Pages

Affichage des articles dont le libellé est Nouvelles. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Nouvelles. Afficher tous les articles

mardi 15 décembre 2020

Jane Austen et Honoré de Balzac : Orgueil et préjugé et La femme abandonnée

Portrait (controversé) de Jane Austen à l'âge de douze ans
 

A quelques années de distance en France et en Angleterre, Jane Austen et Honoré de Balzac présentent leur vision de la société provinciale. Balzac décrit la petite noblesse normande, ancré dans une ville, Bayeux, une noblesse imbue de ses privilèges, convaincue de sa supériorité mais bien éloignée de la brillante noblesse parisienne. Austen est le peintre de la "gentry" anglaise rurale, dont la rente reste attachée à ses propriétés terriennes. La France de Balzac est très ancré dans ce début du XIX avec la restauration de la monarchie alors que Jane Austen  tout en présentant les mutations de la société liées à son époque est encore tournée vers le XVIII siècle. L'histoire respective de leur pays, les écarts entre les époques, les modes de vie, les séparent. Pourtant les deux textes ont de grandes ressemblances quant aux moeurs de la société. En voilà deux extraits, l’un de La femme abandonnée de Balzac paru en 1832, l’autre de Orgueil et préjugés de Jane Austen paru en 1813 mais écrit en 1796.


 Balzac la femme abandonnée 1832

Le baron Gaston de Nueil, parisien, est obligé de s’exiler en Province, en Normandie, pour des raisons de santé.
Quand Gaston de Nueil apparut dans ce petit monde, où l’étiquette était parfaitement observée, où chaque chose de la vie s’harmonisait, où tout se trouvait mis à jour, où les valeurs nobiliaires et territoriales étaient cotées comme le sont les fonds de la Bourse à la dernière page des journaux, il avait été pesé d’avance dans les balances infaillibles de l’opinion bayeusaine. Déjà sa cousine madame de Sainte-Sevère avait dit le chiffre de sa fortune, celui de ses espérances, exhibé son arbre généalogique, vanté ses connaissances, sa politesse et sa modestie. Il reçut l’accueil auquel il devait strictement prétendre, fut accepté comme un bon gentilhomme, sans façon, parce qu’il n’avait que vingt trois ans; mais certaines jeunes personnes et quelques mères lui firent les yeux doux. Il possédait dix-huit mille livres de rente dans la vallée d’Auge, et son père devait tôt ou tard lui laisser le château de Manerville avec toutes ses dépendances. Quant à son instruction, sa valeur personnelle, à ses talents, il n‘en fut pas seulement question. Ses terres étaient bonnes et les fermages bien assurés; d’excellentes plantations y avaient été faites; les réparations et les impôts étaient à la charge des fermiers; les pommiers avaient trente-huit ans; enfin son père était en marché pour acheter deux cents arpents de bois contigus à son parc, qu’il voulait entourer de murs : aucune espérance ministérielle, aucune célébrité humaine ne pouvait lutter contre de tels avantages.

Orgueil et préjugé Jane Austen 1813

Les cinq filles de Mrs Bennett

C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie de se marier, et, si peu que l’on sache de son sentiment à cet égard, lorsqu’il arrive dans une nouvelle résidence, cette idée est si bien fixée dans l’esprit de ses voisins qu’ils le considèrent sur-le-champ comme la propriété légitime de l’une ou l’autre de leurs filles.
–Savez-vous, mon cher ami, dit un jour Mrs. Bennet à son mari, que Netherfield Park est enfin loué?
Mr. Bennet répondit qu’il l’ignorait.
–Eh bien, c’est chose faite. Je le tiens de Mrs. Long qui sort d’ici.
Mr. Bennet garda le silence.
–Vous n’avez donc pas envie de savoir qui s’y installe! s’écria sa femme impatientée.
–Vous brûlez de me le dire et je ne vois aucun inconvénient à l’apprendre.
Mrs. Bennet n’en demandait pas davantage.
–Eh bien, mon ami, à ce que dit Mrs. Long, le nouveau locataire de Netherfield serait un jeune homme très riche du nord de l’Angleterre. Il est venu lundi dernier en chaise de poste pour visiter la propriété et l’a trouvée tellement à son goût qu’il s’est immédiatement entendu avec Mr. Morris. Il doit s’y installer avant la Saint-Michel et plusieurs domestiques arrivent dès la fin de la semaine prochaine afin de mettre la maison en état.
–Comment s’appelle-t-il?
–Bingley.
–Marié ou célibataire?
–Oh! mon ami, célibataire! célibataire et très riche! Quatre ou cinq mille livres de rente! Quelle chance pour nos filles!
–Nos filles? En quoi cela les touche-t-il?
–Que vous êtes donc agaçant, mon ami! Je pense, vous le devinez bien, qu’il pourrait être un parti pour l’une d’elles.
–Est-ce dans cette intention qu’il vient s’installer ici?
–Dans cette intention! Quelle plaisanterie! Comment pouvez-vous parler ainsi?... Tout de même, il n’y aurait rien d’invraisemblable à ce qu’il s’éprenne de l’une d’elles. C’est pourquoi vous ferez bien d’aller lui rendre visite dès son arrivée.

