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dimanche 29 août 2010

Jules Supervielle, Marseille…

 

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Marseille sortie de la mer, avec ses poissons de roche,
ses coquillages et l'iode,
Et ses mâts en pleine ville qui disputent les passants,
Ses tramways avec leurs pattes de crustacés sont
luisants d'eau marine,
Le beau rendez-vous de vivants qui lèvent le bras
comme pour se partager le ciel,
Et les cafés qui enfantent sur le trottoir hommes et femmes
de maintenant avec leurs yeux de phosphore,
Leurs verres, leurs tasses, leurs seaux à glace et leurs
alcools,
Et cela fait un bruit de pieds et de chaises frétil-
lantes.
Ici le soleil pense tout haut, c'est une grande lumière
qui se mêle à la conversation,
Et réjouit la gorge des femmes comme celle des
torrents de montagne,
Il prend les nouveaux venus à partie, les bouscule un
peu dans la rue,
Et les pousse sans arrêt du côté des jolies filles.
Et la lune est un singe échappé au baluchon d'un
marin
Qui vous regarde à travers les barreaux légers de la
nuit.
Marseille, écoute-moi, je t'en prie, sois attentive,
Je voudrais te prendre dans un coin, te parler avec
douceur,
Reste donc un peu tranquille que nous nous regar-
dions un peu
O toi toujours en partance
Et qui ne peux t'en aller,
A cause de toutes ces ancres qui te mordillent sous
la mer.
Débarcadères : Marseille (1927)
Les compagnons Troubadours  de  Celsmoon:
Edelwe, Mango, Abeille, Emmyne, Chrestomanci, Mariel, Laurence , Ankya, Herisson08, Anjelica , George, Uhbnji , Fleur, Esmeraldae, Armande, Satya, Zik, Lystig, Amos, Bookworm, Emma, Julien, Marie, Yueyin , Soie , Alex , Hambre , Katell , Mathilde, Schlabaya, Hilde, Saphoo, La plume et la page, Tinusia, Chrys, Roseau, MyrtilleD, Cagire, Caro[line], L’or des chambres, Violette, claudialucia, Séverine, Maggie, Sev, Azilis.

