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lundi 27 janvier 2014

Shakespeare : Le songe d'une nuit d'été


Titania, la reine des fées endormie :Arthur Rackam

La  pièce de Shakespeare Le songe d'une nuit d'été  était à l'origine intitulée Le songe de la nuit de la Saint Jean. Une bizarrerie puisque  Shakespeare place le déroulement de sa pièce au mois de Mai (mid summer).
 L'universitaire Ernest Schanzer donne une explication : il s'agit de la date de la première représentation du Songe donnée pour célébrer la nuit de la Saint-Jean. Ce qui reste étonnant, pourtant, c'est que le dramaturge ait tenu à placer l'action la veille du premier Mai. Certes ces deux nuits, dans les croyances élizabéthaines, étaient toutes deux considérées comme propices à la magie, à l'apparition des êtres surnaturels. Cependant c'est à la Saint Jean que les fleurs cueillies cette nuit-là ont un pouvoir magique capable de susciter des rêves amoureux et de frapper les gens de folie. Or, constate Ernest Schanzer  "la folie amoureuse n'est-elle pas, en effet, le thème essentiel du songe d'une nuit d'été?".
Quoi qu'il en soit, la pièce est bien nommée puisque toutes les scènes se déroulent la nuit sauf peut-être la première scène de l'acte 1 et encore est-elle placée aussi sous le signe de la lune..

L'intrigue 

La rencontre de Obéron et Titania Arthur Reckam
  La scène se passe à Athènes et dans un bois voisin.

Thésée, le duc d'Athènes et Hippolita vont fêter leur mariage dans quatre nuits, à la nouvelle lune.  Mais Egée, un vieux courtisan,  vient se plaindre de sa fille Hermia qui refuse d'épouser Démetrius, le prétendant qu'il lui a choisi. Hermia aime Lysandre et veut se marier selon son coeur.  Héléna, la fille de Nedar, elle, aime Démetrius qui lui préfère Hermia. Telle est la situation, inextricable, lorsque les deux amoureux, Hermia et Lysandre décident de fuir.  Ils seront suivis, contre leur gré, par Héléna et Démétrius. Les quatre jeunes gens se perdent dans la forêt pendant cette nuit de folie et vont être les jouets des fées.

Pendant ce temps, des gens du peuple, artisans de la ville, décident de monter une pièce sur la mort de Thisbée et de Pyrame pour la représenter au mariage de Thésée et Hippolita. Ils espèrent s'attirer les bonnes grâces du roi. Ils s'éloignent dans la forêt guidé par Lecoin, le charpentier qui s'est improvisé metteur en scène. La troupe à l'intention de répéter à l'abri des regards et il va leur arriver à eux aussi bien des mésaventures.

Dans la forêt vit le peuple des fées : La reine des fées Titania, entourée de ses elfes, est en rivalité avec Obéron, le roi des fées. Il lui réclame un enfant qu'elle lui a volé. Elle refuse et Obéron jure de se venger avec l'aide de Puck ; il demande à ce dernier d'aller cueillir une fleur magique dont le suc déposé sur la paupière d'une personne la rend amoureuse du premier visage aperçu lors de son réveil.
Avec cette fleur commence la folie amoureuse de cette nuit d'été : Titania tombera amoureuse de Bottom (Navette), le tisserand, affublé d'une tête d'âne; les quatre jeunes gens eux aussi vont changer de soupirants, voir se nouer et dénouer leurs amours, au gré des caprices des fées.

Une comédie tragique

Film de Reinhart :  Titania, la reine des fées et Bottom

Le songe d'une nuit d'été est une comédie. Elle présente effectivement des personnages franchement comiques, en particulier la troupe de théâtre des artisans, ridicules à souhait dans leurs prétentions. Les personnages vont jouer une tragédie en se prenant très au sérieux; c'est ce qui va provoquer le rire car nous assistons à une parodie sans que les acteurs en soient conscients. Ils craignent même de faire peur aux dames! Ce sont des personnages de farce et celle-ci est à son comble quand Bottom se retrouve avec une tête d'âne. Shakespeare a toujours aimé mener une réflexion sur le théâtre dans ses pièces, soit pour révéler la vérité comme dans Hamlet, soit pour rappeler que la vie, le monde entier est un théâtre comme dans Macbeth ou Le marchand de Venise.  Ici, le théâtre dans le théâtre permet de jouer sur le grotesque tout en dénonçant la sottise et la vanité humaines. Il est aussi frappant de constater que le thème de Pyrame et Thisbé répond à l'intrigue du Songe, une histoire d'amour contrarié et d'amants séparés. A l'astre de la lune qui veille sur la pièce, répond la lune factice, une lanterne, des comédiens amateurs.

Cependant la pièce a un fond tragique et même si le spectateur rit, il reste conscient de la cruauté des jeux amoureux qui se déroulent devant lui. Quand le suc de la fleur magique détourne l'amour de Lysandre et de Démétrius vers Héléna, Hermia devient pour eux un objet de mépris. Il n'y aucune compassion pour la jeune fille qui doit essuyer des insultes :
"Moi me contenter d'Hermia! Jamais! Comme je regrette les heures d'ennui passées auprès d'elle. C'est Héléna que j'aime, non Hermia!  Qui ne voudrait changer une corneille contre une colombe?(...)
Va-t-en tartare moricaude, va t'en! au diable médecine répugnante, au diable vomitif dégoûtant!"
Les rapports entre  hommes et femmes sont donc d'une grande violence  même si leur caractère excessif nous rappelle que nous sommes dans la farce. Il n'en reste pas moins que Hermia soudainement délaissée est désemparée, humiliée et malheureuse. Héléna qui ne peut croire au revirement des deux jeunes gens, est tout aussi blessée par ce qu'elle croit être une raillerie. La souffrance des deux femmes est bien réelle.
Hermia : Jamais si fatiguée, jamais si malheureuse, trempée par la rosée, déchirée par les ronces, je ne puis me traîner ni avancer d'un pas.
Mais les relations féminines ne sont pas meilleures même si elles sont parfois plus subtiles. Hermia se fâche lorsque Héléna  dit et répète qu'elle est "petite"! Est-elle trop susceptible?La "gentille" Héléna  a-t-elle  une intention blessante ou, au contraire, dit-elle cela innocemment?!  Nous restons ainsi dans la comédie mais Shakespeare nous montre une nature humaine bien noire. Il est vrai que les personnages magiques eux-mêmes ne sont pas plus sages, témoins la dispute entre Titania et Obéron, les facéties de Puck, et ils ont, comme jadis les dieux de l'Olympe, tous les défauts des humains, à moins que ce ne soit le contraire! Cependant leur guerre, leur colère ou leurs décisions ont un retentissement sur l'ordre du monde et sur la destinée des hommes.
Pâle de colère, la lune qui préside aux inondations, a noyé l'atmosphère; les rhumatismes pullulent. Tous ces troubles provoquent des changements de saison ; les gelées blanches s'abattent au tendre coeur des roses cramoisies… Cette cascade de malheurs provient de nos discordes et de nos querelles; nous en sommes l'auteur, la cause originelle.

