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dimanche 19 mai 2013

L'Assommoir d'Emile Zola



Résultat de l'énigme n°66


Les vainqueurs du jour sont : Aifelle, Dasola, Eeguab, Keisha, Lilou, Marie-Josée, Pierrot Bâton.. Merci à tous!
Le roman : L'assommoir d'Emile Zola 
Le film : Gervaise de René Clément


L'assommoir, au XIX siècle, c'est le nom du café où les gens du peuple,  misérables et exploités, vont boire pour oublier la dureté de la vie. L'assommoir, c'est la déchéance de l'ouvrier.

Dans son roman L'Assommoir qui est le septième du cycle les Rougon-Macquart, Zola s'intéresse à Gervaise qui s'est mis en ménage avec Lantier et a eu trois enfants de lui, Jacques, Etienne et Claude Lantier. Elle le suit à Paris où, buveur et coureur de filles, il finit par l'abandonner.  Elle épouse Coupeau qui est couvreur et a une fille de lui, Nana. Gervaise est blanchisseuse et rêve d'ouvrir un magasin bien à elle. Elle est laborieusen, courageuse, et met de l'argent de côté pour ouvrir son entreprise mais son mari tombe d'un toit. Gervaise dépense toutes ses économies  pour le soigner. Celui-ci s'en sort mais il ne peut pas reprendre son travail et sombre dans l'alcoolisme.  Gervais peut ouvrir sa blanchisserie grâce au prêt du forgeron Goujet qui est amoureux d'elle. Mais Coupeau se prend d'amitié pour Lantier, de retour dans le quartier, et le loge chez lui. Les deux hommes boivent et vivent au dépens de Gervaise qui travaille pour eux et par faiblesse, a des relations avec les deux hommes. Goujet, déçu par Gervaise, s'en va en amenant Etienne, le troisième fils de Gervaise,  qu'il a pris pour apprenti. C'est le commencement de la déchéance pour la jeune femme qui finira elle aussi à l'assommoir.

Avec ce septième roman de L'histoire naturelle d'une famille sous le second empire, Emile Zola se place en chef de file du Naturalisme, mouvement littéraire qui succède au réalisme et s'appuie sur les découvertes scientifiques de l'époque, s'inspirant de la méthode expérimentale de Claude Bernard. Emile Zola veut étudier à travers une famille du second empire, les lois de l'hérédité.
« Mon oeuvre à moi sera tout autre chose. Le cadre en sera plus restreint. Je ne veux pas peindre la société contemporaine mais une seule famille en montrant le jeu de la race modifiée par le milieu. [...] Ma grande affaire est d'être purement physiologiste. »
Dans la préface de L'Assommoir, il explique son but : Les Rougon-Macquart doivent se composer d'une vingtaine de romans. Depuis 1869, le plan général est arrêté, et je le suis avec une rigueur extrême. L'Assommoir est venu à son heure, je l'ai écrit, comme j'écrirai les autres, sans me déranger une seconde de ma ligne droite. C'est ce qui fait ma force. J'ai un but auquel je vais.
Lorsque L'Assommoir a paru dans un journal, il a été attaqué avec une brutalité sans exemple, dénoncé, chargé de tous les crimes. Est-il bien nécessaire d'expliquer ici, en quelques lignes, mes intentions d'écrivain ? J'ai voulu peindre la déchéance fatale d'une famille ouvrière, dans le milieu empesté de nos faubourgs. Au bout de l'ivrognerie et de la fainéantise, il y a le relâchement des liens de la famille, les ordures de la promiscuité, l'oubli progressif des sentiments honnêtes, puis comme dénoûment, la honte et la mort. C'est de la morale en action, simplement.

Tous les personnages dont l'histoire commence avec La fortune des  Rougon, le premier livre du cycle, vont être marqués héréditairement par l'ancêtre Adélaïde Fouque dont le père est dément et qui après avoir épousé Pierre Rougon, prend pour amant Antoine Macquart, un alcoolique. La folie et l'alcoolisme sont les deux terribles hérédités dont ont a souffrir tous les descendants d'Adélaïde Fouque, de Rougon et de Macquart.
C'est ainsi que Gervaise, "élevée" à l'anisette dès l'enfance, finira par sombrer dans l'alcoolisme. Ses fils et sa fille illustrant eux aussi la thèse de l'hérédité.

Claude Lantier, le fils aîné de Gervaise et de Lantier a la chance d'échapper au déterminisme social en étant élevé loin de ses parents, à Plassans par un vieux monsieur qui lui fait faire des études. Il devient peintre. Mais il est déséquilibré, souffre de trouble mentaux héréditaires et se pend. (L'Oeuvre)

Jacques Lantier, le second fils de Gervaise et de Lantier, est marqué dès l'enfance par des douleurs de tête terribles, des accès de fièvre. Il est poursuivi par l'affreux désir de tuer une femme. Au cours d'une crise de folie il tue Séverine et mourra de mort violente.(La Bête humaine)

Etienne Lantier, le troisième fils de Gervais et Lantier vit à Paris avec Gervaise et Coupeau et subit les brutalités de Coupeau. Heureusement, Goujet, le forgeron, le prend comme apprenti  et fait de lui un ouvrier honnête et engagé politiquement plutôt exalté..  Pourtant s'il boit un verre de vin, il sent la violence se réveiller en lui. C'est pourquoi il méprise la boisson. Il échappe au déterminisme social et au déterminisme de l'hérédité par la force de la volonté..
Quant à Nana, laissée sans éducation,sa mère étant hors d'état de s'occuper d'elle, marquée par l'alcoolisme héréditaire, elle  traîne dans les rues, tombe dans le vice et se prostituera.

Pour tout connaître sur la généalogie des Rougon-Macquart, allez voir ici  (source)

mardi 26 mars 2013

Sarah Frydman : La saga des Médicis

Le cortège des rois mages par Benedetto Gozzoli au palais des Médicis

La saga des Médicis de Sarah Frydman m'a irrésistiblement attirée étant donné mon amour pour Florence et pour cette famille mécène de la cité. j'ai tellement aimé cette ville, j'ai tellement déambulé dans ses rues, admiré ses églises et ses palais, ses oeuvres d'art qui vous surprennent à chaque coin de rue, l'extraordinaire floraison de beautés et de richesses, véritable enchantement pour qui est sensible à l'art…. qu'il me fallait lire ces récits présentés en trois volumes :

                                            La saga des Médicis 1 : Contessina
                                         La saga des Médicis 2 :  Le lys de Florence
                                         La saga des Médicis 3 : Lorenzo ou la fin des Médicis

Disons-le tout de suite, j'ai été déçue. Je m'attendais à un roman historique érudit où le lecteur côtoierait ces personnages hors du commun, partageant leurs idées philosophiques et artistiques, participant au foisonnement de la Renaissance, à la richesse culturelle de l'époque, à la création des oeuvres. Non! Sarah Frydman n'est pas Umberto Ecco de Au nom de la rose, ni Hella S. Haasse  de La forêt de longue attente, ni Fernandez de Porporino, ni même Anne Cuneo de Le trajet d'une rivière pour ne citer que mes romans historiques préférés… Le ton est  léger, les histoires d'amour un peu mièvres et répétitives d'un volume à l'autre. Il n'est pris que l'écume de l'Histoire et non le sens.
 Sarah Frydman se place, en particulier dans les deux premiers volumes, sous l'angle des épouses Médicis. A  priori, ce  n'est pas pour me déplaire car je trouve le point de vue original, celui de ces femmes, toutes mariées pour des raisons de pouvoir ou d'argent et qui ne sont que des monnaies d'échange, des "biens" commerciaux. Certes, l'écrivaine s'appuie sur des  connaissances historiques mais la part de fiction est très (trop?) grande et le propos reste trop cantonnée dans les tourments amoureux de ces dames, leurs démêlés avec leur mari ou leurs amants. Bref! Je m'attendais à autre chose. Ceci dit, si la lecture laisse sur sa faim, en contrepartie, elle est aisée et peut être agréable. J'ai rencontré avec plaisir ces personnages que l'on retrouve dans les tableaux des musées, dans les poésies et les textes qui leur rendent hommage; j'ai aimé être introduite dans les plus grandes familles florentines, les Médecis mais aussi les Bardi, les Tornabuoni, les Donati, les Pitti….


