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mardi 17 décembre 2019

Elias Lönnrot : Le kalevala (2) les héros

Robert  Wilhem  Ekman Vaïnämöinen jouant du Kantele charme  animaux et humains
Le Kalevala, long poème épique que Elias Lönnrot a écrit après avoir collecté des contes et chants oraux traditionnels remontant jusqu'au XIII siècle, raconte l'histoire de quatre héros finnois, à la fois hommes et dieux, histoire qui nourrit la mémoire collective du peuple Finlandais.

Ilmatar, la déesse mère

Robert Wilhem Ekman : Ilmatar musée Ateneum Helsinki
 Vaïnämöinen est né de la Vierge Ilmartar (La fille de l’air) qui, venue se poser sur les vagues, bercée par le vent, devient enceinte. Elle porte son enfant pendant 700 ans dans son ventre. Et oui! Et cela n’a pas été facile !
Malheureuse, quelle est ma vie !
Pauvre enfant, quel est mon destin !
M'en voici réduite à ceci :
A jamais sous le ciel profond,
Je serais bercée par les vents
et ballotée au gré des vagues,
Au milieu de ces flots immenses,
Au sein de l'onde infinie.
Il aurait mieux valu pour moi
Vivre en pure Vierge de l'air
Qu'errer ainsi que je le fais,
Comme mère des vastes ondes !
Elle s'occupe, pendant ce temps, de créer la terre, avec des coquilles d'oeufs cassées  ("Six de ces oeufs étaient en or, Mais le septième était en fer") pondues par une cane (un canard, disent-ils !) venue se poser sur ses genoux.

Le bas de la coque de l'oeuf,
Fut le fondement de la terre,
Le haut de la coque de l'oeuf
Forma le firmament sublime.
Le dessus de la partie jaune
Devint le soleil rayonnant,
Le dessus de la partie blanche
fut au ciel la lune luisante;
Tout débris taché de la coque
Fut une étoile au firmament,

Pendant cette longue attente, elle peaufine son oeuvre, notre terre. Quand il naît enfin, Vaïnämöinen tombe dans la mer et il y reste encore huit ans. Enfin il gagne le rivage.

Ainsi naquit Vaïnämöinen
Apparut le barde éternel,
Enfant d’une mère divine,
Issu de la vierge Ilmatar

Les Héros

Väinämöinen le barde et son kantele


Nicolaï Kochergin  : Vaïnämöinen, le barde éternel
 
Dans Le Kalevala, Vaïnämöinen, toujours flanqué de ces épithètes homériques, le ferme et vieux Vaïnämöinen, est doté de pouvoirs magiques. Certainement, ancien dieu des eaux, devenu héros dans Le Kalevala, il est plus homme que dieu, musicien et chanteur. Il a fabriqué un instrument de musique avec des arêtes et la mâchoire d'un brochet gigantesque, le Kantelé, avec lequel il ensorcelle bêtes et humains.
Il est assimilé à Orphée. Comme lui, musicien il est revenu vivant des Enfers. Il disparaît, chassé par le Christ, et donne le Kantélé aux Finlandais qui utilisent toujours cet instrument ancestral de nos jours.
Vaïnämoïnen n’a pas de chance en amour ! Quand un blanc-bec vaniteux et outrecuidant, Joukaheinen, vient le défier au chant, le barde éternel gagne, forcément. Le jeune homme est obligé de lui promettre sa soeur Aino en mariage. Celle-ci refuse d’épouser un barbon et préfère se noyer.


Elle revenait au logis,
Trottinait dans le bosquet d'aunes
Quand vint le vieux Väinämöinen;
Il vit la vierge dans le bois,
la robe fine parmi l'herbe,
Il parla de cette façon :
Vierge, ce n'est pas pour les autres,
jeune fille, c'est pour moi seul
Que tu portes au cou des perles
Qu'une croix orne ta poitrine,
Que tes cheveux sont mis en nattes,
Noués par un ruban de soie.
La jeune fille répondit :
"Ce n'est pas pour toi, ni pour d'autres
Qu'une croix orne ma poitrine
Et qu'un ruban noue mes cheveux!
Je fais fi des beaux habits bleus,
J'aime mieux les robes étroites,
Préfère des croûtons de pain,
dans le logis de mon bon père,
Avec ma mère bien-aimée."