samedi 28 août 2010

Le jardin de Max et de Gardénia : un livre pour les élèves de CE2


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Le jardin de Max et de Gardénia est un livre pour la jeunesse publié dans la collection Facettes chez Hatier destiné à être étudié en classe de CE2. Effectivement la lecture de ce livre pour des enfants de cet âge serait peut-être un peu ardue sans l'aide d'un enseignant ou d'un parent. Par contre il me paraît très riche pour l'exploitation pédagogique.
Le texte de Fred Bernard raconte l'histoire de Max, un petit chat qui vit dans un jardin modeste et a pour amie une souris, Gardénia, plus "responsable" que lui puisqu'elle est déjà grand-mère. Elle veille sur lui. Au fond du jardin, un mur interdit, le mur de tous les dangers, gardé jalousement par le terrible C.N.D.M, le Chat Noir Du Mur. Mais le jour où la maman de Max est enlevée par deux monstres velus, Max se précipite à sa suite et, accompagnée de la fidèle souris, se lance dans de folles aventures. Quels dangers affrontera-t-il de l'autre côté du mur? Rassurons-nous, l'histoire est résolument optimiste et finira bien.
Le récit est initiatique et présente la structure du conte traditionnel : Max, le petit chat, est heureux quand un évènement survient qui crée un manque : la disparition de sa mère. Pour réparer le manque, Max est obligé de partir, franchit le mur, bravant l'interdit. Il rencontre au cours de sa quête des personnages qui lui viennent en aide. Grâce à son courage et à ses adjuvants, Gardénia la petite souris, le chat noir, le chien rouge, le lapin carnivore ... il triomphe du méchant et peut retourner chez lui en ayant gagné en maturité. Le thème de l'interdit que l'on doit transgresser pour mieux atteindre l'âge adulte est donc primordial ici.
On voit aussi -et les enfants y seront très sensibles- que le récit s'apparente au genre "policier" : des animaux disparaissent. Une enquête a lieu qui mène à la découverte d'un parc et d'un château mystérieux. Le détective Max et ses auxiliaires affrontent toutes sortes de dangers avant d'élucider le mystère. Chemin faisant, des liens solides se nouent entre tous les personnages. Nous avons tous les ingrédients du club des cinq chez les animaux!
Les thèmes de l'amitié et de la solidarité sont très forts. Max n'arriverait pas à retrouver sa maman sans l'aide de ses amis. Or, avant de les rencontrer, il se méfiait d'eux. Chacun, en effet, avait une sinistre réputation et les rumeurs, les on-dits, les superstitions colportés par la pie ou le vieux crapaud entretenaient la peur des autres. Mais quand Max apprend à les connaître, il cesse d'en avoir peur. Belle occasion pour amener les enfants à une réflexion sur la xénophobie, le racisme. Rien n'est impossible. Malgré les différences, un chat peut-être l'ami d'une souris, se réconcilier avec son ennemi héréditaire, le chien, protéger le plus faible, le lapin. Il suffit d'accepter les autres comme ils sont, d'apprendre la tolérance.
Le texte ne manque pas d'humour : ainsi ces personnages sont désignés par des initiales ou plutôt des sigles. La Souris Grise Du Potager devient la S.G.D.P, Le Lapin Blanc du Labyrinthe, Le L.B.D.L, plaisanterie que l'on peut interpréter à des degrés différents. Pour les enfants qui seront amusés par cet emploi de sigles pour désigner chaque animal, il s'agira d'une sorte de code magique comme l'on trouve parfois dans les contes traditionnels ou des formules répétées à plusieurs reprises finissent par devenir des sortes d'incantation : Tire, tire tire la chevillette.. Le sigle participera au mystère, introduira dans une sorte de société secrète que seuls les initiés pourront comprendre. Les adultes y verront peut-être notre monde moderne qui use et abuse des sigles. Ceux-ci participent bien souvent à un jargon assez obscur qui exclue les non-initiés. Seuls les gens d'une même entreprise, d'une même profession peuvent se comprendre.( Petit clin d'oeil aux enseignants avec le CRDP : Le Chien Rouge Du Parc.). Trop souvent les sigles constituent une sorte de langage assez ésotérique qui devient un moyen de tenir les gens à distance, de leur en imposer. Dans le même ordre d'idée, les médecins de Molière parlent un latin de cuisine pour ne pas être compris de leurs malades et mieux les dominer.
A ce texte correspond les très belles illustrations de François Roca qui ne sont pas redondantes mais cherchent à le prolonger. Chacune propose une histoire à elle seule et l'enfant pourrait partir de l'image pour créer sa propre histoire. Chacune est une invitation au rêve, au voyage vers l'inconnu Les couleurs sombres, le choix des clairs-obscurs voulus par le peintre renforcent l'impression de mystère, créent une atmosphère onirique. Les tableaux utilisent des éléments du réel : le château, le parc à la française, les statues mais glissent vers l'étrange, le fantastique. On pense aux peintres surréalistes Delvaux, Magritte mais aussi au Douanier Rousseau dans la manière de peindre la verdure, les feuillages, de suggérer un ailleurs. La galerie du château avec ses armures et ses fenêtres éclairées d'une lueur irréelle rappelle La Belle et la Bête de Cocteau .
Un livre, donc, qui présente de nombreux centres d'intérêt et qui plaira très certainement aux élèves de CE2.

6a00d8342e8a5353ef01348362ef27970c-pi.1282469824.png Merci à Dialogues croisés et aux

dimanche 22 août 2010

Blaise Cendrars : Iles


Iles

Iles où l'on ne prendra jamais terre
Iles ou l'on ne descendra jamais
Iles couvertes de végétations
Iles tapies comme des jaguars
Iles muettes
Iles immobiles
Iles inoubliables et sans nom
Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais
   bien  aller  jusqu'à  vous

Blaise Cendrars Feuilles de Route

Claude Gutman : la fois où … j’ai menti


Le récit de Claude Gutman :  La fois...  où j'ai menti  fait parti d'une série de titres sur le même modèle, La fois où.. j'ai eu un animal,  La fois où.. je suis resté seul, destinés à des enfants de 6 à 9 ans aux éditions Pocket jeunesse.
Comme le titre l'indique l'histoire fait réfléchir sur le mensonge : quant à ses conséquences? Je ne dévoilerai pas le suspense du livre si je dis que aïe! aïe! la fois où j'ai menti ça s'est vraiment mal passé!Jetez plutôt un coup d'oeil sur les illustrations de la première de couverture, ce petit garçon avec des béquilles, c'est moi! Et le dessin de la quatrième, l'ambulance qui s'éloigne, c'est celle qui me transporte à l'hôpital! Je, c'est moi, Julien, qui vous raconte l'histoire. Ma soeur, Julie n'est pas très fûtée. Quand elle ment, les parents savent que ce n'est pas vrai parce que ce sont des mensonges "faux" et elle se fait toujours punir! Moi, je suis plus malin et vous le verrez un mensonge, ça peut rapporter gros mais pas toujours! Alors méfiez-vous. D'ailleurs, si je mens, c'est parce que c'est obligatoire. A l'école, avec les copains on se raconte "tout ce qu'on sait faire", comment on a échappé à tous les dangers. Oui, mais le jour où j'ai raconté...

