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mardi 20 janvier 2009

Un film de Paul Newman : De l’influence des rayons gamma…


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J'ai revu avec un grand plaisir le film de Paul Newman intitulé : De L'influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites. Je l'ai vu à sa sortie en 1973 puis il a disparu des écrans mais surtout pas de ma mémoire.  Et le voilà qui sort à nouveau, restauré dans les cinémas d'arts et d'essai, un peu partout en France. J'avais peur que, les années passant, il ne soit plus à la hauteur de mon souvenir, ce qui n'est pas le cas! Une aubaine, donc, qu'il ne faut pas manquer!
Paul Newman adapte le roman de Paul Zinder qui obtint le prix Pullitzer en 1971. Il dirige ici sa femme, Joanne Woodward, remarquable dans le rôle de Madame Hunderfer, une femme d'une quarantaine d'années, qui vit dans un quartier modeste d'une petite ville américaine, paumée, aigrie, enfermée dans ses rêves, pathétique dans ses essais infructueux pour s'en sortir. Elle manie un humour intelligent mais noir et caustique qui n'épargne personne et surtout pas elle-même. Elle élève, toute seule, deux filles, Ruth, 17 ans, rebelle, victime de crises d'épilepsie et Mathilda, une écolière de 13 ans, extrêmement douée, qui étudie l'influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites.
La majorité du récit a lieu en milieu urbain et en particulier à l'intérieur de la maison, un décor sombre, encombré et négligé à l'image de la mère qui traîne en peignoir toute la journée, cigarette à la bouche, lisant des petites annonces, échaffaudant des projets sans jamais les mettre en oeuvre. Impression d'enfermement, d'étouffement. La seule scène qui est  tournée en pleine nature n'apporte aucun soulagement car le personnage se retrouve alors, avec l'intervention du policier, ancien camarade de classe, en présence de son passé et de son échec.
Le film montre donc une tranche de la vie de ces trois femmes, les Trois Marguerites (c'est le nom que madame Hunderfer veut donner au salon de thé qu'elle n'ouvrira jamais) et analyse sous forme de métaphore l'influence du comportement de la mère sur les deux filles au fur et à mesure que celle-ci s'enfonce  dans le désespoir... On devine aisément qu'elles ne s'en sortiront pas indemnes.
Comme celui de la mère, les personnages de Ruth et Mathilda sont passionnants et très biens servis par les jeunes actrices, Roberta Wallace (Ruth) et Nell Potts (Mathilda), la  propre fille de Paul Newman. La fragilité de l'aînée, sa répulsion devant la vieillesse et la mort, sa peur de ressembler à sa mère, se révèlent malgré son insolence rebelle, sa cruauté. La cadette avec sa passion pour la science que son professeur lui fait découvrir d'une manière poétique, sa résistance calme et têtue, apporte au récit une bouffée d'air dans ce film très noir.
Les rapports entre la mère et les filles sont analysés avec finesse et subtilité, dans toute leur complexité : l'amour de la mère pour ses filles, sa fierté pour la réussite de sa cadette, mais peut-être aussi le désir inconscient de la voir échouer, sa souffrance, sa rancoeur, ses frustrations;  les sentiments d'humiliation de l'aînée, la honte qu'elle éprouve envers sa mère, ce qui la pousse à la parodier lors d'un sketch improvisé en  classe (une scène d'un férocité incroyable); la force morale de la plus jeune qui préserve, intacte, sa foi dans l'avenir, dans la beauté de ce monde. Son discours, simple et poétique, lors de la remise des prix, porte le sens du film. Il continue en voix off sur le visage lumineux de la fillette, dernière image qui fait naître l'espoir.

Courtney Hunt : Frozen River






Frozen River est le premier long métrage de Courtney Hunt et il a des qualités incontestables.
Et d'abord le sujet car il ne nous parle pas de la grande et brillante Amérique mais de pauvres gens qui luttent pour assurer le lendemain, de classes sociales en difficulté, voire opprimées, représentées par deux femmes : Ray, la blanche, caissière à mi-temps dans une supérette, que son mari a abandonnée pour aller dépenser l'argent du mobil-home qu'elle comptait acheter. Lia, l'indienne Mohawk, à qui on a retiré la garde de son enfant. Tous deux n'ont qu'un espoir : gagner assez d'argent, l'une pour loger décemment ses deux fils et leur faire manger autre chose que des pop corn, l'autre pour reprendre son bébé à la grand-mère et pouvoir l'élever dignement. Et comme nous sommes dans une région frontière entre les Etats-Unis et le Canada , séparée par un grand fleuve gelé, de là à faire passer des clandestins chinois, il n'y a qu'un pas, vite franchi! Si l'on peut dire car il s'agit de traverser en voiture cette immense étendue de glace avec la hantise d'être prises par la police fédérale ou tribale, et la peur de voir la glace céder sous le poids.

Admirablement interprétées par Mélissa Leo qui a d'ailleurs obtenu un prix au festival de Saint Sebastien 2008 et Misty Upham, l'indienne, les deux personnages sont très forts, très attachants ainsi que les enfants. C'est aussi une belle histoire d'amitié.

Le film fonctionne sur l'angoisse qu'éprouve le spectateur à chaque traversée qui sera peut-être, pense-t-il, la dernière et l'on ressent la force de cette nature toute puissante et sur l'inquiétude quant à l'avenir des enfants que l'on sent menacés.

S'il y a une faiblesse dans le film, elle consiste en son dénouement qu'il vaut mieux ne pas révéler ici car l'intérêt du film en serait émoussé. Pourtant, je peux dire qu'il m'a déçu et que je ne l'ai pas trouvé vraisemblable.

dimanche 18 janvier 2009

Nébuleuse du coeur, nébuleuse de l’âme


Je découvre souvent en lisant des blogs ou des chroniques des textes qui me parlent, que je trouve intéressants, dont j'aime l'idée et l'écriture. J'ai envie de les conserver pour les relire. J'ai parfois envie aussi d'y répondre pour dire mon accord ou mon désaccord, pour noter mes réaction personnelles, bref, j'ai décidé de "collectionner" pour réfléchir ou réagir. Il s'agit d'une sorte de recueil dont j'aurai glané les feuilles de-ci, de-là et que je retrouverai dans Ma Librairie.





Van Gogh : nuit étoilée



Nébuleuse du coeur, nébuleuse de l'âme


Dans Le Monde, j'ai lu ce beau texte, une chronique de Beltégeuse:

Il parle de l'interférence entre science et poésie, paraphrasant et adaptant la célèbre formule de Rabelais : "Science sans conscience n'est que ruines de l'âme". Et ce faisant, il atteint lui-même à la poésie. En voici un large extrait:

Pour moi, le Graal a pris la forme de deux nébuleuses : la Nébuleuse du cœur et la Nébuleuse de l'âme.

