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dimanche 10 mars 2013

Un livre/ Un film : Drieu La Rochelle : Le feu follet




Résultat de l'énigme n°58


Bravo à : Dasola, Eeguab, Jeneen, Lystig, Pierrot Bâton, Syl, Somaja


Le roman : Drieu La Rochelle  Le feu Follet
Les deux films : Louis Malle : Le feu follet
                          : Joachim Trier : Oslo, 31 août



Romancier et essayiste Drieu la Rochelle naît né à Paris en 1893. Il prend part aux combats de la Première Guerre mondiale. Hanté par la décadence de la société,  il se rallie au fascisme. A la tête de la NRF , sa collaboration avec l'Allemagne nazie pendant la guerre vaut à son oeuvre d'être tenue à l'écart . En 2012, l'édition de son oeuvre dans la Pléïade  fait polémique mais reconnaît sa valeur en tant qu'écrivain..
Drieu la Rochelle met beaucoup de lui-même dans Alain, personnage de son roman Le feu follet. Comme son héros, La Rochelle ne se trouve pas sa place dans une société dont il voit les dérives, a laquelle il ne peut s'adapter  et il est hanté par l'idée du suicide.

Alain est un personnage nihiliste, sombre et désespéré.  C'est en vain qu'il cherche, au cours des derniers jours de sa vie, une raison de raccrocher  en rencontrant ses amis. Il n'aime pas les autres et les autres le lui rendent bien. Son seul dieu est l'argent dont il est séparé "par sa paresse, et sa volonté secrète et à peu près immuable de ne jamais le chercher par le travail". Il vit donc au crochet de ses amis  et surtout des femmes qui lui en donnent mais jamais assez. Gigolo vieillissant, il  est prêt à divorcer de sa femme Dorothy parce qu'elle n'est pas assez riche,  pour épouser Lydia qui lui donnera de l'argent à volonté. Or à quoi lui sert l'argent? 
" L'argent résumant pour lui l'univers , était à son tour résumé par la drogue... Voilà ce que signifiait le chèque de Lydia posé sur sa table. C'était la nuit, c'était la drogue."
Drieu la Rochelle fait une analyse lucide et terrible de la dépendance liée à la drogue, de cet enchaînement auquel on ne peut se soustraire,  de cet engrenage inexorable qui conduit à la mort.
Tel est le sophisme que la drogue inspire pour justifier la rechute : je suis perdu, donc je puis me redroguer.
Les souffrance physiques et morales qui lui sont attachées sont d'autant plus fortes qu'il n'a pas les ressources de caractère qui lui permettraient de lutter :
Cette souffrance était grande; mais même si eut moindre, elle eut encore été terrible pour un être dont toutes les lâchetés devant la rudesse de la vie s'étaient conjurées depuis longtemps pour le maintenir dans cette dérobade complète de paradis artificiel.
On voit que Drieu la Rochelle n'épargne pas son personnage et  en dresse un portrait sans concession. De plus,  il porte un jugement sans appel contre la drogue, dénonçant sans équivoque les bassesses et les faux semblants de ces paradis artificiels.
Il avait vu en pleine lumière les caractères véritables de la vie des drogués : elle est rangée, casanière, pantouflarde. Une petite existence de rentiers qui, les rideaux tirés, fuient les aventures et difficultés. Un train train de vieilles filles unies dans une commune dévotion, chastes, aigres, papoteuses, et qui se détroussent avec scandale quand on dit du mal de la religion.
Mais la société qui entoure Alain n'est pas meilleure et l'image que lui en renvoient ses amis est décidément négative. Si Alain se tue, c'est parce qu'il a regardé "les gens comme jamais il ne les avait regardés" :
Contre ce monde des hommes et des femmes, il n'y a rien à dire, c'est un monde de brutes. Et si je me tue, c'est parce que je ne suis pas une brute réussie. Mais le reste, la pensée, la littérature, ah! je me tue aussi parce que j'ai été blessé de ce côté-là par un mensonge abominable. Mensonge, mensonge. Ils savent qu'aucune sincérité n'est possible et pourtant ils en parlent; Ils en parlent les salauds.

La seule solution reste donc le suicide :
La destruction, c'est le revers de la foi dans la vie; si un homme au-delà de dix-huit ans, parvient à se tuer, c'est qu'il est doué d'un certain sens de l'action.
Le suicide, c'est la ressource des hommes dont le ressort a été rongé par la rouille, la rouille du quotidien. Ils sont nés pour l'action, mais ils ont retardé l'action; alors l'action revient sur eux en retour de bâton. Le suicide, c'est un acte, l'acte de ceux qui n'ont pu en accomplir d'autres

Le suicide nous dit La Rochelle est "l'aboutissement obligé d'une morale de dégoût ou de mépris." Ces mots écrits en 1931 sont prémonitoires puisque Drieu La Rochelle passera à l'acte  en 1945.

Maurice Ronet dans le film de Louis Malle

Les deux adaptations du roman réalisées par  Louis Malle (Le feu follet 1963), et par le norvégien Joachim Trier (Oslo 31 août  2011) sont remarquables. Elles prouvent l'universalité du sujet puisque les réalisateurs ont tous les deux transposé dans leur pays et à leur époque l'histoire d'Alain et sa quête désespérée pour trouver une raison de vivre avant sa mort programmée. 23 Juillet, c'est la date écrite sur un miroir par Maurice Ronet (Alain) qui fixe le jour de sa mort;  31 Août, le dernier jour de l'été en Norvège, c'est celle prévue par Anders Danielsen Lie (Anders) pour son suicide. Joachim Trier veut  montrer "la façon dont on passe à côté les uns des autres".  Pour Drieu la Rochelle, son héros se suicide parce que c'est le seul acte de noblesse qu'il peut accomplir.  Avec Louis Malle, Alain se tue parce qu'il refuse de vieillir.