Et bien, si vous voulez en savoir plus, venez me voir dans Kid Pocket. C'est Zad qui a fait mon portrait. Ma foi, je ne suis pas si mal et mon bicross est drôlement chouette. Bravo Zad!
Quant à papa Gutman, vous croyez peut-être qu'il va vous faire un brin de morale et vous dire que le mensonge, non, non, non, ce n'est pas bien. Papa Gutman, il a plus d'un tour dans son sac et à la fin... je m'en sors plutôt bien!  Enfin si l'on veut! A croire que papa Gutman aime bien les petits menteurs. Je me demande même si, quand il était petit, il n'était pas comme moi.


Merci à Dialogues croisés et aux éditions Pocket jeunesse

jeudi 12 août 2010

Olivier Bleys : le colonel désaccordé



Le livre d'Olivier Bleys paru aux Editions Gallimard : le colonel désaccordé est dédié à Chiquinha Gonzaga (1847-1935) pianiste et auteur de chansons brésiliennes qui a milité contre l'esclavage au Brésil. Il s'adresse aussi à tous ceux qui ont l'amour de la musique et en portent le regret.
Et en effet, le Brésil et la musique sont au coeur de ce roman même si le principal personnage, Dom Eduardo Alfonso Rymar,  pauvre mais héritier d'un grand nom, capitaine dans l'armée portugaise, exècre les deux! Nous sommes en 1807 et le régent portugais Dom Joao et toute la famille royale quittent Lisbonne pour s'exiler au Brésil, fuyant les armées napoléoniennes. Le capitaine Rymar, qui a perdu une jambe dans une bataille, embarque sur un navire dont il doit mener à bon port un chargement extrêmement précieux   d'instruments de musique, pianos et clavecins appartenant à la noblesse. Le capitaine s'acclimate très mal à son nouveau pays et ceci d'autant plus qu'il est nommé conservateur royal des instruments à clavier alors qu'il n'a aucune notion de musique, qu'il ne supporte pas le son des instruments et qu'il ne rêve que d'en découdre à la tête d'un bataillon. C'est là pourtant, qu'il va construire sa vie, dirigeant avec l'aide de son ordonnance, Querubim, un atelier de restauration de pianos, gravissant les échelons jusqu'au grade de colonel sans livrer un seul combat. C'est là, dans ce pays en pleine évolution, qui gagne peu à peu son indépendance, qu'il va fonder une famille, reportant sur ses fils son idéal d'un métier militaire. Oui, mais son fils adoptif, Angelo, ne rêve que de musique...
Le roman de Olivier Bleys se lit avec beaucoup de plaisir. Il allie l'intérêt d'une trame historique à celui d'un récit d'aventures. La chronique du Brésil de 1807 aux années 1836 est haute en couleurs et bien documentée. L'écrivain donne un tableau vivant et animé de ce pays où la nature est luxuriante et la population tout autant. En plein devenir, le Brésil tranche avec le mode de vie collet monté du vieux pays européen. La population y est cosmopolite où se mêlent européens fraîchement arrivés, anciens colons qui forment une classe un peu à part, très reconnaissable à ses vêtements colorés et aussi esclaves affranchis, produits de métissage qui tout en supportant le mépris des blancs accèdent à un statut supérieur. Les planteurs avec leur morgue et leur cruauté vis à vis des noirs sont aussi représentés. Pendant cette période le Brésil prendra conscience d'être un pays à part entière et conquerra son indépendance; il devra faire face, aussi, aux révoltes des esclaves cherchant à se libérer.
Le capitaine Rymar est une sorte d'anti-héros qui n'est pas très sympathique et qui prête souvent à rire; il ne manque pas de pittoresque avec son moignon reposant sur un pilon de bois de chêne du Portugal, qu'il refuse de changer - même si celui-ci est grignoté par la vermine-  par un bois exotique du Brésil, patriotisme oblige! Voué à la musique sur ordre royal alors qu'il ne supporte pas le bruit le plus infime comme le frottement des cils sur des lunettes, il doit se se protéger en portant des oreillettes en forme d'oreilles de cocker. Militaire malchanceux, il ne remettra plus les pieds sur un champ de bataille. Conventionnel dans ses moeurs, raciste, imbu de lui-même, il tombe dans un piège et épouse une métisse dont il est amoureux qui non seulement n'est pas vierge mais a déjà un enfant. C'est un personnage à qui il arrive tellement de mésaventures que l'on finit par s'y intéresser malgré ou peut-être à cause de ses contradictions. Tous ceux qui l'entourent, à commencer par le métis Eusébio qui devient son ami, sa femme Rosalia, son esclave Lisandre, ses fils, jeunes apprentis militaires, forment aussi des figures typiques de ce pays en mutation.
Enfin il y la musique, omniprésente, que nous découvrons à travers l'histoire des instruments apportés au Brésil, eux aussi en pleine évolution, les airs brésiliens, et l'amour indéfectible du fils de Rymar, Angelo, musicien contrarié dans sa vocation mais compositeur de génie.