L'homme est-il libre?

Le Songe à la Criée de Marseille : metteur en scèneEdward Hall *

La pièce, à mes yeux, est donc aussi une réflexion et pas des moindres sur la liberté de l'homme face aux Dieux. Ce sont les Fées qui tirent les ficelles et les êtres humains apparaissent bien vite comme des marionnettes soumises à leurs caprices. Obéron tout puissant et Puck, en commettant des erreurs, tiennent entre leurs mains la clef de leurs sentiments et décident de leur avenir. Doit-on penser que Shakespeare penche vers le déterminisme? Ce serait peut-être aller bien loin et encore une fois, comme il s'agit d'une comédie, Shakespeare nous invite à ne pas nous poser de question et à considérer tout cela comme un rêve! (même si celui-ci vire parfois au cauchemar!)

La folie amoureuse 

 La reine des fées Titania et Bottom (Navette)

 Car le pessimisme de Shakespeare s'exprime dans cette peinture de la folie amoureuse. Lysandre peut passer de l'amour d'Hermia à celui d'Hélène puis revenir à Hermia ; Titiana s'énamoure d'un monstre à tête d'âne et le tient pour le plus beau des êtres.  Si l'on peut changer ainsi de partenaire, si l'on peut s'aveugler sur les mérites de celui qu'on aime, si le caprice préside au choix, si les êtres sont interchangeables, alors l'amour réel existe-t-il?
Il faut remarquer que c'est au moment où Lysandre agit avec le plus d'inconséquence qu'il invoque la raison pour expliquer qu'il n'est plus amoureux d'Hermia mais de Héléna : :
C'est la raison qui gouverne la volonté de l'homme et la raison me dit que vous êtes la plus précieuse.
La conclusion paraît évidente. L'amour n'est qu'une création de l'esprit, il s'apparente à la folie et l'un ne va pas sans l'autre.
La féérie, la fantaisie, l'humour de la pièce 

Arthur Rackam : Puck "Je suis ce joyeux vagabond"

Enfin la pièce est magnifique par ce mélange de poésie et de beauté lyrique parfois mêlé au trivial. Elle peint les sortilèges de la nuit :

Il nous faut nous hâter, seigneur des elfes, car les rapides dragons de la nuit fendent les nuage sen plein vol et voyez briller là-bas la messagère de l'aurore. A son approche les fantômes qui errent cà et là s'assemblent pour regagner les cimetières..

Elle est éclairée dès le début par un clair-obscur onirique, celui de la lune et la nuit; des ombres s'agitent, éphémères, dans l'obscurité. Rien n'est solide, rien n'est vrai et les fées qui peuplent la forêt sont "des esprits" qui s'évanouiront à l'approche du jour à l'exception, peut-être, d'Obéron, le Seigneur des elfes qui peut braver les rayons de l'aurore..

La fantaisie de la pièce est remarquable dans la façon de traiter le thème féérique avec ses personnages majestueux comme Titania ou Obéron,
Je connais un tertre où fleurit le thym sauvage, où croissent les primevères et les tremblantes violettes, le foisonnant chèvrefeuille, l'églantine, les douces roses musquées le recouvrent d'un dais; C'est là, parmi ces fleurs, que Titania s'endort un moment la nuit bercée par les danses et les délices.
avec ses  elfes au nom délicieux, entités de la Nature et qui participent à son entretien et à sa survie: Toile d'araignée, Phalène, Graine de moutarde, Fleur de pois 
Puis vous partirez durant le tiers d'une minute, les uns pour aller tuer les vers dans les boutons des roses musquées; les autres pour guerroyer contre les chauves-souris ….
et avec  Puck, ce Robin le diable, malicieux, farceur et un rien méchant :
Tu dis vrai? Je suis ce joyeux vagabond nocturne. J'amuse Obéron et le fais sourire quand métamorphosé en jeune pouliche, je hennis pour tromper le gros cheval bourré de fèves…"
par son humour aussi lorsque, par exemple, Titania vante la beauté de son amoureux Bottom ..

Une pièce très riche que j'ai déjà vue plusieurs fois et qui permet des mises en scène très différentes. Elle fait parti de mes comédies shakespeariennes préférées avec La nuit des rois et Beaucoup de bruit pour rien.

*Je vais voir Le songe d'une nuit d'été au théâtre de La Criée de Marseille cette année, le 13 Mars, mise en scène de Edward Hall voir ici

 Challenge Shakespeare



Lecture commune avec Eimelle, Miriam, Shelbylee sur deux pièces de Shakespeare au choix : Richard III ou  Le Songe d'une nuit d'été.


Eimelle : Richard III

 Miriam : Le songe d'une nuit d'été

Shelbylee : Richard III

 Je vous renvoie aussi à ces participations plus anciennes au challenge Shakespeare pour :

 

 Le songe d'une nuit d'été.


 Droopy vert

Maggie 1001 classiques

Lou 

  

 Lire aussi  hors challenge : Liligalipette chez Babelio 

 

Pour Richard III


 Céline : Richard III  

Miriam :
Richard III : une mise en scène contemporaine 
 Richard III : retour au texte




vendredi 25 mars 2016

Shakespeare : Cymbeline

Cymbeline et Posthumus de Thomas Faed

La pièce de Shakespeare, Cymbeline, parue en 1611 a d’abord été considérée comme une tragédie, puis une comédie avant d’être classée parmi les romances tardives du dramaturge avec notamment Le conte d’Hiver, la Tempête, Les deux nobles cousins.
Il faut dire que l’intrigue est si complexe, les lieux si divers, l’ancienne Bretagne mais aussi la Bretagne élizabethaine, la Rome antique et l’Italie de la Renaissance, les personnages si nombreux … que la pièce semble correspondre à un genre nouveau, la romance, apprécié par le public en ce début du XVII siècle. En France, aussi, c’est l’époque du roman baroque comme l’Astrée d’Honoré d’Urfé .

Dame Ellen Terry dans le rôle d'Imogen

L’intrigue est enchevêtrée  et je ne vous en révèle que les grandes lignes :

Cymbeline, roi de (Grande)- Bretagne, a perdu ses deux fils qui lui ont été enlevés à l’enfance. Il veut faire de sa fille Imogène, son héritière et la marier à Cloten, fils de sa seconde épouse, la Reine. Mais Imogène se marie contre la volonté de son père à Posthumus, un gentilhomme pauvre. Ce dernier est exilé en Italie et Imogène reste sous la surveillance de sa marâtre la Reine, sommée d’épouser Cloten. Le royaume qui refuse de payer un tribut à Rome va de nouveau être envahi. La guerre éclate.