lundi 21 mai 2012

Ian McEwan : L'enfant volé




Dans L'enfant volé, le titre explique le sujet du livre, Ian McEwan raconte le vol d'un petite fille, Kate, dans un supermarché, alors qu'elle accompagne son père. Un moment d'inattention pendant qu'il charge les courses sur le comptoir, il se retourne, l'enfant n'est plus là! C'est ce qui peut arriver de plus horrible à des parents, un cauchemar qui devient réalité! La souffrance du couple Stephen et Julie est terrible et entraîne la séparation, chacun réagissant à sa manière, et désormais incapables l'un et l'autre de communiquer, murés dans le silence et la douleur....
Le roman est assez déroutant car le lecteur s'attend à en savoir plus; c'est une frustration, en effet,  de ne pas apprendre qui a enlevé la fillette, de voir l'enquête ainsi abandonnée! Mais le sujet est ailleurs! Ce qui intéresse l'écrivain est l'analyse des conséquences sur l'individu et sur le couple d'un évènement aussi traumatisant et irrémédiable que l'enlèvement d'une enfant! Comment arrive-t-on à vivre après? Peut-on se reconstruire? C'est qu'il faut bien vivre malgré la disparition ou tout au moins paraître vivre normalement. Stephen, auteur de romans pour enfants travaille dans une commisssion nommée par le gouvernement pour traiter des problèmes de l'enfance. Ian Ecwan place donc cette étude psychologique dans un cadre social et politique bien précis. Le personnage n'est pas désincarné. La satire du gouvernement anglais et la parodie de démocratie qui consiste, par exemple, à éditer le bilan et les conclusions de la commission avant que celle-ci ne soit terminée, sont assez féroces.
A côté de Stephen et Julie gravitent d'autres personnages, ses parents d'abord, mais aussi, Charles, son ancien éditeur reconverti dans la politique. Toutes ces intrigues secondaires se greffent sur la première et donnent parfois lieu à des scènes très fortes presque hallucinantes comme lorsque Stephen accompagne Charles retombé en enfance, dans l'ascension d'un arbre vertigineux... ou fantastiques, Stephen rencontre sa mère, jeune fille, enceinte de lui... Certains épisodes paraissent constituer des entités, construites, dirait-on, comme des nouvelles ayant chacune une unité en elle-même.
Cela m'a empêchée, au début, d'entrer complètement dans le roman car l'intrigue de départ semble disparaître, se perdre dans les autres. L'écrivain paraît se disperser dans plusieurs directions même s'il n'en est rien! Le thème général est toujours celui de l'enfance volée et du temps qui passe en la détruisant. Comme Charles, nous devons tous faire le deuil de notre enfance et les parents, celui de leur enfant quand celui-ci entre dans l'âge adulte. Ainsi Stephen se souvient d'un moment où sur une plage de sable, Julie et lui avaient retrouvé leur âme d'enfants pour jouer au château de sable avec Kate,s'absorbant entièrement dans le jeu pour ensuite revenir à la vie réelle et détruire "l'enchantement" par leurs considérations d'adultes :
Stephen se disait que s'il pouvait encore agir avec cette même intensité, ce même abandon avec lequel il avait autrefois aidé Kate à bâtir son château, il serait heureux et doté de pouvoirs extraordinaires.
Un beau roman malgré les restrictions que j'ai eues sur un sujet douloureux.
Dans le cadre des noms d'auteurs en Mc

dimanche 6 mai 2012

Un livre/Un film : Réponse à l'énigme N° 32 : La jeune fille et la perle : Vermeer, Tracy Chevalier, Proust






Le film de Webber  et le tableau de Vermeer

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Gagnent un Vermeer authentique :  Aifelle,  Dasola,  Eeguab,  Gwen, Jeneen,  Lire au jardin, Maggie, Marie-Josée, Miss Léo, Pierrot Bâton,  Shelbylee, Somaja, Tilia.

Le roman : Tracy Chevalier : La jeune fille à la perle

Le film :  Peter Webber : La jeune fille à la perle

Merci à tous et toutes pour votre participation ....



Le roman est  né de la fascination de Tracy Chevalier pour Vermeer et en particulier pour le tableau intitulé La jeune fille à la perle. On ne sait pas qui a servi de modèle réellement. Certains spécialistes pensent qu'elle peut être une des filles de Vermeer, d'autres une servante. Tracy Chevalier tranche et imagine qu'il s'agit effectivement d'une servante qu'elle nomme Griet. Elle lui prête vie en la dotant d'une identité et d'une histoire.
La  structure du récit respecte l'ordre chronologique des évènements et présente plusieurs grandes dates :

1664 :  Le père de Griet est ouvrier dans une fabrique de faïence mais il perd la vue dans un accident de travail et ne peut subvenir aux besoins de sa famille et de ses trois enfants. Griet s'engage comme servante chez les Vermeer. Commence alors une dure vie de labeur dans cette famille de six enfants. Mais la découverte de l'atelier de Vermeer, où elle doit faire le ménage sans déplacer un objet la remplit d'aise. En faisant le marché, elle fait connaissance d'un jeune boucher Pieter qui voudrait bien l'épouser. Bientôt, elle apprend que la peste sévit dans le quartier où habitent ses parents mais sa maîtresse ne lui donne pas l'autorisation de les rejoindre. Sa petite soeur Agnès meurt.

1665 : Chez les Vermeer, le peintre demande de plus en plus son aide à Griet car elle manifeste un goût esthétique sûr et a le sens des couleurs. Il lui apprend à préparer les piments.. L'admiration, la complicité et bientôt l'amour platonique  mais non dépourvu de sensualité qu'elle porte à son maître lui permet de supporter les difficultés de la vie et ces instants passés avec lui deviennent une trouée de beauté dans la grisaille de son existence. Cela lui permet de repousser sans se plaindre les avances brutales de Van Ruijven, le commanditaire de Vermeer,  les méchancetés de  Cornélia, la deuxième fille du maître.

1666 : Vermeer peint le portrait de la jeune fille en cachette de sa femme, Catherina, et lui fait porter ses perles avec la complicité de Maria-Thins, la mère de Catherina. Cette dernière, jalouse, chasse Griet qui perd sa place sans que le maître fasse un geste en sa faveur.

1667:  Griet à épousé  Pieter.  Après la  mort de Vermeer,  elle retourne retourne chez lui. Il lui a légué les perles par testament. Griet vend les perles et avec l'argent paie les dettes de son maître.


Johannes Vermeer : Vue de Delft

Un roman historique : Tracy Chevalier s'est largement documentée sur la vie et l'oeuvre de Vermeer mais aussi sur la société du XVII ème siècle à Delft.
La ville est alors un ville riche qui vit du commerce  de la faïence. Ceci est représenté dans le roman par le carreau de faïence que son père donne à Griet quand elle quitte la maison. Les ouvriers sont pauvres malgré un dur travail. La journée commence à l'aurore et se termine si tard que le père, épuisé, n'a plus le courage de manger quand il rentre chez lui.Ses bras sont marqués par les brûlures occasionnées par les fours.  Lorsque le père a un accident de travail et qu'il ne peut plus travailler, la famille sombre dans la misère malgré une aide - trop insuffisante- de la Guilde. Griet explique qu'ils n'ont pas mangé de viande depuis des mois.

Tracy Chevalier  sait aussi faire vivre la ville Delft, animer les rues, les marchés,

Chacune de ces étroites maisons de brique, chacun de ces toits rouges en pente raide, chacun de ces canaux verdâtres, chacune de ses portes demeuraient à jamais dans mon esprit, minuscule mais distinct.

Johannes Vermeer : La ruelle

La ville est partagée entre deux communautés religieuses. L'une dominante, les protestants, l'autre minoritaire, les catholiques, peu nombreux et seulement tolérés dans la ville. Cela va poser bien des problèmes à Griet qui est protestante et vivre dans une maison catholique l'inquiète. Le tableau représentant le Christ en Croix entouré de la Vierge et des saints, qui orne la salle, la sidère.

Cette pièce resterait toujours pour moi la pièce de la crucifixion. Jamais je ne m'y sentis à l'aise.

L'écrivain nous fait pénétrer dans les maisons bourgeoises que nous connaissons par les tableaux de l'âge d'or (XVII siècle hollandais), salles aux fenêtres formées de petits carreaux lumineux, avec leurs cuivres brillants, leurs lourdes tentures en velours ou en soie, les meubles noirs marquetés, le sol au carrelage coloré et vernissé, luisant de propreté, mais aussi dans l'envers du décor, celui des servantes. Nous voyons quel est le travail que Griet doit accomplir, sa position sociale, qui est au bas de l'échelle, les humiliations, les offenses qu'elle est obligée d'accepter pour ne pas perdre sa place et ne pas réduire sa famille à la misère.