capture-d_ecran-2010-05-27-a-10-14-261.1281612456.pngMes remerciements à dialogues croisés et aux édtiions Gallimard

mercredi 28 juillet 2010

Festival off d’Avignon 2010 : Oh Boy! par le Théâtre du Phare

 

Oh Boy! est une pièce du Théâtre du Phare, mise en scène par Olivier Letellier. Elle a reçu le Molière du spectacle Jeune public 2010 et je dois dire qu'elle le mérite amplement. J'ai vraiment apprécié, en effet, ce spectacle à la fois fort, bouleversant et en même temps plein d'humour et de sensibilité. Je crois même avoir préféré l'adaptation théâtrale au roman de Marie-Aude Murail dont il est tiré. Le personnage du jeune homme, Barthélemy, m'a paru, en effet, plus intéressant et plus convaincant car le spectateur épouse son point de vue alors que dans le roman, il est vu de l'extérieur et parait un peu benêt..

Mais d'abord, quel en est le sujet ? Trois enfants abandonnés par leur père et dont la mère s'est suicidée se retrouvent à l'orphelinat en attendant d'être placés ; ils font le serment de ne jamais se  laisser séparer. La solution? Etre adoptés tous les trois par leur demi-soeur ou leur demi-frère plus âgés qu'ils ne connaissent pas mais qui ont le même père qu'eux. Si la soeur est prête à adopter Venise, la jolie petite cadette, elle ne veut pas s'embarrasser des deux aînés, Siméon, un garçon de quatorze ans et la jeune Morgane "moches et surdoués". Alors Bart, le grand frère, accepte de faire l'essai afin d'obtenir la tutelle des trois. Oui, mais quand on a à peine vingt-six ans, que l'on est au chômage, que l'on aime bien s'amuser, que l'on n'y connaît rien aux enfants, que l'on est homosexuel (que va en dire la juge des tutelles?), que votre copain en profite pour vous laisser tomber et que la maladie s'en mêle, alors les ennuis commencent! Oh Boy!
Les thèmes graves comme ceux de la maladie, de la mort, de l'abandon mais aussi de l'amour, de la famille, de la différence, sont traités entre rires et larmes mais toujours avec beaucoup de pudeur, de retenue. L'humour toujours présent permet de désamorcer le tragique et rend la pièce accessible aux enfants aussi bien qu'aux adultes.
Un seul personnage sur scène, Bart, le grand frère, nous raconte l'histoire, grand enfant gouailleur, un peu immature mais plein de bonne volonté. Ecorché, d'une sensibilité exacerbée, (il n'a jamais connu son père), il va peu à peu se révéler à lui-même, assumer des tâches qui le dépassent, donner du temps, de l'amour, de la compréhension aux orphelins. Devenir adulte, en quelque sorte, car la pièce soulève ces questions essentielles pour tout enfant : qu'est-ce qu'être responsable? Comment devient-on adulte? La vulnérabilité de l'enfance, sa dépendance, la cruauté du monde des adultes sont ici abordées avec beaucoup de finesse.

L'acteur, Lionel Erdogan, interprète Bart avec naturel et subtilité, toujours à mi-chemin entre la dérision et l'émotion, il rend son personnage non seulement crédible mais attachant. Il a l'art de rendre vivant les objets qui l'entourent, de faire "voir" les décors, les êtres, grâce à une scénographie épurée et sobre mais pleine d'inventions et de surprises: une armoire devient tour à tour lit, bureau, maison, hôpital, route... Les enfants sont figurés par divers accessoires souvent surprenants, trois livres, un grand, un moyen et un petit, une chaise qui devient tour à tour minuscule et délicate comme une toute petite fille que l'on prend dans ses bras ou image de la mort quand elle tourne sur elle-même dans un mouvement rotatoire qui figure la vie puis s'interrompt brusquement. Un canard culbuto vacillant incarne la fragilité et la douleur de Morgane. Une poupée Barbie? Le juge des tutelles mais aussi le symbole de l'enfance, de Venise aussi bien que de Bart.  Les jeux de lumière avec les clairs-obscurs soulignent la présence de la Mort toujours menaçante. Des images pleines de poésie jaillissent comme ces balles de ping-pong qui fusent et retombent en pluie sur le spectateur, joie, illumination soudaines de Bart qui referme la blessure causée par l'abandon de son père.
La qualité d'écoute du public, les silences profonds qui succèdent aux rires, l'émotion ressentie et partagée, ajoutent encore au bonheur de ce spectacle théâtral.

