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dimanche 3 novembre 2013

Giuseppe Tomasi Lampedusa : Le Guépard


Les gagnants de l'énigme n° 74 sont : Aifelle, Asphodèle, Dasola,Dominique de A sauts et à gambades, Dominique de Nuages et vents, Kathel, Keisha, Miriam, Nathalie, Shelbylee, Somaja.; bravo à toutes!

Les réponses : Le guépard de Giuseppe Tomasi Lampedusa et Le Guépard de Visconti


Giuseppe Tomasi, duc de Palma, de Montechiaro, prince de Lampedusa est né à Palerme en 1896. Il meurt en Rome en 1957, un an avant la parution de son livre Le Guépard, d'abord refusé par les éditeurs, et qui fut publié à titre posthume.
Dans Le Guépard Lampedusa raconte l'histoire de sa famille et plus précisément de son arrière-grand-père, Giulo Fabrizio di Lampedusa qui lui inspire le personnage de son livre Don Fabrizio Salina, prince sicilien. Les armes de son aïeul était un lion léopardé que Lampedusa transforme en guépard d'où le titre du roman devenu depuis un classique.
L'adaptation du livre par Visconti avec Burt Lancaster dans le rôle du prince, Alain Delon dans celui du neveu Tancredi et Claudia Cardinale incarnant Angelica, la fille du paysan enrichi, Don Calegaro, devenu notable, a encore accru la renommée de l'oeuvre littéraire.
Le récit divisé en huit parties, commence en 1860 et s'étend sur plusieurs années pendant le Risorgimento qui vit les troupes garibaldiennes combattre en Sicile et l'unification de l'Italie. La mort du prince survient en juillet 1883. En Mai 1910, on retrouve les filles du prince, dont Concetta qui a été amoureuse de Tancredi, dans leur palais de Salina.

La fin d'un monde

Burt Lancaster dans le rôle de don Fabrizio Salina
Ce qui intéresse Lampedusa aussi bien que Visconti c'est la peinture d'une société aristocratique en pleine décadence, consciente de sa fin et qui voit avec une certaine nostalgie disparaître un monde fondé sur des valeurs qui lui sont chères, catholicisme, fidélité au roi, ordre social, honneur et conscience de la grandeur de la noblesse. C'est pourquoi le récit est toujours placé sous le point de vue du prince jusqu'à sa mort. Mais Don Fabrizio a vite compris que ce changement était inéluctable et il ne va rien faire pour l'en empêcher. Bien au contraire, il va soutenir son neveu Tancredi qui se place du côté des révolutionnaires car dit-il, "il faut que tout change pour que rien ne change".
Si nous ne sommes pas là nous non plus, ils vont nous arranger la république. Si nous voulons que tout reste tel que c'est, il faut que tout change.
Autrement dit, il faut être du côté de ceux qui vont posséder le pouvoir après la révolution et qui remplaceront les autres. La noblesse doit s'adapter, quitte, s'il le faut, à faire alliance avec eux : c'est pourquoi Tancredi avec l'aide du prince épousera la riche Angelica qui, en échange du titre de princesse, lui apportera la fortune de son père. Le pouvoir n'est plus celui de la noblesse du nom mais celui de l'argent, l'idéal étant de posséder les deux. Tancredi fera une longue carrière politique par la suite.

La mort

Tancredi (Alain Delon) et Angelica (ClaudiaCardinale) visitant le palais du prince

La décadence de la race, la fin d'un époque, sont étroitement associées à l'idée de la mort, toujours présente dans le roman.  Allégorique. Dès le début, la mort prend une forme hideuse et repoussante avec le cadavre du soldat venu mourir, les entrailles à l'air, dans le jardin du prince, manque de goût le plus évident. Une fin absurde pour le roi et pour une classe qui ne se soucieront jamais de lui si ce n'est parce qu'ils sont dérangés par la puanteur de cette mort. Allégorie d'une classe sociale, le peuple, qui sera toujours le perdant.

On n'avait plus parler du mort, en effet; au bout du compte, les soldats sont des soldats justement pour mourir en défendant le roi. Mais l'image de ce corps éventré réapparaissait souvent dans ses souvenirs comme si elle demandait qu'on lui donne la paix de la seule manière possible pour le Prince : en dépassant et en justifiant son extrême souffrance par une nécessité générale. Parce que mourir pour quelqu'un ou pour quelque chose d'accord, c'est dans l'ordre des choses; il faut pourtant savoir pour qui ou pour quoi on est mort

Métaphorique : Quand Tancredi et Angelica, avant leur mariage, visitent les partie abandonnées du vaste palais de Salina avec ses fresques, ses dorures ou ses stucs gagnés par l'humidité, la moisissure, ses meubles décrépits, ses tentures de soie déchirées, tachées, ses pièces vides qui gardent le souvenir de tortures et de sang, qui semblent la proie des fantômes…
 Au cours du bal dans la sixième partie, la mort symbolique du prince et de la société apparaît : le prince pris d'un malaise, se met à part et observe les jeunes femmes qu'ils trouvent laides, "incroyablement petites", il les compare à des guenons, les hommes ne débitent que des platitudes; il voit en eux la dégénérescence de sa race. Un instant l'invitation d'Angelica et la danse qu'il partage avec elle, la sensualité qui émane d'elle, lui redonne l'impression d'être jeune. Mais une impression éphémère..  il est à noter d'ailleurs que Visconti arrête son film à ce moment-là car tout est dit. Le bal est d'ailleurs l'apogée du film, un moment cinématographique inoubliable et l'interprétation de Burt Lancaster est sublime et pleine d'émotion contenu mais palpable..

Dans le roman, le bal est la mort annoncée du prince. Mais sa mort survient ensuite dans la septième partie qui lui est entièrement consacrée. Enfin, c'est dans la huitième partie, vingt et un ans après la disparition du prince, que sonne réellement et définitivement le glas de la famille Salina, avec la dépouille naturalisée de Bendico, son chien bien-aimé.   Concetta qui l'avait conservée jusque là comme une relique décide de s'en débarrasser : 

Quelques minutes plus tard ce qui restait de Bendico fut jeté dans un coin de la cour que l'enleveur de la voirie visitait chaque jour : au cours de son vol par la fenêtre sa forme se recomposa un instant : on aurait pu voir danser dans l'air un quadrupède à longues moustaches et la patte droite antérieure semblait lancer une imprécation. Puis tout s'apaisa dans un petit tas de poussière livide.