Mon vertige vous indiffère ? Vous voulez du scientifique, du vrai, et surtout ni poésie ni littérature ? Bon, comme vous voudrez...

A première vue, rien de vraiment poétique là-dedans : vastes concentrations de gaz et de poussières où des étoiles se sont formées, ces deux nébuleuses répondent aux doux noms d'IC 1805 et IC 1848 tirés des « Index Catalogues » de John Louis Emil Dreyer, astronome danois friand du climat irlandais et grand collectionneur d'amas d'étoiles (1852-1926).

 Plus précisément, il s'agit de deux nébuleuses brillantes à émission dont la première est située à 6150 années lumière de la terre et mesure 180 années lumière dans sa plus grande longueur tandis que l'autre se trouve à 6550 années lumière et s'étend sur 200 années lumière. Ces objets célestes nichent dans le cinquième des six bras de notre galaxie (« le bras de Persée »).

Trop scientifique ? Je vous fais pourtant grâce des ascensions, déclinaisons, positions galactiques et autre taille angulaire de la nébuleuse en minutes d'arc...

Vous êtes content du résultat ? Pas moi : science sans désir ne serait-elle pas ruine de l'esprit ? Peut-on se contenter de passer son chemin en faisant table rase du sens poétique de la vie ? Peut-on lire les catalogues d'astronomie en dédaignant les dénominations littéraires des objets célestes ? Évidemment non.

Je me suis donc demandé si les « Index Catalogues » n'avaient pas produit, par le seul effet de leur sécheresse sidérale, un résultat proprement aberrant : installer la pensée artistique au cœur de notre galaxie.

La consultation d'extraordinaires photographies de cette zone de l'univers m'a convaincue du contraire : la nébuleuse IC 1805 a vraiment la forme d'un cœur même si  la taille de l'organe effraie l'imagination (180 années lumière soit 55,21 parsecs soit 1,703.1015 km ou encore un million sept cent trois mille milliards de kilomètres...).

Mais quid de la seconde ? Comment représenter cette âme rétive à toute description ?

Au sein des amas d'étoiles, la pensée poétique rejoint l'anthropomorphisme scientifique car la Nébuleuse de l'âme porte aussi le nom de « Nébuleuse du fœtus ».

Forme d'un enfant dans le ventre de sa mère, forme d'un enfant dans le ventre de l'espace sidéral, l'âme c'est le vivant rejoignant l'infini...



L’écriture comme un miroir du monde…


Je découvre souvent en lisant des blogs ou des chroniques des textes qui me parlent, que je trouve intéressants, dont j'aime l'idée et l'écriture. J'ai envie de les conserver pour les relire. J'ai parfois envie aussi d'y répondre pour dire mon accord ou mon désaccord, pour noter mes réaction personnelles, bref, j'ai décidé de "collectionner" pour réfléchir ou réagir. Il s'agit d'une sorte de recueil dont j'aurai glané les feuilles de-ci, de-là et que je retrouverai dans Ma Librairie.



                                           L'écriture comme un miroir du monde


J'ai lu dans le blog de Chantal Serrières :  Ecritures du monde cette belle définition de l'écriture :

Miroir promené  tout au long du chemin, à la manière de Stendhal nous relatant la “Chronique de 1830″, dans “Le rouge et le noir”, elle n’est autre que le reflet à l’infini de nous-mêmes. Chaque événement politique d’hier et d’aujourd’hui, chaque avancée dans le futur, chaque fait divers, chaque lieu et chemin empruntés, chacun de nos états-d’âme, se reflètent et bougent à travers  les signes tracés qui les transcrivent.

 Finalement, et pour en revenir à la question initiale, le seul pouvoir de la littérature, n’est-il-pas de réfléchir le monde pour mieux nous en consoler?

mardi 13 janvier 2009

JMG Le Clezio : Ritournelle de la faim


JMG Le Clézio a écrit La Ritournelle de la faim à la mémoire de sa mère dont il raconte l'histoire. Nous faisons connaissance d'Ethel, petite fille, visitant l'exposition coloniale avec son grand-oncle,  nous la voyons, écolière, avec son amie russe, Xénia, nous découvrons sa famille, d'origine mauricienne, face à la montée du nazisme et de l'antisémistisme. Puis c'est la ruine de la famille dont est responsable le père d'Ethel, Alexandre, c'est le temps des premières amours, de la guerre, de l'Occupation qui la voir partir à travers la France jusqu'à Nice où elle connaît les privations et la faim. Enfin son mariage avec Laurent et son départ pour le Canada.
Le récit court donc sur une partie de la vie d'Ethel correspondant à la première moitié du XXème siècle et à cette montée inexorable de la haine et de la violence. Il s'achève après la guerre. Il est encadré par deux textes, l'un au début du roman en guise de prologue, l'autre à la fin, deux textes nostalgiques qui laissent la parole à l'écrivain.
A l'enfant d'abord :
Je connais la faim, je l'ai ressentie. Enfant, à la fin de la guerre, je suis avec ceux qui courent sur la route à côté des camions américains...
L'autre, à l'homme mûr revenant sur les traces des victimes du nazisme, du Vel' d'Hiv', aujourd'hui disparu et celles tout aussi effacées de la jeune Ethel  ...
J'ai écrit cette histoire en mémoire d'une jeune fille qui fut malgré elle une héroïne à vingt ans."
et qui voit dans le  Boléro de Ravel l'image de cette époque terrible :
Le Boléro n'est pas une pièce de musique comme les autres. Il est une prophétie. Il raconte l'histoire d'une colère, d'une fin. Quand il s'achève dans la violence, le silence qui s'ensuit est terrible pour les survivants étourdis.
De beaux accents d'émotion dans ces deux textes comme sont forts aussi ces passages du roman qui décrivent l'affection et la complicité liant Ethel à son grand-oncle, leur découverte magique de la maison mauve, et le rêve commun de l'enfant et du vieillard, celui de reconstruire ce pavillon de l'Inde française achetée par l'oncle à l'exposition coloniale. Des moments saisissants aussi dans la description de Nice pendant la guerre avec ce peuple de misérables qui, tels des fantômes déchus, hantent la fin des marchés à la recherche, sous les étals, de rognures et de  restes  avariés.
Cependant, si j'ai aimé ces passages, mon avis est mitigé sur La Ritournelle de la Faim. Je sais que des critiques lui ont reproché une impression de déjà vu. Et certes, j'ai lu beaucoup de mémoires consacrés à cette période mais, après tout, comme le disait Pascal à propos du manque  d'originalité d'un sujet : "Quand on joue à la paume, c'est d'une même balle dont se sert l'un l'autre, mais l'un la place mieux"
Non, ce qui m'a gênée, c'est l'inégalité entre ces temps forts où les personnages se construisent et vivent devant nous et d'autres que j'ai ressenti comme une rupture dans le récit : en particulier,  les pages qui montrent la famille d'Ethel et rapportent sous forme de notes non rédigées les réflexions entendues par Ethel et consignées sur son carnet.  Ces chapitres intitulés Conversation de salon qui reflètent les idées politiques de  chacun et  font allusion aux évènements sont un  parti-pris de l'auteur mais elles m'ont démobilisée et peu intéressée. J'ai eu un sentiment d'inachèvement comme s'il s'agissait d'un résumé. D'autre part, les réactions du la jeune fille, les sentiments de colère ou de révolte qu'elle pourrait éprouver face à la malhonnêteté de son père, à son incompétence et sa légèreté, ne sont pas suffisamment analysés. A plusieurs reprises, on aimerait en savoir plus, pénétrer davantage dans son intimité. J'ai eu l'impression que l'auteur ne s'était pas toujours impliqué, qu'il était resté en surface, gêné par la réalité du personnage et s'interdisant de faire appel à son imagination pour suppléer aux lacunes de la biographie. C'est pourquoi, je n'ai pas ressenti une émotion soutenue et mon attention s'est parfois relâchée.
Ainsi si certains passages ont une force et une émotion incontestables, d'autres m'ont parfois déçue.