Plus tard, quand le ferme et vieux Vaïnämoïnen pêche un grand poisson et le laisse échapper, c'est la jeune fille qu'il perd encore une fois et sans espoir de la revoir.

Akselis Gallen kallela  : Aino échappe à Vaïnämoïnen
 
Il se rend alors chez la vieille Louhi, puissante magicienne, "patronne" du Pohjola, pour lui demander l'une de ses filles en mariage, échoue dans la conquête de la jeune fille et doit promettre pour pouvoir rentrer chez lui que son frère Le Forgeron éternel Ilmaren viendra prendre sa place pour forger le Sampo.

Mais qu'est-ce que le Sampo ?

Le Sampo

Mais qu'est-ce que le Sampo ? Il occupe un place centrale dans le récit du Kalevala. Cet objet magique, mystérieux, assure la prospérité de celui qui le détient. D'après Lönnrot, c'est un moulin qui produit un tiroir par jour de farine, un de sel et un d'or. Il est source de richesse et donc de pouvoir. Il a donné lieu à de nombreuses interprétations, coffre magique, trésor volé par les vikings, corne d'abondance, mais aussi astrolabe, boussole... J'ai lu ici, qu'il pouvait être aussi, symboliquement, le trésor de chants et de contes traditionnels réunis patiemment par Elias Lönnrot pour reconstituer l'épopée du peuple finlandais et lui rendre son identité. Trésor matériel ou spirituel, si l'on ne sait pas trop exactement ce qu'est le Sampo, tous les artistes se sont plu à l'imaginer ! Or, seul Ilmarinen est capable de forger cette pure merveille.

Le Sampo

Le Sampo

Il paraît que Sampo est un prénom largement donné en Finlande, qu'une fabrique d'allumettes porte son nom en allusion au feu qui l'a forgé, que de nombreuses marques, sociétés, entreprises, en particulier, une assurance, se nomment ainsi.
 
Le Sampo au couvercle orné

Le Forgeron éternel Ilmaren

Nicolai Kochergin : Ilmarinen, le marteleur éternel.
Ilmarinen, le forgeron éternel, est donc obligé de partir à Pojolha pour fabrique le Sampo et, lui aussi, espère bien recevoir en mariage, une des filles de Louhi, réputée pour sa beauté. Il n'y parviendra pas, du moins cette fois-ci ! Mais il réussira par la suite.

La fabrication du Sampo vue par Vainö Blomstedt

Le forgeron Ilmarinen,
Le grand marteleur éternel,
Se mit à battre le métal,
A le frapper avec prestesse,
Il forgea le fameux Sampo,
D'un côté moulin à farine,
d'un autre moulin pour le sel,
du dernier moulin à monnaie. 

 La fabrication du Sampo vue par Akseli Gallen Kallela :

Igor Boranov : le Sampo fabriqué par Ilmarinen
Pohjola devient riche grâce au Sampo, ce qui explique que lorsque Väinämöinen, Lemminkainen et Ilmaren décident de le voler, Louhi les poursuit, ivre de fureur. Transformée en griffon ou en aigle, elle attaque la barque. Le Sampo est brisé et des éclats tombent dans la mer. Vainominen  en recueillera les morceaux déposés sur la grève par les vagues et ceux-ci vont assurer à eux seuls la richesse du Kalevala. Louhi ne leur pardonnera pas et s'ensuit une guerre qui déchire les deux pays. Louhi déchaîne sur Kalevala toutes sortes de fléaux.

Vainö Blomstedt : Le vol du Sampo
Louhi et la bataille pour le Sampo vue par Igor Baranov peintre russe

 Louhi et la bataille pour le Sampo par Akselis Gallen Kallela

 

Le léger Lemminkäinen, séducteur et guerrier

Lemminkäinen et le cygne noir
 
Le léger Lemminkäinen, est aussi le superbe, le beau Kaukomieli ou encore Ahti, le gai compère, le luron aux pommettes rouges, tous ces noms et ces épithètes désignent un même personnage.
Lemminkainen a trop de succès auprès des femmes pour ne pas s'attirer des ennuis et il aime trop la guerre pour vivre en paix. Quand il épouse Kyllikki, tous deux se font une promesse : l'une de ne jamais aller s'amuser en ville, l'autre de ne plus partir à la guerre. Mais lorsque Kyllikki trahit sa promesse, Lemminkaïnen part batailler et va jusqu'à Pohjola pour demander une autre épouse à Louhi. Celle-ci lui fait subir des épreuves qu'il réussit, la dernière étant de tuer le cygne noir de Tuonela, le domaine des morts. Mais Lemminkäinen est tué et coupé en morceaux par un vieux berger jaloux et disparaît dans le fleuve noir de l'Enfer. Sa mère (telle Isis), munie d'un rateau, récupère les morceaux de son fils et reconstitue son corps et lui redonne vie en faisant appel aux dieux.
Robert William Eckmann : La mère de Lemminkäinen recueille les morceaux de son fils

