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vendredi 18 novembre 2016

Londres : Exposition Georgia O’Keeffe à la Tate Modern


Georgia O'Keeffe : Abstraction white rose Tate Modern 2017 exposition Londres
Georgia O'Keeffe : Abstraction white rose (1927)

Splendide exposition que celle de Georgia O’ Keeffe à la Tate Modern  à Londres qui a eu lieu du 6 Juillet au 30 Octobre 2016. Elle permet de voir toute l’étendue du talent de Georgia O’Keeffe considérée comme l’un des plus grands peintres américains, son évolution, et aussi les rapports  étroits qu’elle entretient avec la photographie, en particulier avec l’oeuvre de Alfred Stieglitz, son mari. Si je continue à aimer particulièrement ses fleurs, j’ai été heureuse de découvrir ses paysages urbains de New York, ses paysages de désert et ses montagnes sculptées par la couleur du New-Mexique.

 L'abstraction

Grey Line with Black, Blue and Yellow (1923)

Le début de l'exposition montre l'intérêt de Georgia O' Keeffe pour l'abstraction dès sa première exposition en 1917 dans la célèbre galerie d'avant-garde new-yorkaise d'Alfred Stieglitz  lorsqu’elle était encore professeur d’art en Virginie et au Texas. Elle s'intéresse à la synesthésie, correspondances entre le son, la forme et la couleur qui traduisent les sentiments qu'elle éprouve en écoutant de la musique.
Dès 1918, à New York,  c’est le début de ses fleurs d’abstraction qui lui valent de la part de la critique d‘être appréciée pour ses qualités « féminines » et pour  l’érotisme de ses oeuvres que l’on cherche à interpréter par la psychanalyse. Une appréciation qu'elle juge réductrice, condescendante et qui d'ailleurs fait scandale comme si son oeuvre avait un double sens, une ambiguïté. Elle s’agace et s’insurge : « Si les gens voient des symboles érotiques dans mes peintures, c’est leur affaire ».

Georgia O'Keeffe  : Green and blue music Tate Modern exposition de Londres 2017
Georgia O'Keeffe  : Green and blue music (1919-1921)
 Même si l'on voit dans les fleurs de Georgia O'Keeffe la représentation de l'appareil génital féminin,  ce qui d'ailleurs n'enlève rien à la beauté de ce qui est représenté, il est certain qu'elles ont pour elle d'autres significations. Green and blue music est un travail sur le rythme, le mouvement et traduit la musique en images.

 Influence de la photographie : New York

Photographie de Albert Stieglitz

Avec Stieglitz et ses amis, elle fait connaissance avec l’art photographique et un échange fructueux va se former entre les deux artistes, entre la peinture et la photographie.

Georgia O'Keeffe : Radiator Building-Night Tate Modern exposition Londres 2017
 Georgia O'Keeffe :Radiator Building-Night

Elle décide alors de peindre New York dès 1925 stimulée par la grandeur de la ville, des gratte-ciel,  et tout ce qui rend cette cité hors norme.

New York Street with Moon :  Georgia O'Keeffe  Tate Modern expostion 2017
New York Street with Moon :  Georgia O'Keeffe

Elle ne changera de thème qu' après le crash de 1929 qui met fin à l’utopie américaine.

 Les fleurs

Georgia O'Keeffe : Oriental Poppies 1937 exposition Tate Modern Londres
George O' Keeffe : Oriental Poppies 1937

Elle reprend le thème de la fleur car, dit-elle « personne ne regarde une fleur, -vraiment- c’est si petit- Nous n’avons pas le temps… »
Elle la peint avec réalisme, cherchant à échapper à ceux qui y voient une allusion anatomique.  Son observation précise, minutieuse et son interprétation démesurément grossie, donnent au spectateur l’impression de pénétrer dans un univers étrange, magique où celui-qui regarde devient minuscule. De même que l'Alice de Lewis Caroll, qui ne cesse de rétrécir ou de grandir, on est est amené à comprendre la relativité de toutes choses. La peinture de ces fleurs nous donnent un regard neuf. Nous ne pouvons plus voir la nature de la même façon.

