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dimanche 1 décembre 2013

Jean-Christophe Ruffin : Globalia




J'ai eu un peu de mal à entrer dans Globalia le roman de Jean-Christophe Ruffin dont le thème me paraît trop connue et me donne une impression de déjà lu depuis Le meilleur des mondes d'Huxley et 1984 d'Orwell.
Pourtant c'est de notre époque que Jean-Christophe Ruffin nous parle et c'est en cela qu'il offre un point de vue différent. Je me suis donc intéressée peu à peu au récit en découvrant la vision critique que l'écrivain donne de notre société, du pouvoir politique, et de la mondialisation des richesses économiques. 

Sous un globe qui le protège du monde extérieur, sous un ciel toujours clément et ensoleillé mais factice, voici un univers, Globalia, ou tout semble parfait, où l'état providence veille sur tout, assure le confort et la santé de son peuple mais où pourtant la liberté fait défaut. C'est pourquoi Baïkal, un jeune globalien cherche à gagner les non-zones, sauvages, peuplées d'après le gouvernement de Globalia de "terroristes". Mais peut-on se libérer vraiment d'un pouvoir qui détient toutes les commandes du pouvoir : L'argent, l'armement et  l'information? 

Dans Globalia, en effet, le pouvoir est concentré entre les mains d'une poignée d'hommes. Ils sont si peu nombreux que leur puissance est presque illimitée. Les politiques n'y font que de la figuration et ne possèdent plus que l'apparence du pouvoir. Ils servent de paravent à des multinationales qui leur dictent les lois. Etonnant, non, comme ce monde ressemble au nôtre? J'ai eu l'impression de voir nos hommes politiques français de gauche ou de droite s'agiter comme des fantoches au service des multinationales!
Quant à ceux qui habitent Globalia, pourvu qu'ils bénéficient du confort et puissent consommer, ils renoncent peu à peu à leur liberté de penser; d'autant plus que le gouvernement de Globalia s'appuie sur la peur pour maintenir les habitants sous dépendance et place la sécurité au coeur de la constitution en présentant la video-surveillance comme un objet de liberté. Vous connaissez? Les globaliens s'endorment dans un quotidien ou l'écran les berce à longueur de journée de publicités mensongères, où la culture n'existe plus et où les livres ont disparu. Alors, bien sûr, les marginaux qui échappent à la règle, ceux qui aiment les livres, par exemple, vont essayer de s'insurger. Mais c'est la lutte du pot de terre contre le pot de fer.
J'ai trouvé le roman de Ruffin très pessimiste à moins qu'il ne soit tout simplement lucide et c'est pourquoi même si le roman ne m'a pas paru  passionnant - les personnages ne sont pas attachants, l'histoire d'amour peu convaincante -  j'ai apprécié cette analyse sans concession de notre monde actuel et cette critique politique virulente de la mondialisation.


de Lisa et Silyre

jeudi 18 juillet 2013

Laure Murat : La maison du Docteur Blanche



Dans La maison du docteur Blanche, Laure Murat retrace pour nous l'histoire  de l'institution psychiatrique fondée par Esprit Blanche et reprise par son fils Emile, une célèbre clinique privée qui accueillit pendant une grande partie du XIX siècle tous les grands de ce monde atteint de troubles mentaux, assez fortunés pour pouvoir y séjourner.

Esprit Blanche
 L'essai est donc passionnant car en s'appuyant sur  les dossiers de la Maison du docteur Blanche, sur des archives, des lettres, des articles de journaux, Laure Murat reconstitue l'histoire de la folie au XIX siècle, ses avancées mais aussi ses faiblesses et ses ignorances.
Le mot "psychiatre" n'apparaît qu'en 1802 et "psychiatrie" en 1842, mais, nous dit Laure Murat, la libération des aliénés est l'acte fondateur à partir duquel la nouvelle discipline s'élabore et se pratique. Philippe Pinel serait, en effet, à la fin du XVIIIème, celui qui libéra les fous de leur chaîne : jusqu'alors à peine mieux considéré qu'un animal, créature du diable ou sorcier malfaisant, le fou commence à être regardé comme un malade. Avec la révolution il gagne un statut de "patient.
Mais si le XIX siècle est un creuset bouillonnant quant aux recherches et aux théories qui s'élaborent sur les maladies mentales que l'on commence à nommer et à classer, les médecins sont bien souvent démunis devant les cas graves. Les docteurs Blanche, père et fils, sont entièrement dévoués à leurs patients qui prennent les repas avec eux et avec lesquels ils vivent en famille mais la connaissance du cerveau et des troubles psychiatriques en est encore à ses balbutiements. Ainsi le rapprochement n'est pas fait entre la syphilis et la paralysie, les crises de démence et la dégénérescence qu'elle entraîne. D'autre part, bien souvent, Emile Blanche comme la plupart des médecins de son époque réagit lorsqu'il faut juger de la santé mentale d'une personne selon les préjugés et les principes religieux et sociaux de sa classe, bourgeoise et bien pensante. Certaines femmes (le cas n'est pas isolé) qui essaient de se libérer de la tutelle de leur père ou veulent divorcer de leur mari sont considérées comme anormales et enfermées dans un asile!  Il vaut mieux aussi quant on est un fils de famille entrer dans le rang et obéir à son père, ce qui n'est pas le cas du fils de Jules Verne considéré pour cette raison comme fou.
De plus, cet essai nous fait rencontrer des écrivains et des artistes célèbres et ce n'est pas le moindre de ses intérêts car Laure Murat va à travers eux étudier les rapports entre la folie et la création artistique ou littéraire. 

Gérard de Nerval
 Un des premiers malades suivi par Esprit Blanche puis par Emile est Gérard de Nerval. Les registres de la Maison du docteur Blanche sont assez elliptiques sur son cas et c'est son oeuvre Aurélia, transposition poétique de ses troubles mentaux, de ses visions, qui est à la fois le meilleur document scientifique autant qu'un monument littéraire, un témoignage autant qu'une oeuvre d'art. Ce texte, les psychiatres du XXème siècle s'en serviront pour étudier sous la prose poétique, l'intérêt clinique du récit.
Nous rencontrons aussi à la maison du docteur Blanche  le musicien Gounod, au faîte de sa gloire, les Halévy, Marie D'Agoult, la comtesse de Castiglione, maîtresse de Napoléon III, Theo Van Gogh peu de temps après la mort de son frère Vincent. Nous assistons à l'horrible et lente agonie de Guy de Maupassant qui fut durant toute sa vie fascinée par la folie qu'il explora avec une triste prescience dans son oeuvre.  Toutes ces souffrances indicibles qu'aucun médicament ne peut soulager à l'époque font dire à Emile Blanche - et ce sont ces derniers mots  : Moi, j'ai trop vu de misères, je n'en puis plus.

J'ai beaucoup apprécié cette étude fouillée et complète sur la Maison du docteur Blanche et ses patients de 1821 à 1893, date de la disparition d'Emile qui n'a pas connu les débuts de la  psychanalyse. Une étude qui est aussi un témoignage historique, traversé par les révolutions, la guerre franco-prussienne, la Commune, de la vie parisienne et de la société du XIXème siècle dans les milieux littéraires et artistiques.