Alaksi Gallen Kallela : La mère de Lemminkäinen  redonne la vie à son fils
 
Lors le léger Lemminkäinen
Regagna vite son pays
Avec sa mère bien-aimée,
Chez la fameuse vieille femme.
Je laisse à présent mon Kauko,
Notre léger Lemminkäinen,
Pour longtemps hors de mes chansons;
Je change le cours de mes vers,
Dirige en d'autres lieues mon chant,
J'entre dans une voie nouvelle.

Kullevo, le fils de Kalervo

    Akselis Gallen Kallela :  la colère de Kullervo
     
    Kullervo, le fils de Kalervo
    Le jeune garçon aux bas bleus
    La belle chevelure blonde
    La superbe chaussure en cuir...


    On remarque dans les vers précédents l'une des caractéristiques du style épique du Kalevala qui consiste à désigner les êtres selon une particularité physique, ce qui est courant dans l'épopée, mais aussi par une partie de leurs vêtements, ce qui est rare. Ici, "la superbe chaussure de cuir"  introduit une note étrange pour le lecteur étranger. Akselis Gallen Kallela le représente, à l'inverse, pieds nus, en haillons, comme l'être misérable et rejeté par tous qu'il est.
    Kullervo, le fils de Kalervo, a un destin tragique ! Son père Kalervo, en guerre contre son propre frère Untamo, est tué et sa mère, amenée en captivité chez Untamo, meurt à sa naissance. Il est recueilli comme serf à la ferme de son oncle Untamo et élevé par une nourrice qui ne lui donne aucun amour. D'une force exceptionnelle, il se révèle incapable de réussir dans n'importe quelle voie et accumule les calamités. Il est violent et sa force extraordinaire le rend dangereux. Aussi, après avoir cherché à le tuer, mais en vain, son oncle le vend au forgeron Ilmarinen. C'est ainsi que ce personnage (qui a été ajouté dans la deuxième édition du livre, en 1849) se rattache à l'épopée en rejoignant l'un des héros essentiels. Là aussi, il est inapte à tous les travaux.  Finalement, la femme de Ilmarinen lui confie la garde du troupeau. Il s'agit d'une des magnifiques filles de Louhi qu'Ilmarinen a conquise en sortant victorieux des épreuves imposées par la sorcière. L'épouse, pour se moquer de Kullervo, lui prépare son repas et glisse une pierre dans son pain. En coupant le pain, Kullervo casse son couteau, seul souvenir de son père. Sa colère est immense. Par un sortilège, il transforme ses brebis en ours et en loups et les jette contre la fermière qui est déchiquetée par les bêtes. Il s'enfuit et sa plainte s'élève dans la forêt :
    Les autres rentrent au logis,
    Regagnent leur foyer chéri;
    Le bois lugubre est ma demeure,
    La bruyère mon seul domaine,
    Mon foyer est au gré des vents,
    Mon étuve est dans les averses.
     Ne crée jamais, Dieu de bonté,
    Un enfant sans aucun appui,
    Tout à fait privé de secours,
    Sans père dans le vaste monde,
    Et surtout sans mère ici-bas,
    Comme tu m'as créé moi-même,

    Plus tard, il retrouve ses parents qui ne sont pas morts. Ceux-ci lui apprennent que sa soeur a disparu.  Kullervo, après s'être montré toujours aussi incapable de mener un travail à son terme chez ses parents, est envoyé en voyage. Il rencontre un jeune fille, la viole  et  découvre qu'elle est sa soeur. Cette dernière ne survit pas au déshonneur et se noie dans un lac. Kullevo est désavoué par sa famille. Plein de remords, il décide de venger la mort de ses parents, tue Untamo et se suicide en se jetant sur son épée.
     