Georgia O' Keeffe : Two Calla Lilies on Pink Tate Moerd, exposition Londres 1017
Georgia O' Keeffe : Two Calla Lilies on Pink (1928)

Georgia O'keeffe : Jimson Weed/White Flower No. 1, 1932 Tate Modern Londres
Georgia O'Keeffe : Black iris III 1926 Tate Modern exposition 2017
Georgia O'Keeffe : Black iris III 1926

 Le Nouveau-Mexique : une nouvelle source d'inspiration

Georgia O'Keeffe  : Black mesa landscape exposition Tate Modern Londres
Georgia O'Keeffe  : Black mesa landscape
Ce sont ensuite des séjours répétés au Nouveau-Mexique où elle se sent chez elle et où elle s’installera définitivement en 1949. Le paysages du Nouveau Mexique, le désert, les crânes d’animaux, les montagnes rouges sont les sujets de ces peintures. Elle est fascinée par la culture des peuples amérindiens du sud-ouest dont elle peint les objets rituels.

Georgia O'Keeffe : From the fareway, Nearby 1937

Georgia O'Keeffe : Black cross with Star and Blue Londres expositions 2017
Georgia O'Keeffe : Black cross with Star and Blue



  Georgia O' Keeffe par Alfred Stieglitz
Georgia O' Keeffe par Alfred Stieglitz


Georgia O'Keeffe, née le 15 novembre 1887 à Sun Prairie, dans le Wisconsin, et morte le 6 mars 1986 à Santa Fe, Nouveau-Mexique, est une peintre américaine considérée comme une des peintres modernistes majeures du XXᵉ siècle.

jeudi 17 novembre 2016

John Keats : La Belle dame sans merci

Peintres préraphaélites  : Frank Dicksee (1902) La Belle dame sans merci (musée de Bristol)
Frank Dicksee (1902) La Belle dame sans merci (musée de Bristol)

La Tate Britain à Londres et le musée de la ville de Bristol présentent de nombreux tableaux préraphaélites. L’un d’eux à Bristol illustre le poème de Keats, poète romantique : La belle dame sans merci.

John Keats, poète romantique, a trouvé son inspiration dans un poème du Moyen-âge d'Alain Chartier paru en 1424 qui développe un thème traditionnel : celui de la femme belle mais impitoyable qui enchaîne l’homme dans un amour sans retour puis l’abandonne, à tout jamais absent de lui-même.

Le thème de la Belle dame sans merci apparaît souvent  au cours des siècles dans la littérature et la  peinture, en particulier des préraphaélites. Ces peintres s’inspirent, en effet, du patrimoine littéraire notamment du Moyen-âge en puisant dans les vieilles légendes, dans les récits traditionnels, centres d’intérêt qu’ils partagent avec les romantiques.

La belle dame sans merci de Keats s’inscrit donc bien dans le mouvement romantique dans la mesure où il met le moyen-âge à l’honneur avec son chevalier en armes, errant pâle et solitaire dans un paysage qui incarne l’hiver des sentiments et préfigure la mort. Le chevalier est asservi à sa dame et il lui doit fidélité et dévotion. Mais l’amour et de la mort sont étroitement liés puisque au moment même où le chevalier semble pouvoir accéder à la concrétisation charnelle de l’amour, la mort apparaît avec la vision des spectres. La souffrance, l’amour éthéré et éternel sont des thèmes éminemment romantiques.

Je me faisais la réflexion que la belle dame sans merci dans notre monde actuel avait pour avatar la femme fatale des romans et des films noirs, tout aussi dangereuse pour l’homme puisqu’elle le conduit inexorablement à sa perte.
Et si l’on pousse plus loin, Eve, en tentant Adam et en le faisant chasser du paradis terrestre, ne serait-elle pas la première femme fatale et sans merci de l’humanité? C’est ce qu’ont toujours pensé les grands de l’église dont la misogynie était sans égale.
La faute des femmes, toujours, je vous dis !