Chez l'Ogresse de Paris

lundi 15 juillet 2013

Robert Louis Stevenson : Le maître de Ballantrae


Le maître de Ballantrae de Robert Louis Stevenson est un superbe roman qui se déroule en Ecosse, au XVIII siècle et commence avec la bataille de Culloden en 1745 qui vit l'écrasante défaite des écossais, partisans des Stuart, battu par les anglais. Du côté des écossais, le prince Charles, descendant du roi catholique Jacques II Stuart s'oppose au  roi George, descendant de la dynastie des Hanovre, protestant…

Cette tragédie retentit dans tous les foyers écossais déchirés entre le passé et le présent, la fidélité aux Stuart ou la nécessité de faire allégeance au roi George, et marque plus profondément encore la noble famille des Durrisdeer puisqu'il consacre la fracture entre les deux frères, l'aîné, Sir James, le Maître de Ballantrae, et Henry, le cadet .

James, l'héritier, est le préféré de son père et de sa cousine Alison qui doit l'épouser. James a toutes les séductions, racé, élégant, il est intelligent, cultivé, brillant et beau parleur. Il séduit tous les coeurs et jouit d'un immense prestige dans le pays. Mais toutes ses qualités sont au service du mal : il aime trop  l'alcool et l'argent; il est dissimulé,  malhonnête, rusé et sans scrupules, violent, habile manipulateur car très bon connaisseur de l'âme humaine. Tout le contraire de son frère, Henry qui est terne, sans culture, ennuyeux mais  honnête, bon fils et bon gestionnaire du domaine, ce qui le fait considérer par rapport à son frère dissipé et prodigue, comme un avare. Deux personnalités entièrement opposées. 
En 1745, le maître de Ballantrae  décide de rejoindre le prince Charles alors que son père ordonne qu'il reste au domaine puisqu'il est l'aîné. Quant à Henry, il désire partir. Il sait que sa position en tant que cadet sera délicate dans le pays si ce n'est pas lui qui part. Une violente dispute éclate entre les deux frères et James l'emporte. Il part et sa mort est annoncée après la défaite de Culloden. Henry devient l'héritier du domaine  mais il passe pour traître et est très impopulaire auprès de la population. Il  épouse Alison qui continue à vouer un culte à son cousin, un héros qui a donné sa vie pour une noble cause.  Pourtant, James n'est pas mort. Il ne supporte pas la perte de son titre et de son héritage. Dès lors, une lutte féroce va opposer les deux frères.

Le roman de Stevenson est d'abord un magnifique récit d'aventures (même s'il n'est pas que cela). Si nous sommes plongés dans l'Ecosse du XVIII siècle, nous voyageons bien loin à la suite du maître de Ballantrae, dans les sauvages contrées d'Amérique du Nord peuplées d'indiens féroces, où anglais et français s'affrontent dans des guerres meurtrières, en France mais aussi dans les  Indes orientales en proie à la révolte des Cipayes. Nous partageons la vie de pirates dont le capitaine sanguinaire, sorte de psychopathe sans cervelle, passe allègrement à la planche ou au fil de l'épée tous ses ennemis voire aussi ses amis s'ils le contrarient!  Certaines moments du roman, marquants, sont des scènes de bravoure parfois hallucinantes et inoubliables comme celle du duel qui oppose les deux frères dans la nuit à la lueur des chandelles, celles réitérées où Henry va s'asseoir  sans mot dire sur un banc devant la porte de son frère devenu tailleur pour mieux savourer la déchéance de celui-ci, ou encore la scène où l'on sort de sa tombe le maître de Ballantrae enterré vivant…  Le roman oscille ainsi sans cesse entre réalisme (la situation historique) et fantastique (le maître de Ballantrae laissé pour mort renaît plusieurs fois de ses cendres comme le phoenix! Il semble parfois doté d'une force ou d'une habileté satanique)  et la puissance du style donne à sentir et à partager ces courants de haine fulgurants qui circulent entre les deux hommes.

La structure du roman vient ajouter à la complexité du récit.  Le narrateur est Mackellar, l'intendant, qui entre au service de la famille peu de temps après 1745. Il devient un fidèle de Henry dont il raconte l'histoire en prenant fait et cause pour lui.  C'est aussi un personnage à part entière qui joue un rôle dans le récit, intervient et modifie le destin des deux frères en prenant des initiatives et en révélant la vérité à Lady Alison au sujet de James. Un narrateur qui est aussi témoin de l'histoire. Les aventures du Maître sont complétées par les mémoires du chevalier Burke, irlandais, lui aussi rescapé de Culloden, qui partage un moment la fuite du Maître et subit son influence, tout en éprouvant envers lui un curieux mélange de répulsion et d'admiration.

 Stevenson en reprenant l'image biblique de Cain et Abel,  explore à travers les deux frères comme il l'a fait dans L'étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde le dualisme entre le Bien et le Mal. Mais ici, ce n'est pas un seul personnage qui incarne, par un dédoublement de la personnalité, à la fois le mal et le bien. James et Henry sont comme les deux côtés d'une pièce, pile ou face, cette même pièce que James va jeter pour décider lequel d'entre eux va rejoindre l'insurrection de 1745 remettant au hasard, comme s'il s'agissait d'un jeu, une décision qui va provoquer au-delà de la tragédie nationale, une tragédie familiale. L'un, James semble représenter le mal, l'autre, Henry, le Bien, un manichéisme qui va pourtant être bouleversé par l'intelligence de l'analyse. Car si l'on y regarde près, Henry ne représente le Bien que parce qu'il est terne, sans élévation, sans  désir et sans grande passion. Même l'amour qu'il éprouve pour sa  cousine, ne fait pas de lui un amant romantique et prêt à tout. La raison guide Henry, alors que la démesure caractérise le maître de Ballantrae et c'est à lui que va notre admiration. C'est, pour l'auteur, l'occasion de révéler à travers ce personnage la fascination exercée par le Mal, les séductions qu'il présente et qui le rend mille fois plus attirant que la grise sagesse. Le maître de Ballantrae peut séduire même ceux qui lui sont le plus farouchement opposés comme l'intendant, Mackellar, fidèle partisan de Henry, le chevalier de Burke, ou le lecteur lui-même qui est amené à apprécier les qualités brillantes de cet homme extraordinaire. Et de même que le mal séduit, de même le Bien peut être sapé peu à peu et détruit. Henry corrompu par la haine, tombe dans une déchéance mentale proche de la folie et ne peut penser qu'à la vengeance.

Un très grand roman dont on dit à juste titre qu'il est le chef d'oeuvre de Stevenson.


