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samedi 11 mars 2017

Donna Leon : Requiem pour une cité du verre



Tassini, veilleur de nuit dans une verrerie, est obsédé par les déchets toxiques que les entreprises locales rejettent dans les eaux de Venise. Une pollution qui serait responsable, selon lui, du handicap de sa petite fille. Un matin, Tassini est retrouvé mort devant l'un des fours de l'usine maudite. La thèse de l'accident ne satisfait pourtant pas le commissaire Brunetti. 

L'île de Murano

Née dans le New Jersey, Donna Leon vit depuis plus de vingt ans à Venise. Requiem pour une cité de verre est la quinzième enquête qui met en scène le commissaire Brunetti. (quatrième de couverture)

Murano
Requiem pour une cité du verre est un roman policier assez classique avec une enquête bien menée par le commissaire Brunetti et dont le grand intérêt est comme chaque fois Venise ! Donna Leon s'intéresse plus particulièrement ici à Murano et aux dangers que font courir à Venise les déchets toxiques qui se déversent dans la lagune. Ces préoccupations écologiques concernent  l'industrie du verre extrêmement polluante, désormais réglementée et contrôlée. Mais pas seulement ! Il est question aussi de Marghera, le port commercial et industriel de Venise, qui est une menace permanente non seulement pour l'environnement mais aussi pour Venise et ses habitants du fait de la présence d'hydro-carburants et de produits chimiques. C'est l'activité de Marghera qui contrecarre tous les projets de sauvegarde de la cité. Le livre est donc une dénonciation de cet état de fait et nous montre le côté sombre de Venise.

La cristalleria Murano
J'ai donc beaucoup aimé ce roman et ceci d'autant plus qu'il nous fait pénétrer dans une Fornace et assister à la fabrication de l'objet en verre, au savoir-faire du maestro, aux différentes étapes de la fabrication et du traitement des déchets.
J'aime bien aussi le commissaire Brunetti qui reste toujours très humain, en empathie avec les pauvres gens de notre siècle, pas beaucoup mieux que ceux du XIX si j'en crois Donna Leon, ces ouvriers exploités qui ne semblent pas avoir de protections sociales solides et peuvent être renvoyés par les patrons s'ils ne peuvent plus travailler.

Quelques extraits à commenter

Murano
Le retour du printemps était aussi synonyme du retour des touristes dans la ville et, avec eux, du bazar habituel; c'est ainsi que la migration des gnous attire les chacals et les hyènes. Les Roumains, champions du bonneteau, s'installaient sur les ponts, d'où leurs sentinelles surveillaient l'arrivée de la police.

 Voilà  qui fait plaisir lorsque, comme moi, on revient de Venise ! Etre comparé à un gnou n'a rien de bien glorieux ! Quant aux chacals et aux hyènes, ce sont les Roumains... Mais Donna Leon est-elle autre chose qu'un gnou sédentarisé?

Etant donné que les chinois n'ont pas encore inventé le verre, répondit-elle sur le ton ironique qu'on réservait pour parler de la manie des Chinois de Venise tout acheter - en tout cas, pas le verre vénitien - ....

En effet, les Chinois rachètent tout à Venise, en particulier les magasins. Et s'ils ne s'intéressent pas aux fabriques elles-mêmes, c'est parce qu'ils font fabriquer les verres de "Murano"... en Chine !  Il n'est plus question du savoir faire ancestral du verrier de Murano, ni du verre filé, pièce unique fabriquée à la main. Les boutiques tenues par des Chinois proposent des prix cassés, des "soldes" à longueur d'année, qui mettent en péril l'artisanat de l'île. Cela donne aussi à Venise une autre coloration, moins brillante. Il reste encore quelques belles vitrines mais elles voisinent désormais avec d'autres bon marché. Il est peut-être agréable aux touristes d'acheter une famille de verre filé entre 3 et 5€ mais ce n'est pas du Murano et cela n'en a pas la finesse!
 
 En effet, le procès intenté au complexe pétrochimique de Maghera pour pollution de la terre, de l'air et de l'eau de la lagune traînait depuis des années. Tout le monde le savait, en Vénétie, comme tout le monde savait qu'il allait encore traîner de nombreuses années - jusqu'à ce qu'il y ait prescription  et que son âme soit reléguée dans les limbes ou vont les affaires judiciaires en coma dépassé.