Les similitudes entre les deux textes sont évidentes. Dans l’un comme dans l’autre, il est question d’un jeune homme riche qui s’installe en province. Il y est bien reçu mais avec une certaine indifférence par les hommes. Par contre et immédiatement, les mères et les jeunes filles sont très intéressées : « lui firent les yeux doux », et l’on s’aperçoit dans les deux cas que c’est sa richesse qui plaide en sa faveur. Personne ne connaît encore Bingley, personne ne se préoccupe de la valeur morale ou intellectuelle du baron de Nueil mais tous savent déjà le montant de ses rentes et le détail de ses propriétés. Dans La femme abandonnée, c’est la tante du jeune homme qui donne ces renseignements, dans Orgueil et préjugé, c’est une Mrs Long. Dans les deux, les commérages vont bon train et le but est le même :  le mariage de ces demoiselles avec un bon parti !

Oh! mon ami, célibataire! célibataire et très riche! Quatre ou cinq mille livres de rente! Quelle chance pour nos filles!

Certes, la sensibilité et le style de Jane Austen et Honoré de Balzac sont très éloignés l'un de l'autre mais ils sont tous les deux des observateurs perspicaces de leur société, des satiristes qui en relèvent les défauts et les faiblesses. Ils dénoncent dans les deux textes, l’avidité, le matérialisme, l’importance accordé à l’argent qui joue dans ces classes nobles ou bourgeoises un rôle prépondérant.

Balzac en tant que narrateur omniscient observe la société normande d'un point de vue extérieur. C'est en peintre et en moraliste qu'il dresse ce tableau. Dans cette nouvelle, il conserve un ton froid et détaché, presque scientifique, comme un ethnologue étudierait la vie humaine ou un entomologue celles des insectes. Il est loin, ici, de certaines descriptions qui, dans ses autres romans, lui ont valu le qualificatif de réalisme visionnaire.

Austen, en dédoublant le point de vue sous forme de dialogue entre le mari et son épouse nous donne une scène de comédie de moeurs dans laquelle s'exerce son ironie acérée, si efficace.  Après la célèbre introduction caractéristique de son style et de son esprit mordant : C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie de se marier ... Jane Austen introduit le dialogue entre Mr Bennet, esprit caustique et critique, qui feint l'indifférence et fait preuve d'une fausse naïveté : Nos filles ? En quoi cela les touche-t-il? Est-ce dans cette intention qu'il est venu ici ? et Mrs Bennet, trop sotte pour comprendre qu'il se moque d'elle, incarnant à elle seule l'étroitesse de sa classe sociale, la superficialité et le caractère intéressé. Que vous êtes donc agaçant, mon ami! Je pense, vous le devinez bien, qu’il pourrait être un parti pour l’une d’elles.

C’est aussi le statut de la femme qui y est montré. Le seul avenir des jeunes filles  est dans le mariage sinon elles restent à la charge de leur famille, parentes pauvres. Ce qui fut le cas de Jane. On connaît le mépris, voire la haine de Balzac, pour les vieilles filles ! D'autre part, si elles revendiquent leur choix et prennent un amant, elles sont mise au ban de la société comme la vicomtesse de Bauséant. D’où leur empressement à se marier et le souci constant des mères à qui incombe la chasse aux maris. Austen n’est pas romantique (même si c'est l'impression que cherchent à donner les adaptations hollywoodiennes de ses romans en affadissant ses propos ) et elle rejoint Balzac lorsqu’il faut montrer que, dans leur société, l’amour n’a aucune part dans le mariage et que seules les questions d’intérêt priment. Ainsi, dans La femme abandonnée, Gaston de Nueil est attiré par madame de Beauséant parce qu’elle a tout sacrifié à l’amour  : « Il n’avait point encore rencontré de femme dans ce monde froid où les calculs remplaçaient les sentiments, où la politesse n’était plus que des devoirs »

Dans les deux oeuvres on s'apercevra aussi que les héros de la nouvelle et du roman, tous les deux très jeunes, refusent cette vision mercantile du mariage. Gaston de Nueil est un romantique qui tombe amoureux d'une femme qu'il ne connaît pas encore parce que c'est une amoureuse, sincère, libre et indépendante bien que bafouée. Plus tard, il reniera ses sentiments de jeunesse pour obéir aux règles de la société mais sa mort prouvera qu'il avait tort.

Elizabeth Bennet a trop  d'orgueil et le sens de sa dignité pour tomber amoureuse d'un homme qui la méprise et pour vouloir l'épouser par intérêt. Comme Jane Austen, sa créatrice, elle préfère le célibat. C'est, pour elle, la raison qui prime sur les sentiments en véritable héroïne austenienne anti-romantique. Le dénouement du roman qui fait d'elle une femme amoureuse et comblée ne dément pas la vision lucide de Jane Austen sur la société, elle qui fait dire à Mrs Bennet : 

Mon enfant bien-aimée, s’écria-t-elle, je ne puis penser à autre chose. Dix mille livres de rentes, et plus encore très probablement. Cela vaut un titre.

Et finalement les deux textes se conclut de la même manière :

... aucune espérance ministérielle, aucune célébrité humaine ne pouvait lutter contre de tels avantages.


vendredi 2 octobre 2020

Troisième Bilan du challenge Jack London

 Le Konklide, pays de la ruée vers l'or décrit par Jack London (source)

Troisième bilan du challenge Jack London. Merci  à toutes  pour vos participations!