A Rome, Posthumus qui vante les qualités et la vertu de son épouse est attaqué par Jachimo qui prétend pouvoir obtenir les faveurs de la Belle. L’anneau d’or donné à Posthumus par Imogène sert de gage. Jachimo, ne parvient pas à séduire Imogène mais lui dérobe son bracelet comme preuve de sa victoire. Posthumus, fou de jalousie, commande à son valet, le fidèle Pisanio, de tuer son épouse. Imogene qui s’est enfuie de la cour, déguisée en garçon, pour chercher à rejoindre son mari, se réfugie dans une forêt et est recueillie par un vieux noble banni de la cour, Belarius, qui vit là avec ses deux fils. On apprendra vite qu’ils sont, en réalité, les enfants de Cymbeline. 
Ces deux fils conducteurs vont se rejoindre pour former un dénouement dont on ne sait jusqu’à la fin s’il va être tragique ou non.

Imogène dans la grotte de Belarius :  George Dawe

Ce qui est étonnant dans la pièce c’est sa ressemblance avec un conte traditionnel et en particulier avec Blanche Neige. La marâtre qui feint d’aimer sa belle fille en public, est odieuse. Elle demande à son vieux médecin une potion pour tuer la jeune fille. Le vieillard qui a percé les intentions de la reine fabrique une médecine qui donne l’apparence de la mort. Le serviteur Pisanio qui accompagne la fuite d’Imogène en forêt refuse de la tuer. Il lui donne la potion qui la plonge dans un profond sommeil. La jeune femme est retrouvée par Belarius et ses fils qui la croient morte et qui l’allongent sur un lit de fleurs. Vous avouerez que les similitudes sont évidentes.

Il y a aussi dans la pièce de nombreuses rappels des oeuvres précédentes : La potion qui provoque une mort apparente, c’est, bien sûr, Roméo et Juliette, le mari jaloux, aux pulsions meurtrières, c’est Othello, ou  Leonte d’un Conte d’Hiver ou encore Claudio accusant Hero dans Beaucoup de bruit pour rien. La bague comme gage d’amour que l’amoureux doit conserver envers et contre tout et qu’il finit par céder est une allusion à Portia et Bassano du Marchand de Venise. Quant au déguisement en garçon, on pense bien évidemment à Viola dans La nuit des rois mais aussi à Rosalinde dans Comme il vous plaira qui part se réfugier dans un forêt  où elle retrouve, comme Imogène, ceux qui ont été spoliés par le tyran. On voit donc la richesse de Cymbeline qui reprend les thèmes récurrents  chers au dramaturge.
Cymbeline présente toutes sortes d’invraisemblances, d’évènements irréels, d’effets artificiels si bien que la crédulité du spectateur est mise à rude épreuve. Il faut donc accepter de se plier aux conventions théâtrales et laisser de côté son sens critique pour pouvoir entrer dans la pièce. Il est certain que l’on a l’impression de partir un peu dans tous les sens et puis comme d’habitude l’ordre va surgir de tout ce désordre, l’univers retrouver un sens.
 Il va me falloir d’autres lectures de la pièce pour l’apprivoiser. Je m’y intéresse particulièrement car le 16 Octobre de cette année, je suis invitée à Londres par des amis et nous irons voir une adaptation de cette pièce au théâtre du Globe! Génial, Non? Oui, mais il va falloir que je comprenne la représentation en anglais!


Lecture commune avec Jeneen et Miriam ICI

QUI veut faire une autre lecture commune de Shakespeare avec moi? Je propose pour le 25 Avril : 
 PEINES D AMOUR PERDUES ou si vous l'avez déjà lue une autre comédie de Shakespeare au choix




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lundi 17 décembre 2018

Malte : Avec Dominique Fernandez et Daniel Rondeau : La cathédrale Saint Jean à la Valette , Le Caravage, Mattia Preti

Michelangelo  Le Caravage  : cathédrale Saint jean à  lavalette Malte
Michelangelo dit Le Caravage  : cathédrale Saint Jean à Malte (source Wikipedia)
Bien sûr, en allant à Malte, j'avais un rendez-vous. En fait, j'en avais plusieurs, mais le plus important était celui avec Le Caravage et ses deux tableaux de l'oratoire de la co-cathédrale Saint Jean. Aussi quand je me présente devant l'édifice, un dimanche matin, je suis toute déconfite en lisant le panneau "interdit aux masses pendant la messe" ( les masses = nous, les touristes ! ) et, plus loin, "la cathédrale ferme après l'office". Impossible donc d'aller voir les tableaux un dimanche ! C'est noté ! J'y retourne donc le jour suivant.

C'est avec Dominique Fernandez qui raconte dans son roman "La course à l'abîme" le séjour de Le Caravage à Malte et avec Daniel Rondeau et son livre de voyage Malta Hanina que nous visiterons ces lieux. 

La cathédrale Saint-Jean avec Dominique Fernandez

 

La cathédrale Saint-Jean La valette Malte
La cathédrale Saint-Jean (Saint John)
La cathédrale Saint Jean  : "C'est un édifice construit dans le même style austère que le reste de la ville, avec des références plus marquées au classicisme italien. Sa façade dépouillée me rappela certaines églises de Sangallo à Florence. Le rapport entre la hauteur et la largeur reproduit les proportions du projet de Michel Ange pour San Lorenzo à Florence. les deux tours carrées dérivent d'un manuel d'architecture de Serlio. Le seul ornement qui atténue un peu l'austérité de la façade est le balcon soutenu par deux colonnes doriques, inspiré de celui de la villa  Giulia à Rome." (La course à l'abîme Dominique Fernandez).

Personnellement, j'adore la sobriété des façades des églises de Malte. Même le Baroque, du moins à l'extérieur, reste mesuré et offre la belle couleur dorée de la pierre nue. Il n'en est rien à l'intérieur surchargé de dorures et d'ornements. Dominique Fernandez adore le baroque. On peut donc imaginer qu'il est déçu par le dépouillement et la simplicité de la façade de la cathédrale.

La cathédrale Saint-Jean La valette Malte Intérieur
La cathédrale Saint-Jean La Valette Malte (Intérieur)

"D'original, il n'y a que l'intérieur. La voûte en berceau ne repose pas sur des croisées d'ogive; les cintres enjambent d'un seul mouvement la nef, qui en paraît plus vaste et plus claire.
Huit chapelles latérales abritent les huit langues; La langue d'Italie voisine avec la langue de France et la langue de Provence, du côté gauche. La langue d'Aragon et de Castille occupent deux chapelles du côté droit." (La course à l'abîme Dominique Fernandez)

La cathédrale baroque Saint-Jean La Valette Malte (Intérieur)
La cathédrale Saint-Jean La Valette Malte (Intérieur)

La cathédrale Saint-Jean  : Chapelle de la langue d'Aragon  (Intérieur)

Les tombes des chevaliers de Malte

avec Daniel Rondeau : Malta Hanina



Les chevaliers de Malte ? " Ils sont quatre cents, enterrés dans la nef. Leurs tombes témoignent du défi que fut leur présence sur cette île.