lundi 8 décembre 2008

Le discours du prix Nobel : JMG Le Clezio et Pierre Assouline



Pour avoir entendu JMG Le Clézio s'exprimer en public, l'avoir vu répondre aux questions des journalistes, je sais qu'il n'est pas un bon orateur et qu'il supporte mal de paraître. Il aime la solitude, il se sent plus à l'aise avec des gens modestes dit-on de lui. Voilà qui le rend sympathique. Et n'est-ce pas bien ainsi ? Pourquoi lui reprocher ses silences? Il est écrivain, pas orateur.
Ceci dit, j'ai aimé le discours prononcé à Stockholm par Jean-Marie G. Le Clezio à la remise du prix Nobel de littérature et ceci quoi qu'en pense Pierre Assouline. Voir  La République du livre  .
Je l'ai aimé  parce qu'il est angoissé, sincère et modeste, quand il s'interroge sur le rôle de l'écrivain et de la littérature dans le monde actuel. Pour Le Clézio, l'écrivain sait désormais, contrairement à ses prédécesseurs "engagés" dans une lutte qu'ils croyaient utile, qu'il n'a pas le pouvoir de changer le monde. Alors pourquoi écrire? C'est la question qu'il se pose et à laquelle il répond avec honnêteté. Il y de très belles pages dans ce discours, dignes de ce grand écrivain, ce que Pierre Assouline lui-même reconnaît.
C'est pourquoi j'ai été désagréablement surprise par le ton condescendant que ce dernier emploie à son égard:
 "Le Clézio a donc fait du Le Clézio, ce dont on ne saurait le blâmer. Mais du Le Clézio dernière manière, même si l’on retrouvait dans ces douze pages intitulées “Dans la forêt des paradoxes”, quelques lueurs de l’auteur du Procès-verbal, de L’Extase matérielle et de La Guerre. Appliqué, didactique, aussi boutonné que son auditoire et par moment inspiré."
Libre à lui de ne pas aimer ce texte, encore faut-il le traiter avec respect.  En effet, quand j'ai lu le discours complet de Le Clézio, je me suis aperçue que le procédé employé par P.Assouline qui consiste à isoler des phrases afin d'en montrer la platitude ou le ridicule pour dévaloriser l'écrivain est loin d'être fair play. Séparée de son contexte, une idée peut paraître incohérente, voire ridicule, alors qu'elle ne l'est pas dans son développement. D'autre part, sur un discours de douze pages, il est facile de trouver quelques passages qui ne soient pas au même niveau. C'est vraiment vouloir s'acharner que de guetter ces quelques faiblesses dans un texte qui présente par ailleurs des moments forts.
"L’incipit est banal" dit Pierre Assouline  en citant le texte de Le Clézio :
Pourquoi écrit-on ? J’imagine que chacun a sa réponse à cette simple question. Il y a les prédispositions, le milieu, les circonstances. Les incapacités aussi. Si l’on écrit, cela veut dire que l’on n’agit pas. Que l’on se sent en difficulté devant la réalité, que l’on choisit un autre moyen de réaction, une autre façon de communiquer, une distance, un temps de réflexion.
Ne pourrait-on pas dire que l'incipit est simple, clair et sans prétention? Mais passons sur cette différence d'appréciation qui est liée à la seule subjectivité..
Ce qui n'est pas le cas lorsque Pierre Assouline parle "des lapalissades" de Le Clezio en citant  :
D’abord, parce que la littérature est faite de langage. C’est le sens premier du mot : lettres, c’est-à-dire ce qui est écrit.
Et certes, séparée de ce qui précède et de ce qui suit, cette phrase apparaît comme un évidence voire comme une lapalissade. Mais replacez-la dans le discours et elle prend tout son sens et son importance.
Jugez plutôt : Conférence de J.M.G. Le Clézio 
7 décembre 2008
"La littérature – c’est là que je voulais en venir – n’est pas une survivance archaïque à laquelle devrait se substituer logiquement les arts de l’audiovisuel, et particulièrement le cinéma. Elle est une voie complexe, difficile, mais que je crois encore plus nécessaire aujourd’hui qu’au temps de Byron ou de Victor Hugo. (...)
D’abord, parce que la littérature est faite de langage. C’est le sens premier du mot : lettres, c’est-à-dire ce qui est écrit. En France, le mot roman désigne ces écrits en prose qui utilisaient pour la première fois depuis le Moyen Age la langue nouvelle que chacun parlait, la langue romane. La nouvelle vient aussi de cette idée de la nouveauté. A peu près à la même époque, en France, l’on a cessé d’utiliser le mot rimeur (de rime) pour parler de poésie et de poètes – du verbe grec poiein, créer. L’écrivain, le poète, le romancier, sont des créateurs . Cela ne veut pas dire qu’ils inventent le langage, cela veut dire qu’ils l’utilisent pour créer de la beauté, de la pensée, de l’image. C’est pourquoi l’on ne saurait se passer d’eux. Le langage est l’invention la plus extraordinaire de l’humanité, celle qui précède tout, partage tout. Sans le langage, pas de sciences, pas de technique, pas de lois, pas d’art, pas d’amour. Mais cette invention, sans l’apport des locuteurs, devient virtuelle. Elle peut s’anémier, se réduire, disparaître. Les écrivains, dans une certaine mesure, en sont les gardiens. Quand ils écrivent leurs romans, leurs poèmes, leur théâtre, ils font vivre le langage. Ils n’utilisent pas les mots, mais au contraire ils sont au service du langage. Ils le célèbrent, l’aiguisent, le transforment, parce que le langage est vivant par eux, à travers eux et accompagne les transformations sociales ou économiques de leur époque."
Pierre Assouline dénonce "les contradictions" de Le Clézio  :
La culture à l’échelle mondiale est notre affaire à tous. Mais elle est surtout la responsabilité des lecteurs, c’est-à-dire celle des éditeurs.
Encore une fois lisons la suite du texte et l'on verra pourquoi, si la littérature est l'affaire de tous, elle est aussi celle des éditeurs et des lecteurs. Rien de contradictoire dans cette affirmation si on prend le soin de lire le paragraphe où l'auteur explicite sa pensée.