Je rappelle en quoi consiste ce challenge  :  Il s'agit de découvrir et de commenter des romans, des nouvelles et des essais de Jack London. On peut aussi lire des BD, voir des films qui sont des adaptations de ses oeuvres, et s'intéresser à sa biographie.
 
On peut s'inscrire à tout moment à ce challenge, il durera de Mars 2020 à Mars 2021; il suffit d'avoir envie de lire au moins UN livre de l'écrivain et pour les passionnés autant que vous le désirez.

  La seule contrainte est de venir mettre un lien dans mon blog pour que je puisse noter les oeuvres lues et venir vous lire. (Pour trouver la page ou déposer les liens, cliquez sur la vignette du challenge Jack London dans la colonne de droite de mon blog).

 Logos au choix à utiliser






Jack London dont nous découvrons la diversité des thèmes, récits autobiographiques, romans d'anticipation ou retour dans le passé préhistorique, aventures dans le Grand Nord au moment de la  ruée vers l'or, voyages dans les îles des mers du sud, dénonciation des bas-fonds, des prisons, dans une lutte socialiste contre la misère... Il est pourtant souvent plein de contradictions. Il peut-être raciste, persuadé de la supériorité de la "race anglo-saxonne"sur les autres, et dénoncer le colonialisme féroce des blancs. En tant que socialiste il défend les exploités, les misérables, mais il cultive l'image de l'homme fort qui survit aux faibles selon les théories de l'évolution de Spencer, et celles de Darwin.

Jack London et Charmian sur le pont du Snark

Les participants au challenge


Aifelle   Le goût des livres   

 

  

  

 

   

Claudialucia : Ma librairie

 
 
 








Electra La plume d'Electra




Martin Eden




Ingammic Book'ing


Martin Eden


Kathel : Lettres express




Contruire un feu London/Chabouté

La peste écarlate



Lilly et ses livres :

La peste écarlate

Le vagabond des étoiles

Le peuple d'en bas ou le peuple de l'abîme

Le vagabond des rails

La vallée de la lune



Maggie Mille et un classiques






Marylin Lire et merveilles

Le vagabond des étoiles

Adaptation BD Riff Reb  du Vagabond des étoiles




Miriam Carnet de voyages et notes de lectures

Une fille des neiges 

La peste écarlate

Martin Eden 

Martin Eden : le film de Pietro Marcello

Le peuple de l'abîme

Le vagabond des étoiles

Le vagabond du rail

Construire un feu

L'amour de la vie

Le talon de fer



Nathalie : chez Mark et Marcel

Le peuple de l'abîme


L'appel de la forêt

La Petite Dame de la Grande Maison


 Patrice Et si on bouquinait un peu ?







Praline : blog Pralineries

 La peste écarlate

Croc Blanc






Ta d Loi du ciné Blog de Dasola









Tania Textes et prétextes

 

mercredi 30 septembre 2020

Jack London : Le fils du loup et autres nouvelles

Le fils du loup est un recueil de nouvelles de Jack London dont l’action se situe dans le Grand Nord canadien dans le milieu des chercheurs d’or.

Le fils du loup raconte comment Scruff Mackenzie, malade de solitude, abandonne ses terrains aurifères du cercle polaire, descend le Yukon pour s’établir au campement de Forty Mile. Il a décidé de prendre femme parmi la tribu des Sticks, des indiens réputés, aux yeux des blancs colonisateurs, comme les plus féroces et les plus avides des autochtones. Il veut épouser la fille du chef Thling Tinneh, Zarinska. Il s’empresse d’abord de conquérir le coeur de la belle, offre des cadeaux somptueux au père. Mais les jeunes gens du camp soutenus par le chaman ne le voient pas d’un bon oeil. Les fils du loup, autrement dit les blancs, leur enlèvent les jeunes filles les plus belles, en âge d’être mariées. Mackenzie va alors jouer avec eux une partie serrée au cours de laquelle il ne risque rien de moins que sa peau. Il doit faire preuve pour cela de beaucoup d’habileté, de sang froid et de courage. Il lui faut non seulement montrer qu’il est le meilleur fusil en abattant un moose, se battre en duel singulier avec un colosse, mais aussi être virtuose du langage pour lutter contre le chaman afin de prouver la supériorité des fils du Loup sur les fils du Corbeau. Un combat physique autant que spirituel ! Mais la loi du Loup ne peut que triompher ! London y affirme encore une fois la suprématie des hommes de sa « race » malgré leur fragilité.
Les étoiles dansaient sous la voûte bleu comme toujours en cette période de grands froids, et les esprits du pôle traînaient leurs robes resplendissantes à travers l’étendue céleste; Mackenzie fut, un bref instant impressionné par la sauvagerie de la scène, tandis que son regard parcourait rapidement les deux haies de sapins, pour évaluer le nombre des absents. Il s’attarda sur un nouveau-né tétant par un froid de -40°! Songeant aux délicates personnes de sa race, il ne put réprimer un sourire.