Le film
Si la vision historique et sociale est réussie dans le roman, le film l'est tout autant de ce point de vue. Les images nous font pénétrer dans des tableaux vivants et surtout dans les intérieurs des peintures de Vermeer. Les lumières, les couleurs sont splendides et font de ce film un enchantement, imitation parfaite de l'atmosphère du Maître.
Il est dommage que le réalisateur sacrifie les personnages secondaires des enfants à quelques exceptions prêts. A part Cornélia  qui a un rôle important, on n'aperçoit et on entend que très peu les autres. Ils auraient pu constituer un second plan qui aurait donné vie et authenticité à la maison de Vermeer doté de six enfants. Ce n'est pas rien! Tracy Chevalier, elle, a eu le talent de les faire vivre par petites touches de manière à ce qu'ils fassent un contrepoint discret mais permanent au récit.

Une histoire d'amour douloureuse et un roman d'initiation

Griet la narratrice est aussi le personnage principal. Si elle a beaucoup de bon sens, est sérieuse et minutieuse et est habituée au travail domestique chez sa mère, elle n'en est pas moins une très jeune fille, inexpérimentée. Elle n'a jamais quitté sa famille et la séparation est difficile. Elle a  seulement 16 ans. Naïve, spontanée, elle ne sait pas cacher ses sentiments. Dotée d'un solide sens moral et de principes, elle va vite perdre ses illusions sur la société. L'apprentissage qu'elle va recevoir chez Vermeer, n'est pas seulement celui du travail. Elle y apprend aussi l'humiliation, les violences quand elle doit se défendre des agressions de Van Ruiyven. Elle apprend aussi quelle est sa place : au bas de l'échelle sociale. Elle comprend que, servante, elle n'a droit à aucune considération. Son maître, même s'il est troublé par sa beauté, même si elle le surprend par son intelligence et sa sensibilité, l'utilise, la manipule. Il n'hésite pas à la sacrifier à sa femme lorsque le tableau est terminé. Griet s'enfuit de cette maison,  C'est une expérience qui la marque pour la vie. Lorsqu'elle a vendu les perles et payé les dettes du Maître, Griet conclut par cette phrase désenchantée  :

La dette désormais réglée, je ne lui aurais rien coûté. Une servante, ça ne coûtait rien.

 Scarlett Johansson

Le film
L'interprétation de Scarlett Johanson  dans le film est sublime. Elle intériorise tous ses sentiments,  les laissant  deviner à travers une attitude corporelle, un regard. L'indentification avec la jeune servante est parfaite, la métamorphose qui fait de la figure vivante une icône peinte est fabuleuse!

J'ai beaucoup moins aimé Colin Firth (que les fans de l'acteur me le pardonne... si c'est possible) dans le rôle de Vermeer. Il n'y aucune évolution dans son jeu. Du début à la fin, il joue ce rôle d'homme accablé, renfrogné, au regard vaguement neurasthénique. Son visage est peu expressif.

Un hommage à la peinture de Vermeer

Tracy Chevalier fait allusion à plusieurs tableaux de Vermeer.


La laitière :
Taneke se redressa, un bonnet à la main et me dit : Le maître a fait une fois mon portrait, tu sais. Il m'a représentée en train de verser du lait. Tout le monde a dit que c'était son plus beau tableau.
Il y eut bien chez les Vermeer, une servante illettrée qui s'appelait Tanneke Everpoel. Un rapport de police mentionne que celle-ci sauva Catarina "enceinte au dernier degré" des coups que lui portaient son frère Willem Bolnes. Ce récit est rapporté dans le roman de Tracy Chevalier. Mais on ne peut être certain que la laitière soit bien Tanneke.





La femme à l'aiguière que Griet appelle la fille du boulanger ; celle-ci à froid pendant les poses et Griet doit aller lui chercher une chaufferette. C'est le tableau que Vermeer est en train d'exécuter lorsqu'il demande à Griet quelle est la  couleur des nuages.

Il passa un bleu pâle sur la jupe de la jeune femme et celui-ci se transforma en un bleu moucheté de noir, que l'ombre de la table rendait plus foncé, et qui s'éclaircissait près de la fenêtre. Au mur, il ajouta de l'ocre jaune laissant entrevoir du gris, le rendant lumineux mais non pas blanc.

 La dame à l'aiguière semble une réplique de La laitière mais transposée dans un milieu différent. L'une des scènes se passe dans une cuisine, l'autre dans un salon, à la cruche en poterie répond l'aiguière, à la chaufferette posée par terre, la boîte à bijoux sur la table, à la simple nappe, un lourd tapis rouge, à la robe en gros drap usagé, la robe en satin de soie que l'on appelle caffa en Hollande.  La coiffe blanche à longs pans de la dame est en lin fin immaculée, celle de la laitière est plus grossière. L'aiguière, précieuse, en vermeil doré, posée sur un bassin est un riche legs de Maria Thins à sa fille Catarina. Bien que la femme soit d'une condition supérieure à  celle de la laitière, on ne peut répondre avec certitude à cette question :  La dame à l'aiguière est-elle Catarina?*

* d'après un article de Michel Daubert




Le concert où Van Ruiyven a réellement posé.

Une jeune femme joue du virginal. Elle porte un corselet jaune et noir.... une jupe de satin blanc et des rubans blancs dans les cheveux. Debout dans la partie incurvée de l'instrument, une autre femme chante, une partition à la main. Elle porte un peignoir vert garni de fourrure au-dessus d'une robe bleue . Entre les deux femmes, un homme est assis, il nous tourne le dos..
"Van Ruiyven, interrompit mon père
-Oui. On ne voit que son dos, ses cheveux et sa main posée sur le manche du luth.
-Il en joue bien mal, s'empressa d'ajouter mon père.
-Oui, très mal. Voilà pourquoi il nous tourne le dos; pour nous cacher qu'il n'est même pas capable de tenir son luth correctement.



La jeune fille au verre de vin

Rappelle-toi la dernière fois avait insisté Maria Thins, soucieuse de lui rafraichir la mémoire. Oui, la servante! Souviens -toi de Van Ruijven et de la servante à la robe rouge!
Il semblerait que Van Ruijven ait voulu qu'une de ses filles de cuisine pose pour lui pour un tableau. Ils l'ont vêtue  d'une des robes de son épouse et Van Ruyjven a veillé à ce qu'il y ait du vin dans le tableau pour la faire boire chaque fois qu'ils posaient. Bien sûr elle s'est retrouvée enceinte de Van Ruijven avant que le tableau soit terminé.


Mrs Van Ruijven : La dame au collier de perles

Lorsque Griet, à la demande de son maître, regarde dans la boîte noire :

Je voyais la table, les chaises, le rideau jaune dans l'angle, le mur noir sur lequel etait accrochée la carte, le pot céramique miroitant sur la teble, la coupe en étain, la houpette, la lettre.
Le lendemain :
Si jusque-là je n'avais remarqué que d'infimes changements, cette fois j'en  remarquais un bien évident, la carte, accrochée au mur, derrière la femme, avait été retirée du tableau et aussi du décor. Le mur était nu. Le tableau n'en paraissait que plus beau, plus sobre, les contours de la femme ressortaient mieux sur cet arrière-plan qu'était le mur.