La culture, je le disais, est notre bien commun, à toute l’humanité. Mais pour que cela soit vrai, il faudrait que les mêmes moyens soient donnés à chacun, d’accéder à la culture. Pour cela, le livre est, dans tout son archaïsme, l’outil idéal. Il est pratique, maniable, économique. Il ne demande aucune prouesse technologique particulière, et peut se conserver sous tous les climats. Son seul défaut – et là je m’adresse particulièrement aux éditeurs – est d’être encore difficile d’accès pour beaucoup de pays. A Maurice le prix d’un roman ou d’un recueil de poèmes correspond à une part importante du budget d’une famille. En Afrique, en Asie du Sud-Est, au Mexique, en Océanie, le livre reste un luxe inaccessible. Ce mal n’est pas sans remède. La coédition avec les pays en voie de développement, la création de fonds pour les bibliothèques de prêt ou les bibliobus, et d’une façon générale une attention accrue apportée à l’égard des demandes et des écritures dans les langues dites minoritaires – très majoritaires en nombre parfois – permettrait à la littérature de continuer d’être ce merveilleux moyen de se connaître soi-même, de découvrir l’autre, d’entendre dans toute la richesse de ses thèmes et de ses modulations le concert de l’humanité.
Pierre Assouline raille aussi ce qu'il appelle (quelle formulation méprisante!) :  "des retards à l’allumage" :
Nous vivons, paraît-il, à l’ère de l’internet et de la communication virtuelle”
"Retards à l'allumage"! Ce que veut souligner Le Clezio par ce "paraît-il" c'est qu'il n'y a qu'une toute petite partie de notre Monde qui vit à cette ère. Il veut mettre en valeur le clivage entre l'apparence et la réalité.
Nous vivons, paraît-il, à l’ère de l’internet et de la communication virtuelle. Cela est bien, mais que valent ces stupéfiantes inventions sans l’enseignement de la langue écrite et sans les livres ? Fournir en écrans à cristaux liquides la plus grande partie de l’humanité relève de l’utopie. Alors ne sommes-nous pas en train de créer une nouvelle élite, de tracer une nouvelle ligne qui divise le monde entre ceux qui ont accès à la communication et au savoir et ceux qui restent les exclus du partage ? De grands peuples, de grandes civilisations ont disparu faute de l’avoir compris. Certes de grandes cultures, que l’on dit minoritaires, ont su résister jusqu’à aujourd’hui, grâce à la transmission orale des savoirs et des mythes. Il est indispensable, il est bénéfique de reconnaître l’apport de ces cultures. Mais que nous le voulions ou non, même si nous ne sommes pas encore à l‘âge du réel, nous ne vivons plus à l’âge du mythe. Il n‘est pas possible de fonder le respect d’autrui et l’égalité sans donner à chaque enfant le bienfait de l’écriture.
On pourrait encore donner d'autres exemples de ces phrases isolées, détournées de leur sens.  Mais comme elles portent sur des points de détails et non sur l'essentiel, on passerait à côté du discours qu'il vaut mieux aller lire dans son intégralité pour se faire une idée :  Dans la forêt des paradoxes
Car finalement ce que reproche Pierre Assouline à Le Clézio et ce qu'il ne peut lui pardonner, c'est tout simplement d'être Le Clézio !  Relisons, en effet, cette phrase d'Assouline  :
" Le Clézio a donc fait du Le Clézio, ce dont on ne saurait le blâmer. Mais du Le Clézio dernière manière, même si l’on retrouvait dans ces douze pages intitulées “Dans la forêt des paradoxes”, quelques lueurs de l’auteur du Procès-verbal, de L’Extase matérielle et de La Guerre."
Qu'il le dise! C'est son droit de critique mais en respectant le texte de l'autre.
Influencé par les cultures orales des peuples parmi lesquels il a vécu, JMG Le Clézio "dernière manière" utilise, en effet, la forme du conte (je viens de lire Poisson d'or) qui, pour paraître moins provocateur, moins tourmenté que le Le CLézio "première manière", n'en est pas moins une façon d'appréhender le monde,  une peinture de la condition humaine. Il explique son évolution vers cette nouvelle forme dans un passage de son discours qui est d'ailleurs très beau :
  Et voilà que les mythes venaient à moi, régulièrement, presque chaque nuit. Près d’un feu de bois construit sur le foyer à trois pierres dans les maisons, dans le ballet des moustiques et des papillons de nuit, la voix des conteurs et des conteuses mettait en mouvement ces histoires, ces légendes, ces récits, comme s’ils parlaient de la réalité quotidienne. Le conteur chantait d’une voix aigüe, en frappant sa poitrine, son visage mimait les expressions, les passions, les inquiétudes des personnages. Cela aurait pu être du roman, et non du mythe. Mais une nuit est arrivée une jeune femme. Son nom était Elvira. Dans toute la forêt des Emberas, Elvira était connue pour son art de conter.
(...) Mais il m’est resté beaucoup plus que de la nostalgie, la certitude que la littérature pouvait exister, malgré toute l’usure des conventions et des compromis, malgré l’incapacité dans laquelle les écrivains étaient de changer le monde. Quelque chose de grand et de fort, qui les surpasse, parfois les anime et les transfigure, et leur rend l’harmonie avec la nature. Quelque chose de neuf et de très ancien à la fois, impalpable comme le vent, immatériel comme les nuages, infini comme la mer. 
Et pour finir je ne résiste pas à citer la fin de son discours, une fin vibrante et pleine d'espoir qui prouve que oui, décidément, la littérature peut exister!
Dans tout son pessimisme, la phrase de Stig Dagerman sur le paradoxe fondamental de l’écrivain, insatisfait de ne pouvoir s’adresser à ceux qui ont faim – de nourriture et de savoir – touche à la plus grande vérité. L’alphabétisation et la lutte contre la famine sont liées, étroitement interdépendantes. L’une ne saurait réussir sans l’autre. Toutes deux demandent – exigent aujourd’hui notre action. Que dans ce troisième millénaire qui vient de commencer, sur notre terre commune, aucun enfant, quel que soit son sexe, sa langue ou sa religion, ne soit abandonné à la faim ou à l’ignorance, laissé à l’écart du festin. Cet enfant porte en lui l’avenir de notre race humaine. À lui la royauté, comme l’a écrit il y a très longtemps le Grec Héraclite.
voir texte sur Poisson d'Or de Le Clézio
Voir texte sur Ritournelle de la faim Le Clézio
* photo press- conference septembre 2008 vue sur wikipedia

dimanche 7 décembre 2008

Jean-Louis Fournier : Où on va papa?