    Akselis Gallen Kallela : Kullervo part en guerre
    Plus que dans les autres chants, on sent, ici, des contradictions dans le récit. Les parents sont morts puis ils ne le sont pas, puis ils meurent à nouveau. L'épouse d'Ilmaren est une ravissante jeune femme ou bien elle est une vieille mégère. Ceci nous rappelle que Le Kalevala a été construit selon des récits provenant de différentes origines et qui devaient présenter des versions différentes, ce qui arrive souvent lorsque les sources sont de tradition orale.


    Akselis Gallen Lallela : Kullervo , enfant, grave des mots sur l'écorce avec le couteau de son père.
    L'histoire de Kullervo a inspiré de nombreux artistes, des musiciens dont Sibélius qui a écrit une symphonie sur lui. Opéra, tragédie, danse, le célèbrent. Les peintres ont maintes fois illustré son histoire. Des statues de lui ornent les places dans les villes. L'ancien conte de Kullervo aurait inspiré Shakespeare pour sa tragédie d'Hamlet. Tolkien s'est inspiré de ce personnage dans son oeuvre The story of Kullervo.

    Sculptures sur un immeuble à Helsinki
    Il s'agit d'un drame d'une noirceur absolue dans lequel le héros, solitaire, mal aimé, n'apprend dans son enfance que la haine et la révolte. Il y a un passage étonnant dans le Kalevala où Elias Lönnrot commentant le destin de Kullervo donne une conception moderne de l'éducation des enfants.

    Gardez-vous bien, races futures,
    D'élever l'enfant durement
    Chez une nourrice bornée,
    Auprès d'une femme étrangère !
    Le fils durement élevé
    L'enfant bercé stupidement
    Ne devient pas intelligent,
    Ne prend pas un esprit adulte,
    Même s'il vit longtemps,
    Si son corps devient vigoureux. 


    Il nous reste à parler des dieux finlandais dans un billet : le Kalevala  3

    samedi 7 septembre 2019

    Shakespeare et Purcell : Un songe d'une nuit d'été et The fairy queen, mise en scène : Antoine Herbez

    Festival d'Avignon 2019 Obéron et Titania dans une songe d'une nuit d'été par la compagnie AH
    Obéron et Titania dans Un songe d'une nuit d'été par la compagnie AH
    Léonie, ma petite fille, 9 ans et demi, adore le théâtre et a arpenté le festival d'Avignon avec moi ce mois de Juillet 2019. C'est une festivalière assidue depuis l'âge de 18 mois.
     Voici sa critique  : Un Songe d'une nuit d'été d'après Shakespeare et The fairy queen de Purcell :

    Un songe d’une nuit d’été

    Un songe d'une nuit d'été par la compagnie AH mise en scène par Antoine Herberz
    Un songe d’une nuit d’été est une pièce de Shakespeare, mise en scène par Antoine Herbez, qui m’a vraiment beaucoup plu. Ce n’est pas que de Shakespeare mais aussi de Purcell, un musicien qui a écrit l’opéra The fairy Queen, la Reine des fées.
    Nous sommes dans une forêt où habitent la Reine des fées Titania et le Roi des fées Obéron, trois fées musiciennes et Puck le serviteur d’Obéron.
    Titania a adopté un enfant et Obéron est jaloux. C’est la guerre ! Sur l’ordre d’Obéron, Puck verse le suc d’une plante magique qui fait tomber amoureux du premier venu, sur les paupières de Titania. En ouvrant les yeux, elle devient amoureuse d’un âne mais tout se finit bien.
    Des humains sont aussi dans la forêt. Hermia, Lysandre, Demetrius et Héléna. Lysandre et Demetrius sont tous les deux amoureux de Hermia et Héléna est amoureuse de Demetrius qui ne l’aime pas.
    Toujours sur l’ordre d’Obéron, Puck doit réconcilier Démétrius et Héléna. Mais il se trompe et verse le suc sur les yeux de Lysandre puis de Démetrius qui deviennent tous les deux amoureux d’Hélèna. Du coup plus personne n’aime Hermia.
    Comment vont-ils s’en sortir ?