Un vrai bijou une fois de plus, disait Van Rujven, vous plaît-il ma chère? demanda-t-il à son épouse.
-Bien sûr, répondit-elle. La lumière du jour qui entrait par les fenêtres éclairait son visage, la rendant presque belle.



La jeune fille en jaune écrivant une lettre

Je respirai à peine puis d'un geste rapide, je tirai sur le devant de la nappe bleue, donnant ainsi l'impression qu'elle sortait de l'ombre, puis j'en rabattis un pan, dégageant un angle de table devant le coffret à bijoux. j'arrangeai les plis, puis je reculai pour voir l'effet produit. L'étoffe ainsi pliée suivait la forme du bras tenant la plume.


Marcel Proust et Johannes Vermeer

 




 Marcel Proust admirait Vermeer. Dans à La recherche du temps perdu, voilà ce qu'il écrit sur Vue de Delft :
Enfin, il fut devant le Ver Meer, il se le rappelait plus éclatant, plus différent de tout ce qu'il connaissait, mais où, grâce à l'article du critique*, il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et, enfin la pernicieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étourdissements augmentaient; il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu'il veut saisir, au précieux petit pan de mur. "C'est ainsi que j'aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune."

*Critique : Jean-Louis Vaudoyer



Challenge de Shelbylee 


dimanche 15 avril 2012

Un Livre/ Un film : réponse à l'énigme N° 29 Kazuo Ishiguro Les vestiges du jour






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Les gagnants sont :  Aifelle, Alain, Dasola, Dominique, Eeguab, Keisha,  Maggie, Marie-Josée, Somaja,  Thérèse

Le roman : Kazuo Ishiguro Les vestiges du jour
Le film : James Ivory Les vestiges du jour

Merci à tous et toutes pour votre participation ....






Kazuo Ishiguro est né en 1954 à Nagasaki et arrive en grande Bretagne à l'âge de cinq ans.
Il est l'auteur de six romans : Lumière pâle sur les collines; un artiste du monde flottant, les vestiges du Jour ( 1989); L'inconsolé; Quand nous étions orphelins; Nocturnes. Il a été décoré de l'ordre de l'Empire britannique pour ses services rendus à la littérature en 1995. En 1998, la France le fait chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres. Il vit à Londres  à l'heure actuelle.

Les vestiges du jour, oeuvre adaptée par James Ivory avec à la fois une grande fidélité et un talent très personnel, (le propre d'un grand réalisateur et d'une excellente adaptation), présente l'histoire de Stevens narrée par le personnage lui-même, à un âge avancé. Stevens y raconte la fin d'une époque, celle des grands majordomes dont il a fait parti, responsable d'une nombreuse domesticité et, en même temps, la fin d'une classe sociale, celle d'une noblesse extrêmement riche, dont le sens de l'honneur et de la dignité réglaient la vie quotidienne et forçaient l'admiration de leurs subalternes. Le destin individuel de Stevens, avec son refus des émotions, est étroitement mêlé à l'Histoire de son pays. Son maître, Lord Darlington, dans les années 1920, organisait des conférences chez lui et recevait  de hauts personnages jusqu'à la guerre de 1940.

Le récit commence en 1956 lorsque Darlington Hall est vendu à un américain, Mr. Farraday. Stevens qui doit réorganiser la maison avec peu de domestiques, reçoit une lettre de l'ancienne intendante de Darlington, Miss Kenton qui semble vouloir reprendre du service après s'être séparée de son mari. Stevens va entreprendre un voyage pour retrouver cette femme, en espérant la ramener. Tout au cours de voyage, de longs retours en arrière nous permettent de retourner dans le passé.

Intérêt historique : Le fonctionnement de ces nobles maisons est absolument étonnant. On ne se doute pas de ce que représente la gestion d'une telle domesticité, la compétence et les qualités nécessaires à un majordome pour la bonne marche, au quotidien, d'une demeure comme celle-là et l'habileté, la précision, la rigueur, qu'exige le bon déroulement  d'une réception lorsque le maître reçoit. Aucune erreur ne peut être tolérée. Il est obligatoire d'établir un plan, nous explique Stevens, et de prévoir plusieurs solutions de substitution en cas d'anicroches! Si cet aspect-là du livre est passionnant, le film sait rendre à merveille l'activité de ruche qui règne dans les cuisines, la salle à manger, les chambres à coucher... Tout est réglé au millimètre près, comme dans une chorégraphie précise, que la mise en scène d'Ivory souligne brillamment.
La mentalité de ce domestique est tout aussi étonnante à nos yeux. Ce qui caractérise un grand majordome précise Stevens est la dignité. Celui-ci doit être capable de maîtriser ses émotions dans n'importe quelle condition. De plus, il doit être loyal et servir son maître sans le juger. Servir est donc pour Stevens un beau et noble métier, d'autant plus qu'en exerçant ses talents pour son maître, il sert aussi son pays. Mais corollairement, le maître doit être digne d'être servi. Le majordome doit pouvoir se dire :  "Cet employeur incarne tout ce que je trouve noble et intelligent. Dorénavant, je me consacrerai à son service"
 Qu'en est-il du personnage de Lord Darlington d'après ce critère. En 1923, quand il invite des représentants des gouvernements anglais, français, américains, allemands, c'est dans le but  de réparer l'injustice et l'humiliation infligées aux allemands par l'armistice de 1914.  Par la suite, on le verra, au cours des années, se compromettre avec le régime nazi, tout en croyant encore  préserver la paix et la justice. Peu à peu la propagande antisémite agit sur lui, même s'il le regrette plus tard et cherche à réparer son erreur.
Le voyage  de Stevens va l'amener à une prise de conscience tragique, un constat d'échec : Ce n'était pas du tout un mauvais homme. Et au moins a-t-il eu le privilège de pouvoir dire à la fin de sa vie qu'il avait commis ses propres fautes. C'était un homme courageux. Il a choisi un certain chemin dans la vie, il s'est fourvoyé, mais il l'a choisi lui-même; il peut au moins dire ça. Pour ma part, je ne suis pas en mesure de le dire. Vous comprendrez j'ai eu confiance. J'ai fait confiance à sa seigneurie. au long de toutes ces années où je l'ai servie, j'ai été convaincu d'agir de façon utile. Je ne peux même pas dire que j'ai commis mes propres fautes. Vraiment - on se demande- où est la dignité là-dedans?
Intérêt psychologique : Le roman est aussi l'histoire d'une vie gâchée. Stevens est  un homme qui ne peut jamais exprimer ses sentiments et qui même se refuse à se les avouer à lui-même. Il passe ainsi à côté de l'amour, refusant de comprendre les sentiments de Miss Kenton.
La fin du livre est très triste non seulement dans la scène où il dit adieu à Miss Kenton mais aussi dans celle (absente dans le film) où, assis sur un banc, il se confie à un inconnu pour constater l'échec de sa vie sentimentale mais surtout professionnelle à laquelle il a tout sacrifié.
Le film, quant à lui, rend avec finesse toutes les nuances psychologiques indiquées par le roman car il est superbement servi par les acteurs, Emma Thompson et surtout Anthony Hopkins dont la gestuelle, la moindre expression du visage, révèlent sans en avoir l'air tout ce qu'il ressent mais aussi le combat intérieur qu'il doit mener à tout moment contre lui-même.
La fin, dans le livre comme dans le film, permet pourtant un lueur d'espoir. La vie doit continuer et Stevens doit apprendre à accepter les mutations irréversibles de la société. Dans le roman, il décide donc, en retournant à Darlington, d'adopter le style nouveau réclamé par son maître américain : "le badinage", c'est le terme qu'il emploie. Autrement dit, notre majordome va apprendre à être un peu moins empesé et à plaisanter!! Dans le film, Ivory reprend cette idée, en montrant Stevens lançant une plaisanterie à son maître. L'acteur révèle par son attitude corporelle ce changement subtil. Pas besoin de nous en dire plus. C'est là que l'on voit le génie de celui qui adapte un livre : remplacer les mots, voire les phrases, par une image.