"Malte fut leur refuge, leur accomplissement, leur sésame, leur fin. Les rues, les places, les villes, les palais, les églises, les bastions blessés par le temps, la poussière qui sans cesse tombe des murailles, les tours solitaires du rivage, parlent de leur absence. Et si vous entrez dans Saint John, regardez où vous mettez les pieds, vous marchez sur leurs tombes. Les chevaliers reposent côte à côte sous un patchwork de marbres qui dessine un étrange tapis de prière." Daniel Rondeau  Malta Hanina


"Chaque page fige une page de vie, dans un latin parfois encore médiéval, encore ^proche de l'Antiquité tardive, avec des citations cachées de Cicéron, d'Ovide ou de César, mais truffées d'expressions grecques remises à l'honneur par la Renaissance."


"Les marbres les plus précieux mêlent des gris, des blancs, des noirs, des orangés, des jaunes, des rouges. Porphyres et lapis-lazulis rehaussent l'éclat de la polychromie. Sous ses armoiries, l'épitaphe de chaque défunt, éventuellement sa devise, et une forêt de symboles. Des ancres marines (celles des navigateurs mais aussi la croix cachée des premiers chrétiens)), mais aussi des croix, des anges, des drapeaux, des bougies (reflets de la lumière divine et rappel de la brièveté de la vie), des livres qui, selon qu'ils sont ouverts ou fermés, représentent la sagesse, ou la mort, des cyprès, des palmes, des oreilles de la mer (fleur de l'île gravée sur les pièces de monnaie maltaise avant l'euro), le chêne tutélaire des légions romaines (mais la croix du Christ n'était-elle pas faite de ce bois sacré), des rameaux d'olivier, des roses mariales.....




... et partout des crânes, qui sont parfois des casques, avec les yeux de la Mort qui nous regardent, et une sarabande de squelettes, assis, debout, pensifs ou déterminés, menaçants, certains moqueurs, enveloppés d'une cape ou d'un nuage noir...



L'oratoire : Les deux oeuvres du Caravage

avec  Dominique Fernandez : La course à l'abîme


L'oratoire  de la co-cathédrale Saint Jean (Saint John) : la décollation de Saint Jean Le caravage
L'oratoire : la décollation de Saint Jean Le Caravage
Michelangelo Merisi né  Milan en 1571, et dont la famille était originaire de Carravagio, en Lombardie, est déjà un peintre connu quand il arrive à Malte après avoir été chassé de Rome. Meurtrier, il est obligé, en effet, de gagner Naples pour fuir les soldats du pape qui le poursuivent puis, protégé, entre autres, par Ippolito Malaspina, chevalier survivant du Grand Siège de 1565 qui sert d'intermédiaire entre lui et le grand maître de Wignacourt, il arrive à La Valette le 12 Juillet 1607.

Le portrait  d'Olof de Wignacourt lui assure les bonnes grâces du Grand Maître et la renommée dans l'île; peu après la confrérie de la Miséricorde commande un tableau pour l'oratoire de la cathédrale Saint Jean sur le thème très répandu de la décollation de Saint Jean Baptiste.
Le Caravage, bien qu'il soit roturier et sur les recommandations du grand maître qui admire l'artiste, est ensuite admis dans l'Ordre avec le titre de chevalier d'Obédience magistrale (un des grades inférieurs de l'ordre). Mais Le Caravage est à nouveau pris dans une rixe. Il est jeté dans un cachot de Saint Angelo d'où il s'évade en Octobre 1608. Il mourra non loin de Rome, à Porto Ercole, assassiné sur une plage, en Juillet 1610.
Le saint Jérôme est une commande de Malespina que Le Caravage réalise entre 1607 et 1608. Après avoir figuré dans la collection privée du  vieux chevalier, le tableau eut une vie mouvementée et se trouve à présent à l'oratoire de la cathédrale Saint Jean.

Le caravage : Olof de Wignacourt avec un page, Musée du Louvre

 Dans La course à l'abîme, Dominique Fernandez analyse le tableau  de la décollation de Saint Jean. C'est Le Caravage lui-même qui parle  :

 Tout de suite à droite, en entrant dans la nef, se trouve l'oratoire des novices, auquel était destiné mon tableau. De dimensions exceptionnelles, (plus de dix-sept pieds (5 m 17) de largeur sur plus de onze (3m30  ) de hauteur !), la toile couvrirait le mur du fond. Je devais représenter la mort de Baptiste, J'étais libre de traiter le sujet à ma guise, sous une seule réserve : montrer qu'il n'avait pas été décapité du premier coup, mais qu'il avait fallu l'achever au moyen d'un couteau. Ce couteau est appelé, quand il est placé dans la main d'un bourreau, misericordia. Cette "Miséricorde" rappellerait que ce tableau était une commande de la confrérie de la Miséricorde. A Malte, île animée d'un esprit mythique, on aime communiquer par signes secrets. Autre jeu de mots qui renforçait la portée symbolique de cette mise en scène, le bourreau empoigne son couteau pour donner "le coup de grâce". Quelle avait été la mission de Saint Jean ? Distribuer, par le baptême, la grâce.  Donner des "coups de grâce".
(Dominique Fernandez La course à l'abîme)

cathédarle Saint jean de Malte L'oratoire : la décollation de Saint Jean de  Le Caravage
L'oratoire : la décollation de Saint Jean de  Le Caravage
"Bourreau j'attends de ta miséricorde le coup de grâce qui va me délivrer. Mais nous savons, tous les deux, n'est-ce pas ? qu'il ne faut pas entendre ces mots de miséricorde et de coup de grâce et dans le sens que leur donnent les pieux docteurs de l'Eglise. J'aime ta force et ta violence, comme tu aimes ma docilité et ma soumission. Je n'ai jamais voulu mourir que d'une mort indigne, et dans les conditions sordides qui se trouvent remplies aujourd'hui : une pénombre crapuleuse, des témoins réunis  par hasard."...

"Nulle tragédie sacrée ici : un simple homicide, comme il en arrive parfois dans les bas-fonds d'une ville au cours des heures nocturnes où ne restent à rôder que ceux qui ont un compte à régler avec le destin."


"Je m'identifiais à Jean, je rêvais au bonheur de mourir de la main d'un bourreau aussi beau et aussi radieux que celui que j'étais en train de peindre mais, peu à peu, aussi, à cet assassinat imaginé, se superposait un autre meurtre, un meurtre qui s'était produit réellement, la mort de mon père poignardé par des tueurs dans les rues de Milan."