La Sicile
La Sicile tient bien sûr un grand rôle dans le roman. Elle est  à l'image du prince, magnificente dans sa grandeur et sa beauté,   mais immuable, incapable d'évoluer. Ses richesses sont des témoins de civilisations disparues, c'est une terre qui englue celui qui y vit, elle porte la mort en elle, le passé y paraît pétrifié. La langue de Lampedusa se fait sensuelle, lourde, chargé d'odeurs et de chaleur pour l'évoquer.

Cette violence du paysage, cette cruauté du climat, cette tension perpétuelle de tout ce que l'on voit, ces monuments du passé, magnifiques mais incompréhensibles, parce qu'ils sont construits par d'autres et se dressent autour de nous comme des fantômes grandioses et muets ; tout ces gouvernements débarquant en armes d'on ne sait où, immédiatement servis et détestés, toujours incompris, ne se manifestant que par des œuvres d'art énigmatiques pour nous et par des impôts qui vont grossir ailleurs des caisses étrangères ; tout cela, oui, tout cela a formé notre caractère, qui reste ainsi conditionné par les fatalités extérieures autant que par une terrifiante insularité.

L'amour

Don Fabrizio et Angelica : la dernière valse

L'amour entre Tancredi et Angelica s'étale au grand jour avec la bénédiction du prince; il s'agit surtout de sensualité, de désir et non de sentiment profond. Angelica est trop ambitieuse pour se donner entièrement même à Tancredi qui lui plaît pourtant; Tancredi est ébloui par la beauté de la jeune fille mais il ne perd jamais de vue qu'elle a une dot fabuleuse. Mais il y a deux sentiments amoureux qui restent cachés, refoulés. Celui de Concetta qui aime son cousin Tancredi et est sacrifiée par son père qui préfère son neveu Tancredi à tous ses autres enfants et favorise le mariage avec Angelica au détriment des sentiments de sa propre fille. Et l'amour du Prince pour Angelica qui apparaît (encore une scène fantastique due au talent de Burt Lancaster) au moment du bal quand la jeune fille vient l'inviter à danser.

*

Angelica, Le prince, Tancredi

Un roman passionnant, tellement riche que l'on ne saurait l'épuiser! Le prince de Lampedusa, noble hautain et fier de sa race, colérique et dominateur, mais aussi intelligent et humain parce que toujours en proie au doute, est contre toute attente    attachant (pourtant il incarne pour moi toutes les valeurs que je n'aime pas); la nostalgie dans laquelle baigne le roman; la connaissance de la Sicile, de ses paysages mais aussi de son caractère intime, de ses types façonnés par le climat et la misère; le fond historique, houleux, vague impétueuse où tout semble basculer, où le peuple peut enfin concevoir des espérances qui  seront vite étouffées dans l'oeuf par les classes dirigeantes; l'humour qui par éclairs fugitifs semble contrebalancer la mort toujours présente; la nostalgie où baigne le roman, tout, je dis bien tout, fait de ce roman un chef d'oeuvre. Vous n'avez pas lu ? faites-le vite!



Samedi 9 Novembre l'énigme du samedi Un livre/un film aura lieu chez Eeguab

Challenge italien chez Nathalie



dimanche 9 juin 2013

Umberto Ecco : Le nom de la rose




Le nom de la rose  de l'écrivain italien Umberto Ecco est paru en 1980 et a reçu le prix Médicis étranger. L'adaptation de Jean Jacques Annaud date de 1982.

présentation de l'éditeur
En l’an de grâce et de disgrâce 1327, rien ne va plus dans la chrétienté. Des bandes d'hérétiques sillonnent les royaumes. Lorsque Guillaume de Baskerville, accompagné de son secrétaire, arrive dans le havre de sérénité et de neutralité qu'est l'abbaye située entre Provence et Ligurie – que tout l'Occident admire pour la science de ses moines et la richesse de sa bibliothèque –, il est aussitôt mis à contribution par l’abbé. La veille, un moine s’est jeté du haut des murailles. C’est le premier des assassinats qui seront scandés par les heures canoniales de la vie monastique. Crimes, stupre, vice, hérésie, tout va advenir en l’espace de sept jours.  Le Nom de la rose, c'est d'abord un grand roman policier pour amateurs de criminels hors pair qui ne se découvrent qu'à l'ultime rebondissement d'une enquête allant un train d'enfer entre humour et cruauté, malice et séductions érotiques. C'est aussi une épopée de nos crimes quotidiens qu'un triste savoir nourrit.

Inutile de vous dire que j'aime énormément le roman d'Umberto Ecco, roman  brillant, riche, touffu,  historique puisque le récit se déroule au Moyen-âge, dans une abbaye franciscaine, à une époque troublée où l'autorité du pape qui a quitté Rome pour s'installer à Avignon, est contestée, où sévit l'Inquisition, où règnent la peur,  les suspertitions, où le diable est partout présent... une époque passionnante, foisonnante, revisitée brillamment par Umberto Ecco qui fait revivre devant nos yeux la vie quotidienne d'une abbaye, un roman d'érudition qui sait ne jamais être ennuyeux et pesant..  Il s'agit aussi d'un roman policier, bien sûr, puisqu'il nous propose une intrigue complexe avec meurtres en série, rebondissements et surprises à la clef! Mais ce n'est que qu'un "premier degré" de lecture.  Dominique Fernandez dans un article de L'Express en 1982 en distinguait trois :

Mais "à un deuxième niveau" (...) Le Nom de la rose révèle un jeu littéraire des plus excitants. Pas une seule phrase du roman ne serait de lui, a affirmé l'auteur dans une boutade qui signifie d'abord que tout livre, au XXe siècle, est fait de la somme des livres précédents. Comme le labyrinthe de l'abbaye, le roman d'Eco est en lui-même une bibliothèque, où l'expert se régalera en reconnaissant, ici, un passage de Voltaire (l'histoire du cheval, au début, copiée sur celle du chien dans "Zadig"), là, pour les descriptions de gemmes et de plantes, le Huysmans de "La Cathédrale", plus loin, pour le défilé des hérétiques, le Victor Hugo de "Notre-Dame de Paris". Un exemple précis entre cent: vers la fin, la phrase que Guillaume cite à Adso comme étant d'un mystique allemand: "Il faut jeter l'échelle sur laquelle on est monté", n'est que la transcription en allemand ancien d'un aphorisme de... Wittgenstein, philosophe contemporain (et un clin d'oeil à "Jette mon livre, Nathanaël" de Gide). 

Et un troisième :

Mais alors, dira-t-on, toute cette grosse machine pour un simple divertissement de professeur? C'est ici que le "troisième niveau" rétablit la situation et transforme la gageure littéraire en un grave et profond livre aux répercussions troublantes. Dans les hérétiques, franciscains du XIVe siècle, puritains de l'Eglise et intolérants jusqu'au crime, Umberto Eco voit le modèle de ceux des terroristes qui ensanglantent aujourd'hui l'Italie, pour protester contre les compromissions du Parti communiste.