Et d'abord Contessina de Bardi (1390-1473) qui épouse Cosimo de Médicis (1389-1464), appelé Le Père de la patrie, celui qui asseoit la fortune des Médicis. Il va lui donner les bases pour se hisser au niveau de la noblesse qui méprise cette bourgeoisie de marchands. Elle a 13 ans quand son père Alexandre de Bardi propose à Giovanni de Médicis, le père de Cosimo et de Lorenzo, de la donner à l'un de ses fils. Elle est sans dot mais les Médicis auraient ainsi pour allié une famille florentine influente, chef de file des Gibelins, qu'il vaut mieux avoir de son côté que contre soi. Dans le roman, Cosimo tombe amoureux de la fillette et la "souffle" à son frère Lorenzo.


Ensuite vient  Lucrezia Tornabuoni (1425-1482), le lys de Florence, une érudite qui lisait couramment le latin, l'arabe et l'hébreu, excellente musicienne. Elle épousera, contre son gré, Piero I (1416-1469), le fils de Cosimo et Contessina, un homme savant et très laid,  à la santé fragile que le peuple surnommera Piero le Goutteux. De leur union naîtra Lorenzo et Julien. Si Lorenzo succèdera à son père, Julien (1453-1478), lui, fut assassiné dans la cathédrale Sainte Marie des Fleurs, victime de la conjuration des Pazzi, famille rivale qui voulait s'emparer du pouvoir à la tête de Florence en tuant les deux frères.  Lorenzo en réchappa et fit pendre les conjurés aux fenêtres de la Seigneurie.


Lorenzo de Médicis (1449_1492), dit le Magnifique, porte la gloire de Florence à son apogée. C'est le plus brillant, le plus aimé, le plus artiste de tous les Médicis. Il incarne l'homme de la Renaissance raffiné, amateur d'arts, mécène intelligent et généreux, talentueux mais c'est sous sa gestion que la fortune des Médicis va commencer à se fissurer alors que leur ascension sociale est au plus haut. Lorenzo se marie à Clarisse Orsini (1453_1487) une fille de la grande noblesse romaine.  Mais il  aime la jolie Lucrezia Donati. Le fils de Lorenzo et de  Clarisse, Piero II succèdera à son père à la tête de Florence, un autre Giovanni deviendra pape sous le nom de Léon X .




dimanche 20 janvier 2013

Un livre/ Un film : Jane Eyre de Charlotte Brontë




Résultat de l'énigme n°54
Bravo à : Aifelle, Asphodèle, Dasola, Eeguab, Keisha, Pierrot Bâton, Shelbylee, Syl.

Le roman :  Jane Eyre de Charlotte Brontë
Le film  :  Jane Eyre de Cary Fukunaga





Le roman de Charlotte Brontë, Jane Eyre est peut-être l'un de plus grands titres de la littérature anglaise du XIX siècle. Paru en 1847, sous le pseudonyme masculin de Currer Bell pour éviter de choquer la bonne société, il peut être classé par la date dans les oeuvres de l'époque victorienne qui s'appuient sur le réel et décrivent la société de leur temps. Mais il est appartient encore largement par la sensibilité, l'esprit, l'imagination et le style  au mouvement romantique.

Le récit :
Orpheline, Jane Eyre est élevée par sa tante Madame Reed qui ne l'aime pas. Enfant sensible, imaginative et fière, elle se révolte contre son cousin qui la maltraite et est envoyée en pension.
Au pensionnat de Lowood, Jane Eyre connaît brimades, humiliations, mauvais traitements. Elle voit mourir sa jeune amie Helen Bruns. Mais grâce à la sympathie d'un de ses professeurs et à  son amour de l'étude, elle acquiert une solide instruction et devient institutrice. Elle est engagée à sa majorité comme gouvernante de la petite Adèle chez le riche Edward Rochester à Thornfield Hall. Edward, tourmenté, secret, mystérieux, semble cacher un secret et une lourde peine. Il ne tarde pas à être s'intéresser à Jane qui, elle, se sent attirée par ce ténébreux personnage.


Un roman réaliste : Ce roman est largement autobiographique et s'appuie donc sur la réalité  en présentant une étude de la société. 
La pension: Charlotte Brontë a mis, en effet, beaucoup de sa vie, dans le récit de Jane Eyre. Comme Jane, Charlotte a été envoyée en pension, à l'école de Cowan Bridge, avec ses soeurs, comme elle, elle  a eu  à subir les mauvais traitements, le froid, le manque de nourriture, les punitions corporelles, la maltraitance inhérents à  ce genre d'établissement qui se proposait de sauver l'âme en matant le corps. On sait comment les soeurs aînées de Charlotte, Maria et Elizabeth, ont contracté la tuberculose et en sont mortes. Charlotte et Emily sont alors retirées du pensionnat. L'amie de Jane, Helen Burns, qui meurt de consomption sous les yeux de la petite fille, a eu pour modèle Maria. L'odieux directeur de la pension dans le roman, Monsieur Brocklehurst,  n'est autre que le Révérend Carus Wilson.  Mais c'est aussi dans un de ces pensionnats pour jeunes filles que Charlotte (comme Jane) a pu acquérir une instruction solide, basée sur l'étude de l'anglais, des langues étrangères, du latin, de l'art, du dessin et de la musique. Jane Eyre est donc bien Charlotte Brontë, institutrice, comme le fut aussi sa soeur cadette Anne.
La misère : La société du XIX siècle apparaît avec sa terrible misère. Lorsque Jane erre dans les landes et les villages après son départ de chez Rochester, elle est obligée de mendier son pain et de coucher dans la lande. Elle se voit refuser tout aide de la part de gens qui sont plus pauvres qu'elle et qui se méfient des mendiants comme des voleurs, la misère conduisant souvent de l'un à l'autre. 
La hiérarchie sociale :Nous voyons aussi la stricte hiérarchie sociale à travers la famille de Madame Reed, la tante de Jane, qui l'a recueillie par charité mais lui fait sentir sans cesse le poids de sa supériorité. 
La religion : Réalisme aussi dans l'analyse des mentalités. Jane décrit une Angleterre pliant sous le joug de la religion puritaine, qui brime le corps, va même jusqu'à lui refuser les soins nécessaires, pour fortifier l'âme. Un puritanisme qui tient en bride les sentiments, considère l'amour charnel comme secondaire  et impur par rapport à l'amour divin. C'est le discours du pasteur Saint-John qui demande à Jane de l'épouser pour le suivre dans son sacerdoce aux Indes et estime qu'elle n'est pas née pour l'amour mais pour servir.