Dans la prison, les témoins assistent passifs à mon exécution


"Sous le couvert d'un épisode emprunté à la Bible, je n'ai voulu peindre qu'un fait divers, la beauté nue d'un assassinat perpétré en pleine rue, par le hasard d'un mauvais coup dans la vie. Le personnage qui se penche en tendant le plat n'est qu'une domestique de la prison*: on voit assez à sa robe noire modeste nouée à l a taille par un linge blanc, qu'elle n'est pas une princesse. Une autre servante, plus âgée, en robe brune et coiffe blanche, se prend la tête dans les mains, par compassion."

* "et nullement Salomé"


Co- cathédrale Saint (Saint John)  Malte : Le Caravage Saint Jérôme Le caravage
Maichelangelo Merisi dit Le Caravage  : Saint Jérôme

Le Caravage Saint Jérôme (détail)

 la vie de Saint Jean par Mattia Preti


Mattia Preti est né à Taverna en Calabre, alors dans le royaume de Naples sous  la domination espagnole. Il fait ses études de peinture auprès d'un maître caravagesque Battistello Caracciolo. Mattia Preti exerce son art à Rome puis à Naples où il devient un des grands peintres de l'école napolitaine. C'est en 1661 qu'il se rend à Malte invité par le grand maître Rafale Cottoner y de Oleza. Il devient alors le peintre officiel de l'ordre des chevaliers. On  peut retrouver ses oeuvres dans toute l'île. On estime qu'il aurait peint plus de 400 oeuvres dans sa période maltaise dont les fresques de la nef de la cathédrale Saint jean à La Valette qui représente la vie de Saint Jean Baptiste.







Mattia Pretti Saint Jean Baptiste : Le baptême du Christ voûte de la cathédrale baroque de La Valette
Mattia Preti  : la vie de Saint Jean Baptiste : Le baptême du Christ


oratoire de cathédrale Saint-jean (saint John) Mattia Pretti  : la vie de Saint Jean Baptiste : Le baptême du Christ(détail)
Mattia Pretti  : la vie de Saint Jean Baptiste : Le baptême du Christ(détail)

Oratoire de la co-cathédrale Saint jean à Malte : Mattia Pretti  : la vie de Saint Jean Baptiste : Le baptême du Christ(détail)
Mattia Preti  : la vie de Saint Jean Baptiste : Le baptême du Christ(détail)





lundi 15 janvier 2018

Miguel Bonnefoy : Sucre noir



 Le roman Sucre noir de Miguel Bonnefoy débute par une vision fantastique, celle d’un trois-mâts naufragé planté sur la cime des arbres au milieu de la forêt d'une île des Caraïbes. Ce premier chapitre a une force surréaliste tant par la description de la forêt « navirophage » qui va émietter le bateau, en disperser toutes les richesses, faire un sort à son équipage que par les personnages que campe Miguel Bonnefoy. 

Le capitaine Henry Morgan, en particulier, célèbre corsaire qui fut gouverneur de l’île de la Jamaïque au XVII siècle, apparaît ici, moribond, boursoufflé par l’alcool, accroché à son or qu’il va emporter dans la mort. Récit romanesque qui malmène un peu l’histoire puisque Henry Morgan est mort d’alcoolisme, certes, mais dans son lit. Peu importe, la légende est née. Et le trésor des pirates avalé par la forêt tropicale va devenir le rêve des chercheurs  de trésor. 

Trois siècles après, le premier d’entre eux est Severo Bracamonte qui devra déchanter dans sa quête mais épousera, par contre, Serena Otero. Celle-ci, héritière de la plantation de cannes à sucre de ses parents, braves gens qui avaient accueilli et encouragé le jeune homme, est une jeune femme singulière, altière, éprise de liberté. C’est aussi un personnage fort du roman.

Dès lors c’est à travers ce couple et leur fille adoptive Eva Fuego trouvée dans un champ de cannes en feu que nous allons suivre, les grandeurs et les décadences de la famille et leur île. Surtout après la découverte dans la plantation d’un puits de pétrole.

Migule Bonnefoy (source Babelio

Rien n'est aussi fort dans la suite du roman que ce remarquable premier chapitre mais j’ai aimé dans l'ensemble la plume de Miguel Bonnefoy, luxuriante comme les forêts qu’il décrit, riche et épicée comme les personnages qu’il peint. Et puis, il y a ce sentiment d’être ailleurs, non plus dans le réel mais dans un monde particulier, dans le réalisme magique des auteurs d'Amérique du Sud. Miguel Bonnefoy, rappelons-le est français, il est né à Paris, mais vénézuélien par sa mère, chilien par son père.

Tout de suite je me suis sentie en présence non d'un roman mais d'une fable, en train d’en chercher le sens caché, le secret de lecture.

Ainsi, lorsque Severo Bracamonte, personnage sympathique au demeurant, cherche le trésor, il déterre d’abord, au cours de ses fouilles, une statue de Diane. Puis, il découvre l’amour de Serena qui va remplir sa vie. Le seul vrai trésor de l’homme est donc l’amour; tout le reste n’est que faux-semblant comme la statue qui est porteuse de mort.

C’est au moment où le deuxième chercheur, l’Andalou, arrive dans le domaine, que Serena reçoit son second trésor : La petite fille Eva Fuego abandonnée dans le champ de cannes.

Enfin, quand Eva Fuego trouve un puits de pétrole dans son domaine et devient propriétaire d’une immense fortune, elle qui n’aime personne,  est précipitée dans le malheur et la ruine.
Une fable, donc, qui nous dit que la richesse n’est pas là où l'on croit la trouver mais dans l’amour et la nature.

Je suppose que ce n’est qu’une interprétation parmi d’autres. J’ai lu dans un article du journal l’Humanité une explication économique très intéressante. Voir ICI

Une interprétation de Sophie Jourbet dans l’Humanité
Roman. Le goût amer du sucre noir ICI

« Dans la veine du réalisme magique, le Franco-Vénézuélien Miguel Bonnefoy signe une épopée miniature qui se collette, sous une apparente légèreté, avec les problèmes économiques actuels du Venezuela. Ce pays, qui compte les réserves pétrolières les plus importantes du monde, a subi de plein fouet l’effondrement des cours de l’or noir. Comme Eva Fuego, brûlée et desséchée à force d’avoir trop cherché de l’or, le pays serait-il un vieillard qui meurt avec ses chimères, faute d’avoir su exploiter ses véritables richesses ? C’est la question que pose ce conte en Technicolor, qui dégage, à chaque page, une puissante odeur de sucre et de rhum.

vendredi 12 janvier 2024

Gouzel Iakhina : Les enfants de la Volga

 

Dans Les enfants de la Volga, Gouzel Iakhina raconte l’histoire des Allemands de la Volga, près de Saratov,  une communauté attirée en Russie par la tsarine Catherine II dans la seconde moitié du XVIII siècle  et qui a conservé sa langue, ses traditions et sa culture. En 1918, Lénine reconnait leur autonomie. Dans les années 1921-1922, les Allemands connaissent la famine, ce qui en décide certains à retourner dans leur pays d’origine. Les autres ont eu à subir les vicissitudes de l’histoire, réquisitions, collectivisation, déportation en Sibérie pendant la guerre de 1940-45; après la guerre, la communauté ne s’est jamais  reformée et a disparu.