Les idées philosophiques sont elles aussi passionnantes.  Il s'agit d'une apologie de la raison défendue ici par le moine Guillaume de Baskerville, d'une lutte contre l'obscurantisme et pour la liberté. Les livres doivent servir à améliorer la condition humaine, à apporter le savoir et le bonheur et non, comme le veut Jorge de Burgos, le doyen des moines de l'abbaye, à maintenir les hommes prisonniers dans la crainte de dieu.
Sous sa forme amusante de roman policier et savante de devinette érudite, un vibrant plaidoyer pour la liberté, pour la mesure, pour la sagesse, menacées de tous côtés par les forces de la déraison et de la nuit.   Dominique Fernandez, L’Express.

Le film de Jean-Jacques Annaud, a été par la force des choses simplifié mais il n'en conserve  pas moins une grande force liée à la qualité de la reconstitution de la vie des moines dans l'abbaye, aux images et bien sûr à la magistrale interprétation. (chez Wens)

Je vous invite  à aller lire les billets d'une lecture commune de ce roman faite en 2011 :

Isil :
Karine
Efelle :
Choupynette 

 
 Résultat de l'énigme n°69



Les vainqueurs du jour  : Aifelle, Asphodèle, Bonheur du jour, Dasola, Eeguab, Keisha, Miriam, Pierrot Bâton, Somaja Merci à tous!




Le roman :Le nom de la rose de Umberto Ecco
Le film : Le nom de la rose de jean-Jacques Annaud





dimanche 2 juin 2013

Semaine italienne : Les aventures de Pinocchio de Carlo Collodi


Carlo Collodi

Carlo Collodi naît en 1826 à Florence où il mourra en 1890. Il est journaliste puis participe à la lutte pour l'indépendance de l'Italie en 1859. Dans les année qui suivent, il écrit des romans et des pièces de théâtre qui ont peu de succès. Ce n'est qu'en 1881 qu'il va gagner la notoriété en publiant en feuilleton - pour régler une dette de jeu, dit-on- le premier chapitre des aventures de Pinocchio. Il sera achevé en 1883.
Pinocchio signifie en italien "petit pignon"; c'est le fruit de la pomme de pin et cela signifie aussi "petit crevard" dans l'esprit de Collodi, autrement dit quelqu'un de moindre importance, un petit pauvre destiné à la misère et à mourir de faim.


Un livre qui s'adresse aux enfants

L'histoire de Pinocchio a acquis bien vite une renommée internationale. Tout le monde, en effet, connaît cette petite marionnette, même ma petite fille qui, à l'âge de trois ans, se cache le nez quand elle est effrayée non pas d'avoir menti mais que cela se voit! Pinocchio reste un petit pantin de bois tant qu'il n'a pas manifesté son humanité; il doit par apprendre à  se maîtriser, à acquérir des valeurs (ne pas mentir, être honnête, être travailleur etc…) pour pouvoir vivre en société, il doit savoir lire et écrire, apprendre un métier. Mais surtout il doit savoir prêter attention aux autres, se dépouiller de son égoïsme et s'ouvrir aux autres. Il ne devient un véritable être humain que lorsqu'il a atteint ce stade de son évolution. C'est évidemment la parabole du passage de l'enfance à l'âge adulte. En ce sens, Pinocchio est un roman d'apprentissage pour les tout petits. Il est en quelque sorte l'histoire de ce que les enfants vivent au quotidien à travers l'éducation parentale, scolaire et sociale. Et c'est pourquoi ils peuvent très facilement s'identifier au pantin en bois : il veu têtre libre, il commet des sottises, manque l'école, n'aime pas obéir et ment …. Mais en même temps c'est un personnage très encourageant : d'abord parce qu'il réussit malgré ses mésaventures à devenir "grand", ensuite parce qu'il y est aidé comme dans les contes par des auxiliaires, magiques ou non, comme la Fée bleue, le grillon, et bien sûr le père aimant, Gepetto.. La transposition du monde de l'enfance dans un monde qui pourrait être vrai mais qui est irréel assure une distanciation pour le jeune lecteur qui lui permet d'être rassuré tout en participant aux aventures terrifiantes que vit le pantin. Les personnages qui incarnent le mal, le chat, le renard mais aussi le directeur du cirque qui est l'ogre des contes sont effrayants mais toujours contrebalancés par les images positives citées plus haut.

Un livre pour les adultes


Ayant lu le livre en traduction française, je ne peux juger de l'intérêt du style qui paraît-il emprunte au Toscan et est écrit dans une langue simple, savoureuse qui (voir Wikipedia) a contribué à diffuser une langue commune pour tous les enfants italiens.
Le roman est aussi de tous les temps en ce qu'il rend compte avec humour et véracité d'un éternel enfantin, des sentiments contradictoires, des difficultés de l'obéissance et de la soumission à des règles imposées par les adultes, mais aussi de la tendresse, du besoin d'amour, des rêves, des peurs qui peuplent l'univers de l'enfance.
Si Gepetto et la Fée sont les auxiliaires du tout-petit pour atteindre l'âge de raison, ils représentent aussi le monde des adultes, le père et la mère, qui guident, conseillent, remettent dans le droit chemin, se découragent, souffrent mais savent pardonner. Dans un monde qui n'est pas celui des contes de fées, les marchands d'ânes de la cité des jouets, quant à eux,  figurent le capitaliste sans scrupules qui emploie de la main d'oeuvre enfantine et donc l'exploiteur qui vit sur le dos des enfants pour s'enrichir.

L'aspect moralisateur du roman pourrait ne pas convenir au lecteur contemporain mais le message qui est à la clef, dégagé de tout discours religieux, peut rassembler car il contient des valeurs laïques que tout parent soucieux de sa progéniture cherche à lui inculquer : l'amour de sa famille et d'autrui, le partage, la solidarité, le respect du travail bien fait, l'idée de l'importance de l'instruction à laquelle Collodi tenait beaucoup, seul moyen pensait-il pour les classes pauvres de sortir de la misère et de l'oppression… Comencini avec son adaptation du film a posé le problème de la liberté de l'enfant. Celui-ci est un être libre, qui doit faire ses propres expériences, l'éducation ne doit pas être répressive, elle doit se contenter d'encadrer l'enfant en douceur et de le mener à sa propre autonomie. Chez Comencini, la Fée n'est pas une gentille maman mais tient plutôt de la sorcière. Elle punit cruellement l'enfant. On voit donc que le livre de Pinocchio est au coeur des problèmes éducatifs de notre époque et qu'il ne cesse d'interroger et d'attiser la réflexion.