Lecture commune   du maître de Ballantrae avec Nathalie et Ys :


Voir Nathalie : Chez Mark et Marcel 



 Chez Aymeline

Chez Lili Galipette

samedi 1 juin 2013

Semaine italienne : Les fiancés de Alessandro Manzoni


 

Alessandro Manzoni, écrivain romantique italien, est né en 1785 à Milan où il meurt en 1873. Son roman Les Faincés lui assure une notoriété dans toute l'Italie et en Europe.  Dans la lignée d'autres écrivains romantiques européens comme Lamartine ou Byron, il  participa à la vie politique italienn.  En 1862, il fut nommé président de la commission pour l'unification de la langue italienne. Sa mort fut l'occasion de funérailles nationales et c'est à sa mémoire que Giuseppe Verdi composa son Requiem.
Les Fiancés (I promesse spozi) de Manzoni est un des classiques majeurs de l'Italie et aussi l'une des oeuvres les plus célèbres du romantisme italien. Commencé en 1821, le roman a connu quatre versions, en 1823, en 1827, Manzoni n'étant jamais satisfait de la version en cours. La dernière édition paraît ensuite entre 1840 et 1842. La structure narrative est remaniée  chaque fois mais c'est surtout au niveau de la langue qu'apparaissent les plus grands changements : au début mélange de latin, de lombard (d'où est originaire l'auteur) et de français (Manzoni a séjourné en France), ensuite, après un séjour de l'écrivain en Toscane où le langage est considéré comme plus pur, le roman paraît dans style qui a contribué pour beaucoup à l'unité de la langue nationale italien. Manzoni, personnage politique, engagé dans le Risorgimento, mouvement qui luttait pour l'unification de l'Italie, est donc l'origine de la naissance d'une identité culturelle commune..


Francesco Hayez peintre italien (source)

Le récit
Les fiancés de Manzoni est l'histoire d'un amour contrarié. Dans un petit village, sur les bords du lac de Côme, Renzo Tramaglino et Lucia Mondella, deux jeunes paysans, vont se marier mais le seigneur Don Rodrigo (nous sommes pendant l'occupation espagnole de la Lombardie au XVIIème siècle) veut s'emparer de Lucia. Il commence par faire peur au curé don Abbondio pour qu'il ne célèbre pas le  mariage puis il essaie d'enlever la jeune fille. Les fiancés fuient et, avec l'aide du frère Cristoforo, Renzo se réfugie à Milan, Lucia et sa mère Agnès dans un couvent de Monza. Mais Renzo, pris dans une émeute de la faim à Milan, est poursuivi comme meneur et s'enfuit à Bergame. Lucia, elle, est enlevée par L'Innommée, un puissant seigneur qui a accepté de venir en aide à Don Rodrigo. Que deviendra l'infortunée jeune fille? Et le jeune homme, parviendra-t-il à la retrouver et à l'épouser? Le fait est qu'ils ne sont pas au bout de leurs peines et que, outre les grands seigneurs "méchants hommes"  pour reprendre une expressions de Molière, les ravages de la guerre et une épidémie de peste vont aussi sévir dans la région…

Le romantisme
Les fiancés appartient bien à tout un courant romantique européen. Quand on le lit, on a l'impression d'y retrouver le Stendhal des Chroniques italiennes, le roman de cape et d'épée ou historique à la Dumas, mais aussi, avec l'enlèvement de Lucia conduite dans un sinistre château, repaire de brigands, le roman gothique d'Ann Radcliffe.

La lutte politique :

 Don Rodrigo (source)

Le roman se préoccupe des classes sociales modestes en prenant pour héros, deux jeunes paysans, Lucia et Renzo. C'est l'occasion pour l'auteur d'y affirmer ses idées politiques tout d'abord en se plaçant du côté des humbles, de ceux qui ont à souffrir de la faim, de la guerre, des exactions des grands uniquement préoccupés de la gloire militaire, de leur pouvoir, de leurs distractions et de la satisfaction de leurs caprices. Tout leur est permis! Leur tyrannie s'exerce non seulement sur ceux qui leur sont inférieurs et qui ne se verront jamais rendre justice mais aussi dans leur propre famille, en particulier sur les filles. Un récit semblable à celui de Diderot, La Religieuse, nous montre la vocation forcée de Gertrude, la fille d'un prince milanais, preuve qu'il ne s'agit pas là d'une mode mais d'une réalité puisque le personnage de Manzoni a réellement existé.
 On y voit aussi à travers la description de l'hégémonie espagnole sur la Lombardie au XVIII,  les préoccupations de Manzoni au XIX siècle luttant pour l'indépendance de l'Italie et l'unification de son pays.

La religion :


le cardinal Federigo Borromeo de Giulio Procaccini (1810) (source)

Manzoni  s'est converti au catholicisme quand il était à Paris et pratique une foi ardente mais lucide. Face aux grand seigneurs tout puissants qui sont au-dessus des lois, Manzoni oppose les forces de l'église et de la foi qui viennent  en aide aux pauvres. Le frère Cristoforo d'abord qui n'a aucun pouvoir sinon moral puis le puissant cardinal Federigo Borromeo, archevêque de Milan qui fonda la bibliothèque ambroisienne, un personnage considéré comme un saint, sont les plus précieux auxiliaires des fiancés.
La foi, la vertu et la pureté peuvent aussi posséder un grand pouvoir. Grâce aux paroles de pardon prononcées par Lucia, l'Innommé, touché par la foi, se convertit et choisit d'exercer le bien et la justice.
Pourtant tous les hommes d'église ne sont pas bons. Don Abbondio, le curé, est tellement dominé par la peur qu'il ne choisit pas le parti du bien. Trop lâche pour marier les fiancés, il n'osera pas prendre leur parti. La foi ne parviendra pas à percer la carapace de son égoïsme.

Un récit historique

On peut remarquer que de longues digressions dans le roman nous éloignent de l'histoire de Lucie et Renzo. C'est que Manzoni  a pris pour prétexte leurs aventures pour nous présenter un état du pays à leur époque au Nord de l'Italie. Il fait oeuvre d'historien, consultant les archives, étudiant maints documents et recoupant ses sources pour nous présenter des situations, des évènements et des personnages qui ont réellement existé. La révolte de la faim à Milan donne lieu à une scène magistrale de désordre et d'anarchie  témoignant du désespoir d'un peuple qui n'a plus peur des représailles puisqu'il n'a plus que le choix de mourir de faim. L'arrivée des soldats pendant la guerre, qui pillent les villages, violent, égorgent les habitants,  ne laissant que dévastation et ruines après eux, la grande épidémie de peste qui a décimé la ville de Milan et les campagnes, emportant plus de la moitié de la population sont aussi de grands moments de cet immense roman. Manzoni sait faire souffler le vent de de l'Histoire dans son oeuvre qui dépasse alors l'individualité de ses personnages pour devenir une grande fresque collective et parler de l'universel, mettant sans cesse en opposition l'Amour et la Mort, Eros et Thanatos.

Je participe avec Les fiancés de Manzoni au Blogoclub de Sylire et Lisa sur le thème des amours contrariés. Le livre choisi était L' expiation mais comme je l'ai déjà lu, j'ai dû en choisir un autre.

Sylire et Lisa

lundi 27 mai 2013

Les mystères d' Udolphe de Ann Radcliffe et Northanger abbey de Jane Austen



Depuis ma lecture de Northanger Abbey de Jane Austen où il est souvent question du livre d'Ann Radcliffe, Les mystères d'Udolphe, qui fait les délices de l'héroïne Catherine Morland, j'ai eu envie de lire ce roman gothique.

 Mais vous, ma douce Catherine, qu’avez-vous fait ce matin ? Avez-vous beaucoup lu dans Udolphe ? — Beaucoup… J’en suis au voile noir. — Déjà !… Quelle charmante lecture !… pour le monde entier, je ne vous dirais pas ce qui est derrière ce voile. Vous avez bien envie de le savoir ? — Oh oui ! j’en suis bien impatiente. Qu’est-ce que cela peut être ? Mais ne me le dites pas. Je n’aime pas à savoir les choses d’avance. Il me semble que ce doit être un squelette : je suis sûre que c’est celui de Laurencia. J’aime ce roman à la folie : je pourrais passer ma vie entière à le lire : je vous assure que si ce n’eût été pour venir avec vous, rien au monde ne me l’aurait fait quitter.

