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Pas Pleurer de
Lydie Salvayre, prix Goncourt 2014, est pour moi un coup de cœur, un
de ces romans que je garderai en mémoire comme je le fais de Les
Soldats de Salamine de Javier Cercas et de Le Crayon du charpentier de Manuel
Rivas, sur le même sujet : la guerre d'Espagne qui me passionne.
Le récit
La mère de Lydie
Salvayre, Montse, a quitté l'Espagne après la victoire de Franco.
Elle a maintenant quatre-vingt dix ans, une mémoire défaillante et
elle ne se souvient plus de rien, si ce n'est de cette année 1936,
après le coup d'état de Franco, année où le peuple s'est dressé
pour défendre la liberté. Ce récit raconté par la mère à sa
fille mêle tour à tour les voix des deux femmes mais aussi celle de
l'écrivain Bernanos dont Lydie Salvayre lit Les cimetières sous
la lune.
Dire pourquoi j'ai aimé ce livre m'est
difficile car les réponses trop nombreuses se bousculent dans mon
esprit.
Des personnages authentiques
J'ai été sous le charme
de ces personnages vrais, authentiques, qui peuplent le livre de
Lydie Salvayre, en particulier de cette femme âgée qui perd la
mémoire et raconte à sa fille le seul grand moment de bonheur
qu'elle ait jamais connu, en cette année 1936 qui voit éclater la
guerre civile, alors qu'elle a 16 ans.
J'ai aimé ce va-et-vient entre le présent et le passé et cette
complicité pleine d'amour qu'il y a entre elles, mère et fille,
Montse et Lydie.
Car la vieille dame a été
cette belle jeune fille, Montse, qui nous est décrite ici, ignorante mais fière, condamnée à
la misère et à la résignation par sa seule appartenance à une
classe sociale défavorisée. Et puis d'un seul coup parce que
souffle le vent de l'Histoire, le carcan de l'oppression se fendille.
Les jeunes gens secouent le déterminisme social qui pèse sur eux,
comme le fait José, le jeune anarchiste qui entraîne sa sœur,
Montse, dans son sillage. La jeune fille découvre en arrivant à la
grande ville en effervescence que la vie est pleine d'espoir. Elle s'ouvre au bouillonnement des
idées, à la fraternité et à la solidarité et puis elle rencontre
le grand amour en la personne d'un jeune français qui va partir se battre. Mais tout cela n'a qu'un temps! Cette foi en un monde meilleur est d'autant plus
poignante qu'elle n'est qu'un mirage! Javier Cercas le dit dans Les
soldats de Salamine quand il fait parler les républicains qui
ont lutté contre la dictature et le franquisme :
De
toutes les histoires de L'Histoire, la plus triste est sans doute
celle de L'Espagne, parce qu'elle finit mal … Elle finit bien pour
ceux qui ont gagné la guerre, mais mal pour nous qui l'avions perdu!
Personne n'a eu le moindre geste, même pour nous remercier d'avoir
lutté pour la liberté. Dans tous les villages, il y a des monuments
à la mémoire des morts de la guerre. Sur combien d'entre eux
avez-vous vu figurer ne serait-ce que le nom des deux camps, faute
de mieux?
Une dénonciation des crimes
Dans ce roman, j'ai été touchée par la dénonciation passionnée, ardente et sans concession des crimes de guerre commis par les nationaux avec la bénédiction de l'église
catholique espagnole. Et je découvre ici, une facette de la personnalité de Bernanos, ce grand
bourgeois de la droite catholique qui a l'immense courage de dénoncer
l'horreur du massacre alors qu'un Claudel, lui,
se réjouit de la victoire de Franco... Un Bernanos soulevé de dégoût qui assiste en
direct, il est en Espagne au moment du coup d'état,
«à l'épuration systématique des
suspects" :
Au nom du père du Fils et du Saint Esprit, monsieur l'évêque-archevêque de Palma désigne aux justiciers, d'une main vénérable où luit l'anneau pastoral, la poitrine des mauvais pauvres. C'est Georges Bernanos qui le dit. C'est un catholique fervent qui le dit.