 La Fée bleue : Gina Lollobridgida dans le film de Comencini

Les aventures de Pinocchio présente aussi la société du XIX siècle en Italie du point de vue des pauvres gens et de la misère qui régnait dans les classes populaires. Sous le conte donc apparaît un roman réaliste très pessimiste où Collodi, âgé, (il a 54 ans quand il écrit), revenu de toutes illusions dénonce la condition lamentable de la classe ouvrière, l'indifférence ou la cruauté des riches, la dureté et l'injustice de ceux qui ont le pouvoir.  Il s'élève contre l'exploitation des enfants qui était semblable à son époque à celle que décrivait Victor Hugo en France ou à celle qui règne de nos jours dans les pays en voie de développement honteusement exploités par le riche Occident capitaliste et mondialiste. Nous ne pouvons donc que nous sentir concernés par ce roman toujours d'actualité.



 
 Résultat de l'énigme n°68

Les vainqueurs du jour  : Aifelle, Asphodèle, Dasola, Eeguab, Keisha, Marie Josée, Pierrot Bâton, Thérèse.. Merci à tous!

Le roman : Les aventures de Pinocchio de Carlo  Collodi
Le film :  Les aventures de Pinocchio de Luigi Comencini







voir livre de Malice: Carlo Collodi Pinocchio

samedi 1 juin 2013

Semaine italienne : Les fiancés de Alessandro Manzoni


 

Alessandro Manzoni, écrivain romantique italien, est né en 1785 à Milan où il meurt en 1873. Son roman Les Faincés lui assure une notoriété dans toute l'Italie et en Europe.  Dans la lignée d'autres écrivains romantiques européens comme Lamartine ou Byron, il  participa à la vie politique italienn.  En 1862, il fut nommé président de la commission pour l'unification de la langue italienne. Sa mort fut l'occasion de funérailles nationales et c'est à sa mémoire que Giuseppe Verdi composa son Requiem.
Les Fiancés (I promesse spozi) de Manzoni est un des classiques majeurs de l'Italie et aussi l'une des oeuvres les plus célèbres du romantisme italien. Commencé en 1821, le roman a connu quatre versions, en 1823, en 1827, Manzoni n'étant jamais satisfait de la version en cours. La dernière édition paraît ensuite entre 1840 et 1842. La structure narrative est remaniée  chaque fois mais c'est surtout au niveau de la langue qu'apparaissent les plus grands changements : au début mélange de latin, de lombard (d'où est originaire l'auteur) et de français (Manzoni a séjourné en France), ensuite, après un séjour de l'écrivain en Toscane où le langage est considéré comme plus pur, le roman paraît dans style qui a contribué pour beaucoup à l'unité de la langue nationale italien. Manzoni, personnage politique, engagé dans le Risorgimento, mouvement qui luttait pour l'unification de l'Italie, est donc l'origine de la naissance d'une identité culturelle commune..


Francesco Hayez peintre italien (source)

Le récit
Les fiancés de Manzoni est l'histoire d'un amour contrarié. Dans un petit village, sur les bords du lac de Côme, Renzo Tramaglino et Lucia Mondella, deux jeunes paysans, vont se marier mais le seigneur Don Rodrigo (nous sommes pendant l'occupation espagnole de la Lombardie au XVIIème siècle) veut s'emparer de Lucia. Il commence par faire peur au curé don Abbondio pour qu'il ne célèbre pas le  mariage puis il essaie d'enlever la jeune fille. Les fiancés fuient et, avec l'aide du frère Cristoforo, Renzo se réfugie à Milan, Lucia et sa mère Agnès dans un couvent de Monza. Mais Renzo, pris dans une émeute de la faim à Milan, est poursuivi comme meneur et s'enfuit à Bergame. Lucia, elle, est enlevée par L'Innommée, un puissant seigneur qui a accepté de venir en aide à Don Rodrigo. Que deviendra l'infortunée jeune fille? Et le jeune homme, parviendra-t-il à la retrouver et à l'épouser? Le fait est qu'ils ne sont pas au bout de leurs peines et que, outre les grands seigneurs "méchants hommes"  pour reprendre une expressions de Molière, les ravages de la guerre et une épidémie de peste vont aussi sévir dans la région…

Le romantisme
Les fiancés appartient bien à tout un courant romantique européen. Quand on le lit, on a l'impression d'y retrouver le Stendhal des Chroniques italiennes, le roman de cape et d'épée ou historique à la Dumas, mais aussi, avec l'enlèvement de Lucia conduite dans un sinistre château, repaire de brigands, le roman gothique d'Ann Radcliffe.

La lutte politique :

 Don Rodrigo (source)

Le roman se préoccupe des classes sociales modestes en prenant pour héros, deux jeunes paysans, Lucia et Renzo. C'est l'occasion pour l'auteur d'y affirmer ses idées politiques tout d'abord en se plaçant du côté des humbles, de ceux qui ont à souffrir de la faim, de la guerre, des exactions des grands uniquement préoccupés de la gloire militaire, de leur pouvoir, de leurs distractions et de la satisfaction de leurs caprices. Tout leur est permis! Leur tyrannie s'exerce non seulement sur ceux qui leur sont inférieurs et qui ne se verront jamais rendre justice mais aussi dans leur propre famille, en particulier sur les filles. Un récit semblable à celui de Diderot, La Religieuse, nous montre la vocation forcée de Gertrude, la fille d'un prince milanais, preuve qu'il ne s'agit pas là d'une mode mais d'une réalité puisque le personnage de Manzoni a réellement existé.
 On y voit aussi à travers la description de l'hégémonie espagnole sur la Lombardie au XVIII,  les préoccupations de Manzoni au XIX siècle luttant pour l'indépendance de l'Italie et l'unification de son pays.

La religion :


le cardinal Federigo Borromeo de Giulio Procaccini (1810) (source)

Manzoni  s'est converti au catholicisme quand il était à Paris et pratique une foi ardente mais lucide. Face aux grand seigneurs tout puissants qui sont au-dessus des lois, Manzoni oppose les forces de l'église et de la foi qui viennent  en aide aux pauvres. Le frère Cristoforo d'abord qui n'a aucun pouvoir sinon moral puis le puissant cardinal Federigo Borromeo, archevêque de Milan qui fonda la bibliothèque ambroisienne, un personnage considéré comme un saint, sont les plus précieux auxiliaires des fiancés.
La foi, la vertu et la pureté peuvent aussi posséder un grand pouvoir. Grâce aux paroles de pardon prononcées par Lucia, l'Innommé, touché par la foi, se convertit et choisit d'exercer le bien et la justice.
Pourtant tous les hommes d'église ne sont pas bons. Don Abbondio, le curé, est tellement dominé par la peur qu'il ne choisit pas le parti du bien. Trop lâche pour marier les fiancés, il n'osera pas prendre leur parti. La foi ne parviendra pas à percer la carapace de son égoïsme.