 Et voilà , c'est chose faite, bien des années après ma découverte du livre de Jane Austen. Et je dois dire que ce livre m'a surprise car il est très différent de ce que j'attendais; j'expliquerai pourquoi à la fin de ce billet. Sa lecture m'a été agréable bien que je n'aie plus l'âge de Catherine depuis longtemps et que, je dois le dire, je n'ai pas eu aussi peur qu'elle ! De plus le roman a un côté un peu désuet que j'adore!


Le récit
Emily Saint-Aubert vit avec ses parents dans le sud-est de la France en 1584. A la mort de sa mère, elle entreprend un voyage avec son père au cours duquel les voyageurs rencontrent le chevalier Valancourt, un jeune homme plein de sensibilité et d'honnêteté. Monsieur de Saint-Aubert meurt pendant leur périple et demande à être inhumé près du tombeau de la Marquise de Villeroi. Mais qui est cette femme et quels sont les liens qui l'unissent au père d'Emilie?  
Saint-Aubert a confié la tutelle de sa fille à sa soeur, Madame Chéron, veuve arrogante et fière qui n'est intéressée que par la fortune et le rang. Elle s'oppose au mariage d'Emilie avec Valancourt  et après avoir épousé un noble italien, le Signor Montoni, qu'elle croit fortuné et influent, elle amène sa nièce à Venise. Hélas! cet homme se révèle sans fortune, il n'a épousé la tante que par cupidité et veut marier de force Emilie au comte Morano. 
Il amène les deux femmes au château d'Udolphe où il vit avec une bande de pillards dans cette forteresse isolée que l'on dit hantée. Les pires rumeurs courent sur la disparition de la comtesse, ancienne propriétaire, dont a hérité Montoni.. Manifestations surnaturelles, mystères, meurtres, exactions.. Désormais, Emily est prisonnière de ce dangereux personnage. Comment échappera-t-elle à tous ces dangers? Retrouvera-t-elle Valancourt? Tous les mystères seront-ils résolus?


Les caractères gothiques du roman


 Le tableau de Fuesli intitulé Cauchemar qui  a servi d'image pour la première de couverture de l'édition de Archipoche rend bien l'atmosphère gothique du roman

Les mystères d'Udolphe d'Ann Radcliffe paraît en 1794 et est traduit en France en 1797. C'est un roman gothique, style littéraire qui a été à la mode à la fin du XVIII siècle en Angleterre et qui exercera une grande influence sur la littérature française et sur le romantisme français au début du XIX siècle.  Il présente, en effet, toutes les caractéristiques du roman gothique dit aussi "roman noir" :  le récit est complexe et long, entrecoupé d'évènements effrayants, de meurtres, de mystères, d'irruption du surnaturel,  d'histoires d'amour contrariées.

Les caractères romantiques du roman


Caspar Friedrich

Dans Les mystères d'Udolphe, le sentiment de la nature est très vif et préfigure l'engouement du romantisme pour la montagne, les paysages grandioses, majestueux ou torturés, déserts, précipices, à-pics qui frappent l'imagination, donnent le vertige. Il y a de très belles descriptions du Languedoc et de la Gascogne, de la  riche vallée de la Garonne qui promenait ses flots majestueux.., des Pyrénées, puis plus tard des Alpes, de l'Italie. Ces passages témoignent du goût du voyage et de la nature que l'on retrouvera dans les romans, les relations de voyage, les lettres des écrivains mais aussi les tableaux de nombreux peintres romantiques :


Karl Blechen : Le pont du Diable

 La route passait, tantôt le long d'affreux précipices, tantôt le long de sites les plus gracieux. (...) Il fit claquer son fouet et sans égard ni pour la difficulté du chemin ni pour la vie de ses pauvres mules, il les mit au grand galop, au bord d'un précipice dont l'aspect faisait frissonner; l'effroi  d'Emilie  la priva presque de ses sens.(…)
Tout y était solitaire et stérile; on y voyait aucune créature vivante que le bouquetin des montagnes qui, parfois, se montrait tout à coup sur la pointe élancée de quelque roche inaccessible.
  
 Caspar David Friedrich : ruines en hiver

Les ruines, les abbayes ou les châteaux sont aussi des lieux privilégiés pour nourrir le mystère.
Voilà Udolphe dit Montoni, qui parlait pour la première fois depuis des heures.
Emilie regarda le château avec une sorte d'effroi.. Quoiqu'éclairé  par le soleils couchant, la gothique grandeur de son architecture, ses antiques murailles de pierre grise, en faisait un objet imposant et sinistre.


 Carl Philipp Forth : paysage romantique italien

 Enfin l'Italie, avec ses paysages ensoleillés et ses villes artistiquement riches et florissantes constituera aussi un engouement pour le romantisme, par amour des contrastes vifs, de l'ombre et de la lumière, de l'austérité à la richesse, de la sévérité à la douceur.
Mais qui pourrait décrire le ravissement d'Emilie, lorsqu'en sortant d'une mer de vapeurs, elle découvrit, pour la première fois, l'Italie! Du bord d'un de ces précipices affreux et menaçants du Mont-Cénis, qui gardent l'entrée de ce pays enchanteur, elle promena ses regards à travers les nuages qui flottent encore à ses pieds. Elle vit les riches vallées du Piémont, les plaines de la Lombardie se perdre dans un lointain confus.

Divergences avec le romantisme

Le roman s'oppose  pourtant aux idées qui seront celles du romantisme qui chante la passion et l'amour fou, pour faire l'éloge de la raison, la patience et la vertu.
Valancourt, après avoir quitté la voie de la sagesse revient dans le droit chemin. Avec Emilie qui a toujours observé les enseignements de son père sur la supériorité de la raison, il va enfin pouvoir goûter un bonheur bien mérité :
… tendant sans cesse à la perfection de l'intelligence, ils jouirent des douceurs d'une société éclairée, des plaisirs d'une bienfaisance active, et comment les bosquets de la Vallée redevinrent le séjour de la sagesse et le temple de la félicité domestique!
On croirait entendre des accents voltairiens, la fin de Candide par exemple! Par cet aspect de son oeuvre, Ann Radcliffe est plus proche du XVIII siècle que du romantisme, tout comme Jane Austen d'ailleurs.

Jane Austen et Ann Radcliffe

En lisant le roman de Jane Austen, Northanger abbey qui parlait de Les mystères d'Udolphe, je m'étais fait une idée de ce roman très différente de la réalité.