Faire rire, "C'est le plus court chemin d'un homme à un autre", affirme Jean-Louis Fournier.

Il a raison comme nous le prouve son livre Où on va papa? dans lequel il parle pour la première fois de ses  deux enfants handicapés, Mathieu et Thomas, afin "de les mettre en lumière" :
"Un livre que j'ai écrit pour vous. Pour qu'on ne vous oublie pas, pour que vous ne soyez pas seulement une photo sur une carte d'invalidité."

Et c'est par le rire qu'il communique avec nous, c'est par le rire que nous sommes tout de suite à l'unisson, par le rire que nous pénétrons dans le no man's land de sa souffrance. Une souffrance telle que l'on sent très bien qu'il pourrait ne jamais en revenir s'il n'y avait l'humour, l'auto-dérision... Et de ce rire naît une émotion qui ne fera jamais appel à la pitié, sentiment que l'auteur jugerait offensant, mais à une totale empathie.

Ce qui n'empêche pas ce rire d'être douloureux voire terrifiant. Car Jean-Louis Fournier sait nous transmettre d'abord toute la souffrance physique et morale de ses fils, de Mathieu qui n'a jamais su sourire, de Thomas  qui peut répéter cent fois de suite : "Où on va papa?" sans jamais retenir la réponse, des deux garçons enfermés dans leur corset d'acier, le corps meurtri. Et puis il y a le désespoir du père! Il ne vivra jamais les joies des autres parents;  et quand il énumère tout ce qu'il ne connaîtra pas, le lecteur  prend conscience qu'avoir des enfants qui ne souffrent pas d'un handicap,  loin d'être un dû, loin d'être naturel, est une sorte de conte de fées, une chance extraordinaire! Il décrit aussi l'ambivalence de ses sentiments envers ses fils handicapés, de l'amour à la haine... désirs de mort, fulgurances d'amour.

Mais que l'on ne s'y trompe pas, ce livre même s'il témoigne, n'est pas seulement un témoignage! C'est une oeuvre littéraire forte qui me fait parfois penser, non par le sujet, mais par la construction, aux tableaux sociaux, aux portraits que dressait un moraliste comme La Bruyère au XVIIème siècle. Où on va papa? est construit, en effet, par petits chapitres indépendants qui égrènent chacun un thème, de la présentation à la chute qui crée une surprise, voire un choc auprès du lecteur, chute qui exige beaucoup de maîtrise dans l'art d'écrire.

Cette chute  peut-être tour à tour :

un rire de dérision  :

Quand je parle de mes enfants, je dis qu'ils ne sont "pas comme les autres". Ca laisse planer un doute. Einstein, Mozart, Michel Ange, n'étaient pas comme les autres.
Qui va  de pair avec la cruauté

J'ai pensé que quand ils seraient grands, je leur donnerai un grand rasoir coupe-chou. On les enfermerait dans la salle de bains et on les laisserait se débrouiller avec leur rasoir. Quand on n'entendrait plus rien, on irait avec une serpillère nettoyer la salle de bains.. J'ai raconté ça à ma femme pour la faire rire.
un cri de souffrance et d'amour

Quand je pense que je suis l'auteur de ses jours, des jours terribles qu'il a passés sur Terre, que c'est moi qui l'ai fait venir, j'ai envie de lui demander pardon.
 un aveu d'impuissance

Je n'ai pas eu de chance. j'ai joué à la loterie génétique, j'ai perdu.

Et puis il y aussi la douceur, la tendresse

"J'espère quand même que mises bout à bout, toutes leurs petites joies, Snoopy, un bain tiède, la caresse d'un chat, un rayon de soleil, un ballon, une promenade à Carrefour, les sourires des autres, les petites voitures, les frites... auront rendu le séjour supportable."
Le style très concis, ramassé, d'une simplicité épurée, refuse l'émotion facile et renforce le propos. Jean-Louis Fournier définit ainsi sa manière d'écrire :

"Une phrase, c'est un mur de pierres sèches. Pas de ciment. Quand les mots se cognent, ça fait des étincelles."
Effectivement! Chaque phrase composée la plupart du temps de propositions indépendantes, est courte, rapide, sobre, sans fioritures, sans mots superflus, et porteuse de sens.

De plus, on se souvient que Jean-Louis Fournier à été le coauteur des Minutes de Cyclopède, grand ami de Desproges, amateur de l'absurde. Et il a l'art douloureux de  mettre en avant l'absurdité de la vie telle qu'il la ressent devant les épreuves que subissent ses fils, devant l'inutilité de ses efforts, et aussi dans la confrontation  de ses rêves avec la réalité.

mercredi 3 décembre 2008

Le bon usage des compliments de Alexander McCall Smith





Le bon usage des compliments d'Alexander McCall Smith est le premier roman que je lis de cet auteur qui m'était totalement inconnu mais dont le livre était mis en valeur par les bibliothécaires de la Médiathèque Ceccano à Avignon. Alors pourquoi pas? Pour connaître, il faut bien, un jour, commencer.

J'avoue que j'ai un peu de mal  à présenter ce livre. Je suis, en effet, tombée sur le dernier tome (il y en a eu trois avant) de la série consacrée à la détective-philosophe, Isabel Dalhousie, une femme d'une quarantaine d'années, riche, séduisante, intelligente et qui a tendance à toujours se mêler des affaires des autres. Je  ne connaissais pas les personnages, ni leurs rapports entre eux, ceux d'Isabel avec sa nièce Cat, ou encore avec Jamie... Arrivée ainsi dans un livre sans être présentée aux principaux protagonistes, n'est pas  toujours facile. Pourtant  quand il s'agit des  bouquins d'Hillerman, de Mankell, de Vargas ..  je n'ai jamais été gênée  de les lire dans le désordre! Mais il faut bien reconnaître que Le bon usage des compliments n'est pas au même niveau et l'on se dit que les premiers tomes éclaireraient voire étofferaient un peu les personnages..

Isabel vit à Edimbourg. Elle est directrice de la Revue d'Ethique Appliquée. C'est donc plus en philosophe qu'elle mène ses recherches qu'en détective. Dans cette enquête elle cherche à découvrir si le tableau qu'elle a cherché à acquérir à une vente aux enchères, attribué à un peintre écossais, est authentique. Le sujet est prétexte à explorer une île des Hébrides, Jura, ce qui est la partie la plus intéressante du récit. Ni roman policier donc, ni roman philosophique, les réflexions sur l'éthique n'étant jamais très approfondies, Le bon usage des sentiments ne m'a pas déplu mais ne m'a pas enthousiasmée non plus.

Par contre, j'ai lu des critiques  enthousiastes sur une autre série écrite par Alexander McCall Smith qui a pour héroïne, Mma Precious Ramotswe, détective du Botswana, et qui compte huit volumes. A lire un jour!