    La compagnie Ah interprète Un songe d'une nuit d'été au festival d'Avignon 2019

    Le roi et la reine ont de grandes capes vertes avec des fleurs dessus. Ils ont de belles couronnes en bois. On dirait vraiment un roi et une reine. Ils sont grandioses, radieux, majestueux. Les costumes sont rouge bleu,  blanc, orange, vert et marron et gris. Quand ils sont dans la forêt, les lumières sont superbes : rouge, rose, verte et bleu.
    Les chants sont très beaux et tout le monde chante magnifiquement bien.
    J’ai aimé le côté fantastique de cette histoire merveilleuse. Le côté amusant m'a beaucoup fait rire parce que les humains se bagarrent, se disputent.
    Shakespeare veut dire que les humains ne sont pas libres parce qu’ils se font contrôler par les dieux.
    J’ai adoré l’histoire, elle était enchantée! J'ai vu cette pièce deux fois.
                                                                                                                         Léonie

    Mon avis : Je suis entièrement d'accord avec ma petite fille. Ce spectacle présente beaucoup de qualités, mise en scène, costumes et interprètes. Il est agréable, amusant et mêle heureusement le texte de Shakespeare et la musique de Purcell. Bien sûr, il ne s'agit pas de la pièce complète, certains passages (Hélène et Thésée, les artisans) sont supprimés. La réflexion philosophique sur la liberté de l'homme, le déterminisme, y est abordée mais rapidement.  Les interrogations sur l'essence de l'amour et la cruauté des rapports hommes et femmes sont traités résolument sur le mode comique dans des bagarres virevoltantes, réglées comme un ballet. La pièce ainsi mise en scène permet aux enfants d'accéder plus facilement au texte du grand dramaturge anglais mais aussi à la musique baroque, réalisant le tour de force de plaire aussi bien aux petits qu'aux adultes.

              Compagnie Ah festival Avignon 2019

    • Metteur en scène : Antoine Herbez
    • Interprète(s) : Laetitia Ayrès, Ariane Brousse, Marianne Devos, Francisco Gil, Ivan Herbez, Grégory Juppin, Orianne Moretti, Maëlise Parisot, Louise Pingeot, Clément Séjourné, Maxime de Toledo, Nicolas Wattinne
    • Diffusion : Stéphanie Gamarra 06 11 09 90 50
    • Régisseuse : Cynthia Lhopitallier





    Il y a bien longtemps que ma petite fille Léonie,  sous le pseudonyme d'Apolline, n'a plus écrit de fiches de lecture.  Hélas! Elle a perdu le goût de lire !  Si vous connaissez des livres pour enfants qui pourraient produire un miracle et la faire repartir, alors donnez -moi des titres ! Merci, ils seront les bienvenus !

    mardi 13 mars 2018

    Nicolas Leskov : Lady Mabecth au village


    De Nicolas Semionovitch Leskov, écrivain russe (1831-1895), j’ai lu un roman, Le Vagabond ensorcelé et une nouvelle Lady Macbeth au village.
    C’est par cette dernière que je commencerai. Le titre parle de lui-même. Nous sommes bien dans une tragédie et Catherine Lvovna  Ismaïlov, le personnage de Leskov,  emprunte à l’héroïne shakespearienne, l’âpreté,  la violence d’une âme criminelle. Mais alors que Shakespeare plaçait la scène dans  la plus haute noblesse écossaise et que l’enjeu n’était autre que la couronne, Nicolas Leskov, lui, situe l’action au village, chez un commerçant aisé, vendeur de farine. Et au lieu d’être guidée comme lady Macbeth par l’orgueil et la soif du pouvoir, c’est par la passion amoureuse que Catherine Lvovna sera conduite. Et qui aimera-t-elle ? Non un être noble et désintéressé mais un petit dom Juan de campagne, Sergueï, « un beau gars », assez vulgaire, coureur de filles, et qui, de plus, se révèle lâche, cupide et infidèle.
    On peut donc, à priori, voir dans le titre de cette nouvelle et dans cette comparaison décalée, une intention ironique de la part de l’auteur.  Ne va-t-il pas tourner en dérision cette tragédie en la transposant ainsi dans la campagne russe ?

    Mais le lecteur est bien vite détrompé ! Mariée à un homme qu’elle n’aime pas,  sans enfants, en proie à l’ennui, Catherine va s’éprendre de Sergueï d’une passion ardente, obsessionnelle, folle, qui l’amènera au crime. Tous ceux qui font obstacle à son amour périront ! Elle a un caractère entier, sombre et vindicatif et le remords, la crainte de Dieu, rien ne la touche.  Elle n’a donc rien à envier à une Lady Macbeth, et, si leur naissance ne fait pas d’elles des égales, leurs actes  horribles, le sang dont elles sont couvertes,  les mettent au même niveau. Ainsi, nous dit Nicolas Leskov, quelle que soit la condition sociale, toutes les passions humaines sont semblables. Et même si l'ironie de Leskov affleure par moments, Amour et Thanatos restent étroitement liés.