Un roman romantique
Un roman gothique : Jane Eyre s'apparente au roman gothique anglais qui  dès la fin du XVIII siècle répond à un goût pour le sentimental et le mystère et à un engouement pour l'architecture médiévale que l'on redécouvre à l'époque. Ces écrivains, Walpole, Radcliffe, Lewis …  sont les précurseurs du romantisme. Thornfield Hall est un immense château, mystérieux, sombre et austère, situé dans un paysage désolé, au milieu de la solitude, du froid et du brouillard. Dans le roman gothique  il est peuplé d'âmes errantes, en proie au remords et au désespoir. Ici, il ne s'agit pas d'un fantôme mais d'une folle, enfermée dans une pièce secrète, gardée par une femme effrayante elle-même, dont l'antre rappelle l'antichambre de l'Enfer. Le feu, la destruction du château par l'incendie, toutes ces péripéties, participent à l'imagination débridée du romantisme. Charlotte et ses soeurs ont été marquées par les écrivains romantiques, Lord Byron ou Walter Scott…

Conception de l'amour romantique :  Dans le roman de Jane Eyre, Charlotte Brontë développe sa conception de l'amour. Il présente les critères propres au romantisme :  éternel,  l'amour  est l'union de deux êtres qui sont faits l'un pour l'autre; il résiste à l'usure du temps mais ne peut se réaliser que dans la vertu, un amour sanctifié et voulu par Dieu. Un sentiment désintéressé et si fort qu'il peut conduire à la rédemption de l'être le plus méprisable et le plus avili. C'est la cas d'Edward Rochester qui a une vie dissolue, allant de maîtresse en maîtresse, méprisant les femmes et se méprisant lui-même. Le Mal s'est emparé de lui puisqu'il s'expose à la damnation en décidant de contracter un double mariage. Lorsqu'il cherche à entraîner Jane dans sa déchéance en en faisant sa maîtresse, il perd tout sens moral car il risque de détruire ce qu'il aime dans la jeune femme,  la luminosité qui permet à Jane de préserver cette dignité qui est sa force. Il doit, par une descente aux Enfers, obtenir le pardon divin, purifier son âme  et se libérer du Mal.. Ses souffrances morales, la perte de Jane qui s'enfuit pour lui échapper s'allient à la douleur physique. Il risque sa vie pour sauver son épouse de l'incendie, frôle la mort et se retrouve infirme, diminué, mais digne de Jane.

Recours au surnaturel, au Merveilleux chrétien:  Jane  entend la voix de son Bien-aimé qui l'appelle au-delà des montagnes et il a lui aussi la même sensation. Nonobstant la distance, la voix et l'âme de ceux qui s'aiment peuvent se rejoindre.

Un roman féministe

Jane Eyre est un personnage apparemment faible. Orpheline, elle est méprisée et mal aimée par sa famille; pauvre, elle ne peut prétendre  à la considération des autres. Chez sa tante, même les servantes la traitent comme une inférieure car elles gagnent leur vie, disent-elles, mais pas Jane; sans dot, elle n'a pas droit à l'amour et au mariage. De plus, la condition de gouvernante s'accompagne souvent d'humiliations et de rebuffades.  Tout ceci va la placer tour à tour sous la coupe d'hommes qui cherchent à la dominer voire à la briser. C'est le cas du directeur de la pension qui lui inflige brimades et vexations. Ce sera ensuite Monsieur Rochester qui est son maître et à qui elle doit obéir. Il  cherche à la manipuler, ne reculant pas devant le mensonge, au risque de la compromettre, de perdre son âme et de la pousser au désespoir : il la conduit à l'autel alors qu'il est déjà marié! Plus tard, il veut faire d'elle sa maîtresse, jouant sur ses sentiments, employant tour à tour, la séduction, la colère, les pleurs. Elle tombe enfin sous la coupe du pasteur Saint-John qui exercera sur elle, grâce à son ministère, une autorité  incontestable sur son âme mais n'en cherchera pas moins à  la dominer et la forcer au mariage avec lui sous prétexte de devoir religieux. Cependant Jane parviendra à tenir tête à tous ces hommes et à gagner sa liberté. Elle possède une valeur morale, une conception de l'honneur et un sens de sa dignité qui en font une héroïne à part entière. Elle force l'admiration et représente une conception de la femme libérée du pouvoir masculin, ne rendant des comptes qu'à elle-même et en paix avec sa conscience.

Le film de Cary Fukunaga

Il s'agit d'une adaptation très proche et très respectueuse du roman et j'ai apprécié les belles images montrant ces paysages désolés, la lande interminable, déserte et inhospitalière, le château imposant et noir.  C'est très beau. En discutant avec Wens, pourtant, j'ai été d'accord avec lui pour dire que l'image est peut-être, en effet, trop sage, trop bien léchée, cherchant l'esthétisme plutôt que la vérité des passions, le bouleversement, la violence des évènements et des personnages. C'est vrai que l'errance de Jane dans la lande où elle subit la faim, la peur, la souffrance morale et physique, où elle échappe de bien peu à la mort dans un pays où la solidarité n'a pas cours est très édulcoré par rapport au roman. Le personnage de Rochester est également affadi soit par la volonté du réalisateur ou le jeu trop retenu de l'acteur, Michael Fassbender. Certes celui-ci peut faire rêver les jeunes filles romantiques mais.. il ne rend pas la violence de cet homme, son dégoût de lui-même, ses luttes intérieures, le déchirement de sa conscience face au choix qu'il a devant lui : renoncer à Jane donc au bonheur ou devenir parjure et hors la loi en l'épousant, enfin sa révolte contre Dieu qui le voue à la damnation. Par contre j'ai beaucoup aimé l'interprétation de Jane et cette force intérieure que l'actrice Mia Wasikowka parvient à faire apparaître en opposition avec sa fragilité physique.  

Jane Eyre de Robert Stevenson



De même le récit dans la pension dans le film de Cary Fukunaga manque de relief et est filmé d'une façon assez plate. Je m'en suis rendue compte en revoyant l'adaptation de Robert Stevenson avec Orson Wells et Joan Fontain  dans les rôles principaux. La scène de la pension est magiquement filmée, le style impressionniste accentuant les contrastes entre l'ombre et la lumière, entre le Bien et le Mal  lorsqu'apparaît  la petite Helen Burns (Elizabeth Taylor), symbole de la pureté et de la bonté, apportant du pain à Jane. Le film présente de très beaux passages dans ce film que je préfèrerais à celui de Cary  Fukunaga… mais à qui je reproche un manque de sobriété  encore accentué par une musique assez pompier dans les scènes tragiques.





dimanche 9 décembre 2012

Un livre/Un film : La maison Tellier, Le masque, Le modèle, de Guy de Maupassant




Résultat de l'énigme n°51
Bravo à : Aifelle, Asphodèle, Dasola, Eeguab, Gwen, Keisha,  Maggie, Miriam, Pierrot Bâton

Les trois nouvelles de Maupassant : Le masque; La Maison Tellier;  Le modèle
le film : Le Plaisir de Max Olphus



Les trois nouvelles de Maupassant réunies dans Le plaisir de Max Ophuls sont Le masque, La maison Tellier et le Modèle. Ophuls rejoint Maupassant dans les thèmes qu'il traite : Refus de vieillir, étourdissement dans le plaisir, critique sociale des bourgeois et des paysans dans leur vénération de l'argent, symbole de réussite… Mais le réalisateur se rapproche aussi de Pascal. L'influence pascalienne se fait sentir dans cette recherche du plaisir  par les personnages du film.  Puisque l'homme ne peut oublier sa condition de créature fragile, vouée au vieillissement et à la mort, il cherche à détourner son esprit de ce qui le peine, l'angoisse. C'est un comportement d'évitement. Pascal parle de divertissement! C'est pourquoi le cinéaste choisit de commencer par Le masque pour finir par Le Modèle. (voir Wens)

Le masque est l'histoire de cette homme, ancien séducteur, qui refuse de vieillir et court de bal en bal, portant sur ses traits vieillis le masque de la jeunesse. Hélas! Il a beau chercher à s'étourdir, il n'échappe pas à ce qu'il fuit, la vieillesse, la déchéance du corps et la mort semble guetter ce danseur effréné qui cherche à oublier son âge.

  

 La maison Tellier  montre aussi la vaine agitation des hommes qui cherchent dans la maison close un échappatoire. Les clients aussi bien que les filles peuvent s'étourdir dans le bal, la boisson et le sexe, ils restent tous prisonniers de leur condition.





Dans Le modèle, Max Ophuls trouve une réponse (pessimiste) à ses interrogations. Le peintre qui pousse sa femme dans un fauteuil roulant ( son ancien modèle devenue infirme par amour pour lui) ne cherche pas à fuir dans le plaisir et regarde en face la réalité. C'est peut-être cela le bonheur même s'il n'est pas gai?