Série Isabel Dalhousie : Le club des philosophes amateurs/Amis, Amants et chocolats /Une question d'attitude/ Le bon usage des compliments

 




mardi 2 décembre 2008

Moscow-Belgium de Christophe Van Rompaey : une agréable surprise



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Oui, c'est une agréable surprise que ce petit film belge en langue flamande, fait avec des moyens restreints et des acteurs qui, pour n'être point universellement connus, n'en sont pas moins fort bons.
Il s'agit d'une comédie douce-amère qui montre la vie d'une famille comme tout le monde, celle d'une femme  Matty, partagée entre son travail (elle est postière) et ses trois enfants. Matty vit dans un quartier populaire de Gand appelé Moscou. La quarantaine, seule - son mari, Werner, l'a quittée pour une jeunette- elle  n'a pas, on le comprend bien, envie de rire tous les jours. Finalement assez banale, mais vraie, elle n'a rien d'une héroïne glamour, avec son visage fatigué et maussade, sa vieille veste de laine, son absence de coquetterie. Et pourtant, nous allons rire, non pas d'elle mais avec elle, car elle est heureusement dotée d'un tempérament volcanique, d'un sens de la répartie assez cocasse...
La rencontre avec son "Viking", Johnny, un camionneur plus jeune qu'elle, la jalousie du mari et de l'amant, l'affrontement entre "l'intellectuel" et le "manuel ", les réparties caustiques de la fille aînée, Véra, plus mature que les adultes qu'elle observe avec ironie, les réactions des enfants toujours dirigés avec justesse, font de ce film un heureux moment de détente qui ne va pas sans gravité. Le comique sait éviter la caricature. La condition féminine y est décrite d'une manière peu réjouissante; c'est la femme qui doit s'occuper de ses enfants, en l'absence du père, et affronter les difficultés, c'est elle qui attend le retour hypothétique de l'infidèle qui ne sait même pas  repasser ses chemises,  retour qu'elle devra non à l'amour triomphant mais au désir de tranquillité de Werner, débordé, y compris sur le plan sexuel, par une maîtresse qui est presque de l'âge de sa fille.
Ces personnages de milieu modeste sont donc tout à fait authentiques.  Et il y a une certaine tendresse dans la façon dont le réalisateur Christophe Van Rompaey filme, en particulier, le personnage féminin à qui il donne  pour notre plus grand plaisir, sa revanche, sachant bien que la vie réelle n'a rien d'une comédie!
Un film  sans prétention mais réussi!
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Matty et Johnny
Véra a obligé sa mère à se vêtir plus féminement pour son rendez-vous avec Johnny, espérant rendre jaloux son père.

samedi 29 novembre 2008

Christian Bobin : La vraie beauté ne va pas…


Les lys ont tout enduré : la fumée des cigarettes, l'odeur du café, la musique à deux heures du matin. Pas facile de partager la vie d'un célibataire.

Cela dit, ils sont en pleine forme. Ils ont quitté ce côté raide qu'ils avaient au début et c'est tant mieux.

La vraie beauté ne va pas avec le solennel; la vraie beauté a toujours un je-ne-sais-quoi de nonchalant, d'abandonné, d'offert.

 

Musée haut, Musée Bas de Jean-Michel Ribes : une déception!



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Le petit bonhomme de Télérama, vous savez bien? Celui qui a une petite mèche noire dressée sur le crâne et qui  dit "bravo", "bien" "bof" "hélas"?  Et bien il arborait un petit sourire de contentement  cette semaine dans le journal et il proclamait "bien" avec satisfaction pour le film de Jean-Michel Ribes :  Musée Haut, Musée bas. Qui plus est, il y avait un énorme battage publicitaire autour de ce film..
Donc je suis allée le voir et j'ai été déçue. Certes, l'idée est bonne, montrer le musée et ses coulisses, ceux qui le font et ceux qui le visitent. Certes, il y avait matière à bons mots et à rires  soit que l'on veuille souligner le snobisme d'une intelligentsia formatée, soit que l'on souligne l'ignorance ou la naïveté des non-initiés et dans de nombreux cas la sottise des uns et des autres. Certes, aussi, l'art contemporain pouvait prêter à la critique et amener à une réflexion sur l'essence de l'art.  Encore aurait-il fallu que cela soit réalisé avec nuance et légèreté.
Par exemple, on peut ne pas aimer Gilbert and George, je le comprends très bien, mais de là à nous infliger pendant plusieurs épisodes la vision de deux cabotins affublés de costumes et de noms ridicules posant "en sculptures vivantes", c'est trop! "Malicieux" "Subtil"? pour reprendre les termes d'Aurélien Ferenczi dans Télérama... Pour ma part, je ne vois pas trop où est la subtilité! Lourd! Irrémédiablement lourd!
Quant à la scène ou ce sont les visiteurs eux-mêmes qui deviennent le sujet de l'oeuvre exposée, dont on nous parle avec admiration, oui, elle aurait pu être prétexte à la poésie comme il arrive dans une oeuvre conceptuelle réussie.  Mais là, je n'ai pas trop su si le réalisateur avait voulu souligner la "beauté"? ou le "ridicule"? de cet art. Car pour qu'il y ait poésie, il aurait fallu arrêter ces bavardages insipides et laisser l'image parler, magnifier les personnages. Ce qui n'est absolument pas le cas, ici. La parole est l'apanage du théâtre, l'image du cinéma même s'il peut y avoir, bien sûr, interférence.
Le film apparaît trop souvent comme  une succession de gags qui pourraient faire rire s'ils n'étaient pas aussi longs et répétitifs. A en crier! Quand on a vu une fois, deux fois, trois fois... le guide en train d'essayer de faire prononcer Paul Gauguin à des étrangères, quand la famille égarée n'en finit pas de chercher le parking où elle a laissé sa voiture, quand la mère s'acharne à poursuivre son fils de ses assiduités, on  finit par éprouver le même agacement et la même lassitude qu'eux et on aimerait bien que cesse leur martyre pour soulager le nôtre! Un comique lourd, vulgaire et qui aurait demandé à être traité avec plus de mesure.
Et puis il l'aspect  théâtral ou plutôt café-théâtre: la scène des mammouths par exemple pourtant interprétée par d'excellents acteurs..  Ah! Fabrice Luchini que j'apprécie tant! Qu'est-il allé faire dans cette galère! Mais il ne s'agit ni de cinéma, ni de théâtre, d'un sketch assez plat, tout au plus.
Le pire c'est que le film n'est pas nul. Il y a même des moments où l'on  rit, où l'on trouve l'idée séduisante. Ainsi le visage de Dussolier, ministre, quand il arrive à l'exposition et qu'il ne sait trop quoi en penser et son soulagement quand on lui souffle ce qu'il faut dire! La scène montre comment l'art se fabrique, comment une petite élite snobinarde peut faire et défaire des artistes sans y comprendre goutte; les discours pseudo-intellectuels qui accompagnent une certaine forme d'art sont parfois réussis aussi. De temps en temps, les mouvements des personnages, les entrées, les sorties, créent une animation bienvenue.
C'est à cause (grâce?) à ses qualités que l'on reste jusqu'à la fin partagée entre l'intérêt que l'on commence à éprouver pour une scène et l'irritation qui naît quand on la voit ratée, quand elle n'aboutit ni à une vraie réflexion sur l'art, ni à un humour vrai.