Arthur Hughes : La belle dame sans merci
























Ah! qui peut te faire souffrir, chevalier en armes
Errant pâle et solitaire !
Les joncs sont desséchés au bord du lac,
Aucun oiseau n'y chante.

Ah! qui peut te faire souffrir, chevalier en armes
Si farouche et si malheureux?
Le grenier de l'écureuil est rempli,
Et la moisson est rentrée.

Je vois un lis sur ton front
Avec la moiteur de l'agonie et la rosée de la fièvre ;
Et sur la joue une rose qui se flétrit
Et se fane de même rapidement -

J'ai rencontré une dame, dans les prés,
D'une grande beauté - la fille d'une fée ; -
Ses cheveux étaient longs, ses pieds légers
Et ses yeux sauvages.


Frank Dicksee (1902) détail

Je tressai une guirlande pour sa tête,
Puis des bracelets et une ceinture qui embaumait ;
Elle me regardait comme si elle m'aimait
Et poussa un doux gémissement.

Je l'assis sur mon coursier paisible
Et ne vis rien d'autre tout le long du jour ;
Car elle se penchait de côté et chantait
Une chanson de fée.

Elle trouva pour moi des racines d'un goût exquis,
Du miel sauvage et la manne de la rosée ;
Et sûrement en langage étrange elle me dit :
Je t'aime véritablement.

Waterhouse : La Belle dame sans merci
























Elle m'entraîna dans sa grotte d'elfe ;
Là, me contemplant, elle poussa un profond soupir :
Là, je fermai ses yeux sauvages et éperdus
De quatre baisers.

Et là, en me berçant, elle m'endormit
Et là, je rêvai, ah ! Malheur véritable !
Le dernier rêve que j'aie jamais rêvé,
Sur le flanc de la froide colline.

Henry Meynel























Je vis des rois pâles et des princes aussi,
De pâles guerriers - tous avaient la pâleur de la mort,
Et criaient : "La Belle Dame Sans Merci
Te tient en servage !"

Je vis leurs lèvres affamées, dans les ténèbres,
Grandes ouvertes pour me donner cet horrible avertissement ;
Et je m'éveillai et me retrouvai ici,
Sur le flanc de la froide colline.

Et voilà pourquoi je reste ici
Errant pâle et solitaire :
Bien que les joncs soient desséchés au bord du lac,
Et qu'aucun oiseau ne chante.

Les préraphaélites à la Tate Britain

Mariana de Sir John Everett Millais
"Le XIXe siècle anglais est dominé dans la peinture, par l’Académie Royale qui définit ce que doit être l’art et à quoi il doit ressembler. En 1848 un groupe de jeunes peintres remettent en question les principes enseignés et forment la Confrérie préraphaélite avec l’intention de revenir à une peinture plus proche de la nature, non formatée et en quête de perfection tant au niveau de la forme que de l’expression.

La peinture est enseignée sur le modèle classique italien dans lequel le peintre Raphaël fait figure de référence. Lorsque trois peintres décident de former un groupe portant le nom de préraphaélite, ils affirment leur volonté de revenir aux styles antérieurs à la renaissance classique : le gothique, pour sa pureté spirituelle qu’ils considèrent comme perdu à leur époque, et les styles primitifs flamand et italien de la première renaissance pour leur représentation réaliste de la nature.