Toujours la même vieille histoire ! Dès qu'il y a conflit entre les intérêts économiques et la santé des habitants, la beauté de l'art et la valeur inestimable du patrimoine, on sait qui va l'emporter !


jeudi 9 mars 2017

Venise au temps du Carnaval (11) : Haikus pour Venise


Pour la poésie du Jeudi, Asphodèle nous a demandé d'écrire des haïkus. Alors, j'ai choisi le thème de Venise ! Après tout, c'est une joie du voyage que de pouvoir le prolonger par l'écrit et les images.

Carnaval de Venise

 


Chimères absurdes
Le carnaval de Venise
Jette bas le masque.


Bauta* moretta*
Que cachez-vous sous le masque?
Un mystère vain.


Dames étoilées
D’or et d’orgueil consumées
Dominos de soie.


  Corbeau lugubre.
*Ton bec et ton collier d'aulx,
                                                                            Proies de la mort noire.         
        

Fantômes brillants
Aux plumages d’aigle noir
Le regard au loin.


Ombres du passé
Trois masques enrubannés
Bedaines remplies


Primevera douce
 Aux couleurs du temps, tes fleurs,
Leurs reflets dans l’eau.


Hautaine et sereine
Le marbre blanc de ton masque
Belle en robe bleue.


Reine de la nuit
Ton sourire m’ébaubit
Lune carnaval


Masque de violettes
Au carnaval de Venise
Ton regard rieur.

* La  Bauta était la tenue favorite des vénitiens. C'est une cape noire pourvue d'un capuchon ou d'un masque. 
*La Moretta est un masque noir  féminin de forme ovale qui ne couvre pas tout le visage.
* Les médecins portaient ce masque en forme de bec et un collier d'épices (ail, piment...)  autour du cou pour se protéger de la peste.

 Lagune

Nuages de brume.
Sur les canaux de Venise
Un bateau-mouette.


Silhouette d’ombre
Dame* noire, dame grise,
Tes pieds noyés d’eau.



Gouttes d’émeraude
                           Diamants scintillants, pluie d'or,           
Eau empoisonnée.


Toxique et létale
Venise Vénus étale
son dos chamarré.


*Dama (dame) : Trois pali (poteaux) surmontés d'un autre palo, s'appellent une dame (Dama) et indiquent l'entrée ou la fin d'un canal.

Venise

Dragons terrassés
Un lion ailé. S'envole
Le ciel étoilé.

Venise Sirène
Figure de proue. Fière.
Mosaïques d’or.


         Gondole au long cou 

Tu glisses aux murs écaillés

 Tes six dents dressées.








mardi 7 mars 2017

Venise au temps du Carnaval (10) : Tancredi Parmeggiani

Tancredi Parmeggiani : Composition
L’exposition Tancredi Parmeggiani  (1927-1964) dit Tancredi qui a lieu jusqu’au 13 mars à la fondation Guggenheim à Venise s’intitule, selon une déclaration de l’artiste en 1962 en réponse à la guerre du Vietnam, celle d’Algérie et la guerre froide entre URSS et USA.  : Mon arme contre la bombe atomique est un brin d’herbe.



Trityptique : Hiroshima (1962)


Tancredi a fait ses études aux Beaux-Arts de Venise. Il a connu Peggy Guggenheim dans les années 1950 et celle-ci lance sa carrière (comme elle l’a fait pour Jackson Pollock) en lui donnant une résidence dans son palais et en le faisant connaître au cours de nombreuses expositions à Milan, Turin, Paris.
Tancredi
Ce qui frappe dans la rétrospective, c’est la succession de styles différents comme si l’artiste recevait une multitude d’influences mais qu’il se les appropriait à une vitesse record, en faisant chaque fois quelque chose de très personnel, d’abouti! Puis,  repartant déjà vers d’autres horizons ! Le magazine « Le curieux des arts » le surnomme « le météorite de la peinture », ce qui lui va bien ! Il faut dire qu’il est mort à l’âge de 37 ans et l’on ne peut savoir quel aurait été le style de sa maturité ou s'il aurait continué ses recherches en toute liberté.  En fait, il représente un condensé de l’évolution de l’art contemporain du XX siècle.