Un récit historique

On peut remarquer que de longues digressions dans le roman nous éloignent de l'histoire de Lucie et Renzo. C'est que Manzoni  a pris pour prétexte leurs aventures pour nous présenter un état du pays à leur époque au Nord de l'Italie. Il fait oeuvre d'historien, consultant les archives, étudiant maints documents et recoupant ses sources pour nous présenter des situations, des évènements et des personnages qui ont réellement existé. La révolte de la faim à Milan donne lieu à une scène magistrale de désordre et d'anarchie  témoignant du désespoir d'un peuple qui n'a plus peur des représailles puisqu'il n'a plus que le choix de mourir de faim. L'arrivée des soldats pendant la guerre, qui pillent les villages, violent, égorgent les habitants,  ne laissant que dévastation et ruines après eux, la grande épidémie de peste qui a décimé la ville de Milan et les campagnes, emportant plus de la moitié de la population sont aussi de grands moments de cet immense roman. Manzoni sait faire souffler le vent de de l'Histoire dans son oeuvre qui dépasse alors l'individualité de ses personnages pour devenir une grande fresque collective et parler de l'universel, mettant sans cesse en opposition l'Amour et la Mort, Eros et Thanatos.

Je participe avec Les fiancés de Manzoni au Blogoclub de Sylire et Lisa sur le thème des amours contrariés. Le livre choisi était L' expiation mais comme je l'ai déjà lu, j'ai dû en choisir un autre.

Sylire et Lisa

dimanche 18 novembre 2012

Un livre/ Un jeu : Sandro Veronesi, Chaos calme




Résultat de l'énigme n°48

Bravo à : Aifelle,  Dasola, Eeguab, Gwen, Keisha, Miriam,  Pierrot Bâton, Somaja.


Le roman de Sandro Veronesi : Chaos calme
Le film de Antonello Grimaldi : Caos calmo 




Dans Chaos calme de Sandro Veronesi,  le personnage principal qui est le narrateur raconte comment il a sauvé une femme de la noyade pendant que Lara, sa femme meurt non loin de là sans qu'il puisse lui porter secours. Resté seul avec sa fille, Claudia, Pietro  apprend que celle-ci  a eu connaissance de ce sauvetage et il s'angoisse. La fillette déjà éprouvée par la mort de sa mère va-t-elle être encore plus traumatisée ? Profitant de la panique qui règne dans sa boîte en train de fusionner, Pietro  décide alors de rester devant l'école de sa fille et de travailler dans sa voiture. Il s'étonne de ne pas ressentir de souffrance et d'être dans ce qu'il appelle "le chaos calme".
Le roman présente des moments très forts comme cette première scène magistrale qui décrit le sauvetage de la femme par Pietro, tellement captivante que l'on ne peut s'en détacher!  L'on sent ici la patte d'un grand écrivain mais tout ne me paraît pas au même niveau dans le roman et certaines scènes me laissent sur ma faim..

Pietro  n'est pas toujours sympathique, il peut même être odieux en particulier envers les femmes qu'il a l'air de mépriser si l'on en juge par les scènes de sexe et son attitude envers Lara qu'il paraît ne pas connaître vraiment. Mais il sait résister à la tentation de l'argent mal gagné, à  la tentation de trahir ses des amis. Cependant, je n'ai pas toujours compris le personnage, ses réactions.  Il est complexe et toujours plein de contradictions. On peut s'interroger sur les sentiments qu'il éprouve réellement envers Lara mais j'aurais préféré les comprendre par déduction, par les faits qui nous sont montrés et l'analyse psychologique plutôt que d'avoir une réponse de Pietro dans le dénouement. D'autre part, l'attitude de la fillette qui ne pleure pas et ne parle jamais de sa mère me laisse perplexe. L'explication de la psychologue : un enfant reflète les sentiments de son entourage et comme le père reste calme, l'enfant l'est aussi  ne me convainc pas vraiment surtout quand il s'agit de la disparition de la mère!
Pourtant malgré  ces faiblesses, Sandro Veronesi peut faire preuve d'une grande maîtrise d'analyse qui traduit très bien la complexité des êtres et des rapports humains et il sait parler avec finesse des rapports entre le père et l'enfant.

Ce  qui m'a le moins intéressée , c'est toute la partie économique sur la fusion et les ruses employés par tous les grands "pontes" de la boîte. 

Par contre, j'ai aimé les relations qui vont se tisser devant l'école, des scènes pleines d'humanité et de tendresse : le petit enfant trisomique qui passe chaque matin, le voisin qui l'invite pour un plat de spaghettis, la jeune fille au chien, les collègues de bureau qui viennent épancher leur chagrin, son frère qui se confie enfin à lui... 
Quant au film adapté par Antonello Grimaldi il est porté par l'acteur Nino Moretti mais la réalisation me paraît  plate. Elle ne rend pas compte du style de l'écrivain et de l'acuité de sa plume lorsqu'il sonde les consciences et nous laisse entrevoir ce qui se cache sous l'apparence si bien que certaines scènes perdent leur sens profond et paraissent dénuées d'intérêt et gratuites. Une mise en scène simplificatrice.



Livre dans ma PAL depuis sa parution en France!