Oh Boy!
d'après le roman de Marie-Aude Murail
compagnie Le théâtre le Phare
du 8 au 30 Juillet
au Théâtre de la Girasole
16H50

mercredi 21 juillet 2010

Festival off d’Avignon 2010 : Spartacus, théâtre la Licorne

Spartacus par le théâtre de La Licorne : le lion et le gladiateur

C'est une pièce un peu hors norme que je suis allée voir l'autre soir à Villeneuve-Lez-Avignon sur la colline des Mourgues. Et d'abord, au milieu des pins, un lieu plein de charme* qui domine la vieille cité avec ses remparts, ses toits de tuiles qui s'étagent jusqu'aux tours du Fort Saint André. Ensuite, le décor dans lequel va se dérouler la tragique histoire de Spartacus, une structure de métal qui reproduit un cirque romain, avec sa piste ovale, son arène où vont avoir lieu devant la plèbe assoiffée de sang (nous, les spectateurs!) de féroces combats de gladiateurs et des courses de chars miniatures. Nous sommes transportés à l'ère romaine et nous assistons au spectacle du théâtre La Licorne dirigé par Claire Dancoisne où l'objet animé, créé à partir de bouts de ferraille, de plaque métallique, de papier mâché, de cartons, est au centre de la magie théâtrale.

Les gladiateurs, de frêles créatures de métal manipulés à vue par des comédiens qui incarnent leur double humain, affrontent courageusement des ennemis d'une taille gigantesque, monstrueux éléphant construit avec toutes sortes de pièces de récupération, lion dont le masque d'acier à la mâchoire redoutable s'apprête à se refermer sur la victime et dont l'échine formé par le corps souple de deux comédiens imite à se méprendre la démarche sinueuse du félin. Au-dessus deux sur la tribune, dominant les jeux, l'empereur et son général,  interprétés par des chanteurs lyriques, commentent  la scène comme un opéra tragique.


Nous sommes projetés au milieu de combats  d'une violence inouïe où l'homme est sacrifié à la folie meurtrière de la foule. Les jeux de lumière crus, le bruitage, les enregistrement des cris des spectateurs réclamant la mise à mort, la démesure des comédiens-esclaves au corps maculé de sang, zébré de cicatrices qui, dans leur révolte, escaladent la structure métallique, montent à l'assaut des spectateurs, nous plongent dans une illusion parfaite. L'apparition toujours renouvelée d'objets extraordinaires comme ces pieds coupés défilant sur un tapis roulant, image de l'armée des esclaves en marche et, plus tard, après leur défaite, du massacre perpétré par l'armée romaine, concourt à la magie de cette mise en scène inventive qui, de plus, ne manque pas d'humour. Je pense aux comédiens qui aspergent la marionnette du gladiateur tombé au combat avec une éponge pleine de "sang", à cet échafaudage  échevelé qui figure le Vésuve, ou au bain de l'empereur et de son général dans des baignoires assez improblables, à la mouche-objet articulée, noyée dans le bain par un esclave opprimé qui exerce sa puissance sur ...  la seule créature plus faible que lui!
Un beau spectacle donc, malgré un fléchissement du rythme au cours de la pièce, intéressant, riche, et qui fait appel à notre imaginaire.  A voir en famille à partir de six ans.

Théâtre La Licorne
Spartacus  22H
Jusqu'au 23 Juillet (relâche le 20)
Réservation : 04 32 75 15 95
Villeneuve-lez-Avignon
Colline des Mourgues

Festival d’Avignon 2010 : Michel Quint, Effroyables jardins

J'avais beaucoup aimé la lecture de Effroyables jardins de Michel Quint, aussi c'est avec curiosité que je suis allée voir ce spectacle au festival off d'Avignon, Théâtre de Notre-Dame, texte mis en scène par Marcia de Castro et interprété par André Salzet.