Le grand Silence blanc est un récit qui m’avait marquée quand j’étais enfant, de la même façon que Croc blanc et L’appel de la forêt. Ces moments où Jack London nous fait « entendre » le silence et nous transmet tout ce qu’il a d’angoissant sont des pages d’une force et d’une beauté qui nous laissent admiratifs, gagnés par l'angoisse.
Le grand silence oppressait les voyageurs. Tout au long de l’après midi, ils cheminèrent sans prononcer un mot.
La nature dispose de mille moyens pour rappeler à l’homme qu’il est mortel : le rythme incessant des marées, le déchaînement des tempêtes, les séismes, le roulement terrifiant de l’orage ont à ce titre une grande force de conviction. mais rien n’est plus prodigieux, rien n’est plus stupéfiant que la démonstration inerte du « Grand Silence Blanc ». Tout est immobile; le ciel s’éclaircit et revêt des tons cuivrés; le moindre murmure est ressenti comme une profanation. L’homme devient alors timide et s’effraie de sa propre voix. Il prend conscience qu’il est la seule étincelle de vie dans cette immensité morte; son audace le confond; il réalise qu’il n’est rien de plus qu’un ver de terre et que son existence n’a pas de prix.


L’histoire aussi est puissante et conte comment Mason accompagné de son épouse Ruth enceinte et de son ami Malemute Kid entreprend un voyage en traîneau à travers le désert blanc et comment il mourra écrasé par un sapin. La mort est ici présenté comme une fatalité, cet arbre attendait pour chuter, le passage de Mason. C’est aussi peut-être la volonté de Dieu (même si London est athée), - ou  appelons cela le destin- qui punit l’orgueil de Mason. Celui-ci, cruel envers les chiens de traîneau a un différend avec Malemute Kid qui ne supporte pas de voir maltraiter ces bêtes. Mais il est incapable de reconnaître ses torts et ne s’excusera qu’au moment de mourir.

Les gens de Forty Miles est un récit qui contraste avec les autres. Il met en scène une dispute mémorable entre Bettles et Lon Mac Fane. Ce dernier soutenant que la glace de fond existe et Bettles affirmant le contraire. Ce différend les conduirait à un duel à mort si Malemute Kid ne s’en mêlait pas ! Il  invente un stratagème qui est soutenu par toute la communauté, le père Roubaud en tête, véritable scène de comédie  provoquant rire. 

Magnifique description de cette glace de fond *qui remonte à la surface :
Nous avons donc laissé le canot glisser au ralenti et, penché chacun d’un bord; nous avons sondé les profondeurs de l’eau étincelante.(…)
La glace de fond se formait autour de chaque caillou, de chaque rocher, comme un corail blanc. Je n’étais pas à bout de la merveille. A peine avions-nous franchi les rapides que c’est le fleuve tout entier qui se mit à ressembler à du lait et qu’une multitude de petits cercles parsemèrent la surface, comme ces gouttes de brume qui tombent du ciel au crépuscule. C’est la glace de fond qui montait. Partout où on posait les yeux, à droite et à gauche, c’était le même spectacle. Une étendue de bouillie, couleur d’opale, s’agglutinait à l’écorce de la pirogue, collait aux avirons. Ce fut la première fois que je vis ce prodige. Et je ne le reverrai peut-être jamais plus.


 A la santé de l’homme sur la piste, rassemble tous ces hommes à Forty Miles pour la fête de Noël. Au centre du récit, un homme poursuivi par la police montée canadienne, et que Malemute Kid aide à s’enfuir parce qu’il sait que c’est un homme bien.
Enfin la dernière nouvelle de ce recueil intitulée Le privilège du prêtre montre comment le père Roubaud dissuade Grace Betham, une femme maltraitée par son mari, de fuir avec un autre homme qu’elle aime. Le prêtre a ensuite des problèmes de conscience d’avoir renvoyé Grace à cette brute qui la rend malheureuse. Jack London prend ici partie pour la femme et dénonce l’hypocrisie de la morale chrétienne et l’injustice d’une société qui ne permet pas à la femme d’avoir des possessions en main propre et l’attribue à son mari, la rendant pour toujours dépendante de celui-ci !
« A elle le travail ! A lui les honneurs et l’avantage ! La loi du Nord ne reconnaissait pas à une femme le droit de posséder un ruisseau, un banc de rocher ou de quartz et de l’entourer d’une clôture. »

Dans toutes ces nouvelles, London fait preuve d’une grande virtuosité :  en narrateur, il sait tenir en haleine ses lecteurs dans des récits terribles et palpitants ; en connaisseur de la nature humaine, il dresse des portraits saisissants de ces hommes rudes et connaît les rouages qui régissent l’âme humaine; en poète, il nous fait ressentir le froid, la solitude, le silence oppressant mais aussi la beauté de ces pays sauvages où la vie n’est qu’un combat incessant.