Challenge de Calypso : Le titre devait présenter le mot jour

vendredi 9 mars 2012

Kenzaburo Ôé : Gibier d'élevage




Kenzaburo Ôé est né en 1935, dans l'île japonaise de Shikozu. Il a suivi des études de littérature et française et a fait une thèse sur Sartre. Il est vite reconnu dans les années 1950 comme l'un des plus grands écrivains japonais. Il reçoit le prix Akutagawa, l'équivalent du Goncourt français, pour pour ce livre Gibier d'élevage en 1958. Dans un livre déchirant Une affaire personnelle il parle de la naissance de son fils, handicapé, qui bouleverse sa vie. Il écrit Le Jeu du siècle sur le Japon entre 1860 et 1960... Il reçoit le prix Nobel en 1994.

Autres livres de Kenzaburo Öé:
Dites-nous comment survivre à la folie
Le faste des morts
Une existence tranquille.



 Le récit de Gibier d'élevage se déroule pendant la seconde guerre mondiale. Dans un village montagnard coupé du monde pendant la saison des pluies, un avion américain s'abat dans les bois. Les villageois capturent le seul survivant, un grand noir américain qui excite la curiosité de tous mais en particulier des enfants. Le prisonnier, en attendant d'être remis aux autorités, est enfermé dans une cave. Son abattement, sa passivité et son étrangeté le font considérer comme un animal d'élevage! Les enfants qui en ont d'abord un peur bleue finissent par faire de lui un compagnon de jeu. Oui, mais...

Le récit est raconté par un jeune garçon qui vit sa vie d'enfant, insouciante, jeux, bagarres, baignades, découverte sexuelle pour les plus grands, entouré de son petit frère cadet, de Bec-de-Lièvre, le meneur de la bande, et de toute la marmaille qui les suit et les admire. Nous sommes en guerre mais le village est si fermé sur lui-même que la guerre paraît être un fait irréel presque légendaire. Une abstraction. Pourtant la mort qui la symbolise est toujours présente dans le récit soufflant ses miasmes délétères sur le village, compagnon fidèle de tous, même des enfants. Ceux-ci jouent à "touiller" les morts dans la fosse commune béante pour récupérer des ossements afin de se confectionner des bijoux.

La description de ce peuple "de vieux défricheurs quelque peu primitifs" est un choc pour le lecteur. Ces gens vivent dans une pauvreté extrême. Ils n'ont aucun meuble chez eux, et couchent par terre sur des planches. Ils sont considérés comme des sauvages, sales, miséreux et sans manières, par les citadins lorsqu'ils se rendent à la ville soit pour aller à l'école soit pour faire quelques courses. Le fait d'être isolés de tout pendant la saison des pluies ne les dérange donc pas et est une aubaine pour les élèves qui ne peuvent plus aller à l'école.
Le choc des civilisations va être énorme entre cet américain, un espèce de colosse noir qui parle une langue totalement inconnue, et ces gens qui n'ont jamais dépassé les bornes de leur village sauf pour la ville toute proche et n'ont jamais vu la mer que de très loin comme un mince ruban miroitant.
Le jeune narrateur qui est le premier à l'approcher de près  pour apporter sa nourriture au prisonnier le présente comme une bête avec "ses oreilles pointues comme celles d'un loup" "son cou gras et huileux", "l'odeur de son corps qui pénétrait toute chose comme un poison corrosif" et sa "voracité de rapace" quand l'homme se jette sur la nourriture après avoir jeûné longtemps. Mais peu à peu le jeune garçon va cesser d'en avoir peur, pour le voir comme un animal familier que l'on aime bien.
Ce Noir était à nos yeux une sorte de magnifique animal domestique, une bête géniale.
Les adultes aussi finissent par ne plus être effrayés par lui et l'américain peut circuler librement dans le village. Les enfants partagent enfin  avec lui de beaux moments de sérénité lorsqu'ils l'écoutent chanter une chanson
Nous étions emportés par la houle de cette voix grave, solennelle, se propageant de proche en proche.
ou quand ils le font sortir de la cave sous la pluie : .. et là, longtemps, nous remplîmes nos poumons d'un air qui sentait l'écorce mouillée"
Mais que va-t-il advenir de cette amitié quand les adultes sans mêlent?
Le soldat parti, que nous resterait-il au village? L'été, vidé de sa substance, ne serait plus qu'un coquille vide.

Le roman est un roman d'apprentissage pour le jeune narrateur qui prend alors conscience de l'horreur de la guerre, et perd son insouciance enfantine.  Devenu adulte brutalement, pour lui, plus rien ne sera comme avant :
La guerre, cette interminable et sanglante bataille aux dimensions gigantesques, allait se prolonger encore. Cette espèce de raz de marée qui, dans des pays lointains emportait les troupeaux de moutons et ravageait les gazons fraîchement tondus, cette guerre là, qui eût jamais pensé qu'elle dût parvenir jusqu'à notre village? Pourtant elle y était venue... et moi au milieu de ce tumulte, je n'arrivais plus à respirer.

Kenzubaro Ôé dénonce avec ce roman l'absurdité de la guerre. La haine entre les peuples n'est-elle pas d'abord une conséquence de l'ignorance et de la méconnaissance de ce qui est étranger? Les enfants ne sont-ils pas ici ceux qui y voient clair? 

Lecture commune avec Ys et Emmyne  dans le cadre du challenge les 12 d'Ys sur les Prix Nobel





mercredi 29 février 2012

Jane Austen : Lady Suzan






Lady Suzan est le premier roman de Jane Austen qui l'a écrit alors qu'elle n'avait que 18 ou 19 ans. Elle n'a jamais songé à le publier. Il ne parut qu'en 1871, soit 54 ans après sa mort.
Ce court roman épistolaire ne manque pourtant pas de piquant. L'ironie lucide et caustique de Jane Austen s'y exerce avec finesse. Certes, il ne s'agit pas d'un de ses grands romans, mais cette oeuvre de jeunesse est un petit régal!  Il est regrettable que l'écrivaine le termine, malheureusement, de façon si abrupte comme si elle s'en désintéressait. 