Le groupe initial se forme autour des fondateurs John Everett Millais, William Hunt et Dante Gabriel Rossetti. Même si l’inspiration leur vient du passé, leur démarche est avant tout avant-gardiste et politiquement contestataire. La tradition et l’esprit victorien font figure de modèle à ne pas suivre. Leur style d’un extrême réalisme est souvent créé d’après nature, l’invention récente du tube de peinture leur permettant de sortir de l’atelier et de peindre en plein air. L’habitude de peindre en extérieur sera reprise par le groupe français qui donnera bientôt naissance au mouvement impressionniste."
  ( Histoire de l'art voir la suite ici)

John William Waterhouse : Sainte Eulalia (1885)

Goerges Frederic Watts : Hope (1866)
Edward Coley Burne Jones : Love and the Pilgrim de Burne Jones (1896_97)
L'annonciation de Dante Gabriel Rossetti (1849_50)
Arthur Hughes : April Love

Henri Wallis : Chatterton (1856)

William Hollmann Hunt : Our english coast

Préraphaélites du musée de Bristol 


Dante Gabiel Rossetti : Louisa Ruth Herbert


John Everett Millais :  The bride of Lammermoor

Wens devant le tableau de Lucy de Lammemoor

Wens (du blog En effeuillant le chrysanthème), pour les intimes Francis, et pour Asphodèle Wensounet, exprime ce qu'il pense des préraphaélites ! Il ne lui manque que la parole!

 I met a lady in the meads

Walter T. Crane : La belle dame sans merci (1865)

Et pour ceux qui veulent lire le texte en anglais :

O what can ail thee, knight-at-arms,
Alone and palely loitering?
The sedge has withered from the lake,
And no birds sing.

O what can ail thee, knight-at-arms,
So haggard and so woe-begone?
The squirrel’s granary is full,
And the harvest’s done.

I see a lily on thy brow,
With anguish moist and fever-dew,
And on thy cheeks a fading rose
Fast withereth too.

I met a lady in the meads,
Full beautiful, a fairy’s child;
Her hair was long, her foot was light,
And her eyes were wild.

I made a garland for her head,
And bracelets too, and fragrant zone;
She looked at me as she did love,
And made sweet moan

I set her on my pacing steed,
And nothing else saw all day long,
For sidelong would she bend, and sing
A faery’s song.

She found me roots of relish sweet,
And honey wild, and manna-dew,
And sure in language strange she said—
‘I love thee true’.

She took me to her Elfin grot,
And there she wept and sighed full sore,
And there I shut her wild, wild eyes
With kisses four.

And there she lullèd me asleep,
And there I dreamed—Ah! woe betide!—
The latest dream I ever dreamt
On the cold hill side.

I saw pale kings and princes too,
Pale warriors, death-pale were they all;
They cried—‘La Belle Dame sans Merci
Hath thee in thrall!’

I saw their starved lips in the gloam,
With horrid warning gapèd wide,
And I awoke and found me here,
On the cold hill’s side.

And this is why I sojourn here,
Alone and palely loitering,
Though the sedge is withered from the lake,
And no birds sing.




dimanche 23 octobre 2016

Plus d'ordinateur !


L'escamoteur de Jérôme Bosch

Je serai absente de mon blog pendant quelques temps car je me suis fait voler mon ordinateur lors de mon voyage....  et ma kindle et mes livres ! Plus de Yaak Valley Montana ou de Cymbeline bilingue de Shakespeare !

Pour la LC Juliette Drouet, je viendrai vous lire dès que possible. Pour la LC de Virginia Woolf je publierai mon billet au début novembre et je viendrai vous voir quand j'en aurai l'occasion.


Alors à bientôt!

jeudi 6 octobre 2016

Victor Hugo : Mazeppa et Marcus Malte dans Le Garçon

Mazeppa :  Eugène Delacroix

Dans Le Garçon, un roman de la rentrée littéraire 2016 que je vous présenterai bientôt, Marcus Malte développe un thème, lié à un poème de Victor Hugo, celui d’un héros légendaire nommé Mazeppa.
 Dans la première version du poème Mazeppa dans Les Orientales Victor Hugo ouvre le récit par ces vers :

Ainsi quand Mazeppa, qui rugit et qui pleure
A vu ses bras, ses pieds, ses flancs qu'un sabre effleure, 

Tous ses membres liés 

Sur un fougueux cheval, nourri d'herbes marines,

                                         Qui fume, et fait jaillir le feu de ses narines 

                                                              Et le feu de ses pieds.  
                                                                                         
Le coursier galopant furieusement, emporte le héros dans une course que rien ne semble pouvoir interrompre.