                                                                     La Maison Tellier

Dans sa nouvelle La Maison Tellier, Maupassant, en client régulier, a dépeint avec talent le monde  des maisons closes et des prostituées (Boule de Suif, Yvette).
Un samedi soir à Fecamp, petit port de pêche normand, les bourgeois, clients habituels de la Maison Tellier, le bordel du lieu,  trouvent porte close. Ils sont désespérés, Madame a amené sa petite troupe de filles de joie assister à la communion de sa nièce dans l'arrière-pays, chez son frère artisan- menuisier.  Dans le village, l'arrivée de ces dames de la ville, qui font commerce de leur corps, ne choque pas les paysans. Car pour eux, tenir une maison close ou une épicerie est comparable, l'important c'est que le commerce soit rentable. Les pensionnaires de la maison close, sorties de leur univers urbain et calfeutré, sont émues par le silence et la beauté de la campagne. Lors de la cérémonie religieuse, les demoiselles de petite vertu pleurent à chaudes larmes et deviennent des nouvelles Marie-Madeleine au pied de Jésus-Christ. Leurs larmes sincères et bruyantes sont bientôt partagées par les braves paroissiens et leur curé. Après le repas de communion, vient le temps du retour. Il n'est pas question de fermer la maisonnée de  Fécamp. Les affaires sont les affaires et les notables, célibataires ou mariés, attendent avec impatience le retour de ces dames.
Maupasssant est un observateur critique et ironique de sa société. Sa principale cible est la bourgeoisie et les propriétaires terriens qui n'envisagent le monde que sur le plan de la rentabilité, tout s'achète et se vend. La respectabilité est une affaire de richesse sous le regard bienveillant de l'Eglise catholique. A travers eux, l'écrivain fustige l'hypocrisie de ces classes sociales. Si Maupassant se moque des prostituées, c'est toujours avec une certaine tendresse. Enfermées dans le bordel, comme les oiseaux dans une cage, elles n'ont qu'une fois de temps en temps la possibilité de montrer leurs sentiments.
Une nouvelle bien cruelle où Maupassant est excellent!

dimanche 19 février 2012

Un livre/ Un film : Réponse à l'énigme N°22 Maupassant, Boule de Suif





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Le prix Maupassant-Ford est attribué à  : Aifelle, Eeguab,  Jeneen,  Keisha,  Lystig,   Nanou,  Somaja
Le prix Maupassant à Maggie. Merci à tous les participant(e)s.

Le livre : Boule de Suif de Guy de Maupassant
Le film : La chevauchée fantastique de John Ford





 Guy de Maupassant appartenait au groupe des écrivains naturalistes qui se réunissaient à Médan, dans la propriété d'Emile Zola. Tous s'engagèrent à écrire une nouvelle ayant pour sujet la guerre pour un recueil collectif. Boule de Suif fut écrit en 1879 et publié dans le recueil : Les soirées de Médan en 1880. Cette nouvelle, peut-être l'une des meilleures de l'écrivain, assura la notoriété de Maupassant dans le monde des Lettres.


Guy Maupassant place l'action de Boule de Suif  à Rouen envahi par les Prussiens pendant la guerre de 1870-71. Pour échapper à l'occupation, dix personnes de milieux sociaux différents - dont une jeune prostituée, Elizabeth Rousset, surnommée Boule de Suif - se retrouvent, enfermés dans une diligence qui doit les amener jusqu'au Havre. Mais lors d'une halte dans un relais, un officier prussien donne l'ordre de retenir la voiture, avec tous ses passagers, si Boule de Suif refuse de coucher avec lui. Celle-ci, très patriote, blessée dans ses sentiments, refuse. Chaque membre de la "bonne société" va faire alors en sorte de la pousser dans les bras de l'ennemi. Mais lorsqu'elle s'exécute et que la diligence repart, elle est en butte au mépris de ces vertueux voyageurs qui ne veulent plus lui adresser la parole et refuse de partager leur repas avec elle.

Dans cette nouvelle Guy de Maupassant va se faire le petit plaisir de réunir dans un huis-clos, une diligence, tous les représentants de la société française. Il place la voiture dans un milieu hostile, la neige, les congères qui empêchent d'avancer, le froid, la guerre qui dévaste les campagnes et prive les voyageurs de nourriture, les soldats ennemis qui entretiennent la peur et prolongent le face-à face. En effet, quel autre lieu aurait pu réunir en ces temps de guerre, Mr L'Oiseau, négociant en vin, et son épouse, Mr Carré-Lamadon, propriétaire de trois filatures, et sa jeune femme, le comte et la comtesse de Bréville, deux bonnes soeurs, un Républicain démocrate et une prostituée. Un éventail complet de la société qu'il attaque d'une plume féroce. Personne n'est épargné même si, in finale, la prostituée se révèle la plus sympathique et la plus honnête!


 LES BOURGEOIS

Avant  de les réunir dans même un lieu, Maupassant avait exercé sa vindicte sur les bourgeois normands "bedonnants, émasculés par le commerce" qui laissent l'ennemi entrer dans Rouen sans réagir. Il fustige leur lâcheté mais aussi leur hypocrisie quand il pactise avec les prussiens à condition que ce ne soit pas en public.
. Et pourquoi blesser quelqu'un dont on dépendait tout à fait? Agir ainsi serait moins de la bravoure que de la témérité. - Et la témérité n'est plus un défaut des bourgeois de Rouen, comme au temps des défenses héroïques où s'illustra leur cité. - On se disait enfin, raison suprême tirée de l'urbanité française, qu'il demeurait bien permis d'être poli dans son intérieur pourvu qu'on ne se montrât pas familier, en public, avec le soldat étranger.
En fait, la seule chose capable de toucher les bourgeois, de les émouvoir sincèrement, c'est lorsque l'on s'attaque à leur argent.
Les vainqueurs exigeaient de l'argent, beaucoup d'argent. Les habitants payaient toujours; ils étaient riches d'ailleurs. Mais plus un négociant normand devient opulent et plus il souffre de tout sacrifice, de toute parcelle de sa fortune qu'il voit passer aux mains d'un autre.

Les bourgeois qui voyagent dans la voiture sont les dignes représentants de cette classe. Monsieur Loiseau est un filou qui vend ses mauvais vins à l'armée française, de plus il aime les plaisanteries salaces et se montre volontiers grivois devant les dames.
De taille exiguë, il présentait un ventre en ballon surmonté d'une face rougeaude entre deux favoris grisonnants.
Madame Loiseau est encore plus avare que lui et souffre dès qu'il est question de dépenser de l'argent.
Monsieur Carre-Lamadon, "homme considérable", est un fieffé coquin qui a compris que la politique devait lui rapporter :
 Il était resté, tout le temps de l'Empire, chef de l'opposition bienveillante, uniquement pour se faire payer plus cher son ralliement à la cause qu'il combattait avec des armes courtoises, selon sa propre expression.
Quant à sa femme, elle aime beaucoup (trop?) les militaires et l'on croit comprendre, qu'à la place de Boule de Suif, elle n'aurait pas fait la fine bouche devant le bel officier prussien.

LA NOBLESSE
Le comte et la comtesse de Bredeville sont aussi passés à la moulinette par un Maupassant en forme et brillant qui  montre avec ironie sur quoi reposent la suffisance et la prétendue supériorité de leur famille. Monsieur se vante de ressembler à Henri IV qui "avait rendu grosse une dame de Bréville, dont le mari, pour ce fait, était devenu comte et gouverneur de province.". Quant à madame, qui n'est pas d'origine noble, elle est très bien accueillie parce qu'elle a été "aimée par un des fils de Louis-Philippe". Autrement dit ces messieurs de la noblesse ont eu la bonne fortune d'être "cocufiés" par plus grands qu'eux et en ont retiré des bénéfices!