Challenge italien de Nathalie

mardi 2 octobre 2012

Lorenza Foschini : Le manteau de Proust



Dans Le manteau de Proust, Lorenza Foschini, journaliste italienne, raconte qu'à l'occasion d'une enquête effectuée pour Luchino Visconti sur La Recherche du temps perdu, elle découvre l'existence du vieux manteau de l'écrivain archivé dans une caisse du musée Carnavalet.  C'est une vieille pelisse noire, usagée, dans lequel on voit Marcel Proust enveloppé sur une photographie de 1905, à Evian, un manteau qui lui sert de couverture quand il écrit son oeuvre, au fond de son lit, luttant contre la maladie et la mort. Elle s'intéresse alors à celui qui en a fait don au musée, Jacques Guérin, un grand parfumeur parisien, collectionneur fortuné, bibliophile et amoureux de l'oeuvre de Proust.
L'enquête menée par Lorenza Foschini sur ce personnage lui permet, bien évidemment, d'entrer dans le monde de Proust et de sa famille. Car Jacques Guérin, en effet, rencontre le "petit frère" de Marcel, Robert, qui lui montre les manuscrits de l'écrivain et les meubles de celui-ci. A la mort de Robert, le collectionneur n'aura de cesse d'acquérir toutes ces reliques. Il y parviendra, mais seulement en partie, car l'épouse de Robert, Marthe, jette au feu tout ce qui lui paraît compromettant sur son beau-frère (dédicaces, lettres, manuscrits..). Nous découvrons peu à peu les secrets de famille, les non-dits qui pèsent et font plus de mal que ce qui est exprimé clairement, notamment en ce qui concerne l'homosexualité de Proust dont sa famille homophobe avait honte. Jacques Guérin, investi dès lors d'une mission de "sauveur", parvient à réunir le manteau mais aussi le lit, le bureau, des lettres et des objets de l'écrivain.
Jean Genet qualifiait le collectionneur-bibliophile de "fétichiste". Je le suis un peu quand il s'agit d'un écrivain et la découverte d'un lieu où il a vécu, d'un objet lui ayant appartenu, parle toujours à mon imagination. C'est pourquoi je me suis emparée de ce petit livre avec impatience. Aucune émotion!  Le style est journaliste, il s'agit d'une enquête bien menée, efficace. Les objets y sont décrits comme dans un rapport administratif avec méthode et rigueur et accompagnés de photographies qui  font un peu redondance :
C'est un manteau croisé, fermé par une double rangée de trois boutons. Quelqu'un de plus maigre a déplacé le boutonnage pour le resserrer, et les traces des précédentes attaches, des noeuds de fil noir et épais, subsistent à l'endroit de la couture. Un trou signale l'absence d'un bouton qui devait fermer le col, une étiquette blanche au bout d'un fil rouge pend du revers de la fourrure noire.
Lorenza Foschini fait allusion à des passages de l'oeuvre, elle cite des fragments de lettres, elle parle de la maladie de Proust, de ses rapports complexes avec son frère Robert malgré l'affection qui les lie, elle analyse des photographies qui les rassemblent. Le tout n'est pas inintéressant mais  m'a laissée sur ma faim.  Il faut dire que j'avais un à priori à propos de ce livre. Je pensais y rencontrer l'auteur de "Du côté de chez Swann", c'est Jacques Guérin qui en est le personnage principal!



Merci à la librairie Dialogues

samedi 21 juillet 2012

Festival In Avignon 2012 : Six personnages en quête d'auteur Pirandello/


J'ai beaucoup aimé Six personnages en quête d'auteur de Pirandello mis en scène par Stéphan Braunschweig au cloître des Carmes.
Dans l'adaptation qu'il en propose, Stéphane Braunschweig a actualisé la première partie où l'on voit des comédiens répéter une pièce et s'interroger sur la mise en scène. Les questions sur le théâtre soulevées par Pirandello dataient de 1930. A partir des improvisations de ses acteurs, de leurs questionnements sur ce qu'est leur métier de nos jours, Braunschweig a écrit un prologue qui pose les problèmes du théâtre actuel, et s'interroge sur la primauté du texte, la polémique entre "dramatique" et "post-dramatique", la déconstruction, la transversalité entre les arts. J'ai eu l'impression d'une conversation très juste, à bâtons rompus, comme celles que je peux avoir avec ma fille, très favorable, elle, à la conception nouvelle du spectacle théâtral alors que je reste toujours très attachée au théâtre de texte. Mais Stephane Braunschweig a raison, une mise en scène, c'est comme une adaptation littéraire à l'écran, les plus réussies sont celles qui gardent l'esprit de l'auteur mais savent prendre des libertés avec le texte pour mieux le servir. C'est ce qu'il fait dire aux comédiens "on garde l'auteur, mais on ne garde pas forcément le texte." Et c'est ce qu'il fait lui-même et réussit brillamment avec le texte de Pirandello.

Ces propos théoriques sont donc intéressants mais la pièce ne commence vraiment pour moi qu'avec l'arrivée des personnages qui permet de continuer l'interrogation sur le théâtre d'une manière plus vivante et concrète. De plus, elle introduit aussi une histoire que l'on découvre par bribes, d'une manière fragmentaire et progressive, avec un crescendo dramatique qui crée la tension et l'émotion théâtrale. Le jeu et les disputes entre les "vraies" personnages et les acteurs qui les représentent sont à la fois passionnants, pleins d'humour, et posent tous les problèmes du théâtre en particulier de la convention théâtrale. Les personnages veulent retrouver l'univers "réel" qui est le leur alors que le metteur en scène de la pièce et le metteur en scène Stéphane Braunschweig  - oui, je sais cela paraît compliqué! Il y a deux metteurs en scène car n'oublions pas qu'il s'agit d'une mise en abyme, du théâtre dans le théâtre! - les metteurs en scène, disais-je, les placent dans un décor stylisé, un scène et un mur nus, blancs, où sont projetées des scènes filmées qui proposent plusieurs versions de la même histoire selon la subjectivité du personnage qui raconte. Les silhouettes qui apparaissent sur cet écran sont démesurées, menaçantes et semblent dominer et enserrer dans leurs griffes les personnages qui se débattent sur scène, fragiles, minuscules, menées par les passions et le destin. D'autre part, il faut ajouter l'auteur que Stéphane Braunschweig convoque devant nous! Celui-ci ainsi que le metteur en scène et ses comédiens sont comiques par leurs réactions et pourtant fort tourmentés lorsqu'ils voient les personnages leur échapper, vivre leur vie propre, tous préoccupés de la tragédie qu'ils vivent et des terribles relations qui existent entre eux, de ces  "affreux noeuds de serpents des liens du sang" dont parle Eluard. Et j'avoue que je suis comme eux. L'auteur et le metteur en scène me paraissent dérisoires face à ce que vivent des hommes et ces femmes, ces enfants aussi, je suis prise par la complexité de leurs sentiments, l'horreur de l'histoire. L'émotion naît, le théâtre a atteint son but loin de toute théorisation! La gorge se serre face à l'absolu de la tragédie!
Un excellent spectacle!

jeudi 29 mars 2012

Que disent-ils de la politique? Nicolas Machiavel, Les grands hommes...

 Nicolas Machiavel


Les grands hommes appellent honte le fait de perdre et non celui de tromper pour gagner.  


 En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal.  

                                                                                                      Machiavel

dimanche 17 juillet 2011

Une femme seule, Dario Fo et Franca Rame par la compagnie Vents et marées au Théâtre La Luna

 Dario Fo, écrivain, dramaturge italien, metteur en scène et acteur est aussi un homme politiquement engagé. Son théâtre se fait porteur d'une idéologie proche des gens du peuple, des ménages qui ne peuvent boucler la fin du mois (Faut pas payer!) de l'ouvrier  exploité  mais aussi de la femme doublement victime du capitalisme et de son mari (Un femme seule). Il dénonce le colonialisme avec Johan Padan ou la découverte de l'Amérique, la puissance et la richesse de l'Eglise et toutes les formes d'injustice dans une langue populaire, volontiers truculente et burlesque. Avec son épouse Franca Rame, il fonde une compagnie théâtrale et cherche à amener le théâtre dans les usines et les maisons de jeunesse. Il est prix Nobel de littérature en 1997.