 Ils vont. Dans les vallons comme un orage ils passent, 

Comme ces ouragans qui dans les monts s'entassent, 

Comme un globe de feu; 

Puis déjà ne sont plus qu'un point noir dans la brume, 

Puis s'effacent dans l'air comme un flocon d'écume 

Au vaste océan bleu.


Ils vont. L'espace est grand. Dans le désert immense, 

Dans l'horizon sans fin qui toujours recommence, 

Ils se plongent tous deux. 

Leur course comme un vol les emporte, et grands chênes, 

Villes et tours, monts noirs liés en longues chaînes, 

Tout chancelle autour d'eux.

Mais son destin tragique qui paraît le vouer à une mort certaine …

Voilà l'infortuné gisant, nu, misérable, 

Tout tacheté de sang, plus rouge que l'érable 

Dans la saison des fleurs. 

… se transforme pourtant et contre toute attente en grandeur. Ce n’est pas la mort qui attend Mazeppa mais la gloire ! L'homme n'est pas maître de son destin, il lui est impossible de déchiffrer son avenir.

Sa sauvage grandeur naîtra de son supplice. 

Un jour, des vieux hetmans il ceindra la pelisse, 

Grand à œil ébloui;
 
Et quand il passera, ces peuples de la tente, 

Prosternés, enverront la fanfare éclatante 

Bondir autour de lui !

Le personnage de Marcus Malte, appelé le garçon, en ce début du XXième siècle, rappelle le héros de Hugo. Une  automobile conduite par Emma accroche et renverse sa roulotte et le blesse gravement à la tête, le précipitant dans le coma. De même que Mazeppa, lorsque le jeune homme revient à la vie, il connaît, lui orphelin, seul et pauvre, ce qu’il n’a jamais eu jusqu’alors, un foyer, un père, un grand amour, Emma, et la musique comme un splendide cadeau. Après avoir été misérable, il est comblé. Ce n'est pourtant pas la gloire qu'il acquiert mais le bonheur.
L’allusion à Mazeppa revient ensuite dans Le Garçon au moment de la déclaration de guerre en 1914. Sans patronyme jusque là puisqu’il est un enfant sauvage, le personnage prend officiellement le nom de Mazeppa pour partir se battre, à l’instigation d’Emma qui veut forcer le destin et faire en sorte que celui qu’elle aime revienne vivant.

Mais qui est Mazeppa?

Portrait de Ivan Stepanovitch Mazeppa
Portrait de Ivan Stepanovitch Mazeppa
Mais qui est Mazeppa, pourquoi est-il attaché à un cheval, comment échappe-t-il à la mort et comment s’élève-t-il aux honneurs suprêmes?
C’est Voltaire qui nous conte le premier l’histoire d’Ivan Stepanovitch Mazepa, personnage historique, page du roi de Pologne, Jean II Casimir Vasa, qui devint prince d’Ukraine.
«  Celui qui remplissait alors cette place était un gentilhomme polonais, nommé Mazeppa, né dans le palatinat de Podolie ; il avait été élevé page de Jean-Casimir, et avait pris à sa cour quelque teinture des belles-lettres. Une intrigue qu’il eut dans sa jeunesse avec la femme d’un gentilhomme polonais, ayant été découverte, le mari le fit lier tout nu sur un cheval farouche, et le laissa aller en cet état.
Le cheval, qui était du pays de l’Ukraine, y retourna, et y porta Mazeppa, demi-mort de fatigue et de faim. Quelques paysans le secoururent : il resta longtemps parmi eux, et se signala dans plusieurs courses contre les Tartares. La supériorité de ses lumières lui donna une grande considération parmi les Cosaques ; sa réputation, s’augmentant de jour en jour, obligea le czar à le faire prince de l’Ukraine. »
(Voltaire, Histoire de Charles XII)