C’est dans ce cadre que s’inscrit l’histoire du schulmeister (maître d’école) Jakob Ivanovitch Bach, un être laid, falot, effacé et solitaire, à la parole difficile, qui mène une vie monotone, réglée  par la cloche de l’école dans un petit village allemand au bord de la Volga. Le cours de cette terne existence va être rompu lorsqu’un riche fermier, habitant l’autre rive de la Volga gardée par de hautes falaises, le fait venir pour donner des leçons à sa fille Klara. La jeune fille doit apprendre l’allemand car son père a décidé de repartir en Allemagne. Comment le destin va réunir les jeunes gens, comment la mort de Klara à la naissance de sa fille va les séparer, comment l’existence de Bach va se dérouler à l’écart du Monde, des révolutions, de la guerre, un monde tourmenté qui ne fait irruption que de temps à autre pour bouleverser la vie de Bach, à l’abri de la haute rive du fleuve, c’est ce que je vous laisse découvrir…

Il y a comme d’habitude chez Gouzel Iakhina une puissance d’écriture assez fulgurante qui font de la Volga un personnage à part entière, une  frontière qui retranche du cours de la vie, force protéïforme selon les saisons, prise dans la glace en hiver ou déchaînée au moment de la débâcle.

Ils voguaient dans la nuit : la Volga était comme une mer d'encre. L'encre clapotait contre la coque, l'encre noyait l'horizon - on ne comprenait pas où s'arrêtait le fleuve, où commençait la steppe, où arrivait la steppe et où commençait le ciel. Les étoiles se reflétaient sur les flots d'encre, les feux de Gnadenthal y tremblotaient, et personne n'aurait pu dire, à cette heure, quelles lumières venaient des maisons, et quelles lumières venaient du ciel.

La nature tient une place prépondérante dans le roman avec des descriptions somptueuses qui font appel à tous les sens.

Ces images figées -la ferme de Grimm, les forêts sur la rive droite de la Volga, les steppes sur la rive gauche, la Volga elle-même, et la chouette chassant le mulot -, tout avait été pétrifiéen un instant par la puissance du froid et recouverte du cristal glacé le plus pur, comme une fourmi peut-être enfermée dans un morceau d’ambre transparent.
Les mélodies à peine audibles de ce monde engourdi - le crépitement des glaçons entre les rondins de l’isba, le grincement des troncs des chênes dans la forêt - disparaissaient peu à peu, se transformaient en silence. L’ouïe de Bach se dissolvait dans ce merveilleux silence, tout comme ses sensations et ses pensées venaient de se dissoudre dans la glace. »


De beaux passages, prenants, témoignent du talent de narratrice de l’écrivaine, comme lorsque Jakob Bach donne des leçons à Klara Grimm qu’il ne peut voir, séparé d’elle par un paravent dressé par la méfiance d’un père, lorsque la littérature tient lieu de trait d’union entre les deux personnages. On a parfois l’impression d’être dans un conte traditionnel comme ceux que Bach aime tant, où une belle jeune fille retenue prisonnière par un méchant génie  devra sa liberté à l’amour. Et Bach est souvent semblable à un personnage de conte :

« Une nuit, il se fit soudain réflexion qu’il était devenu comme un nain avide tremblant pour son or. Comme Udo Grimm, qui avait essayé de séparer sa fille du monde avec un paravent. »

 Mais comme nous ne sommes pas réellement dans un conte, la réalité sera tout autre ! Moments d’une grande beauté morbide, le corps de Klara conservé dans la remise-glacière pendant l’hiver, princesse morte se parant des joyaux scintillants du gel comme une Blanche Neige dans son cercueil de verre.

« Elle était couchée, plus froide et plus blanche que la neige, dans un coffre en bois où ils conservaient les oiseaux abattus, les poissons morts, ses cils -couverts de givre. Il pleurait parceque Klara était morte. »
« Le corps de la femme étendue sur la glace -pâle, avec le dessin capricieux de ses veines bleues. »


Et puis il y a l’amour du maître d’école pour les mots, le folklore allemand, les légendes et les traditions qu’il nous raconte ou plutôt qu’il écrit, lui qui bégaie et finit pas ne plus parler.   

Mais d’où vient alors que j’ai moins aimé ce livre que Zouleika ou Convoi pour Sarmacande ! Je me le suis demandé à plusieurs reprises quand je sentais mon intérêt faiblir.

Ma réponse est la suivante : les personnages, Bach surtout, s’abîment tous deux dans le silence, sont dans l’impossibilité de partager leurs sentiments, de communiquer entre eux. Il m’a donc été difficile de m’intéresser à eux tout le temps !  Bach paraît souvent immobilisé, prisonnier de son absence de paroles, comme de son impuissance à exprimer ses émotions. Evidemment, c’est ce que veut montrer l’écrivaine mais j’ai éprouvé de la frustration de ne pas en savoir plus. Ce n’est pas toujours facile de retenir le lecteur avec un antihéros !  D’autre part, j’ai trouvé que le roman avait des longueurs. Je n’ai pas été intéressée, par exemple, par tout ce qui concerne le personnage de Staline, jamais nommé, mais mis en scène d’un manière un peu trop démonstrative. Bref ! j’ai trouvé que l’intérêt du livre n’était pas constant. Et c’est dommage car Gouzel Iakhine est une grande écrivaine au style évocateur, puissant, poétique et original !



mardi 20 septembre 2016

Victor Hugo : Mangeront-ils? Lecture commune


 
J'ai vu cet été au festival d'Avignon 2016, la représentation de la pièce de Victor Hugo : Mangeront-ils? par la compagnie des Barriques. (voir mon billet ICI).  Ce qui m'avait donné envie de lire la pièce.
 

Mangeront-ils? Aïrolo et Zineb Compagnie des barriques photo Luca Lomazzi
Mangeront-ils? appartient au recueil Théâtre en liberté composé de quatre drames et cinq comédies en vers ou en prose. Ecrites par Victor Hugo pendant son exil à Guernesey, éditées en 1869 à son retour en France, ces pièces n’ont jamais été jouées sur scène du vivant de l’auteur.