Je rappelle en quelques mots le sujet de l'intrigue : un enfant éprouve de la honte de voir son père, instituteur, s'habiller en clown et se produire dans de petites fêtes où, Auguste sans talent, il se ridiculise. Il a parfois l'impression qu'il se comporte ainsi pour se mortifier ou encore pour régler une dette qui resterait toujours impayée. Un jour, son oncle lui apprend pourquoi son père agit de cette manière en lui racontant leur histoire à tous deux. Pendant la guerre, jeunes résistants mais un peu irréfléchis dans leurs actes, ils ont fait sauter un transformateur. Pris en otage avec deux autres personnes, ils sont retenus prisonniers au fond d'une fosse en attendant d'être exécutés si personne ne se dénonce. Une sentinelle allemande qui se révèle être clown dans la vie civile, leur vient en aide en leur donnant à manger et en les distrayant pour les soustraire à l'angoisse de ce qui les attend. Une preuve d'humanité au milieu de l'horreur. Enfin et contre toute attente, ils ne seront pas exécutés mais envoyés dans un camp. Ils apprendront plus tard que c'est à un ouvrier français, électricien travaillant dans le transformateur, brûlé par la bombe et qui meurt des suites de l'attentat, qu'ils doivent leur survie.
Michel Quint dans ce très beau texte décrit les effroyables jardins que nous cultivons en nous et qui sont faits de nos souffrances, de nos regrets, et de la culpabilité, sentiment obsédant, qui s'attache à sa proie pour ne jamais lâcher prise, de l'impossibilité de se pardonner. Il parle de la lâcheté et du courage, parfois si proches l'un de l'autre et qui peuvent coexister dans une seule personne, de la peur de la mort et de son indispensable corollaire, l'amour de la vie, chez des êtres jeunes qui ont à peine commencé à vivre. Mais il montre aussi comment dans la noirceur d'un monde livré à la guerre, à la brutalité nazie, la solidarité et la générosité allument un feu de joie et parviennent à sauver l'Humanité.
André Salzet est seul sur la scène dans un décor minimaliste. Un tabouret, par exemple, permettra de figurer la hauteur infranchissable qui sépare les prisonniers au fond de leur trou de la sentinelle qui les domine. Jeux de lumière sobres. Tout est dans l'interprétation.
Si j'ai moins été convaincue par l'enfant du début du texte, je me suis peu à peu laisser prendre par le jeu de l'acteur qui incarne tous les personnages et nous les fait voir avec une belle virtuosité. Peu à peu André Salzet nous amène au fond de la conscience de ces hommes et nous fait partager leurs sentiments, peu à peu l'émotion nous gagne jusqu'à un crescendo qui nous met les larmes aux yeux.
Une réussite!

Effroyables jardins Michel Quint
interprète André Salzet
Théâtre Notre-Dame Lucernaire -Avignon
13 à 17 rue du collège d'Annecy
11H jours impairs en alternance avec : Le joueur d'échecs de Stefan Zweig jours pairs
Jusqu'au 31 Juillet
Réservation 04 90 85 06 48

mercredi 7 juillet 2010

Départ d'avignon : Une image du festival 2010

Départ pour la Lozère


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Je devais rester une dizaine de jours à Avignon pour assister au festival mais ma petite-fille souffre  de la chaleur (aujourd'hui la température a battu tous les records, je crois) et la climatisation est en panne! Donc, j'avance mon départ et amène mon petit bout de fille en Lozère où il fait relativement frais.
J'ai assisté à la représentation de quelques pièces à Villeneuve-en-scène, festival qui a commencé dès le 3 Juillet. j'ai aussi profité aujourd'hui de quelques avant-premières dont je vous parlerai plus longuement... un autre jour!
Bonnes vacances à toutes et à tous!

lundi 5 juillet 2010

Festival d’Avignon 2010 : l’éléphant de Barcelo

Miquel Barcelo
Il est toujours là! il fait des galipettes sur la place du Palais

C'est Yvelinoise qui a trouvé d'où venait cet éléphant facétieux et léger malgré sa taille respectable.  Il s'est échappé de l'exposition : Terra -Mare du 27 Juin au  7 Novembre 2010, consacrée à  l'artiste espagnol Miquel Barcelo né à Majorque?
L'exposition investit  trois lieux différents : le musée Lambert pour les oeuvres picturales, le Palais des papes pour les sculptures et les céramiques. Le musée du Petit Palais présente des oeuvres gothiques de Majorque jamais sorties d'Espagne.

J'ai bien l'intention d'aller voir cette exposition et je vous en parlerai!

samedi 3 juillet 2010

Festival d’Avignon 2010 : Un animal bizarre!


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Un éléphant équilibriste devant le Palais? Comment est-il venu ici?
Devinez!

vendredi 2 juillet 2010

Le festival d’Avignon 2010 : quelques affiches pour un début…


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Cette année, les compagnies du festival Off n'auront le droit d'accrocher leurs affiches dans les rues que la veille du festival qui commence le 8 pour finir officiellement le 31 juillet. Mais timidement dans ma rue, l'on commence à voir apparaître les affiches sur les vitrines des magasins.