Je pensais que le roman d'Ann Radcliffe se déroulait en Angleterre, dans un château perdu au milieu du brouillard et des landes désertes, semblable aux paysages d'Emily Brontë. Or, le récit se déroule en France, dans la région du sud-est, puis à Venise et au nord de l'Italie où se trouve le château d'Udolfo. Preuve que j'avais oublié l'enthousiasme de Catherine qui s'exclame  à propos des lieux :
Voilà midi vingt minutes, et le temps ne change pas, dit Catherine en soupirant. Que nous serions heureux si nous avions ici le climat de l’Italie ou du midi de la France ! Là il fait toujours si beau, suivant les charmantes descriptions du roman d’Udolphe : quel superbe temps il faisait la nuit de la mort du pauvre Saint-Aubin.
Quand je me promène sur le bord de la rivière, je ne vois jamais ce lieu sans penser au midi de la France, dit Catherine.
— Vous avez été en France ! reprit Henri avec surprise.
— Oh ! non : je ne la connais que par ce que j’en ai lu. J’ai toujours présent à l’imagination le voyage que, dans les Mystères d’Udolphe, Emilie fit en France avec son père…

 Jane Austen se moque gentiment de son héroïne Catherine qui cherche à revivre dans la confortable abbaye de Northanger les mêmes aventures que celles d'Emilie, prisonnière de brigands sanguinaires, dans le château Udolphe.  j'en avais déduit que Les mystères d'Udolphe était peuplé d'apparitions fantasmagoriques, effroyables, que l'irrationnel y régnait en maître or toutes les péripéties extraordinaires qui surviennent dans le récit sont expliquées par la suite d'une manière très réaliste.



Enfin, il me semblait, dans mon souvenir lointain, que Jane Austen, rationnelle elle-même, anti-romantique ne devait pas aimer Ann Radcliffe. Il n'en est rien.
Jane Austen, en tant que romancière, prend la défense du roman en général à plusieurs reprises :
Pourtant quelle branche de littérature est plus vaste et plus agréable ? Laquelle procure plus de plaisir ? Quel mortel, sachant lire, n’a parcouru quelquefois, souvent même, avec intérêt ces ouvrages qui charment la pente qui nous entraîne vers le merveilleux ?… et n’a lu avec délices ceux qui retracent si bien tous les secrets du cœur et les divers évènements de la vie… Nous ne rencontrons partout que des ennemis ; nous ne recueillons que le blâme, et nos ouvrages sont dans toutes les mains ! Et c’est dans nos productions que ces ennemis eux-mêmes viennent chercher quelques idées agréables, quelques souvenirs de bonheur, quelques moments de distraction.

Et la défense de Ann Radcliffe en particulier!  La preuve c'est qu'elle met dans la bouche de Thorpe, un personnage peu sympathique, la critique négative de ce roman (que par ailleurs il n'a pas lu) :
Avez-vous lu Udolphe, dit-elle, M. Thorpe ? — Udolphe ! Ma foi, non : je ne lis jamais de romans ; j’ai bien autre chose à faire. Catherine humiliée et honteuse allait justifier sa question, quand il la prévint. — Les romans, ajouta-t-il, sont tous pleins de sottises et d’invraisemblances ; il n’y en a pas un seul de supportable ; depuis Tom Jones, excepté le Moine, que j’ai lu l’autre jour, tous les autres sont les plus stupides productions du monde. — Je crois que vous aimeriez Udolphe, si vous le lisiez ; il est si intéressant ! — Non, ma foi : si j’en lis jamais, ce ne sera que les romans de Mistriss Radcliff ; ceux-là sont assez amusants ; il s’y trouve de la gaieté, du naturel. — Mais Udolphe est de Mistriss Radcliff, dit Catherine avec un peu d’embarras causé par la crainte de mortifier.

Par contre l'éloge du roman est fait par le sympathique et charmant Tilney dont Catherine est amoureuse  :
Je suis sûre que vous ne lisez jamais de romans ?
— Pourquoi n’en lirais-je pas ?
— Parce que ce ne sont pas des livres assez savants pour vous. Les hommes en lisent de meilleurs que les romans.
— Ce serait pour un savant comme pour une jeune dame faire preuve de peu d’esprit que de ne pas se plaire à la lecture d’un bon roman. J’ai lu tous les ouvrages de Miss Radcliff ; il en est plusieurs qui m’ont causé un grand plaisir. Pour Udolphe, quand je tenais le livre, je ne pouvais le quitter ; je me souviens de l’avoir lu tout entier en deux jours. Depuis le commencement jusqu’à la fin, je sentais mes cheveux se dresser sur ma tête.

Le cousinage entre Radcliffe et Austen 



Enfin, il est certain que l'auteur de Raison et Sentiment  devait se sentir très proche des paroles que Ann Radcliffe attribue à monsieur Saint-Aubert  : Je me suis efforcé lui dit-il de vous donner dès vos premières années, un véritable empire sur vous-même, je vous en ai représenté l'importance dans toute la conduite de la vie; c'est cette qualité qui nous soutient contre les plus dangereuses tentations du vice, et nous rappelle la vertu; c'est lui qui modère l'excès des émotions les plus vertueuses.
 Je ne voudrais pas étouffer votre sensibilité mon enfant, je ne voudrais qu'en modérer l'intensité. 


Lecture commune de : Aaliz,  Nathalie,  Shelbylee,  Claudialucia

Voir aussi Cléanthe







Les mystères d'Udolphe Folio Gallimard 
ou Les mystères d'Udolphe Archipoche 

dimanche 12 mai 2013

Ryûnosuke Akutagawa : Rashomon et autres contes


Résultat de l'énigme n°65

Les vainqueurs du jour sont : Asphodèle, Dasola,  Dominique,  Eeguab, Somaja...

Le recueil de nouvelles : De Ryûnosuke Akutagawa : Rashomon et autres contes
                    
Le film :  Rashomon de Akira Kurosawa



Ryûnosuke Akutagawa (1892-1927)
  
Né à Tokyo, Akutagawa, auteur de plus de 200 récits très courts,  est considéré à juste titre comme un des écrivains majeurs du Japon. Brillant élève et étudiant il se nourrit à la fois des classiques Chinois et Japonais et de la littérature occidentale (il fut le traducteur de Yeats et d'Anatole France). Il publie sa première nouvelle en 1914 (Vieillesse). Enseignant, il décide  de se consacrer entièrement à l'écriture en 1920, il cherche dans ses textes à réaliser la fusion entre  la culture classique orientale et la littérature occidentale, fusionner  tradition et modernité. Un grand nombre de ses nouvelles parlent du Japon médiéval, mais l'écriture est très moderne et personnelle. Les récits sont rigoureusement construits, la langue souvent poétique est épurée, chaque phrase est calculée pour obtenir les effets et le émotions  recherchés. Dans ses récits historiques, ses contes Akutagawa parle certes de son pays, mais aussi de lui-même,  de sa vision de l'homme, de ses propres angoisses. Souffrant d'hallucinations, l'écrivain mettra fin à ses jours à l'âge de 35 ans.
Rashômon et autres contes

  Dans le livre paru en format de poche, l'éditeur  a réuni quatre contes qui  nous permettent d'approcher l'oeuvre de l'écrivain.

Rashômon est une des premières nouvelles écrites par Agatagawa en 1915. A l'époque médiévale, à Kyôto ravagé par une suite de calamités, un homme de basse condition s'est réfugié pour se protéger de la pluie sous le portique (= Mon) du démon (= Rashô) transformée en charnier.  Le personnage, un modeste employé a été chassé de son emploi par son patron. Au milieu des cadavres, il rencontre une vieille femme fantomatique qui arrache les cheveux aux cadavres. Horrifié, il dépouille la vieille femme de ses vêtements. Pour survivre il s'est  décidé à devenir voleur. La nouvelle pose la question du Bien et du Mal. Pour survivre le pauvre perd son humanité. Le Mal n'est-il pas indissolublement lié à la misère?