    Le style de Nicolas Leskov est à la hauteur de cette tragédie et donne des scènes angoissantes et terrifiantes comme celle où Catherine, avec l’aide de son amant, tue l’enfant héritier de son mari, et sent pour la première fois le sien bouger dans son ventre. Ce qui n’empêche pas Leskov d’exercer son ironie sur le personnage de Sergueï, veule et superstitieux, qui s’effondre dans l’escalier en proie à la terreur et que sa maîtresse admoneste ainsi : «  Lève-toi imbécile! ». Un mélange de style très efficace. De même celle, sinistre, grandiose, où elle tue sa rivale en se précipitant avec elle dans le fleuve mais qui finit par cette comparaison un peu triviale pour une scène de tragédie : "elle se jeta sur sa victime, tel un brochet sur une truite.".

    Je ne connaissais pas Nicolas Leskov mais il a de grandes qualités d’écrivain. Je lis dans l’encyclopédie Universalis qu’il a longtemps été méconnu dans son pays pour des raisons politiques :

    « Leskov n'a pas encore la place qu'il mérite dans la littérature universelle. Par suite d'un malentendu, il fut mis en quarantaine et persécuté par les intellectuels progressistes, et les critiques de son temps firent le silence sur lui. Malgré les efforts de Gorki, qui le considérait comme un de ses maîtres et qui montra son importance, cet interdit pesa longtemps, et l'on parla rarement de Leskov en Union soviétique. Pourtant, par sa connaissance exceptionnelle de la vie russe, par la variété de ses sujets, par la richesse de sa langue, c'est un des conteurs russes les plus féconds et les plus originaux. » Ici

    Chostakovitch, compositeur russe, a repris la nouvelle de Leskov pour écrire un opéra : Lady Macbeth of Mtsensk. 





    Nicolas Leskov
    "Nicolas Sémionovitch Leskov est né à Gorokhovo, dans la province d'Orel, pays natal de Tourguéniev en 1831. Son père, fils et petit-fils de prêtre, avait acquis la noblesse personnelle dans le service civil, sa mère était de petite noblesse héréditaire, sa grand-mère d'une famille de marchands. Il porte ainsi en lui l'héritage de trois castes : clergé, noblesse, négoce et sa vie commence sous le signe de la diversité. Plus que par ses parents, il fut formé par sa grand-mère maternelle qui l'emmenait en pèlerinage dans les monastères de sa province, lui contant en route les légendes et l'histoire des pays traversés. Aux relais ou dans les couvents, il écoute d'autres récits faits par les voyageurs ou les novices. La tradition orale était toujours vivace en Russie, et l'enfant fut marqué de manière ineffaçable par cet atmosphère poétique et religieuse, par cette parole, porteuse à la fois de tradition et d'invention. Il est mêlé ainsi au peuple russe, peuple courageux, généreux, très doué, étouffé par un régime trop sévère, par le servage (c'était encore le règne de Nicolas Ier), et Leskov se prend d'un grand amour pour ces humbles aux multiples visages."  source Ici


    mercredi 15 novembre 2017

    Tarjei Vesaas : Nuit de printemps



    Quelle merveille- et ses ombelles qui tournoyaient comme des roues et comme des robes entrées dans la danse.



    Quel étrange roman que celui de Tarjei Vesaas :  Nuit de printemps  aux éditions Cambourakis en 2015 !  Etrange, car l’écrivain est le maître de l’indicible et laisse à ses lecteurs le soin d’interpréter !

    Dans Nuit de printemps, il en est ainsi car le point de vue est celui de Hallstein, un garçon rêveur, encore crédule et sous influence, qui regarde ce qui se passe autour de lui sans le comprendre vraiment. Et comme tous les personnages sont incapables de communiquer, l'adolescent sera pris dans un noeud de sentiments contradictoires et un enchevêtrement de faits inexplicables.