Plusieurs personnages s'y croisent mais les deux principales sont Lady Suzan Vernon et Catherine Vernon, sa belle-soeur. Elle s'adressent toutes deux à des destinataires différents, Lady Suzan principalement à sa meilleure amie Alicia Johnson, et Madame Vernon à sa mère Lady de Courcy dont elles reçoivent des réponses qui complètent le récit. D'autres correspondants interviennent aussi, ce qui permet à travers ces échanges de suivre l'histoire mais aussi de découvrir tous les protagonistes du roman. Ainsi Lady Suzan si l'on en croit sa première lettre où elle réclame l'hospitalité à son frère est une femme honorable, veuve  éplorée, injustement décriée par des amis et surtout par madame Manwaring qui l'accuse de coquetterie envers son mari. Elle adore sa fille Frédérica, désagréable et sauvage, dont l'éducation la préoccupe beaucoup. Elle est donc obligée de la mettre en pension, ce qu'elle ne fait qu'avec tristesse.
Mais les écrits qu'elle envoie à sa meilleure amie Madame Johnson présentent un autre éclairage : Lady Suzan est la maîtresse de M. Manwaring, elle déteste sa fille dont elle n'a pas envie de s'occuper. Elle veut la marier de force à Sir James et l'envoie en pension pour l'obliger à y consentir.
Les lettres de madame Vernon contrainte de recevoir lady Suzan chez elle, nous permettent de compléter le tableau. Lady Suzan a jeté son dévolu sur le frère de madame Vernon, Reginald de Courcy et entreprend de le séduire tout en continuant à voir son amant Manwaring. Frédérica se révèle une jeune fille charmante et timide, terrorisée par sa mère mais décidée à refuser le mariage que cette dernière veut lui imposer. De plus, elle tombe amoureuse de Reginald alors que celui-ci qui n'a d'yeux que pour sa mère.  Lady Suzan arrivera-t-elle à ses fins?  Fréderica et Reginald seront-ils ses victimes?

Ces lettres permettent une variation du point de vue et nous éclairent sur la vérité des caractères au-delà des apparences. Jane Austen nous livre là une comédie amère et mordante de la société de son temps.
Le cynisme dont font preuve les deux amies, Suzan et Alicia, dans leur correspondance nous montrent des femmes coquettes et égoïstes, uniquement préoccupées d'elles-mêmes, intéressées et même avides, habituées à s'épauler pour tromper leur mari. Plus encore que l'immoralité de Lady Suzan, c'est son hypocrisie que l'auteure fustige. Lady Suzan se sert de sa beauté mais aussi du beau langage, de l'art de convaincre, comme d'une arme. Elle sait que la beauté n'est pas tout, là où il n'y pas l'intelligence.
L'ironie déployé par Austen à propos de ces dames est assez jubilatoire. Je vous laisse en juger!
Extrait d'une lettre d'Alicia Johnson à lady Zuzan. Madame Johnson pensait profiter de l'absence de son mari qui partait à Bath pour s'amuser avec son amie et ses soupirants.

M. Johnson a trouvé le moyen le plus efficace de tous nous tourmenter. J'imagine qu'il a entendu dire que vous seriez bientôt à Londres et sur le champ il s'est arrangé pour avoir une attaque de goutte suffisante pour retarder, à tout le moins, son voyage à Bath, sinon pour l'empêcher tout  à fait.

Réponse de Lady Suzan

Ma chère Alicia, quelle erreur n'avez-vous pas commise en épousant un homme de son âge - juste assez vieux pour être formaliste, pour qu'on ne puisse avoir prise sur lui et pour avoir la goutte-, trop sénile pour être aimable et trop jeune pour mourir.

Mais si les femmes sont malmenés par sa plume acerbe, les hommes ne sont pas épargnés!  Le frère de Lady Suzan est un homme bon mais sans caractère, incapable de juger ce que fait sa soeur, ni d'avoir un peu d'autorité

Monsieur Vernon qui, comme on a déjà dû s'en apercevoir ne vivait que pour faire ce que l'on attendait de lui...

Quant à Reginald qui, au départ, se croit supérieur à Lady Suzan et la méprise, il n'a que ce qu'il mérite en tombant dans les filets de la dame et en ayant le coeur brisé! Brisé? Encore que...

Reginald de Courcy à force de paroles adroites, de flatteries, de ruses, fût amené à prendre du goût pour elle*, ce qui, compte tenu du temps nécessairement imparti à vaincre son attachement pour la mère, à renoncer à tout autre lien et à prendre les femmes en abomination, pouvait être raisonnablement attendu dans un délai d'un an. Trois mois peuvent suffire en général, mais Reginald avait des sentiments qui n'étaient pas moins vivaces qu'ardents.   * Frederica
Féroce, Jane Austen, je vous l'avais dit! Et dire que certain(e)s la jugent romantique!  J'ai parfois l'impression de lire du Voltaire dans le domaine du sentiment!


Voici un livre de Jane Austen que je n'avais pas encore lu. C'est chose faite aujourd'hui grâce à la lecture commune du blogclub! 

lundi 6 février 2012

Théophile Gautier : Histoire du Romantisme (3) le Petit Cénacle, Gérard de Nerval


Gérard, nous ne savons pourquoi, a toujours passé pour être paresseux comme une couleuvre. C'est une réputation qu'on a faite à bien d'autres qui ont travaillé toute leur vie et à qui on pourrait faire un bûcher de leurs oeuvres. Ce bayeur aux corneilles, ce chasseur de papillons, ce souffleur de bulles, ce faiseur de ronds dans l'eau menaient au contraire l'existence intellectuelle la plus active.
                                                         Théophile Gautier
Théophile Gautier par Célestin Nanteuil

Dans ce billet N° 3  sur Histoire du Romantisme  par Théophile Gautier (voir les billets 1 La bataille d'Hernani et  2) Le Petit cénacle )l'écrivain brosse avec un mélange de tendresse, de légèreté  et de gravité le portrait de son ami, membre du Petit Cénacle comme lui, Gérard de Nerval.Il faut saluer l'art de Théophile Gautier qui sait saisir les traits caractéristiques de son personnage avec un don de l'observation, une précision et un talent qui rappellent sa vocation et ses études de peintre, antérieures à son choix d'une carrière littéraire. Voilà comment le jeune Gérard se présentait aux yeux de ses amis du Petit Cénacle dans les années 1830 qui marquent le triomphe du Romantisme avec la bataille d'Hernani.

  
Quelquefois on l'apercevait au coin d'une rue, le chapeau à la main, dans une sorte d'extase, absent évidemment du lieu où il se trouvait, ses yeux étoilés de lueurs bleues, ses légers cheveux blonds déjà un peu éclaircis faisant comme une fumée d'or sur son crâne de porcelaine, la coupe parfaite qui ait jamais enfermé une cervelle humaine gravissant les spirales d'une Babel Intérieure.


Théophile Gautier a connu Gérard de Nerval sur les bancs du collège Charlemagne où il avait noué avec lui "une de ces amitiés d'enfance que seule la mort dénoue".
Gérard, de son vrai nom Gérard Labrunie, était un de ces jeunes prodigues, poète doué, qui a dix sept ans s'était déjà fait connaître par un coup d'éclat : la traduction du Faust de Goethe si brillante que le "l'olympien de Weimar avait daigné dire qu'il ne s'était jamais si bien compris." Cette réussite lui avait valu de connaître Victor Hugo et d'être reçu chez lui, honneur qui le parait aux yeux de ses amis d'un grand  prestige.