Les premières oeuvres sont des portraits et autoportraits.  Puis viennent ses oeuvres des années 1950 où l'on sent tour à tour l'influence du pointillisme, de Pollock, du Futurisme mais toujours avec une touche très personnelle, une oeuvre tout en mouvement,  animée d'un dynamisme qui semble toujours nous entraîner dans son sillage coloré. Incroyable sensation de vie, d'animation,  d'être au centre d'une gigantesque fourmilière ou pris dans le tourbillon des astres.  L'impression aussi d'un total désordre  qui s'inscrit dans un ordre rigoureux.
Tancredi Parmeggiani : Primevera (1951)
Tancredi :  Spazio, Acqua, Natura, Spectacolo (1958)
Tancredi : Sans titre (Composition)  1957)
Et puis au cours de ces années 50, il adopte une autre manière, tout à lui, avec des figures géométriques, carreaux  rouges ou bruns, qui semblent se diluer comme effacés dans l'eau : toute sa série : Proposition pour Venise illustre ce thème.
A proposito di venezia (1955)
Tancredi : Citta (1954)
Tableaux qui aboutissent à cette extraordinaire peinture blanche où l'oeil devine en transparence, cachés dans la brume, comme derrière une vitre embuée ou une pellicule de glace, des édifices partiellement écroulés.
Tancredi : Sans titre (a propos de l'eau) 1958_50
J'ai adoré cette peinture qui paraît irréelle. Et la technique?  Comment parvenir à faire voir au-delà? Comment rendre cet aspect translucide qui laisse seulement deviner les formes, cette opalescence immatérielle qui s'accompagne de mystère? Et pourtant tout est là, l'eau de la lagune que l'on peut imaginer peinte au petit matin,  et, derrière, les formes fantasmagoriques des palais vénitiens. Evidemment, réduit à la taille d'une petite photographie, ce magnifique tableau, je le suppose, ne vous dira rien !


Enfin entre 1963-64 , peu avant son suicide en 1964,  il se tourne vers une nouvelle expérimentation, peintures et collages qu'il intitule : Diari paesani Fleurs 101% peintes par moi et par les autres où les couleurs vibrent, célébrant la nature, où la joie de vivre semble exploser.



Tancredi Parmeggiani est paraît-il peu connu en France. Quel dommage qu'il n'y ait pas plus d'expositions sur lui chez nous !

lundi 6 mars 2017

Venise au temps du Carnaval (9) : Le cimetière San Michele et Chateaubriand

Le cimetière San Michele

Le masque de la journée


Vendredi 24 février : la tradition d'un masque par jour  pour la petite Léonie continue.

 Venise : Le cimetière Saint Michel et Chateaubriand

  Vous allez dire que c'est une idée un peu étrange d'aller visiter le cimetière San Michele en plein carnaval de Venise mais il y  déjà très longtemps que j'ai envie de voir ce lieu mythique et de plus, ma photographe de fille, voulait y chercher l'inspiration. Et oui, car à Venise même la mort emprunte la voie de l'eau. Jadis, on y accédait en gondole funéraire, le prêtre se tenait à l'arrière, derrière le gondolier de poupe, dans un silence recueilli. Aujourd'hui l'on s'y rend en bateau à moteur.

Le trajet en vaporetto de la Piazzale Roma, en passant par le canal qui traverse le beau quartier du Cannaregio, le Fondamento Novo jusqu'au cimetière, met déjà dans l'ambiance avec cette brume qui  voile tous les édifices et donne à la lagune des teintes étranges bigarrées de toutes les nuances du vert. Et puis, se rapprochant peu à peu, les murailles en brique rose qui entourent l'île San Michele, apparaissent.

  L'île a servi de prison comme nous l'indique Chateaubriand à propos de Sylvio Pellico. Elle est devenue le cimetière de la ville sur l'ordre de Napoléon au début du XIX siècle. L'église San Michele avec son joli cloître a été construite dans les années 1470 par Codussi.

Cloître de l'église San Michele
Si la partie moderne du cimetière avec ces caveaux à étages manque de charme, il y a beaucoup de nostalgie dans les parties anciennes, verdoyantes avec ses cyprès et ses magnolias, avec ces tombes toutes simples, couvertes de mousse, et qui semblent faire corps avec la terre.

Soldats morts à la guerre de 1914
 Les lions de pierre semblent garder la grille d'entrée.

Lions du cimetière Sans Michele
Des chapelles croulant sous le lierre cachent des mosaïques colorées. 

Mosaïque chapelle du cimetière San Michele

Mosaïque chapelle du cimetière San Michele
Nous avons trouvé la tombe de Igor Stravinsky et celle de Diaghilev, toutes deux ornées de chaussons de danse que les intempéries malmènent et noircissent.