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Cette année, il y aura dans le off pas moins de 844 compagnies dont 773 françaises et 105 théâtres.
La grande parade d'ouverture aura lieu le mercredi 7 Juillet à 17H30. Elle partira du cours Jean Jaurès pour remonter la rue de la République jusqu'à la place du Palais des papes. Le bal de clôture se déroulera le 30 juillet dans les jardins d'Urbain V.

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La région Champagne-Ardennes est en train de s'installer, comme chaque année,  dans l'ancienne Caserne des pompiers

Le progamme du Off qui récapitule tous les spectacles mais aussi les rencontres, les lectures, les expositions, est un énorme bouquin de 396 pages et je suis en train de sélectionner( c'est ardu) les titres des premières pièces que je veux aller voir. Ensuite le bouche à oreille fonctionnera et, avec un peu de chance, les invitations lors des rencontres des compagnies qui tractent dans les rues, orienteront peut-être mon choix.

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Là, affiches et distributeur de cartes des compagnies

jeudi 1 juillet 2010

Anne Revah : Manhattan




Le roman d'Anne Revah* Manhattan commence par la description d'une curieuse tache qui semble dessiner le plan de Manhattan. Où? sur le bras d'une jeune femme. Inquiète, celle-ci va consulter un neurologe et apprend qu'elle est atteinte d'un maladie irrémissible. Sa première réaction est la fuite. Elle part, laissant derrière elle ses enfants et son mari et, sans quitter la ville, loue un appartement qui va lui servir de refuge. Là, elle écrit une lettre destinée à sa mère. Elle raconte la vacuité de sa vie, sa solitude au milieu des autres et peu à peu elle dévoile les secrets enfouis au plus profond d'elle qui l'ont faite ce qu'elle est réellement, sous la façade de la réussite sociale, une femme incapable d'aimer, de vivre vraiment.

Le roman est écrit à la première personne et le personnage reste donc abstraite. Dans la première partie, après la découverte de la maladie, la  réaction de la jeune femme m'a surprise. J'avoue que je ne comprends pas, à première vue, les raisons de sa fuite, l'incohérence de sa conduite -elle se prépare à partir en avion, hésite, y renonce, abandonne son chien qu'elle a pourtant pris avec elle alors qu'elle laisse ses enfants(!) - mais,  malgré tout, je cherche à comprendre les sentiments qu'elle éprouve. N'est-ce pas là un réflexe naturel, celui de l'animal blessée qui se cache pour mourir, une régression de tout notre être qui refuse l'inacceptable? Comment réagirions-nous en pareille circonstance? Et ne faisons-nous pas alors, devant la sentence de mort qui s'abat sur nous, un retour vers ce qu'il y a de primitif en nous? Nous terrer dans une tanière, par exemple, dans cette pièce où la malade va obturer les fenêtres, où le soleil ne pénétrera pas.

Enfin, pourtant, je crois découvrir la raison de son départ dans ces mots :

Je laisse à Victor les souvenirs d'une vie ensemble, je le laisse dans notre vie, lui et les enfants, je les pousse loin du temps qui reste. Je sais ce qui viendra, c'est en moi que je porte la suite, les taches blanches, je deviendrai une femme infirme avant de vieillir, je finirai par en  mourir, mais je ne verrai pas la peur sur les visages, la tristesse  de leurs sourires de façade. Je veux vivre ce qui vient avec soulagement.

Et je suis touchée par ce qui me paraît être une preuve d'amour, je le comprends ce désir d'éviter la souffrance à ses proches même s'il me paraît inhumain (et peut-être peu vraisemblable) de s'infliger une telle solitude face à la souffrance et à la mort.

Vient ensuite la deuxième partie du récit, la lettre qu'elle adresse à sa mère; je m'aperçois alors  que je me suis trompée. Je m'attendais donc à une réflexion sur la maladie et la mort, et la vie aussi donc, sur l'amour, les liens familiaux, et voilà que le roman oblique vers un tout autre sujet. Bien sûr, c'est le droit absolu de l'auteur de faire ce choix comme c'est le mien d'attendre autre chose! La femme parle du vide de son existence, de ce manque d'amour, d'intérêt pour la vie et pour les autres et lorsqu'elle en donne l'explication, je suis déçue. Le sujet est traité de manière peu convaincante et me paraît bien convenu, comme "plaqué" sur un récit qui promettait autre chose de plus sincère, de plus ressenti. Je ne fonctionne pas!

Pourtant au moment du dénouement, nouvelle (bonne) surprise : Avec l'intervention de la propriétaire, le récit passe à la troisième personne et acquiert une autre force. La vieille femme voit le personnage et nous le fait voir. Nous réalisons peu à peu et en même temps que cette dernière, l'état de la malade et du lieu où elle s'est enfermée. La narratrice cesse d'être une voix abstraite et devient une personne réelle, un corps décharné, négligé, l'incarnation de la souffrance physique et morale. C'est l'irruption de la réalité dans le long monologue qui précède.. Le ton change, est d'une violence incroyable,  rythmé  par les pensées intérieures de la malade jusqu'à la fin qui, malgré ce qu'en dit l'éditeur, m'a paru tout, sauf apaisée.