Des personnages récurrents : une comédie humaine à la London
A travers toutes ces nouvelles, le lecteur rencontre des personnages récurrents. Soit, ils font partie intégrante du récit, soit ils y tiennent un rôle secondaire ou ils ne sont présents que  par les renseignements que donnent d’eux les autres personnages. C’est ainsi que nous apprenons ce qu’ils deviennent. Mamelute Kid  occupe la première place parmi eux : Indien, amis des blancs, ayant pris beaucoup de leurs coutumes, c’est un homme fort, un géant honnête, sage et  bon.
Dans la nouvelle Le Grand Silence blanc, Mason meurt en demandant à  son ami, Malmlute Kid, de prendre soin de Ruth, sa femme enceinte,  et de l’envoyer, elle et son enfant, aux Etats-Unis avec l’or qu’il a récolté. Nous apprenons dans Le fils du loup que cette même Ruth qui est la soeur de Zarinska,  épouse de Mackenzie, a eu un fils comme le souhaitait Mason et que Malemute Kid a tenu sa parole.  Mais c’est dans un autre récit  A la santé de l’homme sur la piste, que les hommes rassemblés à Forty Miles pour la fête de  Noël, écoute  Malemute Kid raconter le mariage mouvementé de Mason et de Ruth, union célébrée par le père Roubaud.  Sitka Charley, un indien  que l’on voit dans Les gens de Forty Miles est aussi un personnage récurrent important. C’est lui qui raconte la mort de sa femme Passuk, dans la nouvelle  Une femme de cran et il joue un rôle principal dans le récit La sagesse de la piste. Mais il y aussi des personnages plus secondaires comme Bettles dit Boit sans soif  ou Jim Belden ou l’anglais Stanley Prince, Louis Savoy, canadien français, le père Roubaud, jésuite français …
Ainsi, ces personnages récurrents relient les récits entre eux et créent un riche tissu humain qui donne une vision globale de la vie et de la société cosmopolite de ce monde de chercheurs d’or, de trappeurs,  d'ingénieurs, d'aventuriers venus de tous les pays, de langues, de religions, de mentalités et d’éducations différentes. De plus, pour le lecteur, ils deviennent des connaissances voire des amis qu’il  est heureux de retrouver au cours de ces récits qui paraissent indépendants mais ne le sont pas  !
 

* Le terme de glace de fond désigne tout type de glace immergée, attachée ou ancrée au fond, quel que soit son mode de formation. La glace de fond peut se former en milieu océanique ou en eau douce. 

 



vendredi 18 septembre 2020

Jack London : Les contes des mers du sud

Le recueil Les contes de la mer du sud de Jack London, paru en 1911, regroupe huit nouvelles dont l’écrivain a trouvé les matériaux lors d’une croisière et un séjour de deux ans dans les archipels de l’océan pacifique en 1907 autour des îles Salomon, Fidji et de la Polynésie Française.
Les titres de ces nouvelles : La graine de MacCoy, Le païen, l’Inévitable Blanc,  les Salomon, îles de la terreur, Maouki, Yah! Yah! Yah !, La maison de Mapuhi, La dent du cachalot…

Aventures…
On y retrouve la force des récits d’aventures de Jack London, inégalable conteur, que ce soit dans le récit d’effroyables tempêtes, de naufrages, de Tsunami terrifiant, mais aussi d’absence de vent, calme plat qui réduit les voiliers à l’immobilisme avec le manque d’eau et de nourriture, que ce soit avec les épidémies qui ravagent l’équipage et les passagers ou les attaques meurtrières des blancs contre les indigènes et réciproquement. On se laisse ainsi entraîner fort loin de notre quotidien, en plein océan pacifique, chez les peuples de coupeurs de têtes !
Portraits
London présente aussi une galerie de portraits d’hommes rudes, aventuriers blancs parfois sans morale ou humanité, trafiquants surtout préoccupés des profits qu’ils font en exploitant les indigènes, iliens sauvages ou cannibales qui défendent leurs territoires … Parfois au-dessus de cette humanité moyenne, certains personnages sont moralement supérieurs : le canaque Otoo, natif de Bora Bora, une des îles tahitiennes, dans Le Païen est un de ces hommes, courageux, sincère, dévoué. Il se lie d’amitié avec le narrateur :
Otoo était la bonté personnifiée. Bien qu’il mesurât six pieds de haut et fût musclé comme un gladiateur romain, il était la gentillesse et la douceur même.
S’il est païen et tient à le rester, Otoo, non seulement n’a rien à envier aux chrétiens qui veulent le convertir mais il leur est souvent cent fois supérieur. Il en est de même de Mac Coy dans la nouvelle La graine de Mc Coy, gouverneur de Pitcairn, descendant d’un révolté du Bounty. Il provoque d’abord le mépris du capitaine et de ses officiers par sa tenue négligée. Mais il sauve le navire en feu au mépris du danger au cours d’un récit haletant où la course contre l’incendie qui risque de faire exploser le bateau est engagée ! Ce sont mes deux nouvelles préférées, certainement parce qu’elles nous redonnent confiance en la nature humaine. ce qui n’est pas le cas des autres nouvelles !