Deux voix différents qui se répondent
Les voix des deux femmes alternent, se répondent, se chevauchent. Celle de Montse, imagée, truffée
d'hispanismes ou de mots espagnols* car ils ont «plus
de panache» dit-elle, pleine de verve et d'humour, est
savoureuse. C'est un langage forgé de toutes pièces par la
vieille dame, pour son usage personnel, tout à fait fait la manière
de Montaigne : «et que le gascon y
arrive si le français ne peut y aller ». Un style à
sauts et à gambades, savoureux, riche, épicé, qui nous fait rire et nous émeut comme dans ce passage où la vieille dame explique sa révolte de jeune fille quand sa mère a voulu la placer comme servante chez les Burgos Obregon :
Elle a l'air bien modeste, tu comprends ce que ça veut dire? Plus doucement pour l'amour du ciel, implore ma mère qui est une femme très éclipsée. Ca veut dire que je serai une bonne bête et bien obédissante!
Seigneur Jésus, murmure ma mère, la mirade alarmée, plus bas, on va t'ouir. Et moi je grite un peu plus fort : je me fous qu'on m'ouit, je veux pas être boniche chez Les Burgos, j'aime mieux faire la pute en ville! Pour l'amour du ciel me supplique ma mère, ne dis pas de bêtises.
A cette langue populaire répond celle
classique, riche et maîtrisée de l'écrivaine qui représente le lien
entre le passé et le présent.
L'actualité du roman
Car le roman nous éclaire sur ce
que nous vivons et c'est pour cela qu'il me touche tant. Il ne peut pas être plus actuel!
En lisant Pas Pleurer
je pense à l'archevêque de Grenade qui récemment a justifié le
viol des femmes qui avortent! Je pense à tous ces religieux qui
appellent aux meurtres, à tous ces obscurantismes qui se réveillent
dans le monde. Et je me demande comment il est possible que la
religion de tout temps ait toujours été accompagnée de son
cortège d'atrocités et d'intolérance et pourquoi les églises se placent toujours du côté des puissants.
Si la guerre d'Espagne me passionne tant, c'est qu'elle est un exemple des dangers que court la démocratie et de la fragilité de la liberté. J'ai de l'empathie pour ce peuple espagnol qui s'est levé, à l'annonce du coup d'état de Franco, pour défendre la République et les valeurs qui sont aussi les miennes et qui ont été impitoyablement écrasés. Et je nous revois dans notre marche du 11 janvier 2015, à la suite des attentats en France, retrouver, l'espace d'un instant et toutes proportions gardées, les notions de solidarité et de fraternité éprouvées par Montse pendant le combat antifranquiste, en cette année 1936, dans la ville occupée par les républicains.
Si la guerre d'Espagne me passionne tant, c'est qu'elle est un exemple des dangers que court la démocratie et de la fragilité de la liberté. J'ai de l'empathie pour ce peuple espagnol qui s'est levé, à l'annonce du coup d'état de Franco, pour défendre la République et les valeurs qui sont aussi les miennes et qui ont été impitoyablement écrasés. Et je nous revois dans notre marche du 11 janvier 2015, à la suite des attentats en France, retrouver, l'espace d'un instant et toutes proportions gardées, les notions de solidarité et de fraternité éprouvées par Montse pendant le combat antifranquiste, en cette année 1936, dans la ville occupée par les républicains.
Et c'est la plus grande émotion de leur vie. Des heures inolvidables (me dit ma mère) et dont le raccord, le souvenir ne pourra jamais m'être retiré, nunca, nunca, nunca. (...)
Une ambiance impossible à décrire, impossible ma chérie, de t'en communiquer la sensation vivante pour qu'elle t'aille en plein coeur.
....les passants qui se saluent gentiment, qui se parlent gentiment, et s'embrassent sans se connaître, comme s'ils avaient compris que rien de beau ne pouvait advenir sans que tous y eussent leur part, comme si toutes les choses imbéciles que les hommes d'ordinaire s'inventent pour s'entretourmenter s'étaient pff!, volatilisés.
****
J'ai eu le même
enthousiasme pour une autre œuvre de Lydie Salvayre adaptée à la
scène La compagnie de spectres par
Zabou Breitman. VOIR ICI
****
*Par contre quand il
s'agit de phrases entièrement en espagnol, j'aurais bien aimé une
traduction en bas de la page car c'est un peu frustrant de ne pas les comprendre bien que cela n'entrave en rien la lecture du livre! Au contraire, cela donne une spontanéité et une véracité au récit de la vieille dame.