Dans le fourré (1922), à la suite d'un meurtre survenu en forêt, sept personnages témoignent devant la justice : un bûcheron, un moine, un mouchard, un brigand, une vieille femme, la femme de la victime, et l'esprit du mort par l'intermédiaire d'une sorcière. Les témoignages apparaissent contradictoires le brigand et l'épouse s'accusant du meurtre, la victime parle de son suicide. Quelle est la vérité? les personnages semblent préférer s'accuser de crimes plutôt qu'être pris pour des lâches et ternir leur réputation. L'orgueil de l'Homme est incommensurable puisque même dans la mort il préfère sauvegarder son image plutôt que la vérité.

Dans Figures Infernales (1917) Akutagawa nous raconte l'histoire de la réalisation du Paravent des Figures infernales par l'artiste Yoshihidé, qui ne peut peindre que ce qu'il voit. Mais comment peindre l'Enfer sans l'approcher? Ce récit très noir et pessimiste montre un artiste prêt à tous les sacrifices pour atteindre le sommet de son art et pose les problèmes de l'art et de la morale.

La dernière nouvelle nous présente  le portrait d'un ridicule sous-officier qui souhaite se rassasier d'un mets royal, un Gruau d'ignames (1915) à la cannelle. Akutagawa sait aussi à côté de ses récits noirs,  peindre les ridicules des personnages et manier l'ironie.


Quatre nouvelles puissantes et noires d'un très grand écrivain.

 Akira Kurosawa : Rashomon

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Akira Kurosawa s'inspire de deux nouvelles de Akutagawa,  Rashômon qui donne le titre et le cadre du film et Dans le fourré, le récit. Il situe l'intrigue dans le Japon du XII ème siècle, une période de troubles et de guerres civiles.

Sous le portique (Mon) du démon (Rashô)  trois hommes sont venus de mettre à l'abri  car la pluie tombe violemment. Un moine et un bûcheron discutent d'un procès auquel ils ont assisté et témoigné. Le troisième homme les incite à raconter l'histoire. Le corps d'un samouraï, Takehiro, a été retrouvé sans vie et son épouse Masago a été violée par un bandit de grand chemin, Tamojaru. Mais le procès ne permet pas de reconstituer avec certitude les faits, les conditions du meurtre du Samouraï, car les six témoignages  recueillis lors du procès donnent des versions largement contradictoires. Qui dit la vérité? Tamojaru qui s'accuse du meurtre et du viol ? Mais peut-on parler de viol ? Masago était-elle consentante? A-t-elle tué son mari? Tikahiro, qui parle de l'au-delà par l'intermédiaire d'un médium s'est-il suicidé ou a-t-il cherché à fuir et a été abattu comme un lâche? Et qu'a vu réellement le bûcheron, seul témoin extérieur au meurtre ? Lorsque la pluie cesse, les trois hommes se séparent, mais les cris d'un enfant abandonné attirent le bûcheron qui décide de l'adopter. Le moine le remercie: "Ton geste a restitué ma foi en l'humanité".

Pour Kurosawa: "Les hommes sont incapables d'honnêteté envers eux-mêmes. Ils ne peuvent pas parler d'eux sans embellir leur image. Ce film est comme un tableau enroulé qui, en se déroulant, dévoile le Moi humain." Cette déclaration  peut paraître très pessimiste, mais  le dénouement  du film (différent du  conte de Akutagawa)  nuance le propos. Quand le bûcheron emmène l'enfant, Kurosawa nous affirme qu'il ne faut jamais désespérer de l'âme humaine.

 Extrait du billet de Wens que vous pourrez aller lire en entier ICI :

Rashomon film de Kurosawa

Rashomon Ryûnosuke Akutagawa

dimanche 14 avril 2013

Nathaniel Hawthorne : La lettre écarlate



 
Résultat de l'énigme n°63
Les vainqueurs du jour sont : Aaliz, Asphodèle, Dasola, Dominique, Eeguab, Keisha, Miriam, Pierrot Bâton, Somaja, Syl ...  Et merci à tous!

le roman: La lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne
                    
Le film : La lettre écarlate de Wim Wenders (1973)




L'auteur  
Nathaniel Hawthorne (1804-1864) est né à Salem (Massachussetts) dans une famille calviniste, puritaine qui émigra d'Angleterre. Il est marqué par l'idée du péché et de la prédestination. L'un de ses ancêtres avait été un juge sévère et impitoyable au procès des sorcières de Salem, ce qui a engendré chez l'écrivain un sentiment de culpabilité dont il n'a jamais pu se défaire. Il a même changé son nom qui était à l'origine : Hathorne. La lettre écarlate qui traite du péché d'adultère témoigne des contradictions de Hawthorne. 
Un livre contre le puritanisme?
Alors que Hawthorne est marqué par son éducation religieuse qui ne permet pas de croire au pardon des fautes et à la rédemption,  la femme adultère, Hester Prynne, qui est coupable et incarne le péché se sauve par sa dignité, sa force de caractère, sa générosité et son altruisme. Il dresse d'elle un très beau portrait.  Ce sont les autres, les notables qui ont le pouvoir et la richesse, qui se rendent coupables de violence psychologique envers elle. Mais dans leur certitude d'être meilleurs qu'elle, ils étalent égoïsme, suffisance et intolérance. Hester Prynne est une femme libre alors que son mari qui est à l'origine l'offensé se damne parce qu'il ne sait pas pardonner. L'écrivain se distingue donc de sa famille religieuse en dénonçant l'intolérance du puritanisme et son hypocrisie et en prenant le parti de la liberté individuelle.
Hester Prynne et sa lettre écarlate (film de Victor Sjöström)

Le roman
La lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne paru en 1850 est un des plus grands romans américains. Henri James affirmait même que c'était l'oeuvre la plus remarquable et la plus authentiquement américaine. Le sujet qu'il traite est, en effet, résume bien la société américaine toujours déchirée entre puritanisme et scandale.

Dans ce que lui-même appelait une histoire de « la fragilité et du chagrin humains... véritablement embrasée par les feux de l'enfer », Hawthorne évoque les tragédies de la conscience malheureuse dans la colonie puritaine de la Nouvelle-Angleterre au XVII siècle. L'intrigue est simple et semble relever du triangle amoureux. Un vieil érudit anglais a envoyé à Boston sa jeune épouse, Hester Prynne, pour qu'elle s'y installe avant lui. Quand il vient la rejoindre deux ans plus tard, il la trouve exposée au pilori, Pearl, sa fillette illégitime, dans les bras. En effet, Hester a refusé de révéler le nom de son amant. Elle est désormais condamnée à porter sur tous ses vêtements une lettre écarlate, un A majuscule, symbole de l'adultère.
 Mais ce qui attirait tous les regards et transfigurait en quelque sorte la femme ainsi vêtue, si bien qu'hommes et femmes de son ancien entourage étaient à présent frappés comme s'ils la voyaient pour la première fois, c'était la LETTRE ÉCARLATE si fantastiquement brodée sur son sein. Elle faisait l'effet d'un charme qui aurait écarté Hester Prynne de tous rapports ordinaires avec l'humanité et l'aurait enfermée dans une sphère pour elle seule.
 Son mari, lui, décide de se faire passer pour le docteur Roger Chillingworth afin de mieux parvenir à démasquer le coupable..... (source  encyclopédie Universalis pour le résumé)
 