Mangeront-ils? est une histoire d’amour contrarié, celle de Lord Slada et de Lady Janet obligés de se réfugier dans l’asile d’une église à moitié en ruines, sur l’île de Man, pour échapper au Roi, amoureux de Lady Janet qu’il veut pour épouse. Mais dans l’enceinte de ces ruines ne poussent que des plantes vénéneuses et coule une rivière aux eaux empoisonnées. Les deux amants ne peuvent s’échapper et sont condamnés bientôt à mourir de faim et soif. C’est alors que le voleur au grand coeur Aïrolo les prend sous son aile et part chercher de la nourriture pour eux dans la forêt où vit la sorcière Zineb. Celle-ci a cent ans et se sent proche de la mort. Pourchassés par le tyran, le bandit et la sorcière vont faire alliance contre celui-ci.

Le drame romantique : entre comédie et tragédie 

 

Lady Janet et Aïrolo :  Serge Reggiani dans une mise en scène pour la TV
 
 
Il s’agit d’un drame romantique en deux actes qui pratique le mélange des genres prôné par Victor Hugo. La pièce commence donc comme une tragédie avec un despote cruel qui veut se saisir de la jeune femme et tuer son mari mais elle finit en véritable comédie. Dans le deuxième acte, l’on voit en effet Aïrolo mener par le bout du nez le tyran crédule et sot, le couvrant de ridicule et parvenant à le chasser du trône.
A ce mélange des genres correspond celui des styles. Le contraste entre les déclarations d’amour nobles et lyriques de Lord Slada et les préoccupations de Lady Janet crée un effet comique alors que la situation des jeunes gens n’est rien moins que tragique :
Lord Slada
Mets sur ton front ta main. Je suis ton protégé.
Déesse, inonde-moi de ta lumière.
Lady Janet, à part.
J’ai
une faim!

A l’expression du bel amour romantique répondent les exigences les plus terre à terre. La « déesse » a l’estomac vide et lord Slada est bien obligé, lui aussi, d’avouer qu’il est soumis aux mêmes contingences terrestres! C’est ce que souligne la réplique de Aïrolo :
Oui, c’est le paradis de s’aimer de la sorte,
Mais toutefois un peu de nourriture importe;
Vous êtes, j’en conviens, deux anges, mais aussi
Deux estomacs ; daignez me concéder ceci.

D’où le titre réaliste de la pièce, Mangeront-ils? qui résume l’enjeu de l’action, les jeunes gens étant condamnés soit à mourir de faim, soit à périr de la main du roi pour Slada et au mariage forcé pour Janet. Mais ce titre est aussi un moyen pour Victor Hugo de dénoncer la misère du peuple qui souffre de faim pendant que le Roi fait ripaille. Car la pièce se veut un pamphlet contre la tyrannie et les grands de ce monde qui se rient de la souffrance des humbles.
 

 Contre l'arbitraire et l’injustice sociale  : un hymne à la liberté

 

Le Roi et son conseiller : Mise en scène de Beno Besson à Lausanne
 
Victor Hugo dans son exil continue donc à mener son combat contre Napoléon III et à dénoncer le despotisme. Le roi de la pièce est un homme qui vit dans l’opulence au dépens du peuple. Mess Tityrus son conseiller l’encourage dans cette voie : 
 
Roi, plaisirs, tournois, galas, combats, vous pouvez vous donner toutes vos fantaisies,
le peuple paie.

Il aime le pouvoir mais aussi les richesses, la bonne chère mais il en jouit d’autant plus devant ceux qui n’ont rien. 
 
J’approuve cette estrade,
Il sied qu’un roi qui mange ait d’en bas pour témoins
le reste des mortels qui mangent beaucoup moins.

C’est un être médiocre qui veut soumettre les autres, les plier à son arbitraire. Il aime faire souffrir, torturer, jouer au chat et à la souris en donnant de l’espoir pour mieux plonger son ennemi dans le désespoir. Il est prompt à condamner ceux qui lui résistent et Victor Hugo s'élève ici, encore une fois, contre la peine de mort.
 
Mess Tityrus
Pour jouer de la sorte avec l’espoir, l’effroi,
La mort, la vie, il faut, vois-tu bien être roi.
Aïrolo à part
Il suffit d’être tigre.

La charge satirique dirigée contre le roi est forcée. Victor Hugo en fait un fantoche, une sorte de pantin habilement manipulé par Mess Tityrus. Imbu de lui-même, il est non seulement méchant mais sot. Il refuse de croire en Dieu, il se proclame supérieur à lui mais il tombe dans la superstition et pourchasse Zineb pour qu’elle lui dise son avenir. Sa crédulité imbécile alliée à son égocentrisme et sa lâcheté le ridiculise.

Face à lui, Aïrolo incarne la figure du peuple, l'amour de la liberté et dénonce l’injustice sociale qui commence par celle de la naissance.
 
Ah! je vaux bien les rois,
Car j’ai la liberté de rire au fond des bois.
Mon chez-moi c’est l’espace, et Rien est ma patrie.
Voyez-vous la naissance est une loterie;
Le hasard fourre au sac sa main, vous voilà né.
A ce tirage obscur la forêt m’a gagné.

Il est celui qui lutte pour que le peuple mange et pour que celui-ci ait doit au bonheur : 
 
Je livre la bataille immense de la faim
Contre le superflu des autres.

L’homme ayant égaré le bonheur, je le cherche.

Avec Aïrolo, l’on retrouve le thème du bandit, du proscrit, du marginal rejeté par la société, thème cher à Victor Hugo. Il est un Jean Valjean, un Gwinplaine, un Hernani en rébellion contre l’ordre établi, un humble qui ne se soumet pas, un homme avec sa part d’ombre et de lumière. 
 
Possesseur de zéro, que j’en sois le voleur,
ça fait rire. Je suis le pire et le meilleur.

Aïrolo se révèle supérieur au roi car c’est un être libre, qui accepte la mort plutôt que de servir et de s’humilier. 
 
Après tout j’aime autant la corde que la chaîne,
Et la mort que la geôle. Un noeud qui pend d’un clou,
Et qu’on serre une fois pour toutes à mon cou
Me délivre d’un tas de choses que j’évite.

Il n’est corrompu ni par le pouvoir ou les honneurs, ni par l’argent. Il place les valeurs spirituelles et la liberté au-dessus de tout. Il a un certain panache et comme les héros romantiques de Hugo, il l’exprime  avec superbe : 
 
ll ne me convient pas de vous divertir, prince,
Et d’être la souris quand vous êtes le chat.
 