Ces  nobles et ces bourgeois que tout pourrait opposer vont pactiser car il sont tous les représentants du pouvoir conféré par l'argent : Ces six personnes formaient le fond de la voiture, le côté de la société rentée, sereine et forte, des honnêtes gens autorisés qui ont de la religion et des principes.

LA RELIGION
La religion est représentée par les deux soeurs qui égrenaient de longs chapelets en marmottant des Pater et des Ave. L'une était vieille avec une face défoncée par la petite vérole comme si elle eût reçu à bout portant une bordée de mitraille en pleine figure. L'autre, très chétive, avait une tête jolie et maladive sur une poitrine de phtisique rongée par cette foi dévorante qui fait les martyrs et les illuminés.
Jusqu'ici le trait est caricatural mais les religieuses restent en retrait et sont réservées. Le trait satirique se durcit quand il s'agit de persuader Boule de Suif de céder au commandant prussien. Lorsqu'on lui demande son avis, la plus âgée des soeurs va trouver  des arguments :
Alors, soit par une de ces ententes tacites, de ces complaisances voilées, où excelle quiconque porte un habit ecclésiastique, soit simplement par l'effet d'une inintelligence heureuse, d'une secourable bêtise, la vieille religieuse apporta à la conspiration un formidable appui.
Le trait satirique va très loin. Maupassant souligne qu'il ne s'agit pas du comportement propre à un seul individu mais à tous les gens d'église : "quiconque porte un habit ecclésiastique". D'autre part, la soeur à le choix entre la "inintelligence heureuse" (j'adore la formule!)  et la "complaisance voilée"!On voit que les soeurs n'échappent pas à l'hypocrisie générale et elles se comporteront par la suite avec autant de dureté, oubliant ce qu'est la charité chrétienne, laissant Boule de Suif sans repas, bouleversée, détruite par l'opprobre générale..

LE PEUPLE
Les deux personnes du peuple qui voyagent dans la diligence et que les autres considèrent avec suspicion et mépris sont-ils mieux traités par l'écrivain?
Voyons ce qu'il en est du démocrate, Cornudet, que Maupassant appelle le démoc, (le terme est déjà en lui-même méprisant), homme du peuple qui  a "mangé" la fortune héritée de son père", non pas en l'utilisant pour une cause noble mais en buvant, dans les "cafés démocratiques". (Appréciez l'alliance des mots!) On s'aperçoit vite que ses idées révolutionnaires ne sont que des paroles vaines. Cornudet est un poivrot qui n'agit pas, il reste passif et la langue acerbe de l'écrivain ne l'épargne pas plus que les autres :
...il attendait impatiemment la République pour obtenir enfin la place méritée par tant de consommations révolutionnaires.


 Un film de Christian-Jaque
 Le portrait  physique  d'Elizabeth Rousset, dite Boule de Suif est aussi caricatural Petite, ronde de partout, grasse à lard, avec des doigts bouffis, étranglés aux phalanges, pareils à des chapelets de courtes saucisses... mais l'on s'aperçoit vite que la sympathie de l'auteur lui est acquise.
C'est la seule qui ait tenu tête à l'ennemi et soit obligée de partir pour se soustraire aux ennuis que lui a causé son attitude patriotique. Pour les mêmes raisons, elle refuse de céder au commandant prussien et lorsqu'elle le fait sous la pression des autres, c'est pour elle un sacrifice. D'ailleurs, elle sent honteuse et souillée. De plus, c'est la seule à montrer de la générosité. Elle partage son déjeuner quand les autres voyageurs ont faim alors que ceux-ci refusent de lui parler et de lui donner à manger. A travers ces deux repas pris dans la diligence, le premier où elle offre ses provisions et le deuxième où les autres lui refusent les leurs, se dessinent toute l'hypocrisie des classes sociales supérieures, la cruauté et la bassesse. On sent l'écoeurement de Maupassant, son mépris. Même le prétendu démocrate, Cornudet, n'est pas en reste, qui chante la Marseillaise pour narguer la pauvre fille et la torturer plus longtemps encore que les autres. Il est vrai que ce faisant, il irrite aussi ses compagnons de voyage et se venge de leur dédain.



LA GUERRE

Le thème de la guerre est omniprésent puisque c'est à travers cette situation tragique qui bouleverse le pays que se révèle le caractère de chacun.
Et d'abord le comportement de l'armée française en guenilles, sans drapeau, ni régiment et de la garde nationale qui fusille ses propres sentinelles et " se préparant au combat quand un petit lapin remuait dans les broussailles" et qui disparaît quand l'ennemis arrive. Rodomontade, fanfaronnade, désordre, lâcheté, voilà le comportement de ceux qui sont chargés de la défense du pays.

La suite avec l'occupation allemande est une description qui nous rappelle ce qui s'est passé dans notre pays dans un passé beaucoup moins lointain

La collaboration 
La seule qui refuse la collaboration est Boule de Suif. Elle a des provisions chez elle et aurait pu nourrir des soldats chez elle mais elle ne peut pas supporter cette honte. Alors que tous les autres accueillent les prussiens à leur table et leur font  fait bonne figure
Dans beaucoup de familles, l'officier prussien mangeait à table. Il était parfois bien élevé, et, par politesse, plaignait la France, disait sa répugnance en prenant part à cette guerre. On lui était reconnaissant de ce sentiment; puis on pouvait, un jour ou l'autre, avoir besoin de sa protection.
La résistance
Mais la résistance existe qui est le fait de groupe ou d'individu isolé. Les pêcheurs ou les mariniers retrouvent parfois le cadavre d'un allemand :
Les vases du fleuve ensevelissaient ces vengeances obscures, sauvages et légitimes, héroïsmes inconnus, attaques muettes, plus périlleuses que les batailles au grand jour et sans le retentissement de la gloire.

La critique de la guerre 
La critique de la guerre est menée par les gens du peuple, les paysans en particulier.Une vieille femme constate que c'est mal de tuer son prochain mais que, pendant la guerre, on accorde le plus de médailles à celui qui en tue le plus :
"Non, voyez-vous, je ne comprendrai jamais cela!"
et tous de conclure que ce sont les pauvres gens qui souffrent  toujours le plus quelque soit leur origine, leur pays : ainsi  le soldats prussiens ça ne les amuse pas, la guerre, allez ! Je suis sûr qu'on pleure bien aussi là-bas après les hommes; et ça fournira une fameuse misère chez eux comme chez nous.
ET finalement tous désignent les mêmes coupables  : : "C'est les grands qui font la guerre. »" et ils se demandent si l'on ne devrait pas plutôt tuer tous les rois qui font ça pour leur plaisir ? »

Boule de Suif est une nouvelle extrêmement lucide et sans concession sur la société. Elle est écrite dans une langue très pure, très sobre qui fait ressortir l'ironie mordante de Maupassant avec plus d'acuité. Les descriptions de la neige, du pays gris et désert, sont très belles et servent de cadre désolé au drame qui se joue dans cet environnement hostile.
Un rideau de flocons blancs ininterrompu miroitait sans cesse en descendant vers la terre; il effaçait les formes, poudrait les choses d'une mousse de glace; et l'on n'entendait plus, dans le grand silence de la ville calme et ensevelie sous l'hiver, que ce froissement vague, innommable et flottant de la neige qui tombe, plutôt sensation que bruit, entremêlement d'atomes légers qui semblaient emplir l'espace, couvrir le monde.
Ces "gredins honnêtes", comme les nomme Maupassant, représentent une société haïssable qui n'a aucune morale mais qui se targue d'appartenir à la "bonne société", ce qui leur assure quoiqu'ils fassent - vols, escroqueries, mensonges, adultères, lâcheté, cruauté, hypocrisie, vulgarité, égoïsme, avarice - le respect de leurs pairs et le droit de piétiner ceux qui leur sont inférieurs par le rang.