Gautier le décrit en 1830 comme un jeune homme toujours en train de rendre service, toujours en mouvement, qui  travaillait en marchant,  prenait des notes dans un petit carnet puis repartait ensuite au pas de course.

Cet esprit était une hirondelle apode. Il était tout ailes et n'avait pas de pieds, tout au plus une imperceptible griffe pour se suspendre un moment aux choses et reprendre haleine. Il allait, venait, faisait de brusques zigzags aux angles imprévus, montait, descendait, montait plutôt, planait et se mouvait dans un milieu fluide avec la joie et la liberté d'un être qui est dans son élément.

Gérard de Nerval est alors un rêveur qui aime la discrétion, qui se cache sous des pseudonymes et qui, contrairement à son ami au gilet rouge, s'habille de façon modeste pour passer inaperçu! A cette époque "sa destinée s'annonçait souriante" nous dit Gautier et il y  a en lui un rayonnement tel que tous ses amis l'appellent le "bon Gérard".

"Cette bonté rayonnait de lui comme d'un corps naturellement lumineux, on la voyait partout et elle l'enveloppait d'une atmosphère spéciale"

Ce n'est plus que tard que la vie de Gérard de Nerval en proie à la folie s'assombrit :

Rue de la Vieille-Lanterne

 Lithographie de Célestin Nanteuil publiée dans L'Artiste du 18 Février 1855.

Il n'avait encore rencontré ni l'escarbot roulant sa boule sur la route de Syrie qui lui parut d'un si mauvais augure, ni le hideux corbeau privé, commensal d'un pauvre ménage dont il accepta une tasse de vin dans la traversée de Beyrouth à Saint-Jean d'Acre, et qu'il regarda comme un message du malheur direct envoyé par le Sort*. Un corbeau familier croassait et battait des ailes aussi rue de la Vieille-Lanterne sur le palier de la rampe fangeuse, maculée de neige près des affreux bareaux, et peut-être à son heure suprême, le pauvre Gérard de Nerval, par un de ces sauts de pensée si fréquents aux moments solennels, se souvint-il du corbeau rencontré sur le pont du navire qui le fascinait de ses yeux fixes et fatidiques.**

*Dans Voyages en Orient

**A l'aube du 26 Janvier 1855, Nerval fut trouvé pendu aux barreaux d'une fenêtre, rue de la Vieille-Lanterne (disparue depuis) dans le quartier du Châtelet. Dans la description qu'il donna des lieux, dans Le Mousquetaire du 28 Janvier, Dumas mentionna la présence d'un corbeau.  Ce corbeau allait se trouver présent dans plusieurs représentations figurées du matin tragique.




Les oeuvres principales de Gérard de Nerval



mercredi 18 janvier 2012

Théophile Gautier : Histoire du Romantisme (1) La bataille d'Hernani

La bataille d'Hernani. A gauche le gilet rouge de Gautier

Quand Théophile Gautier écrit l'Histoire du Romantisme en 1871, il est âgé, malade, et il mourra d'ailleurs l'année suivante qui en verra la publication,  en 1872. Beaucoup de ses amis qui ont fait parti de son groupe nommé Le Petit Cénacle, tous adorateurs de Victor Hugo, ont disparu. : "Pour moi, il me semble que je ne suis plus contemporain... J'ai comme le sentiment de n'être plus vivant"  affirme-t-il a un dîner chez Flaubert, un an avant sa mort.  Aussi, c'est avec nostalgie qu'il se remémore ses souvenirs, ce qui n'exclut pas l'humour.

Gautier se souvient de sa jeunesse exaltée et il raconte en quelques chapitres (il y en a 12 en tout) les souvenirs de la fameuse bataille de Hernani dans laquelle il a joué un rôle!

Nous avons eu l'honneur d'être enrôlé dans ces jeunes bandes qui combattaient pour l'idéal, la poésie et la liberté de l'art, avec un enthousiasme, une bravoure et un dévouement qu'on ne connaît plus aujourd'hui. Le chef rayonnant reste toujours debout sur sa gloire comme une statue sur une colonne d'airain, mais le souvenir des soldats obscurs va bientôt se perdre, et c'est un devoir pour ceux qui ont fait partie de la grande armée littéraire d'en raconter les exploits oubliés.

Pour comprendre l'enjeu de la bataille



1830! Date historique dans l'Histoire de la littérature et plus précisément du théâtre français. La première représentation de Hernani, drame de Victor Hugo, va bientôt avoir lieu et avant même qu''il soit joué, il  provoque  déjà le scandale.

Les générations actuelles doivent se figurer difficilement l'effervescence des esprits à cette époque; il s'opérait un mouvement pareil à celui de la Renaissance. une sève de vie nouvelle circulait impétueusement. Tout germait, tout bourgeonnait, tout éclatait à la fois."

Les romantiques, en effet, tous admirateurs de Shakespeare, prennent le grand dramaturge anglais pour modèle, ce qui revient à s'opposer à toutes les règles du théâtre classique. Désormais on ne choisira plus obligatoirement le sujet chez les classiques romains ou grecs et chez les rois et les reines. Hernani est un noble espagnol, déchu de ses droits, en rébellion contre le trône d'Espagne, qui est devenu hors-la-loi et vit en proscrit dans la montagne. 
De plus, on ne sépare plus la comédie de la tragédie comme dans le théâtre classique. On pratiquera comme chez Shakespeare le mélange des genres. Dans la vie le comique et le tragique se côtoient affirme V Hugo.
Enfin le drame romantique ne respecte plus les règles classiques des trois unités, de temps, de lieu, d'action. Il remplace le récit des actes héroïques par le spectacle de ces actes. Le vers se libère et n'obéit plus aux règles strictes de l'alexandrin.
Voilà qui va scandaliser les partisans du classique, le Bourgeois au crâne rasé et au menton glabre auxquels vont s'opposer les jeunes Romantiques chevelus  : N'était-il pas tout simple d'opposer la jeunesse à la décrépitude, les crinières aux crânes chauves, l'enthousiasme à la routine, l'avenir au passé?

"Enrôlés" dans la bataille par Gérard de Nerval


Gérard de Nerval dessin de Théophile Gautier


Pour la présentation au Français, les partisans de Hugo recrutent "la claque" qui devra, en applaudissant, assurer le triomphe de la pièce. Théophile Gautier étudie alors la peinture dans l'atelier de Rioult avant de choisir la voie de la littérature. Lui et ses amis rêvent d'assister à cette représentation aussi quand Gérard de Nerval, déjà célèbre par sa traduction de Goethe, et qui connaît Victor Hugo, vient les enrôler,  c'est l'enthousiasme.
Gérard de Nerval distribuent à chacun d'eux un carré de papier rouge marqué d'un mot espagnol Hierro signifiant Fer, devise d'une hauteur castillane bien appropriée au caractère d'Hernani... en leur recommandant de n'amener que des homme sûrs.

Dans l'armée romantique comme dans l'armée d'Italie, tout le monde était jeune. Les soldats pour la plupart n'avaient pas atteint leur majorité, et le plus vieux de la bande était le général en chef âgé de vingt-huit ans. C'était l'âge de Victor Hugo à cette date.