Colonialisme

Mais ce qui fait l’intérêt primordial de ces nouvelles, c’est la vision de la violence et de l’horreur du colonialisme. Les hommes blancs affirment leur suprématie à l’aide de canons, de fusils, de spoliations, d’exécutions répétées et toujours impunies.
 Ils réduisent les autotochtones à un esclavage qui ne porte pas son nom puisque les hommes ne sont pas « obligés » de s’enrôler (sauf la misère qui les y contraint), sont « payés » (un salaire dérisoire pour des heures non stop de travail pénible et dur ). Ils sont punis (fouets, coups, prison à la moindre négligence ou révolte) et écopent d’années supplémentaires s’ils cherchent à s’enfuir. C’est ce qui arrive à Maouki, fils du chef de Port-Adam.
L’esprit du colonialisme c’est bien sûr l’inévitable blanc dans la nouvelle éponyme :
- J’ai vu, reprit le capitaine Woodward, je ne sais combien de braves gens s’obstiner à traiter les noirs comme des égaux.
«  Mal leur en pris et ils ont tous fini dans l’estomac de leur nouveaux amis ».
« Non, non, mille fois non! Ne me parlez pas de comprendre les noirs. La mission du blanc est être fermier du monde et il n’a pas à s’attarder à des contingences aussi dangereuses qu’inutiles »

Dites à un blanc qu’il trouvera de la nacre dans un lagon infesté de cannibales. Il n’ira pas s’attarder à parlementer avec eux. Mais solidement armé, il arrivera sur un méchant cotre de cinq tonneaux (… )
Et vlan ! il commencera par une fusillade, voire une canonnade en règle. Après quoi, sa demi-douzaine de plongeurs canaques pourra, sans danger, entamer la besogne. (L’inévitable blanc)

On comprend pourquoi les têtes de blanc sont si prisées par les indigènes et sont un trophée dont ils sont fiers ! Ceux-ci sont cannibales et leurs ennemis finissent si possible dans leur marmite.
« Manger ou être mangé avait été, de tout temps, la loi du pays. Pour longtemps encore, elle semblait destinée à demeurer telle (La dent de cachalot)
Voilà donc une série de contes qui plaisent par les différentes approches qu'ils nous proposent. Une lecture intéressante mais qui nous secouent.

A propos du  cannibalisme


 
Je me suis demandée si Jack London faisait la part  belle à l'imaginaire en nous parlant du cannibalisme. existait-il encore des cannibales dans les îles du sud ?

 Montaigne parlait déjà de ceux du Nouveau Monde dans l'essai du même nom. Il note que ceux-ci mangent leurs ennemis morts en signe de vengeance alors que les Portugais les torturent longuement et avec raffinement avant de les pendre!

Je ne suis pas marri que nous remarquons l'horreur barbaresque qu'il y a en une telle action*, mais oui bien de quoi, jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveugles aux nôtres. Je pense qu'il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu'à le manger mort, à déchirer par tourments et par gênes un corps encore plein de sentiment, le faire rôtir par le menu, le faire mordre et meurtrir aux chiens et aux pourceaux (comme nous l'avons non seulement lu, mais vu de fraîche mémoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens, et, qui pis est, sous prétexte de piété et de religion)**, que de le rôtir et manger après qu'il est trépassé.
Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie.


 *le cannibalisme
** Quand Montaigne écrit les Essais, la France est déchirée par les guerres de religion 

Le cannibalisme a duré jusqu’au XIX siècle comme en témoignent des récits de voyageurs. J’ai lu un article  et un essai sur la question auxquels je vous renvoie si cela vous intéresse.
https://journals.openedition.org/carnets/10176
https://www.lepoint.fr/culture/le-tour-du-monde-des-cannibales-4-les-gourmets-des-iles-marquises-et-salomon-02-08-2018-2240943_3.php

Lecture Commune avec  ?

 Voir Pralines, enthousiaste de sa relecture de Croc Blanc : ICI

Lu dans le cadre du challenge Jack London



samedi 20 juin 2020

Jack London : Une femme de cran



Une femme de cran est le titre éponyme d’un recueil de nouvelles qui se déroule dans le grand nord canadien, le Konklide au temps de la ruée vers l’or. Dans une tente où ils sont réfugiés autour d’un poêle, unique moyen de survie, Sitka Charley, indien de naissance mais blanc de coeur, selon ses dires, raconte à ses compagnons l’histoire de Passuk, une femme exceptionnelle.

La femme était petite, mais son coeur était plus grand que le coeur de boeuf de l’homme, et elle avait un sacré cran !

Il l’a achetée à son père sans même la regarder parce qu’il lui fallait une femme pour faire la cuisine, s’occuper des chiens et partager son unique couverture. Mais il n’a jamais été question d’amour envers elle. Elle n’existait pas pour lui. C’est peu à peu qu’il a pu apprécier ses qualités, sa force morale. Mais c’est surtout au moment de la grande famine que Sitka Charley va découvrir la grandeur d’âme, le courage, l’abnégation de cette femme et qu’il prendra conscience de son amour pour elle.

Mon idée était de rester là et d’aller à la rencontre de la Mort main dans la main  avec Passuk, car j’avais vieilli et j’avais appris ce qu’est l’amour d’une femme.
Pendant une longue marche qu’ils entreprennent pour sauver leur village, Forty Mile, de la famine, Passuk se révèle, à la fois, impitoyable pour un de leur compagnon de route car c’est la loi du grand Nord qui élimine les faibles mais tout aussi exigeante envers elle-même. Elle ira même jusqu’à sacrifier à celui qu’elle aime un être qui compte énormément pour elle.

On a trimé sur une longue piste, jusqu’à l’Eau salée, le froid était terrible, la neige profonde et on crevait de faim. Et l’amour de la femme était un amour immense- on ne peut pas dire autre chose.

Au moment de mourir, elle lui découvre ses sentiments, le grand amour qu’elle a pour lui et combien elle a souffert de son indifférence. Il prend alors conscience du dévouement sans limite de sa femme et trouvera le courage pour poursuivre sa route et sauver les hommes de Forty Mile. Un très beau portrait de femme.