Ce roman, le premier d'Anne Revah,  présente donc des qualités d'écriture et quelques moments forts mais  je n'ai pas été entièrement convaincue.

* livre voyageur de Cynthia : contes défaits que je remercie

lundi 14 juin 2010

Arthur Schnitzler : mademoiselle Else




Arthur Schnitzler (1862-1931) est un écrivain autrichien que je découvre avec ce court mais dense roman : Mademoiselle Else (1924).  Arthur Schnitzler qui écrit à la fin du XIXème- début du XXème siècle eut une réputation sulfureuse. Un pièce écrite en 1897, La Ronde, jugée obscène, a dû attendre un quart de siècle pour être jouée à Vienne. Son premier livre, Le lieutenant Gustel, paru en 1900, lui a valu d'être dégradé de son rang d'officier supérieur pour atteinte à l'honneur de l'armée austro-hongroise.  Deux ans après sa mort survenue en 1931, les nazis brûleront les livres de "cet auteur juif" dont les nouvelles "désagrègent et anéantissent le sens des responsabilités".

Else est une belle jeune fille de la bourgeoisie viennoise, en villégiature à la montagne avec sa riche tante et Paul, son séduisant cousin. Si le jeune homme se montre très empressé auprès de Cissy Mohr, une femme mariée, Else, quant à elle, est invariablement attirée par les mauvais garçons et se juge très "dévergondée". Pourtant, elle repousse par son attitude "altière" tous les hommes qui lui font la cour. Une lettre de sa mère va bouleverser sa vie. Celle-ci lui apprend que son père, brillant avocat, qui a détourné de l'argent pour boursicoter, est menacé de prison s'il ne rembourse pas immédiatement la somme dérobée. Ce n'est pas la première fois que le père d'Else vole et perd au jeu et Else peut encore le sauver en demandant l'argent à un ami de la famille, le vicomte Von Dorsday, en villégiature dans le même hôtel qu'elle. Cependant, si le vieil homme accède à cette requête, ce ne sera pas sans contrepartie.

Le personnage d'Else est fascinant. Son extrême beauté mais aussi son intelligence, son indépendance de caractère, sa fierté, son refus de se plier au conformisme de la société en font un personnage peu conventionnel. Est-elle, comme l'affirme dans la préface Roland Jaccard, contemporain de Snichtzler, une "ingénue hystérique"  - Sa tante veut même la faire enfermer dans un asile-  ou tout simplement une jeune fille très consciente de sa séduction, qui se plaît à fantasmer? Bref! les fantasmes sont-ils synonymes d'hystérie? Ce qui est certain, c'est que Else supporte mal l'hypocrisie (on pratique l'adultère autour d'elle avec légèreté pourvu que cela reste caché) et le carcan où l'enferme la bonne société viennoise dès lors qu'il s'agit de sexualité. Cet enfermement moral l'amène à une exarcerbation de ses sentiments hallucinante.

L'originalité de cette oeuvre tient au fait qu'elle est entièrement composée d'un monologue intérieur coupé seulement par les phrases des dialogues mises en italique. Nous voyons avec les yeux de la jeune fille, nous ressentons avec ses sens, nous jugeons avec sa raison. C'est dire que jamais le lecteur n'a été aussi impliqué que dans ce roman. L'identification avec le personnage est totale puis nous sommes au coeur de sa conscience; nous ne faisons qu'un avec Else... Nous ne pouvons nous dégager de cette pensée qui d'abord assez lente, va en s'accélérant. Nous sommes pris dans un tourbillon vertigineux, emporté avec elle dans une sorte de fièvre qui tourne au délire,  va jusqu'à la folie. L'amour qu'elle ressent pour son père (on comprend pourquoi Freud admirait autant l'oeuvre de Schnitzler) livre combat avec sa fierté, le dégoût et la répulsion qu'elle éprouve. Le comportement du père de la jeune fille est tellement ambigu et méprisable et Else est si lucide à son sujet que l'on peut comprendre pourquoi elle est saisie par une violence qu'elle va exercer contre elle-même.

Les phrases exclamatives, interrogatives trahissent la force du désarroi qui s'empare d'Else; elles deviennent brèves, hachées, syncopées, à la mesure des sentiments de la jeune fille. Le rythme haletant ne nous laisse aucun répit jusqu'au dénouement final.  Un roman passionnant qui donne envie de lire les autres oeuvres de l'écrivain!