 

Fantastique, Superstition, Religion : "Je lis Dieu sans lunettes"

Les amoureux dans le cloître abandonné : décor de la mise en scène de La Fine Compagnie et Les Estropiés

 
Le fantastique est l’une des composantes discrète de la pièce avec la présence de la sorcière Zineb mais l’on verra que Victor Hugo laisse malicieusement planer un doute sur les talents divinatoires de Zineb. Et l’on est témoin du scepticisme d’Aïrolo lorsqu’il reçoit le talisman de Zineb censé lui assurer une longue vie de cent ans. L’auteur critique les superstitions absurdes. Le roi de Man qui se place au-dessus du Christ et de Dieu mais sombre dans l’obscurantisme, en est bien puni.
En fait, brigand ou sorcière, les deux personnages sont avant tout des êtres proches de la nature, vivant en symbiose avec elle. Incarnation du dieu Pan ou de Puck, Aïrolo est enfant de la Grèce et de Shakespeare… 
 
 Je suis l’âme sereine à qui Pan s’associe
 
Quant à Zineb, si elle est sorcière, elle n’est pas semblable aux sombres apparitions de Macbeth. Elle serait plutôt cousine du Petit Monde des bois, celui du Songe d’une nuit d’été, parentes des fées, suivantes de Titiana. Personnage malicieux mais sans méchanceté, elle est du côté des êtres qui ont besoin d'elle, les animaux comme le pigeon blessé ou les humains innocents.

De plus, le personnage de Zineb permet à Victor Hugo de dénoncer le fanatisme, les bûchers allumés par l’Eglise pour mettre à mort ces pauvres femmes qui sont surtout des êtres de la nature, connaisseuses des plantes et guérisseuses.
A côté de la satire du despotisme, Victor Hugo se livre effectivement à une critique en règle de l’Eglise prompte au fanatisme, prête à appuyer les puissants quand cela l’arrange mais constituant un contre-pouvoir redoutable dès que l’on touche à ses biens ou à ses privilèges.
 
Mais si vous touchez un jour à l’église, à ses droits, à ce cloître inutile,
Ah! bien, c’est pour le coups que, dans toute cette île,
On entendra sonner le tocsin jusqu’au ciel.

Pour Hugo qui croit en Dieu mais n’aime pas le clergé, Aïrolo représente la religion débarrassée des prêtres, la vraie foi pure et sincère. C’est ce que le jeune homme exprime d’une manière extrêmement pittoresque :
 
 « je lis Dieu sans lunettes ».
Faut-il vous compléter mon portrait? Braconnage,
Et clef des champs. Pensif, je dédaigne de loin
Le juge, plus le prêtre; et je n’ai pas besoin
De vos religions, je lis Dieu sans lunettes.
 

Une célébration de la Nature :  entre lyrisme et grotesque

 

La forêt, le très beau décor de la mise en scène de Laurent Pelly à Marseille Théâtre de la Criée
 
 
Il y a de très beaux passages dans cette pièce, de grands moment poétiques où le lyrisme s’élève comme une musique éthérée pour célébrer la beauté de la nature, l’amour de la liberté, de l’espace. Ainsi lorsque Aïrolo parle de sa vie dans la forêt :
 
A ce tirage obscur la forêt m’a gagné.
Joli lot. C’est ainsi que parmi la bruyère
Où Puck sert d’hippogriffe à la fée écuyère,
Enfant et gnome, étant presque un faune, j’échus
Comme concitoyen aux vieux arbres fourchus.
Dans l’herbe, dans les fleurs de soleil pénétrées,
Dans le ciel bleu, dans l’air doré, j’ai mes entrées.

Parfois  le style se fait plus familier, plus proche et l’humour affleure  : 
 
Mon patrimoine est mince. Errer dans les sentiers,
C’est là mon seul talent; je plains mes héritiers.
 
Mais une fois encore il alterne avec des vers d’une poésie simple et pure évocatrice de cette nature qui est sa vraie richesse :
 
Voyons que laisserai-je après moi?
Regardant autour de lui.
Cette dune,
Ce sapin, les roseaux, l’étang, le clair de lune,
La falaise où le flot mouille les goémons,
La source dans les puits, la neige sur les monts,
Voilà tout ce que j’ai.

Très beau aussi le moment ou Zineb remercie Aïrolo de l’avoir aidée non parce qu’il lui a sauvé la vie mais parce qu’il lui  a donné plus encore, une mort digne, en accord avec sa vie, en phase avec la nature :
 
Ecoute je te dois la mort sombre et tranquille,
La mort douce et profonde au fond des bois cléments,
Parmi ces rocs sacrés, mystérieux aimants,
Sous les ronces, au pied des chênes, sur la mousse,
Dans la sérénité de l’obscurité douce
La mort comme les loups et comme les lions,
Je te dois loin des peurs et des rebellions,
L’évanouissement dans la bonne nature.

Triviales par contre les réflexions d’Aïrolo sur les amoureux
 
Le coeur  a ses bonheurs, l’estomac ses misères,
Et c’est une bataille entre ces deux viscères.
Lequel l’emportera? L’estomac.
 
Et franchement vulgaires ses pensées exprimées en « franglais » (et oui, déjà!)  devant la belle Janet endormi pour qui il éprouve du désir  :
 
J’en suis incandescent.- que n’ai-je
le droit d’offrir un kiss à ce biceps de neige.
 
Toujours ce fameux mélange des styles qui réclame du comédien incarnant Aïrolo d’avoir à la fois un tempérament comique, une certaine truculence et un penchant vers le lyrisme, une manière d’exprimer la nostalgie assortie d’une gaité un peu triste, un équilibre léger et subtil entre deux extrêmes. Une pièce qui demande donc une remarquable interprétation. Quant à la scénographie, j'ai pu voir en faisant des recherches dans le net combien cette pièce avait donné lieu à de très belles créations et décors variés.

 

 LECTURES COMMUNES RAPPEL

Pour le 20 Octobre 2016 :  Lettres de Juliette Drouet ou biographie de Henri Troyat :  Juliette Drouet  OU Juliette Drouet : Mon grand petit homme, mille et une lettres d'amour (Gallimard) OU  tout autre livre de correspondance entre Drouet-Hugo
Miriam, Margotte, Claudialucia

Pour le  20 Novembre 2016 :  BIOGRAPHIE DE VICTOR HUGO  : Un été avec Hugo de Laura El Makki (Equateurs/ Parallèles) OU Victor Hugo de Sandrine Filipetti (livre de poche) Ou Olympio ou la vie de Victor Hugo de Maurois. Bref! une biographie de Hugo au choix.

Miriam, Nathalie, Claudialucia, Eimelle (?), Margotte

LECTURES COMMUNES : AUTRES PROPOSITIONS

Je propose de continuer notre exploration du Théâtre en Liberté (livre de poche Folio Gallimard) dans le cadre du challenge Victor Hugo, du challenge romantique et aussi du Challenge Tous en Scène d'Eimelle pour la fin 2016 et  l'année  2017 : en alternant drames et comédies

Pour le 20 Décembre : un drame : Torquemada

Margotte,  Miriam, Nathalie, claudialucia,

Je proposerai plus tard le tableau  les lectures à partir de janvier 2017.