Cette nouvelle est une très belle et poignante histoire d’amour et il y a tant de pudeur et de dignité dans ces personnages que leurs sentiments ne peuvent s’exprimer qu’au seuil de la mort.
Jack London fait preuve d’une grande compréhension du coeur humain et en particulier des femmes et lorsqu’il laisse la parole à Passuk. Ce qu’elle dit est à la fois d’une grande tristesse et d’une grande beauté. L’écrivain analyse avec finesse et sensibilité les sentiments d’une jeune fille ainsi vendue, humiliée et rabaissée à un niveau inférieur.

Lorsqu’au début tu es venu à Chilkat et que, sans même me regarder, tu m’as acheté comme on achète un chien et emmenée mon coeur était dur envers toi et rempli de crainte et d’amertume. Mais c’était il y a longtemps. Car tu as été bon envers moi, Charles, comme un brave homme l’est pour son chien.Et il décrit aussi avec beaucoup de justesse comment les sentiments de Passuk ont pu évoluer.

J’ai pu te mesurer aux hommes des autres races et j’ai vu que tu occupais parmi eux une place pleine d’honneur et que ta parole était sage et vraie. Et je suis devenue fière de toi, au point que tu as empli mon coeur tout entier et occupé toutes mes pensées.
La réponse de Charley est aussi d’une grande beauté car l’amour qu’il éprouve se traduit en images et se mêle à la grande voix de la nature. Pour lui que l’hiver soumet à la loi rigoureuse de la vie et la mort, l’amour emprunte la voix du printemps et de la chaleur retrouvée. Il faudrait le citer tout entier pour rendre compte du style de  Jack London.

C’est vrai, il n’y avait pas de place pour toi dans la froideur de mon coeur. mais c’est du passé. Maintenant mon coeur est comme la neige au printemps quand reparaît le soleil. Le temps est venu du grand dégel, du murmure de l’eau qui coule, du bourgeonnement et de l’éclosion de la verdure. On entend le ramage des perdrix, le chant des merles et toute une immense musique, car l’hiver est vaincu, Passuk, et j’ai compris ce qu’est l’amour d’une femme.

La nature est toujours présente et London comme d’habitude excelle à en révéler la puissance et la cruauté mais aussi l’éblouissement que procure les grandes étendues givrées, le silence, la pureté de la neige comme une poussière de diamant qui palpitait et dansait sous nos yeux , l’étrange proximité des étoiles dans le ciel, l’air tout entier qui brillait et qui scintillait.
Et puis comme d’habitude dans ses livres de froid et de neige, ce récit d’aventures rapporté par un grand conteur est aussi celui de l’aventure intérieure, d’un cheminement personnel qui transforme l’individu et révèle en lui le pire ou le meilleur.

LC pour le challenge Jack London


samedi 30 mai 2020

Jack London : Deuxième bilan du Challenge



Deuxième bilan du challenge Jack London avec vos participations. Merci  à toutes !

Je rappelle en quoi consiste ce challenge  :  Il s'agit de découvrir et de commenter des romans, des nouvelles et des essais de Jack London. On peut aussi lire des BD, voir des films qui sont des adaptations de ses oeuvres, et s'intéresser à sa biographie.
 
On peut s'inscrire à tout moment à ce challenge qui durera un an, il suffit d'avoir envie de lire au moins UN livre de l'écrivain et pour les passionnés autant que vous le désirez. Je propose des Lectures Communes chaque mois que vous êtes libre de rejoindre ou pas car vous pouvoir choisir les oeuvres que vous préférez et les dates de publication.

  La seule contrainte est de venir mettre un lien dans mon blog pour que je puisse noter les oeuvres lues et venir vous lire. (Pour trouver la page ou déposer les liens, cliquez sur la vignette du challenge Jack London dans la colonne de droite de mon blog).

 Logos au choix à utiliser






Les lectures communes

 Je vous invite à des LC  pour le challenge Jack London

Je serai au mois de Juillet et d'août en Lozère sans internet donc je repousse les  dates possibles de publication au mois de septembre, les lectures pouvant avoir lieu en juillet et août.


Jack London dont nous découvrons la diversité des thèmes est souvent plein de contradictions. Il peut-être raciste, persuadé de la supériorité de la "race anglo-saxonne"sur les autres, et dénoncer le colonialisme féroce des blancs. En tant que socialiste il défend les exploités, les misérables, mais il cultive l'image de l'homme fort qui survit aux faibles selon les théories de Spencer.
A propos de L'appel de la forêt ICI  Nathalie dénonce ce qu'elle pense être la misogynie de London. Pour découvrir la femme vue par l'écrivain (lui qui a milité pour le vote des femmes dès le début du XX siècle) je vous propose de lire deux livres sur ce thème : L'aventureuse et La petite dame de la grande maison.