Tombe de Diaghilev

Tombe de Igor Stravinsky

Sur l'une des tombes, la photographie d'une jeune fille de 19 ans, danseuse, moins célèbre que ses illustres aînés... Une paire de chaussons que ses proches ont recouverte d'une couche dorée est posée sur la pierre et incline à la mélancolie. D'ailleurs, l'humidité qui règne dans le cimetière et la nostalgie liée à tous ces visages qui nous regardent dans leur médaillon, surtout ceux des enfants disparus si tôt, me donnent envie de fuir.
Je me retrouve ainsi dans le dilemme qui se pose aux voyageurs :  Venise est-elle cette ville moribonde qui s'enfonce peu à peu dans l'eau et paraît vouée à la mort et à la mélancolie, la ville de Thomas Mann et de Visconti ? Philippe Sollers dans son dictionnaire amoureux de Venise cite Chateaubriand :
"Venise ! Nos destins ont été pareils, mes songes s'évanouissent à mesure que vos palais s'écroulent; les heures de mon printemps sont noircies comme les arabesques dont le faîte de vos monuments sont ornés. Mais vous périssez à votre insu; moi je sais mes ruines.... Le vent qui souffle sur une tête à demi dépouillée ne vient d'aucun rivage heureux."   
Mais Sollers conclut ainsi : "Cent soixante-dix ans après ce requiem, on aurait presque honte d'être aujourd'hui pleinement heureux en train d'écrire et qui plus est avec une femme que l'on aime, à Venise. Mais la honte n'est pas au programme de notre philosophie.

... ou bien une cité gaie, active, dont les habitants aiment à s'amuser et à rire.

Les peintres, de Girgiono à Titien, de Pierre Longhi à Tiepolo; les musiciens de Monteverdi, qui célèbre les amours scandaleuses de Néron et de Poppée, à Vivaldi qui fait frémir les violons comme des peaux au soleil; les écrivains de Goldoni à Gozzi, qui fournissaient aux scènes de théâtre des comédies étincelantes, sans craindre les sujets lestes : tous ont exalté a satiété ce plaisir de vivre, cette joie des corps. Comparez la peinture florentine linéaire, maigre, austère à la peinture vénitienne, à ces Vénus plantureuses et fruitées, et vous comprendrez tout de suite pourquoi Diaghilev et Stravinsky, ces princes de la sensualité triomphante, ont voulu être enterrés dans l'île de San Michele, à portée de cloches de la basilique San Marco. (Dominique Fernandez préface culture guides Venise)

Nous voilà à nouveau dans le vaporetto, lieu solide et réel, en route vers le sestiere du Cannaregio et ses petits canaux pittoresques.

Chateaubriand :  Quatrième partie des Mémoires d'Outre-tombe Livre VI
Venise, septembre 1833.

Nous sommes allés voir cet autre champ qui attend le grand laboureur. Saint-Michel de Murano est un riant monastère avec une église élégante, des portiques et un cloître blanc. Des fenêtres du couvent on aperçoit, par-dessus les portiques, les lagunes et Venise ; un jardin rempli de fleurs va rejoindre le gazon dont l’engrais se prépare encore sous la peau fraîche d’une jeune fille. Cette charmante retraite est abandonnée à des Franciscains ; elle conviendrait mieux à des religieuses chantant comme les petites élèves des Scuole de Rousseau. « Heureuses celles, dit Manzoni, qui ont pris le voile saint avant d’avoir arrêté leurs yeux sur le front d’un homme ! »
Donnez-moi là, je vous prie, une cellule pour achever mes Mémoires.
Fra Paolo est inhumé à l’entrée de l’église ; ce chercheur de bruit doit être bien furieux du silence qui l’environne.
Pellico, condamné à mort, fut déposé à Saint-Michel avant d’être transporté à la forteresse du Spielberg. Le président du tribunal où comparut Pellico remplace le poète à Saint-Michel ; il est enseveli dans le cloître ; il ne sortira pas, lui, de cette prison.
Non loin de la tombe du magistrat, est celle d’une femme étrangère mariée à l’âge de vingt-deux ans, au mois de janvier ; elle décéda au mois de février suivant. Elle ne voulut pas aller au-delà de la lune de miel ; l’épitaphe porte : Ci revedremo. Si c’était vrai !
Arrière ce doute, arrière la pensée qu’aucune angoisse ne déchire le néant ! Athée, quand la mort vous enfoncera ses ongles au cœur, qui sait si dans le dernier moment de connaissance, avant la destruction du moi, vous n’éprouverez pas une atrocité de douleur capable de remplir l’éternité, une immensité de souffrance dont l’être humain ne peut avoir l’idée dans les bornes circonscrites du temps ? Ah ! oui, ci revedremo.