La légende du gilet rouge.

Théophile Gautier autoportrait

La légende du gilet rouge, explique  Théophile Gautier a collé à sa peau telle la tunique de Nessus. Quarante ans après,  ce ne sont pas ses vers, ses romans, ses articles que le vulgaire retient quand on prononce son nom mais   : Oh! Oui! le jeune homme au gilet rouge et aux longs cheveux.

Le soir de la fameuse bataille, en effet, Théophile Gautier apparaît vêtu d'un gilet rouge qu'il s'est fait faire tout spécialement par son tailleur pour cette occasion. Et si vous ne voyez pas ce que cela avait d'extraordinaire à l'époque, l'écrivain se fait un plaisir de vous l'expliquer avec humour :

Qui connaît le caractère français conviendra que cette action de se produire dans une salle de spectacle où se trouve rassemblé ce que l'on appelle Le Tout Paris avec des cheveux aussi longs que ceux d'Albert Dürer et un gilet aussi rouge que la muleta d'un torero andalou exige un autre courage et une force d'âme que de monter à l'assaut d'une redoute hérissée de canons vomissant la mort.

Mais si le jeune homme accepte avec sang froid les railleries de tous les bourgeois il bout intérieurement d'indignation : et nous nous sentions un sauvage désir de lever leur scalp avec notre tomawak pour en orner notre ceinture; mais à cette lutte nous eussions couru le risque de cueillir moins de chevelures que de perruques; car si elle raillait l'école moderne sur ses cheveux, l'école classique, en revanche, étalait au balcon et à la galerie du Théâtre-Français une collection de têtes chauves pareilles au chapelet de crânes de la déesse Dourga. Cela sautait si fort aux yeux, qu'à l'aspect de ces moignons glabres sortant de leurs cols triangulaires avec des tons de couleurs de chair et de beurre rance, malveillants malgré leur apparence paterne, un jeune sculpteur* de beaucoup d'esprit et de talent, célèbre depuis, dont les mots valent les statues, s'écria au milieu du tumulte : "A la guillotine les genoux!"

* Auguste Preault

La bataille d'Hernani




Dès les premiers mots de la pièce, éclate la bagarre, les cris de protestation houleux, les tumultes que n'arrive pas à réprimer "la bande d'Hugo" "aux airs féroces" "qui fait régner la terreur". La passion l'emporte, les uns hurlent, trépignent d'indignation, les autres applaudissent, louent, s'enthousiasment. Théophile Gautier est bien conscient qu'il est difficile maintenant de comprendre comment ces vers qui sont devenus pour ainsi dire classiques ont pu susciter une telle indignation!

Comment s'imaginer qu'un vers comme celui-ci :
Est-il minuit? -Minuit bientôt

ait soulevé des tempêtes et qu'on se soit battu trois jours autour de cet hémistiche? On le trouvait trivial, familier, inconvenant; un roi demande l'heure comme un bourgeois et on lui répond comme à un rustre : minuit. C'est bien fait. S'il s'était servi d'une belle périphrase, on aurait été poli, par exemple  :
                                                     L'heure
Atteint-elle bientôt sa douxième demeure?


Les classiques refusent donc le mot propre mais ils ne supporte pas non plus les épithètes, les métaphores, les comparaisons, "en un mot, le lyrisme"..

Gautier a assisté à trente représentations. Le triomphe d'Hernani, Théophile Gautier n'a pu nous le raconter.  Le manuscrit s'interrompt là. l'écrivain, malade, épuisé, n'a pu le reprendre et le terminer.

Une anecdote

Victor Hugo
Théophile Gautier  ne parle pas que de la bataille d'Hernani dans son Histoire du Romantisme. Il évoque aussi le souvenir de ses amis avec lesquels il a formé le Petit Cénacle, en imitation du Grand Cénacle de Nodier, autour de Victor Hugo.
Il raconte comment lui et ses amis (il a dix-huit ans) ont été présentés à Victor Hugo, leur Dieu, par Gérard de Nerval, les cavalcades folles dans les  escaliers de la maison du Maître, quand trop intimidés pour tirer le cordon de sonnette, ils redescendaient  en courant et s'arrêtaient, les jambes flageolantes,  pour reprendre haleine. Enfin la première vision de l'idole :
Mais voici que la porte s'ouvrit et qu'au milieu d'un flot de lumière, tel que Phébus Apollon franchissant les portes de l'Aurore, apparut sur l'obscur palier, qui? Victor Hugo , lui-même, dans sa gloire. Comme Esther devant Assuérus, nous faillîmes nous évanouir. Hugo ne put, comme le satrape vers la belle Juive, étendre vers nous pour nous rassurer son long sceptre d'or, par la raison qu'il n'avait pas de sceptre d'or. Ce qui nous étonna.

Les membres de ce Petit Cénacle étaient pour certains des personnages excessifs au romantisme exacerbé, dit frénétique et  presque caricatural : au côté de Gautier, il y avait Gérard de Nerval, Petrus Borel, Thimotée O' Neddy, Jehan du Seigneur, Jules Vabre, Célestin Nanteuil, Joseph Bouchardy.

Je vous présenterai les portraits que Théophile Gautier  a fait d'eux dans mon prochain billet.

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Alexandre Dumas raconte dans Mes mémoires, Chapitre CXXXII  cette anecdote que je trouve savoureuse .


Alexandre Dumas Litho de Déveria (1830)


La première représentation d’Hernani a laissé un souvenir unique dans les annales du théâtre : la suspension de Marion Delorme, le bruit qui se faisait autour d’Hernani, avaient vivement excité la curiosité publique, et l’on s’attendait, avec juste raison, à une soirée orageuse.
On attaquait sans avoir entendu, on défendait sans avoir compris.
Au moment où Hernani apprend de Ruy Gomez que celui-ci a confié sa fille à Charles V, il s’écrie
... Vieillard stupide, il l’aime !
M. Parseval de Grandmaison, qui avait l’oreille un peu dure, entendit : « Vieil as de pique, il l’aime !» et, dans sa naïve indignation, il ne put retenir un cri :
- Ah ! pour cette fois, c’est trop fort !
- Qu’est-ce qui est trop fort, monsieur ? Qu’est-ce qui est trop fort ? demanda mon ami Lassailly, qui était à sa gauche, et qui avait bien entendu ce qu’avait dit M. Parseval de Grandmaison, mais non ce qu’avait dit Firmin.
- Je dis, monsieur, reprit l’académicien, je dis qu’il est trop fort d’appeler un vieillard respectable comme l’est Ruy Gomez de Silva, « vieil as de pique ! »
- Comment! c’est trop fort ?
- Oui, vous direz tout ce que vous voudrez, ce n’est pas bien, surtout de la part d’un jeune homme comme Hernani.
- Monsieur, répondit Lassailly, il en a le droit, les cartes étaient inventées... Les cartes ont été inventées sous Charles VI, monsieur l’académicien! Si vous ne savez pas cela, je vous l’apprends, moi... Bravo pour le vieil as de pique ! Bravo Firmin ! Bravo Hugo ! Ah !…
Vous comprenez qu’il n’y avait rien à répondre à des gens qui attaquaient et qui défendaient de cette façon-là.