John Ford  : une transposition du film dans l'ouest américain

 Ringo (John Ford) et Dallas (Claire Trevor) dans La chevauchée fantastique

 Chez Ford, dans La chevauchée fantastique, le huis-clos de la diligence révèle aussi la vérité de chacun.  On est au lendemain de la guerre de Sécession et pendant les guerres indiennes. Voir Wens

Les personnages  ne sont pas aussi noirs que ceux de Maupassant à part, peut-être, l'un d'entre eux.

La prostituée Dallas est expulsée de la ville par le shérif sous  l'impulsion de La ligue de vertu.  Elle se révèlera humaine et chaleureuse.  Elle se montrer compétente et courageuse pendant l'accouchement et l'attaque. C'est un personnage d'une grande valeur intérieure.

La jeune femme Mrs Mallory qui va accoucher est femme d'officier venue rejoindre son mari en garnison.  Elle appartient à la bonne société, a des manières aristocratiques.  Elle n'a rien de commun avec Dallas mais elle est lui reconnaissante de lui venir en aide même si elle ne peut se lier d'amitié avec elle. C'est la seule que le voyage ne ne change pas.

Ringo est une jeune cow boy, simple, naïf, qui s'est échappé d'un pénitencier pour tuer les meurtriers de son frère. C'est un être qui n'est pas corrompu, ce qui lui permet de comprendre la véritable nature de  Dallas et de l'aimer.

Le shérif Curly Wilcox, un homme bourru,  doit surveiller Ringo mais il le protège car il  sait qu'il n'est pas de taille à lutter contre les tueurs.

Hatfield, ancien officier sudiste, est devenu joueur professionnel.  Malgré ses défauts, il se comporte avec courage.

le docteur est un ivrogne. Les horreurs de la guerre de Sécession l'ont poussé à boire. Mais il va se retrouver  lorsqu'il doit faire naître le bébé.

Le palefrenier Peacock est simple d'esprit, il est poltron mais il se montre à la hauteur pendant l'accouchement et l'attaque des indiens.

 Le banquier Gatewood, un arriviste,  fuit la ville avec l'argent de la banque. Il veut abandonner la jeune femme enceinte au moment de l'accouchement. C'est le personnage le plus abject de tous, celui que Ford n'aime pas.

 John Ford est plus optimiste que Maupassant, il a une vision confiante dans la nature humaine si bien que la charge sociale est édulcorée par rapport à la nouvelle. Les hommes et les femmes peuvent avoir des défauts mais ils ne sont pas entièrement mauvais. Ils vont se sentir concernés par la naissance de l'enfant qui représente l'espoir et être régénérés par les épreuves qu'ils ont vécues.

dimanche 29 janvier 2012

Un livre, un Jeu : réponse à l'énigme n° 19 Emile Zola, Germinal

 Ont gagné le droit  de descendre dans la mine aujourd'hui (Rentabilité exigée) : Aifelle,  Asphodèle, Dasola,  Dominique, Eeguab, Gwenaelle,  Keisha, Lireaujardin, Maggie, Myriam, Nanou, Somaja.
  
 Le Livre : Germinal de Zola
Le film : Germinal de Claude Berri, Renaud

Et oui, Germinal est l'un des plus célèbres romans de Zola. C'est le deuxième que j'ai lu dans mon adolescence après Le Bonheur des Dames et il est resté depuis mon préféré. (oui, je sais, ce n'est pas très original!)

Germinal fait partie des Rougon-Macquart que Zola imagine comme une grande fresque de la société du second Empire à travers l'histoire d'une famille.  Le premier volume, La Fortune des Rougon est publié en 1871. C'est en 1877 que paraît le septième roman L'Assommoir qui raconte l'histoire de Gervaise Macquart qui "monte" à Paris pour suivre son amant Auguste Lantier. Gervaise a deux fils, Etienne et Claude Lantier. Ce dernier est le peintre raté de l'Oeuvre (1886). Gervaise épouse ensuite Coupeau et a une fille Anna Coupeau (Nana 1880).

Germinal (1885) qui est le treizième roman de la série a pour personnage principal Etienne qui se rattache par sa mère Gervaise, son frère Claude et sa demi-soeur Nana à la famille des Rougon-Macquart.

Chassé de son emploi pour avoir giflé son patron, Etienne Lantier arrive dans le Nord à Voreux et se fait embaucher à la mine. Il devient l'ami d'un mineur Maheu et est amoureux de la fille  de celui-ci, Catherine (15 ans). Mais celle-ci se donne à Chaval qui la maltraite. Une rivalité amoureuse éclate entre les deux hommes. La misère des ouvriers est telle que les restrictions de salaire imposées par les patrons provoque une révolte. Les mineurs se mettent en grève, ce qui va conduire à une tragédie.

Un roman naturaliste
Dans ce roman comme dans tous les volumes des Rougon-Macquart, Zola poursuit son oeuvre de romancier naturaliste. Le roman doit être soumis aux règles de l'investigation scientifique et allier observation et expérimentation. Il s'appuie donc sur les découvertes récentes des lois de l'hérédité pour démontrer que la psychologie n'est explicable que par la physiologie. Ainsi Etienne Lantier raconte à Catherine comment il est marqué dans son sang par l'alcoolisme de ses parents. La moindre goutte d'alcool le met hors de lui et réveille une violence incontrôlable. De plus, Zola pense que l'individu est déterminé par son milieu social : "Même notre grande étude est là, dans le travail réciproque de la société sur l'individu et de l'individu sur la société". Les enfants d'ouvriers dépourvus d'instruction et d'éducation ne peuvent échapper à ce déterminisme. La Maheude explique à Lantier à la fin du roman que Lénore et Henri, les cadets de la famille Maheu, devront attendre encore quatre ans pour aller à la mine.
 Etienne ne put retenir un geste douloureux.
"eux aussi!"
Une rougeur était montée aux joues blêmes de la Maheude tandis que ses yeux s'allumaient. Mais ses épaules s'affaissèrent, comme sous l'écrasement du destin.
" Que veux-tu? eux après les autres... Tous y ont laissé leur peau, c'est leur tour."

Un roman politique

Avec Germinal, Zola écrit un livre sur  la lutte des classes, sur l'affrontement entre bourgeois représentés par les Hennebeau et les Grégoire et les ouvriers. Zola y oppose plusieurs théories politiques qui sont représentés par des individus. Lantier représente un socialisme communautaire, basé sur la solidarité et le partage. Il est très attiré par le Marxisme et l'Internationale des travailleurs qui vient de se créer à Londres.

Mais Etienne s'enflammait. Toute une prédisposition de révolte le jetait à la lutte du travail contre le capital, dans les illusions premières de son ignorance. C'était de l'Association internationale des travailleurs qu'il s'agissait, de cette fameuse Internationale qui venait de se créer à Londres. N'y avait-il pas là un effort superbe, une campagne où la justice allait enfin triompher ? Plus de frontières, les travailleurs du monde entier se levant, s'unissant, pour assurer à l'ouvrier le pain qu'il gagne. Et quelle organisation simple et grande : en bas, la section, qui représente la commune ; puis, la fédération, qui groupe les sections d'une même province ; puis, la nation, et au-dessus, enfin, l'humanité, incarnée dans un Conseil général, où chaque nation était représentée par un secrétaire correspondant. Avant six mois, on aurait conquis la terre, on dicterait des lois aux patrons, s'ils faisaient les méchants. 
Pendant la grève et devant la violence de la répression,  il se radicalise:

Il posait que la liberté ne pouvait être obtenue que par la destruction de l'état. Puis quand les peuples se seraient emparés du gouvernement, les réformes commenceraient : retour à la commune primitive, substitution d'une famille égalitaire à la famille morale et oppressive, égalité absolue civile, politique et économique, garantie de l'indépendance individuelle grâce à la possession et au produit intégral des outils du travail, enfin instruction professionnelle et gratuite payée par la collectivité.
Face à lui, Souvarine, un russe nihiliste, incarne le militant anarchiste, qui prône la destruction et la violence. C'est lui qui sabote la mine avant de repartir.