La popularité de ce héros 

Louis Boulanger (1827) Mazeppa est condamné pour adultère à être attaché à un cheval
Louis Boulanger (1827)

La littérature

La littérature s’empare du héros ukrainien. Mazeppa est le trente quatrième poème des Orientales publié en 1829 par Victor Hugo quelques années après celui de Byron en 1819 qu'il avait lu et qui l'influença. Pouchkine parle aussi de Mazeppa dans Poltava, récit de la bataille où le héros qui a osé s’attaquer au Tsar, Pierre Le Grand, subit une défaite.
Le poème de Hugo présente deux partie. La première, citée ci-dessus, décrit la chevauchée du coursier et de Mazeppa attaché sur son dos et décrit la sauvagerie du suuplice, les souffrances endurées
Dans la seconde version le poète s’adresse directement à l’animal en le tutoyant,

En vain il lutte, hélas ! tu bondis, tu l'emportes
 
Hors du monde réel, dont tu brises les portes 

Avec tes pieds d'acier !

Tu franchis avec lui déserts, cimes chenues 

Des vieux monts, et les mers, et, par delà les nues, 

De sombres régions; 

Et mille impurs esprits que ta course réveille
 
Autour du voyageur, insolente merveille,
 
Pressent leurs légions.

Ces strophes d’un lyrisme flamboyant évoque non plus un simple cheval mais une bête fantastique, un pégase animé par Dieu, qui s’élève jusqu’à la Création, au-delà du monde terrestre. Le héros s'élève ainsi au-dessus de la nature humaine. Il vole, nouvel Icare, il s'approche de Dieu. Hugo brode ici autour d'un thème qui lui est cher, celui du mythe du Génie et en particulier du Poète, visionnaire, inspiré par Dieu et qui conduit les foules. Mythe typiquement romantique, on pense aussi au Moïse, "puissant et solitaire" de Vigny ou au Pélican qui nourrit ses enfants de sa chair de Musset. Cependant l'image d'Icare introduit celle de la chute.

Il traverse d'un vol, sur tes ailes de flamme, 

Tous les champs du possible, et les mondes de l'âme;
 
Boit au fleuve éternel; 

Dans la nuit orageuse ou la nuit étoilée, 

Sa chevelure, aux crins des comètes mêlée, 

Flamboie au front du ciel.

Les six lunes d'Herschel, l'anneau du vieux Saturne,
 
Le pôle, arrondissant une aurore nocturne 

Sur son front boréal, 

Il voit tout; et pour lui ton vol, que rien ne lasse, 

De ce monde sans borne à chaque instant déplace 

L'horizon idéal.

Et c’est par un procédé stylistique saisissant, déjà utilisé dans La Légende des siècles (« le lendemain Ameyrillot prit la ville ») que Victor Hugo clôt le poème. Une fin très courte, d’un seul vers « et se relève roi! » crée un décalage par rapport aux longues strophes descriptives qui précèdent.

L’extraordinaire destin de Mazeppa est ainsi mis en valeur par le hiatus, je dirai même la béance qui existe entre la longueur et la brièveté, entre ce qu’il était et ce qu’il devient..

Il crie épouvanté, tu poursuis implacable. 

Pâle, épuisé, béant, sous ton vol qui l'accable 

Il ploie avec effroi; 

Chaque pas que tu fais semble creuser sa tombe. 

Enfin le terme arrive... il court, il vole, il tombe, 

Et se relève roi !