    Le récit

    Contrairement à certains de ses romans, Tarjei Vesaas raconte une histoire dans Nuit de printemps.  Hallstein et sa soeur bien-aimée Sissel se retrouvent seuls pour deux jours dans la maison, leurs parents étant partis à un enterrement. Sissel, 18 ans, est bien capable de s’occuper de son frère 14 ans et tous deux sont des enfants raisonnables. Oui, mais rien ne va se passer comme prévu.

    D’abord Hallstein surprend sa soeur en train d’échanger un baiser avec Tore, un voisin de son âge, puis le repousser et se disputer avec lui. La scène trouble Hallstein; il ne parvient pas à comprendre les sentiments de Sissel. Il perçoit qu'il y a chez la jeune fille une contradiction entre le langage du corps et celui de la parole. Il comprend que c’est la fin de  leur complicité, Sissel entre dans le monde adulte alors que lui n'est encore qu'un enfant. Heureusement, Hallstein à une amie imaginaire que lui seul peut voir, Gudrun et sa franche blonde, qui le réconforte avec son franc parler quand il ne va pas bien !

    Et puis survient un évènement qui entraîne le chaos : une voiture tombe en panne devant chez eux. On leur demande l’hospitalité pour Grete, une jeune femme sur le point d’accoucher. Son mari Karl est nerveux, ce qui se comprend, mais aussi violent et agressif. Et qui est cette vieille femme Kristine oubliée dans la voiture? Elle est muette et impotente mais elle parle à Hallstein, et lui fait promettre son aide; et pourquoi le mari de cette dernière se comporte-t-il aussi follement, pourquoi semble-t-il avoir peur ? Enfin, quelle surprise, quel bonheur, au milieu de cette famille impossible, Hallstein découvre Gudrun, sa Gudrun avec sa frange blonde !

     Je ne vous en dis pas plus mais sachez que tout semble déraper, n’avoir aucun sens. Il  n'y a, entre tous ces êtres, aucune possibilité de se parler, de s’écouter et donc de s’entendre. Hallstein est pris dans un tourbillon d’urgence et de folie, balloté de l’un à l’autre. L’amoureux de Sissel, Tore, quant à lui, n’est pas plus raisonnable, il erre toute la nuit dans la forêt.

    Une  nuit de printemps

    Une nuit de printemps, pas celle de Shakespeare, non, mais celle de Tarjei Vesaas ! Une nuit ou l’amour, la haine, la mort mais aussi avec la naissance du bébé, la vie, sont au rendez-vous !
    Une nuit de printemps - et c'est aussi ce qui me fait penser à Shakespeare- où la nature est présente, où elle offre un refuge à ceux qui en ont besoin, où sa beauté lumineuse, en cette saison en Norvège,  est enivrante.

    L'incommunicabilité entre les êtres

    Ce que j’admire dans Tareji Vesaas, c’est cet art de ne pas dire les choses, de les suggérer, de les faire sentir à travers un geste, un début de phrase qui s’interrompt, un regard, un pli du visage. Il y a quelque chose de douloureux dans cette incommunicabilité entre les êtres.
    L'adolescent qui se trouve pris dans cet engrenage a une innocence qui devrait le disposer à souffrir. Mais il a Gudrun, l'incarnation de ses rêves dans la réalité,  et sa propre force qui lui donnent la sensation d’avancer et l’on sent qu’il en sort plus mûr, plus fort. Nul doute que cette nuit de printemps ouvre pour lui une brèche d'où échapper au monde de l'enfance. Elle lui laissera un souvenir indélébile.



     Tarjei Vesaas est né à Vinje dans le Télémark, au sud de la Norvège, en 1897, et mort en 1970, à quelques kilomètres de la ferme familiale. Le chant de la terre, de la vie paysanne, l’exaltation de la vie, l’enfance et sa psychologie, comptent parmi les thèmes majeurs de son œuvre. Le Palais de Glace a reçu en 1963 le grand prix du Conseil Nordique et il est, avec Les Oiseaux, l’un des romans les plus emblématiques de l’art de Vesaas. Avec Nuit de printemps, publié en 1954, Tarjei Vesaas rompt avec cette ambiance romanesque que certains critiques contemporains lui ont souvent reprochée : des récits à la temporalité suspendue et dépourvue d’action. Texte éditions Cambourakis ici


    Lecture commune avec Margotte dans le cadre du challenge littéraire nordique



    Voir le beau billet, très complet de :  Erik 35 dans Babelio   ici