La beauté du style
Le livre de Hawthorne m'a touchée par la beauté  du style. Je pourrais citer des passages entiers. C'est un roman magnifique tant par les personnages qui l'habitent que par sa poésie.
La nature
La nature sauvage y occupe une grande place face à la ville des colons. Elle est peuplée par les indiens mais aussi selon les croyances de l'époque par le diable et les sorcières. La forêt touffue et secrète permet aux amants de se retrouver et d'imaginer une vie où ils seraient libres d'aimer. Enfin la nature a une vie propre, elle est animée, vivante, douée de sentiments, d'émotions..  
Au centre, un ruisseau courait, nimbé d’une vapeur légère. Les arbres qui se penchaient au-dessus avaient laissé tomber dans ses eaux de grosses branches. Elles engorgeaient le courant, produisant, çà et là, des tourbillons et des profondeurs noires tandis que sous le passage libre du flot on voyait briller comme un chemin de cailloux et de sable brun. Si l’on suivait le ruisseau des yeux, on pouvait apercevoir ses eaux miroiter à quelque distance, mais on en perdait bien vite toute trace dans l’enchevêtrement des troncs d’arbres, des buissons, des rocs couverts de lichens. Tous ces arbres géants et ces blocs de granit semblaient s’appliquer à rendre mystérieux le cours de ce petit ruisseau. Peut-être craignaient-ils que, de sa voix infatigable, il allât murmurer sur son passage les secrets du cœur de la vieille forêt ? ou refléter des révélations sur le miroir lisse d’une de ses anses ? Sans cesse, en tout cas, le petit ruisseau poursuivait son murmure gentil, tranquille, apaisant mais mélancolique comme la voix d’un enfant qui passerait son enfance sans amusement et ne saurait comment être gai au milieu d’un entourage morne et d’événements sombres.

– Ô ruisseau ! Sot et fatigant petit ruisseau ! s’écria Pearl après l’avoir écouté un instant. Pourquoi es-tu si triste ? Prends un peu courage et ne sois pas tout le temps à soupirer !


Mais, au cours de sa petite vie parmi les arbres de la forêt, le ruisseau avait traversé tant de graves aventures qu’il ne pouvait s’empêcher d’en parler et paraissait n’avoir rien d’autre à dire. Pearl lui ressemblait en ceci que sa vie à elle provenait aussi d’une source mystérieuse et se déroulait dans un décor aussi mélancoliquement assombri. Mais à l’inverse du petit ruisseau, elle bondissait, étincelait et babillait légèrement dans sa course.


– Que dit ce petit ruisseau triste, Mère ? demanda-t-elle.


– Si tu avais un chagrin à toi, le ruisseau t’en parlerait comme il me parle du mien, lui répondit sa mère.

 L'enfance
  L'enfance quand elle est sauvage, coupée de la civilisation, est proche de la nature.  C'est le cas de  Pearl,  la petite fille de Hester Prynne, enfant illégitime, que le péché de sa mère a éloigné du contact des autres, et qui a gardé une sensibilité, une pureté non altérée qui lui permet de deviser avec les éléments naturels et de les comprendre.  Elle n'est pas capable de ressentir de la tristesse, de l'émotion et si cela lui donne quelque chose d'inhumain, elle a par contre la liberté, la vivacité et la force première qui est celle propre à la Nature. Elle échappe ainsi à la marque du christianisme, le sens du péché, et apparaît un peu comme un esprit païen; Hawthorne la nomme l'enfant-lutin.
Hester dit à la petite Pearl de courir s’amuser avec les algues et les coquillages pendant qu’elle parlerait avec l’homme qui là-bas ramassait des herbes. L’enfant s’envola comme un oiseau, dénuda ses petits pieds blancs et se mit à trottiner au long du bord humide de la mer. De temps à autre, elle s’arrêtait net et regardait curieusement dans une flaque – miroir que la mer avait laissé en se retirant pour que la petite Pearl pût y voir son visage. Il la regardait du bord de la flaque, entouré de boucles brunes, avec un sourire de lutin dans les yeux – image d’une petite fille à qui Pearl, n’ayant d’autre compagne de jeux, faisait signe de venir courir avec elle la main dans la main. Mais la petite fille faisait de son côté le même signe comme pour dire : « On est mieux ici ! Viens, toi ! » Et Pearl, enfonçant dans la flaque jusqu’à mi-jambes, n’apercevait plus au fond que ses petits pieds blancs, tandis que de profondeurs plus lointaines, la lueur d’une sorte de morceau de sourire montait et flottait çà et là sur les eaux agitées.
 L'ombre et la lumière
Le roman est bâti sur une antithèse entre le bien et le mal, symbolisé par l'ombre et la lumière. Il y a des personnages sombres comme celui du mari d'Hester, d'autres lumineux comme Pearl, la fille d'Hester. 

– Mère, dit la petite Pearl, le soleil ne vous aime pas. Il court se cacher parce qu’il y a sur votre poitrine quelque chose qui lui fait peur. Tenez, le voilà qui brille au bout du chemin. Restez là et je vais courir l’attraper. Je ne suis qu’une petite fille. Il ne se sauvera pas devant moi puisque je ne porte encore rien sur ma poitrine.
– Ni ne porteras jamais rien, j’espère, mon enfant, dit Hester.
– Et pourquoi non, Mère ? demanda Pearl en s’arrêtant net à l’instant de prendre sa course. Est-ce que ça ne viendra pas tout seul quand je serai devenue grande ?
– Dépêche-toi de courir attraper ce rayon de soleil, dit la mère, il va être bientôt parti.
Pearl s’élança à toutes jambes et Hester sourit en voyant l’enfant atteindre bel et bien l’endroit où brillait le soleil et s’y tenir en riant, animée par sa course et toute rayonnante. La lumière s’attardait autour de la petite fille comme si elle était heureuse d’avoir trouvé pareille compagne de jeu. Hester cependant avançait et fut bientôt sur le point d’entrer à son tour dans le cercle magique.
– Il va s’en aller, à présent, dit Pearl en secouant la tête.
– Regarde ! répondit Hester en souriant, j’étends la main et je le touche.
Comme elle étendait, en effet, la main, le rayon de soleil disparut

Si Hester Prynne est un personnage que le soleil fuit à cause de sa marque d'infamie, c'est pourtant et paradoxalement, cette marque qui lui apporte couleur et lumière, la lettre écarlate que, par défi et fierté, elle a brodé elle-même, et qu'elle a voulu non pas discrète mais somptueuse, brillamment colorée.  La jeune femme par sa dignité et sa bonté va effacer le signe de sa honte en s'élevant sur le plan moral au-dessus de ceux qui l'ont jugée et condamnée.