La musique

Mazeppa de Liszt pinaiste Denis Kozhukhin

La musique : Mazeppa est aussi la quatrième étude en ré mineur du recueil Les Douze études d'exécution transcendante de Liszt. Elle a été composée entre 1826 et 1852 et est réputée pour sa grande difficulté. Liszt a retenu trois éléments de cette histoire :
la course folle sur le dos du cheval ; la chute qui semble annoncer la mort ; le réveil et le triomphe
C’est l’étude que joue Emma au garçon lorsque celui-ci se réveille :
Il y a de par le monde tout au plus quarante virtuoses capables d'interpréter cette pièce. Elle (Emma) n'en fait pas partie. 
Le pauvre cheval harassé est contraint à une cadence infernale, il s'emballe, et le calvaire du cavalier se poursuit dans des cascades d'octaves, dans des déferlements de tierces et de quartes, et son martyre augmente à l'aune de la beauté qu'il engendre.
Tchaïkowsky, lui, s'inspirant du Poltava de Pouckine écrit un opéra intitulé Mazeppa

L'art

Mazeppa de  Théodore Gericault (1820) romantisme
Mazeppa de  Théodore Gericault (1820)
Nombreux sont aussi les grands peintres romantiques, les illustrateurs, les sculpteurs qui se passionnent pour ce héros.  Pour le romantisme français : Delacroix, Gericault, Vernet, Boulanger, Chassériau... Le mythe perdure tout au long du XIX siècle mais aussi dans les oeuvres contemporaines.

Mazeppa Horace Vernet  (1826) musée Calvet Avignon
Mazeppa Horace Vernet  (1826)

Mazeppa Horace Vernet (1820)
Theodore Chasseariau Mazeppa 1851
Théodore Chassériau  : Mazeppa (1851)

Mazeppa : Nicolas Lieberich (1857)

Rian Keller : Mazeppa (2012)

 
Mazeppa Patrice Mesnier artiste contameporain ICI
Bartabas : Film de  Mazeppa (Clément Marty) 1993

 

Un héros romantique 

Mazeppa Anonyme 1830
 Les auteurs, les peintres, les musiciens romantiques, on le voit, se sont passionnés pour Mazeppa. Pourquoi? En quoi est-il représentatif du héros romantique?
Il s’agit d’un homme qui est né au bas de l’échelle (Mazeppa est noble, certes, mais d’une famille pauvre et il commence à la cour de Pologne comme page) et son ascension fulgurante jusqu'au titre de prince d’Ukraine en est d’autant plus frappante. Nous avons vu que Victor Hugo en faisait avec le cheval volant le mythe du poète placé au-dessus de la foule pour la guider. D'une manière plus générale, il incarne pour les romantiques le héros proscrit, le rebelle mais qui parvient à s’élever au sommet comme Ruy Blas ou Gwinplaine. D’autre part, alors qu’il est marqué par le fatum et doit mourir il parvient à y échapper, pourquoi? Parce que c'est un homme hors du commun, parce qu'il est l'égal ou le protégé des Dieux. Ce contraste vertigineux frappe l’imagination romantique.
Une autre caractéristique de  Mazeppa, c’est sa démesure. Il  devient chef (hetman) des cosaques, prince d’Ukraine, mais ne se contente pas de ce qu’il a.  Son hybris, car la démesure romantique rejoint ici le thème grec de l’orgueil, le pousse à vouloir se hisser encore plus haut, à tenir tête au Tsar, Pierre le Grand. Il en sera puni. Victor Hugo n'a pas retenu cet aspect du héros au contraire de Pouchkine qui en décrivant la bataille de Poltava montre l'échec du Hetman. Marcus Malte lui aussi ne s'est intéressé qu'à la première partie du mythe, celui du marginal, du démuni, qui finit par trouver une place dans la société. Mais si le garçon n'est jamais dans l'orgueil et la démesure comme le sera Mazeppa, il est par contre marqué par le destin. Pour lui, le bonheur est de faible durée et chaque fois qu'il est heureux, survient un évènement tragique. Il est marqué par la fatalité comme tout héros romantique à moins que ce ne soit par le pessimisme de son auteur?

Voir le poème intégral ICI 

 Ce livre Le Garçon de Marcus Malte aux éditions Zulma  participe aux matchs de la rentrée littéraire 2016. Merci à Price Minister.




Et comme vous le voyez, voici le retour de la poésie du jeudi d'Asphodèle. Merci à elle d'avoir renoué avec ce rendez-vous !