vendredi 28 novembre 2008

Utopia, Hunger de Steve Mc Queen : un film remarquable

 


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Il y avait deux beaux films  remarquables et graves à la soirée du ciné-club d'Utopia  l'autre soir, à  l'instigation des classes d'audio-visuel et de la prépa Lettres-Cinéma du Lycée Frédéric Mistral d'Avignon : La Vie Moderne de Gérard Depardon et  Hunger de Steve Mc Queen. J'ai revu  le premier avec autant de plaisir et d'attention et découvert  le second : un grand choc!
Le film de Steve Mac Queen Hunger a obtenu  la caméro d'or et le prix de la critique internationale au festival de cannes 2008. On comprend pourquoi!
Le sujet d'abord :  A la fin des années 70, les prisonniers indépendantistes irlandais entament une lutte désespérée envers le gouvernement britannique de madame Tatcher pour se faire reconnaître comme prisonniers politiques, distincts des condamnés de  droits communs.  Devant le refus de la reconnaissance de leur statut, ils décident d'une grève dites de "l'hygiène et de la couverture", refusant d'endosser la tenue disciplinaire, de se couper les cheveux, de se laver..  Puis le mouvement aboutit à une nouvelle grève de la faim. Il faudra plusieurs morts dont celle de Bobby Sands qui est le principal personnage de l'action pour que leur demande soit en partie exaucée.
Steve Mc Queeen vient de l'art contemporain; c'est un vidéaste plasticien. Dans une interview, il explique :  "J'essaie de créer une situation de zombie, ni mort ni vivant, mais conscient. (...) Je veux mettre le public dans une situation où chacun devient très sensible à lui-même, à son corps, à sa respiration."
Et c'est exactement ce qui se passe,  la construction du film absolument étonnante, nous y amenant par degrés :
La première partie nous jette dans l'enfer carcéral au milieu de ces hommes torturés, nus, avec pour seule protection une couverture sur les épaules, qui vivent dans leur déjection, tapissant, en signe de révolte, les murs de leurs excréments. La violence de cette situation qui semble ravaler l'homme au rang de la  bête est telle qu'elle provoque chez nous une réaction de répulsion physique, de froid, d'étouffement comme si nous étions enfermés avec eux dans ces geôles dignes d'un moyen-âge barbare. La mort est à l'oeuvre dans cette lente décomposition organique où mouches et asticots semblent se lancer à l'assaut des vivants. Comme eux, corps nus, violacés, allongés par terre, dans la fange, nous devenons "zombie(s)", "très sensible(s)" à notre  "corps", englué, souffrant.
" J'aime faire des films dans lesquels les gens ont le sentiment de pouvoir pratiquement prendre du sable dans leurs mains et le frotter dans leurs paumes." dit encore Steve Mc Queen. Les déchets  alimentaires et excrémentiels qui se décomposent deviennent ici matières à dessins sur les murs de la cellule, sculptures épaisses, cercles concentriques qui vibrent et semblent nous entraîner dans un mouvement qui nous aspire toujours plus profondément vers l'horreur. Car l'on sent le plasticien sous le cinéaste. Pourtant l'esthétisme n'est jamais gratuit; il est au contraire porteur de sens, de sensations, de révolte; il permet de "partager" non en spectateur, non en voyeur, mais en acteur, l'expérience terrible que vivent ces hommes. Puis, sans moment de respiration, l'irruption dans ce monde d'ombres d'un paroxysme  de la violence avec l'arrivée d'un bataillon de policiers casqués, déchaînement scandé par le bruit des matraques sur les boucliers puis sur les corps des prisonniers, suppliciés, que l'on force à se laver, dont on coupe les cheveux. Blessures, sang, meurtrissures, haine, déferlement de brutalité qui sort de l'écran, qui nous atteint comme un coup de poing! J'ai rarement vu quelque chose d'aussi "physique" au cinéma, impression liée à cette attention extrême porté aux corps meurtris. Ces images rappellent ces peintures de Christ du Moyen-âge ou de la Renaissance aux chairs criblés d'épines, mais plus encore, plus proche de nous dans le temps, l'activisme viennois qui s'attaque au corps, le mutile, en explore la souffrance. Mais alors que j'ai horreur de cet art qui tient pour moi du masochisme et du sadisme, j'ai été convaincue par Steve Mc Queen car, là encore, cette souffrance n'est pas gratuite. Le cinéaste exprime ce qui m'a paru une des plus grandes beautés du film : la résistance de l'esprit.  La grève de l'hygiène a duré quatre ans. Plus extraordinaire encore que l'horreur c'est aussi la puissance de la volonté de ces hommes... irréductible!
La deuxième partie est un arrêt brutal de la violence, une longue conversation entre Bobby Sand et un prêtre. En fait il s'agit du moment où Bobby Sand a décidé de commencer une grève de la faim qu'il mènera, non conjointement avec ses camarades mais l'un après l'autre, et qui mènera inévitablement  les premiers grévistes à la mort. La question étant de savoir combien il faudra de décès à Margaret Tatcher pour qu'elle daigne prendre leurs revendications en considération. Bobby Sander sait qu'il va mourir et le prêtre qui est de son bord émet des réserves sur ce qu'il considère comme un suicide. La discussion porte, pour ce catholique pratiquant, sur ses véritables intentions, sur sa possibilité de salut et le conforte dans son choix. Cette seconde partie se conclut donc par une avancée de l'action alors qu'elle se passe autour d'une table et est absolument statique.
La troisième partie montre la longue grève de la faim de Bobby Sand qui mourra au bout de soixante jours de souffrance. Il y a la douceur d'un des soigneurs, les prévenances des infirmiers, les gestes feutrés pour toucher son corps, la blancheur des draps. Il y a aussi le battement d'ailes des oiseaux, bruit extra-diégétique d'abord, puis leur image, un envol libre dans le ciel, quand Bobby Sand se rapprochera de la mort, il y a ce visage de petit garçon qui le regarde et qui n'est autre que lui-même, enfant, il y a l'amour de sa mère qui est auprès de lui à son dernier soupir...
La violence, ici, est toute autre. C'est celle du corps qui s'affaiblit, maigrit, se décharne, des forces qui s'amenuisent,  des organes qui font défection l'un après l'autre, de la peau qui s'ulcère. Jamais je n'aurais cru qu'une grève de la faim pouvait être aussi terrible. Il s'agit d'un martyre et qui est filmé comme tel avec amour et un profond respect. Le personnage de Bobby est interprété par Michael Fassbender, remarquable dans ce rôle et dont le corps a été utilisé par l'artiste comme une oeuvre d'art, voué au dépérissement, à la mort.
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Steve McQueen