Ensuite pour changer un peu : un livre sur la mer / Un livre sur la neige

Pour le 20 Juin  : L'aventureuse  et /ou une femme de cran

Les lectures de l'été : rendez-vous au mois de Septembre

Pour le 4 Septembre : La petite dame de la grande maison

Pour le 18 Septembre : Contes des mers du sud

Pour le 30 septembre : Le fils du loup et autres nouvelles

Les participants au challenge



Aifelle   Le goût des livres   

 

  

 

 

 

   

Claudialucia : Ma librairie

 
 








Electra La plume d'Electra




Martin Eden




Ingammic Book'ing


Martin Eden


Kathel : Lettres express




Contruire un feu London/Chabouté

La peste écarlate



Lilly et ses livres :

La peste écarlate

Le vagabond des étoiles

Le peuple d'en bas ou le peuple de l'abîme

Le vagabond des rails




Maggie Mille et un classiques







Marylin Lire et merveilles

Le vagabond des étoiles

Adaptation BD Riff Reb  du Vagabond des étoiles





Miriam Carnet de voyages et notes de lectures

Une fille des neiges 

La peste écarlate

Martin Eden 

Le peuple de l'abîme

Le vagabond des étoiles


Construire un feu

L'amour de la vie

Le talon de fer

lundi 25 mai 2020

Jack London : L'amour de la vie


L’amour de la vie de Jack London est une nouvelle du Grand Nord telle que je les aime. Nul mieux que Jack London n’a su rendre la magnificence de cette nature hostile et sauvage mais aussi ramener l’homme à ce qu’il est, minuscule face à ces immensités, faible face à la force de la nature.
Pourtant, et c’est ce qui peut paraître paradoxal, l’être humain aussi dérisoire soit-il, confronté à la toute puissance de la nature lui oppose une résistance qui force l’admiration.

Il regarda les os nettoyés et polis, encore rosés de cellules de vie qui n’étaient pas encore mortes. Etait-ce possible qu’il subisse le même sort un jour ? C’était ça la vie? Une chose vaine et fugitive. Seule la vie fait souffrir, il n’y a pas de souffrance dans la mort. Mourir, c’était dormir, c’était la fin, le repos. Alors pourquoi n’était-il pas satisfait de mourir ?

L’amour de la vie pousse l’homme à se dépasser, à faire fi de la souffrance, à accomplir des exploits qui ne semblent pas réalisables.
C’est ce qui arrive à ce chercheur d’or lorsqu’il est abandonné par son compagnon de voyage, Bill, et laissé seul, sans munitions, sans provisions, blessé à la cheville en traversant une rivière, devant un immense parcours à accomplir.

Alors, il détourna son regard et lentement contempla le cercle du monde dans lequel il restait seul, maintenant que son compagnon était parti …Toujours debout dans l’eau laiteuse, il se sentit tout petit comme si l’immensité pesait sur lui avec une force écrasante, et le broyait brutalement de son calme terrifiant.

Parcourir ces étendues désertes de neige et d'eau, c’est d’abord prendre conscience de la solitude et du silence. Dans ce pays où règne le froid et les bêtes sauvages, des allumettes deviennent un trésor prodigieux que l’on compte comme un avare, quitte à se débarrasser de son or qui pèse trop lourd et ralentit la marche.
Et puis la faim, qui affaiblit, qui rend fou. Certains passages sont marquants comme celui de la rencontre de l’homme avec un loup malade, trop faible pour l’attaquer, tous deux misant sur la mort de l’autre pour pouvoir manger, face à face hallucinant où l’humain et la bête sont au même niveau dans une lutte pour survivre.

Alors commença une tragédie farouche comme jamais il n’y en eut : un homme malade qui rampait, un loup malade qui boitait. Deux créateurs traînant leurs carcasses mourantes à travers la désolation, l’une à la poursuite de la vie de l’autre.

Et pourtant personnage n’est pas présenté comme un héros et ses exploits ne sont ni glorifiés, ni exaltés. Jack London décrit cet amour de la vie comme un instinct de survie qui se met en place lorsque l'homme dépasse ses limites plutôt que comme une réflexion guidée par la volonté.

J’ai retrouvé ici le grand Jack London, celui qui m’a fait rêver au Canada pendant toute mon enfance et m’a donné le goût des pays nordiques, de la neige et du froid. On peut dire aux amateurs de nature writing que l’écrivain l’a été avant que le terme en soit inventé ! Avis aux amateurs !

Je me suis donc intéressée au périple que le personnage accomplit, ce qui n'a pas été facile avec les cartes que j'ai trouvées sur le net.

Le lac du Grand Ours  / La rivière Coppermine qui se jette près du Golfe du Couronnement

Avec son compagnon, il devait atteindre le fleuve Dease jusqu’au Lac du Grand Ours, traverser le lac pour gagner la rivière Mackenzie  où il pourrait se chauffer et se nourrir. En fait, il devait se diriger vers le sud-ouest et il s'égare en allant vers le nord-est.


Mais il était éloigné de la chaîne du Dease pour s’engager dans la vallée de Coppermine. Cette mer  éblouissante, c’était l’océan Arctique; ce bateau un baleinier égaré à l’est de l’embouchure du Mackenzie et ancré dans le Golfe du Couronnement. Nous sommes dans le Nunavut. Il se rappelait la carte de la Compagnie de la Baie d’Hudson, qu’il avait consultée il y a longtemps. 

L'Océan Arctique vu de l'embouchure du fleuve Coppermine, au milieu de la nuit, 20 juillet 1821

 Collection du Musée national des beaux-arts du Québec





Voir Nathalie : l'appel de la forêt

Miriam : L'amour de la vie