Italie. Une femme seule dans son appartement s'adresse par la fenêtre à une nouvelle voisine que nous n'entendrons jamais. Elle lui explique sa vie partagée entre son ménage, ses enfants et la garde d'un beau-frère paralysé et pervers. Peu à peu, on découvre  la condition désespérée de cette "italienne" épiée par un voyeur, harcelée par des coups de téléphone, simple objet sexuel de son mari jaloux et violent qui  la retient enfermée dans le logement. Quel espoir? le suicide ou donner la mort.
Avis de Claudialucia
Dans Une femme seule, Dario Fo montre l'aliénation de la femme enfermée physiquement mais aussi moralement dans un carcan que la société et la religion lui imposent. Cette pièce aurait demandé à être traitée avec subtilité et émotion, de la découverte progressive de son quotidien à sa révolte aux accents de folie, au goût de crime. Alors qu'elle se confie à sa voisine par la fenêtre restée entrouverte, on aurait dû assister à des confidences d'abord hésitantes, pudiques puis de plus en plus pathétiques jusqu'à l'explosion finale. Malheureusement, il n'en est rien.  La comédienne dit son texte à tout allure, sans pause, sans variation, d'une voix haut perchée et monocorde dans l'aigu. Il n'y a aucune gradation dans les révélations, aucune montée de la tension dramatique.  Habituellement  Dario Fo a l'art de nous faire rire des situations les plus tristes, un rire grinçant, certes, mais toujours en empathie avec le personnage dont le spectateur partage les sentiments. Avec cette mise en scène, au contraire, on  se détourne de cette femme. Le manque de nuances et de sentiments crée l'ennui. On finit en désespoir de cause par regarder le bruiteur sur scène, à côté de l'actrice. Et certes celui-ci est doué. Il parvient à rythmer l'action avec toutes sortes d'objets les plus hétéroclites, devient acteur à part entière, nous distrait et même nous fait rire! Mais c'est au détriment de la pièce et vous avouerez que cela n'est pas le but recherché!

Avis de Wens de En effeuillant le Chrysanthème
Dans le théâtre de Dario Fo et de Franca Rame, le tragique surgit progressivement d'une situation anodine qui nous fait sourire et rire. Nous regardons s'agiter cette femme au foyer qui s'occupe de son gosse, de son pervers de beau frère, fière de ses appareils ménagers, de sa télé, de sa radio. Mais la tension monte progressivement, quelques bribes de texte déclenchent chez le spectateur un rire salutaire. Elle est une victime d'une société machiste, comme de nombreuses femmes en Italie ou ailleurs.
Dans l'adaptation proposée par la Compagnies Vents et Marées, cette montée progressive du tragique n'existe pas. D'entrée, la femme seule crie son désespoir, elle le fait sur le même registre pendant toute la durée du spectacle. Pas de pause, pas de respiration, pas un sourire :  l'étouffement permanent. Le regard du spectateur cherche l'issue salvatrice, il le trouve du côté de l'excellent travail du bruiteur qui sur scène nous crée les champs sonores de l'appartement : bruits de pas, claquements de portes, sonneries de téléphones…en synchronisme parfait avec le monologue et les déplacements de l'actrice. Le son aurait dû souligner le comique comme dans le cinéma de Jacques Tati où les situations burlesques sont mises en valeur par les bruitages qui suppléent souvent la parole. Mais  le bruit est en off, en contrepoint de l'image, pas sur scène comme dans cette représentation. Ici, le bruiteur devient souvent aussi présent, voire même plus que l'actrice et que le texte! Dommage!

lundi 13 juin 2011

Venise, une brassée d'images: l’acqua alta avec T. Scarpa et P. Sollers


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Le lendemain de notre arrivée à Venise, c'est l'acqua alta "très alta" qui est annoncée; elle envahit même le hall de notre hôtel.

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Les Vénitiens appellent bragha acqua alta les pantalons trop courts, inélégants, avec les chevilles lissées à découvert, comme s'ils avaient été coupés exprès pour ne pas mouiller les ourlets.
Les sirènes qui sonnaient l'alarme durant les raids aériens de la la Seconde Guerre mondiale sont restées au sommet des clochers. Maintenant, elle signalent les incursions marines quand la marée monte et te réveillent à cinq ou six heures du matin. Les habitants  ensommeillés fixent des cloisons d'acier devant leurs portes et dressent des petite digues dans les encadrements en métal caoutchouteux des huisseries des maisons.(..;) Le plus souvent, il n'y a rien à faire, l'eau jaillit des bouches  d'égout, des fissures du sol, attaque les meubles, pourrit les murs, effrite le travail des peintres en bâtiment....
Des équipes spéciales d'éboueurs sortent à l'aube pour monter des passerelles en bois dans les callis inondés.
Venise est un poisson de Tiziano Scarpa

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La ville est à fleur d'eau, elle se laisse envahir par elle. On marche dans l'eau, on marche sur l'eau, c'est la fête. Les touristes sont débordés et poussifs, les habitants habitués et passifs, les enfants ravis, les cloches sonnent, la lagune fait sentir sa loi, la ville est un navire à venir.

Philippe Sollers dictionnaire amoureux de Venise

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Tiziano Scarpa : Venise est un poisson

 