Au cinéma le livre a été adapté trois fois : En 1926, par Victor Sjöström, un film que je ne connais pas mais que j'aimerais voir car j'aime le réalisateur. 
En 1973 par Wim Wenders qui juge son film avec une extrême sévérité (et il a bien raison!!) : Voir chez Wens
 Et une troisième fois en 1995 par Roland Joffé.


lundi 8 avril 2013

Ernest Renan : Souvenirs d'enfance et de jeunesse



Quand j'ai lu Souvenirs d'Enfance et de jeunesse d'Ernest Renan (1823-1892), je me suis attendue à des mémoires sur l'enfance, à la manière de Chateaubriand dans les premiers tomes des Mémoires d'Outre-Tombe, des souvenirs pleins de vie, de légèreté,  d'humour et permettant  de recréer  et de faire vivre une période historique, une époque, une région, un milieu social, une mentalité. C'est bien le cas pour ces dernières caractéristiques sauf pour l'humour et la légèreté. Renan, à l'exception de quelques passages où il évoque son amie d'enfance, la petite Noémi, les histoires racontées par sa vieille mère comme celle de la fille du broyeur de lin, du Bonhomme Système, personnages pittoresques de la ville de Tréguier au XIX siècle… Renan, disais-je, est assez austère.
Il se lie difficilement avec autrui et  son amitié est peu démonstrative. Dès sa jeunesse, il se destine à être prêtre, étudie avec les curés de sa ville natale, Tréguier, puis est pris au séminaire de Saint Nicolas du Chardonnet et enfin à celui  de Saint-Sulpice. Ses études occupent une grande place dans une vie entièrement consacrée à l'esprit, l'intelligence et Dieu jusqu'au moment où il va perdre la foi non pas en Dieu mais dans le fondement de l'Eglise et la vérité des croyances chrétiennes. C'est parce qu'il a fait l'analyse et l'exégèse des textes saints originaux et en a découvert les contre-vérités et les faiblesses qu'il a  renoncé à la prêtrise.
J'essayerai de montrer comment l'étude directe du Christianisme, entreprise dans l'esprit le plus sérieux, ne me laissa plus assez de foi pour être un prêtre sincère, et m'inspire, d'un autre côté, trop de respect pour que je pusse me résigner à jouer avec les croyances les plus respectables, une odieuse comédie.

L'homme ne m'est pas entièrement sympathique (un peu trop "empesé" ) et présente bien des contrastes, bien des dualités, parfois conservateur mais ouvert sur l'avenir, idéaliste par goût, réaliste par pessimisme, cérébral mais enthousiaste sur le progrès et les sciences, froid mais parlant de ses maîtres avec sympathie.. Il est aussi intelligent, rationnel, érudit, juste dans son appréciation des autres, modéré dans ses assertions qui se fondent toujours sur la raison et des études savantes et approfondies.  On sent une intelligence hors du commun et en cela il impressionne.  Et puis il y a le style, beau et  généralement maîtrisé car il tient la bride à ses  sentiments, se laissant rarement aller au lyrisme et encore moins à l'emphase romantique que l'on retrouve chez certains écrivains romantiques.

Tout me prédestinait donc bien réellement au romantisme non de la forme (je compris assez vite que le romantisme de la forme est une erreur, que, s'il y a deux manières de sentir et de penser, il n'y a qu'une seule forme pour exprimer ce que qu'on pense et ce qu'on sent), mais au romantisme de l'âme et de l'imagination.

Bien que j'aie trouvé certains passages longs et ennuyeux, je me suis accrochée à ma lecture et j'ai aimé des passages descriptifs et certaines réflexions et pensées philosophiques ou politiques. En voici quelques unes :

La Bretagne : Son amour pour son pays d'origine, la Bretagne et sa ville natale Tréguier, s'exprime dans de belles pages pleines de sensibilité qui ouvrent la porte à l'imagination.  Il nous explique l'Histoire de Bretagne, analyse le caractère breton et  les croyances celtes, parle des saints bretons et de leurs particularités fantaisistes, parfois cocasses.

Une des légendes les plus répandues en Bretagne est celle d'une prétendue ville d'Is, qui, à une époque inconnue, aurait été engloutie par la mer. On montre, à divers endroits de la côte, l'emplacement de cette cité fabuleuse, et les pêcheurs vous en font d'étranges récits. Les jours de tempête, assurent-ils, on voit, dans le creux des vagues, le sommet des flèches de ses églises ; les jours de calme, on entend monter de l'abîme le son de ses cloches, modulant l'hymne du jour. Il me semble souvent que j'ai au fond du coeur une ville d'Is qui sonne encore des cloches obstinées à convoquer aux offices sacrés des fidèles qui n'entendent plus. Parfois je m'arrête pour prêter  l'oreille à ces tremblantes vibrations qui me paraissent venir de profondeurs infinies, comme des voix d'un autre monde. Aux approches de la vieillesse surtout, j'ai pris plaisir, pendant le repos de l'été, à recueillir ces bruits lointains d'une Atlantide disparue.

Dès lors j'étais aimé des fées, et je les aimais. Ne riez pas de nous autres, Celtes. Nous ne ferons pas le Parthénon, le marbre nous manque; mais nous savons prendre à poignée le coeur et l'âme; nous avons des coups de stylet qui n'appartiennent qu'à nous; nous plongeons les mains dans les entrailles de l'homme, et, comme les sorcières de Macbeth, nous les en retirons pleines de secrets infinis. Cette race a au coeur une éternelle source de folie. Le "royaume de la féerie", le plus beau qui soit en terre, est son domaine.


La liberté :

Le but du monde est le développement de l'esprit, et la première condition du développement de l'esprit c'est la liberté. Le plus mauvais état social, c'est l'état théocratique, comme l'islamisme et l'ancien Etat pontifical, où le dogme règne directement d'une manière absolue. Les pays à religion d'Etat comme l'Espagne ne valent pas beaucoup mieux. Les pays reconnaissant une religion de la majorité ont aussi de graves inconvénients. Au nom des croyances réelles ou prétendues du grand nombre, l'Etat se croit obligé d'imposer à la pensée des exigences qu'elle ne peut accepter. La croyance ou l'opinion des uns ne saurait être une chaîne pour les autres.

La foi en l'avenir
J'aime le passé, mais je porte envie à l'avenir. Il y aura eu de l'avantage à passer sur cette planète le plus tard possible. Descartes serait transporté de joie s'il pouvait lire quelque chétif traité de physique et de cosmographie écrit de nos jours. Le plus simple écolier sait maintenant des vérités pour lesquelles Archimède eût sacrifié sa vie. Que ne donnerions-nous pas pour qu'il fût possible de jeter un coup d'exil furtif sut tel livre qui servira aux écoles primaires dans cent ans?

Il ne faut pas pour nos goût personnels, peut-être pour nos préjugés, nous mettre en travers de ce que fait notre temps. Il le fait sans nous, et probablement il a raison.

L'éducation

L'essentiel, en effet, ce n'est pas la doctrine enseignée, c'est l'éveil.

La religion

Et qui reste juge en dernier lieu des titres de la foi, si ce n'est la raison?

La mort 

 Je serais désolé de traverser une de ces périodes d’affaiblissement ou l’homme qui a eu de la force et de la vertu n’est plus que l’ombre ou la ruine de lui-même et souvent à la grande joie des sots, s’occupe à détruire la vie qu’il avait laborieusement édifié. Une telle vieillesse est le pire don que les dieux puissent faire à l’homme. Si un tel sort m’était réservé, je proteste d’avance contre les faiblesses qu’un cerveau ramolli pourrait me faire dire ou signer. C’est Renan sain d’esprit et de cœur comme je le suis aujourd’hui, ce n’est pas Renan à moitié détruit par la mort et n’étant plus lui-même, comme je le serai si je me décompose lentement, que je veux qu’on croie et qu’on écoute.

Lecture commune avec Nathalie de Mark et Marcel ICI