« Des bêtises ! répéta Souvarine. Votre Karl Marx en est encore à vouloir laisser agir les forces naturelles. Pas de politique, pas de conspiration, n’est-ce pas ? tout au grand jour, et uniquement pour la hausse des salaires... Fichez-moi donc la paix, avec votre évolution ! Allumez le feu aux quatre coins des villes, fauchez les peuples, rasez tout, et quand il ne restera plus rien de ce monde pourri, peut-être en repoussera-t-il un meilleur. »

Un roman métaphorique et épique

Si le roman obéit aux règles du naturalisme, il s'en échappe aussi par la force du style de l'écrivain et son talent. Certes, les personnages obéissent à des lois scientifiques et la société est marquée par le Darwinisme qui veut que les créatures les plus fortes supplantent les plus faibles expliquant ainsi l'évolution des espèces. Mais Zola n'est pas un scientifique, c'est surtout un visionnaire et un poète. Il a l'art de faire bouger les foules, de les emporter dans un élan farouche et splendide, semblable à un magnifique tableau de la Liberté en marche à la Delacroix, qui fait lever l'espoir dans l'humanité future. Il utilise les formes épiques, l'hyperbole, l'accumulation s'élevant jusqu'à l'outrance pour peindre "la vision rouge de la révolution en marche". Il plonge le lecteur dans les clairs-obscurs des paysages miniers, les feux des brasiers rougeoyant à l'air libre dans la noirceur du ciel, découpant les formes lourdes et menaçantes de la Mine, cette abîme semblable à "une bête goulue" qui dévore ses enfants et exige son tribut de vie humaine. En véritable artiste, il joue sur le mouvement, les lumières, les couleurs, avec une dominante rouge qui évoque le sang répandu, pour donner vie, forme, dimension, grandeur à la mine, cadre à la fois réaliste mais aussi surnaturel tel le gouffre des Enfers qui "mange les hommes", tel un  "monstre..",  "une bête mauvaise gorgée de chair humaine". Et le roman se termine par cette belle métaphore de la germination qui donne son titre au roman *:

Et sous ses pieds, les coups profonds, les coups obstinés des rivelaines continuaient. Les camarades étaient tous là, il les entendait le suivre à chaque enjambée. N'était-ce pas la Maheude, sous cette pièce de betteraves, l'échine cassée, dont le souffle montait si rauque, accompagné par le ronflement du ventilateur ? A gauche, à droite, plus loin, il croyait en reconnaître d'autres, sous les blés, les haies vives, les jeunes arbres. Maintenant, en plein ciel, le soleil d'avril rayonnait dans sa gloire, échauffant la terre qui enfantait. Du flanc nourricier jaillissait la vie, les bourgeons crevaient en feuilles vertes, les champs tressaillaient de la poussée des herbes. De toutes parts, des graines se gonflaient, s'allongeaient, gerçaient la plaine, travaillées d'un besoin de chaleur et de lumière. Un débordement de sève coulait avec des voix chuchotantes, le bruit des germes s'épandait en un grand baiser. Encore, encore, de plus en plus distinctement, comme s'ils se fussent rapprochés du sol, les camarades tapaient. Aux rayons enflammés de l'astre, par cette matinée de jeunesse, c'était de cette rumeur que la campagne était grosse. Des hommes poussaient, une armée noire, vengeresse, qui germait lentement dans les sillons, grandissant pour les récoltes du siècle futur, et dont la germination allait faire bientôt éclater la terre. ... 
Ainsi le récit qui s'était ouvert sur l'arrivée d'Etienne à Voreux en plein hiver, dans la nuit et le froid, se clôt par son départ au printemps, sous le soleil, lorsque la nature s'éveille. Entre temps le personnage a fait l'apprentissage d'un métier, de la lutte des classes et de l'amour et c'est plein d'espoir qu'il repart dans la vie malgré la grève, les affrontements sanglants et la défaite que lui et les mineurs viennent d'essuyer.
* le titre est emprunté au calendrier révolutionnaire de Fabre d'Eglantine : Germinal est le  début du printemps, Avril, mois de la germination, de l'éveil de la nature

mercredi 25 janvier 2012

Invitation au romantisme : Adrien Goetz le coiffeur de Chateaubriand



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 Dominique de A sauts et à gambades ne participe pas au Challenge romantique parce que, dit-elle, elle ne veut pas de contrainte dans ses lectures. Mais lorsqu'elle écrit sur un auteur romantique, elle accepte très gentiment de nous faire partager sa découverte. Merci à elle!  Allez voir ce qu'elle écrit sur le livre d'Adrien Goetz qui aborde notre Vicomte écrivain par l'intermédiaire de son coiffeur :

 
Une petite avancée dans le temps, après le siècle des lumières voici les débuts du romantisme.
Vous avez tous admiré ce portrait de Chateaubriand par Girodet, c’est le tout début du siècle, Chateaubriand connaît la gloire littéraire.


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                                       Chateaubriand méditant sur les ruines de Rome - A L Girodet

C’est un homme magnifique et ce qu’on l’on sait moins c’est qu’il a en la personne d’Adolphe Pâques, un coiffeur à sa dévotion « Pendant les huit ans où j’ai été « Adolphe Pâque coiffeur de Chateaubriand » je n’ai pas jeté un seul de ses cheveux »

Le Vicomte avait le cheveu hirsute ? il lui fait une coiffure romantique « Je laissais après moins d’une heure, un génie à l’oeil vif, au teint frais, coiffé à la diable, les mèches souples (...) Avec moi François-René renaissait
 »  Lire la suite ICI
 

Depuis le début du Challenge Romantique, les écrivains qui sont  le plus à l'honneur et qui ont fait l'objet de plusieurs billets sont  : Chateaubriand, George Sand et Théophile Gautier, Alexandre Dumas. Viennent ensuite Goethe, Lord Byron, Victor Hugo, Emily Brontë, Gérard de Nerval puis Lamartine, Castello da Branco, Paul Féval, Walter Scott, Mary Shelley, Robert Burns Voir ICI




dimanche 22 janvier 2012

Réponse à l'énigme n° 18 : Thomas Mann, La Mort à Venise



La palme vénitienne est à décerner aujourd'hui à  : Aifelle, Dasola, Dominique, Eeguab, Jeneen, Keisha, Lystig,  Miriam, Pierrot Bâton, Nanou, Sabbio, Somaja..

Le livre  : La Mort à Venise : Thomas Mann
Le film :  Mort à Venise  Luchino Visconti : acteur Dick Bogarde


La Mort à Venise de Thomas Mann est un court roman de six chapitres (une nouvelle?) qui raconte l'histoire d'un écrivain d'âge mûr, ayant atteint une grande notoriété, August Aschenbach, dans lequel on peut reconnaître Thomas Mann lui-même.  
Le personnage aperçoit dans les rues de Munich un homme étrange, en tenue de voyage, qui lui donne immédiatement l'envie de partir. Il se rend alors à Venise où, dans un grand palace au bord de la mer, il remarque la beauté parfaite d'un adolescent polonais Tadzio en villégiature avec sa famille. Le vieil homme se perd dans la contemplation du jeune homme. Cette admiration qui n'est d'abord qu'esthétique tourne à l'obsession. L'amour qu'il éprouve pour le bel adolescent l'épouvante et lui fait honte. Autour de lui l'hôtel se vide, les rues de Venise sentent le désinfectant et les autorités qu'il interroge lui mentent et refusent de lui dire que le choléra sévit dans la ville.
Et c'est ainsi que cet homme, toujours maître de lui-même jusqu'alors, subit cette fascination funèbre qui le mène à sa fin, face à la mer, en contemplation de la Beauté que nul ne peut voir sans mourir.