Venise est un poisson de Tiziano Scarpa! Voilà déjà un moment que je regardais avec envie du côté de ce diable de petit livre mais je savais que si je le lisais, je serais tellement imprégnée par la ville que la nostalgie naîtrait! Et bien voilà! C'est fait! Quand je vous le disais qu'il était diabolique, ce Tiziano Scarpa!
Venise est un poisson se présente comme un guide de la ville mais un guide qui vous dit "Tu", qui vous prend par la main pour vous éloigner des sentiers battus, pour partir à la découverte d'une Venise qui n'est pas celle des touristes. Et pour cause! Tiziano Scarpa ( s'appeler Tiziano quand on est vénitien, avouez que c'est savoureux!)  raconte sa ville, celle de son enfance et de ses jeux, de son adolescence et de ses premiers émois amoureux, celle aussi des adultes qui n'est pas toujours facile à vivre. Il  donne ainsi les clefs pour mieux la comprendre, pour la voir avec des yeux neufs. Certes, il ne vous dit pas tout car il trouve bon de garder pour lui les petits coins discrets et authentiques de sa chère cité mais si vous faites un effort...  car Venise, la vraie, l'intime, se mérite!
Mais Venise est un poisson est bien autre chose qu'un guide! C'est aussi une invitation au voyage qui fait appel à tous vos sens. On y apprend que si l'on voit avec les yeux (méfiez-vous de la beauté radio-active de Venise qui risque de vous terrasser, du sublime qui ruisselle à flots des églises), on peut y "voir" aussi avec les pieds, les mains, les oreilles, la bouche, le nez...
On y entend le silence et le fracas de Venise, cette ville totémique habitée par des milliers d'allégories en chair et en os,du poil, des plumes, des palmes, des bestiaires symboliques, des animaux vivants plus chimériques que les lions de pierre. On y sent "la puanteur chronique" des canaux dont chacun a une odeur caractéristique. Et puis, on ne peut s'empêcher de la toucher, Venise : Tu l'effleures, la caresses, lui donnes des chiquenaudes, la pinces, la palpes. Tu mets les mains sur Venise.
Enfin, Venise est un poisson, c'est une langue belle, concrète, sensuelle, une langue évocatrice et riche, pleine d'humour aussi, qui sait faire voir, faire sentir, qui sait décrire la rugosité des pavés sous votre pied, le roulis du bateau sous vos jambes, la saveur des mots vénitiens qui roulent sous votre langue ou celle des rouleaux d'anchois, des pattes de crabe, des olives d'Ascoli qui fondent dans votre bouche. Un style qui rend sensible la profusion, le foisonnement, la luxuriance de cette ville hors du temps, un style qui rappelle l'étourdissement, le vertige qui s'emparent de vous, visiteur subjugué par la Serenissime : Tu es prise  à coups de façades, giflée, malmenée par la beauté. N'aggrave pas ton cas et cesse de courir derrière des statues et des peintures.. Et enfin la poésie est là qui surgit par exemple au détour d'une description visionnaire, celle de Venise bâtie sur pilotis : Les Vénitiens ont enfoncé dans la lagune des centaines de milliers et des millions de pieux... Tu es en train de marcher sur une immense forêt renversée, tu es en train de te promener sur un incroyable bois à l'envers.

Merci à Dialogues Croisés et aux éditions Christian Bourgois



Chambre avec vue : Edward Forster et James Ivory avec vue sur l’Arno

 



  Rappelons que le roman de Edward Morgan Forster Avec vue sur l'Arno raconte l'histoire d'une jeune anglaise Lucy Honeychurch, en voyage à Florence, accompagnée de son chaperon, sa vieille cousine célibataire Charlotte. Dans la pension de famille où elles descendent, George Emerson et son père leur cédent leur chambre avec vue sur l'Arno. C'est avec leur guide Baedeker, indispensable à toute anglaise en voyage en Italie, que les deux femmes visitent la belle cité toscane. C'est à Florence et dans sa campagne florentine que la jeune fille va éprouver ses premiers émois amoureux.

Sur les traces du film de James Ivory : Chambre avec vue




Le film de James Ivory, Chambre avec vue - adapté du roman de E.M Forster - fut pendant des années l’une des oeuvres cinématographiques  préférées de mes filles et heureusement pour moi je l'aimais beaucoup aussi car j'ai dû le voir en boucle je ne sais combien de fois!  C’est donc sur les traces de la charmante héroïne anglaise, la belle Lucy Honeychurch, en voyage à Florence, que nous avons marché lors d'un retour dans cette ville que je ne me lasse jamais de visiter. C'était en Novembre 1994*.
Places des Innocents


D’abord une visite obligée sur la place des Saints Innocents à la statue équestre de Ferdinand 1° de Médicis sous laquelle nous nous plaçons pour lancer à la cantonade comme le fait la compagne de Lucy : "Buon giorno, Buon giorno, Ferdinando! ".


Ferdinando
Le Ferdinando en question reste sourd à nos appels mais il attise notre curiosité.  Qui est-il ce Grand Duc (1519-1574) perché sur son monumental cheval au milieu de la place de la Santassima Annunziata? Il faut se plonger dans l’arbre généalogique de la famille de Médicis pour le découvrir  : fils de Cosme 1°, il fait partie de la branche de Laurent l’Ancien, collatérale à celle de son frère Cosme l’Ancien (1389-1464), ce dernier considéré par les Florentins comme le Père de la Patrie. La branche de Cosme l’Ancien porte des noms prestigieux : Laurent le Magnifique (1449-1492), le fils de ce dernier, le pape Léon X, Catherine de Médicis reine de France, épouse d’Henri II.  C’est dans la descendance de Cosme l’Ancien que naît Alexandre (1510-1537) qui sera assassiné par son cousin de la branche de Laurent l’Ancien, Lorenzino que Musset rend célèbre sous le nom de Lorenzaccio. Encore de la Littérature!
C’est clair, non? Non! Mais enfin l’amour du cinéma mène à tout et nous retenons surtout, chauvinisme oblige, que Ferdinando est l’oncle de Marie de Médicis, reine de France, épouse d’Henri IV. La vaste place, où il se dresse est splendide dans son élégante sobriété limitée par la basilique de la Sainte Annonciation et par la belle loggia de Brunelleschi qui orne l’hôpital des Innocents. Sur les arcades courent les médaillons en terre cuite bleue de della Robbia qui représentent les enfants orphelins ou abandonnés accueillis dans cet hôpital. Ces innocents qui étaient déposés subrepticement dans une "tour" à l’entrée de l’hôpital, recevaient, paraît-il, dans ces lieux, une éducation soignée, avec l’apprentissage du latin et de la musique.

Devant la Loggia della Orcagna

L'enlèvements des sabines de Jean de Bologne
C’est sur la Place du Vieux Palais della Signoria, que la jeune fille de notre film nous conduit ensuite. Là, devant la Loggia Dei Lanzi (ou della Orcagna) elle s’évanouit après avoir assisté à une rixe suivie d’un meurtre... le Persée de Benvenuto Cellini tendant vers nous la tête tranchée de la Méduse, les Sabines de Jean de Bologne se débattant dans les bras de leur ravisseur, forment l’arrière plan prestigieux de cette scène. Chaque fois que nous nous y promenons l'une de mes filles (et l'autre aussi!) se pâme en imitation de ce moment palpitant où la jeune héroïne tombe dans les bras de.... Il faut dire que c’est là qu’intervient le beau jeune homme qui prendra soin de Lucy  sur la rive de l’Arno, près du Ponte Vecchio.
Enfin une autre très belle scène nous amène à l’intérieur de la basilique Santa Crocce là où sont enterrés les grands personnages italiens, Dante, Galilée, Machiavel, Michel Ange, près de la chapelle ornée des magnifiques fresques de Giotto...