Yasmina Khadra : Ce que le jour doit à la nuit



Ce que le jour doit à la nuit est le premier roman que je lis de Yasmina Khadra. Je sais que les avis sont partagés sur ce livre et que certains jugent que ce n’est pas le meilleur.
Le récit se déroule dans l'Algérie coloniale de 1936 à 1962 et conte l'histoire de Younes, petit garçon que son père est obligé de confier à son oncle pour le soustraire à une vie misérable dans un des quartiers les plus pauvres d'Oran, Jenane Jato. Elevé par son oncle, Mahi, pharmacien, et par sa tante Germaine, qui le prénomme Jonas, il  fait son apprentissage d'écolier à Oran.  Là, il est confronté pour la première fois au racisme anti-arabe. Après l'arrestation de son oncle suspecté d'épouser la cause des nationalistes, la famille va habiter Rio Salado, une petite ville où Jonas va grandir, se faire des amis, pour la plupart français de la même classe sociale que lui, et connaître l'amour... S'il prend conscience de l'exploitation  des algériens  pauvres à travers le personnage de Jelloul, factotum et souffre-douleur de son ami André, Jonas s'en accommode sans trop de peine. Une adolescence somme toute assez banale jusqu'au moment de la guerre d'indépendance où il devra choisir son camp.
Le roman m'a intéressée car il présente un point de vue original, celui d'un algérien d'une classe aisée. Il montre que finalement, il y avait plus d'affinités entre les français et les algériens de la bourgeoisie  qu'entre un algérien riche et un pauvre. Quand Younes-Jonas, - ses deux prénoms sont les deux facettes de son identité- doit prendre parti, il est dans la même situation que ceux qui vivent une guerre civile et qui sont déchirés par leur appartenance aux deux parties qui s'affrontent.. de même qu’il devait y avoir plus de points communs entre le petit Albert Camus et les enfants algériens des quartiers pauvres d’Alger, qu’entre lui et les riches français chez qui il  n’était pas reçu.
J'ai été moins convaincue, cependant, par la grande réconciliation finale, après la guerre, réunissant en France, Younes, ses amis français, son ennemi harki... On dirait que le ton  modéré de Yasmina Khadra gomme tout ce qui a fait l'horreur de la guerre d'Algérie, les violences dont le sujet a été tabou pendant si longtemps en France. Témoin le film de Vautier Avoir vingt ans dans les Aurès qui connut des difficultés à sa sortie en 1972 et même 25 ans après en 1997, attaqué par le Front National au festival de Tourcoing. Le style aussi du roman ne m'enthousiasme pas. Il y a un curieux mélange entre de grands passages lyriques assez faciles, qui ne me paraissent pas adaptés au sujet  .. bref! qui tombent à plat et des expression familières qui détonent dans un style qui se veut soutenu. Le roman reste cependant intéressant dans la présentation des sentiments du personnage principal qui porte comme une blessure le souvenir de son enfance et de ses parents disparus, victimes de la misère.
Il y a eu à partir d'un commentaire que j'ai fait sur ce roman dans le blog de Silouane Entre les Livres  une longue discussion non seulement sur Yasmina Khadra mais aussi sur la notion de nation algérienne.
Un des correspondants Wen Dao écrivait à  propos  de Yasmina Khadra  et du patriotisme algérien :
"Et ce Yasmina Khadra (pur produit de l’état algérien, en tant que “cadet de la révolution”) vient pleurer chez Thierry Ardisson de ne pas avoir de prix. On sait pourquoi certains écrivent. Le livre de YK n’est qu’à des années lumières de ce qui se passait à cette époque. Peut être justifie- t-il son (ses) attitude de nouveau notable. "
"Qu’on m’apporte un seul document officiel historique  attestant de l’existence d’un état ou d’une “nation” algérienne antérieur à la présence française. Qui ici peut nier le fait que la colonisation a saucissonné l’Afrique (du nord au sud) à sa guise? Ca ne s’enseigne pas? On peut en revanche, trouver nombre d’archives écrites, récits de soldats, décrets, lois ou discours politiques, en langue française attestant de la fabrication de l’Algérie après l’année 1830."
Un correspondant L'algérien réagit de cette manière :
"L’Algérie en tant que telle maintenant, est une création de l’état français malgré lui. Par le temps, ça a créé un sentiment d’appartenance à une seule nation.
Est-ce pour celà, que vous devez nier ce sentiment ? "
Longue discussion intéressante et qui dépasse le propos du livre . Je vous invite à vous y reporter.

jeudi 27 novembre 2008

Jehan Rictus : V’là l’hiver et ses dur’tés



                                           Dessin de Steinlein : Les Soliloques du Pauvre

L'hiver est arrivé.

Dimanche soir, la presse annonçait la neige dans certaines régions françaises et consacrait une émission aux sans abris, à la mortalité de ceux qui vivent dans des abris précaires ou tout simplement dans la rue, aux solutions toujours insuffisantes pour essayer de remédier à cet état de choses. De plus six français sur dix, nous dit-on, avouent avoir peur de tomber dans la précarité  à la suite de la perte de leur emploi.

Ce soir, Lundi, la presse nous informe que  le DAL (militants pour le droit au logement) est condamné à 12 000€ d'amende pour avoir installé un campement dans Paris et les Enfants de Don Quichotte se voient confisquer les tentes.

Douce France!

Je lisais justement cette après midi ce passage dans Les Soliloques du Pauvre  écrit, il y a plus d'un siècle, par Jehan Rictus (1867-1933) pour "Faire enfin dire quelque chose à quelqu'un qui serait pauvre, ce bon pauvre dont tout le monde parle et qui se tait toujours".
Merd'! V'là l'hiver et ses dur'tés,

V'là l' moment de n' pus s' mettre à poils :

V'là qu' ceuss' qui tiennent la queue d'la poêle

Dans le Midi vont s' carapater!



V'là l' temps ousque jusqu'en Hanovre

Et d' Gibraltar au cap Gris-Nez,

Les Borgeois, l' soir vont plaind' les Pauvres

Au coin du feu... après dîner!



Et v'là l' temps ousque  dans la Presse

Entre un ou deux lanc'ments d'putains,

On va r'découvrir la Détresse,

La Purée et les Purotains!



Et faut ben qu'ceux d' la Politique

Y s' gagn't  eun' popularité!

Por, pour ça, l'moyen l' pus pratique

C'est d' chialer su' la Pauvreté.



Moi, je m' dirai : ""Quiens, gn'a du bon!"

L' jour où j' verrai les socialisses

Avec leurs  z'amis Royalisses

Tomber de faim dans l'  Palais-Bourbon.

 



                                                        Théophile Alexandre Steinlen