Le thème majeur du livre est celui de la Beauté c'est à dire de l'Art indissolublement liée à la mort. Thomas Mann est en cela en accord avec le poète August Von Platen (1796-1835) dont il dit : "L'amour imprègne le poème en question *(...) cet amour infini, insatiable, qui débouche dans la mort, qui est la mort, car il ne trouve pas à se satisfaire sur terre, cet amour qui le frappe de bonne heure, sans rémission, et qu'il appelle "la flèche de la beauté". Et Thomas Mann cite Platen :
*Quiconque a de ses yeux contemplé la beauté
 est déjà livré à la mort,
n'est plus bon à servir sur terre,
et cependant il frémira devant la mort,
quiconque a de ses yeux contemplé la beauté.

Thomas Mann rejoint aussi Schopenhauer (qui exercé sur lui une influence majeure) et pour qui le plaisir esthétique est toujours une souffrance :
"on peut même dire que le plaisir est contre-nature car il supprime, fut-ce provisoirement, cette lutte qui est à la base de toute activité humaine".

Pour Schopenhauer, l'art n'est pas le produit du travail, de la technique ou de la raison. La beauté est uniquement perceptible "par le truchement des  sens, rien que des sens" et lorsqu'elle frappe, c'est brutalement :
"c'est le moment où la connaissance se libère du service de la Volonté où, par la même le sujet cesse d'être purement individuel pour devenir sujet de la connaissance, sans trace de Volonté. Ce sujet n’obéit plus au principe de raison pour rechercher les relations des choses; au contraire il baigne et se perd dans la contemplation sans ombre de l’objet même, dégagé de tous rapport avec les autres"

Et c'est exactement ce qu'il arrive à August Aschenbach qui est pourtant un être de raison et de devoir. Lorsque dans la première partie du récit, il aperçoit à Munich un homme étrange qui le fixe d'une manière agressive et provocante, il éprouve une envie passionnée de partir. Il lutte d'abord contre cette aspiration exaltée :  
"D'ailleurs, cette fantaisie qui venait de le prendre, si tard et si soudaine, sa raison et une maîtrise de soi à laquelle il s'était exercé depuis son jeune âge eurent vite fait de la modérer et de la mettre au point."

On peut dire que cette impulsion irraisonnée qu'il juge "frivole et contraire à son dessein" et qui se matérialise sous la forme de ce curieux voyageur est pour lui déjà l'annonce de la fin. Ce n'est pas sans raison que celui-ci lui apparaît sous le portique d'une église, "au-dessus des deux bêtes de l'Apocalypse".

Cette vision le conduit à Venise  à la rencontre de Tadzio :  
Celui-ci était d'une si parfaite beauté qu'Aschenbach en fut confondu. La pâleur, la grâce sévère de son visage encadré de boucles blondes comme le miel, son nez droit, une bouche aimable, une gravité expressive et quasi divine, tout cela fait songer à la statuaire grecque de la grande époque, et malgré leur classicité les traits avaient un charme si personnel, si unique, qu'Aschenbach ne se souvenait pas d'avoir vu ni dans la nature ni dans les musées une si parfaite réussite"

On notera que la parfaite beauté pour Aschenbach est liée aux canons de l'art classique grec; on pense au culte d'Apollon qui incarne l'équilibre, l'harmonie, la spiritualisation du désir. Mais dans le cas présent, cette contemplation va le pousser aux excès, à l'assujettissement (il suit l'enfant dans les rues de Venise, ne peut se passer de sa présence) au ridicule (il se fait teindre les cheveux et maquiller comme un Vieux Beau). En effet, comme le souligne Socrate à Phraidos dans un passage de la nouvelle, s'acheminer vers l'Esprit par la voie des sens n'est pas sans danger :  
"Car il faut que tu saches que, nous autres poètes, nous ne pouvons suivre la voie de la beauté sans qu'Eros se joigne à nous et prenne la direction (...) Tel est notre plaisir et telle est notre honte. Vois-tu maintenant qu'étant poètes nous ne pouvons être ni sages ni dignes.

Pourtant, Thomas Mann lorsqu'il écrit la nouvelle n'avait pas l'intention de raconter un amour homosexuel.
Ce que je voulais raconter à l’origine n’avait rien d’homosexuel ; c’était l’histoire du dernier amour de Goethe à soixante-dix ans, pour Ulrike von Levetzow, une jeune fille de Marienbad : Une histoire méchante, belle, grotesque, dérangeante qui est devenue La Mort à Venise.  

Mais le trouble érotique lié à cette contemplation de la beauté, en introduisant le thème de l'interdit, aggrave l'état de désordre d'Aschenbach. Dès lors la Mort est la seule issue pour lui, le sirocco qui souffle les miasmes de la lagune empestée, le choléra qui plane sur la ville avec les odeurs sinistres que la maladie colporte en sont les représentations métaphoriques.
 Le nom même du personnage porte en lui la représentation de la mort : Aschenbach signifie ruisseau de cendres et le prénom, Gustav, est celui du musicien préféré de Mann, Malher, dont il apprend la mort lorsqu'il est en train de rédiger ce livre.
Et l'on s'aperçoit que le lecteur est préparée dès le début à cette issue par deux scènes qui se rejoignent et encadrent l'action d'une façon inoubliable : dans le bateau qui l'amène à Venise, l'écrivain éprouve une forte répulsion pour l'un des passagers :
L'un des jeunes gens, un garçon à la voix pincharde qui portait avec une cravate rouge et un panama à courbe audacieuse un costume d'été jaune clair de coupe extravagante, se montrait particulièrement lancé. Mais l’ayant considéré de plus près, A. constata avec horreur qu’il avait devant lui un faux jeune homme. Nul doute, c’était un vieux beau. Sa bouche, ses yeux avaient des rides. Le carmin mat de ses joues était du fard, sa chevelure, noire sous le chapeau à ruban de couleur, une perruque ; le cou flasque laissait voir des veines gonflées ; la petite moustache retroussée et la mouche au menton étaient teintes ; les dents, que son rire découvrait en une rangée continue, fausses et faites à bon marché, et ses mains qui portaient aux deux index des bagues à camées étaient celles d’un vieillard. 

Au moment de sa mort  sur la plage, dans le transat d'où il contemple Tadzio dont il a appris le départ, August Aschenbach est devenu ce vieux Beau entre les mains de son coiffeur : 
"plus bas, là où la peau était flasque, jaune et parcheminée, il voyait paraître un carmin léger; ses lèvres tout à l'heure exsangues s'arrondissaient, prenaient un ton framboise; les rides de ses joues, de la bouche, les pattes d'oie aux tempes disparaissaient sous la crème et l'eau de jouvence... Avec des battements de coeur, Aschenbach découvrait dans la glace un adolescent en fleur."

Entre ces deux moments-clefs le personnage lucide sur lui-même analyse sa déchéance lorsqu'il poursuit Tadzio dans les rues de Venise :  
Pourtant il y avait dans son état des instants de répit et de retour partiel à la raison. Où vais-je? pensait-il consterné."

Deux autres passages aussi se répondent  : Si  Tadzio lui  est apparu  la première fois incarnant la Beauté, c'est en Ange de la mort qu'il le voit juste avant de mourir : 
Il semblait à Aschenbach que le psychagogue pâle et digne d'amour lui souriait là-bas, lui montrait le large; que, détachant la main de sa hanche, il tendait le doigt vers le lointain, et prenant les devants s'élançait comme une ombre dans le vide énorme et plein de promesses.

Enfin, une scène hallucinante (aussi bien dans le livre que dans le film de Visconti)  annonce la Mort. C'est celle où les musiciens se produisent sur la terrasse du palace. Derrière le masque qui cache le visage du chanteur avec son chant goguenard, ses ricanements frénétiques et l'odeur d'hôpital qui s'échappe de lui, se cache la personnification de la Mort dans toute sa violence et sa laideur insolente.

Un très grand roman auquel correspond un très grand film! Voir Wens

 Source: Arte