thee in thrall!’

I saw their starved lips in the gloam,
With horrid warning gapèd wide,
And I awoke and found me here,
On the cold hill’s side.

And this is why I sojourn here,
Alone and palely loitering,
Though the sedge is withered from the lake,
And no birds sing.